Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté, Mme Patricia Schillinger.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

moyens budgétaires nécessaires pour affronter le dérèglement climatique et ses conséquences

M. Thomas Dossus ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.

intempéries et inondations

Mme Anne Ventalon ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques ; Mme Anne Ventalon.

insécurité en guyane

M. Georges Patient ; M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur.

contrôles des agriculteurs initiés par les procureurs

M. Vincent Louault ; M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Vincent Louault.

urgence de réformer la politique de santé périnatale

Mme Véronique Guillotin ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Véronique Guillotin.

situation de la loire après les intempéries

M. Jean-Claude Tissot ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.

nouvelle-calédonie et outre-mer face à l’héritage colonial

M. Robert Wienie Xowie ; M. François-Noël Buffet chargé des outre-mer ; M. Robert Wienie Xowie.

surveillance des gardes à vue

M. Pierre-Antoine Levi ; M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur ; M. Pierre-Antoine Levi.

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

4. Questions d’actualité au Gouvernement (suite)

narcotrafic et menaces sur les forces de l’ordre à marseille

Mme Valérie Boyer ; M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur.

situation des collectivités territoriales

Mme Karine Daniel ; M. Fabrice Loher, ministre délégué chargé de la mer et de la pêche ; Mme Karine Daniel.

crise du logement

M. Marc-Philippe Daubresse ; Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine.

fermeture à la pêche du golfe de gascogne

Mme Annick Billon ; M. Fabrice Loher, ministre délégué chargé de la mer et de la pêche ; Mme Annick Billon.

situation de l’agriculture

Mme Kristina Pluchet ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; Mme Kristina Pluchet.

cycliste tué à paris

M. Rémi Féraud ; M. Nicolas Daragon, ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien ; M. Rémi Féraud.

fermeture du site de production de volailles à blancafort

M. Rémy Pointereau ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; M. Rémy Pointereau.

situation pénitentiaire à mayotte

M. Stéphane Demilly ; M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

5. Mise au point au sujet de votes

6. Communication d’avis sur des projets de nomination

7. Candidatures à une commission mixte paritaire, à une commission spéciale et à une délégation sénatoriale

8. Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer

M. Stéphane Ravier

M. Pierre Médevielle

M. Georges Naturel

Mme Salama Ramia

Mme Maryse Carrère

Mme Jocelyne Guidez

M. Robert Wienie Xowie

Mme Mélanie Vogel

Mme Viviane Artigalas

M. François-Noël Buffet, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de M. Robert Wienie Xowie. – Rejet.

Adoption de l’article.

Articles 2 et 3 (nouveaux) – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Patrick Kanner

M. Georges Naturel

Mme Cécile Cukierman

Adoption, par scrutin public n° 22, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

9. Réforme du financement de l’audiovisuel public. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Discussion générale

M. Cédric Vial, auteur de la proposition de loi organique

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission des finances

Mme Rachida Dati, ministre de la culture

Mme Laure Darcos

M. Laurent Somon

M. Bernard Buis

M. Bernard Fialaire

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Jérémy Bacchi

M. Thomas Dossus

Mme Sylvie Robert

M. Joshua Hochart

Mme Anne Ventalon

M. Laurent Lafon

M. Victorin Lurel

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 3 de M. Thomas Dossus. – Rejet.

Amendement n° 2 de M. Jérémy Bacchi. – Rejet.

Amendement n° 1 de M. Jérémy Bacchi. – Rejet.

Adoption de l’article.

PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé

Après l’article 1er

Amendement n° 7 de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Article 2 (supprimé)

Amendement n° 6 de M. Thomas Dossus. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 3

Amendement n° 8 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.

Vote sur l’ensemble

Mme Monique de Marco

Mme Sylvie Robert

M. Cédric Vial

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur

Adoption, par scrutin public n° 23, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission, modifié.

10. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

Nomination d’un membre d’une commission spéciale

Nomination de membres d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif, au cours de nos échanges, au respect des uns et des autres et à celui du temps de parole.

moyens budgétaires nécessaires pour affronter le dérèglement climatique et ses conséquences

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Thomas Dossus. Ma question s’adresse à la ministre de la transition écologique.

Madame la ministre, après Kirk, il y a dix jours, une autre tempête, qui répond au doux prénom de Leslie, a frappé brutalement le sud-est de la France il y a six jours. Elle a touché non seulement la métropole de Lyon, mais aussi la Loire, l’Ardèche et de nombreux autres départements. Plus violente que beaucoup d’autres auparavant, elle a mis à nu nos faiblesses et nos erreurs d’aménagement.

Comme chaque fois, nous devons saluer les maires et leurs équipes municipales, les agents de la sécurité civile, les services de l’État et les nombreux bénévoles présents sur le pont tout le week-end : ils ont apporté des réponses immédiates et de l’aide à des habitants dont certains ont presque tout perdu.

Notre solidarité envers les sinistrés doit être totale. À cet égard, le maire de Givors, ville durement frappée, me disait lundi qu’un interlocuteur interministériel lui était indispensable, tant les besoins sont variés et tant il est urgent de les satisfaire.

Pareils épisodes sont de plus en plus intenses et violents, mais ce n’est qu’un début. En outre, les catastrophes n’ont plus grand-chose de naturel, tant notre rôle dans l’emballement est désormais avéré. Et pourtant, le budget que le Parlement a commencé à étudier semble ignorer l’urgence. Vous-même en avez fait le constat, au point de mettre votre démission dans la balance ; et vous avez raison : le coup de rabot sur l’écologie est violent. Pour reprendre la métaphore comptable, on aggrave la dette écologique pour tenter de régler la dette financière.

De manière plus cynique et plus dangereuse encore, le Premier ministre lui-même a rouvert le débat sur l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN). La droite sénatoriale s’est immédiatement engouffrée dans la brèche : elle s’engage à faire en sorte que l’on puisse toujours davantage artificialiser, bétonner et bitumer les sols. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pendant ce temps, pour ce qui est de notre plan national d’adaptation au changement climatique, on procrastine !

Sommes-nous victimes de dissonance cognitive ? Quand on constate les besoins, quand on écoute les scientifiques, quand on a conscience de l’accélération de la catastrophe et du coût de l’inaction, on ne peut que s’interroger : avons-nous le temps d’un budget de recul ? Madame la ministre, comment pouvez-vous vous permettre de priver les collectivités territoriales de moyens d’investissement dont nous avons tant besoin pour préparer l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Dossus, avant tout, je tiens à exprimer aux sinistrés le soutien du Gouvernement tout entier.

Je salue également, comme vous l’avez fait vous-même, l’action remarquable des services de secours et des élus locaux, qui n’ont pas ménagé leur peine, ces derniers jours, pour soutenir nos concitoyens.

Ces inondations résultent de précipitations d’une ampleur inédite. Au total, 600 à 700 millimètres d’eau sont tombés sur les hauteurs de l’Ardèche, sur Annonay par exemple : c’est l’équivalent d’une année de précipitations à Paris.

Vous l’avez dit, ces inondations sont une des manifestations du dérèglement climatique, et tout nous indique qu’elles sont appelées à se répéter. Nous devons donc agir.

Agir, c’est mettre les moyens ; et si j’assume de prendre ma part de l’effort budgétaire, une responsabilité nous incombe non seulement face à la dette financière, mais aussi face à la dette écologique. C’est pourquoi, dans les tout prochains jours, nous allons présenter le nouveau plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc). M. le Premier ministre sera personnellement à la manœuvre et un certain nombre de mesures seront annoncées à l’appui de ce plan.

Il faut mieux s’adapter, mieux anticiper, mieux prévoir et, bien sûr, accompagner les collectivités territoriales dans leur travail d’aménagement. Cela signifie que nous agirons en mobilisant non seulement les moyens de l’État, mais aussi d’autres outils : je rappelle que nous pouvons nous appuyer sur les certificats d’économies d’énergie, sur les crédits carbone, sur les crédits biodiversité ou encore sur les fonds de l’Union européenne, que nous utilisons peut-être encore insuffisamment.

Tout cela revient bel et bien à lancer l’alerte et à sonner la mobilisation générale : en la matière, vous pouvez compter sur moi, comme vous pouvez compter sur moi pour que les moyens soient à la hauteur des enjeux. Je défendrai donc ce budget avec vigueur et détermination. (M. Akli Mellouli sexclame.)

M. Yannick Jadot. Et le fonds Barnier ?

intempéries et inondations

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Anne Ventalon. Ma question s’adressait à M. le Premier ministre.

Le 17 octobre dernier, un épisode cévenol d’une intensité rarement atteinte s’est abattu sur six départements français. L’Ardèche s’est trouvée en première ligne. Certaines communes, à l’image d’Annonay, de Limony, de Burzet ou encore du Roux, ont été particulièrement touchées par ces inondations dévastatrices et par leurs conséquences.

Après la décrue, le constat est accablant : des axes routiers rendus impraticables, des habitations sinistrées, des entreprises et des exploitations agricoles endommagées.

La solidarité des Ardéchois n’a pas failli : nos élus locaux et nos services de secours, aux côtés des habitants, font preuve d’un courage admirable face à la répétition d’événements climatiques violents. Néanmoins, ils ne peuvent relever seuls le défi de la reconstruction ; ils attendent désormais une mobilisation nationale qui soit à la hauteur.

Pour que les sinistrés puissent être indemnisés, les communes concernées doivent impérativement, et rapidement, être reconnues en état de catastrophe naturelle.

Au-delà des mesures d’urgence, il nous faut réfléchir, dans une perspective de long terme, à notre culture du risque ainsi qu’à la gestion des crises à répétition.

Madame la ministre de la transition écologique, face à l’intensification des aléas climatiques, et afin de répondre aux besoins croissants de reconstruction et de protection, envisagez-vous la création d’un « fonds Barnier II » ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Ventalon, vous l’avez dit, ces catastrophes naturelles sont d’une violence inouïe.

Il y a quelques jours, mon collègue Nicolas Daragon et moi-même nous sommes rendus à Annonay et à Limony, en Ardèche, communes que vous venez de citer. Nous avons pu constater de visu ce que vous décrivez : des maisons éventrées, des canalisations à nu, des hameaux privés d’accès au reste du village, un cours d’eau sorti de son lit et n’y revenant pas.

Face à ces catastrophes, qui sont évidemment traumatisantes pour la population, je vous assure que nous allons agir avec rapidité.

Je pense tout d’abord à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, dossier piloté par le ministère de l’intérieur : dans les tout prochains jours, ces communes verront leurs demandes aboutir.

Je pense ensuite aux missions d’inspection que Catherine Vautrin et moi-même allons lancer pour évaluer les dégâts infligés aux ouvrages qui ne sont pas assurables et peuvent bénéficier de la dotation de solidarité. Sur ce dossier aussi, nous sommes prêts et allons avancer rapidement.

Je pense enfin au travail confié aux services du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), lesquels sont d’ores et déjà prépositionnés en appui des collectivités territoriales. Il s’agit par exemple de déterminer si l’on peut construire un ouvrage provisoire là où un pont s’est effondré, ou encore de vérifier la qualité de ponts qui, s’ils ont été très fortement endommagés, sont encore debout : il faut savoir si ces ouvrages peuvent continuer d’être empruntés en toute sécurité.

Sur tous ces sujets très concrets, vous pouvez compter sur le Gouvernement pour avancer.

Pour ce qui est de la suite, je l’ai dit, le Premier ministre travaille au nouveau plan national d’adaptation au changement climatique. Ce document sera soumis à la concertation dans les tout prochains jours, avec des moyens à la clef. Le fonds Barnier est évidemment un outil,…

M. Yannick Jadot. Oui, combien ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. … mais vous comprendrez que je laisse le Premier ministre faire lui-même ces annonces.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.

Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, à la suite de cet épisode douloureux, vous vous êtes effectivement rendue dans mon département, qui paie un lourd tribut.

De nouvelles pluies sont attendues en cette fin de semaine ; or les sols sont déjà saturés en eau. Qu’il s’agisse de répondre à la catastrophe ou de travailler à la prévention, la mobilisation de l’État est bel et bien indispensable.

À cet égard, le Sénat examinera la semaine prochaine un texte essentiel visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Nous espérons vivement que le Gouvernement le soutiendra. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

insécurité en guyane

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Georges Patient. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Après Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et la Martinique, la Guyane sera-t-elle le prochain « brûlot de l’Empire » ? Tout y concourt : une insécurité exponentielle s’ajoute à la cherté de la vie, dans un contexte d’extrême pauvreté.

La Guyane a enregistré son quarante-deuxième homicide de l’année. Le taux d’homicide y est de 20 pour 100 000 habitants, cinq fois plus que dans les Bouches-du-Rhône – un record !

C’est à Saint-Laurent-du-Maroni que la situation se dégrade le plus. L’usage d’armes à feu y est devenu la norme. En 2023-2024, 25 % des vols à main armée recensés en France en zone gendarmerie ont été commis dans cette ville, qui, officiellement, ne compte que 50 000 habitants.

Facteur aggravant, le Maroni, fleuve frontière avec le Suriname, n’est, dans les faits, pas une frontière. Actuellement, le point de contrôle policier se trouve quelques kilomètres après la sortie de Saint-Laurent-du-Maroni, sur la route de Cayenne. La ville est ainsi livrée à tous les trafics, qu’il s’agisse d’armes, de drogues ou encore d’immigration illégale. Une telle situation est indigne de notre République.

En avril dernier, l’opération « place nette » avait montré un début d’efficacité ; elle a été interrompue à la suite du départ de deux escadrons de gendarmerie pour les jeux Olympiques de Paris.

Hier, le préfet de la Guyane a annoncé l’arrivée de la garde républicaine. Quant aux Guyanais, ils réclament en priorité et de toute urgence le retour des deux escadrons de gendarmerie et souhaitent que d’autres leur soient adjoints. S’y ajoutent deux demandes, elles aussi prioritaires : premièrement, faire du Maroni une véritable frontière, ce qui suppose d’y surveiller la navigation vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en mobilisant l’armée si besoin ; deuxièmement, donner à la ville les moyens d’éradiquer les quartiers informels qui servent de refuges aux criminels.

Monsieur le ministre, saurez-vous répondre aux attentes de nos concitoyens et leur permettre de retrouver une vie paisible ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Retailleau, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Georges Patient, vous m’alertez sur la gravité de la situation en Guyane, et singulièrement à Saint-Laurent-du-Maroni.

Selon les statistiques que vous avez à juste titre citées, nous en sommes, sur ce petit bout du territoire français, à quarante-deux homicides depuis le début de l’année. J’ajoute que le mouvement s’accélère : sur place, on dénombre désormais deux à trois tentatives d’homicide par jour et, depuis le début de l’année, les vols à main armée ont augmenté de 37 %. Bref, la situation s’aggrave.

Un pic de violence a eu lieu le 3 octobre dernier : ce jour-là, nos gendarmes ont été pris à partie. Lors d’une opération de rétablissement de l’ordre, ils ont même essuyé plus de quarante tirs à balles réelles.

Je tiens à saluer devant la représentation nationale le courage des forces de l’ordre présentes sur place. Elles accomplissent un travail extraordinaire dans des conditions très difficiles : bravo à elles, vraiment. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE et sur des travées du groupe SER.)

Soyez assuré que nos enquêteurs sont mobilisés. Ils ont interpellé et déféré à la justice plusieurs individus présumés responsables des désordres du 3 octobre dernier : notre main ne tremble pas.

Vous m’interrogez au sujet des renforts. Que faire ? Avec le Premier ministre, nous avons décidé d’envoyer sur place, en renfort, les escadrons de gendarmerie que vous réclamez. Des renforts déployés sur mon initiative sont d’ores et déjà arrivés, pour certains pas plus tard qu’hier : tel est le cas du peloton d’intervention de la garde républicaine que vous évoquiez. De même, nous avons renforcé l’antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui est précisément engagée à Saint-Laurent-du-Maroni.

Les renforts sont donc là. Ils s’ajoutent aux 1 525 policiers et gendarmes territoriaux déjà présents sur place, mais cela ne suffira pas. En parallèle, nous allons mieux contrôler la frontière, qui, pour l’heure, n’est en effet qu’une passoire.

Vous avez raison : le Maroni est devenu l’autoroute de la délinquance, de gens ultraviolents. Pour contrôler ce fleuve, comment allons-nous faire ? Nous allons tout simplement rétablir le contrôle de l’accostage des bateaux dans le port, avec – je l’espère – le soutien des collectivités territoriales. En outre, nous allons déployer des drones pour assurer une surveillance permanente de la frontière.

Comptez sur nous, monsieur le sénateur, pour ne pas laisser dériver la violence dans votre beau territoire : la République, c’est non seulement la métropole, mais aussi l’ensemble des territoires ultramarins français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)

contrôles des agriculteurs initiés par les procureurs

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

M. Vincent Louault. Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le garde des sceaux, loin de moi l’idée d’interférer dans une action de justice en cours ou de vous interpeller sur le fond d’une procédure : je ne méconnais évidemment pas le principe de séparation des pouvoirs. Mais j’ai quand même le droit de m’émouvoir, de m’interroger et de vous demander votre avis sur la forme.

Ma question est simple : en pleine crise agricole, jugez-vous vraiment raisonnable et proportionné de déployer plus de cinquante agents des forces de l’ordre chez un seul agriculteur dans le cadre d’un contrôle « mutualisé », comme ce fut le cas la semaine dernière en Indre-et-Loire ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Vincent Louault, j’entends votre émotion et votre incompréhension. Je comprends que vous soyez sensible à la situation d’un élu, maire de votre département et agriculteur de surcroît, comme vous. Je souhaite vous apporter une réponse apaisée, sans faux-semblant.

Le métier d’agriculteur est un métier difficile, qui demande engagement et pugnacité, qui est soumis à des contraintes financières, techniques et légales reconnues de tous.

Vous l’avez rappelé et je vous en remercie : en ma qualité de garde des sceaux, je ne saurais commenter sur le fond une affaire individuelle.

Un agriculteur est soumis aux dispositions légales encadrant son activité, notamment en matière environnementale. La question de l’environnement est et reste une préoccupation gouvernementale majeure ; c’est précisément ce qui a motivé, en septembre 2023, l’instauration des comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden), qui sont chargés de veiller à la bonne coordination des réponses administrative et pénale.

Les Colden, jeunes structures, doivent encore arriver à maturité. Les contrôles opérés dans les exploitations agricoles suscitent des incompréhensions et parfois, comme ce fut le cas dans votre département, une forte émotion. Je le comprends.

Comme l’ont proposé vos collègues députés Anne-Laure Blin et Éric Martineau, rapporteurs d’un groupe de travail dédié à ce sujet, il faut améliorer le déroulement et la perception de ces contrôles : il s’agit là d’une réelle attente, j’en ai bien conscience.

Par circulaire en date du 9 octobre 2023, la Chancellerie a rappelé que les contrôles opérés dans les exploitations agricoles devaient être fondés sur les principes de nécessité et de proportionnalité. Dans cet esprit, une stratégie nationale des contrôles en matière de police de l’eau et de la nature (SNCPEN) a été établie en janvier 2024 ; elle est sans doute perfectible, et je suis prêt à y travailler avec mes collègues concernés au sein du Gouvernement. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour la réplique.

M. Vincent Louault. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de votre bienveillance : vu le contexte explosif que nous connaissons, elle est importante.

Sur BFM, tout à l’heure, on annonçait de nouvelles manifestations agricoles ; les agriculteurs sont vraiment au bout du rouleau.

Comment un agriculteur peut-il comprendre, et encaisser psychologiquement, d’être encerclé et contrôlé sur plus de 300 points au cours de la même journée, jusqu’à se retrouver, trois ou quatre mois après, en garde à vue ? Ce genre de situation arrive très souvent…

Moi-même, je préférerai toujours trois ou quatre contrôles par an menés par des administrations pédagogues, à l’écoute, signalant bien sûr les réelles atteintes portées à l’environnement.

Notre pays est pionnier en matière environnementale : il faut en être fier. Les Français aiment et soutiennent leurs agriculteurs, qui s’occupent de 80 % de la surface de notre pays et sont des acteurs de la protection de l’environnement. Tous les agriculteurs sont attachés à leur environnement ! Alors, par pitié, cessons de les traiter comme des criminels : soutenons-les et prévoyons pour eux des procédures beaucoup plus humaines. Je vous en remercie par avance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

urgence de réformer la politique de santé périnatale

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)

Mme Véronique Guillotin. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé et de l’accès aux soins.

Historiquement performant en matière de santé périnatale, notre pays est passé, en l’espace de vingt années, des premières places aux vingt et unième et vingt-deuxième rangs européens en matière de mortinatalité et de mortalité infantile, ces classements recouvrant par ailleurs d’importantes disparités territoriales.

La situation est tout aussi préoccupante pour ce qui est de la santé physique et de la santé mentale des mères : le suicide est devenu la première cause de mortalité maternelle et les hémorragies du post-partum, qui affectent 10 % des accouchements, ne sont pas toujours correctement prises en charge.

Partant de ce constat, la mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, demandée par le RDSE et présidée par Annick Jacquemet, mission dont j’ai été la rapporteure, a adopté le 10 septembre dernier un rapport permettant de mieux comprendre le phénomène et, surtout, de tracer le chemin d’une réforme.

Le décrochage de notre pays s’explique pour partie par l’âge plus tardif des grossesses, par l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du diabète, ainsi que par une plus grande précarité des femmes enceintes.

Néanmoins, ces facteurs liés à la mère n’expliquent pas tout : on les observe dans la plupart des autres pays européens, qui pourtant ne connaissent pas une telle dégradation de leurs indicateurs. Notre organisation des soins fait donc clairement partie du problème : elle est inadaptée aux besoins et les équipes sont souvent incomplètes ou instables.

Madame la ministre, notre rapport préconise, en substance, une sécurisation accrue de l’acte d’accouchement, d’une part, et un renforcement de l’offre de proximité immédiate en matière de suivi prénatal et postnatal, d’autre part.

Aussi Annick Jacquemet et moi-même sollicitons-nous un rendez-vous afin de vous présenter nos pistes s’agissant d’une réforme qualifiée de nécessaire et d’urgente par toutes les parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes INDEP et UC. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé et de l’accès aux soins.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice Guillotin, avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez mené avec Mme la sénatrice Jacquemet : vous avez rédigé un rapport absolument essentiel, dont j’approuve bien sûr les constats.

Depuis vingt ans, nous n’avançons plus en matière de périnatalité : pis, nous reculons – les chiffres le prouvent.

Aujourd’hui, le suicide est la première cause de décès des mères qui viennent d’accoucher. M. le Premier ministre entend faire de la santé mentale la grande cause nationale de l’année 2025 : ce sujet fait partie de ceux sur lesquels nous devrons nous pencher à ce titre.

La santé périnatale est bel et bien un défi majeur. Dans le cadre des assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, une feuille de route a été établie pour les années 2024 à 2030 ; elle reprend au total onze des préconisations énumérées dans votre rapport. Voilà un premier point dont il faut se féliciter.

Vous l’avez dit : il faut ériger la prévention en priorité. Il faut également améliorer nos équipements et les conditions d’exercice de nos personnels soignants. Et il faut garantir un lit de réanimation néonatale pour 1 000 naissances dans chaque région d’ici à 2027 – cet objectif figure dans la feuille de route que je viens de citer. En parallèle, il faut faire évoluer le cadre réglementaire applicable aux activités de néonatologie, de soins intensifs et de réanimation néonatale.

Enfin, nous manquons de pédiatres. C’est précisément pourquoi 600 postes d’internes en pédiatrie seront désormais proposés chaque année, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2022.

Madame la sénatrice, je dois évidemment vous rencontrer pour enrichir cette feuille de route ; en cette matière, il nous faut amplifier l’effort tout en mettant l’accent sur la dimension de proximité, sur laquelle vous insistez à juste titre et qui représente pour les familles un enjeu essentiel. La période périnatale étant souvent complexe, nous devons leur garantir qu’elles pourront la traverser entourées et guidées. Ce sera bon à la fois pour la santé de la mère, pour celle du père et pour celle de l’enfant.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.

Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, je vous remercie pour l’attention que vous portez à notre travail, ainsi que pour la réponse positive accordée à notre demande de rendez-vous ; nous attendons cet entretien avec impatience.

J’y insiste, il est urgent d’agir en faveur de la santé périnatale. Ma collègue Annick Jacquemet et moi-même proposons en particulier de rompre avec le dogme d’un seuil d’activité fixé à 1 000 naissances. Nous suggérons une réorganisation de l’offre de soins par bassin de naissance, mais cela ne se fera pas sans une véritable volonté politique ni sans un véritable pilotage national. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

situation de la loire après les intempéries

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le Premier ministre, la Loire et les départements voisins viennent d’être frappés par un épisode climatique d’une rare intensité. Dans la vallée du Gier et le massif du Pilat, les cours d’eau ont atteint des niveaux de crue historiques ; on y déplore des dégâts considérables.

La mobilisation exceptionnelle des services de secours, que je tiens à saluer, nous a permis d’éviter le pire sur le plan humain.

Avec mon collègue député Pierrick Courbon, nous vous avons immédiatement écrit pour solliciter des mesures permettant non seulement de faciliter le travail de réparation, mais aussi de préparer l’avenir.

Si la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle a été rapidement engagée, elle ne suffira pas à répondre aux besoins, notamment pour ce qui est des dégâts non assurables.

Vous annoncez un plan national d’adaptation au changement climatique. Comment imaginez-vous pouvoir répondre aux enjeux par un tel biais, alors que vous siphonnez les crédits existants ?

Ainsi, vous retirez 1,5 milliard d’euros au fonds vert, outil dont les communes, y compris les plus petites, se sont pourtant saisies pour investir dans la transition écologique.

Je pense aussi au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), le fameux « fonds Barnier », qui porte votre nom, monsieur le Premier ministre, et que notre collègue Hervé Gillé, que j’associe à ma question, a étudié en détail. Ce fonds est financé à hauteur de 450 millions d’euros cette année, mais 225 millions d’euros seulement y sont affectés dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Je pense également à ces collectivités dont la vocation est – nous le savons tous ici – d’organiser la solidarité territoriale, j’ai nommé les conseils départementaux. Ce PLF les affaiblit comme jamais ; comment, dès lors, pourront-ils soutenir les communes sinistrées ? Pour le seul département de la Loire, le mien, c’est une ponction de 16 millions d’euros qui est prévue. Allez-vous y renoncer ?

Hier encore, vos ministres saluaient les élus locaux mobilisés face à la catastrophe. Vos prédécesseurs en avaient fait autant après la crise sanitaire, après les émeutes – après tous les événements face auxquels les communes sont en première ligne. Mais quelle valeur accorder à ces mots quand, dans le même temps, vous retirez aux élus les moyens de mener ces combats indispensables ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Tissot, vous avez raison de souligner l’ampleur des dégâts qu’a subis votre territoire. J’ai été en contact avec votre collègue député du Rhône Jean-Luc Fugit, qui a vu lui aussi, à Givors, de l’autre côté du Gier, l’impact de ces inondations.

À Rive-de-Gier, le Gier est monté de plus de quatre mètres – je rappelle que son étiage moyen y est de cinquante centimètres. C’est dire l’ampleur de la catastrophe : lors de la précédente inondation, les eaux n’étaient montées, si j’ose dire, que de trois mètres.

Vous avez raison de le souligner, les communes affectées par ce type d’événements climatiques ont besoin de moyens. C’est la raison pour laquelle une dotation de solidarité leur est destinée ; elle sera évidemment déployée, notamment pour couvrir les travaux qui devront être effectués sur les ouvrages non assurables. Catherine Vautrin et moi-même allons à cet effet lancer des missions d’inspection qui permettront d’évaluer les dégâts. Pour l’essentiel, les ouvrages détruits sont des ponts et des chaussées communales ou départementales.

Autre sujet : le fonds Barnier. Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un nouveau plan national d’adaptation au changement climatique ; nous vous présenterons dans les tout prochains jours la vision qu’en la matière nous avons arrêtée.

Par ailleurs, je veux saluer le travail accompli par la sénatrice Lavarde (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.), autrice d’un rapport d’information sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat).

M. Jean-François Husson. Un excellent rapport !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Les propositions qu’elle a formulées seront prochainement examinées dans cet hémicycle.

M. Jean-François Husson. Il faut les soutenir !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Enfin, dans le cadre des discussions budgétaires, notre objectif est de trouver les meilleures solutions. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Nous le savons tous ici, il faut trouver les moyens de rétablir les comptes publics. Encore convient-il de le faire intelligemment, en faisant en sorte que ceux qui le peuvent participent à l’effort et que ceux qui ont besoin de solidarité continuent d’être soutenus. (Mêmes mouvements.)

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la copie sur laquelle nous allons travailler ensemble. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Laurence Rossignol. Nous ne sommes pas des renards, inutile de nous enfumer !

nouvelle-calédonie et outre-mer face à l’héritage colonial

M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le ministre chargé des outre-mer, vous vous êtes récemment rendu en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, et je vous en remercie.

Un certain nombre d’annonces ont été faites sur les urgences et la reconstruction ; chacun prendra le soin de les apprécier à leur juste valeur.

Comme préalable à la reconstruction, il faut poser des bases solides. S’agissant de situations qui relèvent de l’urgence économique, sociale et politique, l’État français doit avant tout accepter de tenir un regard décomplexé sur son histoire coloniale. Ensemble, donnons-nous une chance de parvenir à une décolonisation réussie !

Les crises de nos pays sont souvent cycliques et les aspirations de nos peuples à la pleine souveraineté sont indéniables. La véritable reconstruction ne pourra avoir lieu qu’une fois la question du fait colonial assumée et profondément traitée.

Ce qui s’est passé le 13 mai dernier en Kanaky, comme tout ce qui s’est passé d’analogue dans les territoires dits d’outre-mer, interpelle l’État. Nous sommes en 2024, et l’attitude coloniale française persiste : criminalisation des militants, répression, économie sous perfusion.

Ma question est simple, mais déterminante pour la suite : l’avenir de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie s’inscrit-il toujours dans le cadre de décolonisation posé par l’accord de Nouméa ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des outre-mer.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Xowie, je tiens à vous remercier pour l’action que nous avons menée la semaine dernière en Nouvelle-Calédonie.

Il faut, premièrement, constater la situation de visu et mobiliser un certain nombre de moyens financiers supplémentaires, afin d’aider nos compatriotes à redresser économiquement et socialement la Nouvelle-Calédonie.

La violence des émeutes du mois de mai dernier a été extrême. Je veux à cet égard m’associer aux propos qu’a tenus le ministre de l’intérieur tout à l’heure : je salue, moi aussi, l’engagement des forces de l’ordre placées sous l’autorité du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

J’y insiste, les violences furent extrêmes – je puis moi-même en témoigner.

L’urgence immédiate, c’est la reconstruction rapide. Une mission a été installée à cette fin ; elle se rendra sur place très prochainement pour engager ses premiers travaux.

Il faut, deuxièmement, renouer le dialogue, si tant est qu’il ait été rompu, avec l’ensemble des acteurs politiques du congrès et du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Ce fut chose faite : pendant la durée de mon séjour, j’ai rencontré tout le monde.

Les discussions ont été intenses, mais très libres ; nous avons pu aborder tous les sujets, sans exception.

Désormais, l’objectif est d’engager un processus de discussion en vue de donner à la Nouvelle-Calédonie un projet global qui l’inscrive dans son avenir, car elle en a besoin.

Je veux rappeler à l’ensemble de mes collègues, ou plutôt, pardonnez-moi, à l’ensemble des sénateurs (Sourires.) – de vieux souvenirs remontent ! –,…

M. Loïc Hervé. C’est mignon !

M. François-Noël Buffet, ministre. … que la Nouvelle-Calédonie se trouve à un point de bascule. Il ne faut pas rater ce moment absolument déterminant.

