M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous remercie de la précision de vos chiffres et de vos sources. Il est vrai que le débat tombe à point nommé, comme vous avez été nombreux à le souligner sur toutes les travées. Il ne vous a pas échappé que je ne me suis pas cachée derrière des chiffres macroéconomiques et que je reconnais la réalité de l’inflation et de l’inflation alimentaire ressentie par nos compatriotes. Étant chargée des PME, mais aussi de la consommation, c’est à l’aune de cette inflation ressentie que je raisonne.

Pour corroborer vos propos, je rappelle que l’Insee a estimé hier encore qu’au total, le pouvoir d’achat a été globalement préservé sur l’année 2022. Il ne faut pas oublier de prendre en compte, ce que vous avez fait, l’ensemble des mesures que nous avons adoptées, notamment les chèques énergie.

Ainsi, le pouvoir d’achat dit « ajusté » progresse même de 1,2 % en 2022. J’en profite pour répondre au sénateur Babary, car les bonnes nouvelles sont rares : le taux de marge de nos entreprises progresse aussi au quatrième trimestre 2022, s’établissant en moyenne à 32 % sur l’année. Il baisse un peu par rapport à 2021, qui était une année particulière, mais demeure 0,5 point au-dessus de son niveau de 2018. Malgré la crise inflationniste qui a succédé à la crise sanitaire, le taux de marge de nos entreprises est en augmentation.

Vous m’avez interrogée sur l’avancement de nos travaux sur la grande distribution. À la demande du Président de la République, nous travaillons d’arrache-pied, Bruno Le Maire et moi-même, pour embarquer les distributeurs à nos côtés et aboutir à une solution collective, rapide et juste. J’ai proposé une idée, qui est une sorte de mise de jeu ; je n’ai jamais dit que c’était la solution et encore moins qu’elle était parfaite. Elle a toutefois le mérite d’exister et de pouvoir être critiquée ou soutenue. J’attends d’autres propositions dans les jours à venir pour répondre à l’objectif de payer moins cher à la caisse.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin, je regardais une émission sur une chaîne d’information en continu qui titrait : Inflation : mars, le mois de tous les dangers. Je vous ai aussi écoutée sur une grande chaîne publique, madame la ministre. C’est important ; cela met de bonne humeur. (Sourires.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je le prends comme un compliment ! (Nouveaux sourires.)

M. Patrick Kanner. Au mois de novembre dernier, lors d’une audition par la commission des affaires économiques, M. le ministre de l’économie a confirmé ses déclarations antérieures selon lesquelles l’inflation que nous subissions n’était que transitoire et qu’une baisse des prix interviendrait à partir de la fin de l’année 2022.

Nous sommes au premier trimestre 2023 et cette baisse des prix n’est pas intervenue. Or si, pour certains, trois mois, c’est peu de chose, pour ceux qui éprouvent des difficultés financières, c’est une éternité.

On le sait désormais, cette inflation sera pérenne : les estimations portent plutôt sur une stabilisation d’ici à 2025. Mais de quoi parlons-nous en 2025 ? D’une inflation nulle ? D’une inflation à 2 % ou 3 % ? Comment évolueront les taux d’intérêt ? Quelle politique sera menée par la BCE ? Personne ne peut le dire, au vu de la vitesse à laquelle évolue l’économie mondiale. Méfions-nous des estimations ; la sagesse nous commande de relativiser toutes les prévisions que nous pourrions faire.

Il faut donc avoir en tête que, malheureusement, les épisodes de chocs économiques que nous avons connus avec la covid-19 sont amenés à se répéter et à devenir de plus en plus fréquents. Les prévisions peuvent donc être faussées, mes chers collègues.

Notre débat porte sur les conséquences de cette inflation sur le pouvoir d’achat des Français, et en particulier des plus modestes. Or, malgré le courrier que m’a envoyé Mme la Première ministre voilà quelques semaines, je reste persuadé que les difficultés éprouvées par les foyers français sont prégnantes.

