Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.

M. Jean-Claude Tissot. Cet amendement a pour objet la suppression de l’article 17 de cette proposition de loi, qui vise à réduire la durée des contentieux pour les projets d’ouvrages de stockage et de retenue d’eau, en reconnaissant que les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, les recours contre les projets d’ouvrages de prélèvement et de stockage d’eau.

À l’instar de ce que nous avons dit concernant l’article 15, nous estimons qu’aucune décision ne doit être prise hâtivement sur le sujet sensible de l’eau, plus particulièrement sur la question du stockage en agriculture.

De plus, une nouvelle fois, une prise de position aussi tranchée vient nécessairement faire écho à l’actualité et ne manque pas de soulever une vive opposition de la part du monde associatif et citoyen.

À ce sujet, le secteur associatif est formel : il n’y a pas de prolifération des contentieux. Si certains projets sont particulièrement médiatisés – je pense évidemment à Sainte-Soline –, il ne faut pas en tirer de mauvaises conclusions ni en faire des généralités non pertinentes.

Par ailleurs, nous ne partageons pas la philosophie ambiante, portée notamment par le Président de la République, considérant que tout doit être accéléré et que les outils de contrôle démocratique, par exemple les études de l’impact de ces projets sur notre environnement, doivent être remis en cause. Ce n’est pas la conception que nous avons de l’agriculture de demain ni d’ailleurs de la gestion de l’eau en tant que bien commun.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à l’article 17 et en demandons la suppression.

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 66 rectifié.

M. Fabien Gay. Il est défendu.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. Réguler la durée des contentieux relatifs à ces ouvrages est une nécessité, comme l’actualité l’illustre fréquemment.

Il ne s’agit pas d’entraver l’accès à la justice, toujours possible dans un État de droit, mais simplement d’éviter que des projets fassent l’objet de procédures pouvant durer cinq, sept, dix ou douze ans, ce qui est absolument dramatique pour ceux qui travaillent sur ces projets.

L’article 17 s’inspire d’autres dispositifs introduits par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, ainsi que par des lois ultérieures visant à réguler des contentieux abondants, notamment dans le domaine des éoliennes.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 15, 43 rectifié et 66 rectifié.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements. Nous avons besoin de travailler sur ces sujets, car la solution trouvée dans cet article ne nous paraît pas satisfaisante. Elle pourrait en effet donner le sentiment que l’on cherche à réduire l’accès à la justice.

En réalité, comme Mme la rapporteure le précisait à juste titre, la philosophie de cet article et de la proposition de loi en général consiste à essayer de réduire la durée globale de montage des projets. Or cette durée n’inclut pas uniquement celle du contentieux, mais également celle requise par toutes les études préalables que j’évoquais précédemment.

Monsieur le sénateur Tissot, je ne crois pas que ce soit faire insulte à un projet ou aux études préalables et à la documentation qui l’entourent que d’essayer de tenir ces délais parallèlement les uns aux autres, et non plus dans une succession chronologique. Ce qui est valable pour un projet d’installation d’entreprise doit l’être également pour un projet d’ouvrage relatif à l’eau.

Les études peuvent être menées très sérieusement sans avoir à attendre que la première soit terminée pour commencer la deuxième et ainsi de suite. Travailler ainsi aboutit à un temps d’instruction des dossiers très long, auquel peut ensuite s’ajouter un recours.

Nous avons besoin de penser ce sujet de façon globale. Réduire le temps de montage des projets est une question centrale ; il n’est pas acceptable de mettre sept à dix ans pour construire un ouvrage.

Pour autant, la solution proposée dans l’article 17 nous semble trop réductrice ; c’est pourquoi le Gouvernement est favorable aux amendements de suppression. La question de l’accès à la justice n’est pas seule en cause. Il faut que nous réfléchissions globalement.