La question que vous posez a évidemment été abordée, monsieur le sénateur. À cet égard, je vous rappelle – je parle sous le contrôle de la commission des lois de la Haute Assemblée, que je sais très pointilleuse – qu’il existe dans la Constitution française un principe d’autodétermination. Incontestablement, nos discussions porteront aussi sur ce sujet-là. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour la réplique.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le ministre, la trajectoire vers la pleine souveraineté est inscrite dans l’accord de Nouméa. Celui-ci indique, au point n° 5, que « [t]ant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette “irréversibilité” étant constitutionnellement garantie ».

Or, à la suite des événements récents, aucun accord n’a été trouvé. Il convient donc que les discussions politiques soient centrées sur le processus de décolonisation et la trajectoire vers la pleine souveraineté.

Notre histoire nous oblige à regarder vers l’avant, et plus jamais en arrière.

La 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies a réaffirmé la nécessité de poursuivre, dans le cadre de l’accord de Nouméa, l’éradication du colonialisme dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe GEST. – M. Victorin Lurel applaudit également.)

M. Éric Bocquet. Excellent !

surveillance des gardes à vue

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le ministre de l’intérieur, le récent assassinat d’un chauffeur de VTC à Marseille, commandité depuis la prison d’Aix-Luynes, nous rappelle tragiquement l’importance cruciale de la surveillance dans les lieux de détention.

Aussi, je souhaite appeler votre attention sur les conséquences opérationnelles de la limitation de la vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue, entrée en vigueur le 1er octobre 2024.

Cette mesure, découlant de nouvelles normes européennes et concrétisée par un arrêté du 26 septembre 2024 et une instruction de la direction générale de la police nationale (DGPN) en date du 27 septembre 2024, impose aux forces de l’ordre d’effectuer des rondes fréquentes pour surveiller les personnes gardées à vue, la vidéosurveillance devenant l’exception.

Que dire de l’obligation, lorsque la personne gardée à vue est mineure, de requérir un avis médical de non-contre-indication à la vidéosurveillance ?

On se demande comment on a pu en arriver à une telle réglementation, qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à son impact sur l’organisation et l’efficacité des services de police.

Dans l’ensemble des commissariats de France, cette nouvelle obligation mobilise des effectifs considérables, au détriment de la présence sur le terrain. Elle constitue aussi un recul pour les conditions de travail des policiers et représente un risque pour leur sécurité.

À titre d’exemple, dans mon département, au commissariat de Montauban, cette mesure nécessite au minimum, pour assurer la surveillance des cellules, la mobilisation de deux fonctionnaires supplémentaires, qui se trouvent ainsi retirés de la voie publique.

Cette réorganisation contrainte se traduit concrètement par la suppression d’un équipage de police secours, ce qui réduit significativement la capacité d’intervention et la présence policière dans l’espace public.

Monsieur le ministre, envisagez-vous une réévaluation du dispositif pour mieux concilier la protection des droits des personnes gardées à vue et les impératifs opérationnels des forces de l’ordre ?

En cas de maintien de ce dispositif, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour garantir une présence suffisante des policiers sur le terrain et faire en sorte qu’ainsi ceux-ci puissent assurer la sécurité de nos concitoyens, ce qui est leur mission principale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Retailleau, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, cher Pierre-Antoine Levi, je partage totalement votre analyse. Je serai très clair et direct : le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Cette loi prévoyait textuellement, concrètement, précisément, la possibilité d’utiliser des caméras de surveillance, notamment dans les cellules de garde à vue. C’était une bonne mesure, à laquelle la plupart des parlementaires, sénateurs comme députés, avaient souscrit.

Or le Conseil d’État a encadré de façon draconienne l’utilisation de la vidéosurveillance,…

M. Bruno Retailleau, ministre. … ce qui revient à lui opposer des obstacles quasi insurmontables.

Revenons sur les deux mesures que vous avez évoquées, monsieur le sénateur. On ne peut utiliser des caméras de surveillance qu’à la double condition qu’il soit procédé à un enregistrement, d’une part, et que, d’autre part, le recours à cette pratique soit dûment motivé par un risque d’évasion ou de suicide ou par des menaces contre autrui.

Quelle est la conséquence de telles mesures ? Tout d’abord, leur mise en œuvre suppose d’équiper l’ensemble de nos caméras d’enregistreurs dont elles sont pour l’instant dépourvues, soit quelques dizaines de millions d’euros d’investissements.

Ensuite – vous l’avez très bien expliqué à propos du commissariat de Montauban –, ces mesures impliquent de soustraire de la voie publique 16 % des forces de l’ordre pour qu’elles effectuent des rondes dans les cellules de garde à vue. Voilà comment le problème se pose !

Si nos policiers sont découragés, c’est qu’ils se trouvent pris en étau : ils subissent un effet de ciseau entre l’augmentation de la violence et de la délinquance, d’un côté, et la complexification des procédures, de l’autre.

Je ne renoncerai pas l’objectif de simplification, mais ma tâche, en ce domaine, s’apparente à celle de Sisyphe. Nos policiers doivent pouvoir lutter contre la délinquance sans crouler sous la paperasserie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Les fonctionnaires de police sont très mal à l’aise et surtout très tristes devant cette mesure. Ils attendent de leur ministre et du Parlement l’aménagement et la simplification de cette procédure qui est totalement inadaptée à leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui, dans notre tribune d’honneur, deux membres du Sénat de la République démocratique du Congo, Mmes Madeleine Nikomba Sabangu et Cathy Botema Mboyo. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

Elles sont accueillies par le groupe d’amitié France-Afrique centrale, présidé par notre collègue Guillaume Chevrollier (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), dont une délégation a été chaleureusement reçue au Parlement de Kinshasa en juillet dernier.

Nous leur souhaitons un fructueux séjour au Sénat et en France. (Applaudissements.)

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Questions d’actualité au Gouvernement (suite)

M. le président. Nous reprenons les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

narcotrafic et menaces sur les forces de l’ordre à marseille

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre de l’intérieur, en 2021, le président Macron a lancé, à grand renfort de communication, son plan « Marseille en grand ». L’objectif était de faire de Marseille un véritable laboratoire de son action.

L’espérance était grande, les mots étaient forts, mais les actes se sont révélés faibles.

La Cour des comptes vient de nous le rappeler cruellement, l’expérience marseillaise a malheureusement échoué, notamment en matière de sécurité : les Marseillais le constatent quotidiennement !

En mars dernier, le chef de l’État a lancé la première opération « place nette XXL » à la cité de la Castellane ; pourtant, deux policiers y ont été violemment agressés ce week-end pendant l’interpellation d’un dealer.

Permettez-moi de les assurer de notre solidarité et de leur souhaiter un prompt rétablissement.

Nous le savons, il existe en France des territoires où la police n’est plus respectée comme l’incarnation de la loi et de l’ordre, mais où elle est considérée comme appartenant à une bande rivale. Cette bande, c’est la France, et le policier y est attaqué comme son représentant.

Dans de trop nombreuses villes de notre pays se sont formées non pas des zones de non-droit, mais des zones « d’un autre droit », où la voyoucratie et la pègre, alimentées par les trafiquants d’êtres humains, l’immigration de masse et l’islamisme, décident de qui vient et qui reste en France, bref, édictent leurs propres règles. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)

Chaque jour, l’actualité révèle son lot d’assassinats, de règlements de compte, de victimes collatérales et de guets-apens contre la police dans l’ensemble de notre pays – nous le déplorions hier encore, à Grenoble, à Paris et dans les outre-mer.

À Marseille, malgré les annonces fracassantes liées au plan « Marseille en grand », la Cour des comptes nous apprend que les effectifs de police ont baissé de 4,5 % depuis l’élection d’Emmanuel Macron, soit 185 policiers de moins. Encore faut-il y ajouter un manque de places de prison et une réponse pénale inadaptée et insuffisante.

Immigration incontrôlée, islamisme radical et narcotrafic : les Français n’en peuvent plus !

M. Guy Benarroche. Ça n’a rien à voir !

Mme Valérie Boyer. Vous avez fait de la lutte contre le trafic d’êtres humains et l’immigration illégale votre priorité : les Français vous remercient, monsieur le ministre. Vous voulez lutter contre les narcotrafics, en faire une grande cause nationale : les Français vous remercient encore.

Vous le savez, fort de ses propositions, le Sénat vous accompagnera et sera au rendez-vous. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Monsieur le ministre, comment allez-vous protéger les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Retailleau, ministre de lintérieur. Madame la sénatrice Valérie Boyer, nous avons bien sûr reçu ce rapport de la Cour des comptes, qui constituera un socle pour notre action. Nous allons l’expertiser afin de réenvisager un dispositif pour Marseille. D’ailleurs, dans quelques jours, le garde des sceaux et moi-même nous rendrons sur place.

Je me suis entretenu avec les policiers que vous avez évoqués, dont l’un a été grièvement blessé à l’arcade sourcilière ; je veux, moi aussi, leur rendre hommage.

Il faut des renforts, c’est évident. Une promotion s’apprête à sortir des écoles de police. Aussi ai-je décidé d’envoyer très rapidement 75 gardiens de la paix en renfort à Marseille ; ils viendront s’ajouter aux renforts déjà décidés par mon prédécesseur en septembre 2022 et à la compagnie républicaine de sécurité récemment implantée dans la ville, la CRS-81.

Cela étant, tout n’est pas une affaire d’effectifs. Il faut changer notre stratégie vis-à-vis des réseaux de narcotrafiquants et de trafiquants d’êtres humains. Aujourd’hui, ces réseaux sont en train de fusionner : ce sont les mêmes qui opèrent.

Dans quelques semaines, nous allons présenter une nouvelle stratégie qui reposera sur deux dimensions. Premièrement – je vais sans doute choquer quelques personnes ici –, nous agirons sur la consommation de stupéfiants, car il n’y a pas d’offre quand il n’y a pas de demande. (Exclamations sur des travées des groupes SER et GEST.) Il faut sortir de cette consommation que l’on juge récréative, voire un peu romantique ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Stéphane Ravier sexclame.)

Au bout d’un joint ou d’un rail de coke, il y a des trafiquants, des proxénètes, des criminels, ceux-là mêmes qui, tout récemment, n’ont pas eu peur de larder de cinquante coups de couteau et de brûler vif un jeune adolescent de quinze ans !

Il faut que chacun soit responsabilisé !

Un sénateur du groupe SER. Quelle politique nationale ?

M. Bruno Retailleau, ministre. Deuxièmement, comme je l’ai déjà annoncé, nous allons bâtir en la matière une stratégie analogue à celle que nous avions définie voilà une dizaine d’années en matière de lutte antiterroriste, et l’ériger en grande cause nationale. Et je ne doute pas que, dans cette perspective, nous réutiliserons les travaux conduits au Sénat par Étienne Blanc et Jérôme Durain, respectivement rapporteur et président de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier – je les salue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

situation des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Ma question s’adresse à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.

À l’heure des discussions budgétaires, alors que la France connaît un déficit record, chacun doit fournir des efforts ; toutefois, celui qui est demandé aux collectivités territoriales est disproportionné. Communes, métropoles, départements et régions sont unanimes pour contester le projet de budget pour 2025 : il est délétère pour les collectivités, que vous êtes censée défendre. Alors qu’elles représentent moins de 9 % de l’endettement public, elles devraient fournir 15 % de l’effort de redressement, d’après nos projections.

Quelles réponses le Gouvernement compte-t-il apporter aux collectivités qui se mobilisent et nous interpellent ? L’effort que vous leur demandez est injuste et insoutenable !

Quels services publics locaux seront sacrifiés, et sur quels territoires ? (Bravo ! et applaudissement sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la mer et de la pêche.

M. Fabrice Loher, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Daniel, je vous prie de bien vouloir excuser la ministre Catherine Vautrin pour son absence.

Vous interrogez le Gouvernement sur la situation de nos finances publiques et sur la part demandée aux collectivités dans le projet de loi de finances pour 2025. Comme vous le savez, la situation budgétaire de notre pays exige un effort de redressement extrêmement important.

Mme Audrey Linkenheld. À qui la faute ?

M. Fabrice Loher, ministre délégué. Il y va de la souveraineté et de la crédibilité nationales.

Dans ce contexte, les collectivités territoriales sont appelées à contribuer à l’effort national, aux côtés de l’État : il est prévu, dans le projet de budget, qu’elles y participent à hauteur de 5 milliards d’euros.

Avant toute chose, je tiens à redire devant la chambre des collectivités territoriales que nos élus locaux ne sont pas les responsables de la situation budgétaire que nous connaissons. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Mickaël Vallet. C’est la faute de Le Maire !

M. Fabrice Loher, ministre délégué. Ils sont, dans leur immense majorité, de bons gestionnaires.

Reste que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, nous devons déterminer leur juste part. Le choix du Gouvernement s’est porté sur trois principales mesures dont nous allons débattre dans les prochains jours.

Tout d’abord, première mesure, nous envisageons un mécanisme de reprise sur recettes pour les collectivités dont les dépenses de fonctionnement dépassent 40 millions d’euros. Les sommes seront reversées aux collectivités en 2026, selon des modalités qui feront l’objet d’échanges avec les parlementaires, les associations d’élus et le Comité des finances locales (CFL).

Ensuite, deuxième mesure, nous prévoyons une « année blanche de TVA » via un écrêtement de la totalité de la dynamique de cette fiscalité transférée, qui sera reconduite en 2025 à son niveau de 2024. Les montants de TVA versés aux collectivités locales resteront donc stables.

Enfin, troisième mesure, nous proposons la réduction d’environ 1,8 point du taux applicable aux attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), ainsi que le recentrage de son assiette.

Il appartient désormais aux parlementaires de débattre de cette juste part demandée à nos collectivités territoriales, ainsi que des justes contreparties qui leur seront accordées. Le Premier ministre, Catherine Vautrin et moi-même ne doutons pas que le Sénat prendra toute sa part de ce travail. Du reste, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous tenons à votre disposition pour échanger sur vos propositions d’amélioration du projet de loi de finances qui vous sera transmis prochainement.

Mme Audrey Linkenheld. Il n’y aura donc pas de 49.3 ?

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour la réplique.

Mme Karine Daniel. Monsieur le ministre, il faut dire la vérité aux adjoints aux finances et aux vice-présidents des collectivités qui construisent les budgets actuellement : ce ne sont pas 5 milliards d’euros d’efforts qui seront demandés aux collectivités. Si l’on compte les effets indirects, les effets induits et les effets de non-compensation de l’inflation, le total se situera plutôt, selon nos estimations, quelque part entre 8,5 milliards et 10 milliards d’euros ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

À cela s’ajoutera l’effet récessif, dont vous n’avez pas parlé, qui se répercutera dans les budgets des collectivités pour 2026 et pour 2027.

Les charges qui incombent aux collectivités locales augmentent avec les transferts. Or cette augmentation n’est pas compensée par l’État, si bien que toutes les collectivités subiront un effet de ciseau.

J’ai une pensée particulière pour les départements, qui assument de très fortes dépenses sociales contraintes : l’effet de ciseau que je viens de décrire les frappe tout spécialement, les mettant dans une impasse.

Les petites communes seront elles aussi concernées, car elles contractualisent avec les départements et les régions. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), Départements de France, Régions de France et France urbaine sont à nos côtés pour vous interpeller.

Les collectivités locales n’ont pas à être sacrifiées sur l’autel de la mauvaise gestion des macronistes. À gauche, nous défendons des propositions équilibrées et de bon sens pour les collectivités ; j’espère que nous serons nombreux à les défendre lors de l’examen du projet de budget. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

crise du logement

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la ministre du logement et de la rénovation urbaine, vous qui siégiez au Sénat, vous m’avez forcément entendu tirer la sonnette d’alarme, depuis trois ans, sur la politique funeste menée par le précédent gouvernement : celui-ci n’a pas empêché la crise du logement et l’a même accélérée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi donc le soutenir maintenant ?

M. Marc-Philippe Daubresse. Quelque 264 000 logements neufs auront été commencés en 2024, contre 486 000 en 2008, après le plan Borloo.

Deux tiers de cette chute touchent les primo-accédants ; le tiers restant affecte les locataires sociaux. Il s’agit d’une catastrophe à la fois pour eux et pour les entreprises qui font ou vont faire faillite.

C’est aussi une catastrophe pour le Gouvernement : la Fédération française du bâtiment (FFB) vient d’estimer à 12 milliards d’euros les pertes de recettes de TVA depuis 2022.

Le Premier ministre a pris la mesure de cette catastrophe, puisqu’il a décidé de mettre le logement au premier rang de ses priorités. Nous le remercions de vous avoir nommée, madame la ministre ; nous connaissons votre compétence et votre pugnacité : nous sommes confiants.

Reste qu’une crise de la demande précède cette crise de l’offre. Il faut la résoudre, en desserrant d’urgence les contraintes bêtement décidées depuis 2019 par le gouverneur de la Banque de France. Il faut aussi aller plus loin en jouant sur d’autres mesures – nous comptons sur vous, madame la ministre.

Je pense à la reprise du dispositif dit Balladur, mis en œuvre avec succès dans le passé, qui consiste à exonérer de droits de succession la première transmission de logements nouvellement construits, garantissant à l’État des rentrées rapides de TVA.

Je songe également à l’utilisation du foncier commercial disponible. On estime à 4 millions de mètres carrés, pour la seule Île-de-France, la surface de foncier commercial vacant ; voilà qui permettrait de construire des dizaines de milliers de logements, à condition d’expérimenter de nouvelles procédures.

Enfin, le Sénat attend une simplification du ZAN (zéro artificialisation nette). Ça suffit, les bêtises : allégeons ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur des travées du groupe INDEP. – Mme Mireille Jouve applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Le temps, c’est de l’argent : nous comptons sur vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine. Monsieur le sénateur Marc-Philippe Daubresse, vous n’avez pas manqué de le rappeler : c’est bien parce que le Premier ministre et son gouvernement ont pleine conscience de la situation d’urgence qui frappe le secteur du logement, et avec lui tous les acteurs économiques qui le sous-tendent, qu’ils ont décidé d’en faire une priorité.

Pour répondre à la crise, il faut non pas opposer l’offre et la demande, mais plutôt agir sur les deux leviers – c’est du reste ce que vous dites.

La primo-accession est la priorité des priorités du Premier ministre ; il l’a indiqué dans sa déclaration de politique générale. C’est la raison pour laquelle nous soutenons la généralisation partout sur le territoire du prêt à taux zéro pour le logement neuf, individuel comme collectif.

Par ailleurs, certaines propositions formulées dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances visent à faciliter les dons au sein de la famille en vue de l’acquisition d’un logement. Nous sommes prêts à soutenir les mesures qui vont en ce sens, et vous aurez sans doute ici l’occasion d’en débattre et d’apporter en la matière votre contribution.

Il faut aussi agir sur l’offre, c’est-à-dire libérer du foncier. Le Premier ministre nous a chargées, Catherine Vautrin et moi-même, de nous pencher sur le sujet du ZAN.

Il convient également de travailler sur l’accompagnement et l’appui à l’ingénierie des collectivités, car il s’agit de questions essentielles. Tel est d’ailleurs l’objectif du programme Action cœur de ville, mais aussi du plan de transformation des zones commerciales, lancé l’année dernière.

En outre, la simplification des procédures doit être notre boussole. Je suis tout à fait encline à mener des expérimentations dès lors qu’elles sont cohérentes avec nos objectifs.

Ces expérimentations peuvent notamment être conduites, comme vous l’avez suggéré, monsieur le sénateur, en matière de transformation du foncier commercial. Nous serons à votre écoute, et je sais que des projets de ce genre sont menés dans votre région. Du reste, je soutiens d’ores et déjà cette démarche : j’ai demandé aux préfets de région de porter le message en me faisant part des propositions d’adaptations législatives ou réglementaires qui sont faites en ce domaine. Je sais que vous participerez largement à ce travail, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP. – M. Olivier Paccaud applaudit également.)

fermeture à la pêche du golfe de gascogne

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Ma question, qui s’adresse à M. le ministre délégué chargé de la mer et de la pêche, concerne l’interdiction temporaire de pêche dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 2026.

Cette fermeture est imposée par l’Union européenne pour lutter contre les prises accidentelles. En 2024, trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai. Les trois criées vendéennes estiment la perte à 540 tonnes, soit 2,4 millions d’euros de chiffre d’affaires. À l’échelle nationale, les pertes s’élèveraient à 22 millions d’euros.

La fermeture à la pêche du golfe de Gascogne s’ajoute à la crise d’un secteur déjà éprouvé. Selon un rapport de la Banque de France, 35 % des entreprises de la filière aval étaient déjà en situation de dépôt de bilan en 2023.

Les pêcheurs français avaient investi 30 millions d’euros dans des systèmes de répulsifs afin d’éviter les prises accidentelles. La fermeture leur a été imposée sans attendre les résultats de cette expérimentation : c’est un camouflet infligé à une pêche qui figure parmi les plus vertueuses au monde.

Le 25 janvier dernier, alors que vous étiez maire de Lorient et président de Lorient Agglomération, vous demandiez des mesures fortes en lien avec cette interdiction et dénonciez le lobbying des écologistes radicaux.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous déclarez vouloir « sortir de cette fermeture » en 2027. Vous actez donc les fermetures pour 2025 et 2026, ce qui n’est pas acceptable pour la pêche française.

Quelles démarches allez-vous engager à l’échelle européenne pour éviter l’échouement de la pêche française ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Max Brisson et Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la mer et de la pêche.

M. Fabrice Loher, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé de la mer et de la pêche. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice Billon. Elle me permet de saluer le grand sens des responsabilités dont ont fait preuve les professionnels de la pêche l’hiver dernier.

Ce sont la Commission européenne et le Conseil d’État qui ont appelé le Gouvernement à prendre des mesures de protection adéquates.

Le rapport scientifique consolidé sur les échouages pour la période 2024-2025 me sera remis au mois de novembre par l’observatoire Pélagis. Il devra être objectivé.

Je vous le dis très clairement, ma priorité est d’anticiper le mieux possible la fermeture du golfe de Gascogne en 2025, en lien avec la profession. Comme cette année, l’État sera au rendez-vous pour soutenir les pêcheurs et les mareyeurs qui subissent les conséquences économiques de cette fermeture.

J’ajoute que ladite fermeture doit s’appliquer à tous les navires, qu’ils soient français ou étrangers, susceptibles de pêcher dans cette zone. Il y va d’un principe d’équité sur lequel nous ne transigerons pas.

Ce cadre étant posé, nous partageons tous le même objectif, à savoir la réouverture du golfe de Gascogne en 2027. Pour y parvenir, nous avons identifié des solutions techniques – je pense en particulier aux répulsifs acoustiques – qui devront permettre de réduire les risques de capture accidentelle.

Il nous faut aussi mieux comprendre les interactions entre les navires de pêche et les cétacés. À cette fin, en lien avec les professionnels, nous devons désormais déployer dans les meilleurs délais les dispositifs que j’ai évoqués et équiper certains navires – je dis bien : « certains navires » ! – en caméras, afin de contribuer à l’amélioration de la collecte de données.

Je mesure pleinement la sensibilité de ces dispositions pour la profession, mais je tiens à exprimer mon attachement à un discours de vérité et à des actions responsables.

Les professionnels de la pêche bénéficieront toujours, avec moi comme avec le Gouvernement tout entier, d’un soutien fidèle et déterminé ; notre but est que nous trouvions ensemble les solutions qui permettront d’assurer la continuité de l’activité de pêche dans le respect de la protection de l’environnement et du droit. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Merci de cette réponse, monsieur le ministre. En tant que sénatrice de la Vendée, et plus particulièrement des Sables-d’Olonne, je suis particulièrement engagée sur les questions touchant au littoral et à la pêche. Un emploi en mer, c’est quatre emplois à terre, et c’est toute la filière pêche qui est en danger, à l’instar, d’ailleurs, de ce qui se passe pour l’agriculture.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

situation de l’agriculture

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)

Mme Kristina Pluchet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Madame la ministre, j’ai été alertée sur les perspectives bien sombres du marché européen du sucre pour les agriculteurs français. La betterave, aujourd’hui cotée à 50 euros la tonne, est annoncée à 25 euros pour la prochaine campagne. Certains planteurs sont même invités à réduire leur surface cultivée d’environ 15 %.

En cause, la suppression des droits de douane sur le sucre ukrainien. Par solidarité avec ce pays, nous avons absorbé 500 000 tonnes de sucre qui ont complètement déséquilibré le marché, et le contingentement mis en place en juin dernier n’a été qu’une rustine sur une jambe de bois.

Aujourd’hui, cerise amère sur le gâteau, les négociations entre l’Union européenne et le Mercosur ont repris à Brasilia et le bruit court qu’un fonds de compensation serait à l’étude pour endormir les dernières résistances.

Madame la ministre, c’est la mise à mort de notre agriculture ! L’Union européenne, qui malmène tous les jours nos agriculteurs avec son caporalisme normatif et environnemental, ose livrer en pâture son agriculture aux agriholdings internationales. Franchement, de qui se moque-t-on ?

Le double jeu de l’Union européenne a assez duré : elle organise méthodiquement la destruction de nos filières d’excellence au nom d’un libre-échange affairiste qui n’illusionne plus qu’elle-même.

Je me tiens donc devant vous, madame la ministre, pour défendre l’agriculture française à taille humaine, familiale, labellisée, conservatrice de nos paysages, face à des géants agro-industriels qui menacent notre modèle agricole, auquel je vous sais très attachée.

Dès lors, madame la ministre, comment comptez-vous mener la bataille de la défense de l’agriculture française dans nos instances européennes, pour sauvegarder nos filières d’excellence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Mme Annie Genevard, ministre de lagriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Kristina Pluchet, j’entends votre émotion, je la partage et je voudrais reprendre les deux points que vous avez évoqués dans votre question.

Pour ce qui est du projet d’accord avec le Mercosur, j’ai eu l’occasion de le rappeler à Luxembourg, hier et avant-hier, lors de la réunion du conseil des ministres européens de l’agriculture : en l’état, il est inacceptable, et ce pour deux raisons.

La première, et sans doute la plus importante, est que je suis la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, donc de la compétitivité des entreprises agricoles. Or celle-ci ne résistera pas à des importations telles que celles que prévoit cet accord ; et ce qui est vrai pour le sucre, dont vous avez parlé, est vrai aussi pour le bœuf, pour la volaille ou pour l’éthanol.

La deuxième raison pour laquelle ce projet d’accord – rappelons qu’il n’est pas signé ! – est inacceptable est la suivante : les denrées importées aux termes de l’accord n’auraient pas à respecter nos propres conditions de production, sur le plan environnemental notamment.

Pour cette double raison, mais surtout pour la première, cet accord est inacceptable. Le Premier ministre et le Président de la République l’ont dit clairement ; il leur appartiendra de défendre les intérêts de la France – ils le font déjà.

Je suis très préoccupée, comme vous, par l’hypothèse selon laquelle cet accord pourrait être signé à l’occasion du sommet du G20 au Brésil, au mépris du recueil de l’opinion du Parlement. Il est primordial, en effet, que celui-ci puisse s’exprimer sur un tel accord commercial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.) Je l’ai dit hier très clairement à Luxembourg : passer outre serait un déni de démocratie.

Pour ce qui est de l’Ukraine, c’est compliqué… La France veut soutenir ce pays dans le conflit qui l’oppose à la Russie, car son combat est légitime. La décision a été prise de soutenir financièrement l’Ukraine via un accord avec l’Union européenne qui se fait, effectivement, au détriment de nos propres filières.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Annie Genevard, ministre. Le mécanisme de « frein d’urgence » est précisément destiné à rétablir un équilibre qui nous fait aujourd’hui défaut, et sans lequel il n’est pas possible de continuer sur ces bases. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, pour la réplique.

Mme Kristina Pluchet. Madame la ministre, je salue votre détermination et vous en remercie.

Cependant, je me permets d’insister : on ne saurait continuer à imposer aux agriculteurs français toujours plus de normes, toujours plus de contraintes, toujours plus de contrôles – je sais de quoi je parle ! –, tout en signant toujours plus d’accords de libre-échange avec des pays qui ne respectent aucune de nos normes.

Oui, vraiment, nous marchons sur la tête ; il faut que ça change ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur des travées du groupe INDEP.)

cycliste tué à paris

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. Rémi Féraud. Ma question aurait pu porter sur la mise en œuvre du plan Vélo et sur le développement des infrastructures cyclables, mais tel n’est pas le sujet aujourd’hui.

Le meurtre de Paul Varry, cycliste écrasé volontairement par un automobiliste le 15 octobre à Paris, est un drame qui illustre une violence routière trop banalisée, une agressivité largement tolérée et rendue plus dangereuse encore par la taille sans cesse croissante des véhicules.

L’enjeu va bien au-delà de la cohabitation entre cyclistes et automobilistes : il s’agit de la violence sur la route, dont peuvent être victimes tous les Français, quel que soit leur mode de transport. Il faut sortir du déni de la violence routière, qui représente un danger d’abord pour les usagers les plus vulnérables, piétons comme cyclistes.

Mettant fin au silence initial du Gouvernement après la mort de Paul Varry, le ministre des transports a enfin annoncé la création d’une mission contre les violences visant à « protéger tous les usagers de la route ».

Les associations de cyclistes ont salué cette initiative, mais, au-delà de la communication, entendez-vous vraiment, monsieur le Premier ministre, vous attaquer en profondeur et dans la durée au problème de la violence routière, en associant à cet effort l’ensemble du Gouvernement, c’est-à-dire non seulement le ministre chargé des transports, mais aussi ceux de l’intérieur et de la justice ?

La mort de Paul Varry a suscité à Paris et dans tout le pays une émotion immense, dont doit naître une politique publique forte, contribuant à un changement des mentalités, des pratiques et de notre société elle-même. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Rémi Féraud, vous l’avez rappelé, alors qu’il circulait à vélo sur une voie protégée le mardi 15 octobre à 17 heures 45, Paul Varry a perdu la vie après avoir été percuté, semble-t-il volontairement, par un automobiliste qui circulait sur la voie réservée aux cyclistes, boulevard Malesherbes. Malgré l’intervention rapide des services de secours, que je tiens à saluer, Paul Varry a succombé à ses blessures.

Face à cet acte d’une grande violence, j’ai ici, au nom du Gouvernement, une pensée pour sa famille et pour ses proches. L’émotion qui nous étreint a légitimement traversé le pays tout entier, comme vous l’avez rappelé.

Le conducteur a été interpellé par les forces de l’ordre et déféré le 17 octobre dernier, puis placé en détention provisoire. Une information judiciaire est ouverte et nous faisons toute confiance aux enquêteurs placés sous l’autorité du magistrat instructeur pour qu’ils mènent l’enquête jusqu’à son terme le plus vite possible. Je n’en dirai pas davantage, s’agissant d’une affaire judiciaire en cours.

Je veux néanmoins redire que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, est fortement engagé dans la lutte contre l’insécurité routière et fermement mobilisé contre toutes les formes de violence sur la route. L’enjeu du partage de la route et de la protection des usagers, en particulier des plus vulnérables, est une priorité que le Gouvernement a faite sienne, sous l’autorité du Premier ministre. Les cyclistes représentent 8 % des morts sur la route, les piétons 15 %.

Concrètement, la délégation à la sécurité routière, sous l’impulsion de la déléguée interministérielle Florence Guillaume, a fait de cette question l’un de ses enjeux prioritaires, avec une nouvelle signature à la clef : « vivre, ensemble ».

Cette orientation se traduit par une réglementation des nouveaux modes de déplacement, par des actions de sensibilisation organisées auprès des préfectures dans le domaine de la prévention, par une campagne de communication intitulée « Attention à vélo, attention aux vélos » ou encore par un travail mené en matière de signalisation et d’éducation routière, entre autres actions déjà engagées. Tous ces efforts doivent être intensifiés pour améliorer la conscience des enjeux du partage de la route.

Vous l’avez rappelé, le ministre François Durovray a lancé tout récemment une mission. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour s’engager pleinement et en tirer les conclusions.

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.

