M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis le troisième parlementaire alsacien à m’exprimer ce soir sur cet accord bilatéral relatif à l’apprentissage transfrontalier signé entre nos deux pays, la France et l’Allemagne. C’est dire l’intérêt de ce texte pour l’Alsace.

De fait, la situation géographique de cette région, séparée de l’Allemagne par le Rhin, représente une formidable opportunité pour notre jeunesse en termes de liens, de projets de coopération dans différents secteurs, qu’ils soient associatifs, économiques, culturels, mais aussi et surtout en termes d’emploi et d’insertion avec le sujet qui nous mobilise aujourd’hui, l’apprentissage transfrontalier. Ce n’est peut-être pas un hasard de calendrier si nous entérinons aujourd’hui, à l’aube des élections européennes, cet important accord. En effet, avec les élections qui se tiendront au début du mois de juin prochain, ce texte prend encore plus de sens pour montrer à notre jeunesse l’intérêt qu’elle peut trouver à la construction de l’Union européenne.

À noter également que cet accord inaugure une série d’autres accords actuellement en préparation avec nos voisins pour construire demain, autour de la France, un véritable « espace européen de l’apprentissage ».

Ayant dirigé pendant de longues années la chambre de métiers d’Alsace, ayant été vice-président de feu le conseil régional d’Alsace chargé de l’économie au moment où il a engagé ces réflexions et signé le premier accord de cette nature, puis un temps président de ce conseil régional, l’apprentissage, plus particulièrement l’apprentissage transfrontalier, est un sujet que j’ai suivi avec attention. En tant que sénateur, il m’a ensuite été donné de poursuivre ce travail, notamment sur les questions de financement, qui posent problème.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a modifié un certain nombre de règles. Ainsi, depuis le 1er janvier 2020, les conseils régionaux ne contribuent plus au financement et à l’élaboration de l’offre de formation par apprentissage ; ce sont désormais les branches professionnelles qui sont chargées de ces formations.

En Alsace, il faut le dire, monsieur le ministre, cela a été un véritable tsunami. En effet, l’ensemble du cadre réglementaire de l’apprentissage transfrontalier a été complètement remis en question et a disparu du jour au lendemain ! Il a fallu tout reconstruire, et c’est après plusieurs années de travail qu’intervient l’accord que nous entérinons aujourd’hui. Quelle inconséquence et quels dégâts !

Quand on stoppe une pratique, une inertie se crée avant un nouveau départ : le nombre des jeunes d’Alsace se lançant dans la voie de l’apprentissage transfrontalier n’a pas encore atteint le niveau d’avant réforme – tant s’en faut. Il stagne.

Je me souviens encore du président du conseil régional Adrien Zeller, qui voulait atteindre 1 000 apprentis transfrontaliers ; aujourd’hui, nous évoquons le chiffre de 300 apprentis – nous sommes loin du compte.

Pour s’assurer une mobilité internationale, ces jeunes se sont tournés vers d’autres dispositifs tels que Erasmus + ou Mona (Mon apprentissage en Europe) ; reste que, d’un point de vue économique et en matière d’emploi, les résultats ne sont assurément pas les mêmes. Je rappelle ici que les entreprises allemandes ont une forte demande de main-d’œuvre et que l’apprentissage transfrontalier permet naturellement des débouchés ultérieurs d’emplois accrus par rapport à une formation domestique.

La leçon que nous avons à en tirer est claire : avant de tout réformer et de tout mettre à plat, mesurons bien les impacts directs et indirects ! C’est ce que nous appelons ici l’étude d’impact.

Je conclurai mon propos par deux points.

En premier lieu, quels que soient les accords que l’on signe, on ne peut évidemment pas faire abstraction des aléas. Je fais bien sûr allusion à la période du covid, qui a elle aussi tout cassé. J’étais alors intervenu pour que, même durant cet épisode, on ne ferme pas les frontières, afin de permettre à l’apprentissage transfrontalier de continuer à fonctionner. Cela avait été dramatique, il me faut le dire. De même, l’épineuse question du financement avait nécessité d’intervenir auprès du Gouvernement, ce que j’avais fait. Mme Borne, alors ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, avait donné des instructions pour qu’à la rentrée 2020, à titre dérogatoire, les apprentis puissent être pris en charge sur les fonds de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Malheureusement, les suites n’ont pas été à la hauteur des attentes.

