M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Union européenne est un projet de paix, qui s’est bâti sur un continent dévasté par deux guerres mondiales. La France et ses partenaires ont fait le choix du commerce et des échanges pour repousser les conflits.

Ce faisant, nous avons été tentés de ne pas voir que la compétition entre les États se poursuivait. Le spectre des actions hostiles est large entre la paix et la déclaration de guerre. Aujourd’hui, nos adversaires prennent soin de ne pas franchir le seuil de la conflictualité afin de ne pas s’exposer à des représailles directes.

La Russie, la Chine et l’Iran sont trois puissances hostiles à la démocratie libérale. Ces pays pratiquent depuis plusieurs siècles les stratégies indirectes.

Parce qu’elle est la patrie des droits de l’homme, parce qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et parce qu’elle tient tout particulièrement à son indépendance et à sa souveraineté, la France est une cible de choix.

Alors même que nos soldats sont déployés dans de nombreuses opérations de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme, nous apparaissons singulièrement démunis sur le théâtre de la guerre informationnelle, cette néo-guerre permanente qui abolit la frontière entre la paix et la guerre.

Il aura fallu attendre 2018, à la suite des graves ingérences dans l’élection présidentielle de 2017, pour que la lutte contre la manipulation de l’information soit renforcée dans notre pays. La création de Viginum est encore plus récente.

Les démocraties sont particulièrement sensibles aux attaques informationnelles. La souveraineté nationale appartient au peuple, qui est donc très exposé aux actions d’influence et aux manipulations de l’information. C’est ce que nous constatons chaque jour avec la guerre en Ukraine, dans le conflit qui oppose Israël au Hamas, mais aussi au travers des émeutes en Nouvelle-Calédonie. Euromore, la nouvelle arme de la guerre informationnelle russe lancée il y a quelques jours nous rappelle, après l’interdiction de Russia Today (RT) et de Sputnik, que l’hydre empoisonnée est malheureusement éternelle.

Ces actions ne visent pas que nos concitoyens ; elles ciblent aussi les décideurs publics et le débat public lui-même. Voilà tout l’intérêt de cette proposition de loi, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.

Les personnes agissant pour le compte d’un mandant étranger, dans le but d’influer sur la décision publique, seront astreintes à des obligations déclaratives. Cette plus grande transparence nous permettra de détecter les stratégies mises en œuvre par les puissances étrangères. Le cas échéant, les pouvoirs publics seront en mesure d’entraver les ingérences décelées.

Au-delà de ces obligations déclaratives, le texte prévoit une expérimentation de quatre ans au cours desquels nos services de renseignement seront autorisés à mettre en œuvre des traitements automatisés de données.

Cela permettra, là encore, de mieux repérer et d’entraver les actions d’ingérence étrangère, et plus généralement toutes les menaces pesant sur la défense nationale.

Le texte final reprend plusieurs des mesures intégrées par le Sénat, et je m’en félicite. Parmi elles, citons l’alourdissement des sanctions pénales des infractions commises pour le compte d’un mandant étranger. Avec le gel des avoirs, il s’agit sans doute là de l’une des meilleures réponses aux ingérences menées dans notre pays.

Nous avons tardé à prendre conscience que l’influence qui se transforme en ingérence doit être punie. La proposition de loi que nous nous apprêtons à voter constitue l’une des étapes d’un réveil nécessaire.

D’autres sont attendues. Le volet économique de l’ingérence étrangère devra encore faire l’objet de mesures spécifiques si nous souhaitons préserver notre souveraineté. C’est notamment le cas avec nos données. Si je regrette que nous ne disposions pas d’un cloud français souverain, voire d’un cloud européen souverain, je me console en pensant que nous recourons à celui de nos alliés (Mme Nathalie Goulet manifeste son scepticisme.), mais ce n’est qu’un pis-aller.

Désormais, et grâce à notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, nous aurons, chaque année, un débat sur le contrôle des investissements étrangers en France. Il s’agit d’un instrument de contrôle majeur que nous devons nous approprier.

La France est en retard, mais cette proposition de loi incarne une dynamique nouvelle. Nous serons plus attentifs et plus intransigeants quant aux ingérences afin de mieux protéger nos concitoyens et notre souveraineté. Nous devons également avancer au sein de l’Union européenne sur ces questions hautement stratégiques pour nos démocraties.

