Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse dite fausse couche
Article 1er A
I. – Après le chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE II BIS
« Interruption spontanée de grossesse
« Art. L. 2122-6. – Chaque agence régionale de santé met en place un parcours qui associe des professionnels médicaux et des psychologues hospitaliers et libéraux, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire visant à mieux accompagner les femmes et, le cas échéant, leur partenaire confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
« Ce parcours a pour objectifs de développer la formation des professionnels médicaux sur les conséquences psychologiques des interruptions spontanées de grossesse, d’améliorer l’orientation des femmes et, le cas échéant, de leur partenaire qui y sont confrontés, de faciliter leur accès à un suivi psychologique et d’améliorer le suivi médical des femmes qui ont subi une interruption spontanée de grossesse. Il vise à systématiser l’information des femmes et, le cas échéant, de leur partenaire sur le phénomène d’interruption spontanée de grossesse, sur les possibilités de traitement ou d’intervention et sur les dispositifs de suivi médical et d’accompagnement psychologique disponibles. »
II. – Le I s’applique à compter du 1er septembre 2024, après recensement, par les agences régionales de santé, des modalités de prise en charge spécifiques mises en place par les établissements et les professionnels de santé de leur ressort pour accompagner les femmes et, le cas échéant, leur partenaire confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Article 1er B
I. – Après l’article L. 323-1-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 323-1-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 323-1-2. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 323-1, en cas de constat d’une incapacité de travail faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ayant eu lieu avant la vingt-deuxième semaine d’aménorrhée, l’indemnité journalière prévue à l’article L. 321-1 est accordée sans délai. »
II. – Le II de l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° Au congé de maladie faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ayant eu lieu avant la vingt-deuxième semaine d’aménorrhée. »
II bis. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° (nouveau) Au 9° de l’article L. 169-2, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « neuvième » ;
2° (nouveau) Au 10° de l’article L. 16-10-1, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « neuvième » ;
3° À l’article L. 622-1, après la référence : « L. 323-1-1 », est insérée la référence : « , L. 323-1-2 ».
II ter. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le cinquième alinéa de l’article L. 732-4 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Les indemnités journalières sont servies à l’expiration d’un délai de carence aux assurés ayant une durée minimale d’affiliation dans le régime. La durée d’indemnisation est plafonnée.
« Par dérogation au cinquième alinéa du présent article, l’indemnité journalière versée à l’assuré pour la première incapacité de continuer ou de reprendre le travail est accordée sans délai en cas :
« a) De décès de son enfant âgé de moins de vingt-cinq ans ou de décès d’une personne âgée de moins de vingt-cinq ans dont l’assuré a la charge effective et permanente, dans un délai de treize semaines à compter de cette date ;
« b) De constat d’une incapacité de travail faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ayant eu lieu avant la vingt-deuxième semaine d’aménorrhée. » ;
2° Après la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 781-21, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Par dérogation, en cas de constat d’une incapacité de travail faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ayant eu lieu avant la vingt-deuxième semaine d’aménorrhée, l’indemnité journalière est accordée sans délai. »
III. – Les I à II ter du présent article sont applicables aux arrêts de travail prescrits à compter d’une date prévue par décret, et au plus tard du 1er janvier 2024.
Article 1er C
Le code du travail est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1225-4-2, il est inséré un article L. 1225-4-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-4-3. – Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée pendant les dix semaines suivant une interruption spontanée de grossesse médicalement constatée ayant eu lieu entre la quatorzième et la vingt et unième semaine d’aménorrhée incluses.
« Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’interruption spontanée de grossesse. » ;
2° À l’article L. 1225-6, après la référence : « L. 1225-4 », est insérée la référence : « , L. 1225-4-3 ».
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Article 1er bis A
Au premier alinéa du II de l’article 79 de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, après le mot : « article », sont insérés les mots : « , qui évalue également l’accessibilité du dispositif pour les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse, ».
Articles 1er bis et 1er ter
(Supprimés)
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Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand la mort survient avant la naissance, à n’importe quel stade de la grossesse, c’est très souvent une expérience éprouvante pour la femme, mais également pour son partenaire.
Si les fausses couches sont relativement fréquentes et bénignes, beaucoup de parents se projettent cependant très tôt dans une vie de famille. Le secret qui entoure les trois premiers mois de grossesse rend leur deuil encore plus difficile, les abandonnant à la solitude de leur chagrin, d’autant qu’il existe toujours un tabou autour de la perte d’un bébé qui n’a jamais existé aux yeux des autres.