Aussi, je reste mobilisé, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour lutter contre la précarisation, contre les fins de mois difficiles, contre toutes ces trappes à pauvreté que ce gouvernement continue de ne pas voir. C’est d’ailleurs pour cela que notre groupe a proposé la tenue de ce débat, et je me réjouis que le président du Sénat l’ait retenu dans le cadre de ce que nous appelons désormais les débats d’actualité du premier mercredi de chaque mois.

Il est important de continuer de porter ces sujets au sein du débat national et d’être les porte-voix de nos concitoyens les plus modestes.

Madame la ministre, aucune prime, aucun chèque ne remplacera une hausse juste et durable des revenus pour maintenir – et seulement maintenir – le pouvoir d’achat. Car non, madame la ministre, l’augmentation du Smic de 8 % et les aides ponctuelles mises en place par votre gouvernement ne suffisent pas à compenser la véritable déflagration économique que certains foyers subissent.

Par ailleurs, l’obsession dogmatique du « moins d’impôts », que vous vous évertuez à ériger comme solution à tous les problèmes, ne me semble pas appropriée au contexte. Le seul ruissellement que nous connaissons, et de plus en plus, c’est celui de la précarité.

Madame la ministre, nous reconnaissons la réalité des mesures que vous avez prises en faveur du pouvoir d’achat. Pour autant, les coupes budgétaires que vous avez opérées pèsent également sur le budget des Français les plus modestes. Je pense bien sûr symboliquement à cette baisse de 5 euros décidée au début du quinquennat précédent sur les aides personnelles au logement.

Ce qu’il faut aux Français, ce ne sont pas des chèques énergie, des chèques carburant ou des chèques de rentrée.

Ce qu’il leur faut, c’est une revalorisation des salaires. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a d’ailleurs rédigé, sur l’initiative de notre collègue Thierry Cozic, une proposition de résolution visant à ce que soit tenu un Grenelle des salaires en France.

Ce qu’il leur faut, c’est que nous mettions fin au désarmement fiscal du pays. Pour rappel, la politique mise en œuvre par votre gouvernement entraînera une perte de 500 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2017 et 2027.

Ce qu’il leur faut, c’est une juste répartition des richesses dans les entreprises prospères. Nous vous avons proposé de taxer les superprofits. Nous avons été soutenus par des millions de Français, y compris même par des parlementaires issus du centre. Vous ne nous avez pas entendus.

Il y a quelques jours était confirmé le niveau record des dividendes versés l’an dernier, à hauteur de 140 milliards d’euros. Cette situation n’est pas juste, et elle devient insupportable. Il est demandé à tous les Français de fournir un effort. Ce sera l’objet, dans quelques heures, de nos débats sur les retraites.

La décence voudrait que nous demandions le même effort à tous nos concitoyens, y compris ceux qui ont le plus bénéficié de l’hyperbouclier fiscal depuis maintenant bientôt six ans. Les concitoyens que nous souhaitons aider ne sont pas les plus riches ; ce sont ceux qui font exploser les chiffres des Restos du cœur.

Ce qu’il faut aux Français, madame la ministre, ce ne sont pas des mesures ponctuelles ; c’est une réelle redistribution. Sinon, attention danger ! Le désespoir est source de toutes les colères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Kanner, « décembre noir », « juillet vert », « mars rouge »… Dieu sait si j’aime la peinture, mais je ne crois pas qu’il relève d’un membre d’une équipe de gouvernement de choisir le Pantone des difficultés qui sont devant nous.

En cela, je partage tout à fait la position de mon ministre de tutelle Bruno Le Maire sur le fait que l’inflation est et va demeurer soutenue, sur le fait que nous faisons effectivement face à un choc inflationniste et sur le fait qu’il est indispensable qu’en plus de ce que nous faisons depuis six ans, nous continuions à essayer de faire plus. C’est pour cette raison que nous demandons aux acteurs économiques, en responsabilité, de faire un effort.

En ce qui concerne le choc inflationniste, je suis plutôt d’accord avec vous. N’étant pas devin, je ne saurais indiquer ni son début ni sa fin. En revanche, je suis en mesure de mentionner ce que j’essaye modestement de faire au nom du Gouvernement pour accompagner les Français.