Le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada ont légiféré ou vont légiférer en ce sens. Cela témoigne du climat de notre époque. La loi américaine contre les ingérences étrangères date de 1938, veille de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide qui l’a suivie.

Nous entrons dans une période de confrontation accrue. Avec cette loi, nous contribuons à nous doter des moyens de ne pas la subir, tout en rappelant que le meilleur bouclier est celui des forces morales au sein d’une démocratie vigoureuse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme souvent ces derniers temps, j’interviens en fin de débat, quand tout a déjà été dit ! (Sourires.)

M. Rachid Temal. C’est la faute d’Hervé Marseille ! (Mêmes mouvements.)

M. Jacques Fernique. C’est moi le dernier intervenant ! (Nouveaux sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Ainsi en a décidé le sort !

Le registre des acteurs d’influence étrangère ? Très bien. Les techniques algorithmiques ? Très bien. Le gel des avoirs ? Encore mieux ! Le renforcement du dispositif pénal ? Parfait ! (Sourires.)

Le texte qui nous est proposé, madame la ministre, est la preuve que quand on veut, on peut aller vite.

Permettez-moi tout de même ici un parallèle avec notre débat douloureux et au forceps sur les cabinets de conseil, autre force d’ingérence et d’influence. Le moins que l’on puisse dire est que le Gouvernement ne montre pas autant de bonne volonté. C’est un sujet sur lequel il est pourtant également absolument nécessaire de légiférer. Imputer les ingérences et les influences uniquement à l’étranger, c’est faire fi des sujets franco-français.

Qu’il s’agisse des lobbies ou des cabinets de conseil – nous avons eu un débat musclé cette semaine –, j’espère que la navette se poursuivra rapidement et qu’elle nous permettra d’aboutir à un accord sur un texte le plus proche possible de celui du Sénat, notre assemblée étant très attentive à ces questions de conflit d’intérêts.

Le texte qui nous est proposé vise à plus de transparence : parfait, c’est ce qu’il nous faut ! Mais vous ne pouvez pas à la fois plaider pour plus de transparence dans le périmètre restreint de cette proposition de loi et maintenir les opacités du texte sur les cabinets de conseil. Du point de vue de la majorité sénatoriale, c’est tout à fait inacceptable.

Le pantouflage et le « rétropantouflage » sont aussi des éléments qui permettent des ingérences et des influences. Ce sont des sujets sur lesquels il faudra encore travailler.

Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, dix ans après sa promulgation, la loi Sapin doit être revisitée et évaluée. Je pense, notamment, aux lanceurs d’alerte et aux aviseurs, en particulier en matière fiscale.

La loi Sapin, on le sait, est consécutive à l’affaire Jérôme Cahuzac, selon l’habitude propre à notre pays d’avoir un scandale, une loi ! Il est temps de relier tous ces maillons et de revoir la loi Sapin à l’aune des nouveaux dispositifs.

Par ailleurs, comme cela a été maintes fois rappelé à cette tribune, il est beaucoup trop réducteur de limiter les ingérences et les influences au seul secteur du numérique. Soyons cohérents et parlons aussi de la lutte contre l’islam radical. (M. Roger Karoutchi acquiesce.) C’est un sujet qui doit être pris extrêmement au sérieux, notamment en matière de financement du terrorisme, car l’ingérence se fait aussi au travers de moyens.

Je citerai l’exemple de collectes de fonds sur le territoire national au profit d’écoles d’oulémas, notamment en Mauritanie, en lien avec les Frères musulmans. Ces collectes, donnant lieu à des déductions fiscales qui retombent sur l’ensemble des contribuables, viennent nourrir des écoles d’oulémas fréristes dont les élèves iront ensuite fomenter des révoltes et des attentats contre nos propres soldats en Afrique de l’Ouest. Il importe donc que nous nous montrions cohérents sur toutes ces questions d’ingérence et d’influence.

Ce texte est important, mais il n’aborde qu’une seule partie du problème. Il convient, évidemment, de donner des moyens à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Le groupe Union Centriste votera le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire tout en attirant votre attention sur un point vigilance extrêmement important en ce qui concerne les ingérences franco-françaises. Ces dernières sont au moins tout aussi importantes que les questions de transparence. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remplace ma collègue Mélanie Vogel, empêchée aujourd’hui.

Je serai donc le dernier des intervenants à s’exprimer, après la dernière intervenante. (Sourires.)