Selon une étude publiée en 2019 par des chercheurs belges et britanniques, près d’une femme sur six serait ainsi victime de stress post-traumatique après une fausse couche au cours du premier trimestre. Ces femmes se sentent coupables, elles ont le sentiment que leur capacité à être mère est remise en cause et la plupart d’entre elles éprouvent un sentiment d’échec et de vide.
Pour autant, les conséquences d’une interruption spontanée de grossesse sont encore trop souvent minimisées, voire ignorées. Le professeur René Frydman parle même de vide juridique et souligne qu’il n’existe actuellement en France aucun protocole, aucun parcours ni aucun réseau organisé pour répondre à la demande d’écoute, d’explication et d’orientation de ces couples en détresse.
C’est ce à quoi on entend répondre au travers de cette proposition de loi, qui permet de reconnaître la douleur et les besoins spécifiques de ces couples et met en place des mesures concrètes afin de leur apporter le soutien nécessaire pour traverser cette épreuve et se reconstruire émotionnellement.
Les travaux tant de l’Assemblée nationale que du Sénat ont permis d’enrichir ce texte.
Il est ainsi prévu que chaque ARS mette en place un parcours spécifique, médical et psychologique, afin de mieux informer et orienter les patientes comme leurs partenaires, de faciliter leur accès à un suivi psychologique et d’améliorer le suivi médical des femmes qui ont vécu une fausse couche.
Le Sénat a introduit une protection contre le licenciement pendant les dix semaines qui suivent une interruption spontanée de grossesse ayant eu lieu entre la quatorzième et la vingt et unième semaine d’aménorrhée.
Surtout, nous nous félicitons de la suppression du délai de carence. Désormais, les femmes qui font une fausse couche pourront bénéficier d’un arrêt maladie indemnisé dès le premier jour. Cette mesure concernera les salariées, mais aussi les fonctionnaires, les indépendantes et les non-salariées agricoles.
Cette proposition de loi permettra également aux sages-femmes d’adresser leurs patientes et leurs partenaires à un psychologue conventionné dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy. Cette prise en charge psychologique me semble essentielle, car elle permet de reconnaître la détresse de ces couples et de leur offrir le soutien dont ils ont besoin.
Pour autant, nous pouvons nous interroger sur l’efficience de ce dispositif, créé en avril 2022, qui prévoit le remboursement par l’assurance maladie de huit séances de trente minutes par an d’accompagnement psychologique chez un psychologue conventionné. Au bout d’un an, MonParcoursPsy a en effet montré ses limites : 93 % des psychologues ont refusé de s’inscrire sur la plateforme et seulement 90 000 patients – ou 131 000, à vous en croire, monsieur le ministre – ont bénéficié du dispositif. Dans ces conditions, on peut craindre que les couples confrontés à un tel drame ne puissent finalement pas y avoir accès.
C’est pourquoi nous nous félicitons que la commission mixte paritaire ait conservé l’article 1er bis A, introduit au Sénat sur la proposition d’Annick Billon et de ma collègue Véronique Guillotin. Cet article élargit le champ d’un rapport, déjà prévu dès la mise en place de MonParcoursPsy, sur l’accessibilité de ce dispositif, afin qu’il étudie spécifiquement l’accès des couples confrontés à une fausse couche aux séances de suivi psychologique prises en charge. Nous ne pouvons pas prendre le risque de passer à côté des objectifs inscrits dans cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, tous les membres de mon groupe voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie sur la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse dite fausse couche.
Encore aujourd’hui, il existe une forme de tabou autour de la fausse couche. Les couples ne bénéficient d’aucun dispositif d’accompagnement, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’un non-événement.
Or une fausse couche, si elle affecte chaque femme différemment, peut être un événement traumatisant qui entraîne de l’anxiété, une dépression et même des symptômes s’apparentant au stress post-traumatique.
L’interruption spontanée de grossesse concerne près de 15 % des grossesses. Selon une étude menée par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, 200 000 grossesses s’interrompent ainsi, chaque année, au cours des cinq premiers mois.
Il était donc nécessaire de prendre en compte la douleur des parents qui subissent une fausse couche et d’essayer de lui apporter des réponses.
