Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Chevalier et A. Marc, Mme Lermytte et MM. Wattebled, Chasseing et Brault, est ainsi libellé :
Alinéa 19, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
« Le montant de la subvention proposé peut concerner le montant prévisionnel total du projet engagé. »
La parole est à M. Cédric Chevalier.
M. Cédric Chevalier. Comme on dit, 100 % des gagnants ont tenté leur chance… (Sourires.)
Cet amendement vise à revenir à la rédaction originale du texte, qui ne limitait pas le financement à « la moitié du montant total de la dépense subventionnable au titre du projet concerné ». Les subventions attribuées dans le cadre de la réserve parlementaire, telle qu’elle est prévue par le présent texte, ne doivent pas suivre les mêmes règles que celles qui sont versées par l’État. Elles doivent permettre un financement des projets à 100 %.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. Le fait que le montant de la subvention proposée ne puisse pas couvrir le montant total du projet envisagé est une exigence de bonne gestion. Le montant de la subvention versée par l’État ne peut avoir pour effet de porter le montant des aides publiques directes à plus de 80 % : c’est la règle de droit commun qu’il nous faut garder à l’esprit.
On pourrait en outre mettre en doute la soutenabilité du budget des communes qui ne pourraient pas participer au minimum à la dépense d’investissement ; pourraient-elles, par la suite, faire face aux coûts d’usage ? Une telle mesure ne nous paraîtrait pas saine.
Du reste, les subventions versées au titre de la réserve parlementaire ne seraient pas différentes des subventions de droit commun ; nous ne pouvons donc pas supprimer la règle existante. En l’occurrence, nous avons retenu un plafond de financement de 50 %.
Enfin, permettez-moi de vous dire, sans esprit de malice, que cet amendement me semble contradictoire avec le précédent : en matière de gestion des finances publiques, il me semble largement préférable, plus sain, de pouvoir cofinancer à hauteur de 50 % deux projets d’intérêt général lancés par une même commune que d’attribuer une subvention à une seule commune représentant 100 % du projet, sans avoir la garantie qu’elle disposera du budget de fonctionnement nécessaire pour en assurer, à terme, la viabilité.
Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Je pense que M. Lemoyne ne me contredira pas : il s’agit d’une subvention non pas d’un parlementaire, mais de l’État ; or les subventions de l’État ne peuvent dépasser 50 % du montant du projet considéré.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. 80 % !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous pourrons sans doute peaufiner les choses au cours de la navette.
Il me semble que, entre le texte issu de la commission et l’amendement de notre collègue Chevalier, il existe une voie médiane. Beaucoup de projets peuvent être subventionnés jusqu’à 80 % : il ne me semble donc pas idiot que les financements assurés par la réserve parlementaire puissent atteindre ce niveau.
En outre, ayons en tête la cohérence de nos travaux : il y a quelques heures à peine, la Haute Assemblée a adopté à l’unanimité des présents – 340 voix – une proposition de loi permettant de financer jusqu’à 90 % les travaux de rénovation des bâtis scolaires, donc de dépasser ce seuil de 80 %.
Nous pouvons donc continuer de travailler à cette question. La rédaction de cet amendement n’est sans doute pas tout à fait adéquate, mais, pour la suite de nos débats, je défends l’idée d’un seuil porté à 80 %.
Mme la présidente. Je signale que l’amendement n° 10 tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi organique a été retiré par son auteur.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi organique.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi organique.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique, modifié, de la proposition de loi organique visant à rétablir la réserve parlementaire en faveur des communes rurales et des associations.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 102 :
Nombre de votants | 286 |
Nombre de suffrages exprimés | 268 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 42 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants ; la durée de la suspension sera bien entendu décomptée des quatre heures attribuées au groupe Union Centriste pour l’ordre du jour qui lui est réservé.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-huit, est reprise à dix-sept heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi que nous venons d’adopter, ainsi que celle dont nous allons discuter sont inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe Union Centriste, limité à quatre heures.