Vous dites être les « porte-voix » des plus modestes. À défaut de porte-voix, le Gouvernement est constitué de « porte-action ». Nous n’avons pas tremblé lorsqu’il a fallu augmenter les minima sociaux ; nous n’avons pas tremblé pour revaloriser, dès le mois de juillet, le point d’indice de 5,7 millions de fonctionnaires, qui a connu sa plus forte hausse depuis trente-sept ans. Cela représente un gain de plus de 1 093 euros nets annuels pour un infirmier anesthésiste avec huit ans d’ancienneté.

Par ailleurs, nous avons revalorisé la prime d’activité de plus de 4 %. Vous appelez de vos vœux une conférence sur les salaires ; je l’entends bien. Je sais que vous le savez, car je vous respecte, monsieur le sénateur Kanner, mais je rappelle que, jusqu’à preuve du contraire, l’État ne fixe pas les salaires, et c’est très bien comme cela !

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange qui, malgré nos divergences, pointe un sujet de préoccupation majeure de nos compatriotes. En ce sens, il me semblait indispensable de tenir un tel débat.

De mon côté, j’ai essayé de vous faire part du fait que, indépendamment du choc inflationniste, nous menons depuis maintenant six ans une action résolue pour soutenir le pouvoir d’achat des Français et pour revaloriser le travail.

J’entends aussi, avec beaucoup d’humilité, que les solutions que nous avons apportées semblent largement insuffisantes à certains d’entre vous. Cela a été dit, mais il me semble important de le rappeler : même si c’est compliqué et si le ressenti est très important, il ne faudrait pas oublier que nous demeurons très en deçà de l’inflation que subissent nos voisins européens. Et même si le concept de hasard existe, de tels résultats sont aussi le fruit des politiques économiques que nous avons résolument menées depuis six ans.

Par souci de clarté, et dans le cadre du respect que je porte à la Chambre haute, je ne dirai pas pour autant que nous en faisons assez. En réalité, nous n’en ferons jamais assez pour revaloriser le pouvoir d’achat de nos concitoyens et lutter contre l’inflation, notamment l’inflation alimentaire pour les plus fragiles.

On doit, en humilité, continuer de proposer des solutions. À cet égard, j’ai bien écouté Patrick Kanner, dont je connais l’expérience, et j’ai entendu ses propositions sur les salaires. Attention toutefois à ne pas alimenter la spirale inflationniste, à laquelle certains pays européens ont cédé. Cela pourrait nous conduire, par exemple, comme l’ont fait les Belges, à indexer tous les salaires sur l’inflation. Certes, les Belges ont indexé les salaires sur l’inflation, mais ils n’ont pas de bouclier tarifaire !

Je sais que vous êtes nombreux à raisonner dans le contexte contraint que connaissent nos finances publiques, alors que les taux d’intérêt dépassent désormais 3,14 %. L’inflation a aussi – la Bourse de Paris l’a démontré hier – des conséquences directes sur la crédibilité financière de la signature française.

Outre les mesures financières, nous prenons des dispositions qui peuvent sembler secondaires à certains – pas ici –, mais qui ne le sont pas.

Ainsi, grâce à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et aux apports du Sénat, nous avons augmenté le pouvoir de choix de nos compatriotes. Désormais, ils pourront plus facilement mettre fin à leur abonnement à un fournisseur de gaz et d’électricité, mais aussi résilier leur abonnement à des magazines et à internet, leur contrat avec une compagnie d’assurances ou une mutuelle. D’ici trois mois, au plus tard le 1er juin 2023, l’ensemble des vendeurs et assureurs devront prévoir un bouton Résiliation en ligne qui soit facile d’accès. Ces mesures permettront aux consommateurs de respirer un peu financièrement.

