Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission répond favorablement à cette invitation. Des données supplémentaires seront bienvenues.
Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 160, présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Après le mot :
rétention
insérer les mots :
ou en zone d’attente
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise à modifier le contenu du rapport prévu à l’article 1er A.
Nous sommes en effet particulièrement préoccupés par la question de l’accueil des mineurs. Nous savons qu’il y a par ailleurs une inquiétude générale quant à l’augmentation du nombre de mineurs que nous devons accueillir et aux conditions dans lesquelles nous le faisons.
Nous demandons que le rapport comporte des éléments chiffrés sur le nombre de mineurs étrangers placés en zone d’attente. Cela permettrait de disposer de données beaucoup plus complètes et de vérifier que ces mineurs sont bien accueillis dans le respect du droit.
Mme la présidente. L’amendement n° 311 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 20
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° L’ensemble des données relatives à la mise en œuvre des mesures de rétention, de maintien en zone d’attente et d’assignation à résidence ayant concerné des mineurs accompagnants ou non accompagnés ;
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le nouvel article 1er A a pour objet d’instaurer une discussion annuelle entre le Parlement et le Gouvernement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration.
Il prévoit la communication par le pouvoir exécutif au pouvoir législatif d’un certain nombre de données permettant un dialogue fondé sur des faits partagés.
Notre groupe ne peut pas soutenir les dispositions du texte enjoignant le Parlement à déterminer le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour.
Néanmoins, nous convergeons avec la majorité sénatoriale sur la nécessité d’une plus grande transparence dans les données de traitement des étrangers sur notre sol.
L’opacité des pratiques relatives à l’enfermement administratif des mineurs dans toutes ses formes nous inquiète particulièrement.
Aujourd’hui, les données sont disparates. Elles sont principalement recueillies par les associations qui interviennent dans des lieux de privation de liberté, y compris les zones d’attente.
Un certain nombre de données, notamment le nombre d’enfants dont les parents sont visés par une mesure d’assignation à résidence, ne sont pas rendues publiques.
Par le présent amendement, nous souhaitons obtenir de telles données de la part de l’exécutif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Comme l’a indiqué M. le ministre tout à l’heure, il n’y a plus de mineurs dans les centres de rétention.
Les auteurs de l’amendement n° 160 demandent au Gouvernement de faire preuve de transparence en communiquant au Parlement des éléments sur les mineurs qui se trouveraient en zone d’attente. Cela nous paraît légitime.
Ceux de l’amendement n° 311 rectifié souhaitent disposer de données chiffrées relatives non seulement aux mineurs placés en rétention ou en zone d’attente, mais également à ceux qui accompagnent leurs parents dans le cadre d’une assignation à résidence.
Compte tenu de leur rédaction, les deux amendements sont contradictoires ; l’adoption du premier, qui nous semble logique, aurait pour effet de faire tomber le second. Dans ce cas, la question que soulève M. Benarroche demeurerait. Monsieur le ministre, aurez-vous la possibilité de donner des indications quant au nombre de mineurs accompagnant leurs parents dans le cadre d’une assignation à résidence ?
La commission émet donc un avis favorable sur l’amendement n° 160. Toutefois, si celui-ci n’était pas adopté, nous serions alors favorables à l’amendement n° 311 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Même position que la commission : avis favorable sur l’amendement n° 160 et, si celui-ci n’était pas adopté, avis favorable sur l’amendement n° 311 rectifié.
L’amendement n° 160 correspond en effet plus à ce que nous pourrions proposer au Parlement.
Si le texte est voté dans les termes souhaités par le Gouvernement, il n’y aura plus aucun mineur de moins de 16 ans dans les centres de rétention, à l’exception de Mayotte, où la mesure serait reportée à 2026, pour des raisons que nous pourrons évoquer lors de l’examen des dispositions portant sur les outre-mer.