Aussi, je me verrai dans l’obligation de lever la séance à dix-neuf heures quinze au plus tard. Si nous n’avons pas achevé l’examen du prochain texte dans le délai imparti, il appartiendra à la conférence des présidents d’en inscrire la suite à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
7
Droits de l’enfant
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative aux droits de l’enfant à entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation de ces derniers, présentée par Mme Élisabeth Doineau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 308 [2021-2022], texte de la commission n° 177, rapport n° 176).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la proposition de loi.
Mme Élisabeth Doineau, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe Union Centriste de me donner l’occasion de présenter ma première proposition de loi.
Enregistrée à la présidence du Sénat le 16 décembre 2021, celle-ci m’a été soufflée par l’un de nos anciens collègues, Yves Détraigne, que je remercie, lui aussi, de m’avoir accordé sa confiance. Je suis très heureuse d’être devant vous aujourd’hui pour débattre d’un sujet essentiel.
Je souhaite que la discussion à venir soit sereine et dépassionnée,…
Mme Élisabeth Doineau. … et qu’elle se déroule dans un esprit d’apaisement et de responsabilité profitable à l’enfant.
Je tiens à le rappeler en préambule, la seule boussole qui m’a guidée au cours de la rédaction de cette proposition de loi est l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ratifiée le 7 août 1990 par la France, reconnaît « le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Cette disposition a été reprise quasiment à l’identique dans la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et figure désormais à l’article 373-2, alinéa 2, du code civil.
Cette même loi a introduit la résidence alternée dans le code civil. Ce mode de résidence est l’application concrète du principe de coparentalité.
En dépit de la volonté du législateur de favoriser son recours, la résidence alternée s’est peu développée en France : selon l’Insee, seuls 12 % des enfants de parents séparés se trouvent en résidence alternée. Selon une méthodologie statistique différente, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) fait état d’une progression de 12 points entre 2012 et 2022 : 29 % des enfants seraient désormais concernés par ce mode de garde.
Quoi qu’il en soit, la fixation d’une résidence alternée est de plus en plus reconnue par les juges comme bénéfique à l’enfant en cas de séparation de ses parents.
Selon la cour d’appel de Versailles, « l’alternance est un système simple, prévisible qui permet aux enfants comme aux parents de se projeter dans l’avenir et de construire des projets fiables. Elle permet aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs de nature différente, mais complémentaires ».
La cour d’appel de Paris en a conclu que l’instauration d’une résidence en alternance offre le meilleur cadre à la mise en œuvre de l’article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 373-2, alinéa 2, du code civil, aux termes duquel chacun des parents « doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ».
La Belgique accorde la priorité à la garde et à la résidence alternée depuis 2006 ; la Suisse s’apprête également à le faire.
En France, la coparentalité et la médiation – à laquelle on recourt de plus en plus – sont des notions qui contribuent déjà à l’évolution des mentalités.
Cependant, une réelle inégalité persiste entre les deux parents. Il nous faut la corriger, tout en ayant pour seule ambition l’intérêt et les besoins de l’enfant.
Selon Christine Castelain Meunier, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « cette nécessaire évolution s’inscrit dans une société marquée par des changements profonds quant à la place et au rôle de chacun des parents, et à l’importance de la négociation pour l’assumer. »
Faisons le pari qu’en clarifiant les règles applicables et en réduisant ainsi l’aléa judiciaire, la loi contribuera à « déjudiciariser » le contentieux familial et à désencombrer les tribunaux.
J’en viens aux dispositions de la proposition de loi telle que je l’avais présentée.
L’article 1er prévoyait d’aligner la rédaction de l’article 373-2 du code civil sur celle de l’article 9, alinéa 3, de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le code civil disposerait désormais que chacun des parents « doit maintenir et entretenir régulièrement des relations personnelles avec l’enfant » – c’est cet adverbe qui serait ajouté.