En second lieu, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains d’entre vous connaissent peut-être mon attachement au droit local alsacien-mosellan. Sur les questions d’apprentissage, celui-ci est très vertueux, en ce sens qu’il est plus exigeant qu’ailleurs sur le niveau d’expérience et de qualification des maîtres d’apprentissage, ce qui est souvent une incontestable garantie pour le jeune s’engageant dans cette voie, avec un bon niveau d’intégration et de formation au sein de l’entreprise. Grâce à cela, en Alsace, les taux de rupture sont moitié plus faibles que ceux des statistiques nationales.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, je me réjouis de ce projet de loi visant à autoriser l’approbation de cet accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier et le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans le droit fil de l’histoire de la coopération franco-allemande depuis le traité de l’Élysée en 1963. En effet, il prolonge toujours plus loin cette volonté commune de perpétuellement renforcer cette amitié entre nos deux pays, au passé si tourmenté.

Le sujet de l’apprentissage me tient particulièrement à cœur, car il mêle éducation et insertion professionnelle, en particulier chez nos jeunes. Dans un territoire comme la Moselle, où ces questions tendent à devenir cruciales, mais également pour tous les départements limitrophes de l’Allemagne au sein de notre belle région Grand Est, l’apprentissage transfrontalier est une chance pour nos concitoyens.

Grâce à lui, les apprentis français ou allemands pourront réaliser, dans un cadre juridique sécurisé, la partie pratique ou théorique de leur apprentissage de part et d’autre de la frontière. Un contrat d’apprentissage sera ainsi conclu avec l’apprenti, selon un modèle standardisé bilingue mis à disposition par les autorités compétentes, françaises ou allemandes.

Ce texte constitue une étape indispensable dans la construction de cet espace européen de l’éducation que nous appelons de nos vœux.

En tant que frontaliers, nous connaissons l’importance de la mobilité de nos travailleurs et des échanges économiques qui en découlent.

Les résultats du dispositif d’apprentissage développé précédemment par la région Grand Est le démontrent : la politique visant à faciliter l’apprentissage transfrontalier est une véritable réussite.

Tout d’abord, cela permet aux jeunes de rapidement trouver un emploi à l’issue de cet apprentissage. En effet, plus de 80 % d’entre eux occupent un emploi dans les trois mois qui suivent, la grande majorité en CDI.

De plus, en comparant ces chiffres à la moyenne nationale des formations équivalentes, on constate que ce même taux n’est que de 65 % six mois après un CAP ou un BTS.

Il semblerait ainsi que nous ayons encore beaucoup à apprendre de nos voisins.

Au-delà de l’employabilité, ce sont véritablement les compétences techniques et linguistiques, ramenées dans leurs bagages par les apprentis, qui font leur force.

Leur conférant une adaptabilité particulièrement prisée par les entreprises des deux côtés du Rhin, ces compétences leur permettent, de fait, une plus grande mobilité, que ce soit en France, en Allemagne, dans l’Union européenne ou à l’étranger.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux régions la compétence de financement principal des formations par apprentissage. Les conséquences immédiates de cette réforme catastrophique ont conduit à réassocier progressivement les représentants régionaux à la gouvernance des politiques d’apprentissage.

Puis, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a permis d’accomplir une partie de son apprentissage dans un pays frontalier, sous réserve de la conclusion d’un accord bilatéral sur le sujet.

Le présent accord doit nous permettre de corriger définitivement cette erreur. Il introduit par ailleurs une longue série de conventions bilatérales avec nos voisins européens sur la question.

En tant que sénatrice de la Moselle, je ne peux que me réjouir de nous voir conclure de tels partenariats avec les Länder allemands du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre, partenaires historiques de nos départements et moteurs de l’économie transfrontalière.

Les précédentes expérimentations sur la question sont sans appel : ce sont nos ressortissants français qui bénéficiaient le plus des contrats d’apprentissage transfrontaliers.

À l’heure où notre pays doit se poser de manière bien plus globale la question de la formation de notre jeunesse, de son orientation et de son insertion professionnelle, offrir à des apprentis motivés une telle possibilité permettra de poursuivre la redynamisation de l’apprentissage en France, tout en dotant nos entreprises de salariés aux compétences reconnues par tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin et M. Ludovic Haye applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces interventions sur ce sujet, qui touche très directement au quotidien de nos concitoyens transfrontaliers.

Je tiens à répondre aux remarques et aux interrogations du sénateur Michaël Weber.

En matière de calendrier, on peut s’attendre à un accord avec la Belgique et le Luxembourg dans les douze mois, c’est-à-dire en 2025, mais nous sommes évidemment tributaires de nos partenaires pour conclure une convention.