Si seuls les centres de rétention administrative (CRA) sont mentionnés, j’estime que le Gouvernement doit néanmoins fournir au Parlement toutes les données qu’il demande, qu’il s’agisse des lieux de rétention administrative (LRA), des zones d’attente ou encore des assignations à résidence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez sans doute visité des centres de rétention administrative : sans être des lieux carcéraux, il s’agit tout de même de lieux difficiles. En dehors des bébés de quelques mois, il n’est pas souhaitable de laisser des enfants en âge de se construire évoluer dans de tels lieux pendant plusieurs jours, parfois plusieurs semaines. C’est donc une bonne politique que de vouloir les en écarter.
En revanche, pour des raisons évidentes d’efficacité, le ministère de l’intérieur peut être amené à assigner des personnes à résidence dans un hôtel ou à domicile, en attendant qu’elles soient éloignées du territoire national.
Chacun comprend que le maintien à domicile et la privation de liberté, pendant quelques instants ou quelques heures, de personnes qui sont sur le point d’être reconduites dans un avion ou à la frontière fait partie du travail de la police aux frontières.
Cela ne doit pas nécessairement se faire dans un milieu quasi carcéral, par exemple dans les centres de rétention administrative. D’ailleurs, depuis que je suis ministre de l’intérieur, j’ai souhaité que, désormais, seules des personnes radicalisées ou dangereuses pour l’ordre public y soient placées. À ce titre, les enfants doivent en être écartés, et les femmes ne devraient s’y trouver que de manière exceptionnelle.
En outre, afin d’augmenter le nombre de places disponibles, j’ai mis fin à la plupart des lieux de famille qui existaient dans les CRA, si bien qu’aujourd’hui, 98 % des personnes présentes dans les CRA sont des hommes et que l’on n’y trouve plus aucun mineur.
Permettez-moi enfin d’appeler l’attention du Parlement sur la situation particulière de Mayotte. L’idée n’est évidemment pas que la loi oublie ce territoire ; il s’agit simplement de laisser au Gouvernement le temps de prendre les dispositions adaptées.
Plus de 50 % des reconduites à la frontière se font depuis Mayotte ; je le précise – le Gouvernement ne triche pas ! –, les données relatives à Mayotte sont exclues des chiffres nationaux des reconduites à la frontière. Ce nombre élevé s’explique évidemment par la proximité des Comores.
Le CRA de Mayotte accueille un flux continu de familles qui, parfois, y restent seulement quelques minutes ou quelques heures. La situation sur place mérite donc d’être considérée différemment. Pour l’avoir visité plusieurs fois, je vous assure qu’il n’est pas tout à fait comparable aux CRA situés sur le territoire métropolitain.
Les reconduites à la frontière à Mayotte concernant essentiellement des familles, le Gouvernement a besoin d’un peu plus de temps – je propose une année supplémentaire – pour adapter sa politique aux spécificités de ce territoire.
En résumé, je suis tout à fait prêt à me livrer à l’exercice de transparence demandé par le Parlement.
Si l’amendement n° 160 est adopté, le Parlement pourra obtenir de la part du Gouvernement toutes les informations qu’il demande sur les zones d’attente et autres lieux de rétention.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, je reconnais qu’il n’y a plus de mineurs de moins de 16 ans dans les centres de rétention.
Puisqu’il y aura de moins en moins de mineurs dans les CRA, les chiffres que nous demandons auront une valeur d’autant plus significative. Je remercie Mme Marie-Pierre de La Gontrie d’avoir formulé une telle demande de précision.
Mais il serait également important de connaître le nombre – j’ai noté votre engagement de nous le communiquer, monsieur le ministre – d’enfants assignés à résidence avec leurs parents.
Je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur Benarroche, ne voyez aucune malice de notre part dans le fait d’avoir émis un avis favorable sur l’amendement n° 160, dont l’adoption aurait pour conséquence de faire tomber le vôtre.