M. Rémi Féraud. Une voiture est un moyen de transport, non une arme par destination. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous vous demandons de tout faire pour que la sécurité routière et la lutte contre la violence motorisée redeviennent des priorités de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

fermeture du site de production de volailles à blancafort

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Ma question, à laquelle j’associe ma collègue Marie-Pierre Richer, s’adresse à Mme la ministre de l’agriculture ; elle porte sur notre souveraineté alimentaire.

Madame la ministre, la situation de la production de volailles en France est extrêmement préoccupante. Actuellement, 50 % des poulets consommés dans notre pays sont importés de Pologne, de Belgique, des Pays-Bas, et souvent ces produits sont réemballés afin de dissimuler leur provenance réelle, comme le Brésil ou la Thaïlande. La faible valorisation de la stratégie de montée en gamme et nos coûts de production trop élevés mettent en péril notre compétitivité.

L’exemple de l’entreprise Les Volailles de Blancafort, filiale du groupe LDC implantée dans le Cher, est emblématique. Spécialisée dans la dinde, un marché en déclin, cette entreprise dispose pourtant des infrastructures nécessaires pour produire du poulet, dont la consommation est en pleine croissance.

Elle employait encore il y a quelque temps 250 salariés et une centaine d’éleveurs, contre 120 salariés et une soixantaine d’éleveurs aujourd’hui, sans compter les emplois indirects. Demain, jeudi, ses salariés seront réunis par la direction et connaîtront leur sort.

Madame la ministre, tout le monde s’offusque de la possible délocalisation de la production de Doliprane, mais personne ne s’indigne de voir importer en France des milliers de tonnes de poulet de qualité inférieure. (« Mais oui ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Quelles mesures urgentes comptez-vous prendre pour soutenir le site de Blancafort, favoriser une reconversion adaptée et éviter une délocalisation, afin de préserver notre souveraineté alimentaire ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Mme Annie Genevard, ministre de lagriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Rémy Pointereau, je vous remercie de votre question sur la filière volaille, à propos de laquelle j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer dans cette enceinte.

La viande de volaille est très populaire en France ; vous rappelez à juste titre que 50 % de la volaille qui y est consommée est d’origine étrangère, et j’ajoute que 80 % de la volaille consommée hors domicile vient de l’étranger. Or on voudrait consommer de la volaille française ; mais l’on ne veut pas de poulailler près de chez soi… (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) C’est un véritable sujet.

Cette filière est très concurrentielle, et il est vrai que la guerre russo-ukrainienne y a avivé les tensions jusqu’à la déstabiliser. La situation que vous avez décrite, monsieur le sénateur, est malheureusement le stigmate d’une perte de compétitivité de la France, dans un secteur où la valorisation céréalière possède pourtant les meilleurs atouts.

Je rappelle que notre pays a perdu son statut de premier exportateur de viande de volaille, qu’elle a détenu par le passé ; nous en exportions alors un million de tonnes chaque année, quand nous n’en exportons plus que 400 000 tonnes. C’est une évidence : nous avons besoin de retrouver de la souveraineté alimentaire, donc de la compétitivité, notamment – vous avez raison de le souligner – sur l’entrée de gamme.

Beaucoup de filières ont fait le choix de la montée en gamme, mais nous devons poser la question de l’entrée de gamme de qualité, car l’entrée de gamme n’est pas et ne doit pas être synonyme de mauvaise qualité. C’est sur ce créneau qu’il nous faut travailler, dans la volaille comme dans d’autres secteurs – je pense à la viticulture.

Pour ce qui est de l’abattoir de Blancafort, je partage votre préoccupation ; c’est la raison pour laquelle je reçois demain, à ma demande, son président. Les abattoirs jouent un rôle tout à fait considérable ;…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Annie Genevard, ministre. … ils sont ancrés dans les territoires et contribuent à la construction de la valeur économique des filières. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

M. Rémy Pointereau. Je salue ce début de réponse, madame la ministre : merci de recevoir le directeur de l’abattoir et le groupe LDC.

Pour autant, j’aimerais que vous vous rendiez sur le terrain afin de constater les difficultés que cumule ce territoire : il s’agit d’une zone intermédiaire qui, en tant que telle, a perdu en 2017 le bénéfice de l’indemnité compensatoire des handicaps naturels. C’est tout un territoire qui perçoit désormais beaucoup moins d’aides qu’auparavant et qui risque, à l’avenir, de se désertifier encore davantage.

Il faut donc réagir très vite, madame la ministre, pour éviter que ne soit prise une décision hasardeuse pour notre Pays-Fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation pénitentiaire à mayotte

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. Stéphane Demilly. Mon collègue Georges Patient et moi-même, corapporteurs pour le bassin océan Indien, nous sommes rendus à Mayotte il y a quelques semaines avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques. J’associe donc à cette question mes collègues, et notamment le local de l’étape, Saïd Omar Oili.

Monsieur le ministre, vous le savez, la situation à Mayotte est explosive. Comment pourrait-il en être autrement dans le département le plus jeune, le plus pauvre et le plus violent de France ?

Au cours de cette mission, nous nous sommes notamment rendus au centre pénitentiaire de Majicavo, une prison sursaturée – doux euphémisme ! Quatre voire cinq détenus s’y entassent dans des cellules de treize mètres carrés prévues initialement pour une ou deux personnes. Le nombre de détenus vaut à lui seul démonstration : 650 pour 278 places !

Vous le savez, monsieur le ministre, le chef d’établissement de la prison, Nicolas Jauniaux, a annoncé sa démission de l’administration pénitentiaire il y a quelques jours pour dénoncer cette situation particulièrement intenable.

Les mutineries sont pléthore. La presse s’est notamment fait l’écho de celle du 28 septembre, à laquelle ont pris part plus de cent détenus. La tension qui règne à l’intérieur de la prison est tout simplement le reflet de ce qui se passe à l’extérieur, sur l’île.

En mars 2022, le Gouvernement s’était engagé à construire un nouvel établissement. Aucune décision n’a pour l’instant été actée, alors que l’établissement public foncier local a proposé plusieurs terrains. Nous attendons la réponse de l’État.

Monsieur le garde des sceaux, vous venez de prendre vos fonctions. Avez-vous été informé de cette situation mahoraise spécifique ? Surtout, avez-vous des informations à nous communiquer sur le calendrier de création du second établissement pénitentiaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Stéphane Demilly, je vous remercie de votre question.

Le centre pénitentiaire de Majicavo connaît bel et bien un taux d’occupation très important : il accueille 663 détenus pour 278 places. Des opérations de désencombrement sont régulièrement réalisées, grâce au transfèrement de personnes détenues vers les établissements pénitentiaires de La Réunion et de l’Hexagone. Ces opérations, dont le nombre a été multiplié par deux au cours de l’année 2023, se sont poursuivies tout au long de l’année 2024.

Compte tenu de la surpopulation carcérale de cet établissement, le ministère de la justice s’est engagé à ouvrir un second établissement pénitentiaire de 400 places, auxquelles s’ajouteraient 15 à 20 places de semi-liberté. De manière plus générale, je dois dans quelques jours faire le point avec M. le Premier ministre sur l’application du plan de construction de 15 000 places de prison. Pour ce qui est du cas spécifique dont vous me saisissez, monsieur le sénateur, des études foncières et d’urbanisme sont actuellement conduites par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), en lien avec les services compétents à Mayotte, pour identifier un site adapté.

La sécurisation du centre pénitentiaire de Majicavo fait l’objet d’une vigilance de tous les instants de la part de mon ministère. L’équipe locale de sécurité pénitentiaire du centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion vient régulièrement au soutien de l’établissement. Des agents des équipes régionales d’intervention et de sécurité (Éris) ont également été mobilisés à plusieurs reprises afin de renforcer les équipes du centre pénitentiaire de Majicavo et de réaliser des missions de sécurisation du site.

Je porte une attention toute particulière à la situation du territoire mahorais. D’ailleurs, les événements survenus le mois dernier à Majicavo nous rappellent que la sécurisation de cet établissement est primordiale, de même que l’avancement du projet dont je viens de confirmer la réalisation. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 30 octobre à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour une mise au point au sujet de votes.

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, lors du scrutin n° 20 sur l’article 9 constituant l’ensemble du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaitait bien sûr voter contre, conformément à la position exprimée lors de la discussion générale.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue.

Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

6

Communication d’avis sur des projets de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable, par 39 voix pour, à la nomination de Mme Catherine Paugam-Burtz aux fonctions de directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Par ailleurs, conformément aux mêmes dispositions, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable – 19 voix pour, 5 voix contre – à la nomination de M. Pierre-Marie Abadie à la présidence de l’Autorité de sûreté nucléaire.

7

Candidatures à une commission mixte paritaire, à une commission spéciale et à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’ont été publiées des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, ainsi qu’au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

8

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, présentée par M. Patrick Kanner, Mmes Corinne Narassiguin, Mme Viviane Artigalas, M. Rachid Temal et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 759 [2023-2024], texte de la commission n° 39, rapport n° 38).

Ce texte a fait l’objet d’une consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, en application de l’article 90 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

L’avis favorable du congrès de la Nouvelle-Calédonie a été communiqué le 22 octobre 2024 et transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, que je félicite de son élection, mes chers collègues, pourquoi sommes-nous là aujourd’hui ? Et comment en sommes-nous arrivés là ?

La Nouvelle-Calédonie vit un cataclysme. La situation est telle que les dégâts sur les infrastructures publiques et privées s’élèvent aujourd’hui à plus de 2 milliards d’euros, que treize décès en lien direct avec les émeutes sont à déplorer, auxquels d’autres viendront certainement s’ajouter en raison de la crise sanitaire provoquée par ces émeutes, que le taux de chômage atteint des records et que l’usine de la province Nord, dans laquelle le nickel est exploité, a fermé.

À très court terme, nous risquons également de voir éclater des émeutes de la faim.

J’ai une pensée émue pour les familles meurtries et je tiens à saluer nos forces de sécurité intérieure, qui ont su répondre à l’urgence de la situation. La crise en Nouvelle-Calédonie illustre aussi le professionnalisme de nos armées. Je pense notamment à nos forces aériennes, sans lesquelles les aides tant matérielles qu’humaines n’auraient pas pu être déployées aussi rapidement.

La situation de l’archipel reste très fragile, comme l’atteste le maintien continu du couvre-feu depuis le début des émeutes en mai dernier.

Nous n’avons jamais pu revenir à la normale. Le désordre entraîné par les décisions mortifères du précédent gouvernement a fragilisé ce territoire pour plusieurs années et a affaibli la position stratégique de la France dans le Pacifique à l’égard des dirigeants des îles océaniennes, ainsi que de nos alliés australiens, néo-zélandais et bien sûr américains.

Nous l’avons constaté, certaines influences étrangères ont cherché à profiter de la situation. Une mission d’information du Forum des îles du Pacifique est du reste attendue sur le territoire pour dresser un état des lieux.

Mes chers collègues, depuis bientôt un an, avec nos collègues Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas et Rachid Temal, nous alertons par tous les moyens possibles sur l’impérieuse nécessité d’un plan global. Nous préconisions, pour y parvenir, d’accorder du temps au temps – le temps nécessaire pour créer les conditions dans lesquelles les populations néo-calédoniennes pourraient choisir librement leur destin.

Dès avril 2024, nous avions écrit aux présidents de la commission des affaires économiques et de la commission des lois du Sénat – ce dernier se reconnaîtra aisément (Sourires.) – pour leur demander de convier Bruno Le Maire, afin de l’interroger sur le pacte nickel.

Par deux fois, en avril et en septembre 2024, nous avons demandé au président du Sénat de réunir le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie.

En mai dernier, avec Boris Vallaud et Olivier Faure, j’ai co-signé deux courriers à l’attention du Président de la République, dans lesquels nous lui demandions de suspendre le processus constitutionnel en repoussant la convocation du Congrès jusqu’à la conclusion d’un accord global. Nous appelions également à dépêcher sur place une mission de dialogue sous l’autorité du Premier ministre.

Je me félicite du reste que M. Barnier ait repris le sujet sous son autorité, car, depuis Édouard Philippe, les Premiers ministres ne s’intéressaient plus à la situation du Caillou.

Aussi, mes chers collègues, l’on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Il nous faut maintenant réparer ce terrible gâchis humain, économique, social et institutionnel.

Le discours de politique générale qu’a prononcé le chef du Gouvernement le 1er octobre dernier est du reste conforme, sur un dossier si délicat, à ce que l’on pouvait attendre d’un Premier ministre souhaitant se placer dans les pas de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Mais encore faut-il se mettre en mouvement et tracer un chemin.

Le président Emmanuel Macron a installé une mission de médiation et de travail, composée de trois hauts fonctionnaires chargés de faire des propositions pour dénouer la crise. En tant que sénateurs, nous n’avons pas été destinataires d’une quelconque information émanant de cette mission, ce que je déplore. Tel est le sens de ma missive au président Larcher du 30 septembre, qui, je l’espère, fera prochainement l’objet d’une réponse.

Je rappelle que l’information du Parlement sur les mesures prises dans le cadre d’un état d’urgence est prévue par l’article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Le couvre-feu en vigueur en Nouvelle-Calédonie depuis la mi-mai est systématiquement reconduit par le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Même si l’état d’urgence, lui, a cessé, dans de telles conditions et par analogie avec la procédure encadrant l’état d’urgence, on aurait pu présenter aux sénateurs des points d’étape de cette mission.

La présente proposition de loi organique, que nous avons fort opportunément déposée le 16 septembre dernier, n’est que l’ultime étape de la mobilisation de mon groupe face à un exécutif indifférent à toutes nos propositions.

Il semblerait que nous ayons bien fait, puisque la plus haute autorité de la juridiction administrative française, le Conseil d’État, a émis un avis favorable à notre démarche, qu’il a considérée comme nécessaire.

Dans la nuit de lundi, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a également donné un avis favorable sur notre texte, par 47 voix sur 50 exprimées.

Grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vous disposez d’un véhicule législatif qui vous permettra, enfin, de mettre en œuvre une politique fondée sur le dialogue, monsieur le ministre. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

La mise à disposition à votre profit de notre proposition de loi organique n’est toutefois pas un blanc-seing. Nous n’avons jamais considéré que cette proposition de loi organique était l’alpha et l’oméga de la résolution des difficultés rencontrées sur place.

La complexité de la situation en Nouvelle-Calédonie appelle une réponse globale, incluant l’avenir institutionnel de l’archipel, en particulier l’incontournable question du dégel du corps électoral pour les élections du congrès et des assemblées de province, mais aussi l’urgence de la reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, après un long déplacement en Polynésie française, en juillet 2023, vous avez commis, avec MM. Philippe Bas, Hervé Marseille et notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur, un rapport d’information intitulé Nouvelle-Calédonie : renouer avec la promesse dun destin commun pour tous les Calédoniens.

Dès le rapport d’étape, en juillet 2022, vous préconisiez de ne rien imposer et de ne pas contraindre. Vous prôniez un processus global de concertation associant la société civile, les instances coutumières et les élus locaux sur les questions institutionnelles, économiques, sociales et culturelles.

Le président Macron et ses gouvernements successifs n’ont ni lu ni écouté le Sénat, pas plus qu’ils n’ont écouté les acteurs locaux.

J’ai donc une autre question pour vous, monsieur le ministre : Buffet François-Noël, ancien président de la commission des lois du Sénat, sera-t-il en osmose avec François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer ? (Sourires.)

Nous, socialistes, sommes cohérents depuis toujours. Notre position, connue, est celle qui a conduit avec Michel Rocard aux accords de Matignon et d’Oudinot, sanctionnés par le référendum national du 6 novembre 1988 sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

C’est la position qui a permis de sortir la Nouvelle-Calédonie d’une situation dramatique. C’est la position, fondée sur la coexistence et le dialogue, qui a ramené une paix durable dans ce territoire. C’est encore cette méthode éprouvée qui a mené aux accords de Nouméa, sous Lionel Jospin, en 1998.

Nous sommes également en parfaite cohérence avec l’avis clairvoyant du Conseil d’État, qui a préconisé systématiquement le choix du temps long.

Nous sommes enfin en cohérence avec les travaux récents du Sénat, puisque, lors des examens du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, nous n’avons fait que reprendre les recommandations de votre rapport, monsieur Buffet.

En tant que ministre, vous êtes désormais comptable de la situation. Et même si le président Emmanuel Macron porte la pleine responsabilité de la crise institutionnelle et existentielle dans laquelle est plongée la Nouvelle-Calédonie, et si cette forme de gestion restera sans nul doute l’acmé de son obstination et de son entêtement, vous êtes maintenant aux affaires.

En quelques mois, en quelques semaines, en quelques jours, l’exécutif est parvenu à remettre en cause trente-six ans de réconciliation, de reconstruction et de vivre-ensemble !

Si le Premier ministre Michel Barnier semble avoir opéré une volte-face sur le sujet et s’il a exprimé le souhait de se rendre à son tour prochainement sur l’archipel, nous serons très attentifs au positionnement de l’État dans les jours à venir. Le soin apporté à la mise en place de la future délégation interministérielle devra en particulier témoigner de l’implication des pouvoirs publics sur le dossier néo-calédonien.

Monsieur le ministre, votre récent déplacement constitue une première étape, mais les annonces faites ne semblent pas totalement à la hauteur des enjeux.

Je rappelle que des morts, dont deux gendarmes, sont à déplorer, que l’économie est massacrée, que le taux de chômage insupportable et que la situation sanitaire ne cesse de se dégrader.

Le déplacement très prochain de la présidente de l’Assemblée nationale et du président du Sénat pourrait également constituer un signal fort, à condition qu’il permette de renouer avec l’esprit qui nous a conduits aux accords de Matignon et de Nouméa. Loin d’être une parenthèse, ces derniers doivent constituer le socle sur lequel se construira l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Mes chers collègues, nous l’appelons de nos vœux : l’État doit retrouver son rôle impartial, modérateur et facilitateur du dialogue. À défaut, la présente proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ne serait qu’un leurre bien peu crédible. Sans cela, le chemin de la paix et de la sérénité sera introuvable.

De longs et pénibles efforts nous attendent. Soyons donc à la hauteur de l’enjeu, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui, pour reporter, au plus tard au 30 novembre 2025, le renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, qui devait initialement se tenir avant le 12 mai 2024, ce délai ayant déjà été reporté une première fois au 15 décembre 2024.

Lors du vote par le Sénat du premier report de ces élections, le délai fixé au 14 décembre 2024 était déjà considéré comme très optimiste et ne laissant pas assez de temps aux parties prenantes pour élaborer un accord global.

La conclusion d’un tel accord incluant la question de la composition du corps électoral paraît pourtant le préalable nécessaire à la tenue des élections. Telle est la position constante de notre commission.

Je salue d’ailleurs le travail de Philippe Bas, de François-Noël Buffet, de Jean-Pierre Sueur et d’Hervé Marseille, qui, déjà, dans leur rapport de juillet 2023 sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, soulignaient la nécessité de favoriser la conclusion d’un accord consensuel et global entre les trois parties avant les prochaines élections provinciales.

Le rôle du Parlement n’est toutefois pas de décider pour les Néo-Calédoniens si, oui ou non, un accord global est possible, ni quand. Ce n’est pas le rôle du Gouvernement non plus – le gouvernement actuel l’a du reste bien mieux compris que le précédent.

Forcer la main des acteurs locaux a mené à des violences, à une crise politique, économique et sociale d’une rare gravité dans l’archipel, et cela malgré de nombreuses alertes.

Le refus de la convocation du Parlement en Congrès pour le vote du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie était un signe nécessaire et bienvenu. Il est urgent de revenir à la méthode consensuelle et de retrouver le sens du processus d’autodétermination et de décolonisation.

Par cette proposition de loi organique déposée par le groupe socialiste et reprise par le Gouvernement, nous voulons donc donner aux acteurs le plus de temps possible, pour répondre aux urgences de la reconstruction, d’une part, et retrouver le chemin de l’apaisement et du dialogue, d’autre part.

Le consensus politique doit être la priorité absolue. Un accord politique doit être trouvé avant l’intervention du législateur, comme cela s’est toujours fait depuis les accords de Matignon.

La commission des lois a donc adopté la présente proposition de loi organique, après l’avoir modifiée par l’adoption de trois amendements.

Elle s’est en premier lieu attachée à améliorer la lisibilité du dispositif proposé, en réécrivant le dispositif initialement prévu, conformément aux recommandations émises par le Conseil d’État dans son avis sur la présente proposition de loi organique.

En second lieu, à la demande de l’ensemble des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, la commission des lois a introduit un article additionnel prorogeant les fonctions des membres du bureau et des commissions du congrès jusqu’à la réunion du congrès nouvellement élu, de façon à éviter l’organisation de renouvellements successifs des instances internes dans un délai très court. Sans cet amendement, les instances internes du congrès seraient en effet renouvelées à la fin du mois d’août, comme c’est le cas chaque année, puis une nouvelle fois lors de la première réunion du congrès nouvellement élu à l’issue des élections provinciales.

En troisième lieu, afin de garantir l’entrée en vigueur de la future loi organique avant la date limite de convocation des électeurs aux urnes, c’est-à-dire avant le 17 novembre prochain, et ainsi d’écarter tout risque de contentieux, la commission des lois a prévu que la future loi organique entrerait en vigueur dès le lendemain de sa publication au Journal Officiel de la République.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le report de ces élections nous paraît un préalable au chemin de l’apaisement. Il est soutenu par la quasi-totalité des acteurs politiques locaux et a été approuvé hier à une très large majorité par le congrès de Nouvelle-Calédonie, ce qui constitue un signe d’espoir.

La reconstruction économique et l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie sont aujourd’hui indissociables. Le report des élections doit être la première étape de la reprise du processus de construction du destin commun des Néo-Calédoniens.

Permettez-moi pour terminer de citer des propos récemment tenus par Lionel Jospin, mes chers collègues : « L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d’une évolution des relations de la Nouvelle-Calédonie avec la France, conduisant, le moment venu, à une émancipation plus complète. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, que je salue et félicite de sa brillante élection et à qui j’adresse tous mes encouragements pour la réussite de son action, qui est d’intérêt collectif, monsieur le président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, auteur de la proposition de loi, que je remercie de son initiative, mes chers collègues, quand les forces de gouvernement de ce pays engagent un travail en commun, celui-ci peut aboutir. (Marques dironie sur les travées du groupe SER.)

En effet, grâce au Gouvernement, qui a inscrit cette proposition de loi à son ordre du jour prioritaire, celle-ci pourra, je l’espère, être adoptée par les deux chambres dans un délai rapide.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Heureusement que nous étions là !

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission des lois du Sénat peut se prévaloir de la grande cohérence de son approche du dossier néo-calédonien.

Je remercie l’ancien président de la commission des lois, M. François-Noël Buffet, d’y avoir hautement contribué, notamment par le rapport susvisé que nous avons rendu public en juillet 2023 : nous y soulignions la nécessité que l’État soit impartial et néanmoins actif ; nous faisions de la recherche d’un accord entre les parties calédoniennes le préalable à toute intervention constitutionnelle, organique ou législative.

Monsieur le ministre, vous revenez de Nouvelle-Calédonie où vous avez effectué votre premier déplacement dans nos outre-mer. Par ce déplacement, vous avez contribué à rétablir la confiance à l’égard de l’État, sur les bases que je viens de mentionner.

Prenant en compte la situation économique et sociale catastrophique de l’archipel, vous avez annoncé un certain nombre de mesures d’urgence bienvenues.

Vous avez enfin réengagé le dialogue avec les formations politiques, les élus et les forces vives de Nouvelle-Calédonie.

Il faut prendre la situation telle qu’elle est aujourd’hui, car il est inutile de revenir sur les erreurs, et peut-être les fautes, des gouvernements précédents, que chacun connaît bien.

La vie démocratique de l’archipel est suspendue, dans l’attente des prochaines élections.

Les destructions d’infrastructures, d’équipements publics et d’entreprises ont provoqué l’interruption d’un grand nombre d’activités dans l’archipel, où le chômage atteindrait 30 %. De nombreux départs ont été constatés parmi les cadres de la Nouvelle-Calédonie – les médecins, les enseignants –, et un fossé s’est creusé entre les communautés, entraînant des manifestations de haine que l’on n’avait jamais vues en Nouvelle-Calédonie.

Ce fossé, je l’espère, pourra être comblé, car il n’y a pas d’avenir possible pour les Néo-Calédoniens sans le rétablissement d’une concorde civile et l’accord sur un destin commun.

À côté de l’urgence économique et sociale, face à laquelle, le 28 août dernier, l’ensemble des forces politiques représentées au congrès de la Nouvelle-Calédonie ont uni leurs voix pour adopter une résolution par laquelle ils en appellent à la solidarité nationale, il est désormais urgent d’engager un nouveau dialogue pour explorer les voies d’un destin commun. J’espère que le prochain déplacement des présidents de nos deux assemblées permettra d’y contribuer.

En tout état de cause, les conditions sont aujourd’hui réunies pour que les parties puissent discuter ensemble et avec un État bienveillant, accompagnateur des institutions calédoniennes, de la composition des listes électorales, de l’évolution des relations entre la Nouvelle-Calédonie et l’Hexagone et des modalités d’exercice du droit à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, qui figure dans la Constitution comme dans nos engagements à l’égard des Nations unies.

Pour que ce dialogue soit fécond et pour qu’il puisse aboutir, il nous faut de nouveau reporter les élections au congrès et aux assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie, mes chers collègues.

Un minimum de temps est nécessaire pour que ce dialogue se noue et aboutisse. Ce temps ne devra naturellement pas être gaspillé, parce qu’il n’est pas excessif et parce que, dans le cadre constitutionnel actuel, un nouveau report ne pourra pas intervenir.

Les conditions me paraissent réunies pour l’adoption de ce nouveau report de la date des élections au 30 novembre 2025, au plus tard : le motif d’intérêt général est évident, et la durée totale de prorogation des mandats, qui est de dix-huit mois au maximum à compter du 12 mai 2024, ne sera pas dépassée.

Telles sont les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles Corinne Narassiguin et moi-même vous proposons d’adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, que je félicite à mon tour de son élection, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Nouvelle-Calédonie est extrêmement préoccupante.

Les événements survenus le 13 mai dernier et les jours qui ont suivi ont été d’une violence inouïe. Leurs conséquences ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans une crise économique et sociale très grave.

Quelque 15 % du produit intérieur brut calédonien ont disparu, 6 000 salariés ont perdu leur emploi depuis le début des émeutes et plus de 30 % des salariés ont dû bénéficier du chômage partiel. La Nouvelle-Calédonie a par ailleurs perdu 910 travailleurs indépendants, et près de 11 % de ses médecins ont demandé à être radiés de l’ordre des médecins de la Nouvelle-Calédonie.

Les entreprises ont subi de nombreux dégâts matériels, si bien que la reconstruction économique prendra du temps.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les collectivités locales – provinces et communes –, sont en grande difficulté.

En somme, la Nouvelle-Calédonie se trouve dans une situation d’urgence.

Ces émeutes, nous le savons, trouvent leur origine dans la volonté d’organiser les élections provinciales en fin d’année et de modifier le corps électoral, ainsi que le Conseil d’État l’avait demandé dans sa décision du mois de mars 2023. Les plus belles plaidoiries sont toujours celles que l’on fait après l’audience, c’est bien connu. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie sourit.) Comme le rapporteur Philippe Bas l’a souligné, s’il nous faut tenir compte de la situation actuelle, il n’y a pas lieu d’en interroger trop longuement les causes.

Par conséquent, le Gouvernement a souhaité reporter à 2025 les prochaines élections provinciales initialement prévues à la fin de l’année 2024, ainsi d’ailleurs que les élections du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Il a opportunément saisi la proposition de loi organique présentée par le président Kanner et plusieurs de ses collègues et en a fait un véhicule législatif utile et pertinent, permettant de régler la situation juridique et d’inscrire définitivement le report de ces élections dans un délai suffisamment court. En effet, la Haute Assemblée se prononcera aujourd’hui et l’Assemblée nationale devrait le faire, en principe, le 6 novembre prochain. Quant au Gouvernement, il espère pouvoir ensuite publier le texte définitif dans un délai extrêmement rapide.

Trouver un large consensus sur ce report n’avait rien d’évident. Mais le déplacement que j’ai effectué en Nouvelle-Calédonie, la semaine dernière, m’a permis d’engager un dialogue avec l’ensemble des interlocuteurs, qu’ils soient élus ou issus du monde économique ou associatif. Force est de constater que ce qu’ils souhaitent avant toute autre chose, c’est que l’on apporte une réponse à la crise qu’ils traversent. Pour faire face à cette urgence, il est nécessaire d’éviter d’avoir à se projeter dans des élections provinciales, dans quelques semaines.

D’ailleurs, outre que le Conseil d’État, cela a été rappelé, a donné un avis favorable à ce report, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a apporté son soutien à cette mesure par 47 voix pour, 2 abstentions et 1 voix contre, ce qui mérite d’être salué. Il y a là un consensus tout à fait remarquable, que l’on peut interpréter comme la volonté non seulement de s’engager dès à présent dans un processus de reconstruction pour réparer les dégâts matériels et économiques, mais aussi de rouvrir la discussion institutionnelle.

Nul doute que cette discussion doit être rouverte. Nul doute que nous reparlerons de l’ensemble des dossiers. Mais nous devons le faire dans un climat apaisé. Je le dis tout de go au président Kanner, aux rapporteurs et à l’ensemble des sénateurs présents dans cet hémicycle : j’inscrirai mon action dans la suite des conclusions du rapport d’information de 2022. Et les positions que je prendrai comme ministre chargé des outre-mer seront en tout point fidèles à celles du président de la commission des lois du Sénat que je fus. Procéder ainsi relève d’une forme de cohérence et d’une certaine bonne santé d’esprit, me semble-t-il ! (Sourires.)

Je termine ce propos en vous assurant que le Gouvernement soutiendra ce texte. Je salue le travail accompli par la commission des lois, en particulier pour assurer le prolongement des mandats des élus de la Nouvelle-Calédonie.

Je vous annonce également qu’une mission de techniciens sera mise en place dans les jours qui viennent.

Elle se rendra rapidement en Nouvelle-Calédonie pour travailler sur la reconstruction et pour face à l’urgence, en facilitant les procédures et en redonnant de l’oxygène aux communes et aux provinces, pour qu’elles retrouvent leur capacité budgétaire, ne serait-ce que pour payer leurs fournisseurs.

Elle travaillera avec les assurances, pour accélérer la prise en charge des dégâts, qui pose quelques difficultés, et pour soutenir l’ensemble des Calédoniens. Il faudra aussi étudier de nouveau la problématique du nickel, qui présente une certaine forme d’urgence. Cette mission aura donc pour vocation que tous se remettent au travail.

Il me reste à saluer le prochain déplacement des présidents des deux assemblées. Dans le cadre de leurs prérogatives parlementaires, ils ont naturellement toute liberté pour orienter comme ils le souhaitent cette mission. Celle-ci sera utile au Gouvernement, parce que nous ne serons jamais trop nombreux pour nous pencher sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Comme vous l’avez rappelé, il faudra travailler sur l’aspect institutionnel et revoir toutes les questions qui se posent – elles sont nombreuses. Dans le même moment, il faudra travailler à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, à son développement économique et social, à la convergence des points de vue, autant que faire se peut, et au respect des uns et des autres sur le territoire.

Aujourd’hui, nos compatriotes sont tous inquiets, et j’emploie là un terme qui n’est sans doute pas assez fort. Ils ont besoin de stabilité. Ils ont besoin d’une vision commune, qu’ils soient élus, entrepreneurs ou bien, tout simplement, habitants de la Nouvelle-Calédonie. Ce report nous donne du temps, et nous devrons le mettre à profit pour atteindre au mieux cet objectif.

Nous aurons besoin de tout le monde. Le Gouvernement prendra ses responsabilités et dira ce qu’il souhaite, dans une logique impartiale – nous en avons parlé –, mais avec détermination. Tous les élus de ce territoire, les maires en particulier, devront être largement associés. La société civile le sera ; les forces économiques et les entreprises le seront aussi. Au moment même où nous parlons, l’enjeu est vital pour la Nouvelle-Calédonie.