J’en viens à nos relations transfrontalières avec l’Espagne. La collaboration est très dynamique, notamment au Pays basque et entre les Pyrénées-Orientales et la Catalogne, où les flux sont les plus denses. Cette coopération touche pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne : éducation, transport, santé, etc. Elle s’approfondira grâce aux traités de Barcelone, notamment dans les zones montagneuses via une approche globale.

À ce moment de nos débats, permettez-moi de saluer le travail de notre ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les relations transfrontalières, Philippe Voiry, qu’un certain nombre d’entre vous connaissent bien et avec lequel vous avez eu l’habitude de travailler. Il a permis au Gouvernement de prendre conscience que nombre de nos frontières avaient des problèmes communs, si bien que la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité et moi-même envisageons de proposer au Premier ministre de réunir un comité interministériel transfrontalier de manière à aborder certains de ces sujets de manière globale.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république fédérale d’allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier, signé à Lauterbourg le 21 juillet 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier.

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille
Examen des conclusions d'une commission mixte paritaire (CMP)

Justice patrimoniale au sein de la famille

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission n° 592, rapport n° 591).

La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Isabelle Florennes, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous soyons réunis aujourd’hui pour examiner le texte établi par la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi.

Force est de constater que le parcours législatif de ce texte aura été particulièrement rapide : adopté par l’Assemblée nationale le 18 janvier 2024, il l’a également été par notre assemblée quelques semaines plus tard, le 20 mars dernier. Nous voilà réunis pour achever ce cheminement législatif. Je ne peux que me féliciter de cette célérité au regard des importantes lacunes que ce texte entend combler dans notre droit.

Mes chers collègues, vous ne serez guère étonnés que, sur une proposition de loi aux objectifs si largement partagés, la commission mixte paritaire soit arrivée à un compromis.

Sur le volet civil du texte, l’article 1er apporte une réponse juridiquement solide à un oubli coupable – si j’ose dire – du législateur, en reprenant la rédaction adoptée par notre assemblée.

Je tiens ainsi à souligner que nous avons maintenu l’impossibilité, pour l’époux « victime », de faire bénéficier l’époux « bourreau » d’une forme de pardon lui permettant de bénéficier des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du mariage, malgré sa déchéance matrimoniale.

Nous avons néanmoins complété ce dispositif, sur l’initiative de notre collègue députée Perrine Goulet, en ce qui concerne la prise en compte des biens propres apportés à la communauté, ce dont je me félicite.

L’article 1er bis A permet la constitution d’un inventaire matrimonial au décès de l’un des époux. Cette disposition aura le mérite de clarifier l’existence d’une telle faculté, au-delà du seul cas de l’inventaire en matière de succession.

L’article 1er bis n’a pas été substantiellement modifié par la commission mixte paritaire, qui en a conservé la rédaction déjà adoptée par le Sénat.

Nous avons depuis été saisis de craintes quant à l’interprétation de cette disposition ; je tiens ici à réaffirmer et à clarifier l’intention du législateur.

Une fois la volonté exprimée par un époux, dans la convention matrimoniale, de renoncer à la révocation de plein droit, au moment du divorce, de certains avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial, il serait toujours possible de modifier la convention matrimoniale pour revenir sur l’expression de cette volonté. En d’autres termes, l’irrévocabilité s’appliquerait non pas à la stipulation de la convention matrimoniale exprimant une telle volonté, mais bien à l’avantage matrimonial en cause.

Cette précision étant faite, j’en viens au volet fiscal de ce texte, qui a fait l’objet de débats au sein de notre assemblée.

Sur ce point, je rappelle notre communauté de vues : il est difficilement tolérable que certaines femmes, notamment lorsqu’elles se séparent d’un mari s’étant soustrait aux obligations déclaratives du ménage à leur insu, soient tenues solidairement responsables d’une dette fiscale qu’elles n’ont pas contractée.

La commission mixte paritaire a repris certaines des dispositions que nous avons adoptées, notamment l’article 2 ter ajouté sur l’initiative de Pascal Savoldelli, et a prévu que ces dispositions s’appliqueraient aux dossiers en cours d’instruction au moment de la promulgation de la loi.

D’autres dispositions n’ont pu être retenues.

Je pense en particulier aux articles 2 bis A et 2 bis B, qui présentaient des risques juridiques et pratiques, notamment en matière de contournement de l’impôt.