L’article 2 visait à encourager le recours à un temps de présence parentale aussi équilibrée que possible. Il s’agissait non pas d’imposer au juge une solution unique – et je ne peux qu’insister sur ce point, car cela m’a été reproché –, alors que les situations familiales peuvent être diverses, mais de faire en sorte qu’en France, conformément à la jurisprudence précitée, tous les juges aux affaires familiales (JAF) examinent préalablement et prioritairement une organisation aussi équilibrée que possible lorsque l’un des parents le demande.
Cette priorité se traduisait par la création, comme en Belgique, d’un régime de présomption légale, laquelle pouvait naturellement, au regard des pièces du dossier, être renversée par le juge s’il était démontré par l’un des parents que l’intérêt supérieur de l’enfant commandait de fixer la résidence de l’enfant au domicile de l’un d’eux. Ce renversement de la charge de la preuve permettait d’unifier la jurisprudence et de se conformer à la volonté du législateur exprimée en 2012.
Naturellement, le texte n’entend en aucun cas privilégier un temps parental équilibré lorsque des violences intrafamiliales sont établies, notamment quand l’un des parents exerce sur l’autre des pressions ou des violences à caractère physique ou psychologique.
Étonnamment, l’article 373-2-11 du code civil ne prévoit aucun critère ayant trait à des pressions ou des violences sur la personne de l’enfant, lorsque le juge se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
L’article 3 y remédiait, en excluant explicitement le prononcé par le juge d’un temps parental équilibré en cas de comportement violent d’un parent, que cette violence s’exerce sur l’autre parent par le biais d’une instrumentalisation de l’enfant, ou sur celui-ci.
J’ai eu de nombreux échanges avec Mme la rapporteure et j’ai bien vu qu’elle tenait à respecter l’ambition que j’affichais au travers de cette proposition de loi. C’est pourquoi j’ai accepté les modifications qui ont été apportées à mon texte.
Je retiens des travaux de la commission des lois que cette dernière a jugé que les articles 1er et 3 étaient bienvenus.
Si elle a quelque peu circonscrit la portée du texte, en réécrivant l’article 2 relatif à la présomption légale, je souhaite néanmoins que la présente proposition de loi permette à la coparentalité de franchir une nouvelle étape – voilà le plus important ! –, en prévoyant un dispositif équilibré et juste, dénué d’esprit polémique et tenant compte des précédents débats sur le sujet.
Cette évolution accompagne, me semble-t-il, les changements de notre société. Certes, il faut faire preuve de prudence et de justesse, mais j’atteste de la nécessaire rigueur du travail réalisé par la commission, et notamment par Mme la rapporteure.
Je l’ai dit en préambule, gageons que les débats parlementaires sauront offrir un cadre de discussion serein et dépassionné, dans un esprit d’apaisement et de responsabilité profitable à l’enfant. Il y va de son intérêt comme de celui de la société tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Laure Darcos et M. Olivier Bitz applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans l’histoire quelque peu heurtée de la résidence alternée. Je remercie à cet égard notre collègue Élisabeth Doineau, qui nous donne l’occasion de débattre et de nous prononcer sur le sujet.
Consacrée juridiquement en 2002, la résidence alternée constituait en réalité, dès avant cette date, une modalité d’organisation déjà pratiquée par certains parents. Depuis son inscription dans la loi, le recours à la résidence alternée a connu une progression constante : aujourd’hui, selon des données qui m’ont été communiquées par le ministère de la justice, environ 29 % des décisions rendues par les juges aux affaires familiales prescrivent un régime de résidence alternée pour les enfants de parents séparés.
À rebours du constat parfois dressé par ses partisans les plus ardents, la résidence alternée ne connaît donc pas un échec, mais croît progressivement, à mesure de son appropriation par les parents.