Quand Jean de La Fontaine écrivit au XVIIe siècle sa fable sur la course entre un lièvre et une tortue, il ne pensait probablement pas qu’il y aurait un jour un Parlement comme le nôtre pour faire des lois. Et il pensait sûrement encore moins aux ingérences étrangères. Néanmoins, nous devrions tirer les leçons de cette fable à l’heure où nous tentons de protéger notre démocratie et la République contre les tentatives malveillantes de puissances étrangères.

Ces stratégies dangereuses peuvent commencer par l’influence – par exemple, par le biais de la diffusion de certaines informations sur les médias – ou des investissements massifs dans des infrastructures essentielles. Ainsi, les ports maritimes du Havre et de Marseille appartiennent à une entreprise d’État chinoise.

En parallèle, nous devons faire face à des tentatives d’ingérence, ce dont témoignent de nombreux scandales récents dont les exemples, hélas ! ne manquent pas. Je ne reviendrai pas sur le Qatargate, qui a impliqué des eurodéputés de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) ou sur les prêts du Rassemblement national contractés auprès des banques russes.

Il est impératif de lutter contre ces tentatives d’ingérences étrangères qui ne cessent de se multiplier – sur ce point, le consensus est heureusement assez large.

Si la menace avait été totalement prise au sérieux, elle aurait appelé une réponse globale, avec des mesures à la fois ciblées et efficaces. Il aurait fallu un projet de loi complet, accompagné d’une étude d’impact.

Or le Gouvernement n’a manifestement pas parfaitement mesuré l’importance du problème et a cru suffisant l’examen d’une proposition de loi de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, inscrite à l’agenda parlementaire sur le temps gouvernemental.

L’adoption à la va-vite d’un tel texte est bien évidemment plus simple que l’examen d’un projet de loi, mais, compte tenu des stratégies de nos adversaires et de l’importance du sujet, une telle réponse ne peut qu’être incomplète.

Certes, cette proposition de loi comprend des avancées.

Nous saluons ainsi la création d’un répertoire des activités d’influence menées pour le compte d’un acteur étranger. Ce registre permettra d’éviter les abus les plus flagrants, en renforçant la transparence.

Si nous nous félicitons que la commission mixte paritaire ait validé le pouvoir de sanction de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en cas de manquement aux obligations déclaratives, nous déplorons que ces obligations restent incomplètes. Entre autres, il aurait fallu obtenir que les lobbyistes renseignent les montants des financements reçus par leurs mandataires étrangers, comme ils le font au Parlement européen et comme nous l’avons proposé par le biais d’un de nos amendements.

Nous nous réjouissons également que la commission mixte paritaire ait validé l’élargissement à la lutte contre les ingérences étrangères de diverses mesures, comme le gel des avoirs des personnes se livrant à des faits d’ingérence ou encore la possibilité de continuer à utiliser les techniques spéciales d’enquête lorsqu’une affaire est confiée par les services de renseignement à l’autorité judiciaire.

Cependant, cette proposition de loi comporte tout de même, à notre sens, un double défaut.

Premièrement, en élargissant le recours au traitement algorithmique des données de connexion, elle restreint encore plus les libertés publiques, car cette technique relève de la surveillance de masse.

Je ne veux pas revenir sur les caractéristiques de cette technique de renseignement à l’efficacité incertaine ; je me permets seulement de constater qu’un ajout en commission mixte paritaire est venu organiser le traitement pénal des atteintes à ce traitement algorithmique.

Madame la ministre, que faites-vous pour éviter de telles atteintes avant qu’elles ne se produisent ? Que faites-vous pour éviter que les données collectées par l’algorithme ne soient ensuite vendues ? Ne craignez-vous pas que ces données ne soient vulnérables à une cyberattaque ?

Deuxièmement, nous déplorons que la proposition de loi soit largement incomplète. De fait, les ingérences étrangères dépassent de loin le seul champ couvert par ce texte.

On ne trouve pas un mot sur les postes de police chinois sur notre territoire, alors qu’ils représentent une atteinte flagrante à la souveraineté nationale ! Pas un mot sur les imitations des publications de presse, alors qu’elles risquent d’éroder la confiance dans les médias ! Pas un mot non plus sur le financement de la vie politique, alors que l’extrême droite accepte à bras ouverts les dons et financements étrangers ! À cet égard, il serait urgent de créer enfin une banque de la démocratie.