Je ne saurais terminer ce propos sans saluer, encore une fois avec une certaine gravité, les forces de l’ordre qui, sous l’autorité du Haut-Commissaire de la République, ont lutté contre des violences dont on ne peut imaginer l’ampleur tant que l’on n’a pas rencontré ceux qui les ont directement subies. Ces hommes et ces femmes ont besoin d’entendre la représentation nationale leur exprimer son soutien. Ils ont besoin de savoir que nous leur faisons confiance dans la mission qui est la leur, et Dieu sait qu’elle n’est pas simple.

Certes, la situation n’est pas tout à fait réglée et il faut être prudent, car le feu peut encore couver de-ci de-là. Mais je crois sincèrement que nous pouvons commencer à envisager une nouvelle période, qui sera extrêmement importante, pour la Nouvelle-Calédonie.

Encore une fois, je remercie le Sénat de son initiative, ainsi que le président Kanner, qui a accepté que le Gouvernement s’appuie sur son texte et en inscrive l’examen dans l’espace réservé à son propre ordre du jour, en engageant la procédure accélérée. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous voterez massivement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et GEST. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités à voter le report au 30 novembre 2025 des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, alors que ces élections prévues le 12 mai 2024 avaient déjà été reportées au 15 décembre de la présente année.

Après l’annonce par Michel Barnier de l’abandon du dégel du corps électoral, voté par le Parlement au printemps dernier, la République française est encore sur le reculoir. Elle fait preuve de faiblesse. Ces élections auraient dû avoir lieu en 2024. Si, aujourd’hui, leur report est inéluctable, il est inacceptable que nous ayons attendu cinq longs mois pour commencer à nous en inquiéter.

Pendant cinq mois, l’État a été aux abonnés absents. Élections européennes, scrutins des législatives, jeux Olympiques, absence de gouvernement… Depuis le mois de mai, la Nouvelle-Calédonie a été oubliée et les Français calédoniens abandonnés aux émeutes et à la violence des séparatistes.

Qu’on en juge : en cinq mois, 5 églises catholiques et plus de 1 500 lieux publics ont été incendiés ; près de 700 entreprises ont été saccagées ; un tiers de la gendarmerie mobile de notre pays a été mobilisé sur place. Pendant cinq mois d’émeutes, il y a eu 13 morts, 2 gendarmes tués, 2,2 milliards d’euros de dégâts et 24 000 salariés mis au chômage.

Nous avons ainsi subi cinq mois d’une guerre civile en France, alimentée par des pays en guerre ouverte contre nos intérêts. Il faut cesser de craindre les représailles des séparatistes porteurs de la haine de la France et faire appliquer notre droit !

Souhaiter la paix ne doit pas rimer avec s’incliner. C’est l’ordre qui apporte la paix, et l’ordre est légitime grâce à la démocratie. Cette démocratie a confirmé la Nouvelle-Calédonie comme française par trois référendums successifs. L’État doit en assurer l’exercice par la bonne tenue des élections provinciales, au plus vite.

On ne négocie pas avec les tueurs de gendarmes, les racistes antiblancs, les incendiaires d’églises et les pilleurs. On les met hors d’état de nuire !

Les élections doivent avoir lieu au plus tôt, avant la fin de l’hiver. Les repousser d’un an, c’est abandonner une fois de plus les Français calédoniens. C’est abandonner l’avenir de la France dans l’Indopacifique.

Nous ne laisserons pas les dislocateurs de notre pays gagner du terrain en brandissant les arguments de la liberté et de l’autonomie, quand ils sont soutenus par le Front international de libération des colonies françaises créé avec le soutien de Bakou. Le régime de l’autocrate Aliev n’a eu que faire de l’autonomie de l’Artsakh ni de la liberté des Arméniens, alors qu’il détient encore vingt-trois otages. De Stepanakert à Nouméa, les partisans de ce régime ont du sang sur les mains. Il est grand temps de nous faire respecter !

Les renoncements successifs de l’État sont des compromissions inacceptables avec les pires ennemis de notre pays, qui, eux, ne s’arrêteront pas. Bakou a déjà réclamé l’indépendance de la Polynésie et de la Corse, après celle de la Nouvelle-Calédonie. En Martinique, maintenant, au travers des soulèvements de ces derniers jours, nos services sentent le souffle chaud de l’Azerbaïdjan.

Cessons donc la politique des grands pas en arrière : avançons vite vers le retour de l’ordre public et démocratique sur le sol calédonien, qui est et qui restera français !

Mme Cécile Cukierman. Le temps des colonies, c’est terminé !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le report des élections des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, et ce moment a comme un air de déjà-vu.

Huit mois après avoir adopté le projet de loi organique visant à reporter ces élections, nous pourrions aisément regretter d’en être au même point qu’en février 2024. Pourtant, rien ne serait plus éloigné de la réalité, car nous sommes loin, très loin de la situation précédente.

Ce qui n’a certes pas changé depuis février dernier, c’est la nécessité de reporter ces élections. En revanche, ce qui a fondamentalement changé depuis lors, c’est la raison pour laquelle elles doivent être reportées.

Il y a huit mois, leur report était indispensable pour laisser aux parties prenantes la possibilité de trouver un accord sur la composition du corps électoral ou, dans le cas contraire, afin de laisser au Parlement le temps nécessaire à l’examen du projet de loi relatif au dégel du corps électoral. Adopté en mai, celui-ci est désormais enterré.

Aujourd’hui, la raison est tout autre et, indiscutablement, beaucoup plus dramatique. Le report est désormais indispensable, car la situation sur le territoire calédonien rend tout simplement impossible la tenue d’élections pour le moment.

Depuis six mois, des événements tragiques se sont produits. Tragiques pour les Calédoniens, tragiques pour la Nouvelle-Calédonie et, même si de nombreux Français n’en ont malheureusement pas suffisamment conscience, tragiques pour la France.

Depuis le mois de mai dernier, sur le Caillou, treize personnes sont décédées et la situation sécuritaire est loin d’être apaisée. Des patrouilles de quartier s’organisent encore dans certaines zones, afin de protéger les habitants des violences et les maisons des dégradations. Des centaines d’habitations ont déjà été incendiées. J’en profite pour rendre hommage aux forces de l’ordre, qui font ce qu’elles peuvent.

Plus de 700 entreprises ont été dégradées ou détruites et plus d’un millier d’autres en subissent les conséquences indirectes. Le chiffre d’affaires de celles qui n’ont pas été détruites s’est effondré, et le chômage a explosé dans le territoire. Tout cela dans le contexte d’une crise du nickel sans précédent pour l’archipel.

Les recettes fiscales et sociales des collectivités se sont écroulées, rendant impossible pour elles d’honorer leur rôle pour le versement de certaines prestations. De nombreuses infrastructures publiques ont été détruites ou gravement endommagées.

Le montant global des dégâts est estimé à plus de 2 milliards d’euros. Une grande partie du personnel médical et soignant a quitté le territoire, alors que les Calédoniens sont confrontés depuis longtemps déjà à de grandes difficultés d’accès aux soins. Le départ d’une partie de la population ne va pas s’arrêter. En un mot, la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie est catastrophique.

Dans un tel contexte, comment imaginer la tenue d’élections ? Comment envisager de faire campagne alors que l’accès à certaines zones de l’archipel est toujours extrêmement difficile ? La réponse est évidente : les élections doivent, une fois de plus, être reportées, cette fois à la fin 2025. Mais d’ici là, qu’est-ce qui attend la Nouvelle-Calédonie ? Quelle est la perspective ?

La Nouvelle-Calédonie doit se reconstruire et nous devons l’accompagner. Nous ne pouvons pas laisser tomber nos concitoyens et nous ne devons pas les abandonner aux forces étrangères, telles que l’Azerbaïdjan qui souffle sur les braises, dans ce territoire comme dans tous les outre-mer d’ailleurs.

Afin que ce report soit utile, il faut que le Gouvernement mette à profit ce temps supplémentaire pour rétablir la situation sécuritaire, économique et politique.

Premièrement, le problème des émeutes du quartier de Saint-Louis doit être réglé de façon définitive, et il faut mettre en place un dispositif garantissant l’ouverture des routes et la bonne tenue du scrutin à venir, en prévoyant la présence d’observateurs de l’État dans tous les bureaux.

Deuxièmement, les compagnies d’assurances devront assumer les remboursements et les réassurances.

Troisièmement, nous devons chercher des solutions pragmatiques afin d’essayer d’apaiser les désaccords sans naïveté ni complaisance, notamment avec les leaders de la cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT) et tous ceux qui ont cassé, pillé et brûlé.

Ce qui se passe aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie est observé aux quatre coins de la planète, dans les outre-mer, dans les banlieues et par les puissances étrangères. Sous peine de légitimer toutes les exactions commises, le Gouvernement ne doit faire preuve d’aucune faiblesse.

Parce que des circonstances exceptionnelles l’exigent, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Georges Naturel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier – une fois n’est pas coutume ! – le président Kanner, qui a déposé cette proposition de loi organique.

En juillet dernier, j’avais eu l’occasion de rencontrer plusieurs collègues, ici, au Sénat, et je les avais alertés sur la situation catastrophique de la Nouvelle-Calédonie et sur l’urgence qu’il y avait à s’en préoccuper. Mais personne ne l’a fait, et je vous dirai pour quelles raisons.

Je veux ensuite remercier M. le ministre de nous avoir rendu compte de son récent déplacement en Nouvelle-Calédonie. En effet, il est important d’aller dans le territoire pour se rendre compte de la catastrophe qui s’y déroule.

Le sujet que nous abordons aujourd’hui n’est pas simplement une question de dates. Il est éminemment politique. En mars dernier, face à une situation déjà fragile, nous avons dû nous résoudre à reporter les élections des assemblées de province et du congrès, initialement prévues en mai 2024, car il fallait préalablement redéfinir le corps électoral provincial. C’est dans cet esprit que notre assemblée a alors adopté, à une très large majorité, le projet de loi organique visant à reporter ces élections au plus tard au 15 décembre 2024.

Il nous est aujourd’hui proposé de reporter à nouveau les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, en fixant cette fois-ci la nouvelle date butoir au 30 novembre 2025.

Pourquoi ce nouveau report est-il indispensable ? Pour deux raisons principales, selon moi. Premièrement, depuis le 13 mai dernier, la Nouvelle-Calédonie a été ébranlée par une vague de violences et d’exactions sans précédent – plusieurs de mes collègues l’ont dit. Des émeutes ont secoué la société calédonienne jusqu’en son cœur, laissant des plaies profondes dans son tissu social et économique, je dirais même humain.

Aujourd’hui, je me tiens devant vous à cette tribune pour porter la voix d’un territoire de la République profondément meurtri, où la paix civile demeure fragile, où l’économie est à terre, où la sécurité n’est pas encore totalement restaurée, où le couvre-feu est toujours en vigueur depuis près de six mois et où l’urgence est non plus seulement d’organiser des élections, mais de restaurer la possibilité même d’un débat démocratique apaisé.

Deuxièmement, l’État a été aux abonnés absents durant plus de cinq mois. Si des renforts considérables de gendarmes mobiles et de CRS ont été envoyés sur place pour rétablir l’ordre et si des crédits budgétaires importants ont été redéployés sur la Nouvelle-Calédonie, il faut reconnaître qu’aucune initiative politique majeure n’a été prise par l’État depuis le début des émeutes.

Les campagnes des élections européennes, puis législatives, un gouvernement démissionnaire, l’organisation des jeux Olympiques à Paris et la trêve estivale ont eu raison de l’implication politique de l’État dans le dossier calédonien.

La proposition de loi organique qui nous est soumise reconnaît cette réalité. Il ne s’agit ici non pas de repousser indéfiniment l’échéance électorale, mais bien de donner à la Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire pour que ses forces vives puissent se relever, pour que les acteurs politiques et sociaux puissent envisager un avenir où des projets et des visions s’affrontent dans l’arène électorale et non dans la rue.

Organiser des élections provinciales dans les délais prévus, c’est-à-dire avant le 15 décembre prochain, est en effet inenvisageable. La situation économique est calamiteuse. L’investissement des entreprises et des acteurs économiques est au point mort. Les services publics sont sous tension permanente.

Dans un tel contexte, comment peut-on raisonnablement imaginer mener une campagne électorale digne de ce nom ? Comment des candidats pourraient-ils porter des projets clairs et fédérateurs, alors même que les fondements de notre société sont ébranlés ?

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a admis cette impossibilité, hier, en donnant à ce nouveau report de date d’élections un avis favorable à la quasi-unanimité. Mais si la réalité de la situation nous commande de différer ces élections, il ne nous est pas permis de les reporter indéfiniment.

La Nouvelle-Calédonie a besoin de stabilité politique pour se reconstruire et pour engager, enfin, les réformes indispensables à son redressement économique. Le Conseil d’État, dans son avis du 26 décembre 2023, nous a rappelé l’impérieuse nécessité de respecter le cadre démocratique, en fixant un délai maximal de dix-huit mois pour organiser de nouvelles élections provinciales.

Il serait donc souhaitable que ces élections aient lieu au premier semestre 2025, dans un délai permettant de préparer un débat non seulement de fond, serein et constructif, mais qui ne s’entremêlerait pas avec les autres échéances électorales majeures anticipées pour les mois à venir.

Je pense ici aux élections municipales de mars 2026, mais également, sans vouloir m’avancer outre mesure, à une possible instabilité parlementaire qui pourrait conduire à des échéances électorales anticipées à l’échelon national. Je n’ignore pas que la période est incertaine et que nos concitoyens aspirent avant tout à la clarté et à la stabilité.

Il est de notre responsabilité de veiller à ce que ces élections provinciales se tiennent dans les meilleures conditions possible, sans précipitation, mais aussi sans atermoiement excessif.

La Nouvelle-Calédonie ne peut plus attendre. Elle a besoin d’une gouvernance légitime et forte pour affronter les défis qui sont les siens. Reporter les élections au-delà du premier semestre 2025 risquerait de compromettre ce fragile équilibre que nous tentons de préserver.

Je souhaite ici, à cette tribune, rappeler l’importance de la responsabilité du Parlement et du Gouvernement dans la résorption de la crise que connaît aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie.

Je veux insister devant vous, mes chers collègues, sur l’impérieuse nécessité d’une implication forte de l’État pour sortir de cette crise. Force est de constater que nous avons beaucoup de mal, nous, les Calédoniens, à définir ensemble un avenir commun sans l’intermédiaire de l’État.

En effet, les acteurs politiques locaux, indépendantistes et non-indépendantistes, ne parviennent plus à discuter ensemble de l’avenir institutionnel. Comment pourraient-ils dès lors négocier un nouveau projet statutaire, alors que les indépendantistes refusent de s’asseoir à la table des négociations ? Nous ne pouvons donc pas attendre indéfiniment que la situation se résolve d’elle-même.

Les accords de Matignon, signés en 1988, après les événements de 1984 et de 1985 et après le drame d’Ouvéa, l’auraient-ils été sans l’implication personnelle très forte du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard ? La réponse est non !

L’État doit donc jouer un rôle actif et redevenir ce partenaire qui assure l’équilibre entre les différentes forces politiques du territoire, tout en apportant un soutien financier massif pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de se relever économiquement.

Votre déplacement sur place, il y a quelques jours, était attendu, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

J’approuve la proposition du Premier ministre de confier aux présidents des deux assemblées une mission de concertation et de dialogue. Je suis heureux d’apprendre que cette mission se concrétisera du 9 au 14 novembre prochain, dans le cadre du déplacement en Nouvelle-Calédonie du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale.

Aussi, il ne s’agit pas simplement de fixer une date, mais bien de prendre la mesure d’une situation historique.

Il nous appartient de veiller à ce que la Nouvelle-Calédonie puisse retrouver un cadre démocratique apaisé et de faire en sorte que, lorsque nos concitoyens seront appelés aux urnes, ils le soient dans des conditions qui leur permettent de choisir sereinement leurs élus.

Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous invite à accueillir favorablement cette proposition de loi organique et à l’adopter à la majorité la plus large possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Laurence Harribey applaudit également.)

Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur une proposition de loi organique visant à reporter les élections du congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard, au 30 novembre 2025. Initialement prévues le 12 mai 2024, elles avaient été repoussées une première fois au 15 décembre 2024.

Ce report est, à mon sens, non seulement nécessaire, mais aussi indispensable au regard de la situation actuelle dans l’archipel.

Pourquoi un nouveau report ? Les événements dramatiques qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie au cours des derniers mois, notamment les violences et les émeutes qui ont fait treize victimes, dont certaines parmi les forces de l’ordre, démontrent que les conditions d’organisation de nouvelles élections ne sont pas réunies.

Ces troubles ont plongé l’archipel dans une crise profonde, de nature à la fois politique, économique et sociale, dont la Nouvelle-Calédonie ne s’est pas encore relevée. Ce constat est notamment celui du comité interinstitutionnel calédonien, qui a présenté son plan pluriannuel de reconstruction auprès de l’État.

Dans son avis du 25 janvier 2024, le Conseil d’État a encadré ce report, en consentant la possibilité de fixer une nouvelle échéance électorale au plus tard en novembre 2025. Il a jugé que ce calendrier, bien qu’il soit inhabituel, ne suscitait aucune réserve juridique, car il permettait de garantir que l’ensemble des textes et des réformes indispensables pourraient être adoptés avant l’organisation des élections.

Cette flexibilité est essentielle pour laisser aux acteurs le temps de trouver un compromis et de stabiliser la situation sur le terrain. Cela nous permet d’agir dans un cadre légal défini, tout en laissant le temps nécessaire à la résolution des tensions qui pèsent encore sur la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, près de cinq mois après le début de cette crise, la Nouvelle-Calédonie reste marquée par les violences et les désordres sociaux. Des mesures de maintien de l’ordre, dont un couvre-feu prolongé jusqu’au 4 novembre, témoignent de l’instabilité qui persiste.

Du point de vue économique, les dégâts sont colossaux : 6 000 emplois ont été perdus et des infrastructures vitales, comme des écoles, des routes ou des hôpitaux, ont été détruites. Dans un tel contexte, organiser des élections serait irresponsable. Au-delà des aspects logistiques, la crise de confiance des différentes composantes de la société est grave, de sorte que l’organisation d’un scrutin risquerait de raviver les tensions.

Aussi, le report des élections permettrait de créer un espace de dialogue nécessaire à la reconstruction, à l’apaisement et au rétablissement d’un climat politique serein. Nous devons saisir cette occasion pour laisser aux parties le temps de trouver un nouvel équilibre institutionnel qui soit acceptable par tous.

Mes chers collègues, ce report est non pas un choix politique, mais un impératif de stabilité et de responsabilité. Organiser des élections dans l’urgence, sans garantir un climat de confiance, serait non seulement hasardeux, mais aussi dangereux pour la paix et pour la démocratie en Nouvelle-Calédonie.

C’est pourquoi je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi organique. Il y va de l’avenir d’un territoire qui a besoin de temps pour se reconstruire et retrouver le chemin du dialogue et de la réconciliation.

Notre responsabilité est de soutenir cette transition dans un esprit de sérénité et de cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout adresser toutes mes pensées aux habitants de la Nouvelle-Calédonie, notamment à ceux d’entre eux qui sont endeuillés, ainsi qu’aux nombreuses personnes touchées par la pauvreté ou traumatisées par le déchaînement de violence de ces derniers mois.

Entre les mois de mai et de juin 2024, près de 700 entreprises ont été incendiées, pillées ou vandalisées. Des écoles, des locaux techniques, des médiathèques et des infrastructures médicales sont partis en fumée. Au bout du compte, plus de 6 000 de nos concitoyens sont privés d’emploi, et plusieurs milliards d’euros seront nécessaires à la reconstruction du Caillou.

Malgré les fortes tensions politiques suscitées par les émeutes, le gouvernement néo-calédonien a proposé une feuille de route sur trois ans pour repenser le système économique, social et institutionnel de l’archipel. C’est une bonne chose.

Nous saluons aussi les efforts de l’État pour sauver l’économie néo-calédonienne. La prise en charge totale de la remise en état des bâtiments scolaires et la prolongation du financement du chômage partiel sont essentielles pour relancer la vie locale et, indirectement, renouer le dialogue.

En dépit de ces initiatives, la société néo-calédonienne reste marquée par de fortes inégalités. Le haut de l’échelle sociale n’a jamais cessé d’être européen, alors que le bas de celle-ci reste kanak et océanien. Avancer de nouveau vers le destin commun envisagé dans les accords suppose de s’attarder, enfin, sur les disparités trop fortes entre les communautés.

Le plan de reconstruction qui a été annoncé doit s’inscrire dans un processus interministériel et associer plus particulièrement les services de l’éducation nationale. Nous souhaitons en effet qu’un intérêt particulier soit porté à la jeunesse néo-calédonienne, sans laquelle rien ne sera possible.

Depuis Nouméa, nous constatons que l’école s’est massifiée sans se démocratiser. Les réseaux scolaires et universitaires se sont densifiés sans prendre en compte la culture kanake. Peu de place est laissée à l’enseignement de l’histoire des peuples premiers, ce qui réduit fortement la probabilité qu’un projet éducatif local, commun et émancipé de la tutelle métropolitaine émerge.

Dès lors, le retour à la paix civile est conditionné à celui de la paix sociale. Je tiens à souligner l’ardente obligation de bâtir un avenir commun pour les Néo-Calédoniens.

Dans ce contexte extrêmement tendu, mes chers collègues, nous devons de nouveau prendre la décision de reporter l’élection des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Cela ne fait aucun doute.

La présente proposition de loi est désirée par une majorité des forces politiques locales, qui se sont d’ailleurs exprimées en ce sens mardi dernier au cours d’une séance plénière du congrès.

Dans ces conditions, le RDSE est bien entendu favorable à un tel report. Je rappelle d’ailleurs que mon groupe était partagé lors du vote du projet de loi constitutionnelle, certains d’entre nous ayant pressenti les fortes tensions que ce texte risquait de créer. D’ici à la nouvelle échéance, nous devons mettre à profit ce temps supplémentaire pour reprendre le cours des négociations.

Le Conseil d’État a estimé que le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle portant modification du régime électoral du congrès et des assemblées de province visait un but d’intérêt général suffisant pour permettre au législateur d’agir. Si cet avis n’est pas contraignant, il donne malgré tout une assise au possible dégel du corps électoral. Il faut en être conscient.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, nous attendons des réponses de votre part. (M. le ministre délégué acquiesce.) Nous notons déjà votre ferme volonté d’engager des discussions avec l’ensemble des parties, ainsi que votre engagement d’être à l’écoute. Votre récent déplacement dans la région a montré que l’idée d’une gouvernance partagée autour d’une indépendance en partenariat était souhaitée au-delà même du camp indépendantiste.

L’examen de la présente proposition de loi organique nous donne l’occasion de rediscuter de la place que doit occuper l’État dans les négociations. Il faudra absolument que les discussions s’inscrivent dans un cadre global si l’on veut parvenir à la mise en œuvre d’un projet sociétal juste et équitable.

Il faut que tous les Calédoniens puissent retrouver leur place sur le Caillou. Nous y veillerons, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral calédonien, le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, avait pris date à cette même tribune.

Il avait qualifié ce texte de « solution “partielle et unilatérale” qui, au lieu d’aiguillonner le dialogue entre les différentes parties prenantes », comme le ministre de l’intérieur et des outre-mer l’affirmait en commission, contribuerait « au contraire à aggraver les tensions ». Il suggérait en conséquence de « nous interroger sur la temporalité envisagée pour l’examen de ce texte ».

Tout comme d’autres groupes politiques, nous n’avions pas été entendus dans cette assemblée. La Nouvelle-Calédonie en a payé le prix. Après trente-six années de paix, cette collectivité s’est une nouvelle fois enfoncée dans une spirale de violence. Depuis le 13 mai 2024, treize personnes ont perdu la vie lors des émeutes ; on a dénombré plusieurs centaines de blessés et 3 000 émeutiers ont été interpellés. Un couvre-feu est toujours en vigueur aujourd’hui.

La situation économique et sociale, déjà fragilisée par la crise du nickel, est dramatique. On recense 2,2 milliards d’euros de dégâts, 700 entreprises incendiées ou saccagées, 10 000 emplois détruits et 20 000 salariés admis au bénéfice du chômage partiel, qui prendra fin le 31 décembre prochain. Dans le secteur privé, un salarié néo-calédonien sur trois est au chômage. C’est dire l’ampleur du désastre.

Preuve de la gravité de la crise, l’hôpital, qui avait toujours été préservé, a lui aussi fait l’objet de blocages, ce qui a mis la continuité des soins sur le territoire en grand danger. Le médipôle de Dumbéa a enregistré une diminution de 15 % de ses effectifs depuis le début des émeutes, une baisse qui risque de s’aggraver. Pour les médecins, le recul atteint jusqu’à 30 % des effectifs dans certaines spécialités.

Dans le nord de l’île, la situation est encore plus préoccupante, puisque l’on constate une baisse de presque 33 % des personnels et que le centre hospitalier de la province Nord ferme des lits.

Monsieur le ministre, durant votre déplacement en Nouvelle-Calédonie il y a quelques jours, vous avez déclaré que l’État financerait la reconstruction des infrastructures publiques. (M. le ministre délégué acquiesce.) Si ces annonces sont accueillies avec satisfaction, elles ne sont pas à la hauteur de la situation.

Le 28 août dernier, le congrès a lancé un cri d’alarme qui n’a toujours pas été entendu. Les formations politiques néo-calédoniennes ont voté à la quasi-unanimité une résolution appelant à l’adoption d’un plan de reconstruction et d’accompagnement de la Nouvelle-Calédonie par l’État pour la période 2024-2029, afin d’éviter la mort économique et sociale du pays.

Cette résolution s’appuie sur trois principes mis en œuvre par le Gouvernement de la République au lendemain du cyclone Irma, qui avait ravagé les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy : la compensation financière des pertes fiscales et sociales subies par les collectivités et les régimes sociaux ; le financement des régimes de chômage partiel et total ; enfin, le soutien aux entreprises, que ce soit en termes de trésorerie ou sous la forme d’incitations fiscales à la reconstruction.

C’est un appel à la solidarité nationale qui a été lancé par tous les élus indépendantistes et non indépendantistes du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le 25 septembre dernier, une délégation transpartisane a d’ailleurs été reçue à ce sujet par le président du Sénat et l’ensemble des présidents de groupe de notre assemblée.

Si cet appel au secours n’est pas entendu, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Néo-Calédoniens, dépourvus de tout revenu, qui se retrouveront en recherche d’emploi sur un marché du travail inexistant, et ce dès le premier semestre 2025, une situation qui ne peut que déboucher sur des émeutes de la faim constitutives d’une véritable insurrection sociale.

Or, à ce jour, le projet de loi de finances pour 2025 ne prévoit qu’une seule mesure spécifique pour la Nouvelle-Calédonie : la possibilité de contracter un prêt de 500 millions d’euros auprès de l’Agence française de développement (AFD), afin de rembourser à l’État les avances dont elle a bénéficié en 2024. C’est un véritable acte d’abandon de cette collectivité française du Pacifique.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous serons attentifs à ce que les principes, ainsi que le financement du plan quinquennal d’accompagnement et de reconstruction de la Nouvelle-Calédonie proposé par le congrès soient pris en compte dans le prochain projet de loi de finances.

Comme l’a annoncé le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, il n’est pas possible, dans ce contexte politique, économique, social et sécuritaire que les élections provinciales se tiennent en décembre 2024. C’est pourquoi la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoit de les reporter au plus tard le 30 novembre 2025.

Nous nous félicitons que le Premier ministre ait décidé de la création d’une mission de concertation et de dialogue conduite par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat.

Comme l’avait recommandé le Sénat dans son rapport sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, le vote de ce texte doit permettre aux différentes formations politiques néo-calédoniennes d’ouvrir une nouvelle page et de reprendre le chemin du dialogue sous l’égide de l’État, afin de favoriser l’émergence d’un consensus global dans le prolongement de la lettre et de l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Wienie Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Robert Wienie Xowie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous remémorer ces quelques mots que j’ai prononcés ici même le 2 avril dernier : « Le terreau sur lequel on moissonne est vaseux, les équilibres sont fragilisés et les signaux sociétaux s’allument en orange. Mes chers collègues, ne faisons pas de ce texte le déclencheur d’une crise que personne ne pourra maîtriser. »

En effet, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est soumise, depuis le 13 mai dernier, à de très vives tensions, qui ont dévasté le pays. Le bilan est lourd tant sur le plan humain, puisque treize morts sont à déplorer, que sur le plan économique et social, dans la mesure où près de 800 entreprises ont été détruites, où 24 000 emplois ont été suspendus ou totalement perdus et où, selon les estimations, le montant des dégâts avoisinerait les 2 milliards d’euros.

Mes chers collègues, ayons une pensée pour les familles endeuillées et les personnes blessées dans leur chair, ainsi que pour ceux qui ont perdu leur emploi, leur travail ou l’investissement de toute une vie.

Encore une fois, j’ai le sentiment que l’histoire, les vieilles pratiques ou l’ancien réflexe colonial se répètent inlassablement.

Au lieu de réussir ensemble la sortie de l’accord de Nouméa qui est un processus de concorde et de décolonisation, qui nous aura permis de vivre trente-cinq ans en paix, l’État central, comme s’il cédait à un vieux réflexe longtemps refoulé, décide, impose et se braque soudainement sur une date de référendum que les indépendantistes contestent, ainsi que sur une réforme unilatérale du corps électoral. La suite, vous la connaissez…

Pour rappel, le renouvellement des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des assemblées de province devait avoir lieu en mai 2024, conformément aux dispositions de la loi organique. Or le précédent gouvernement avait décidé de reporter ces élections, le temps de modifier le corps électoral dans un calendrier très contraint.

Le mouvement indépendantiste dans son ensemble, très attaché à la lettre et à l’esprit de l’accord de Nouméa, s’est toujours opposé à cette démarche et a dénoncé le fait que la question du corps électoral, élément clé de l’accord de Nouméa, ait été sortie du champ de la réflexion globale. Le mouvement indépendantiste a également alerté et mis en garde quant aux risques que l’adoption d’un tel texte pouvait comporter.

Le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé lors de son discours de politique générale souhaiter reprendre le dialogue et ouvrir une période consacrée à la recherche du consensus politique ; il a également déclaré que le texte relatif au dégel du corps électoral, adopté par les deux chambres, ne serait pas soumis au Congrès de Versailles. Nous nous en félicitons, mais nous resterons vigilants.

Après le 13 mai, au-delà des chiffres, la méfiance, la défiance, la rancœur et une certaine forme de haine sont apparues et se sont exprimées. Pourtant, il va falloir se retrouver et se regarder de nouveau en face dans la vie de tous les jours, se reparler, reconstruire et réapprendre à vivre ensemble.

Aujourd’hui, il nous est proposé de reporter pour la seconde fois la tenue de ces mêmes élections. Je regrette à ce titre que l’amendement que j’ai déposé en commission des lois ait été rejeté.

En effet, comme une majorité des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, je ne suis pas opposé par principe au report de ces élections, et cela pour au moins deux raisons : d’une part, il faut parvenir à l’adoption d’un budget pour l’année prochaine, afin d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions néo-calédoniennes et de traiter les urgences sociales ; d’autre part, il faut garantir que la prochaine rentrée scolaire se déroule dans un contexte apaisé.

Reste à savoir pour combien de temps… Je rappelle que les mouvements du 13 mai ont à la fois clairement sanctionné le passage en force du précédent gouvernement et révélé une profonde défiance vis-à-vis de la classe politique, tous bords confondus.

Alors que s’ouvre une nouvelle phase de discussion, il va falloir, par les urnes, donner rapidement une légitimité politique nouvelle aux responsables, qui devront reprendre le dialogue et écrire une nouvelle page de notre histoire.