Si cette pratique demeure minoritaire, c’est notamment en raison du faible nombre de demandes dont elle fait l’objet : la dernière étude complète et actualisée de la direction des affaires civiles et du sceau, qui date de 2012, montrait ainsi que la résidence alternée était peu demandée par les mères, comme par les pères, ce qui aboutissait à un taux général relativement faible.
Malgré cet état de fait, le régime de la résidence alternée fait régulièrement l’objet d’initiatives législatives tendant à renforcer le recours à ce dispositif.
Saisie de ce texte, la commission des lois a tâché de faire œuvre utile, dans un esprit de responsabilité. Ses travaux ont été guidés par deux principes.
Le premier est la volonté de donner corps, dans la stricte mesure du possible, à l’objectif visé dans la proposition de loi, celui d’un renforcement du principe de coparentalité par la poursuite d’une implication aussi équilibrée que possible entre les deux parents dans l’éducation de l’enfant en cas de séparation.
Le second est la préservation à tout prix de l’intérêt de l’enfant, valeur qui innerve le droit de l’autorité parentale – à bon droit, me semble-t-il. Les dernières années ont bien montré combien la structure familiale peut malheureusement se révéler violente et maltraiter les enfants. Dans la conciliation que nous devons opérer entre les divers principes qui irriguent le droit de la famille, celui-ci me paraît toujours devoir primer.
Animée par les principes que je viens d’indiquer, la commission a abouti à une conclusion très claire : l’entretien aussi régulier que possible de relations entre les parents séparés et leur enfant ne saurait s’opérer au prix de l’intérêt de ce dernier. Celui-ci ne se présume pas ; il se constate.
Or il appert manifestement que la résidence alternée ne saurait convenir à l’ensemble des enfants. Néanmoins, notre droit peut être marginalement modifié pour faire apparaître, au travers de dispositions de portée essentiellement interprétative, la pertinence que peut revêtir, pour certains enfants, l’entretien aussi régulier que possible de relations avec leurs deux parents.
En conséquence, guidée par la volonté de la préservation la plus protectrice possible de l’intérêt de l’enfant, la commission a d’abord rejeté les dispositions de l’article 2 tendant à instaurer une présomption d’intérêt de l’enfant à la résidence alternée et liant la compétence du juge dans le choix du mode de résidence de l’enfant.
Convaincue de la nécessité de maintenir une appréciation in concreto de l’intérêt de l’enfant, la commission a ainsi estimé qu’il aurait pu être contraire à l’intérêt de l’enfant de systématiser la résidence alternée. Elle a donc fait en sorte que la marge d’appréciation du juge soit aussi étendue que possible.
La commission a néanmoins souhaité renforcer la prise en compte par le juge aux affaires familiales de la pertinence de l’entretien régulier entre les parents séparés et leur enfant.
D’une part, la commission n’a pas considéré que l’article 1er était malvenu, tout en estimant que sa portée juridique était extrêmement limitée. Elle a jugé qu’il viendrait signifier plus clairement aux parents que leurs obligations incluent l’entretien aussi régulier que possible de relations personnelles avec leur enfant.
D’autre part, la commission a très significativement modifié l’article 2 pour que le juge, lorsqu’il se prononce sur un droit de visite et d’hébergement (DVH), c’est-à-dire lorsque la résidence alternée n’a pas été ordonnée, tienne compte de la nécessité d’un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parent et enfant.
Ce faisant, la commission n’a souhaité en rien contraindre le juge ; elle a plutôt cherché à lui envoyer un signal symbolique, lui demandant, sous réserve que cela soit conforme à l’intérêt de l’enfant, qu’il tâche d’octroyer un DVH aussi large que possible.
Enfin, la commission n’a pas vu de difficulté à l’adoption de l’article 3 : si des situations de violences d’un parent à l’égard de l’enfant étaient déjà prises en compte dans les faits, la précision apportée par cet article viendrait utilement le rappeler au juge.