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sophie Primas, rapporteur. Monsieur le ministre, la disposition prévue dans cet article que le Gouvernement entend supprimer a déjà été votée à l’Assemblée nationale par la majorité présidentielle, à la faveur d’un amendement du président de la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian…

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15, 43 rectifié et 66 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 17.

(Larticle 17 est adopté.)

Article 17
Dossier législatif : proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France
Article 19

Article 18

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Les articles L. 253-5-1 et L. 253-5-2 sont abrogés ;

2° Le VI de l’article L. 254-1 est abrogé ;

3° Les articles L. 254-1-1 à L. 254-1-3 sont abrogés ;

4° À la fin du 2° du I de l’article L. 254-2, les mots : « et qu’elle respecte les dispositions des articles L. 254-1-1 à L. 254-1-3 » sont supprimés ;

5° (nouveau) À la première phrase du deuxième alinéa du II de l’article L. 254-6-2, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».

Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 44 rectifié est présenté par Mme Bonnefoy, MM. Tissot, Montaugé, Devinaz et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau, Redon-Sarrazy et J. Bigot, Mme Préville, MM. Stanzione, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 67 est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 93 est présenté par Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis, Lemoyne et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

L’amendement n° 115 est présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 44 rectifié.

M. Christian Redon-Sarrazy. Cet amendement vise à supprimer l’article 18 qui, à l’image de nombreux articles de ce texte, a pour but de revenir sur des acquis environnementaux obtenus de haute lutte.

Nous sommes clairement opposés au rétablissement de l’autorisation des remises, rabais et ristournes sur les ventes de produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’à la suppression de la séparation de la vente et du conseil concernant ces produits.

Les sénateurs socialistes ont porté ces propositions par le passé, notamment dans le cadre du rapport d’information Pesticides : vers le risque zéro réalisé par notre collègue Nicole Bonnefoy en 2012 et d’une proposition de loi de 2013.

Revenir sur de telles interdictions va à l’encontre de l’histoire et à rebours de la volonté, affichée par les pouvoirs publics, de diminuer la consommation de pesticides en France. L’article 18 acte un recul pour la protection des sols et de la santé des Français, alors que la transition agroécologique devrait être au cœur de nos préoccupations.

S’agissant de la séparation des activités de vente et de conseil, je tiens à rappeler l’existence d’un risque de conflit d’intérêts, dès lors qu’il reviendrait aux mêmes personnes ou entités de vendre ces pesticides et de fournir des conseils à leur sujet. Dans les cas où la rémunération d’un conseiller est fonction des ventes, il est difficile de ne pas envisager qu’il soit tenté d’encourager son client à acheter davantage que nécessaire.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que, dans le cadre de la loi Égalim, les rapporteurs de l’époque, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, s’étaient opposés à la suppression de cette séparation. J’espère que, par cohérence, il en ira de même aujourd’hui.

En tout état de cause, il nous semble impensable de soutenir un tel article, dont nous proposons la suppression.

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 67.

M. Fabien Gay. L’article 18 revient sur la séparation des activités de vente et de conseil pour les pesticides, ainsi que sur l’interdiction des remises à l’occasion de la vente de ces produits. Or ces interdictions avaient été instaurées pour réduire l’utilisation des pesticides.

Le cumul des activités de vente et de conseil pour les pesticides entraîne des conflits d’intérêts et des conseils orientés pouvant conduire à une surutilisation de ces mêmes pesticides et, in fine, à une augmentation des risques de contamination pour les pollinisateurs.

Pire, vous revenez sur une disposition qui a déjà été affaiblie. Ainsi, la séparation capitalistique des structures économiques n’est pas totale, puisqu’a été introduite la possibilité que 32 % des parts d’une structure de conseil soient dans les mains de structures de distribution. Les structures de conseil pourront donc toujours être influencées par les vendeurs de pesticides.

Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour présenter l’amendement n° 93.

Mme Patricia Schillinger. L’interdiction des remises, rabais et ristournes et la séparation de la vente et du conseil pour les produits phytopharmaceutiques constituent deux mesures fortes de la loi Égalim de 2018 qui ne sont entrées en vigueur qu’en janvier 2021.