Bien que toutes les propositions en ce sens aient été écartées, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce texte, qui comprend des mesures que nous appelons nos vœux depuis longtemps.

Il n’empêche que nous craignons que ce texte ne crée seulement l’illusion d’une réponse complète à un problème en réalité bien plus complexe et bien plus large.

Il est grand temps que le Gouvernement prenne enfin le risque d’ingérences étrangères à bras-le-corps. Comme la course décrite par La Fontaine, cette bataille se gagne non pas en quelques sauts tardifs, mais seulement grâce à un effort stratégique et tenace sur la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Christophe Chaillou applaudit également.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate
Examen des conclusions d'une commission mixte paritaire

Ordonnance de protection

Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi allongeant la durée de l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate (texte de la commission n° 610, rapport n° 609).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un peu plus d’un an après la présentation du rapport Plan rouge VIF, que j’ai eu l’honneur de remettre au Gouvernement avec notre collègue députée Émilie Chandler, autrice de la présente proposition de loi, nous sommes aujourd’hui réunis pour avaliser – du moins je l’espère – la sixième réforme des ordonnances de protection depuis leur instauration en 2010. C’est la preuve de l’attention que le Parlement porte à la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF).

Lors de l’examen de la proposition de loi, le mois dernier, cette réforme, que nous avons adoptée à l’unanimité, nous est apparue nécessaire et opportune. Je ne reviendrai pas dans le détail sur son contenu, sur lequel nous avons débattu avec passion il y a quelques semaines.

Quoi qu’il en soit, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, qui préserve les principaux apports du Sénat, me semble satisfaisant.

En effet, le compromis qui vous est proposé maintient les deux mesures phares qui étendent dans le temps la protection des victimes : en amont, la création d’une ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) ; en aval, le doublement de la durée maximale de l’ordonnance de protection.

De plus, le Sénat a profondément enrichi le texte, et nous pouvons nous féliciter que ces compléments aient fait l’objet d’un accord lors de la commission mixte paritaire.

Dans le détail, je soulignerai six apports du Sénat.

Premièrement, sur l’initiative de notre assemblée, et plus particulièrement de nos collègues Olivia Richard, Elsa Schalck et Mélanie Vogel, le code civil est modifié pour préciser ou, du moins, rappeler qu’il peut toujours y avoir danger, y compris lorsque la cohabitation a pris fin ou qu’elle n’a jamais eu lieu.

Certes, cette modification ne va pas aussi loin que la redéfinition du critère du danger que nous avons évoquée lors de nos échanges. Elle permettra toutefois de répondre à la frilosité de certains juges, qui refusent de délivrer des ordonnances de protection lorsque la victime présumée et l’auteur des violences ne vivent plus sous le même toit, même momentanément.

Cela ne va pas assez loin, mais je suis persuadée, comme l’a exprimé Laurence Rossignol lors de son intervention, que nous n’en sommes pas à la fin de nos discussions sur les outils de protection et sur la difficulté de confier à un juge civil des mesures d’ordre pénal. J’avoue avoir beaucoup appris sur cette frontière entre civil et pénal lors de l’examen du texte !

Deuxièmement, pour ce qui concerne l’ordonnance provisoire de protection immédiate, je regrette qu’il n’ait pas été possible de permettre à la personne en danger de saisir directement le juge aux affaires familiales (JAF), mais, là encore, la frontière entre pénal et civil s’est fait sentir.

Nous pouvons toutefois nous réjouir de l’extension des mesures que pourra prononcer le juge, à savoir la suspension de l’exercice de l’autorité parentale ou l’autorisation de dissimulation de l’adresse de la victime présumée.

Troisièmement, nous avons aligné les peines encourues pour non-respect d’une ordonnance provisoire de protection immédiate et non-respect d’une ordonnance de protection, dans un souci de lisibilité du droit, certes, mais surtout pour permettre au juge d’imposer le port d’un bracelet antirapprochement (BAR) à la personne ayant violé une mesure édictée dans le cadre d’une ordonnance de protection.

Quatrièmement, nous avons permis au procureur d’attribuer à la victime un téléphone grave danger (TGD).