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose d’adopter le texte issu des travaux de notre commission, qui me paraît pouvoir recueillir un large assentiment.
Si les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain et s’ils méritent évidemment toute notre attention, il ne faut pas oublier que nous sommes aussi, dans cet hémicycle, le reflet des enfants que nous étions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mmes Laure Darcos et Antoinette Guhl applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, madame la sénatrice Doineau, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fait de la politique publique de l’enfance l’une des priorités absolues de son action.
Aussi, la protection des droits des enfants est au cœur de la feuille de route du Gouvernement, qui en a fait un engagement fort. Je me félicite donc de voir émerger au Sénat, comme à l’Assemblée nationale, différentes propositions de loi visant à leur permettre de grandir dans un cadre protecteur, entourés, dans la mesure du possible, de leurs deux parents.
Aujourd’hui, le Sénat examine en première lecture l’une de ces propositions de loi, défendue avec conviction par Mme la sénatrice Doineau, que je veux ici saluer chaleureusement. Qu’il me soit permis de dire que son vœu de voir un débat serein et dépassionné sera – je le subodore – pleinement exaucé.
Mme Laurence Rossignol. Pas du tout !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne vous avais pas vue, madame la sénatrice… (Sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Il y aura de la passion, monsieur le ministre ! Vous n’êtes pas venu pour rien ! (Nouveaux sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Votre texte, madame la sénatrice Doineau, traite d’une question particulièrement importante : les conditions dans lesquelles l’enfant entretient des relations régulières avec ses parents, lorsque ceux-ci sont séparés.
Quand les parents se séparent, ces derniers ou, à défaut, le juge aux affaires familiales, organisent les conditions dans lesquelles leur enfant pourra maintenir des relations avec chacun d’eux.
Il s’agit là d’un droit fondamental, notamment rappelé par le sixième principe de la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959. Nous partageons donc pleinement l’objectif de cette proposition de loi, qui vient insister sur la nécessité pour l’enfant d’entretenir des relations personnelles régulières avec ses deux parents.
En la matière, il convient cependant d’être prudent quant aux leviers employés pour parvenir à cette concorde, au premier rang desquels la fixation du mode de garde. Comme vous le savez, il y a autant de situations différentes que de familles. L’intérêt de l’enfant doit donc toujours s’apprécier de manière nuancée, au cas par cas.
En 2014, le Défenseur des droits avait eu l’occasion de rappeler « qu’un équilibre devait être trouvé entre la non-automaticité de la résidence alternée, dans l’intérêt de l’enfant, et l’exercice effectif de l’autorité parentale conjointe ». Il soulignait ainsi que la systématisation du principe de la résidence alternée, notamment pour les bébés et les petits enfants, pouvait aller à l’encontre de l’intérêt et de l’équilibre des enfants concernés.
Je crois en effet qu’en matière de protection de l’intérêt de l’enfant, il faut faire preuve la plus grande prudence envers toute automaticité.
Je relève d’ailleurs que les travaux de la commission des lois, sous l’impulsion de Mme la rapporteure Marie Mercier, qui a une connaissance fine des questions relatives à l’enfance, ont permis d’emprunter ce chemin, qui est celui de la prudence.
Nous examinons donc aujourd’hui un texte qui tend vers un équilibre intéressant entre, d’une part, la promotion d’une coparentalité équilibrée, d’autre part, la préservation de l’intérêt de l’enfant.
L’article 1er de la proposition de loi, dans sa version initiale, entend modifier l’alinéa 2 de l’article 373-2 du code civil, afin de préciser que les parents doivent entretenir « régulièrement » des relations personnelles avec l’enfant.
Si cette rédaction, validée par la commission des lois, a une portée essentiellement symbolique, elle présente également un intérêt pédagogique. Il s’agit ici de rappeler que, pour pouvoir prendre des décisions dans l’intérêt de l’enfant, il est évidemment nécessaire – c’est tautologique – d’entretenir des relations régulières avec celui-ci.