Il est nécessaire de rappeler que l’esprit de cette seconde mesure était de prévenir tout risque de conflit d’intérêts résultant de la coexistence chez un même opérateur des activités de conseil et de vente pour les produits phytopharmaceutiques et de garantir aux utilisateurs professionnels un conseil annuel individualisé, qui concourt à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des risques et impacts associés.

Nous sommes bien conscients du fait que cette mesure peut créer des externalités négatives, mais revenir dessus enverrait un signal particulièrement négatif, alors que nos agriculteurs sont déjà engagés sur la voie de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires.

Il nous paraît plus opportun de renforcer, dans le cadre du futur projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, la recherche et l’innovation, notamment dans les méthodes alternatives, le déploiement des nouvelles technologies ou les biocontrôles, pour soutenir les agriculteurs dans la trajectoire de réduction de l’usage des produits phytosanitaires, tout en préservant leur compétitivité.

C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.

Mme le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 115.

M. Joël Labbé. Faisons un peu d’histoire : la mission d’information sur les pesticides et leur impact sur l’environnement et la santé, dont Sophie Primas était présidente et Nicole Bonnefoy rapporteure, avait recommandé à l’unanimité de séparer les activités de vente et de conseil pour les produits phytopharmaceutiques. Il a fallu un peu de temps, mais cette recommandation s’est finalement traduite dans la loi Égalim.

Il est question aujourd’hui de revenir sur cette disposition. Nous souhaitons nous opposer à ce recul majeur pour l’environnement et pour les agriculteurs. Le cumul des activités de vente et de conseil pour les pesticides entraîne des conflits d’intérêts et des conseils orientés pouvant conduire à une surutilisation des pesticides, ce qui pénalise en premier lieu les agriculteurs qui ne peuvent bénéficier d’un conseil indépendant.

La suppression de cette mesure est à l’opposé du sens de l’histoire. J’en veux pour preuve que l’on discute actuellement de sa mise en œuvre à l’échelle européenne, où elle est notamment défendue par le Conseil européen des jeunes agriculteurs.

Il est possible que sa mise en œuvre ait suscité des difficultés au démarrage, mais le conseil indépendant se développe. Des sessions individuelles et collectives permettent aux agriculteurs de s’interroger sur leurs pratiques quant à l’usage des produits phytosanitaires, toujours dans le sens, évidemment, de la diminution de cet usage, voire de son arrêt. Cela nous semble bénéfique pour l’autonomie des exploitations, pour leur performance économique et pour nos ambitions collectives de sortie des pesticides.

Alors, n’envoyons pas, en adoptant cet article, un signal de recul sur le sujet des produits phytosanitaires !

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. L’objet de ces amendements de suppression est contraire à celui de la proposition de loi.

Leurs auteurs affirment que, sans cette séparation, le conseil aux agriculteurs encouragerait la consommation de produits phytopharmaceutiques.

Je tiens à rappeler que, bien avant la séparation du conseil et de la vente, de nombreux garde-fous avaient été mis en place. Ainsi, les vendeurs comme les conseillers devaient détenir un agrément spécifique délivré par l’autorité administrative, en plus du certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, le certiphyto. Le conseil devait être écrit et la rémunération des vendeurs n’était pas indexée sur les quantités vendues.

Il n’est pas démontré que ce cumul encouragerait la surutilisation de produits phytopharmaceutiques ; cette affirmation découle en réalité d’un présupposé insinuant que les agriculteurs utiliseraient à dessein plus que ce qui est nécessaire pour assurer la viabilité de leur production agricole.

Par ailleurs, la séparation de la vente et du conseil a prouvé, à l’usage, sa totale inefficacité ; c’est la raison pour laquelle je n’ai aucun mal à revenir sur l’une des recommandations que nous avions formulées ensemble à l’issue de la mission d’information sur les pesticides. Quand on recommande une mesure, qu’on la met en place et qu’elle ne marche pas, il faut avoir l’humilité de dire qu’il faut la retirer.