Cinquièmement, nous avons adapté le code électoral afin de répondre à un défaut d’articulation avec le code civil et de garantir l’effectivité de la dissimulation de l’adresse de la victime lorsque celle-ci est prononcée par le juge, y compris sur les listes électorales, qui sont, comme vous le savez, consultables par tous. Nous devons cette avancée à une proposition de notre collègue Anne-Sophie Romagny.

Sixième point, et non des moindres, le juge pourra désormais, dans le cadre d’une ordonnance de protection, attribuer temporairement à la personne en danger la jouissance des animaux de compagnie du couple, qui, trop souvent, constituent pour le conjoint violent un moyen de pression à l’égard de ses enfants et de l’autre conjoint. Nous devons ce progrès au combat de notre collègue Arnaud Bazin ; je tenais à le saluer.

Ce texte constitue donc bien un progrès.

Je tiens cependant à préciser, monsieur le garde des sceaux, que nous suivrons avec une attention toute particulière son application, notamment les décrets et différentes circulaires sur lesquels se sont engagés vos services, tout comme la ministre Sarah El Haïry, lors des débats en première lecture.

Mais je suis sûre que vous allez nous confirmer une fois de plus votre volontarisme dans ce combat que nous partageons contre les violences intrafamiliales, et que nous pouvons avoir toute confiance en votre parole !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Bien sûr !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Compte tenu de ces réelles avancées et du compromis que nous avons, en bonne entente, trouvé avec nos collègues députés, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure et présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que la commission mixte paritaire a été conclusive. Laissez-moi donc vous dire combien je suis heureux d’être avec vous aujourd’hui pour voir aboutir – du moins je l’espère – cette proposition de loi tant attendue, grâce à un engagement transpartisan.

La lutte contre les violences intrafamiliales et conjugales est un combat qui doit être mené sans relâche et sans répit, à un niveau de mobilisation et de vigilance rouge. Je dirais même, chère Dominique Vérien, même si je concède que le jeu de mots est un peu facile, « rouge vif », en référence, bien sûr, à votre rapport, dont j’ai déjà eu l’occasion de saluer à de multiples reprises la très grande qualité et dont ce texte reprend l’une des recommandations phares, à savoir « créer, dans la loi, la possibilité de délivrer une ordonnance de protection immédiate pour répondre aux situations les plus urgentes ».

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cinq ans après le Grenelle, notre mobilisation n’a pas faibli. Je le dis, elle ne faiblira pas. Nous continuons de porter haut cette grande cause, et de construire une justice plus protectrice.

Depuis que je suis garde des sceaux, la lutte contre la récidive et la lutte contre les violences faites aux femmes font partie des priorités de la politique pénale sans cesse rappelées aux procureurs de la République de notre pays.

Désormais, tous les outils de protection sont à la disposition des juridictions, comme les téléphones grave danger et les bracelets antirapprochement, qui, vous le savez, sont remplacés automatiquement afin que les juridictions n’en manquent jamais, mais également les ordonnances de protection, dont le nombre a explosé.

La mobilisation de tous les professionnels a permis le déploiement de 5 693 téléphones grave danger actuellement, contre 976 en 2020. Vous avez déjà fait le calcul : c’est une multiplication par six !

Plus de 1 000 BAR ont été posés en 2023, ayant permis plus de 10 400 interventions des forces de sécurité intérieure (FSI). Ce sont autant de vies sauvées.

De même, les condamnations pour violences ont augmenté de 136 % depuis 2017, passant de 22 202 à 52 302 en 2023.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai mentionné d’emblée le progrès que constitue la création de l’ordonnance de protection immédiate.

Le délai est passé de quarante-deux jours, en 2017, à six jours aujourd’hui. Demain, grâce à cette loi, nous passerons à quelques heures.

Les débats ont permis de tracer les contours et de soulever les enjeux complexes liés à la mise en place de ce dispositif tout à fait novateur et inédit, mais aussi très dérogatoire, en ce sens qu’il conduit à conférer au juge civil des prérogatives de nature quasi pénale, en amont de toute déclaration de culpabilité et, surtout, en l’absence de contradictoire.

C’est pourquoi je tiens à souligner le travail important accompli par la commission mixte paritaire, qui n’a éludé aucun sujet pour parvenir à offrir au juge civil un cadre sécurisé d’intervention urgente. Sous l’égide des deux rapporteures, Mmes Dominique Vérien, pour le Sénat, et Émilie Chandler, pour l’Assemblée nationale, vous avez retrouvé les équilibres initiaux, tout en perfectionnant le texte pour qu’il soit pleinement effectif.