Quant à la reprise des négociations, les indépendantistes ont toujours affirmé et réaffirmé que la suite devait s’écrire dans l’esprit et la lettre de l’accord de Nouméa, qui correspond, je le redis, à un processus de décolonisation.

Monsieur le ministre, je ne puis me satisfaire de votre réponse à la question au gouvernement que j’ai posée cet après-midi : vous avez déclaré que le principe d’autodétermination figurait dans la Constitution française. Or seuls l’accord de Nouméa et les règles internationales garantissent le processus d’accession à une pleine souveraineté.

Aussi, j’insiste : je vous interroge très solennellement sur la vision qu’a l’exécutif de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. J’invite par ailleurs l’État français à porter un regard décomplexé sur son histoire coloniale.

Qui sait ? Nous réussirons peut-être ensemble à sortir par le haut, à écrire une nouvelle page de notre histoire commune et à bâtir une nouvelle relation. En tout cas, mettons toutes les chances de notre côté pour aboutir à une décolonisation réussie et définir ensemble de nouvelles fondations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de gravité et de sérieux que nous devons de nouveau aborder le sujet des élections en Nouvelle-Calédonie. La dernière fois que nous l’avons fait, il y a sept mois, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral, nous avons commis une faute, contre laquelle nous avions pourtant mis en garde, ici même, à cette tribune.

Cette faute était évitable et son résultat était prévisible. Croyez-moi, je n’en tire aucune satisfaction, aucun plaisir, ni aucune fierté, car elle a conduit aux violences que chacun connaît.

Le Gouvernement, en choisissant de répondre par la voie répressive, a contribué à aggraver une faute qui a coûté la vie à treize personnes, lesquelles seraient toujours en vie si nous nous étions montrés un peu plus responsables, plus humbles, plus raisonnables, et davantage à la hauteur des enjeux.

M. Mickaël Vallet. Bien dit !

Mme Mélanie Vogel. Tout cela est désormais inscrit dans notre histoire. L’État doit en assumer la responsabilité et, surtout, ne pas reproduire les mêmes erreurs, qui sont, me semble-t-il, de quatre ordres.

Tout d’abord, l’État a cherché à isoler le sujet du dégel du corps électoral, qui est une vraie et une sérieuse question qu’il convient de régler, de la question globale de la citoyenneté calédonienne, donc du statut et de l’avenir global de la Nouvelle-Calédonie. C’est impossible !

Ensuite, il est revenu sur sa promesse de rester impartial en prenant fait et cause pour un camp ; il a ainsi rompu l’indispensable confiance nécessaire à tout processus politique apaisé et constructif. Il est également passé en force en persistant, malgré toutes les mises en garde, à faire voter un projet de loi sans accord local, lequel mettrait assurément le feu aux poudres.

Enfin, l’exécutif a en grande partie répondu par la répression aux violences résultant de son action, allant jusqu’à incarcérer des militants kanaks en métropole, une décision qu’a cassée hier la Cour de cassation.

C’est simple, il ne faut plus jamais agir ainsi ! Alors, que faire ? La plupart des éléments conduisent à penser que la tenue d’élections d’ici au mois de décembre prochain serait trop complexe et plaident à l’inverse en faveur d’une solution de sagesse impliquant des échéances plus tardives. C’est d’ailleurs le sens de l’avis rendu hier par le congrès de la Nouvelle-Calédonie.

La question du corps électoral n’est pas réglée, comme la plupart des questions d’ailleurs. La Nouvelle-Calédonie est souffrante. Son économie est dévastée et ses habitants durablement meurtris. Les dégâts sont estimés à plus de 2 milliards d’euros ; près de 29 % des travailleurs du secteur privé sont au chômage partiel ; les exportations de nickel ont été divisées par trois.

Le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) doit donc se matérialiser. La reconstruction, l’apaisement, l’amorce de nouvelles négociations auxquels ce report laisse la place peuvent déboucher sur un mieux… ou non.

Cela dépend beaucoup de nous, mes chers collègues. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais nous pouvons décider de faire mieux. Nous pouvons renouer avec l’esprit de concorde de l’accord de Nouméa et essayer, pour une fois, pour ce territoire, de ne pas totalement rater un processus de décolonisation.

Je salue à ce titre les récentes déclarations du Premier ministre, qui sont de nature à rompre avec les méthodes ayant mené à la catastrophe, donc à rassurer. Elles doivent maintenant trouver un débouché concret.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je demande au Gouvernement de s’engager aujourd’hui sur un certain nombre de points qui sont indispensables si l’on veut que ce report soit positif et utile.

La présente proposition de loi ne fixe pas de date précise pour la tenue des prochaines échéances électorales. Elle prévoit que ces scrutins puissent se tenir à tout moment, et ce jusqu’à la fin du mois de novembre 2025, en vertu d’un avis rendu par le Conseil d’État et de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Comme vous le savez, certains acteurs néo-calédoniens ont exprimé le souhait que les élections puissent se tenir plus tôt, par exemple au printemps prochain, dès que les conditions pour renouveler et relégitimer le personnel politique seront réunies.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous, au nom du Gouvernement, à convoquer des élections au moment approprié, y compris s’il se situe au premier semestre 2025 ?

Les négociations pour parvenir à un accord sur la question du corps électoral et, plus largement, sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, doivent reprendre dans de bonnes conditions. Monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à y prendre une part active et impartiale et à rester ouvert à toute option possible et à tout statut imaginable en vertu du droit à l’autodétermination du peuple néo-calédonien ?

En novembre prochain, si aucune perspective d’accord global, ni même partiel, ne se dégage, autrement dit si nous nous trouvons exactement dans la même situation qu’en début d’année, le Gouvernement s’engage-t-il à ne pas commettre les mêmes erreurs et à ne pas lancer de nouveau une réforme unilatérale qui provoquerait irrémédiablement les mêmes effets que la précédente ?

Savez-vous comment Einstein définissait la folie ? « C’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Rassurez-nous, monsieur le ministre, et dites-nous que vous ne serez pas fous. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie traverse une crise économique, sociale et politique d’une extrême intensité depuis le mois de mai 2024, une crise si grave qu’elle touche tous les secteurs d’activité privé et public.

La vie quotidienne des habitants est devenue intenable, qu’il s’agisse de l’approvisionnement alimentaire, de la santé, des transports ou de l’accès aux services publics et à la scolarité, au point qu’il est devenu préférable pour nombre d’entre eux de quitter le territoire.

L’origine des émeutes, tout comme leurs conséquences, est connue et documentée : l’adoption à marche forcée du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie en l’absence de tout accord politique global sur l’avenir institutionnel du territoire.

Que le Premier ministre ait décidé de se réapproprier ce dossier, qui n’aurait jamais dû être traité en dehors de Matignon, est salutaire : cela montre sa préoccupation et, peut-être, une certaine prise de conscience. Néanmoins, nous ne pouvons que déplorer que celle-ci soit si tardive.

Alors que notre groupe n’a cessé de dénoncer le passage en force du précédent gouvernement, l’exécutif n’a pas pris la mesure de la situation plus rapidement. Nous avons inlassablement réclamé un report des élections, préalable indispensable à un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie qui intégrerait éventuellement la question du dégel du corps électoral. En effet, ce n’est ni à l’État ni même aux parlementaires de se substituer aux parties prenantes en imposant un calendrier. L’État doit être un accompagnateur, un arbitre facilitateur de la recherche d’un consensus.

Les faits sont têtus, et l’histoire en a gardé la trace : depuis les accords de Matignon-Oudinot en 1988 et l’accord de Nouméa en 1998, cette méthode a fait ses preuves. Ce sont des précédents incontournables dont il faut s’inspirer pour bâtir un destin commun des communautés qui résident en Nouvelle-Calédonie.

Pour obtenir cette situation apaisée, il faut reprendre le chemin de la concertation et des négociations. Grâce aux accords de 1988 et 1998, la Nouvelle-Calédonie est heureusement dotée d’institutions locales, qui non seulement demeurent des espaces de médiation, mais aussi attribuent aux autorités locales le rôle de dernier rempart contre l’effondrement du territoire.

Vous le savez, monsieur le ministre, pour résoudre la crise politique, il y a deux priorités : bien sûr, acter le report des élections territoriales ; mais aussi répondre à l’urgence économique, sociale et humanitaire en Nouvelle-Calédonie.

Pour satisfaire la première urgence, la présente proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie en 2025 semble indispensable. Elle est d’ailleurs considérée comme telle par les premiers concernés : j’en veux pour preuve l’avis favorable et quasiment unanime rendu hier par le congrès de la Nouvelle-Calédonie sur ce texte, par 47 voix sur 50 au total. Le premier report en janvier 2024 n’avait obtenu que 38 voix favorables.

Tous les groupes politiques néo-calédoniens s’accordent donc sur ce constat : il faut prendre tout le temps nécessaire pour élaborer un nouvel accord. En demandant un report, notre groupe souhaite précisément inscrire ces enjeux dans le temps long ; il croit à une démarche de médiation, de dialogue et de négociation permettant d’aboutir à un accord global. Il vise ainsi un but d’intérêt général.

Que le Gouvernement ait repris notre texte à son compte et qu’il l’ait inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée qui lui est réservé montre une volonté, que j’espère durable, de renouer le fil du dialogue dont dépend la pérennité du redressement économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

Cette remarque m’amène à la seconde urgence : la dégradation très préoccupante de la situation sociale, économique et humanitaire du territoire depuis le début des émeutes en mai dernier.

En regard de la situation – plus de 700 entreprises et 6 000 emplois ont déjà disparu, 25 000 personnes sont au chômage partiel ou total et la facture des dégâts causés aux infrastructures publiques et privées est estimée à 2,2 milliards d’euros –, l’aide de 400 millions d’euros versée jusqu’à présent par l’État paraît largement insuffisante.

De plus, les troubles à l’ordre public perdurent en dépit du déploiement des forces de l’ordre, ce qui crée d’évidentes difficultés matérielles et rend impossible l’organisation d’opérations électorales dans les prochaines semaines.

Le gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie a présenté à la fin août un plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction destiné à bâtir un nouveau modèle économique et sociétal.

Le congrès a également adopté une résolution faisant appel à la solidarité nationale qui prend la forme d’un plan quinquennal prévu jusqu’en 2029, dont le montant est évalué à 4,2 milliards d’euros, dégressif sur les cinq prochaines années et destiné à soutenir trois secteurs prioritaires : les collectivités locales et les régimes sociaux ; les personnes privées d’emploi et la préservation de l’accès aux soins ; enfin, le soutien aux entreprises et le sauvetage de l’industrie du nickel.

Je souhaite que l’examen du projet de loi de finances pour 2025 soit l’occasion pour le Gouvernement de prouver son intérêt pour la Nouvelle-Calédonie. Si, d’aventure, ce plan quinquennal ne trouvait pas de traduction budgétaire concrète, les parlementaires ne manqueront pas d’agir par voie d’amendement à l’occasion de la discussion budgétaire.

Monsieur le ministre, pour reprendre les termes du Conseil d’État, la gravité du contexte et l’ampleur de la dégradation des conditions de vie en Nouvelle-Calédonie compromettent la sérénité nécessaire tant au dialogue qu’à l’organisation du scrutin provincial avant le 15 décembre 2024.

Je souhaite donc insister encore une fois sur quelques conditions préalables pour rétablir le dialogue avec les Néo-Calédoniens.

En premier lieu, il faut confirmer que la réforme constitutionnelle est retirée, et non simplement ajournée.

En deuxième lieu, il faut créer et envoyer en Nouvelle-Calédonie une mission de dialogue déconnectée de l’exécutif et chargée d’écouter toutes les parties : cela permettra d’envoyer un signal fort aux habitants et, ainsi, de rétablir des relations de confiance.

En troisième et dernier lieu, il faut créer une instance permanente et commune au sein du Parlement, de type délégation, à l’image des comités de signataires qui ont jalonné le suivi de l’accord de Nouméa.

Monsieur le ministre, n’oubliez pas que la situation actuelle révèle les profondes inégalités qui perdurent entre les communautés, en dépit d’une politique très volontariste et des mesures prises par l’État depuis 1988. Pour compenser les torts subis par les Kanaks, il est indispensable de réfléchir à une solution institutionnelle innovante et consensuelle.

En guise de conclusion, je tiens à remercier la commission des lois qui, en adoptant ce texte, a reconnu qu’il satisfaisait aux exigences constitutionnelles, notamment du fait du caractère exceptionnel et transitoire du report, ainsi que du but, évidemment d’intérêt général, qu’il vise.

En adoptant trois amendements, la commission a également sécurisé juridiquement notre dispositif : elle en a amélioré la lisibilité, conformément aux recommandations du Conseil d’État, et en a garanti l’opérationnalité et l’application en temps utile, en prévoyant son entrée en vigueur dès le lendemain de la publication du texte au Journal officiel, afin qu’il puisse produire tous ses effets avant le 17 novembre 2024, date limite de convocation du corps électoral.

Le texte qui vous est soumis, mes chers collègues, constitue le prérequis indispensable à un retour de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Mon groupe politique le votera, et je ne puis que vous inviter à en faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. Je ne pensais pas reprendre la parole, mais je souhaite tout de même apporter deux précisions, en réponse à l’intervention de M. Robert Wienie Xowie.

Il convient de bien distinguer deux notions, l’indépendance et de décolonisation, car il ne s’agit pas tout à fait de la même chose. Si le processus politique et institutionnel engagé par l’accord de Nouméa s’est achevé au terme des trois consultations, il ne saurait emporter la fin du processus de décolonisation culturelle, économique et sociale. Le Gouvernement poursuivra les actions qui ont été engagées en la matière par ceux qui l’ont précédé. Je tenais à préciser ce point, afin qu’il n’y ait pas de défaut d’interprétation.

Peut-être ai-je été un peu rapide en répondant à la question d’actualité qui m’a été posée aujourd’hui ; je profite donc de l’occasion qui m’est offerte par ce débat pour vous donner ces explications de la façon la plus claire possible – tout au moins je l’espère.

Je souhaite aussi apporter une réponse d’ordre économique, notamment à la question posée par Mme Jocelyne Guidez.

Voilà ce qu’il en est à la suite de mon déplacement, la semaine dernière, dans l’île. Chacun doit avoir en tête que les transferts de fonds de l’État pour la Nouvelle-Calédonie s’élèvent chaque année à un peu plus de 1,7 milliard d’euros ; c’est la situation normale.

Pour 2024, le précédent gouvernement avait annoncé l’attribution de 400 millions d’euros supplémentaires.

Au titre du budget pour 2024, seront dégagés 250 millions d’euros pour le soutien aux collectivités et le chômage partiel. Il faut y ajouter 4 millions d’euros en vue de permettre à la province Sud de continuer à financer les navettes maritimes qui ont été mises en place, la route de Saint-Louis étant encore dangereuse ; ce dispositif sera donc pris en charge par l’État.

Vous l’avez rappelé, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit des crédits à hauteur de 500 millions d’euros : il s’agit de faire bénéficier les collectivités locales d’un prêt qui leur permettra de régler leur problème de garanties ; s’y ajouteront 170 millions d’euros de garanties supplémentaires.

Quant à la circulaire dite de reconstruction, elle prévoit la prise en charge de dépenses de guichet. Il y est ainsi indiqué, à destination des collectivités locales, notamment des communes, que l’État financera à hauteur de 100 % la reconstruction des écoles et à 70 % celle des autres bâtiments publics.

Si l’on additionne les montants inscrits dans le budget pour 2024 et ceux qui sont prévus dans le projet de budget pour 2025, indépendamment d’autres points qui pourraient évoluer, nous parvenons à un total un peu supérieur à 1,3 milliard d’euros consacrés au redressement de la Nouvelle-Calédonie.

Je tenais à vous apporter ces précisions, car il convient de distinguer, d’une part, les chiffres qui sont parus et qui figurent dans le projet de loi de finances, et, d’autre part, ceux qui sont inscrits dans les décisions que nous avons prises la semaine dernière.

Pour conclure, je veux dire qu’il existe en effet deux plans : d’une part, le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R), qui est celui du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; d’autre part, le plan émanant du groupe transpartisan du congrès de la Nouvelle-Calédonie, que nous avons également reçu. Il ne faut pas opposer les deux ! Tout l’enjeu consiste à trouver des points de convergence.

Ces plans étant pluriannuels, d’une durée de trois, quatre, voire cinq ans – nous engagerons à cet égard des discussions avec l’ensemble de ces élus –, il faudra bien que les finances suivent.

On se rend donc bien compte, à la réflexion, que tout n’est pas terminé et que l’on aboutira sans doute à des sommes encore plus importantes, qui s’ajouteront aux contributions annuelles et tout à fait classiques de l’État.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie

Article 1er

Par dérogation au premier alinéa de l’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province, prévues au plus tard le 15 décembre 2024 par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ont lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l’article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Les mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province prennent fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Xowie, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Remplacer le mot :

novembre

par le mot :

mai

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement vise à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie à mai 2025, au lieu de novembre 2025.

Le calendrier politique que je propose vise à procéder à une nouvelle réforme constitutionnelle du corps électoral.

Par ailleurs, avancer les élections provinciales au 3 mai 2025 permettrait de retrouver une légitimité nouvelle en vue d’engager les prochaines discussions sur l’avenir de l’île, condition sine qua non pour parvenir à la paix sociale en Kanaky-Nouvelle Calédonie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Nous comprenons, mon cher collègue, votre souhait que les négociations soient menées par des personnalités légitimes. Et, en effet, pour trouver un accord et renouveler le congrès, le plus tôt sera le mieux.

Cependant, la commission considère qu’il convient de desserrer l’étau du calendrier, afin d’éviter ce qui pourrait être perçu comme de nouvelles pressions. C’est pourquoi nous préférons le délai maximal autorisé par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’État, et retenons la date du 30 novembre 2025 au plus tard.

Bien entendu, il appartient au Gouvernement et aux parties prenantes locales en Nouvelle-Calédonie – ce ne sont pas seulement les élus – de décider du cadre et du calendrier de négociation. Si vous parveniez à un accord permettant d’organiser les élections beaucoup plus tôt que la date prévue dans la proposition de loi, nombreux seraient les parlementaires qui seraient heureux de vous accompagner dans la mise en œuvre législative dudit accord !

Néanmoins, en attendant, la commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Il est défavorable, mais je vais tenter avec espoir, monsieur le sénateur Xowie, de vous convaincre de retirer votre amendement.

Il y a quelques mois, rappelez-vous, le texte du précédent gouvernement prévoyait que tout devait être arrêté au début du mois de juillet et fixait la date des élections à la fin du mois décembre suivant. J’avais alors, dans ces circonstances différentes et tandis que j’occupais une autre fonction, plaidé pour que l’on reporte le délai, non pas au mois de juillet, mais au début du mois de décembre, afin de laisser du temps pour la discussion et la conclusion de l’accord.

Je suis exactement dans le même état d’esprit : le report des élections au mois de novembre 2025 a aussi pour objectif de disposer d’un temps suffisant, afin que chacun puisse discuter.

Il ne faut pas oublier que des délais administratifs absolument incompressibles, qui sont de l’ordre de six mois, s’appliquent pour la préparation de l’élection provinciale. Si votre amendement était adopté, il faudrait donc trouver un accord avec l’ensemble des élus de Nouvelle-Calédonie d’ici au mois de décembre ! Objectivement, c’est compliqué,…

Mme Laurence Harribey. Même si c’est à Noël ! (Sourires.)

M. François-Noël Buffet, ministre. … même pour ceux qui, comme moi, croient encore un peu au père Noël. (Nouveaux sourires.) L’adoption de cet amendement poserait donc une véritable difficulté.

Certes, rien n’empêcherait de tenir la date que vous proposez si l’on obtenait un accord rapidement ; pour autant, il ne faut pas trop se contraindre. La fin novembre 2025 me paraît une date adaptée. Nous allons ouvrir la discussion et nous verrons bien si elle avance vite ou moins vite… Et quoi qu’il en soit, elle se tiendra dans des conditions moins contraignantes.

C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement. Mais si vous acceptiez de le retirer, monsieur Xowie, ce serait parfait !

Mme la présidente. Monsieur Xowie, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Robert Wienie Xowie. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Mme la rapporteure et M. le ministre viennent de le rappeler, borner le report des élections provinciales au mois de mai 2025, comme le propose notre collègue Xowie, entraînerait un risque : il faudrait réengager une procédure législative en cas de léger retard. Il est donc plus raisonnable, par sécurité, de ne pas modifier le délai maximal proposé par le Conseil d’État.

Toutefois, comme je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, je prendrai une part importante à ce débat. J’encourage vivement le Gouvernement à prévoir l’organisation des élections au premier semestre de 2025. J’ai en effet expliqué pourquoi, au vu des conditions, il fallait y procéder le plus rapidement possible.

Le premier semestre 2025 présente un double intérêt : tout d’abord, la certitude qu’il n’y aura alors aucune interférence électorale ; ensuite, une échéance suffisamment en amont des élections municipales qui auront lieu au début de 2026.

Je m’oppose à cet amendement pour ces raisons, mais aussi parce que nous, les insulaires, n’aimons pas que l’on nous mette la pression – cela a été dit au cours de nos discussions. En nous imposant une date, au mois de mai ou de juin, on risque de recréer les conditions que l’on a connues dans le passé…

Laissons-nous du temps, même si notre rôle, aux uns et aux autres, est de parvenir à une solution le plus tôt possible.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. J’entends ce que dit mon collègue Georges Naturel. Pour ma part, j’interviens ici à titre personnel, et certains membres de mon groupe ne partageront peut-être pas mon point de vue.

Je viens de vous entendre, monsieur le ministre, répondre à Robert Wienie Xowie qu’il ne fallait pas mélanger processus de décolonisation et demande d’indépendance. Ce faisant, vous procédez à une partition, une division, du processus de décolonisation.

Pour ma part, j’exhorte le Gouvernement – je le supplie, même ! – d’ouvrir le champ des possibles. Si vous avez confiance dans la République française et dans ses promesses, il faut laisser les Calédoniens libres de décider !

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que la discussion sera réduite, jusqu’en novembre 2025, uniquement aux sujets économiques, sociaux et culturels. Et le politique ? Il y a des peuples qui peuvent s’autodéterminer !

Je vous incite donc, encore une fois, à ouvrir le champ des possibles et à évoquer toutes les possibilités, y compris l’hypothèse d’un État associé. Ce seront les Calédoniens qui décideront. Ne restreignez pas le champ de la discussion !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Tout d’abord, monsieur le ministre, je veux vous remercier de la qualité de nos échanges. Elle est particulièrement importante sur ce sujet. Pourtant, comme l’ont rappelé les différents orateurs, elle avait fait défaut, l’an dernier, lorsque nous avions débattu de cette question.

J’entends les arguments, factuels et difficilement réfutables, que vous avez donnés. J’aimerais cependant que chacun comprenne bien l’objet de cet amendement.

Bien évidemment, notre collègue Robert Wienie Xowie n’a pas voulu que l’on choisisse une date, comme on jouerait au loto, uniquement pour contrer la proposition de report des élections au mois de novembre.

Mai 2025, ce sera un an après la date des élections initialement prévues. Nous souhaitons donc reporter non pas d’un an, mais de plus d’un an et demi les élections envisagées au départ.

Je ne souhaite pas le pire, bien entendu, et les positions des uns et des autres, y compris hier matin au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie, ont été très claires sur ce point. Mais nous serions bien prétentieux et orgueilleux, à rebours de l’humilité qui est indispensable lorsque l’on traite du sujet calédonien, si nous affirmions avec force et certitude que nous n’avons à craindre aucune embûche en décidant que les élections se tiendront en novembre prochain.

Vous comprendrez donc que notre collègue veuille maintenir son amendement. Il s’agit non pas d’en faire un sujet irréductible, qui conditionnerait tout vote et toute discussion par la suite, mais d’acter, y compris en vue du débat à l’Assemblée nationale, que le report d’un an respecte davantage le temps démocratique que celui qui est prévu dans la présente proposition de loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 2 (nouveau)

Les fonctions des membres des organes du congrès en cours à la date de la promulgation de la présente loi organique sont prorogées jusqu’au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique. – (Adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Article 3 (nouveau) (début)

Article 3 (nouveau)

La présente loi organique entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, manifestement, nous allons sortir par le haut de cette crise institutionnelle, économique et sociale, tout au moins au niveau du Sénat. J’espère que nos collègues de l’Assemblée nationale confirmeront le vote important qui sera exprimé dans quelques instants par scrutin public sur cette proposition de loi organique.

J’ai retrouvé la Lettre à tous les Français, qui fut publiée par François Mitterrand le 7 avril 1988 et qui, je pense, pourrait nous inspirer. Permettez-moi d’en citer quelques phrases : « La Nouvelle-Calédonie avance dans la nuit, se cogne aux murs, se blesse. La crise dont elle souffre rassemble, en miniature, toutes les composantes du drame colonial. Il est temps d’en sortir. »

François Mitterrand écrivait dans le même document : « Le garant de [la] paix [en Nouvelle-Calédonie] […] ne peut être que la République française. Il n’est pas d’autre arbitre. » Il disait aussi : « La France ne peut être arbitre que si sa parole inspire confiance. » On reconnaît ici la plume de l’ancien Président de la République… Je m’associe bien sûr, très modestement, à ces propos. Nous n’ajoutons qu’une petite pierre à l’édifice…

À ce stade de notre débat, je tiens à saluer le travail accompli en Nouvelle-Calédonie par deux personnages politiques majeurs, aujourd’hui disparus : Jean-Marie Tjibaou, qui est mort assassiné, et Jacques Lafleur.

Le 26 juin 1988, Michel Rocard, dans un communiqué de presse saluant les accords de Matignon, disait d’eux : « Ceux qui, à Paris, ont parlé en votre nom, ont fait preuve de courage et de responsabilité. Sans rien abandonner, ils ont su donner et pardonner. Je veux vous aider à réussir votre destin par la réconciliation, la solidarité et la construction de l’avenir. Je suis sûr que les Français, tous les Français, nous y aideront. »

Que ces mots, mes chers collègues, puissent inspirer notre action pour la Nouvelle-Calédonie ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Je tiens à vous remercier, mes chers collègues, des échanges que nous avons eus aujourd’hui, et à souligner trois points.

Tout d’abord, la situation économique de la Nouvelle-Calédonie est catastrophique. Si l’on veut permettre aux Calédoniens, ainsi qu’à l’ensemble de nos concitoyens, d’être sereins et d’avoir un débat politique sérieux, il faudra que l’État nous accompagne ; nous en débattrons lors de l’examen du budget.

Ensuite – ce point est très important –, le débat politique ne doit pas se tenir dans la rue. Je souhaite ardemment qu’il se déroule de manière démocratique. À cet égard, les campagnes et les échéances électorales me paraissent essentielles, en particulier en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, permettez-moi de vous livrer mon sentiment. Nous avons parlé aujourd’hui de dates et de bien d’autres choses. Mais, puisque je vais retourner demain en Nouvelle-Calédonie pour deux ou trois semaines – j’y serai lors de la venue du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale –, je veux dire que ce sont les cœurs qu’il s’agit de reconstruire. Nous avons besoin, les uns et les autres, de sérénité pour reconstruire la société calédonienne, ce à quoi je m’attellerai de toutes mes forces.

Bien sûr, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je l’ai dit précédemment, il nous faut aborder ce sujet avec beaucoup d’humilité, notamment pour définir la notion, centrale dans nos débats, de légitimité.

La légitimité procède évidemment du fait de disposer d’institutions en état de fonctionner, afin que les budgets puissent être votés d’ici à la fin de l’année. Elle découle également de la capacité de se projeter vers l’avenir, pour reconstruire en évitant de nouveaux drames.

Je tiens à dire très sincèrement, et avec beaucoup de solennité, que la situation que connaît la Nouvelle Calédonie-Kanaky ne peut être comparée au drame de la tempête Erika. Ce n’est pas une catastrophe naturelle qui a frappé l’île au printemps dernier !

Cette situation est le résultat de décisions politiques qui se sont accumulées et du choix de certains d’écouter non pas l’ensemble des forces en présence, mais seulement certaines, et parfois même une seule. Pourtant, de nombreux collègues l’ont rappelé, plusieurs alertes avaient été lancées par le Sénat et l’Assemblée nationale, mais surtout par le congrès de la Nouvelle-Calédonie !

Se pose aussi la question de la légitimité démocratique et politique de celles et ceux qui seront, dans l’année qui vient, les acteurs de la reconstruction.

Nous ne voulons pas bloquer les choses et nous pensons que ce débat doit se poursuivre jusqu’à l’Assemblée nationale. Mais nous savons qu’il existe des cultures différentes. Ainsi, lorsque le mot « palabrer » désigne dans l’Hexagone une discussion dérisoire, il prend tout son sens en Nouvelle-Calédonie pour construire du commun et aboutir à une solution positive pour toutes et tous.

Nous nous abstiendrons lors du vote sur cette proposition de loi. Une abstention qui doit, nous n’en doutons pas, permettre à ce texte de trouver une issue à l’Assemblée nationale !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique dans le texte de la commission.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 324
Contre 0

Le Sénat a adopté la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE-K.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures vingt-six.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

9

Réforme du financement de l’audiovisuel public

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, présentée par M. Cédric Vial, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Roger Karoutchi, M. Laurent Lafon et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 720, texte de la commission n° 41, rapport n° 40).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Cédric Vial, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Vial, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pourquoi sommes-nous là ? Parce qu’il fallait bien trouver une solution !

Depuis la suppression de la redevance, dite aussi contribution à l’audiovisuel public, entrée en application le 1er janvier 2022, les médias publics et le secteur audiovisuel public dans son ensemble vivent sous la menace de la budgétisation.

Sous la menace seulement : en effet, le débat parlementaire, lors de l’examen de la loi de finances rectificative du 16 août 2022, a conduit au maintien du compte de concours financier via la substitution d’une fraction du produit de la TVA à la redevance. Mais ce mode de financement ne pouvait être que provisoire et sa pérennisation nécessitait – ou nécessite – une modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) avant la fin de l’année 2024, ce qui laissait trois ans au Gouvernement pour se retourner et trouver une solution.

Trois ans plus tard – trois ans sans décision, sans action de la part du Gouvernement –, nous sommes réunis, au dernier moment, pour valider une solution parlementaire issue du Sénat.

Je partage l’initiative de cette proposition de loi organique avec mes collègues Catherine Morin-Desailly, Roger Karoutchi et Laurent Lafon, cosignataires de ce texte, que je considère comme une œuvre collective.

Je souhaite également rendre un hommage appuyé à nos anciens collègues députés, Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, qui avaient pris l’initiative de trouver une solution avant que la dissolution ne vienne en empêcher la mise en œuvre.

C’est au cœur de l’été, le 10 juillet dernier, que j’ai repris le flambeau, afin de garantir le financement de l’audiovisuel public par un financement affecté, d’assurer son indépendance et de le mettre à l’abri des modifications infra-annuelles. Seule une initiative sénatoriale, composée en lien avec la commission des finances et selon les standards budgétaires qui lui sont chers, permettait d’atteindre cet objectif.

Je remercie Jean-Raymond Hugonet, rapporteur du texte, mais aussi fin connaisseur du paysage audiovisuel français, de sa collaboration et de son expertise, ainsi que le président de la commission des finances et le rapporteur général, Jean-François Husson, de la constance de leur soutien sur ce dossier.

Je tiens aussi à remercier le président Gérard Larcher pour son engagement à permettre une inscription rapide du texte à l’ordre du jour du Sénat. Nous savons désormais que l’Assemblée nationale l’examinera, quant à elle, le 19 novembre prochain.

Je souhaite également remercier le Premier ministre Michel Barnier, que j’ai sensibilisé, très tôt après sa nomination, à l’importance de ce texte, de son entier soutien : au vu de l’urgence de la situation, il a permis que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour d’une semaine réservée au Gouvernement.