En outre, l’Inrae, dans la contribution écrite qu’il nous a remise à l’occasion de cette proposition de loi, nous a indiqué que cette séparation avait peu d’incidences sur les ventes. Elle peut en revanche freiner l’adoption des produits de biocontrôle et ainsi éloigner les agriculteurs des innovations. Il me semble que c’est un point important.

En réalité, je pense comme vous que les agriculteurs ont besoin d’être accompagnés. Or, pour l’instant, le conseil stratégique ne fonctionne pas ; les chambres d’agriculture sont débordées et n’arrivent pas à répondre aux besoins d’accompagnement spécifique exprimés dans chacune des exploitations. Les témoignages que nous avons recueillis proviennent surtout d’agriculteurs qui se trouvent démunis, trop seuls pour trouver des solutions. Dans une telle situation, la mesure en question peut faire plus de mal que de bien.

Toutes ces raisons expliquent notre avis défavorable sur ces quatre amendements identiques.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement est favorable à ces amendements de suppression, et ce pour plusieurs motifs.

Tout d’abord, comme l’a très bien rappelé Mme Schillinger, le dispositif en question n’est en œuvre que depuis un peu plus de deux ans. Laissons-lui le temps de faire ses preuves ! Je répète ce que j’ai pu dire sur des dispositions de même nature, y compris certaines issues de la loi Égalim : faisons déjà en sorte d’évaluer comment le dispositif se met en route.

Cette approche n’exclut pas de reconnaître – vous avez raison sur ce point, madame la rapporteure – que le sujet du conseil, voire des conseillers, doit être examiné. Nous ferons donc des propositions sur ce sujet, car nous avons compris que des questions se posent quant au conseil aux agriculteurs, en particulier s’agissant du conseil stratégique. On ne peut pas à la fois séparer la vente et le conseil et empêcher, de fait, l’accès des agriculteurs à ce conseil.

Pour autant, il existe, selon nous, une autre voie que celle prévue dans cet article ; nous allons essayer de l’explorer et nous aurons sans doute des annonces à faire sur ces questions.

Il est vrai que l’on bute ici sur un problème, il vaut mieux le reconnaître, mais cela n’est pas une raison suffisante pour revenir sur un dispositif qui, adopté en 2018, n’est opérationnel que depuis 2021, soit un peu plus de deux ans. C’est pourquoi nous sommes favorables à la suppression de cet article.

Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour explication de vote.

M. Christian Bilhac. Je m’abstiendrai, sur ces amendements comme sur l’article, parce que je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire, comme disait l’autre ! (Sourires.)

Je m’abstiendrai, parce qu’il y a une chose qu’on oublie trop souvent : c’est que les paysans – ce n’est pas péjoratif dans ma bouche, puisque j’en suis un, d’une certaine manière – ne sont quand même pas si bêtes ; et surtout, ils savent compter ! Ce n’est pas parce qu’un marchand de produits phytosanitaires leur dit qu’il faut en acheter 20 kilos qu’ils vont lui obéir s’ils n’ont besoin que de 10 kilos.

Ce que j’entends de la part de mes amis agriculteurs, c’est que cette année, avec l’inflation, ils ne veulent pas dépenser plus que l’année dernière en produits phytosanitaires : le commerçant pourra leur raconter ce qu’il voudra, il ne vendra pas un kilo de plus !

Je trouve donc que ces amendements se fondent sur une certaine méconnaissance de la profession.

Mme le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

M. Joël Labbé. Je ne veux pas être trop long, mais quand même ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Madame la rapporteure, vous dites que les agriculteurs ont besoin d’être orientés et conseillés ; mais si c’est ce type de conseillers dont ils ont besoin, c’est grave !