Cela nous permet aujourd’hui de nous réjouir collectivement des avancées concrètes permises par cette proposition de loi.

En premier lieu, celle-ci renforce l’ordonnance de protection délivrée, en allongeant à douze mois la durée initiale de protection des victimes et en précisant que l’absence de cohabitation ne peut être un motif de rejet par le juge.

Ensuite, elle crée l’ordonnance de protection immédiate, nouvelle mesure essentielle, totalement articulée avec la saisine initiale du juge aux affaires familiales, grâce au mécanisme de la requête accessoire laissé à la main du procureur, seul à même de détecter le danger grave et immédiat en évitant tout risque d’instrumentalisation.

Je tiens à rappeler que la partie demanderesse pourra manifester son consentement à la protection immédiate dans le cadre de la requête initiale.

Soyez-en convaincue, madame la rapporteure, nous le préciserons par voie de circulaire et nous modifierons le formulaire de la requête permettant à la victime de produire toutes les pièces utiles à la caractérisation du danger grave et immédiat.

Je tiens également à souligner plusieurs enrichissements d’origine parlementaire.

Le Sénat a souhaité permettre au juge de confier l’animal de compagnie à la personne en danger. Si cette disposition peut faire sourire, il s’agit bien là de répondre à une réalité et de participer à briser les mécanismes de l’emprise. Je sais que vous y teniez, madame la rapporteure ; je suis très heureux que cela figure dans le texte issu de la commission mixte paritaire.

Le texte étend également le mécanisme de l’ordonnance de protection immédiate aux mariages forcés.

Il autorise le juge à suspendre l’exercice du droit de visite et d’hébergement, en cohérence avec les interdictions de contact.

Il autorise la dissimulation de l’adresse de la personne en danger jusque sur les listes électorales.

Enfin, il harmonise et élève les sanctions en cas de non-respect des obligations ordonnées par le juge, en fixant la peine encourue à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Vous l’aurez compris, je soutiens pleinement, totalement, le texte élaboré par la commission mixte paritaire, qui intègre toutes les garanties permettant de sécuriser le dispositif, malgré l’absence de contradictoire et de voies de recours, en conciliant la nécessité de l’urgence de la protection avec celle de ne pas porter atteinte aux libertés.

Je souhaite, enfin, répondre à certaines interrogations légitimement exprimées en séance publique. De fait, il convient de garantir l’efficacité de cette réforme, et notre devoir collectif est d’agir en responsabilité.

Le texte sera complété par un décret et une circulaire d’application permettant de décrire avec précision la mise en œuvre opérationnelle du dispositif. Je veillerai personnellement, madame la rapporteure, à la diffusion de tous les outils pratiques qui permettront aux procureurs de détecter les situations les plus urgentes.

Je veux aussi que la mise en place de ces nouveaux dispositifs soit une occasion supplémentaire pour les acteurs judiciaires de travailler ensemble et d’utiliser toutes les passerelles entre les procédures civiles et pénales, notamment dans le cadre des pôles spécialisés VIF, qui renforcent la fluidité de la circulation de l’information pour mieux détecter le danger. C’était là aussi l’une de vos recommandations, madame la rapporteure ; elle est désormais une réalité.

Sous l’impulsion du Président de la République et du Parlement, et grâce à la mobilisation totale de mon ministère, les juridictions se sont adaptées pour diviser par sept les délais d’attribution des ordonnances de protection. Le taux d’acceptation dépasse désormais 70 %. En 2023, 3 997 ordonnances de protection ont été délivrées, contre 1 392 en 2017 – leur nombre a quasiment triplé !

Aujourd’hui, nous avons l’occasion de faire mieux et de franchir une nouvelle étape avec ce texte important, qui renforce et complète notre arsenal pour agir plus vite, plus efficacement et répondre à toutes les situations.

Mon objectif est très clair : améliorer sans relâche nos outils, y compris juridiques, jusqu’à ce que nous parvenions à terrasser ce fléau des violences faites aux femmes. Dans la lutte contre ces violences, il n’y a aucune fatalité ; notre volonté d’avancer est totale.

C’est pourquoi je vous invite, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à adopter ce texte le plus largement possible. Nous le devons aux victimes et, surtout, à celles qui risquent de le devenir. Il est grand temps de les sauver ! (Applaudissements.)