Le texte initial de la proposition de loi était centré sur le suivi psychologique des femmes faisant une fausse couche.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui met finalement en place une prise en charge des couples qui englobe les questions de suivi psychologique, mais aussi d’information, d’orientation et de suivi médical.
Le Sénat et, plus particulièrement, sa commission des affaires sociales ont pris toute leur part à l’enrichissement de ce texte. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail de notre rapporteur, Martin Lévrier.
Ainsi, ce texte prévoit la mise en place par les ARS d’un parcours spécifique associant médecins, sages-femmes et psychologues pour la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse, d’ici au 1er septembre 2024. L’information et le suivi médical et psychologique des couples devraient ainsi être améliorés.
Par ailleurs, le texte protège davantage les femmes lorsqu’elles sont en activité.
Ainsi, en cas d’arrêt maladie, le délai de carence est supprimé pour toutes les salariées, indépendantes et travailleuses non-salariées agricoles. Cette mesure permettra aux femmes de percevoir une indemnisation dès le premier jour d’arrêt.
Le texte instaure également une protection de dix semaines contre le licenciement au bénéfice des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite « tardive », médicalement constatée, ayant eu lieu entre la quatorzième et la vingt et unième semaine d’aménorrhée.
Le groupe Les Républicains considère que ce texte contient des avancées qu’il convient de soutenir. C’est pourquoi nous voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et au banc des commissions.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si ce texte, au vu de son objet, ne pouvait aboutir à autre chose qu’un consensus, il est toujours satisfaisant qu’une commission mixte paritaire soit conclusive. C’est encore davantage le cas lorsque le texte dont elle est chargée vise à mieux accompagner les couples qui traversent une expérience aussi difficile que les fausses couches.
Celles-ci touchent environ 200 000 femmes par an dans notre pays et concernent une grossesse sur quatre ; il s’agit donc, malheureusement, d’un phénomène fréquent.
Il y a autant de façons de vivre une fausse couche qu’il y a de femmes : cela a bien été indiqué lors de nos échanges en commission, mais je juge important de le rappeler une fois de plus. Par ailleurs, une même femme peut bien sûr vivre une deuxième fausse couche fort différemment de la première. Certaines peuvent ne pas la ressentir comme un traumatisme, ni même comme une souffrance ; d’autres peuvent la vivre comme un drame, comme la perte d’un bébé qu’elles aimaient déjà. C’est évidemment surtout à ces dernières que ce texte s’adresse, sans pour autant exclure les premières.
Ce texte vise à proposer aux femmes et, éventuellement, à leur partenaire un accompagnement psychologique, aujourd’hui assez rarement offert. Qu’un événement soit considéré comme fréquent ne veut pas automatiquement dire qu’il est banal, et ce encore moins pour celle qui le vit.
La création, par chaque ARS, d’un parcours dédié permettra de coordonner tous les acteurs susceptibles d’intervenir dans la prise en charge des femmes victimes de fausses couches, de développer la formation des médecins, des sages-femmes et des psychologues sur ce phénomène, et de systématiser l’information auprès des femmes.
Nous saluons la suppression, grâce à l’adoption d’un amendement du Gouvernement, du délai de carence dans le cas d’un arrêt maladie faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ; nous estimons qu’il s’agit d’un point d’équilibre satisfaisant entre la création d’un congé spécial et la situation actuelle. Plus largement, l’adoption de cette disposition témoigne d’une meilleure prise en compte de la femme dans le monde du travail, en attendant des adaptations qui mériteraient d’être envisagées ou, du moins, discutées.
Ces différents sujets montrent que l’égalité entre les hommes et les femmes au travail ne se limite pas à la seule, mais non moins importante, question de l’égalité salariale.
Le texte donne également aux sages-femmes la possibilité d’adresser leurs patientes et leur partenaire à un psychologue, via le dispositif MonParcoursPsy. C’est une mesure en totale adéquation avec le rôle et les compétences des sages-femmes, actrices essentielles dans l’accompagnement des femmes enceintes.
Si nous nous réjouissons de cette commission mixte paritaire conclusive, c’est aussi parce qu’elle a maintenu la quasi-intégralité des améliorations que notre chambre avait apportées au texte : l’extension, tout à fait justifiée, aux non-salariées agricoles et aux indépendantes de la suppression du délai de carence sur les arrêts faisant suite à une fausse couche, ainsi que l’instauration d’une protection de dix semaines contre le licenciement après une fausse couche.