J’ai pris très à cœur la mission qui a été la mienne pendant près de deux ans lorsque j’étais chargée de l’économie sociale et solidaire. Vous avez été nombreux, notamment sur les travées de la gauche de l’hémicycle, à rappeler la situation d’un certain nombre de nos compatriotes, très fragilisés par la crise. De même que nous avons été présents, avec des montants d’un niveau historique, auprès des banques alimentaires lorsque la situation a été très compliquée, notamment dans le cadre du plan de relance, nous nous mobilisons aujourd’hui. Le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé hier la mobilisation d’un fonds de 60 millions d’euros à l’endroit des banques alimentaires. Sachez enfin que la Première ministre n’hésitera pas, s’il le faut, à faire plus pour accompagner nos associations qui soutiennent les plus fragiles.

Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce débat. J’espère avoir prochainement le plaisir d’échanger de nouveau avec vous sur ces sujets. Nous nous battrons ensemble pour contenir et faire baisser la forte inflation que subissent nos compatriotes, bien moins forte toutefois – il convient de le rappeler –, que celle que connaissent nos voisins européens.

J’ignore si, quand on se compare, on se désole ou on se console, mais je sais, comme l’a dit Michelet, que c’est lorsqu’on se résigne que tout est perdu. Comptez sur moi, je ne suis pas prête à me résigner ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français ».

7

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour une mise au point au sujet d’un vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Lors du scrutin n° 134 du 14 février 2023 sur l’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Stéphane Sautarel, tendant à insérer un article additionnel après l’article 4 ter de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, notre collègue Hervé Maurey souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique
Discussion générale (suite)

Lutte contre les violences pornographiques

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, l’examen de la proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 260).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique
Discussion générale (fin)

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : lenfer du décor, ou comment résumer en cinq mots le rapport-choc que notre délégation aux droits des femmes a publié au mois de septembre dernier sur les maux d’une industrie licencieuse qui prospère en irriguant la toile de contenus illicites.

Avec mes trois collègues corapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous avons, pour la première fois dans l’histoire parlementaire, enquêté pendant six mois sur la réalité des pratiques de l’industrie pornographique.

Nous avons entendu toutes les parties prenantes, dont, à huis clos, des victimes de l’affaire French Bukkake. Celle-ci a permis de mettre au grand jour les pratiques de producteurs, de barbares, qui ont détruit la vie de dizaines de femmes.

Nous avons analysé les principaux contenus disponibles sur les sites pornographiques, ces plateformes en ligne, les tubes, qui proposent gratuitement, et sans aucun contrôle, des millions de vidéos.

Il faut sortir de toute vision datée, faussée et édulcorée du porno. Le porno aujourd’hui, ce sont des contenus violents, dégradants, humiliants. Les scènes dans lesquelles un homme, ou plus souvent des hommes infligent des violences physiques et sexuelles à des femmes sont devenues la norme.

La pornographie n’est pas du cinéma. Les pleurs, les cris, les viols, le sang : tout est vrai. Il n’y a pas d’effets spéciaux. Ce sont ces violences et leur banalisation qui nous ont conduites à des prises de position fortes.

Notre rapport a eu un écho médiatique considérable, en France et à l’échelon international, et suscité une onde de choc dans l’opinion.

Le nombre de cosignataires de cette proposition de résolution – 255 exactement – constitue un record jamais atteint pour un texte sénatorial sous la Ve République.

Ce chiffre témoigne d’une prise de conscience collective. Il engage le Gouvernement à mettre en œuvre les recommandations que nous avons formulées. Les ministres à qui nous avons présenté notre rapport nous ont assuré vouloir avancer sur le sujet.

Je pense bien sûr à la solution de contrôle d’âge, annoncée récemment par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel, ainsi qu’à toutes les mesures de politique pénale qui permettront de poursuivre les auteurs et diffuseurs.

La massification de la production et de la consommation nous obligent. Je sais pouvoir compter sur vous madame la ministre ; vous partagez notre détermination. Nos propositions sont sur la table. Le Gouvernement doit s’en saisir. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, j’évoquerai le caractère industriel du porno, notre rapport ne portant pas uniquement sur les effets de celui-ci et les consommateurs. Nous avons étudié toute la chaîne : le recrutement, les méthodes de tournage et de diffusion, l’influence sur les cerveaux et la société, sur les jeunes comme sur les adultes.