D’ailleurs, si les auteurs de l’amendement n° 160 souhaitent le rectifier pour y ajouter une référence aux mineurs assignés à résidence, je n’y verrai aucun inconvénient. (Marques d’assentiment au banc des commissions.) Le Gouvernement n’a rien à cacher en la matière. Il partagera volontiers les informations concernées avec les parlementaires, ainsi qu’avec la Défenseure des droits.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures cinquante, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Madame de La Gontrie, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. le ministre ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Oui, madame la présidente. Nous pourrions ainsi insérer à l’alinéa 10, après le mot : « rétention », les mots : « ou en zone d’attente ou assignés à résidence ».
Mme la présidente. Ma chère collègue, une telle rédaction poserait un problème d’intelligibilité de la loi. Je vous propose donc d’en rester à la rédaction initiale de l’amendement n° 160, quitte à retravailler le dispositif dans le cadre de la navette parlementaire.
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 311 rectifié n’a plus d’objet.
L’amendement n° 569 rectifié ter, présenté par MM. Reichardt, Daubresse et Bonneau, Mme N. Goulet, MM. Bruyen, Klinger, Paccaud, Rietmann et Pellevat, Mme Lopez, M. Lefèvre, Mme V. Boyer, M. Maurey, Mmes Schalck, Pluchet, Muller-Bronn et Dumont, M. Bas, Mme Herzog, M. Pointereau, Mme Drexler, MM. Belin et Cadec, Mmes Micouleau et Bellurot, MM. Genet et Panunzi, Mme Belrhiti, MM. Bouchet, Duffourg, Chatillon, Cuypers et Gueret, Mme Aeschlimann et MM. Levi et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 21
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Une indication du nombre de demandes d’asile comparant, pour chaque nationalité, le nombre de demandes déposées depuis le pays d’origine et le nombre de demandes déposées depuis le territoire français.
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Cet amendement a pour objet immédiat de différencier, puis de quantifier, par comparaison, le nombre de demandes d’asile qui sont déposées depuis le pays d’origine des demandeurs et celles qui sont déposées depuis le territoire de la République.
Son objectif final, en revanche, consiste à souligner les avantages que présente le dépôt des demandes d’asile depuis le pays d’origine du demandeur.
Une telle solution est évidente dans les pays d’origine sûrs, dont la liste est tenue par les services de l’asile et des étrangers et qui permet déjà, nous dit-on, un traitement accéléré d’une demande sur cinq. Elle est également praticable dans le reste des pays du monde avec lesquels la France entretient des relations diplomatiques et consulaires stables. Elle éviterait ainsi un certain nombre de difficultés – absence de documents d’identité, problèmes de communication, difficultés à retrouver la personne concernée – qui, souvent, deviennent insurmontables.
Le dépôt des demandes d’asile à l’étranger, dans les pays d’origine, constitue également une réponse indirecte à la place déraisonnable qu’occupent les personnes en situation irrégulière dans de nombreux domaines, sur le marché du travail par exemple, mais également parmi les bénéficiaires du système d’aide et de prestations sociales.
Comment ignorer enfin les difficultés d’éloignement, qui ont pour cause première la simple présence des personnes visées sur le sol français ?
Le présent amendement vise donc à faire un état des lieux consolidé des demandes d’asile déposées depuis la France et depuis un pays étranger tiers.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Avis favorable.
Une telle demande s’inscrit dans la logique globale de transparence qui vient d’être évoquée.
Il nous avait semblé, mon cher collègue, qu’il y avait dans votre amendement une part de malice et une forme d’anticipation d’une éventuelle évolution constitutionnelle ; la fin de votre propos nous a confirmé que malice il y avait. (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable, d’autant que le chiffre sera zéro, car aucune demande d’asile n’est déposée dans les consulats ou les ambassades, monsieur le sénateur. Nous délivrons des visas aux individus pour qu’ils puissent venir déposer une demande d’asile sur le sol français, mais il n’y a pas de demandes d’asile.