Néanmoins – cela a été dit dans cette chambre comme à l’Assemblée nationale –, l’efficacité de ce texte repose sur le dispositif MonParcoursPsy, dont on sait qu’il a reçu un accueil réservé de la part des professionnels.
Si adopter au Parlement un dispositif en faveur de l’accompagnement psychologique des femmes est un premier pas, la véritable avancée sera de le rendre applicable et effectif.
Dans cette perspective, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier l’autrice de cette proposition de loi, la députée Sandrine Josso, ainsi que notre rapporteur, Martin Lévrier, pour tout le travail qu’ils ont effectué.
L’examen de ce texte a permis de discuter d’un sujet encore largement tabou dans notre société, celui des fausses couches. Comme toutes les affaires dites « de femmes », ou plutôt comme toutes celles qui portent sur le corps des femmes, ou plutôt, selon moi, sur le corps des femmes non sexualisables, celles qu’on ne veut pas voir, il s’agit d’un sujet que l’on traite peu.
Tout comme les règles, qui, même si elles concernent 15,5 millions de femmes, demeurent aujourd’hui un sujet tabou, les fausses couches, qui concernent environ un quart des grossesses, soit 200 000 grossesses chaque année, sont un phénomène à la fois tout à fait normal et extrêmement mal géré.
Ce tabou, comme tous les tabous, est source de dysfonctionnements, car on gère très mal ce dont on parle trop peu.
C’est donc le rôle du législateur que de s’emparer de cette question, en ayant en ligne de mire cette réalité.
Il y a au fond, comme pour les règles, comme pour les avortements, comme pour tout ce qui touche à la santé reproductive, autant de cas que de personnes. Une fausse couche peut survenir dans le cadre d’une grossesse désirée, mais aussi d’une grossesse non désirée. Une fausse couche peut passer inaperçue. Une fausse couche peut être facilement vécue. Une fausse couche peut être physiquement éprouvante, psychologiquement difficile, ou les deux à la fois. Une fausse couche peut être terrible ; cela peut aussi n’être pas grand-chose.
Notre cadre juridique doit donc garantir que les personnes seront prises en charge et respectées dans tous les cas, qu’elles souffrent ou qu’elles ne souffrent pas, qu’elles soient soulagées ou qu’elles soient effondrées ; il faut qu’elles soient prises en charge de la manière dont elles le souhaitent.
Notre cadre juridique doit aussi reconnaître que ce n’est pas seulement une affaire de femme enceinte ; en tout cas, ça ne l’est pas toujours. Dans le cas d’un projet parental à deux, les deux personnes peuvent être touchées et elles peuvent l’être différemment. C’est aussi par la prise en compte juridique de cette réalité que l’on fera progresser l’égalité des droits.
Alors, ce texte nous permet-il de répondre aux enjeux ?
Le changement de termes dans l’intitulé est, à mon avis, positif ; il ne faudrait pas le sous-estimer. « Interruption spontanée de grossesse » est plus juste que « fausse couche », expression qui laisse entendre que quelqu’un aurait commis une faute.
La suppression du délai de carence pour les arrêts maladie consécutifs à une interruption spontanée de grossesse constitue une avancée concrète et importante, tout comme l’amélioration de la formation des professionnels de santé, qui est un impératif absolu au vu des récits qui nous sont rapportés encore aujourd’hui.
La protection contre le licenciement pendant les dix semaines suivant une interruption spontanée de grossesse est également une bonne chose.
Toutefois, je déplore que ce texte reste largement en deçà des enjeux.
Nous n’avons pas introduit de congé spécial pour le couple confronté à une interruption spontanée de grossesse. Un tel congé, fondé sur le choix, sur la liberté de le prendre ou de ne pas le prendre, aurait permis aux personnes concernées de se reposer et de prendre un peu de temps pour elles, si elles le souhaitent.
D’autres pays, mais aussi des entreprises françaises, ont mis en place avec succès un tel congé spécial. Aussi, en France, certains pourront en bénéficier et d’autres non, ce qui constitue une rupture manifeste de l’égalité des droits.
De plus, je regrette que le Sénat ait supprimé l’article 1er bis de ce texte, qui visait à créer un parcours de soins spécifiques.
De manière générale, les effets de la proposition de loi resteront limités, dans le contexte d’un système de soins délaissé, où la grossesse est prise en charge de manière partiellement insatisfaisante. Par exemple, comme l’a proposé ma collègue Raymonde Poncet Monge, il faudrait que l’ensemble des frais liés à la grossesse, dès les premières semaines, soient pris en charge par la sécurité sociale.