Le porno, c’est d’abord une industrie mondialisée qui génère plusieurs milliards d’euros de profit chaque année et qui est concentrée dans les mains de quelques grandes multinationales, souvent basées dans des paradis fiscaux. La production de contenus pornographiques de plus en plus extrêmes et violents est de plus en plus volumineuse. Elle alimente ce business mondial et représente un trafic vidéo prépondérant sur internet.

Les vidéos pornographiques, hébergées sur des plateformes de streaming, constituent ainsi plus d’un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde ! La demande de contenus pornographiques sur internet correspond, quant à elle, à une recherche sur huit sur ordinateur et à une recherche sur cinq sur mobile !

Ne nous voilons pas la face, mes chers collègues : nos recherches statistiques ont montré que la France est l’un des pays les plus consommateurs de pornographie au monde !

Le porno, c’est aussi une industrie qui, par sa nature même, est génératrice de violences systémiques envers les femmes.

N’oublions pas la définition de la pornographie : il s’agit de l’exploitation commerciale de la représentation explicite d’actes sexuels non simulés. Or, comme nous l’indiquons dans notre rapport, 90 % des scènes pornographiques comportent des violences sexuelles, physiques ou verbales. Ces violences ne sont pas simulées ; elles sont bien réelles pour les femmes filmées.

Nous avons également constaté au cours de nos travaux une grande porosité entre la pornographie et la prostitution : ce sont deux mondes entre lesquels les passerelles sont nombreuses et qui utilisent des méthodes de recrutement similaires pour exploiter sexuellement les mêmes femmes, vulnérables économiquement, socialement et, souvent, psychologiquement.

Enfin, le porno est une industrie qui fait aujourd’hui l’objet de poursuites pénales. Enfin ! Il était temps.

Pour la première fois en France, des violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques, font l’objet d’un traitement pénal. Les auteurs de ces violences sont poursuivis pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme. Telle est la réalité de cette industrie aujourd’hui !

C’est pourquoi nous appelons à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. L’omerta qui pèse sur ces violences doit cesser. Il est temps de mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie cette industrie depuis trop longtemps ! Pour cela, nous avons besoin de votre engagement à nos côtés, madame la ministre. Nous savons déjà que vous êtes mobilisée sur le sujet, et nous espérons beaucoup de l’ensemble du Gouvernement.

Ma collègue évoquera dans quelques instants les effets du porno sur les jeunes cerveaux. Pour ma part, je soulignerai que le porno n’est pas toxique que pour les adolescents. Il l’est pour l’ensemble de ceux qui en consomment, y compris les adultes, pour ces hommes qui sont devenus addicts à la pornographie et ne sont plus capables d’avoir une sexualité réelle, car ils sont désormais excités exclusivement par les scènes violentes qu’ils voient sur internet. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : lenfer du décor, un jeu de mots pour arrêter de jouer avec les plus fragiles et pour dénoncer les conséquences de la massification des contenus pornographiques : des consommateurs toujours plus nombreux, de plus en plus jeunes, en demande de contenus de plus en plus violents, extrêmes et dégradants. Ce sont aussi les conséquences de l’accoutumance !

Mais jusqu’où ira cette surenchère malsaine ?

On assiste à une escalade infernale pour tenter d’assouvir une curiosité qui, finalement, n’est jamais comblée, et ce sans considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits.

Deux tiers des moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. Il s’agit là d’une triste réalité lorsqu’on sait que l’exposition des mineurs à ce type de contenus s’inscrit en parfaite violation du code pénal. Car, comme vous le savez, depuis la loi du 30 juillet 2020, sur l’initiative de notre collègue Marie Mercier, que je veux saluer pour ses travaux sur ce sujet précis, les sites pornographiques ont l’obligation de s’assurer de la majorité de l’internaute qui les consulte. Et pourtant…

Tous les sites pornographiques demeurent accessibles en un clic, sans aucune vérification d’âge, tout comme les réseaux sociaux, devenus aujourd’hui le support social de référence des nouvelles générations, sur lesquels de nombreux comptes affichent des contenus pornographiques violents, bien loin de la réalité, et qui ont pour conséquence de banaliser ces pratiques sexuelles, comme si elles étaient la norme.