Pour que l’asile puisse être demandé en dehors du territoire de la République, il faudrait au minimum une révision constitutionnelle. Nous pourrons en discuter lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle du groupe LR. Cette dernière devrait alors modifier non seulement la Constitution, mais également le Préambule de la Constitution de 1946 – aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui-ci fait partie du bloc de constitutionnalité –, dont le quatrième alinéa est ainsi rédigé : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. » Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel a considéré que les personnes en question devaient avoir accès au territoire de la République pour déposer leur demande d’asile, ce qui ne va pas à l’encontre de la possibilité de déposer une demande d’asile dans les consulats.
Je suis prêt à discuter d’une réforme constitutionnelle pour autoriser les demandes d’asile dans les consulats et ambassades, voire dans des pays tiers, ce qui permettrait à des individus pourchassés dans leur pays d’origine, par exemple en Afghanistan, de demander l’asile dans un pays voisin, comme le Pakistan ou la Turquie. Cela permettrait d’étudier leur demande d’asile à la frontière ou dans ce pays voisin. Cependant, cela requiert une révision constitutionnelle et n’empêche pas que l’asile soit demandé sur le territoire de la République.
Nous aurons sans doute le débat constitutionnel à cette occasion.
Encore une fois, monsieur le sénateur, j’ai d’autant moins de mal à émettre un avis favorable sur votre amendement que le chiffre sera zéro. Peut-être pourriez-vous d’ailleurs, sur la base d’une telle évidence, le retirer…
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, l’amendement n° 569 rectifié ter est-il maintenu ?
M. André Reichardt. Oui, madame la présidente, même s’il a été déposé avec la malice dont parlait tout à l’heure notre rapporteur.
Cela étant, monsieur le ministre, je vous remercie de nous donner un modus operandi pour la proposition de loi constitutionnelle dont nous avons annoncé le dépôt ; vos propos nous en faciliteront la rédaction !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je suis un peu surpris par ce qui vient d’être dit, car j’ai eu l’occasion de visiter le consulat d’Istanbul cette année, où l’on étudie des demandes d’asile.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce sont des demandes de visa !
M. Olivier Cadic. Pas du tout ! Il s’agit bien de demandes d’asile. Il y a une équipe pour traiter les demandes, avec des auditions.
Idem à Addis-Abeba, pour les personnes demandant l’asile depuis le Soudan.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. L’idée de notre collègue est excellente, et nous y reviendrons dans le cadre de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle.
Toutefois, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir comment vous articulez votre raisonnement avec celui qui a été développé dans le cadre du pacte européen sur la migration et l’asile.
Un des points positifs est que les chefs d’État se sont accordés sur la question de la fiction juridique, essentielle, permettant de considérer que, bien que les demandeurs soient parvenus physiquement sur le territoire de l’Europe, ils ne sont pas considérés, d’un point de vue juridique, comme étant sur ce territoire, mais se trouvent en situation d’attente tant que leur dossier n’a pas été instruit. Cela nous permettra de les contenir et d’examiner leurs dossiers sans qu’ils disparaissent dans la nature.
Comment allez-vous articuler votre raisonnement avec le droit européen si l’accord perdure au terme du trilogue ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. La négociation du pacte européen sur la migration et l’asile comportait trois grands « paquets ».
Le premier concerne l’enregistrement de tout étranger ; c’est ce qui me fait dire qu’il manque une pierre dans le raisonnement de M. Retailleau. Nous cherchons à obtenir un changement significatif, et j’espère que le Parlement européen nous suivra sur ce point. Il s’agit d’obliger tous les États de première entrée, comme l’Italie et la Grèce, à enregistrer tous les étrangers arrivant sur leur territoire. Ce faisant, ces États demanderont aux arrivants les raisons de leur venue sur le sol européen. Les demandes d’asile, elles, ne seront plus traitées sur le sol du pays de première entrée. Notre intention est d’écarter ce que nous considérons, en Européens, comme des contournements manifestes, comme les cas des Sénégalais ou des Camerounais, par exemple.