Je tiens néanmoins à vous rassurer, mes chers collègues : l’administration fiscale et le ministre Thomas Cazenave ont pris des engagements fermes, reconnus par l’association représentant les intérêts des femmes victimes d’une mauvaise application du mécanisme de décharge de responsabilité solidaire.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : la confiance n’exclut pas le contrôle. Dans le cas où nous constaterions que les résultats de ces premières évolutions ne seraient pas au rendez-vous, le projet de loi de finances pour 2025 permettrait d’aborder de nouveau ce sujet. Je pense que le ministre vous exposera plus précisément cet engagement.

Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce texte. Je saisis cette occasion pour adresser mes plus chaleureux remerciements à Hubert Ott et Perrine Goulet, qui ont appelé notre attention sur ce sujet et proposé de véritables solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la justice patrimoniale au sein de la famille.

Lors du projet de loi de finances pour 2024, nous avons examiné des amendements signés par nombre d’entre vous visant à revoir les conditions d’examen des demandes de décharge de responsabilité solidaire. Je m’étais engagé à travailler rapidement sur le sujet. C’est chose faite.

Ce travail, mené notamment par le groupe Démocrate à l’Assemblée nationale, avec lequel nous avons collaboré dès le mois de décembre dernier, a été enrichi par les deux chambres, ce qui nous permet aujourd’hui d’examiner les conclusions de la commission mixte paritaire et ainsi d’enregistrer des avancées notables, en particulier pour les femmes victimes de violences conjugales.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est l’aboutissement d’un riche travail transpartisan à l’Assemblée nationale comme au Sénat, puis en commission mixte paritaire.

Je veux tout particulièrement saluer le travail des députés Perrine Goulet et Hubert Ott, mais aussi de la rapporteure Isabelle Florennes, qui a beaucoup œuvré pour que nous puissions aboutir à une commission mixte paritaire conclusive.

Ce texte offre d’abord des avancées en matière de droit civil – cet égard, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du garde des sceaux, retenu par une contrainte d’agenda. Il s’agit en effet de combler une grave carence de notre droit des régimes matrimoniaux.

C’est l’ambition de l’article 1er, qui s’attaque directement aux violences conjugales. En l’état actuel de la législation, il n’existe pas de disposition spéciale dans le droit matrimonial pour la situation d’un époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint.

Pour ne citer qu’un funeste exemple, un époux meurtrier peut bénéficier de la clause d’attribution intégrale de la communauté, qui lui permet de jouir de la pleine propriété, au décès de son conjoint, de l’ensemble des biens communs. Cette lacune est aussi injuste qu’insupportable !

En créant le régime de la déchéance matrimoniale, cette proposition de loi transpose très concrètement aux régimes matrimoniaux cet adage dont nous avons fait une devise : le crime ne paie pas.

Désormais, l’époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint ne pourra plus tirer profit des avantages matrimoniaux qui n’auraient pas eu d’effet si la victime n’était pas décédée avant lui.

Cette déchéance s’appliquera automatiquement en cas de condamnation pénale pour homicide conjugal. Elle s’appliquera également, sur décision du juge, pour d’autres actes particulièrement graves, notamment la torture, le viol ou les violences sur conjoint.

Le Sénat a renforcé ce mécanisme nouveau et le travail en commission mixte paritaire a permis de parfaire le dispositif, en prévoyant notamment que, en cas d’apport à la communauté de biens propres par l’époux décédé, la communauté lui devra récompense. Cela permettra concrètement aux héritiers de récupérer lesdits biens, en valeur ou en nature.

La proposition de loi répond également à d’autres formes d’injustice patrimoniale au sein de la famille. Elle vient en particulier modifier l’article 265 du code civil, qui prévoit que les avantages matrimoniaux sont révoqués en cas de divorce. Cela concerne, par exemple, la clause par laquelle les biens professionnels de l’un des époux sont exclus du calcul de la créance due à l’autre époux au moment de la liquidation du régime matrimonial.

Aujourd’hui, les époux peuvent contrer cette révocation de plein droit en prévoyant, dans la convention de divorce, que l’avantage matrimonial produira ses effets même après le divorce. Demain, grâce à cette proposition de loi, ils pourront aussi le prévoir dans le contrat de mariage.

Cette modification, que nous saluons, permettra de sécuriser les conventions matrimoniales et d’améliorer la prévisibilité et la sécurité juridique de ces mécanismes.

Je tiens à rassurer certains praticiens qui ont pu s’inquiéter de la portée de ce texte : l’article 1397 du code civil, qui permet aux époux de modifier leur régime matrimonial tout au long du mariage, trouvera à s’appliquer. En d’autres termes, les époux qui seront convenus de l’irrévocabilité des avantages matrimoniaux dans leur contrat de mariage pourront toujours revenir sur leur décision durant le mariage.