Se poser des questions sur la sexualité quand on est à l’école primaire est une curiosité naturelle, une étape du développement. En revanche, aller chercher des réponses sur les plateformes numériques qui proposent des contenus inadaptés à la maturité de l’enfant et absolument pas représentatifs de la réalité pose un sérieux problème !

Un effort doit être fait en matière de prévention, afin de sensibiliser les enfants et les parents aux dangers de la pornographie et de la marchandisation du corps.

Les conséquences sur la jeunesse de cette exposition massive à la pornographie sont plus que préoccupantes. Les mineurs ne sont évidemment pas les seuls concernés : le porno peut également avoir des effets dangereux sur les adultes, sur leurs représentations d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité !

Face à ce constat alarmant, il est donc urgent d’agir.

Dans notre rapport, nous avons notamment proposé la mise en place d’une attestation de majorité, reposant sur un principe de double anonymat.

Plus que des annonces, nous attendons désormais des actes forts. Madame la ministre, mes chers collègues, Annick Billon, Laurence Cohen et Laurence Rossignol et moi avons abordé ce sujet tabou parce qu’il nous a semblé majeur. Nous avons entendu à huis clos des témoignages glaçants, surréalistes, de victimes de violences, mais aussi d’adolescents, scolarisés dans un collège à quelques encablures d’ici qui considèrent que le corps peut être une monnaie d’échange.

Il est temps d’ouvrir les yeux et d’agir pour que notre pays ne soit plus complice de cette triste réalité, avant qu’il ne soit trop tard pour rectifier ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Porno : lenfer du décor : la délégation aux droits des femmes et, aujourd’hui, le Sénat tout entier peuvent être fiers de ce rapport, véritable pavé dans la mare lancé voilà quelques mois. Il aura notamment permis d’inscrire à l’agenda du Gouvernement le sujet des pratiques de l’industrie pornographique, mais aussi contribué à sensibiliser l’opinion publique à ses violences, qu’il a mises au cœur du débat public.

De ce point de vue, nous pouvons considérer que notre rapport, pionnier à beaucoup d’égards, est une réussite en soi. Au-delà de l’écho médiatique et populaire qu’il a rencontré, nous attendons aujourd’hui des avancées concrètes, à la suite des vingt-trois recommandations que nous y avons formulées.

Je rappelle rapidement les quatre axes de ces recommandations.

Premièrement, faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique et pénale.

Deuxièmement, faciliter la suppression de contenus pornographiques illicites et l’exercice du droit à l’oubli.

Troisièmement, bloquer l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. À cet égard, nous nous félicitons des récentes annonces du Gouvernement concernant la mise en place, dès le mois de mars, d’un dispositif technique opérationnel de vérification d’âge reposant sur le principe du double anonymat, tel que celui que nous avions proposé dans notre rapport et que vient de rappeler notre collègue Alexandra Borchio Fontimp.

Quatrièmement, éduquer les jeunes à la sexualité et sensibiliser les parents, les équipes pédagogiques et les professionnels de santé aux dangers de l’exposition à la pornographie des enfants et des adolescents.

Globalement, nous pensons qu’il est nécessaire de mettre en œuvre un plan interministériel de lutte contre les violences pornographiques et des mesures fortes dans les quatre domaines que je viens de citer.

Pour mettre en œuvre un tel plan, il faudra bien sûr des moyens importants, adaptés et nouveaux, notamment un renforcement de l’arsenal pénal, des effectifs et des moyens matériels mis à disposition des services enquêteurs et des magistrats amenés à traiter des violences commises dans un contexte de pornographie.

Nous sommes également favorables à l’exploration de toutes les mesures fiscales permettant de taxer l’activité de l’industrie pornographique, marché extrêmement rentable qui engendre des milliards d’euros de profits chaque année.