Pour illustrer mon propos, imaginons que des policiers italiens interpellent une personne et lui demandent son identité. Ils enregistrent cette information et lui demandent si elle souhaite déposer une demande d’asile sur le territoire européen. Si cette personne répond affirmativement et vient d’un pays associé à un fort taux de protection, elle sera alors acceptée, et nous procéderons à sa relocalisation, répartissant la charge entre tous les pays européens, de manière obligatoire. Pour ceux dont nous savons que nous allons rejeter la demande à 80 %, 90 %, voire 95 %, ces personnes déposeront leur demande d’asile à la frontière, en vertu de la fiction juridique de non-entrée. Bien que ces individus soient physiquement arrivés sur le territoire, ils ne seront pas juridiquement considérés comme entrés. Les États disposeront de quinze jours pour effectuer les diligences nécessaires. Cela correspond parfaitement à nos engagements internationaux et à l’article 53-1 de la Constitution.
Pour répondre pleinement à la question de M. Retailleau, l’enregistrement de tous les étrangers sera obligatoire, et il incombera aux pays de première entrée, à l’occasion de cet enregistrement, d’examiner les demandes d’asile. Les demandes jugées abusives seront rapidement rejetées. Y aura-t-il rétention ? C’est un débat. L’Espagne a refusé cette approche depuis l’époque de Franco. Cela soulève aussi des questions de capacité, car, au-delà d’un certain nombre de personnes, nous entrons dans une autre phase juridique, mais je ne m’étendrai pas sur ces détails. Par exemple, les 10 000 premières personnes arrivant en Italie verraient leur demande d’asile étudiée à la frontière. Si le taux de protection de leur pays d’origine est très bas, elles seront renvoyées dans leur pays d’origine. Sinon, nous n’accepterons pas immédiatement l’asile ; nous avons simplement accepté de répartir la charge des demandeurs d’asile en provenance de pays où les individus sont persécutés pour des raisons politiques ou religieuses.
De telles propositions ne sont donc pas incompatibles avec ce que nous soutenons. Nous ne disons pas qu’il est impossible de faire des demandes d’asile à l’extérieur de notre territoire. Mais, à la différence de ce que j’ai pu comprendre de votre proposition de loi constitutionnelle, nous soutenons qu’il n’est pas envisageable de prévoir que les demandes d’asile soient faites exclusivement en dehors du territoire. Impossible, en effet, de refuser à une personne présente sur le sol national de demander l’asile. Nous pouvons imaginer de réduire le flux des personnes qui demandent l’asile, pour que cette démarche soit faite dans les consulats, mais ce ne sera jamais 100 %. Sinon, il faudrait changer au moins le préambule de la Constitution ; je ne crois pas que ce soit l’objet de votre proposition de loi constitutionnelle.
Le pacte européen sur la migration et l’asile et la fiction de non-entrée vont tarir une partie des flux. De toute façon, même si un consulat étudie une demande d’asile, pour gagner du temps, à la fin, ce n’est pas lui qui octroie l’asile. Il ne peut que donner un visa pour que la personne concernée puisse venir terminer ses entretiens et déposer formellement sa demande d’asile sur le territoire de la République. Nous ne pourrons pas empêcher des demandeurs d’asile de déposer leur demande sur le sol de la République.
Il peut y avoir des avancées européennes. J’espère d’ailleurs que celles-ci seront votées par les députés du parti populaire européen (PPE). J’ai en effet constaté, monsieur Retailleau, si vous me permettez de faire preuve de malice en cette heure tardive, que les députés français du Parlement européen qui sont au PPE ont réussi à se diviser sur ce texte : trois sont pour, trois sont contre ! (M. Rachid Temal s’exclame ironiquement.)