Oui, les agriculteurs ont besoin de conseil, beaucoup d’entre eux en sont demandeurs, car ils se disent que, s’ils peuvent se passer de pesticides, ils s’en passeront, bien sûr, mais ils ne savent pas comment s’y prendre. On parle de cabinets de conseil indépendants, mais il faudrait qu’ils soient formés, avec l’appui du Gouvernement. Si celui-ci veut, lui aussi, que l’on sorte des pesticides, ou du moins que l’on progresse vers la sortie, il doit s’engager à son tour.

La solution retenue dans cet article – revenir sur la séparation de la vente et du conseil – est trop facile. C’est à la fois incompréhensible et inacceptable !

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 44 rectifié, 67, 93 et 115.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 18.

(Larticle 18 est adopté.)

TITRE IV

MAÎTRISER LES CHARGES SOCIALES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES

Article 18
Dossier législatif : proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France
Article 20

Article 19

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après le 1° de l’article L. 5312-1, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Assurer une orientation active des demandeurs d’emploi vers les secteurs prioritaires en tensions identifiés par le comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles mentionné à l’article L. 6123-3 ; »

2° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 5411-6-1, après le mot : « local », sont insérés les mots : « , et notamment les listes des secteurs prioritaires en tension telles qu’établies par le comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle mentionné à l’article L. 6123-3 ».

II. – Le chapitre VIII du titre Ier du livre VII du code rural et de la pêche maritime est complété par une section 7 ainsi rédigée :

« Section 7

« Secteurs agricoles prioritaires de la politique de lemploi

« Art. L. 718-10. – Sauf décision contraire du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle mentionné à l’article L. 6123-3 du code du travail, le secteur agricole est réputé secteur prioritaire en tension au sens de l’article L. 5312-1 du même code. »

Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 16 est présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

L’amendement n° 47 rectifié est présenté par MM. Tissot, Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau et Redon-Sarrazy, Mme Bonnefoy, MM. J. Bigot et Devinaz, Mme Préville, M. Stanzione, Mme Lubin, M. Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 68 est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 88 rectifié est présenté par Mme Pantel et MM. Artano, Bilhac, Corbisez, Guérini et Requier.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 16.

M. Joël Labbé. Il est défendu, madame la présidente !

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 47 rectifié.

M. Jean-Claude Tissot. Le présent amendement vise à supprimer l’article 19, qui crée des « secteurs prioritaires en tension », vers lesquels on orienterait prioritairement les demandeurs d’emploi, et reconnaît d’office le secteur agricole comme un tel secteur.

Les sénateurs de mon groupe ont parfaitement conscience des besoins spécifiques en main-d’œuvre d’un secteur comme l’agriculture ; nous défendons d’ailleurs chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances, des dispositifs comme celui appelé TO-DE pour travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi.

Nous estimons néanmoins que cet article va beaucoup plus loin et que, si nous commençons à inscrire dans la loi des secteurs prioritaires, beaucoup d’autres secteurs pourraient être reconnus comme tels – je pense notamment à la santé ou à l’éducation.

En outre, nous nous interrogeons sur la mise en œuvre de ce dispositif et sur ses conséquences. Une fois de plus, l’absence d’une étude d’impact est préjudiciable sur de tels sujets. En effet, puisque, au-delà de deux refus, un demandeur d’emploi peut perdre ses droits à l’allocation chômage, adopter cet article revient à considérer qu’un demandeur d’emploi doit être mobilisable – quels que soient sa formation, ses aspirations ou son âge – pour aller travailler dans les champs.

Pour les sénateurs de mon groupe, cet article 19, couplé aux articles 20 et 22, participe de la mise en place d’une approche clairement libérale du marché du travail, approche que nous ne soutenons pas sur le fond et qui, sur la forme, aurait nécessité un texte spécifique accompagné d’une réelle étude d’impact.

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 68.