En ce qui concerne le ministère dont j’ai la charge et sur les sujets fiscaux, ce texte constitue une avancée majeure pour les personnes victimes de la solidarité fiscale. Je suis fier de la voir aboutir aujourd’hui.

Former un couple, vivre ensemble et payer ses impôts peut virer au cauchemar pour certaines personnes lorsque leur conjoint commet une fraude fiscale. Au drame personnel vient alors s’ajouter la détresse financière. Nous le savons, ce sont avant tout des femmes qui sont concernées.

Malgré le dispositif actuel de décharge de responsabilité solidaire, aujourd’hui encore, l’administration peut réclamer les dettes contractées par un conjoint fraudeur. Une maison, un véhicule, les économies d’une vie peuvent être saisis. C’est injuste et inhumain ; nous allons y mettre fin.

Pour protéger les personnes victimes de cette solidarité fiscale, une évolution du droit était indispensable ; c’est ce que permet ce texte en prévoyant d’annuler la dette fiscale. C’est bien le sens de ce que je demande à l’administration fiscale : ne pas ajouter de l’inhumanité à la détresse.

En la matière, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue. Il reprend plusieurs des apports du Sénat, notamment la portée étendue du dispositif aux dossiers non définitivement jugés, le remboursement des sommes saisies en cas d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire, adopté sur l’initiative de Pascal Savoldelli, et bien sûr la précision sur le traitement des pénalités apportée par la rapporteure Isabelle Florennes.

C’est donc le fruit d’un travail collectif qui vous est présenté aujourd’hui, mené de concert entre le Parlement, les acteurs associatifs engagés dans la défense des victimes de la solidarité fiscale et le Gouvernement. Il permet d’apporter une solution concrète et opérationnelle supplémentaire en sus de la décharge de responsabilité solidaire.

Comme vous le savez, cette solution permet à l’administration fiscale de déclarer tiers à la dette les personnes victimes de la solidarité fiscale. En l’adoptant, j’ai conscience que la commission mixte paritaire a témoigné de sa confiance à l’égard de cette faculté et de la présentation que j’ai pu vous en faire. Nous saurons être à la hauteur de cette confiance pour faire la preuve, dès les prochaines semaines, de la portée du dispositif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi vous détailler les conditions dans lesquelles cette mesure sera mise en œuvre par l’administration fiscale.

Premièrement, la portée large que vous avez accepté de lui donner, en permettant le dépôt de demandes de remise gracieuse aux personnes s’étant vu refuser l’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire non définitivement jugée, devrait nous permettre de disposer rapidement de plusieurs demandes. Celles-ci seront désormais traitées en lien étroit avec l’administration centrale de la direction générale des finances publiques, pour s’assurer de l’harmonisation des réponses apportées et de la bonne prise en compte de la façon dont nous souhaitons que le nouveau dispositif soit appliqué.

Deuxièmement, en parallèle du traitement des premiers dossiers, nous allons rapidement finaliser la doctrine, à savoir l’interprétation retenue par l’administration fiscale pour l’application de cette faculté, qui lui est opposable. J’en prends l’engagement : la doctrine sera publiée d’ici au mois d’octobre et nous consulterons les acteurs impliqués sur le sujet en amont, pour qu’ils puissent nous faire part de leurs éventuelles observations.

Troisièmement, enfin, au-delà des avancées sur la remise gracieuse, je n’en oublie pas la volonté qui s’est exprimée sur ces travées pour mieux protéger les personnes qui demandent une décharge de responsabilité solidaire. Je ne reviens pas sur les discussions que nous avons eues sur le sujet, mais je vous confirme une évolution sur laquelle je m’engage : désormais, les biens issus d’un héritage ne seront plus recherchés par l’administration fiscale dans la phase de recouvrement de la dette fiscale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité entre les femmes et les hommes est, depuis bientôt sept ans, une priorité du Président de la République et des gouvernements successifs.

Notre enjeu est désormais que la solidarité fiscale ne soit plus un fardeau pour les femmes. Avec ce texte, nous conjuguons encore un peu plus la fiscalité et l’égalité.

Grâce à l’action du garde des sceaux et à celle de tous les parlementaires, nous mettons fin à un monde dans lequel un homme qui tue sa femme peut récupérer l’ensemble des biens qui leur appartenaient.

Ce texte est donc une avancée majeure au service des droits des femmes. Nous pouvons en être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)