Mme la présidente. L’amendement n° 260 rectifié, présenté par M. Ouizille et Mme Narassiguin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 21
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Sur les dix dernières années, l’évaluation en point de PIB, en milliards d’euros, en volume horaire total agrégé, de la masse salariale concernées par les 1°, 2°, 3°, 4°, 5° et 8° du présent article. »
La parole est à M. Alexandre Ouizille.
M. Alexandre Ouizille. Cet amendement vise à corriger l’énumération proposée dans l’article, qui tient compte seulement des étrangers entrant dans le territoire de la République, sans mentionner l’apport à la Nation que constitue leur travail.
Nous proposons donc d’inclure dans l’article une évaluation, en points de PIB, en milliards d’euros et en volume horaire total agrégé, de la masse salariale que représentent, sur les dix dernières années, les personnes concernées par le présent rapport. Cela permettra d’enrichir notre vision de l’immigration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Avis défavorable. Le ministère dispose de statistiques qui peuvent être mises à votre disposition sur ce point.
Mme Audrey Linkenheld. Où sont-elles ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Pour agréger autant de données, dont certaines correspondent à des personnes qui sont salariées de manière irrégulière, il faudrait aller investiguer dans toutes les entreprises françaises avant de se lancer dans une gigantesque consolidation. Ce ne serait pas raisonnable.
Idem s’agissant de votre amendement relatif aux accidents de travail, que nous examinerons dans quelques instants : ce que vous demandez suppose un maillage individuel impossible à consolider à l’échelon national.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Justement, le problème de ce projet de loi – l’absence de M. Dussopt en témoigne – est l’absence d’approche interministérielle de l’immigration. La réforme Sarkozy a confié tous les moyens relatifs aux questions migratoires au ministère de l’intérieur, ce qui empêche une approche globale. Nous sommes dans la continuité de ce qui a, pour l’instant, échoué.
M. Olivier Paccaud. Le bicéphalisme, ça ne marche jamais !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je suis très étonnée de l’argumentation du rapporteur, car ces chiffres existent vraisemblablement quelque part. Vous proposez un rapport extraordinairement complet, avec des items très variés.
Mais votre vision de l’immigration, disons-le franchement, consiste à dire que les immigrés coûtent cher et vivent sur le dos des Français. Sinon, lorsqu’on ose dire qu’ils cotisent aussi, que cela rapporte, pourquoi fermeriez-vous les yeux sur cet aspect ?
L’adoption de cet amendement aurait pour intérêt de nous contraindre à développer une vision panoramique à propos des étrangers, y compris ce qu’ils rapportent, si j’ose dire, par leurs cotisations. M. le rapporteur sait très bien que ce serait utile et que de telles données existent. (M. le rapporteur le conteste.) C’est un artifice de dire que ce serait très compliqué ; en réalité, ce serait très utile, mes chers collègues !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Comme vient de le souligner ma collègue, dire que les données n’existent pas, c’est complètement faux ! Il suffit d’avoir la volonté, d’abord, de colliger toutes ces données et, ensuite, de les utiliser pour donner une vision globale de ce qu’est l’immigration en France.
Là, vous raisonnez uniquement sur une logique d’offre et de demande ou de flux. C’est une logique uniquement comptable, une logique quantitative, qui ne tient pas compte, justement, de l’aspect qualitatif.
Fermer les yeux sur cet aspect, ne pas prendre en compte la possibilité d’intégrer l’ensemble des dimensions relatives à l’immigration, c’est se cantonner à une version tronquée de celle-ci, qui permet toutes les dérives et aussi tous les délires, comme on a pu l’entendre déjà dans certains chiffres qui ont été avancés dans cet hémicycle. Ceux-ci tiennent au mieux de la mauvaise foi, au pire de la folie douce.
Il y a des données structurelles qui convergent. On ne peut pas dire n’importe quoi, même s’il n’est pas question de nier les difficultés par ailleurs.