En effet, exclure les cinq premiers mois de la grossesse de la prise en charge à 100 % des examens médicaux fait peser une charge supplémentaire sur les femmes. Ainsi, un arrêt maladie ou une hospitalisation pendant les cinq premiers mois peuvent entraîner des coûts et une perte de salaire.
De même, le dispositif MonParcoursPsy, qui, pour rappel, était au cœur de ce texte et dont la seule et unique mesure était initialement de permettre aux maïeuticiennes et maïeuticiens d’adresser les patientes et patients à des psychologues, se révèle défaillant. Les psychologues le jugeant inadapté aux besoins, seulement 7 % d’entre eux y participent.
Vous l’aurez compris, si nous considérons que ce texte comporte des avancées, il est bien loin de faire ce que son titre suggère : accompagner réellement les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Nous le voterons, bien entendu. Mais nous appelons le Gouvernement, comme sur tant d’autres sujets, à cesser de s’appuyer sur des propositions de loi qui apportent, ici et là, des améliorations par petites touches à notre système.
La santé sexuelle et reproductive est un grand sujet ; elle mérite une grande loi, pour une prise en charge globale. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en nous saisissant de la situation des femmes victimes d’une interruption spontanée de grossesse, dite fausse couche, nous nous attaquons à l’un des nombreux tabous dont souffre encore le corps des femmes.
Au travers de mon propre combat contre la précarité menstruelle, j’ai pu observer que notre société pouvait encore ignorer certaines souffrances spécifiques au genre féminin. Or cette ignorance discrimine et exclut.
Aussi, avec le groupe RDPI, je me réjouis de l’accord auquel sont parvenus députés et sénateurs lors de l’examen de cette proposition de loi en commission mixte paritaire. J’en profite pour saluer le travail de Sandrine Josso, auteure de ce texte et rapporteure à l’Assemblée nationale, et la remercie encore une fois de s’être saisie de ce sujet important.
Le texte, qui comptait initialement deux articles, a été enrichi au cours de la navette législative. À ce titre, je salue le travail de notre rapporteur Martin Lévrier qui, dans l’intérêt des premières concernées, a su mener un dialogue constructif pour aboutir, en bonne intelligence, à un texte à la hauteur de cet enjeu de société.
Je rappelle que près de 200 000 fausses couches sont détectées chaque année en France. Et alors que de 20 % à 55 % des femmes qui en sont victimes présentent des symptômes dépressifs, et que 15 % d’entre elles connaissent un état de stress post-traumatique, aucun accompagnement, aucune prise en charge ne leur sont actuellement proposés.
Ainsi, la principale mesure de ce texte consiste à proposer un accompagnement psychologique adapté aux femmes dont la santé mentale peut être affectée par une interruption spontanée de grossesse. Pour ce faire, le texte habilite les sages-femmes à adresser leurs patientes à un psychologue dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy.
Je note plusieurs avancées importantes apportées par la navette parlementaire, notamment l’extension de cet accompagnement au – ou à la – partenaire de la patiente et la reconnaissance du rôle de premier plan des sages-femmes dans l’accompagnement de la grossesse.
Je salue également la suppression, voulue par le Gouvernement, du délai de carence pour l’indemnisation des arrêts de travail consécutifs à une interruption spontanée de grossesse, ainsi que son extension aux travailleuses indépendantes et aux non-salariées agricoles, introduite par notre rapporteur. Il s’agit de permettre à toutes de bénéficier de ce progrès, en allégeant la contrainte financière que peut représenter un arrêt de travail.
Enfin, je souligne l’engagement du Gouvernement, qui a tenu à protéger les femmes des discriminations professionnelles que peut susciter la révélation de leur désir de parentalité à la suite de la perte d’un fœtus, ainsi que des conséquences psychologiques que cela engendre. La protection des femmes concernées s’inscrit donc légitimement dans ce texte.
Notre groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, votera donc pour cette proposition de loi qui, d’une part, reconnaît la souffrance des femmes victimes de fausse couche et, d’autre part, propose un accompagnement nécessaire et soutenu au couple concerné.
Je salue, une fois encore, le travail réalisé par nos deux chambres et l’esprit transpartisan qui a caractérisé le travail législatif tout au long de l’examen de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)