M. Fabien Gay. Quand on en vient aux travailleurs et aux travailleuses, je ne vais pas passer mon tour !

À cet article 19, il est question de la main-d’œuvre. Alors, on aurait pu avoir un débat sur les moyens de revaloriser les filières agricoles ; on aurait pu parler des lycées agricoles, des moyens qu’il faudrait leur attribuer pour mieux former nos jeunes et leur donner envie de choisir cette voie.

Mais pas du tout ! La droite a choisi de dire autre chose et je cite le texte de cet article : « Assurer une orientation active des demandeurs d’emploi vers les secteurs prioritaires en tension identifiés par le comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles. »

Ainsi, Pôle emploi, ou France Travail – je ne sais comment vous allez l’appeler, mais le résultat sera le même –, n’accompagnera pas la personne privée d’emploi à partir de son vécu et de son expérience professionnelle, pour mieux la réorienter ; non, on lui dira : « C’est là qu’il faut aller ! Même si tu n’as jamais fait de travaux agricoles, c’est là que tu iras ! »

Et il y aura une double peine, c’est bien arrangé : si la personne ne va pas là, on lui retirera ses indemnités ! C’est le résultat de la réforme de l’allocation chômage que vous avez faite, allocation dont je rappelle qu’elle est un droit, puisqu’on cotise pour cela.

On n’aura donc pas le choix : il faudra y aller, et si l’on ne veut pas, même si l’on n’a pas les compétences nécessaires, même si l’on est cassé, on sera privé d’allocation. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais si, mes chers collègues ! Assumez votre position, c’est bien écrit, cette orientation sera impérative. Tout le reste en découle, on en reparlera au sujet des cotisations sociales.

Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour présenter l’amendement n° 88 rectifié.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. La commission est naturellement défavorable à ces amendements de suppression.

Certes, des arguments sont avancés, du moins dans les exposés des motifs de ces amendements, avec lesquels je ne suis pas en désaccord.

Selon leurs auteurs, il est nécessaire de réfléchir à la formation, aux parcours, aux aspirations et aux compétences du demandeur d’emploi. Mais l’article 19 ne remet nullement en cause cette nécessité !

Il a aussi été souligné qu’il convient de réfléchir à l’attractivité des conditions de travail dans les secteurs en tension, ainsi que d’accompagner les très petites entreprises pour la construction de fiches de poste. Une fois encore, l’article 19 ne remet nullement en cause cette nécessité.

En revanche, il apparaît nécessaire – tel est bien l’objet de cet article – d’envoyer un signal et de permettre une orientation plus active des demandeurs d’emploi vers les secteurs en tension, c’est-à-dire ceux où il y a du travail, parmi lesquels on trouve le secteur agricole.

Mon cher collègue Fabien Gay, je vous engage à venir voir les résultats de l’agence d’insertion du RSA que nous avons installée dans le département des Yvelines. On y assure un accompagnement des allocataires du RSA vers les secteurs en tension dans le département, vers les entreprises qui acceptent de réintégrer ces travailleurs. Cela fonctionne extrêmement bien.

Je trouve qu’il n’y a rien de choquant à accompagner des personnes privées d’emploi vers des secteurs d’activité qui recrutent.

C’est pour ces raisons que l’avis de la commission sur ces amendements identiques est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces amendements de suppression comme sur l’article 19 lui-même.

Il nous semble en effet que l’examen de telles dispositions aurait mieux leur place dans les débats qui se tiendront bientôt sur le texte relatif à France Travail.

Par ailleurs, monsieur le sénateur Gay, permettez-moi de vous dire que j’ai beau lire l’article 19, je n’y trouve pas ce que vous décrivez. L’expression « orientation active vers les secteurs en tension » n’a rien à voir avec la traduction que vous en faites. (M. Fabien Gay le conteste.) La loi, c’est la loi, et quand bien même nous estimons que cet article aurait plutôt sa place dans le texte qui sera soumis au Parlement sur le marché du travail, il nous semble que la description que vous faites de l’article 19 ne correspond pas à la réalité.