Un tel rappel me semble bienvenu en ce qu’il est de nature à responsabiliser les parents.
L’article 2 précise que la notion de droit de visite recouvre également celle de droit d’hébergement.
Cette précision est utile : elle clarifie les textes et lève toute ambiguïté éventuelle. La commission des lois ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a conservé cette information.
L’article 2, dans sa version initiale, entendait en revanche faire de la résidence alternée le mode de résidence par principe de l’enfant, lorsque l’un des parents au moins en faisait la demande. Une telle rédaction suscitait certaines interrogations, car il est difficile d’ériger la résidence alternée en modèle unique et absolu qui s’appliquerait à toutes les familles.
Je dirais même que, dans certaines configurations, imposer cette organisation familiale à un parent qui ne l’a pas choisie peut s’avérer contre-productif, voire dangereux pour l’enfant si le parent contraint se montre totalement désinvesti ou, pire, maltraitant.
Votre commission des lois a donc proposé une nouvelle version de cet article 2 afin, d’un côté, de ne pas imposer de modèle de résidence de l’enfant et, de l’autre, de promouvoir un temps parental équilibré. Elle constitue une piste de travail intéressante qu’il semble utile d’approfondir dans la suite des débats parlementaires.
Permettez-moi de rappeler que nous ne partons pas de rien. Le droit positif encourage déjà la mise en place de la résidence alternée pour l’enfant : l’article 373-2-9 du code civil invite le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi d’une demande aux fins de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, à envisager la résidence alternée en première intention.
Autre outil mis en place pour favoriser la résidence alternée : le code civil permet de mettre en place une résidence alternée à l’essai, à titre provisoire, et offre au juge toute latitude pour en fixer les modalités en prévoyant, le cas échéant, une progressivité.
En pratique, cette promotion de la résidence alternée porte déjà ses fruits : la dernière enquête sur la résidence alternée, réalisée par le ministère de la justice en 2022, et l’enquête flash sur les conventions de divorce par consentement mutuel, réalisée par le Conseil supérieur du notariat en juin 2022, établissent ainsi que le taux de résidence alternée a fortement augmenté depuis dix ans. Alors qu’il atteignait 17 % en 2012, il est désormais estimé à environ 29 %, soit une progression de 12 points en dix ans.
Autrement dit, aujourd’hui, presque une résidence sur trois est une résidence alternée. Il est donc clair que la garde alternée gagne du terrain.
Elle n’est pas pour autant toujours souhaitée ou souhaitable. Ainsi que l’a constaté le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport du 22 novembre 2017, « si la résidence des enfants est majoritairement fixée aujourd’hui chez les mères, c’est parce que les pères ne la demandent pas. En effet, 93,4 % des décisions des juges aux affaires familiales sont rendues conformément à la demande des pères, et 95,9 % conformément à la demande des mères ».
Ces chiffres, si l’on s’y arrête un instant, sont extrêmement parlants.
Enfin, l’article 3 de la présente proposition de loi entend compléter les critères pris en compte par le juge aux affaires familiales lorsqu’il statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Il prévoit d’ajouter à l’article 373-2-11 du code civil les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur l’enfant.
Si les juges tiennent évidemment déjà compte du comportement des parents envers leurs enfants et des violences qui ont pu être commises, il me paraît toutefois intéressant de consacrer une telle pratique dans les textes.
Cela va dans le sens d’une meilleure protection de l’intérêt de l’enfant – et vous connaissez mon engagement plein et entier à ce sujet.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les débats de cet après-midi s’annoncent riches. Je souhaite qu’ils nous permettent d’avancer ensemble et de trouver les solutions à mettre en œuvre pour promouvoir une implication régulière des parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit en tout lieu et en tout temps rester notre seule boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur et Mme Jacqueline Eustache-Brinio applaudissent également.)