Enfin, je souhaite vous remercier, madame la ministre, chère Rachida Dati, car c’est à compter de votre nomination que le dossier a enfin été repris et étudié sérieusement. Auparavant, mes initiatives, tout comme celles de Jean-Raymond Hugonet ou de mes collègues de la commission de la culture du Sénat – je pense notamment à Laure Darcos, que je salue –, ne recevaient pas de réponse ou, plus étonnant encore de la part d’une ministre, recevaient de votre prédécesseure une réponse non pas au nom du Gouvernement – car elle ne voulait pas engager la responsabilité de celui-ci –, mais « à titre personnel », ce qui faisait disparaître complètement l’importance de l’enjeu.

Ce texte, dont la rédaction initiale était somme toute déjà assez simple, a été utilement précisé et simplifié par la commission des finances et son rapporteur, que je remercie de nouveau de son travail en lui réaffirmant mon soutien total à l’ensemble des modifications qu’il a jugé bon d’apporter au texte.

La principale d’entre elles est la suppression de l’article 2, qui instaurait un traitement différencié pour Arte France par rapport aux autres sociétés et établissements de l’audiovisuel public. Ce traitement différencié s’expliquait par la particularité du fonctionnement de cette chaîne, qui est régie par un traité international conclu le 2 octobre 1990 entre la France et l’Allemagne.

Après les différentes auditions et le travail réalisés par la commission, nous avons acquis la certitude – je dirais même la conviction – qu’une telle différence de traitement ne se justifiait ni sur le plan du droit ni sur celui des principes et que les règles d’indépendance nécessaires au bon fonctionnement d’Arte, comme à celui des autres sociétés d’ailleurs, ne seraient aucunement remises en cause.

La part de TVA qui sera votée en valeur absolue, comme le texte le précise désormais, est même une garantie, une protection supplémentaire, par rapport au dispositif initialement envisagé du prélèvement sur recettes (PSR).

M. Victorin Lurel. Sauf s’il y a une régulation !

M. Cédric Vial, rapporteur. Justement, il n’y en a plus grâce à ce système.

M. Victorin Lurel. Ce n’est pas certain…

M. Cédric Vial, rapporteur. Pourquoi la budgétisation est-elle une menace ? Parce qu’elle modifie en profondeur la relation entre le Gouvernement et le média concerné. En effet, dans ce cas, le Gouvernement a le pouvoir d’intervenir sur les montants affectés en cours d’année, comme pour n’importe quelle autre politique publique.

C’est de cette manière qu’il est possible pour le pouvoir de faire pression sur les médias, par des interventions remettant en cause un principe cher à nos amis allemands, que je me contenterai de dire en français : celui de l’éloignement vis-à-vis de l’État, source d’indépendance.

C’est cet éloignement du pouvoir et cette absence d’intervention du Gouvernement dans les médias qui permettent, notamment à l’étranger, de distinguer un média français d’un média de la France. Dans certains pays – et je pense notamment aux journalistes et salariés de France Médias Monde –, c’est tout simplement l’autorisation d’émettre qui peut en dépendre.

Il est maintenant nécessaire que cette proposition de loi organique soit adoptée. Même si je sais que certains, notamment à gauche, auraient souhaité une solution fiscale différente – mais ni le temps dont nous disposons ni le contexte actuel ne nous permettraient d’atteindre quelqu’autre résultat –, je compte sur l’esprit de responsabilité de mes collègues, sur toutes les travées, pour voter ce texte, qui sert une cause juste. J’espère ne pas prendre trop de risques en m’avançant ainsi.

Je souhaite que nos collègues députés fassent preuve du même esprit de responsabilité, afin que les dispositions de cette loi organique puissent être prises en compte dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Nous aurons ensuite d’autres discussions, notamment sur le montant du financement dans le cadre du PLF puis sur le contenu des missions de service public, qui en sont la contrepartie, lors des débats sur les contrats d’objectifs et de moyens (COM), en cours d’instruction.

Nous aurons immanquablement une discussion sur la gouvernance et l’organisation de l’audiovisuel public, madame la ministre, avec la reprise de l’examen, que nous appelons de nos vœux, de la proposition de loi dite Lafon.

Mais le sujet qui nous occupe et nous préoccupe aujourd’hui, c’est celui de la liberté et de l’indépendance des médias, celui de la qualité et de la fiabilité de l’information et des médias publics. C’est un fondement de notre démocratie que nous confortons : il est de notre devoir d’y prendre part. Je suis certain, mes chers collègues, que vous serez tous au rendez-vous, à nos côtés.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient d’examiner aujourd’hui la proposition de loi organique portant réforme de l’audiovisuel public déposée notamment par nos collègues Cédric Vial, Catherine Morin-Desailly, Roger Karoutchi et Laurent Lafon.

Un bref rappel historique s’impose : dès 2017, nous savions qu’il serait nécessaire de trouver un nouveau mode de financement pour l’audiovisuel public du fait de la disparition programmée de la taxe d’habitation à laquelle la redevance était adossée. Or les gouvernements successifs n’ont rien anticipé.

En 2022, le Président de la République a opportunément annoncé la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. Nous avons donc été contraints de trouver en hâte, au milieu de l’été, une solution de substitution. Dans l’urgence, le Parlement avait alors prévu que l’audiovisuel public serait financé par une part de taxe sur la valeur ajoutée. Il ne s’agissait en aucun cas d’une solution miracle !

Sur le fond, la substitution de la contribution à l’audiovisuel public par de la TVA a conduit à faire peser le financement de l’audiovisuel public sur l’ensemble des consommateurs. Elle a également contribué à disperser la TVA, alors que l’État perçoit désormais moins de la moitié de son produit.

Sur la forme, cette solution présentait également le défaut d’être temporaire. Loin de n’avoir émergé qu’au cours des dernières semaines, la nécessité d’une réforme de la loi organique relative aux lois de finances sur l’audiovisuel public avait été soulignée par le Sénat dès l’été 2022.

Lors de la réforme de la Lolf de 2021, il avait été décidé d’introduire une condition de lien entre la ressource publique affectée et la mission de service public. Cette modification est entrée en vigueur lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2025 : désormais, les organismes publics ne peuvent bénéficier d’une taxe affectée que si celle-ci est en lien avec les missions qu’ils exercent.

L’affectation d’une part de TVA, qui est un impôt de grande consommation, ne satisfait pas cette condition. Sans révision de la loi organique, le mécanisme de financement retenu depuis 2022 ne pourrait être reconduit.

C’est la raison pour laquelle les auteurs de la présente proposition de loi organique ont pris cet été la décision de déposer un texte permettant de sortir de cette impasse dans l’urgence.

À défaut, nous serions contraints de financer l’audiovisuel public, comme l’a dit Cédric Vial, par des crédits budgétaires. C’est d’ailleurs le cas dans le PLF tel qu’il vient d’être déposé en attendant l’éventuelle adoption de cette proposition de loi organique.

Les sociétés d’audiovisuel public perçoivent le système de financement par crédits budgétaires comme moins protecteur ; elles soulèvent des motifs d’inquiétude quant aux enjeux symboliques qui en découleraient, notamment sur le plan international. Au vu de l’urgence à trouver un mécanisme satisfaisant, la budgétisation ne paraît donc pas souhaitable.

J’en viens maintenant au contenu de la proposition de loi organique.

L’article 1er modifie l’article 2 de la Lolf afin d’inclure les sociétés d’audiovisuel public parmi les organismes pouvant bénéficier d’impôts d’État. Il devrait permettre de prolonger l’affectation d’un montant de TVA lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

Cette solution a pour avantage d’être déjà expérimentée par ces sociétés depuis deux ans sans avoir suscité de difficultés particulières. J’ai entendu l’ensemble des présidentes et présidents d’organismes de l’audiovisuel public au cours des dernières semaines, tous me l’ont confirmé.

L’amendement adopté, sur ma proposition, par la commission des finances a permis de clarifier les choses : il est prévu de reconduire intégralement le mécanisme actuel, en affectant un montant d’impôt d’État à l’audiovisuel public.

Cette précision permettra d’éviter une évolution automatique, à la hausse comme à la baisse, du montant versé chaque année à l’audiovisuel public, ce qui aurait pu être le cas si nous avions opté pour l’affectation d’une fraction en proportion de TVA.

Je note ici que le vocable de « pérennisation » du financement de l’audiovisuel public, fréquemment utilisé dans le débat public, ne saurait s’appliquer au montant des ressources accordées.

Il n’est bien sûr pas possible – et c’est heureux – sur le plan constitutionnel de fixer une trajectoire pluriannuelle contraignante. Le Parlement doit voter annuellement le montant des ressources accordées aux sociétés d’audiovisuel public, dans le respect des garanties constitutionnelles d’indépendance des médias et de préservation du pluralisme. C’est le cas avec l’affectation de TVA comme avec la mise en place d’un prélèvement sur recettes.

En ce qui concerne précisément les prélèvements sur recettes, la commission des finances a fait le choix, sur mon rapport, de supprimer l’article 2 de la proposition de loi organique, qui permettait de mettre en place un PSR au bénéfice d’Arte. Comme les autres organismes d’audiovisuel public, la chaîne Arte est financée par une fraction de TVA depuis 2022.

Cet article soulevait plusieurs difficultés. Le mécanisme des prélèvements sur recettes est actuellement limité à l’Union européenne et aux collectivités territoriales. Nous avons d’ailleurs régulièrement l’occasion d’examiner, dans le cadre des projets de loi de finances, des amendements portant sur des PSR à destination des collectivités, en premier lieu la célèbre dotation globale de fonctionnement. La modification prévue par l’article 2 revenait à mettre sur le même plan collectivités territoriales, Union européenne et Arte France.

Ce mécanisme, dérogatoire par rapport aux principes budgétaires, est strictement encadré par la jurisprudence constitutionnelle. Il n’apparaissait donc pas opportun de l’étendre à d’autres organismes. Il n’y a pas de raison de considérer que seul l’audiovisuel public pourrait se voir attribuer un prélèvement sur recettes : d’autres entités pourraient, elles aussi, avancer à l’avenir l’argument de la protection de leur indépendance pour bénéficier d’un tel mécanisme.

En outre, les prélèvements sur recettes n’apportent aucune garantie supplémentaire pour les sociétés d’audiovisuel public par rapport à une part de fiscalité affectée. En effet, le montant d’un prélèvement sur recettes n’est qu’évaluatif. Il peut être minoré en loi de finances, tout comme un montant de taxe affectée. Il n’offre aucune visibilité pluriannuelle supplémentaire. À ce titre, le PSR ne répond pas plus aux engagements internationaux d’Arte que l’affectation d’une fraction de TVA.

La rédaction adoptée en commission permet donc à Arte France de bénéficier, au même titre que les autres sociétés d’audiovisuel public, du mode de financement ouvert par l’article 1er.

Je n’en fais pas mystère, madame la ministre : l’audiovisuel public doit, selon moi, se réorganiser très rapidement, et je sais que vous partagez ce point de vue.

Je regrette que le parcours législatif de la proposition de loi de notre collègue Laurent Lafon, que je salue, adoptée par notre assemblée en 2023, ait été interrompu sine die par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Néanmoins, nous devons prendre nos responsabilités pour assurer à court terme un financement pérenne et lisible pour l’audiovisuel public. Il faut aller vite. Si le texte arrive au bout de son parcours législatif avant l’adoption du projet de loi de finances pour 2025, nous pourrons en tirer les conséquences lors de l’examen dudit PLF par le Sénat.

Le Gouvernement est conscient de l’urgence, puisqu’il a inscrit la proposition de loi à l’ordre du jour de sa semaine réservée et engagé la procédure accélérée.

Je remercie Mme la ministre de la culture, avec qui nous travaillons en bonne intelligence sur ce texte très attendu par l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier Cédric Vial, le rapporteur Jean-Raymond Hugonet et Roger Karoutchi, dont je connais l’engagement pour assurer la pérennité de l’audiovisuel public et de son financement. Je veux aussi rendre hommage à Catherine Morin-Desailly et à Laurent Lafon, avec lequel nous travaillons non seulement sur les sujets relatifs à l’audiovisuel public, mais aussi plus largement sur l’ensemble des questions qui concernent le ministère de la culture.

J’ai été d’emblée disposée à soutenir ce texte quand nous avons commencé à en parler avec Cédric Vial. En effet, la dissolution a laissé inachevé le travail sur la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, indissociable de la sanctuarisation de son financement, qui n’était pas assurée au moment où j’ai pris mes fonctions. Il fallait, à mon sens, donner un signal fort de notre engagement à ce que l’audiovisuel public demeure indépendant, notamment au travers de son mode de financement.

Il n’est pas habituel qu’une ministre de la culture soit au banc pour débattre d’une révision de la loi organique relative aux lois de finances. Tout arrive, et je me réjouis d’apporter mon soutien à ce texte. C’est un signal fort d’appartenance de l’audiovisuel public au paysage culturel français, qui ne saurait servir de simple variable d’ajustement budgétaire.

Dès mon arrivée au ministère de la culture, j’ai affirmé que l’audiovisuel public devait être renforcé – c’est une conviction profonde, qui était déjà mienne avant ma nomination –, et son financement sanctuarisé.

Or le mode de financement de notre audiovisuel public adopté en 2022 ne court que jusqu’à la fin de l’année 2024. Comme l’a clairement expliqué M. le rapporteur, le choix d’un financement par une quote-part de TVA était provisoire. La Lolf ne permet pas de maintenir ce dispositif au-delà de 2024.

La réforme de la gouvernance, que j’ai portée depuis ma nomination, allait de pair avec celle du financement : nous étions d’accord pour défendre ces deux réformes. Je me suis également appuyée sur la proposition de loi Lafon.

Jusqu’alors, aucun arbitrage n’avait été fait sur ce qui allait advenir du financement après le 31 décembre : dans le cadre de la réforme de la gouvernance, j’ai pu convaincre, grâce à votre soutien, mesdames, messieurs les sénateurs, et à celui du Premier ministre, comme l’a rappelé Cédric Vial, de la nécessité d’en assurer la sanctuarisation.

Sur la gouvernance, nous avons beaucoup échangé et j’ai pris le temps de l’écoute. J’ai conscience que la réforme ne fait pas l’unanimité : certains prônent la suppression ou la privatisation de l’audiovisuel public ; pour ma part, je souhaite le renforcer.

Les travaux parlementaires du printemps ont été interrompus. La présente proposition de loi organique nous donne l’occasion de discuter de nouveau de cette ambition d’ensemble.

Pour un audiovisuel public fort, j’ai la conviction qu’il faut un financement fort, ce qui passe par une sanctuarisation. C’est ce à quoi nous invite le règlement européen sur la liberté des médias, aux termes duquel les médias de service public doivent disposer « de ressources financières suffisantes, durables et prévisibles » à même de préserver leur indépendance éditoriale.

De ce point de vue, il n’est pas satisfaisant de faire dépendre notre audiovisuel public du budget de l’État, comme les orateurs précédents l’ont souligné. L’indépendance de l’audiovisuel public passe par celle de son financement.

À cette fin, nous devons modifier la loi organique relative aux lois de finances. Certains pensaient que c’était trop ambitieux, hors de portée. Je veux remercier très sincèrement les auteurs de la proposition de loi organique, et en particulier Cédric Vial, d’avoir entrepris un travail de conviction autour d’un texte capable de rassembler l’ensemble des familles politiques. L’audiovisuel public mérite cette consécration organique. J’ai porté ce combat et je suis ravie que cette proposition de loi organique ait été inscrite sur le temps gouvernemental, signe que nous partageons cet objectif.

Nous avons également convergé sur le choix de la modalité de financement.

Plusieurs solutions s’offraient à nous, comme nous l’ont expliqué M. Vial et M. le rapporteur. L’examen en commission a conduit à préciser les choses. La rédaction retenue permet de pérenniser le mode de financement actuel, c’est-à-dire l’affectation d’un montant de taxe sur la valeur ajoutée exprimé en euros.

La pérennisation du mode de financement actuel me paraît surtout présenter plus d’avantages que les autres solutions qui ont pu être envisagées. Nous reviendrons certainement sur ce point lors de la discussion des articles.

La continuité est déjà un argument en faveur de ce choix. Nous ne créons pas un nouveau prélèvement sur recettes, ce qui n’était pas souhaité. J’y insiste, le mode de financement que nous pérennisons est connu et a déjà été examiné par le Conseil constitutionnel en 2022.

Par ailleurs, la part de TVA qui reviendra à l’audiovisuel public sera exprimée non pas en pourcentage, mais en valeur. Les entreprises connaîtront dès le vote de la loi de finances le montant en euros qui leur sera versé pour l’année : vous avez abordé ce point en évoquant la régulation, monsieur le rapporteur. Elles seront ainsi protégées des aléas de la conjoncture économique et d’un écart toujours possible entre les prévisions et le rendement effectif de l’impôt.

En définitive, le dispositif prévu répond à l’enjeu que nous poursuivons : le montant voté en loi de finances sera garanti aux entreprises. Le montant voté sera le montant versé. Les dotations des entreprises seront ainsi à l’abri des mesures de régulation budgétaire décidées par le Gouvernement. Ce mode de financement apporte donc prévisibilité et indépendance. Il est au moins aussi protecteur que ne l’était la redevance, pour ne pas dire plus, car les dotations seront définitivement garanties.

Avec un financement consolidé et réaffirmé, notre audiovisuel public sera armé pour affronter les nombreux défis qui se présentent à lui : arrivée de nouveaux acteurs comme Netflix ou Disney+, recomposition du paysage médiatique autour de grands groupes plurimédias, course à l’innovation encore exacerbée avec l’intelligence artificielle.

La sanctuarisation du financement ne suffira pas. L’audiovisuel public doit aussi se réformer. Nous allons maintenant pouvoir avancer sur ce sujet.

Il doit rapprocher ses réseaux de proximité afin d’assurer une couverture plus complète de la vie des territoires. À cet égard, lorsque nous avons lancé la réforme, avant la dissolution, les entreprises avaient, de manière très concrète, commencé à mettre activement en place des coopérations.

Il doit enrichir l’offre d’information en dégageant du temps pour le travail d’investigation et l’expertise des sujets les plus techniques.

Il doit enfin mener en commun les investissements massifs de la transition numérique. Plutôt que de disperser ses forces, il doit les regrouper.

Telle est l’ambition de la réforme de la gouvernance portée par la proposition de loi du président Lafon. L’avenir de l’audiovisuel public se joue aussi là. Il faut bien sûr se battre sur le financement, mais, face à la concurrence croissante, notre audiovisuel public doit aussi se réorganiser s’il ne veut pas s’affaiblir et, demain, disparaître.

Pour conclure, je veux dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous pouvez être certains que nous nous battrons non seulement pour maintenir l’audiovisuel public, mais aussi pour garantir son indépendance et celle de son financement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et RDPI. – M. Laurent Lafon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le paysage audiovisuel français est riche de sa diversité, offrant une large palette de programmes privés et publics.

Parce qu’il ne se fixe pas pour objectif premier d’être profitable, condition essentielle pour les sociétés de programmes privées, l’audiovisuel public peut se permettre d’explorer des champs plus étendus, notamment dans le domaine de la connaissance et des savoirs. Il doit aussi concourir, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, à la liberté d’expression et au pluralisme des idées et des opinions.

Pour mener à bien sa mission première, qui est de garantir à l’ensemble de nos concitoyens un accès à des contenus informationnels et culturels de qualité, l’audiovisuel public doit bénéficier de moyens adaptés, à court comme à long terme.

Dès l’origine, je me suis opposée à la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, qui avait été habilement présentée comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat des ménages. Comme tout service au public, l’audiovisuel public a un coût auquel doit contribuer chaque Français, qu’il soit ou non consommateur de ses programmes.

Je tiens à souligner la pertinence de la présente proposition de loi organique, dont l’objectif est de sécuriser les moyens dont dispose l’audiovisuel public, et je remercie les auteurs d’autres propositions parlementaires qui, par sagesse et urgence, ont choisi de s’y rallier.

Il s’agit d’une initiative particulièrement bienvenue de nos collègues Cédric Vial, Catherine Morin-Desailly, Roger Karoutchi et, bien évidemment, du président de la commission de la culture, Laurent Lafon.

Sur le fond, cette proposition de loi organique est indispensable. Comme cela a été dit, elle permet de régulariser in extremis une situation qui aurait conduit le Parlement à enfreindre la loi organique relative aux lois de finances.

En effet, la Lolf ne permet plus aux sociétés d’audiovisuel public de bénéficier de l’affectation d’impôts d’État, en l’occurrence de la TVA, à compter du 1er janvier 2025, en raison de l’absence de lien entre l’imposition affectée et la mission de service public assurée par ces sociétés.

Le financement par des crédits votés en loi de finances, en particulier un prélèvement sur recettes, présentait l’inconvénient de porter atteinte à l’indépendance du service public audiovisuel et de le faire dépendre plus étroitement de l’État.

Désormais pérennisé, le financement de l’audiovisuel public permettra à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, TV5 Monde et l’Institut national de l’audiovisuel de poursuivre leurs activités et de répondre aux défis immenses auxquels font face nos sociétés, en premier lieu celui de la défiance de plus en plus prononcée vis-à-vis de la société de l’information.

L’audiovisuel public se donne pour seul objectif l’accès du plus grand nombre aux contenus de la plus grande qualité : les meilleurs documentaires culturels, patrimoniaux, historiques et des débats sociétaux étayés s’y donnent rendez-vous. Ses plateformes numériques sont de plus en plus performantes et visitées, avec des podcasts passionnants et tout à fait accessibles à l’ensemble des générations.

Il nous appartiendra aussi, mes chers collègues, de poursuivre l’effort de pédagogie auprès de nos jeunes concitoyens, notamment par l’éducation aux médias, afin de les inciter à consommer les programmes de l’audiovisuel public si nous voulons sécuriser sur le long terme son financement. Alors que la gratuité devient la norme et les réseaux sociaux le seul vecteur d’information de ces jeunes, la tâche n’est pas anodine.

Enfin, il est nécessaire que le financement d’Arte soit aussi sécurisé. La création à cette fin d’un prélèvement sur recettes de l’État, qui avait la préférence de la chaîne, avait été envisagée, mais la commission a préféré y renoncer pour la soumettre au même traitement financier que les autres organismes du secteur.

J’espère que cette orientation ne portera pas préjudice à cette chaîne emblématique à la fois pour le service public, pour l’amitié franco-allemande et pour le projet européen. Les arguments des précédents orateurs m’ont rassurée.

Au-delà de ces réserves, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra ce texte. (M. Roger Karoutchi applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question du financement de l’audiovisuel public ne date pas d’aujourd’hui. Elle est intimement liée à celle de son indépendance.

Elle trouve son origine en 1933, sous la Troisième République, quand seule la radio existait. Une taxe visait alors les détenteurs de postes récepteurs de radiodiffusion. Elle subsistera, de mémoire, jusqu’en 1980.

À partir de 1949, le principe d’une taxe est étendu aux possesseurs de téléviseurs, les postes de télévision commençant à se diffuser largement après la guerre. C’est à ce moment que la Radiodiffusion française devient la Radiodiffusion-télévision française, la RTF.

Cette unique chaîne, non indépendante, est réformée en 1964 pour gagner en autonomie. Elle devient alors l’Office de radiodiffusion-télévision française, le fameux ORTF.

À ses tout débuts, l’ORTF a comme particularité de gérer directement la redevance audiovisuelle sans passer par l’État, sur le même modèle que la BBC (British Broadcasting Corporation). Valéry Giscard d’Estaing, ministre des finances de l’époque, préféra très rapidement remettre en place une redevance pilotée par l’État, au montant fixé chaque année en loi de finances.

Quelques années plus tard, en 1968 la publicité est autorisée sur les chaînes de télévision de l’ORTF, ce qui suscita à l’époque des débats parlementaires très animés. Ce financement complémentaire de l’audiovisuel public fut en partie remis en cause en 2009, quand la publicité fut interdite entre vingt heures et six heures du matin sur les chaînes publiques.

En 2022, la suppression de la redevance et son remplacement par l’attribution d’une fraction de TVA ont relancé le débat sur le mode de financement de l’audiovisuel public.

Au débat de forme quant au type de financement de remplacement retenu s’ajoute un débat de fond : quel montant d’argent public attribuer à l’audiovisuel public pour garantir son indépendance, mais également exiger, du fait de ces subsides publics, la qualité de ses programmes et l’objectivité journalistique, laquelle, avouons-le, n’est pas toujours sa première qualité ?

Le niveau de ce financement public fait l’objet de débats récurrents, notamment à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances.

Ainsi, entre 2018 et 2022, date de la suppression de la redevance, une trajectoire de réduction de la dotation du compte de concours financier « Avances à l’audiovisuel public » avait été votée afin que l’audiovisuel public contribue au redressement des finances publiques.

Quel que soit son mode de financement, ce secteur ne peut échapper à l’effort collectif. « L’état d’urgence budgétaire », selon l’expression du rapporteur général de la commission des finances du Sénat, rend cette nécessité encore plus prégnante.

L’an passé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, nous avions ainsi proposé de maintenir la part des recettes de TVA attribuées à l’audiovisuel public à leur niveau de 2023, à des fins d’économies.

La question du financement de l’audiovisuel public par la TVA est l’objet même de la proposition de loi organique de nos collègues Cédric Vial, Catherine Morin-Desailly, Roger Karoutchi et Laurent Lafon.

Dans le cadre de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public en 2022 par Emmanuel Macron, une disposition législative prévoit que la source actuelle de financement prenne fin le 1er janvier 2025. En effet, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a modifié la Lolf de 2001, en précisant que les taxes « peuvent être directement affectées aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux organismes de sécurité sociale ».

En outre, l’affectation des impositions à un tiers autre que lesdits organismes est autorisée à une double condition : ce tiers doit être « doté de la personnalité morale » et la taxe doit être « en lien direct avec les missions de service public qui lui sont confiées ».

Cette dernière condition ne s’applique pas aux médias du service public, puisque la TVA, impôt de consommation, n’a aucun lien avec l’audiovisuel. L’attribution d’une fraction de TVA fut possible en 2022, car cette disposition de la loi organique n’entre en vigueur qu’en 2025, dans le cadre du projet de loi de finances que nous allons examiner dans quelques semaines.

L’article 1er de la proposition de loi modifie donc la Lolf et étend le champ des bénéficiaires de l’affectation des taxes aux « organismes du secteur public de la communication audiovisuelle ».

Comme l’a précisé notre rapporteur, la définition de l’indépendance des médias selon le droit européen et la jurisprudence du Conseil constitutionnel rendent impossible un financement direct de ces organismes par le budget de l’État, car ceux-ci pourraient alors être considérés comme des médias d’État.

L’article 2, supprimé par la commission des finances, prévoyait qu’Arte France soit directement financée par le budget de l’État, via un prélèvement sur recettes spécifique. Un tel mode de financement n’a pas de raison d’être, les PSR étant juridiquement réservés au financement des collectivités territoriales et du budget de l’Union européenne.

À partir de 2025, l’ensemble des organismes de l’audiovisuel public, à savoir France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, TV5 Monde, Arte France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), seront financés par l’attribution d’une fraction de TVA, dont le montant sera déterminé chaque année en loi de finances.

Ce montant pourra être révisé à la hausse ou à la baisse, selon les besoins, ainsi que nous le déciderons dans quelques semaines, à l’occasion de l’examen du budget.

Dans cette attente, le groupe Les Républicains, conformément à la position de la commission des finances, votera cette proposition de loi de notre collègue Cédric Vial, que je félicite de son opiniâtreté. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir permis l’inscription de l’examen de ce texte sur le temps programmé du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, réformer le financement de l’audiovisuel public s’avère aujourd’hui nécessaire et urgent.

Une réforme est en effet nécessaire puisque la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a supprimé, à compter du 1er janvier 2022, la contribution à l’audiovisuel public.

Le Président de la République avait fait de cette suppression une promesse de campagne le 7 mars 2022, lors de son premier déplacement comme candidat à l’élection présidentielle, dans le but d’offrir plus de pouvoir d’achat aux Français.

Promesse tenue : près de 27 millions de Français ne payent plus cette contribution d’un montant de 138 euros. La mesure était par ailleurs cohérente avec la suppression de la taxe d’habitation, à laquelle était accolée la redevance.

Néanmoins, une fois cette suppression actée, les débats parlementaires avaient à l’époque abouti au maintien du compte de concours financier « Avances à l’audiovisuel public », l’attribution d’une fraction du produit de la TVA remplaçant la contribution à l’audiovisuel public.

Ce compte de concours financier a fait perdurer le financement des sociétés de l’audiovisuel public, à savoir France Télévisions, Arte France, Radio France, France Médias Monde, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et TV5 Monde. Toutefois, ce financement provisoire n’était possible que pour la période 2023-2024.

Pour les années à venir, il convient donc de faire un choix. Une première possibilité consisterait à supprimer le financement par le compte de concours financier, pour l’intégrer au sein d’une mission, sur le même modèle que les autres politiques publiques. Une autre solution reviendrait à pérenniser le financement du secteur par l’affectation d’une part de TVA, mais cela nécessiterait de modifier la loi organique relative aux lois de finances.

Nous ne croyons pas, au sein du groupe RDPI, à une troisième voie, celle d’un retour en arrière avec la création d’une nouvelle contribution, qui réduirait le pouvoir d’achat des foyers français.

Modifier la Lolf est devenu indispensable afin que les produits d’impositions de toutes natures puissent être directement affectés aux organismes de l’audiovisuel public. La nouvelle rédaction de la présente proposition de loi organique, issue des travaux réalisés en commission, privilégie la piste de la TVA.

Afin d’éviter un trop fort dynamisme des ressources produites par l’attribution d’une fraction de TVA, amenant le secteur à réaliser des profits économiques en cas de recettes élevées ou, à l’inverse, à perdre des ressources si la consommation vient à diminuer, il est proposé de pérenniser le financement de l’audiovisuel public par l’attribution non plus d’une fraction de TVA, mais d’un montant de TVA déterminé chaque année.

Ce mécanisme est souhaitable pour l’audiovisuel public, tant d’un point de vue économique que pour garantir son indépendance.

En limitant les risques de baisses conjoncturelles des ressources, un tel financement permettrait au secteur de continuer à peser dans l’espace informationnel français et international, alors que la concurrence des médias en ligne et des grandes plateformes numériques s’intensifie. L’audiovisuel public pourrait ainsi continuer de soutenir la création française et européenne au même niveau qu’aujourd’hui.

J’en suis convaincu, la pérennisation du mode de financement de l’audiovisuel public garantit l’indépendance de ce dernier. Elle concourt à la libre communication des pensées et des opinions, dans la mesure où ce financement est fondé sur des critères transparents et des objectifs préalablement établis.

Dans une décision du 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a reconnu que la garantie des ressources de l’audiovisuel public constitue « un élément de son indépendance. »

Le temps de l’ORTF étant révolu, il est désormais inenvisageable de créer de nouveau des médias d’État dans notre pays. De même, il serait contestable d’instaurer un système de financement provenant directement d’une mission budgétaire de l’État.

Pour ces raisons, le groupe RDPI soutient le mécanisme de financement tout à fait opportun adopté par la commission des finances.

Cette réforme est non seulement adéquate, mais surtout urgente puisqu’elle suppose que la loi organique relative aux lois de finances soit modifiée avant l’examen du prochain budget.

Alors que l’automne budgétaire a bel et bien commencé et qu’il ne reste que quelques semaines avant le réveillon de la Saint-Sylvestre, il est essentiel que la navette parlementaire devienne un véritable TGV pour permettre l’adoption du texte à l’Assemblée nationale et sa promulgation avant la fin de l’année 2024.

Alors, pour continuer d’apprendre avec C dans l’air, pour continuer de voyager en regardant Thalassa, pour continuer d’écouter les matinales de Radio France, les podcasts d’Outre-mer la 1ère ou encore les voix du monde de Radio France International, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi organique.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public par le Gouvernement en août 2022, le financement de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde, d’Arte France et de l’INA reste en suspens.

Le financement est assuré de façon temporaire par l’affectation d’une partie de la TVA, ce qui ne permet pas d’assurer la pérennité de l’indépendance de l’audiovisuel public et menace le pluralisme des médias, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a rappelé.

Lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificatives pour 2022, le Sénat avait déjà alerté sur l’ambiguïté des modalités de détermination du montant affecté aux sociétés de l’audiovisuel public.

Cette situation n’a pas évolué, puisque lors de l’examen de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle de Laurent Lafon, les rapporteurs du texte à l’Assemblée nationale ont renvoyé les discussions sur le mode de financement à un prochain débat.

Alors que le secteur de l’audiovisuel public est dans une situation incertaine depuis deux ans, ce texte va lui permettre d’entrevoir l’avenir.

Dans un avis de juin 2022, l’inspection générale des finances rappelait déjà que le financement du secteur devait être guidé par trois principes : la ressource doit être pérenne et dynamique, compatible avec la garantie d’indépendance de l’audiovisuel public, et enfin prévisible.

Or l’affectation d’une fraction du montant de TVA ne garantit ni la pérennisation ni la prévisibilité du financement.

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. Bernard Fialaire. En outre, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) réduit la part de TVA attribuée à l’État. Ce mode de financement ne peut donc être que provisoire.

Les engagements pluriannuels de l’État définis dans les contrats d’objectifs et de moyens n’ont été que très rarement respectés. Entre 2011 et 2022, la somme des montants versés aux sociétés de l’audiovisuel public est inférieure de 1,1 milliard d’euros aux engagements initiaux. La trajectoire des COM étant intimement liée au financement de ces sociétés, peut-être devrions-nous envisager de lui donner un caractère contraignant.

Madame la ministre, ces constats alarmants doivent vous pousser à rouvrir au plus vite le débat. En ce sens, je partage les mots du rapporteur : l’urgence est d’éviter la budgétisation. Autrement dit, le financement de l’audiovisuel public doit demeurer dans la première partie des lois de finances, consacrée aux recettes, afin d’éviter qu’il ne soit soumis aux arbitrages liés à l’examen des dépenses dans la seconde partie.

Si l’on écarte le financement par l’affectation du produit d’une taxe, il ne reste que deux solutions : l’affectation d’une part d’un impôt existant ou un financement par le budget de l’État.

Toutefois, ces deux voies de passage constituent une forme de financement indirect. La réinstauration d’une taxe affectée serait certainement mieux perçue par les sociétés et les acteurs du secteur. En revanche, la redéfinition d’un impôt entraînerait une révision de son assiette fiscale pour obtenir une base économique satisfaisante pour les professionnels du secteur.

La création d’un impôt d’État reste l’exercice politique le moins périlleux, mais nous devrons approfondir ce débat.

La recherche en sciences des médias souligne largement la corrélation entre le mode de financement des médias publics et la vitalité de la démocratie. Les chercheurs américains Rodney Benson, Matthew Powers et Timothy Neff mettent en évidence l’importance de modes de financement pluri-annualisés pour garantir une solide indépendance des médias.

En ce sens, nous regrettons, monsieur le rapporteur, que vous ayez écarté, en commission, la proposition de financer Arte France au travers d’un prélèvement sur recettes. Cette particularité se justifie par la spécificité de cette chaîne, qui bénéficie de fonds à la fois français et allemand. Nous rejoignons la position de nos collègues visant à rétablir l’article 2 dans la rédaction initiale proposée par nos collègues Morin-Desailly, Vial, Karoutchi et par le président Lafon. L’instauration d’une spécificité financière pour Arte France enverrait un signal très positif à notre partenaire allemand et réaffirmerait notre engagement à ne pas conduire à un déséquilibre financier.

Mes chers collègues, notre position est claire : nous appelons de nos vœux une réforme plus structurée et sanctuarisée du financement de l’audiovisuel public. Face à la multiplication de l’offre, de la concurrence internationale et du développement des usages alternatifs, les organismes de l’audiovisuel public doivent avoir suffisamment de garanties pour poursuivre sereinement leurs missions.

Ce texte, que nous soutiendrons, a le mérite de relancer le débat. Nous espérons que nos collègues députés pourront s’en saisir le plus rapidement possible au regard de l’urgence de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis dans l’urgence pour compenser les défaillances du précédent gouvernement.

Voilà deux ans, celui-ci choisissait de supprimer la contribution à l’audiovisuel public sans se préoccuper d’y substituer une solution pérenne. À croire qu’à terme Bercy avait purement et simplement en tête la budgétisation, à l’encontre du paragraphe 5 du règlement européen sur la liberté des médias.

Les réactions de nos amis allemands, avec lesquels nous sommes engagés dans le magnifique projet d’Arte, ne se sont pas fait attendre, pas plus que celles de plusieurs partenaires européens.

À juste titre, ceux-ci se sont émus que notre télévision puisse ainsi devenir une télévision d’État, à l’encontre des propos tenus lors des débats organisés à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Les représentants européens de l’audiovisuel public, réunis en 2018 lors d’un colloque au Sénat, avaient déjà rappelé la spécificité de leurs missions et, de facto, l’importance d’un financement prévisible et durable.

Aussi, dans l’urgence, mes collègues Cédric Vial, Roger Karoutchi, Laurent Lafon et moi-même avons pris nos responsabilités en déposant cette proposition de loi organique, qui vise à sanctuariser l’affectation d’une part de TVA, un consensus étant apparu autour de cette solution.

Une telle proposition est d’autant plus nécessaire que les initiatives de nos collègues députés ont été rendues caduques par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Toutefois, je regrette que ces débats aient lieu de manière si chaotique. Je m’explique : il y a déjà longtemps que notre commission de la culture, très investie, forte de nombreux travaux qu’avant mon collègue Laurent Lafon j’avais tenu à engager, appelle à une réforme systémique et ambitieuse de l’audiovisuel.

À l’ère du tout-numérique, face à une concurrence internationale exacerbée, il faut mener vite et avec méthode plusieurs chantiers de front. Il s’agit de réaffirmer les missions spécifiques de l’audiovisuel public autour de quelques principes forts, de revoir sa gouvernance et de consolider son modèle financier.

Hélas, il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont ce dossier a été maltraité depuis 2017. Dans la plus totale opacité, l’affectation au secteur du produit de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques voulue par le législateur en 2010 a disparu.

La crise sanitaire a ensuite fourni un prétexte pour abandonner une grande partie des réformes finalement engagées, à commencer par celle qui concerne la ressource publique. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est bien parce que nous avons renoncé, à l’inverse de nos voisins européens, à nous attaquer à la modernisation de cette dernière.

La seule satisfaction vient de l’aboutissement du chantier de la réglementation et de la régulation. Je salue à cette occasion l’excellent travail de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Aujourd’hui, nous devons aller à l’essentiel. Toutefois, je regrette que la question centrale du modèle économique n’ait pu être posée. Une part de l’audiovisuel public reste en effet financée par la publicité, laquelle repose de plus en plus sur le ciblage et le fichage, pour ne pas parler de « cybersurveillance » comme Bruce Schneier. Autant le dire, les médias publics ne sauraient devenir les auxiliaires des marques et de leurs stratégies commerciales – ce serait signer leur arrêt de mort !

Au contraire, l’audiovisuel public doit s’affirmer comme une solution de remplacement par rapport à l’économie des plateformes, basée sur la captation de l’attention du citoyen consommateur. Il s’agit d’un enjeu fondamental de culture et de civilisation. Pour ce faire, nous avons besoin d’un modèle autre, recentré autour de plusieurs missions.

Premièrement, il s’agit de cultiver la proximité et de faire vivre les territoires.

Deuxièmement, il faut porter la voix de la France et de la francophonie dans le monde – à cet égard, France Médias Monde, TV5 et Arte France jouent un rôle fondamental.

Troisièmement, nous devons rassembler l’ensemble des Français autour de moments fédérateurs, qui contribuent à la cohésion nationale – la couverture des jeux Olympiques en a fourni un formidable exemple.

Quatrièmement, il faut développer l’éducation aux médias, faire en sorte que l’audiovisuel renforce sa dimension éducative et se préoccupe davantage de la jeunesse, dans une logique de reconquête de ce public.

Cinquièmement, l’audiovisuel public doit participer à l’éveil de l’esprit critique, en faisant sienne une exigence de différenciation en matière d’information.

Enfin, des programmes innovants doivent s’adresser à tous et soutenir la création française et européenne, sans rien céder à la qualité ni à l’exigence culturelle.

Pour tout cela, il faut enfin une stratégie d’ensemble, qui concerne tant la télévision que la radio. Comme l’a dit Roch-Olivier Maistre devant notre commission la semaine dernière, l’heure est au « média global ». Les présidentes des organismes concernés ont certes entrepris des efforts de rapprochement et de rationalisation, mais l’approche reste encore trop en silo.

Sans aller jusqu’à la fusion, encore à expertiser sérieusement, très lourde et complexe en l’état, la proposition de Laurent Lafon de création d’une holding, reprise du rapport Leleux-Gattolin, permettrait d’avancer autour de projets fédérateurs.

Elle pourrait, par exemple, donner l’occasion de s’attaquer au développement de l’offre numérique accessible à tous. L’échec de Salto ne doit pas nous faire renoncer à l’idée d’une plateforme rassemblant de manière claire et lisible tous les programmes du service public – France Télévisions, Radio France, Arte France, France Médias Monde, INA –, tout en conservant les principes de gratuité et d’anonymat.

Madame la ministre, beaucoup de travail reste donc encore à faire ; nous comptons sur vous. Il faut aussi prendre en compte les conclusions récentes des États généraux de l’information. Le débat sur le financement du secteur mérite en tout cas d’être approfondi. Toujours est-il qu’en adoptant ce texte nous assurerons le fonctionnement des six entreprises de l’audiovisuel public, dont je salue au passage l’excellent travail.

Je remercie le rapporteur ainsi que nos collègues des commissions des finances et de la culture, qui ont soutenu notre démarche. (MM. Laurent Lafon et Cédric Vial applaudissent, ainsi que Mmes Sabine Drexler et Marie Mercier.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 31 décembre 2024 prendra fin le système provisoire instauré en 2022 pour remplacer la redevance audiovisuelle. C’est dire l’incertitude qui plane sur l’avenir du financement de l’audiovisuel public et qui assaille non seulement les acteurs du secteur, mais aussi les usagers de ce service public si particulier.

Pour répondre aux enjeux relatifs à la défiance des citoyens envers les médias, à la problématique concentration des groupes médiatiques ou encore à la prolifération des « infox », l’audiovisuel public constitue un atout. Ce secteur forme l’une des digues les plus solides contre les tentatives d’instrumentalisation de l’information, notamment de la part de milliardaires qui, au service d’une mission civilisationnelle, prennent le contrôle de titres de presse, de chaînes de télévision et de radios.

L’audiovisuel public fait également obstacle au projet de l’extrême droite, dont les médias représentent un terrain de jeu privilégié. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle souhaite la privatisation de ce secteur.

L’audiovisuel public est donc plus que jamais nécessaire pour garantir la diversité et la pluralité des opinions. Les citoyens et citoyennes, qui soutiennent massivement un audiovisuel public pérenne et fort, ne s’y trompent pas. Les fortes audiences apparaissent à ce titre comme de véritables plébiscites. En effet, le service public ne cesse d’amplifier ses succès. France Inter, radio la plus écoutée en France depuis 2019, bat des records historiques en enregistrant 7,18 millions d’auditeurs quotidiens entre janvier et mars 2024. France Télévision a cumulé près de 30 % de parts d’audience en avril 2024, se plaçant de fait comme le premier média français.

L’enjeu, fondamental pour notre démocratie, est donc de préserver l’existence d’un audiovisuel public fort, indépendant du pouvoir politique et pluraliste. Or, à nos yeux, la présente proposition de loi organique n’y répond que partiellement.

Alors que la version initiale du texte tendait à allouer une fraction de TVA au financement de l’audiovisuel, nous étions déjà pour le moins circonspects d’une telle pérennisation du système provisoire décidé en 2022. En effet, si ce mécanisme permet d’éviter la budgétisation stricte du financement de l’audiovisuel public, il ne nous semble pas idoine, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, la TVA est un impôt injuste, et le mécanisme proposé fait peser le financement de l’audiovisuel public sur l’ensemble des ménages, y compris les plus vulnérables.

Ensuite, le financement des organismes de l’audiovisuel public par la TVA s’apparente à une forme de budgétisation. En effet, l’audiovisuel public reste tributaire de la volonté politique, susceptible de faire fluctuer la part du produit de la TVA qui lui est affectée. À cela s’ajoute le possible conditionnement du versement total du montant, qui constitue un moyen de pression sur la gouvernance de l’audiovisuel public.

Toutefois, la sanctuarisation d’un financement par un pourcentage du produit de la TVA permet malgré tout de réellement pérenniser l’indépendance de l’audiovisuel public.

Depuis l’examen du texte en commission, il n’est plus question de pourcentage de TVA, mais de « montant déterminé ». Cela constitue à nos yeux une forme de reprise en main durable du politique sur les recettes affectées à l’audiovisuel public, à laquelle nous ne sommes pas favorables.

C’est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à revenir à la rédaction initiale de l’article 1er. Sauf disposition contraire décidée en loi de finances, nous souhaitons, quelle que soit la dynamique de la TVA, qu’un pourcentage du produit de cette taxe soit par défaut affecté aux organismes de l’audiovisuel public afin de pérenniser leurs recettes.

Nous défendons également le principe d’une loi de programmation pluriannuelle, de nature à rassurer les acteurs de l’audiovisuel en accroissant la visibilité sur leurs ressources.

En outre, il nous semble important de ne pas clore, dès la discussion de ce texte au Sénat, le débat relatif à la création d’une nouvelle recette visant à financer directement l’audiovisuel public. En l’état de la rédaction actuelle, des propositions qui ne se cantonneraient pas à l’attribution une fraction d’une recette déjà existante demeureraient contraires à la loi organique.

C’est pourquoi, afin de ne pas limiter l’initiative parlementaire en la matière, nous avons déposé un amendement visant à créer le cadre organique approprié pour que les parlementaires puissent, lors de l’examen du projet de loi de finances, avancer des propositions tendant à affecter des recettes au service public de l’audiovisuel.

Malgré toutes ces remarques, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie à mon tour les auteurs de cette cruciale proposition de loi organique, qui viennent opportunément au secours du Gouvernement et de ses indécisions.

La défense de l’indépendance et de la pérennité du service public de l’audiovisuel en France est un sujet qui doit nous réunir.

L’enjeu principal est simple : maintenir un financement autonome et juste de l’audiovisuel public. Toutefois, cette proposition de loi organique arrive après des mois de bricolage – il n’y a pas d’autre mot – du Gouvernement visant à tenir une promesse non financée du candidat Macron.

Rappelons-le, la suppression soudaine de la redevance télévisuelle a eu lieu au détour d’un projet de loi de finances rectificative, lors de l’été 2022. La question du financement du secteur n’avait alors pas du tout été anticipée. Cette décision a donné naissance à un système temporaire et bancal, construit sur l’affectation d’une fraction de la TVA.

Nous savions déjà, à l’époque, que ce mécanisme arriverait à terme en décembre 2024. Si aucune nouvelle solution n’est trouvée avant cette date, l’audiovisuel public sera financé directement par le budget général de l’État, ce que nous voulons tous absolument éviter.

Il s’agit d’une menace sérieuse pour l’indépendance de ces médias, car un financement par le budget général placerait l’audiovisuel public sous la menace des aléas politiques. Les sociétés seraient exposées aux arbitrages budgétaires et aux réductions de crédits en cours d’année, en sus d’être privées de la visibilité pluriannuelle nécessaire à leurs investissements.

En d’autres termes, le statu quo pourrait compromettre leur capacité à produire une information indépendante de qualité, pendant que le paysage médiatique se transforme radicalement sous l’effet de la concentration des médias privés entre les mains de milliardaires assumant leurs objectifs idéologiques et de l’essor des plateformes numériques.

Nous voici donc face à un échantillon chimiquement pur de l’impasse de la politique budgétaire menée depuis sept ans : supprimer des recettes de manière précipitée et non ciblée, affaiblir au passage les services publics et finalement aggraver la dette de l’État. Comme dans beaucoup d’autres domaines, nous sommes contraints de légiférer pour réparer l’amateurisme des précédents gouvernements.

Pour y remédier et éviter la budgétisation du financement de l’audiovisuel public, plusieurs propositions ont émergé. Parmi celles-ci se trouve celle qui consiste à pérenniser ce financement via l’affectation d’une fraction de la TVA, que nous examinons aujourd’hui. La Lolf l’empêchant, nous changeons la Lolf.

Disons-le d’emblée, nous envisageons cette méthode comme une méthode de repli ; elle est certes « moins pire » que la budgétisation, nous ne ferons donc pas obstacle à son adoption, mais il faut ici souligner ses limites.

Tout d’abord, la solution du recours à la TVA est injuste sur le plan fiscal, car elle fait peser la charge sur tous les consommateurs, y compris les ménages les plus modestes. Ensuite, elle reste soumise aux décisions annuelles du Parlement, ce qui est assez bancal du point de vue de la stabilité et de la prévisibilité nécessaires pour planifier des investissements à long terme.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires aurait donc préféré une approche plus juste et pérenne : nous plaidons pour la mise en place d’une redevance progressive, calculée en fonction des revenus des ménages. Il n’est pas question pour nous de rétablir la contribution à l’audiovisuel public sous son ancienne forme, nous sommes conscients de ses défauts et du poids financier qu’elle faisait supporter aux ménages les plus modestes.

Toutefois, en faisant payer les usagers en fonction de leur revenu, notre modèle de contribution permettrait de maintenir un financement stable et adapté aux besoins, tout en garantissant que chacun contribue selon ses capacités. Nous sommes persuadés que ce principe d’équité fiscale doit être remis au cœur du financement de l’audiovisuel public.

Pour ce qui concerne la tuyauterie budgétaire de ce dispositif, ma collègue Monique de Marco vous proposera l’établissement d’un compte d’affectation spéciale, permettant de flécher cette nouvelle taxe affectée.

L’indépendance des médias publics est un pilier de notre démocratie. Face aux risques d’ingérence politique, aux fake news, à la précarité des conditions d’exercice des journalistes et du personnel de l’information, aux menaces venant de l’extrême droite de livrer entièrement l’audiovisuel public au secteur privé en général et à leur ami Vincent Bolloré en particulier, il est de notre devoir de trouver une solution qui protège cette indépendance et permette à nos médias publics de continuer de jouer leur rôle dans la diffusion d’une information fiable, diversifiée et accessible à tous.

Pour cela, je l’ai dit, nous devons légiférer rapidement. La réponse contenue dans le présent texte est incomplète et insatisfaisante. Nous voterons pour la proposition de loi organique par esprit de responsabilité, mais nous ne saurions nous en contenter. Dès l’examen du projet de loi de finances, qui va arriver au Sénat dans quelques semaines, nous devrons rouvrir le débat et proposer des solutions pérennes visant à garantir la viabilité et l’indépendance de nos médias publics. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sylvie Robert. Enfin ! enfin, nous nous penchons sérieusement sur le financement de l’audiovisuel public depuis la suppression de la redevance, en 2022.

Depuis bientôt trois ans, nous n’avons cessé de regretter la disparition de la contribution à l’audiovisuel public, qui s’est faite dans une précipitation extrême et qui s’est apparentée à un tour de passe-passe budgétaire, les Français continuant de financer l’audiovisuel public via l’impôt le plus injuste : la TVA. Nous n’avons cessé non plus d’alerter les gouvernements successifs quant à la nécessité de trouver rapidement un mécanisme pérenne ni, enfin, de proposer des solutions garantissant réellement l’indépendance de notre audiovisuel public.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Précisément là où nous voulions éviter de nous retrouver ! À deux mois de l’échéance fatidique, l’audiovisuel public est dans le brouillard et nous, parlementaires, sommes acculés. Je regrette d’autant plus cette situation, qui était amplement évitable, que nous sommes plusieurs à avoir tiré la sonnette d’alarme.

Simplement, il eût fallu pour cela une volonté politique. Or ni le Président de la République ni les gouvernements successifs ne l’ont eue. La preuve : c’est une proposition de loi organique d’initiative sénatoriale qui va peut-être – espérons-le – permettre d’éviter le pire, à savoir la budgétisation.

Pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le mécanisme contenu dans cette proposition de loi organique n’est qu’un pis-aller, il ne constitue pas la solution optimale pour assurer un financement pérenne et dynamique de l’audiovisuel public, de nature à lui octroyer de la visibilité et à préserver son indépendance. Vous le savez, notre choix premier consiste en l’instauration d’une contribution à l’audiovisuel public, juste et progressive, qui concilie les principes de justice fiscale et sociale avec la défense d’un service public de l’audiovisuel fort, tourné vers l’avenir.

C’est pourquoi, l’été dernier, nous avons actualisé et redéposé notre proposition de loi visant à assurer la qualité et l’indépendance du service public de l’audiovisuel par un financement affecté, juste et pérenne. Cette proposition de loi n’est pas seulement notre contribution, notre « écot », à la réflexion, elle est l’affirmation selon laquelle le financement et l’indépendance de l’audiovisuel public sont des intérêts fondamentaux pour les citoyens et la Nation. L’audiovisuel public mérite non pas une protection de second rang, mais une protection absolue. D’ailleurs, il n’est pas anodin que les premiers concernés soient unanimement en faveur de cette contribution remodelée. Comme certains d’entre eux l’écrivent, elle est la solution la plus souhaitable.

Malheureusement, le dogmatisme fiscal auquel nous faisons face depuis sept ans et les délais qui nous sont impartis nous empêchent de faire prospérer notre proposition de loi. Je le déplore, mais je demeure convaincue qu’à long terme le modèle que nous soutenons est le seul qui satisfasse réellement aux obligations en matière de financement et d’indépendance de l’audiovisuel public. Il est l’optimum que nous continuerons de défendre.

Face au couperet qui est devant nous, deux options sont envisageables : le rejet de cette proposition de loi organique, au risque que la budgétisation devienne réalité et porte un coup fatal à l’audiovisuel public ; le vote de cette proposition de loi organique sans engouement, mais en faisant montre de responsabilité.

Nous choisirons cette seconde voie, car nous ne voulons ni déstabiliser ni fragiliser plus encore l’audiovisuel public, dans une période où, souvenez-vous-en, mes chers collègues, son existence même a été remise en cause. Vous l’aurez compris, cet assentiment ne constitue pas un chèque en blanc et n’épuise nullement la question du financement de l’audiovisuel public.

Avant de conclure mon propos, je tiens à réaffirmer plusieurs exigences, puisque nous sommes en plein examen des contrats d’objectifs et de moyens des différentes sociétés de l’audiovisuel public.

D’abord, aucune régulation infra-annuelle ne doit être possible. Comme pressenti, les crédits dits de transformation – part conditionnelle et ajustable d’un montant de 69 millions d’euros qui figurait dans le projet de loi de finances pour 2024 – ont largement été amputés en cours d’exercice. Il eût été plus responsable d’étudier d’abord les missions, puis – vous l’avez souligné, ma chère collègue Morin-Desailly – le modèle économique de notre audiovisuel public au regard des enjeux contemporains, ensuite le financement et, enfin, la gouvernance. Tout a été fait à l’envers…

L’État ne peut plus être l’actionnaire inconstant qu’il est depuis des années, qui ne respecte jamais la trajectoire des contrats d’objectifs et de moyens. Au contraire, il doit accompagner les sociétés de l’audiovisuel public dans leur politique de transformation, dans un secteur marqué par une concurrence féroce. En somme, il doit être l’État stratège que nous attendons.

J’appelle à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble de l’audiovisuel public pour les dix prochaines années, conduite par l’État et couvrant toutes les dimensions : culturelle, informationnelle, territoriale. Plutôt que d’œuvrer dans l’urgence, prenons, madame la ministre, le temps de préparer l’avenir et donnons vraiment à notre audiovisuel public les moyens d’être ce que nous voulons qu’il soit. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le système actuel de l’audiovisuel public français souffre de nombreux travers, que nous dénonçons depuis longtemps : un manque de pluralisme, une orientation idéologique souvent biaisée et une déconnexion par rapport aux réalités quotidiennes de nos compatriotes.

Les contribuables français, dont les moyens sont déjà lourdement sollicités, ne devraient pas être contraints de financer un service qui semble parfois plus soucieux de promouvoir une ligne politique que de refléter fidèlement la diversité des opinions et des préoccupations de notre nation.

La présente proposition de loi organique pérennise le système de financement de l’audiovisuel public, assis sur le transfert d’une fraction de TVA. Au-delà des justifications techniques de ce texte, nous savons que l’audiovisuel public représente un coût considérable pour les contribuables : en 2023, son budget atteignait près de 4 milliards d’euros. À l’heure où le Gouvernement s’efforce de chercher 60 milliards d’euros, comme rustine pour sa mauvaise gestion, voilà une source d’économie qui pourrait être utile et immédiatement liquidable !

En permettant l’affectation directe d’une partie des ressources fiscales aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle, cette proposition de loi organique contribue à renforcer la transparence et la responsabilité budgétaires.

Ce mécanisme oblige ces organismes à une gestion plus rigoureuse et à un usage plus efficient des fonds publics, car, rappelons-le, le service public n’est pas la propriété d’une camarilla de journalistes militants, (Protestations sur les travées du groupe GEST.) c’est une institution assurant la neutralité et la libre expression de toutes les opinions. Or, il faut le rappeler, c’est ce même service public qui avait – je ne peux que croire à un pur hasard – diffusé un reportage, totalement vide, mais à charge, sur Jordan Bardella, (Mêmes mouvements. – Mme Catherine Morin-Desailly sexclame.) qui caracolait alors en tête des sondages pour les élections européennes. Heureusement, les Français ne se sont pas laissé duper…

Le Rassemblement national a toujours plaidé pour une meilleure utilisation des deniers publics et une réduction des dépenses superflues. Nous ne comprenons pas qu’une démocratie mature doive conserver, au-delà de l’outre-mer, un service public de l’information, alors que les acteurs privés peuvent, s’ils sont régulés, remplir d’une meilleure façon la mission d’information, vitale pour l’expression démocratique la plus juste et éclairée.

M. Pierre Ouzoulias. Cela reste à prouver !

M. Joshua Hochart. Nous espérons que cette réforme ne sera qu’une première étape vers une transformation totale, profonde, de l’audiovisuel public.

Alors que les débats budgétaires commencent à l’Assemblée nationale et sont sur le point d’arriver au Sénat, certains proposent de nouvelles vagues de privatisations, qui abîmeraient les comptes et l’action de l’État. Mes chers collègues, si vous cherchez un service à privatiser, vous en avez un devant vous, pour 4 milliards d’euros !

M. Thomas Dossus. Nous n’en cherchons pas !

M. Joshua Hochart. Dans tous les cas, nous continuerons d’être vigilants quant à l’application de ce texte et au respect des obligations qui incombent au service public pour la bonne tenue du débat public.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en ces temps de crise, alors que notre pays doit maîtriser ses dépenses publiques dans tous les domaines, il est rare de trouver encore un secteur qui fasse recette.

C’est pourtant le cas de l’audiovisuel public français, qui a, cette année, établi de nouveaux records sur l’ensemble des supports du service public. France Télévisions, tout d’abord, a enregistré des chiffres d’audience impressionnants, avec plus de 23 millions de téléspectateurs lors de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris 2024. Radio France, ensuite, attire quotidiennement 14 millions d’auditeurs sur ses différentes antennes. Enfin, la plateforme numérique France.tv, rassemble désormais 34 millions de visiteurs par mois.

Face à un tel succès, qui pourrait se douter que ce fleuron de la créativité nationale, cet ambassadeur de la culture française, soit menacé d’extinction d’ici à la fin de cette année, faute de financement ? C’est pourtant la situation ubuesque dans laquelle nous nous trouvons, à l’aube de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

Depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, à l’été 2022, rien n’a été fait ni même envisagé par le Gouvernement pour assurer un financement pérenne de l’audiovisuel public. Aujourd’hui, le temps presse. En effet, dès le 1er janvier 2025, la loi actuelle ne permettra plus d’utiliser la fraction du produit de la TVA qui a suppléé cette contribution, contraignant ainsi nos médias publics à dépendre exclusivement du budget général de l’État.

Cette échéance est redoutée par les six sociétés qui composent l’audiovisuel public français. Faute de modification de la loi, nos médias publics seraient ballottés, au gré des fluctuations budgétaires et politiques, situation inacceptable dans un État de droit et en contradiction totale avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Face à cette urgence, le texte adopté par la commission des finances du Sénat et présenté aujourd’hui devant la Haute Assemblée constitue le meilleur compromis à court terme. En cherchant à inscrire dans la loi organique relative aux lois de finances la possibilité de financer des organismes publics de communication audiovisuelle par le recours à une taxe affectée, le texte sécurise un budget fixe et pérenne pour ce secteur.

Cela permettra au Parlement de réviser ce mécanisme annuellement, ce qui dotera en outre ces organismes des marges de manœuvre nécessaires à leur développement. Je tiens donc à saluer et à féliciter Cédric Vial, auteur de cette proposition de loi organique.

Mes chers collègues, ce texte soulève bien plus qu’une question financière : il constitue un enjeu démocratique et culturel. Dans un paysage médiatique en mutation permanente, alors que se multiplient les atteintes à son indépendance, donc à notre souveraineté, nous devons non seulement penser au financement de l’audiovisuel public, mais également songer à réviser son modèle économique. Ne nous voilons pas la face, une fois actée la question de son financement, le projet de fusion de l’audiovisuel public français reviendra nécessairement sur la table.

Devant la concurrence accrue des plateformes numériques mondiales, il est essentiel de renforcer ce secteur stratégique, non seulement pour préserver l’équilibre du paysage audiovisuel national, mais encore pour protéger l’influence culturelle et médiatique de la France à l’international.

Comme le soulignait le président de l’Arcom lors de son audition au Sénat la semaine dernière, l’heure est dorénavant aux médias globaux, regroupant l’ensemble des supports. L’audiovisuel public français semble prêt à franchir ce pas décisif pour son avenir. La majorité sénatoriale sera à ses côtés pour accompagner sa transformation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Cédric Vial applaudit également.)

M. Laurent Lafon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour me féliciter de l’examen par la Haute Assemblée de ce texte, dont l’adoption, j’en suis persuadé, permettra de mettre un terme aux incertitudes relatives aux modalités de financement des sociétés de l’audiovisuel public.

Près de trois ans après l’adoption du collectif budgétaire supprimant la contribution à l’audiovisuel public et de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, ayant modifié le régime des taxes affectées, il y avait en effet urgence.

Urgence d’abord à rassurer les acteurs du secteur, en sécurisant la ressource mise à leur disposition et en évitant une budgétisation susceptible de laisser planer un doute sur leur indépendance.

Urgence aussi à rassurer les partenaires étrangers d’Arte et de France Médias Monde et à garantir la crédibilité de ces chaînes sur la scène internationale de même que le respect de nos engagements diplomatiques.

Au cours des semaines à venir, nous aurons à débattre du montant de ce financement, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, mais cette proposition de loi organique constitue une première marque de soutien du Sénat à l’égard d’un secteur dont le rôle démocratique demeure évidemment essentiel.

Toutefois, nous sommes d’accord avec vous, madame la ministre, l’adoption de ce texte ne sera qu’un premier pas sur le chemin de la nécessaire réforme de l’audiovisuel public. Le Sénat, en particulier sa commission de la culture, a toujours insisté sur le fait que la réforme du financement et celle de la structure de l’audiovisuel public devaient aller de pair. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin en 2015 – cela fait déjà presque dix ans – puis Jean-Raymond Hugonet et Roger Karoutchi, plus récemment, ont insisté sur la nécessité de traiter ces deux sujets dans un même mouvement.

Il convient ainsi de réformer la gouvernance de l’audiovisuel public en créant une holding susceptible de définir une stratégie d’ensemble concernant l’offre de proximité, l’offre d’information, l’offre numérique et l’offre culturelle. Le président de l’Arcom le soulignait à juste titre, la semaine dernière, devant notre commission. Dans le même temps, il conviendra de réduire les asymétries de concurrence qui pénalisent depuis trop longtemps nos acteurs privés par rapport à leurs concurrents délinéarisés, essentiellement américains.

Cette réforme de l’audiovisuel, que le Sénat appelle de ses vœux depuis tant d’années, le Gouvernement a la possibilité de la mener à son terme au cours des semaines à venir, en permettant, d’ici à la fin de l’année, l’adoption définitive de cette proposition de loi organique et de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, adoptée par le Sénat et déjà examinée en commission à l’Assemblée nationale. Reculer encore et encore la réforme de la gouvernance de notre audiovisuel public ferait courir un risque à ce dernier, qui ne peut se satisfaire des bonnes audiences actuelles sans se rendre compte que son public vieillit et que d’autres acteurs, aux moyens financiers puissants, prennent chaque jour des parts de marché et menacent son modèle.

Nous avons bien compris, madame la ministre, votre volonté de mener à son terme cette indispensable réforme. Nous connaissons votre détermination. Sachez-le, vous pouvez compter sur le Sénat pour vous aider, comme nous le faisons ce soir, à mettre en place ce que vous avez appelé l’ambition d’ensemble dont l’audiovisuel public a besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu’à l’achèvement de l’examen de cette proposition de loi organique.

Y a-t-il des oppositions ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis le dernier à prendre la parole après onze autres orateurs ; je vais donc me passer du discours que j’avais préparé, puisque tout a été dit et que ma collègue Sylvie Robert a exposé la position du groupe des socialistes écologistes et républicains.

Elle l’a dit, nous continuons de plaider pour une taxe progressive, universelle et équitable ; toutefois, faute de mieux et face à l’urgence, à l’impréparation et aux décisions hâtives prises par le précédent gouvernement, nous voterons ce texte.

Je me contenterai donc de vous poser trois questions ou séries de questions, madame la ministre, puisque vous avez pris, dans votre propos liminaire, des engagements : vous allez sanctuariser – je n’ai pas dit « pérenniser », notre collègue Hugonet n’a pas tort à cet égard –, stabiliser et garantir la prévisibilité du financement de l’audiovisuel public, et assurer son indépendance. Si j’ai bien compris l’économie du texte, il s’agit de modifier la Lolf afin d’affecter une fraction de TVA à un compte de concours financiers, ce qui empêcherait toute régulation infra-annuelle. Si c’est bien de cela qu’il s’agit, nous serions quelque peu rassurés, mais cela ne suffit pas à me rendre tout à fait serein pour ce qui concerne le respect de vos engagements.

Première série de questions : l’enveloppe pilotable va-t-elle être transformée ? Les crédits du fameux programme 383, que vous avez créé et doté de 69 millions d’euros, dont 45 millions pour France Télévisions, n’ont pas été intégralement versés à ce jour ; France Télévisions n’a reçu que 12 millions d’euros, mais j’imagine que les cinq autres entreprises doivent être dans le même cas. Le solde sera-t-il versé avant décembre ?

Par ailleurs, votre collègue ministre chargé du budget et des comptes publics a déclaré hier à l’Assemblée nationale que quelque 12 milliards de crédits ne seraient pas consommés et que l’État, dans le projet de loi de finances de fin de gestion, procéderait à des annulations à hauteur de 6 milliards d’euros. Nous garantissez-vous que ce qui est inscrit aujourd’hui, en 2024, sera préservé dans les arbitrages ? Et je ne parle pas de l’hypothèse, fort probable, selon laquelle votre budget serait adopté via l’article 49.3.

Deuxième question : pour empêcher totalement la régulation infra-annuelle, prenez-vous l’engagement devant nous de transférer tous les crédits du programme de transformation aux dotations de base des six entreprises du secteur de l’audiovisuel ?

J’en viens à ma troisième question. Conformément à la Lolf, le montant de la TVA, de même que celui des impositions de toutes natures, doit être défini dans la première partie du projet de loi de finances. Théoriquement, le texte devrait être adopté dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Prenez-vous l’engagement de reprendre, par amendement gouvernemental, la rédaction qui sortira de l’Assemblée nationale, pour garantir que le texte soit adopté en première lecture, afin d’éviter le phénomène de l’entonnoir ?

M. Jean-François Husson. Bien sûr ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel. Je préférerais l’entendre de la bouche de la ministre, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.) À cette condition, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public

Article 1er

Le premier alinéa du II de l’article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un montant déterminé d’une imposition de toute nature peut, sous les mêmes réserves, être directement affecté aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle. »

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« …. – Les organismes du secteur public de la communication audiovisuelle sont notamment financés par une redevance intégralement affectée et progressive. Cette redevance résulte d’une disposition d’une loi de finances. »

La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. L’examen de cet amendement va permettre d’ouvrir le débat sur un autre mode de financement de l’audiovisuel public.

Il s’agit de rétablir une redevance affectée, mais progressive. L’objectif est de garantir à la fois la justice fiscale et la stabilité des ressources des organismes bénéficiaires.

Le recours à la TVA actuellement en vigueur pour financer ce secteur est socialement injuste : en tant qu’impôt sur la consommation, la TVA touche de manière égale tous les consommateurs, ce qui pèse évidemment davantage sur les ménages les plus modestes. C’est pour lutter contre cette injustice que nous proposons une redevance progressive, qui permettrait de mieux répartir l’effort fiscal, ce que ne permettait pas la contribution à l’audiovisuel public précédente.

Je souligne que nous avons déjà défendu cette solution lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2022, lorsque la précédente majorité présidentielle nous proposait la suppression de la contribution à l’audiovisuel public et cette solution temporaire de l’affectation d’une fraction de TVA, qui nous contraint aujourd’hui à légiférer de nouveau.

Cette proposition s’appuie sur les travaux de l’économiste Julia Cagé et permet, je le répète, de garantir à l’audiovisuel public des ressources stables, justes et suffisantes, afin de préserver son indépendance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cet amendement vise à recréer une redevance, ce qui relève d’un projet de loi de finances.

Par ailleurs, et cela a été souligné à plusieurs reprises, nous agissons dans l’urgence, dans des délais contraints.

Je note la parfaite cohérence de cet amendement avec les propos tenus par notre collègue en discussion générale, mais ce n’est pas l’objet du présent texte.

La commission n’a donc pu qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Le débat a été tranché en 2022. Vous dites, monsieur le sénateur, que la solution actuelle est fiscalement injuste, mais vous recréez une taxe…

J’adhère aux arguments du rapporteur : avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. L’idée est justement que la nouvelle contribution soit plus juste, en étant calculée selon les revenus de chacun.

J’y insiste, ce que nous sommes en train de faire, pour parer à l’urgence, n’est toujours pas satisfaisant du point de vue budgétaire. Je me suis replongé dans les débats de 2022 ; vous indiquez que cette question a été tranchée, madame la ministre, mais il y avait eu plusieurs alertes soulignant que ce mode de financement serait forcément temporaire et creuserait de nouveau le déficit de l’État. Ces interpellations émanaient de toutes les travées, notamment de Laurent Lafon, mais également d’autres sénateurs, et Gabriel Attal avait très peu répondu sur le fond.

Aujourd’hui, nous nous en rendons compte, nous en payons la note dans le budget de l’État et l’on cherche des économies partout pour compenser cette suppression, sans pour autant prévoir un financement.

L’indigence de la réponse de Mme la ministre s’inscrit dans ce débat, tiré vers le bas à l’époque et qui l’est encore aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Même si, sur le fond, je comprends assez bien l’idée de notre collègue Thomas Dossus, je ne voterai pas cet amendement, en premier lieu parce que, le rapporteur l’a rappelé, ce n’est pas l’objet de notre texte.

Je souhaite néanmoins appeler l’attention de chacun sur le fait que, pendant plus de quinze ans, plusieurs d’entre nous, dans cet hémicycle, avons tenté de réformer la contribution à l’audiovisuel public. Or les gouvernements de droite comme de gauche, bien qu’hostiles à la redevance, ne l’ont jamais engagée, parce que Bercy avait décidé que, quoi qu’il arrivât, on ne ferait pas de réforme.

Mme Catherine Morin-Desailly. Même François Hollande, qui avait conclu en 2014 un colloque au Conseil supérieur de l’audiovisuel en indiquant qu’il ferait la réforme de la redevance, ne l’a jamais faite !

Par ailleurs, monsieur Dossus, il n’est pas tout à fait exact que la contribution à l’audiovisuel public fût socialement injuste : il y avait tout de même plus de 4,5 millions de foyers qui ne la payaient pas. En revanche, ce en quoi elle était injuste, c’est qu’elle ne reposait pas sur l’ensemble des écrans recevant la télévision. Là est la véritable injustice, c’est la fracture numérique qui pose un problème et qui justifie une réforme. Est-ce possible ou non ? Je n’en sais rien…

En tout état de cause, je suis d’accord avec le rapporteur, l’objet de nos débats est de voter ce texte sans modification.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Bacchi, Lahellec, Ouzoulias et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Remplacer les mots :

Un montant déterminé d’une imposition de toute nature

par les mots :

Le pourcentage d’une imposition de toute nature dont le montant est défini par une loi de programmation conformément à l’alinéa 21 de l’article 34 de la Constitution

La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Nous sommes opposés à la modification apportée par la commission à l’article 1er, la rédaction initiale nous paraissant plus conforme à l’ambition des auteurs de ce texte.

Dorénavant, avec la mention d’un « montant déterminé », les recettes affectées à l’audiovisuel public seraient modifiables chaque année. Cela nous paraît de nature à remettre en cause la sanctuarisation d’un budget, indépendant du pouvoir politique, consacré au service public de l’audiovisuel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il s’agit de la fraction dynamique versus le montant.

Je l’ai expliqué dans mon propos liminaire, cette fraction dynamique est potentiellement dangereuse, car elle peut être à la hausse comme à la baisse. Nous avons donc choisi de privilégier le montant, qui a le mérite de fixer les choses très clairement : avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Même avis, madame la présidente. Le montant est plus prévisible et protecteur.

(M. Loïc Hervé remplace Mme Sylvie Vermeillet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé

vice-président

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. La position que défend mon collègue Bacchi est celle de Bercy : il doit probablement s’agir d’une erreur… (M. Jérémy Bacchi lève les bras au ciel en souriant.)

M. Jean-François Husson. Il aime bien Bercy !

M. Cédric Vial. La commission a souhaité préciser mon texte initial pour le rendre plus protecteur en proposant un montant en valeur absolue, donc fixe, car la dynamique d’une taxe peut être à la hausse ou à la baisse.

Bercy souhaitait une fraction avec un plafond et un plancher pour éviter que cette hausse ne soit trop forte ou trop basse. Or que se passe-t-il quand on vote une fraction avec un plafond et un plancher ? Cela signifie qu’entre les deux un curseur se balade… Et par qui est-il fixé ? Par Bercy ou, à tout le moins, par le Gouvernement, ce qui revient à une forme de budgétisation, c’est-à-dire exactement ce que l’on veut éviter.

Nous proposons donc de sanctuariser le montant par un vote du Parlement, qui décidera également de la somme à affecter à chaque société publique. Par ailleurs, ce montant sera garanti. C’est ce que souhaitent les médias publics pour préserver leur indépendance.

Après plusieurs phases de réflexion, nous avons à présent la conviction qu’il s’agit de la manière de fonctionner la plus protectrice pour le secteur.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Bacchi, Lahellec, Ouzoulias et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

I. - Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le II de l’article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation aux dispositions du présent II, les organismes de l’audiovisuel public peuvent faire l’objet de l’affectation d’une imposition de toute nature. Cette imposition ne peut résulter que d’une disposition d’une loi de finances. »

II. - La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Comme je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, l’audiovisuel public est un service public essentiel pour notre démocratie.

Un audiovisuel public fort améliore la connaissance des citoyens sur les affaires publiques, favorise la réduction des inégalités en termes d’information et entraîne une couverture de l’actualité plus diversifiée et plus critique, mais à la condition qu’il soit suffisamment financé et protégé.

Le dispositif qui nous est proposé ne répond qu’en partie à l’impératif d’indépendance dans la mesure où l’audiovisuel public reste tributaire de la fluctuation des recettes.

Pour autant, il existe d’autres solutions que le recours à la TVA ou à une taxe reposant sur le foyer au sens de la taxe d’habitation, comme cela a été le cas pour la redevance. Je pense, par exemple, à une taxe sur le foyer, au sens fiscal du terme. Or il est contraire à la Lolf de proposer une recette autre que la fraction d’une recette déjà existante.

Le caractère encore perfectible du dispositif proposé dans ce texte tient dans doute en partie à l’urgence d’éviter toute budgétisation de l’audiovisuel. Toujours est-il qu’il serait très regrettable de clore le débat sur la création d’une nouvelle recette au bénéfice direct de l’audiovisuel public.

C’est en ce sens que nous proposons cet amendement visant à permettre aux parlementaires d’avoir ce débat à l’occasion d’un projet de loi de finances et de défendre ainsi d’autres propositions de recettes affectées au service public de l’audiovisuel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’adoption de cet amendement aurait exactement le même effet que celle de l’amendement n° 2, à l’article 1er. C’est toujours la même fraction de TVA dynamique contre le montant : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme Ollivier, M. Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa du I de l’article 21 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les opérations relatives aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle créés par la loi sont retracées dans les mêmes conditions sur un unique compte d’affectation spéciale. »

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. En complément du financement proposé à l’article 1er, cet amendement vise à prévoir à l’article 21 de la loi organique relative aux lois de finances la création d’un compte d’affectation spéciale pour les services audiovisuels publics.

La Lolf prévoit déjà des dispositifs similaires pour les opérations financières liées aux participations de l’État et aux pensions.

Cet amendement vise à isoler les dépenses liées aux services publics audiovisuels du reste des dépenses de l’État, l’idée étant de mieux garantir leur indépendance budgétaire.

Il vise également à permettre d’abonder à l’avenir ce compte d’affectation spéciale par d’autres recettes que celles qui sont prévues à l’article 1er. Je crains en effet que la solution de l’affectation d’une part de TVA ne soit pas compatible avec l’exigence d’indépendance prévue par le règlement européen du 11 avril 2024.

Au travers de cet amendement, je vous propose de ne pas clore ce débat, ici, aujourd’hui, dans l’urgence, et de discuter prochainement de la possibilité de créer un compte d’affectation spéciale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. C’est une sorte de redevance déguisée : faute d’avoir pu entrer par la porte, on cherche à passer par le vasistas… (Sourires.)

Quoi qu’il en soit, ma chère collègue, tout cela serait inopérant puisque l’article 1er a été validé…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Il existe déjà un compte de concours financier : avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 2

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Au quatrième alinéa de l’article 6 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, après le mot : « profit », sont insérés les mots : « de la chaîne culturelle européenne, ».

La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à rétablir l’article 2, supprimé en commission, qui permettait de créer une modalité de financement spécifique à la chaîne culturelle européenne Arte.

Cette chaîne occupe une place singulière dans notre paysage audiovisuel comme dans le paysage audiovisuel européen. Elle est le fruit d’un partenariat franco-allemand, qui repose sur un équilibre délicat entre les financements des deux pays. Ce modèle binational implique des engagements financiers des deux côtés du Rhin. Il nous paraissait essentiel de garantir un financement sécurisé et spécifique pour Arte France afin de préserver cet équilibre.

La création d’un prélèvement sur recettes permettrait de mettre cette chaîne à l’abri des aléas liés au mode de financement de l’audiovisuel public. L’objectif est simple : il s’agit de préserver les ressources pour garantir la pérennité de ce modèle unique de coopération culturelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Une nouvelle fois, un PSR n’est pas davantage protecteur que la fiscalité.

Par ailleurs, l’adoption de cet amendement reviendrait à mettre Arte sur le même plan que les collectivités et l’Union européenne. N’est-ce pas un peu déséquilibré ?

Enfin l’État est actionnaire à 100 % d’Arte France.

M. Roger Karoutchi. Tout à fait !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je comprends votre démarche, mais elle n’est pas opérante. Je suis donc opposé à l’idée d’un PSR. Au moment où il est question de fusion, l’audiovisuel public doit rester un et indivisible.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Je souscris aux excellents arguments de M. le rapporteur. L’audiovisuel public doit être un et indivisible et il n’y a aucune raison pour qu’Arte soit logée à une enseigne différente. Par ailleurs, l’État est effectivement actionnaire à 100 % d’Arte France.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Je ne suis pas du tout convaincue par les arguments du Gouvernement et de la commission. Lors de son audition, M. Patino, président d’Arte France, a rappelé que le traité inter-étatique devait respecter l’indépendance financière de la chaîne. Or, selon lui, un PSR serait plus conforme, Arte étant un cas spécifique par sa gouvernance et son financement.

En outre, un PSR peut être assorti d’une prévision sur plusieurs années.

La création d’un tel prélèvement a été proposée à l’Assemblée nationale, mais également par M. Cédric Vial pour répondre aux exigences du traité franco-allemand ayant donné naissance à la chaîne Arte. Or M. Hugonet nous explique que cela n’apporterait aucune garantie supplémentaire… J’aimerais comprendre !

Je me permets enfin de vous rappeler que le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) est défavorable à la solution proposée aujourd’hui.

M. Jean-François Husson. Nous sommes au Sénat !

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Monsieur Dossus, madame de Marco, je vous remercie de vouloir rétablir ma rédaction initiale : je vous en cède très volontiers les droits d’auteur. (Sourires.)

Je me suis effectivement posé les mêmes questions que vous, tout comme d’ailleurs nos collègues députés Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, dont j’ai repris le texte.

Nous avons discuté avec M. le rapporteur de la question de savoir si Arte devait rester dans le droit commun et continuer à être financée par une fraction de la TVA. Je n’y ai été favorable qu’à une seule condition : que cela ne pose pas de problème diplomatique, politique ou d’organisation pour Arte. J’ai obtenu des assurances sur ce point.

Par ailleurs, comme l’a souligné M. le rapporteur, il serait effectivement disproportionné de mettre symboliquement Arte sur le même plan que les collectivités territoriales ou l’Union européenne.

De surcroît, nous avons acquis la certitude lors des auditions et des discussions que le maintien de l’affectation d’une fraction de TVA à Arte France était plus protecteur que la création d’un PSR, qui était la solution préconisée par Bercy – ce qui doit nous mettre la puce l’oreille… (Sourires.)

Je n’aurais pas soutenu la suppression de cet article sans la certitude que cette solution protégerait Arte. Voilà pourquoi je rejoins aujourd’hui la position défendue par M. le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Notre rapporteur soutient l’autonomie d’Arte France. Nous pouvons donc voter la suppression de cet article avec une certaine assurance.

Pour autant, le traité franco-allemand créant Arte a aussi prévu une parité de financement, qui a été ratifiée par les deux parlements nationaux. Cela n’a-t-il pas une valeur supralégislative ? Comment être sûrs, même en instituant un prélèvement fixé en valeur – lequel pourrait d’ailleurs être désindexé ou non renouvelé, etc. –, que la parité sera préservée en amont du vote parlementaire ? Nos partenaires allemands auront-ils confiance dans la solution que nous allons adopter ?

Pour finir, je regrette que Mme la ministre n’ait pas répondu aux séries de questions que je lui avais posées…

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Si cet article figurait initialement dans le texte, c’est bien la preuve que le Sénat est attaché à la spécificité d’Arte et d’Arte France.

La réponse de Mme la ministre m’inquiète : quand elle nous explique que le service public de l’audiovisuel comprend Arte France et qu’il est un et indivisible, on voit bien que cette spécificité commence à s’effacer…

Je maintiens donc cet amendement, afin d’acter la spécificité et les besoins de la chaîne. Il s’agit également de rassurer nos voisins allemands sur la pérennité du système.

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.

M. Laurent Lafon. Le groupe Union Centrise est attaché à la spécificité d’Arte, à son positionnement, à sa ligne éditoriale, à ce lien particulier avec l’Allemagne, d’autant que les résultats de la chaîne sont tout à fait intéressants.

Le texte initial prévoyait effectivement une spécificité financière. Nous avons discuté avec M. le rapporteur pour comprendre ses arguments. Comme vous, cher collègue Lurel, nous nous sommes également interrogés sur la réaction de nos partenaires allemands. Nous avons obtenu des réponses rassurantes.

Le texte que nous nous apprêtons à voter ne créera aucune difficulté avec l’Allemagne. Il ne posera aucun problème majeur d’un point de vue juridique et constitutionnel. Symboliquement, il pourrait être effectivement gênant de prévoir un mode de financement différent.

L’essentiel étant d’avancer sur ce texte, nous nous rangerons à l’avis du rapporteur.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il s’agit de proroger un dispositif – à savoir le financement par une fraction de TVA – qui, depuis 2022, ne pose aucun problème à Arte.

Par ailleurs, le traité de 1990 ne prévoit rien en matière de financement. Je le redis : l’interlocuteur de l’État français, actionnaire à 100 %, c’est Arte France.

Enfin, cher Victorin Lurel, j’appartiens au groupe d’amitié France-Allemagne, placé sous la présidence de notre collègue Ronan Le Gleut. Nous recevions cet après-midi l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en France, Stephan Steinlein. Nous aurons également le plaisir et l’honneur la semaine prochaine de recevoir au Sénat une délégation du Bundesrat. Tout cela fera partie de nos sujets de discussion.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. J’aimerais également convaincre Thomas Dossus.

Nous aussi avons été en contact permanent avec Bruno Patino et ses équipes, jusqu’à la finalisation de ce texte après son passage en commission des finances. Ce qui importe essentiellement aux équipes d’Arte, c’est de préserver la dotation budgétaire.

J’ai été convaincue par les arguments et les travaux de M. le rapporteur, même si je ne suis pas moi-même une éminente spécialiste des finances.

J’attire l’attention des auteurs de l’amendement sur un point : ne faudrait-il pas également envisager une exception pour TV5 Monde, cofinancée par plusieurs pays ? Son statut étant aussi différent, pourquoi ne pas exiger de savoir quelles ressources lui sont affectées et selon quelles modalités ?

Soyons pragmatiques, nous sommes en train de traiter le bloc audiovisuel dans son ensemble et c’est ce qui importe.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Cette remarque, madame la sénatrice Morin-Desailly, vaudrait également pour France Médias Monde…

Monsieur Lurel, les crédits auxquels vous avez fait référence n’ont pas été versés en 2024, parce que la réforme a été décalée. Tout est donc décalé : les crédits de 2024 seront versés en 2025 et ceux de 2025 le seront en 2026.

Par ailleurs, je suis favorable à ce qu’ils soient intégrés aux dotations de base.

Je suis également favorable, monsieur le sénateur, à ce que la proposition de loi organique soit votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. N’oubliez pas que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, preuve que notre volonté rejoint la vôtre.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.

Article 3

La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi organique est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Le Gouvernement propose la levée du gage prévu à l’article 3 par la suppression de cet article. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Mes chers collègues, je tiens à insister sur ce manque d’anticipation : il est inexcusable. C’est à mon sens une forme de gouvernance par procrastination !

Je remercie néanmoins mes collègues d’avoir défendu cette proposition de loi organique au Sénat. À nos yeux, en effet, il est urgent de garantir et de sanctuariser un financement clairement établi.

Ce texte est un moindre mal, mais je rappelle que l’impôt indirect n’épargne pas les plus modestes.

J’ai bien entendu que la gouvernance de l’audiovisuel public devait se réorganiser pour ne pas disparaître et que sa réforme allait de pair avec les dispositions de cette proposition de loi organique. Dès lors, je m’interroge : s’agira-t-il d’une holding ou d’une fusion à terme ? Nous verrons bien.

Compte tenu de l’urgence de la situation et pour ne pas nous soustraire à nos obligations, nous voterons en faveur de ce texte. Reste que la disposition que nous adopterons aujourd’hui n’empêche nullement de mettre en œuvre d’autres solutions.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà dit, nous voterons évidemment cette proposition de loi organique, tout simplement pour éviter la budgétisation de l’audiovisuel public.

Nous regrettons une nouvelle fois la précipitation dans laquelle nous sommes amenés à légiférer sur un sujet aussi important. À cet égard, je tiens à remercier mes collègues de leur initiative, sans laquelle nous aurions véritablement été très inquiets quant au devenir de notre audiovisuel public.

Madame la ministre, nous attendons de votre part une vision stratégique globale.

Je le répète, plutôt que de commencer par la gouvernance, par parler de « holding » ou de « fusion » – j’ignore si nous aurons à en débattre de nouveau – ou par discuter du financement, puisque celui-ci est lié à la gouvernance, je pense que nous devons d’abord savoir précisément quelles doivent être les missions de l’audiovisuel public.

Ensuite, comme Catherine Morin-Desailly et moi-même le martelons depuis plusieurs années, nous devons savoir quel modèle économique nous voulons privilégier face aux enjeux d’aujourd’hui – ce ne sont déjà plus les mêmes qu’il y a trois, quatre ou cinq ans –, dans le contexte européen que nous connaissons. C’est très important.

Enfin, nous devrons étudier les conséquences de ce financement. Ce n’est pas que je n’y crois pas, mais, très sincèrement, je ne pense pas qu’il soit aussi sûr que cela en matière d’indépendance. Il nous faut retravailler à une redevance modernisée, répondant aux enjeux du XXIe siècle, permettant véritablement de recréer ce lien entre l’audiovisuel public et nos concitoyens.

Madame la ministre, vous savez bien que certains impôts sont justes ! Voyez ce qui se passe en ce moment : on reparle de la fiscalité locale, de la taxe d’habitation… Les calendriers sont plus ou moins les mêmes.

Nous avons une réflexion à mener. Le Sénat y est prêt, pour avoir déjà travaillé sur le sujet.

C’est faire honneur à notre audiovisuel public que de remettre aujourd’hui ce travail en mouvement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Quitte à anticiper sur le résultat du vote, je remercie d’emblée l’ensemble de mes collègues, notamment Sylvie Robert, qui vient de s’exprimer, et Patrick Kanner, qui l’a fait en commission : je le sais, tous deux ne partagent pas exactement nos vues, comme ma collègue m’a rappelé.

Aujourd’hui, face au mur qui se dresse devant nous, nous devons assumer nos responsabilités dans cet hémicycle en prenant une décision. C’est, me semble-t-il, ce que la plupart d’entre nous s’apprêtent à faire en votant cette proposition de loi organique.

Ne nous y trompons pas : si nous avons eu un débat un peu technique sur l’article 2 ou sur les différences entre PSR et affectation de la TVA, ce que nous apportons aujourd’hui n’est pas une réponse technique : c’est une réponse politique.

Nous affirmons haut et fort aujourd’hui, avec ce texte court, que nous souhaitons fixer une règle d’indépendance et d’autonomie pour les médias publics français, en France et à l’étranger.

Bien que brève dans sa forme, cette réponse est forte. N’oublions pas qu’elle était très attendue par l’ensemble des sociétés d’audiovisuel public et par leurs 16 000 salariés. Ce petit texte offre donc une réponse importante pour notre système démocratique, pour la liberté d’information dans notre pays et, en corollaire, pour la qualité de cette information.

J’ai aujourd’hui une pensée pour tous ceux qui attendaient cette mesure. Ils sont nombreux à en juger par le nombre de témoignages que nous avons reçus.

Je remercie tous ceux qui ont pris part au travail sur cette proposition de loi organique : mes collègues cosignataires et l’ensemble des groupes politiques, qui vont faire le geste de le voter, quelles qu’aient été leurs positions initiales. J’associe évidemment à mes remerciements nos collègues de l’Assemblée nationale qui, avec nous ou avant nous, ont élaboré ce dispositif.

J’espère que l’issue que ce texte connaîtra à l’Assemblée nationale à la fin du mois de novembre prochain sera aussi favorable que celle qui se dessinera dans quelques instants dans cet hémicycle.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, je souhaite à mon tour remercier l’ensemble de mes collègues. Je rappelle combien notre assemblée s’est impliquée depuis tant d’années en faveur de la défense et de la promotion de l’audiovisuel public.

Je suis heureuse que ce travail se conclue de façon très positive ce soir. Il y avait en effet véritablement urgence ! C’est Nathalie Sonnac, ancienne conseillère au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui parle d’« urgence démocratique ».

Quand on se penche sur les travaux que nous avons réalisés sur les ingérences étrangères ou sur les conclusions des états généraux de l’information, on mesure à quel point un audiovisuel public de qualité qui traite l’information de manière différenciée et qui, surtout, combat la désinformation en France et à travers le monde est plus que jamais essentiel.

Nous sommes dans une guerre de l’information. Il importe d’avoir les outils de réponse appropriés à ces nouveaux combats, qui peuvent être tout à fait délétères.

Comme Cédric Vial, je me réjouis que les entreprises de l’audiovisuel public soient ce soir soulagées de savoir qu’elles pourront poursuivre leurs missions, ce qui, d’ailleurs, ne les dédouane absolument pas de continuer à réfléchir avec nous à celles-ci et à ce qui en constitue le cœur.

Donnons du sens aux travaux qui, nous l’espérons, s’engageront dans les semaines et mois à venir, pour que cette réforme n’en soit pas dépourvue.

Il s’agit avant tout de réfléchir aux enjeux des missions des entreprises de l’audiovisuel public, aux moyens que l’on donne à ces dernières et à l’optimisation de leur organisation pour qu’elles puissent les assumer de manière satisfaisante.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je tiens à rebondir sur les propos de Monique de Marco, pour lui dire que, s’il y a bien un endroit où l’on ne procrastine pas, c’est au Sénat ! (Sourires.)

Alors que l’examen du texte touche à sa fin, je tiens à remercier la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), et, au premier rang, sa directrice, Florence Philbert.

Même si ses oreilles ont sifflé ce soir, je remercie également la direction du budget, qui était présente dans cet hémicycle.

Mme Rachida Dati, ministre. Bravo !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je n’oublie pas la commission des finances du Sénat.

J’ai beaucoup entendu parler, ce soir, d’anxiété, de pérennisation, de sanctuarisation.

Mes chers collègues, je partage bien évidemment ces préoccupations. Toutefois, n’oublions pas – je parle sous le contrôle du rapporteur général et du président de la commission des finances – qu’il existe des principes budgétaires intangibles, comme l’universalité ou la spécialité, mais, surtout, l’annualité.

Libre à nous de croire que l’audiovisuel public serait une bulle qui aurait un financement ad vitam æternam. Je rappelle simplement que le Président de la République Emmanuel Macron a symboliquement baissé la contribution à l’audiovisuel public d’un euro. Il a donc, à un moment donné, obtenu le vote du Parlement en ce sens. C’est bien grâce à l’annualité que, chaque année, nous avons à voter ce budget. C’est constitutionnel, et c’est heureux.

En revanche, ce qui doit nous rendre anxieux, c’est l’état financier de notre pays. Sur ce point, personne ne pourra s’exonérer des efforts à faire.

Mme Rachida Dati, ministre. Bravo !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 23 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 339
Contre 1

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, GEST et CRCE-K.)

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 29 octobre 2024 :

À quatorze heures trente :

Proposition de loi visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, présentée par Mme Christine Lavarde et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 62, 2023-2024).

En outre, de quatorze heures trente à quinze heures :

Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République ; ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des affaires économiques pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à léchelle locale a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mmes Dominique Estrosi Sassone, Sylviane Noël, MM. Jean-François Husson, Yves Bleunven, Mmes Viviane Artigalas, Frédérique Espagnac et M. Bernard Buis ;

Suppléants : Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Amel Gacquerre, M. Rémi Féraud, Mme Marianne Margaté, M. Cédric Chevalier et Mme Antoinette Guhl.

nomination dun membre dune commission spéciale

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la résilience des activités dimportance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Stéphane Le Rudulier est proclamé membre de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la résilience des activités dimportance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier.

nomination de membres dune délégation sénatoriale

Le groupe Les Républicains a présenté des candidatures pour la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : MM. Alain Milon et Laurent Somon sont proclamés membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Olivier Bitz est proclamé membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, en remplacement de M. Jean-François Longeot, démissionnaire.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER