Mme Laurence Cohen. Bref, nous revendiquons sans détour un pouvoir de nuisance contre cette industrie aussi puissante que néfaste. Unissons nos forces dans ce combat pour que cessent enfin les violences systémiques induites par les pratiques de cette industrie ! C’est l’une des conditions pour bâtir une société d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes toutes et tous concernés, et nous pouvons être fiers d’examiner aujourd’hui cette proposition de résolution au Sénat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour reprendre un constat évident figurant dans le rapport d’information de mes collègues Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, le milieu de la pornographie est aujourd’hui avant tout un business, et un business qui peut rapporter gros.

Comme pour d’autres secteurs qui se situent souvent au-delà de la légalité, comme la prostitution ou les trafics en tous genres, il est difficile d’obtenir des statistiques précises sur l’ampleur et les caractéristiques du phénomène. On sait toutefois que les volumes d’affaires se chiffrent en milliards d’euros.

Ce secteur est aujourd’hui concentré dans les mains de quelques plateformes de diffusion à l’échelle mondiale, souvent d’origine nord-américaine. Leurs sièges sociaux peuvent être établis dans des paradis fiscaux et leurs activités se caractérisent souvent par une certaine opacité financière.

La diffusion et la consommation de contenus pornographiques sont massives et représentent le quart de la bande passante d’internet. Les plateformes dites pour adultes font partie des sites les plus consultés, comparables aux grands moteurs de recherche, aux réseaux sociaux, aux grands médias, etc. La France occupe – hélas ! – la quatrième place mondiale dans la consommation de contenus pour adultes.

Les critiques sur l’évolution de l’industrie pornographique ne sont pas nouvelles, notamment sur ses effets sur les consommateurs, en particulier les plus jeunes, mais pas uniquement, qu’ils soient volontaires ou accidentels. Ces critiques ont pris plus récemment un tour dramatique avec la révélation d’abus particulièrement graves, en France même, sur de jeunes femmes lors de la réalisation de tournages dits amateurs.

La massification et la banalisation de la pornographie peuvent entraîner la recherche de contenus toujours plus inventifs et, par conséquent, des pratiques de plus en plus extrêmes, voire violentes, sans le consentement réel des personnes. Nous devons donc nous interroger davantage sur les conditions de production des contenus pour adultes et sur les règles qui devraient les encadrer, et imposer, par exemple, des médiateurs du consentement ou des dispositifs comparables.

M. Loïc Hervé. Bien sûr !

Mme Véronique Guillotin. Il ressort des travaux de la délégation aux droits des femmes que ces abus touchent particulièrement l’industrie dite amateur, réalité qui cache en fait l’absence totale de garanties pour les jeunes femmes – ce sont elles le plus souvent les victimes – et une organisation digne des labels les plus établis.

La pornographie dite professionnelle n’est pas pour autant exempte de critiques. On sait de longue date que les conditions de travail lors des tournages et les conditions sanitaires les plus élémentaires ne sont pas respectées.

Un point important ressort des auditions menées l’année dernière : les actrices, qui refusent d’être assimilées à des prostituées, demandent à être reconnues en tant qu’actrices. Elles veulent que leur profession puisse s’organiser de façon à mieux défendre leurs droits, au moyen par exemple de syndicats interprofessionnels ou d’agences, à l’instar des acteurs classiques. En tant que cosignataire de la proposition de résolution, qui fait l’objet d’un consensus transpartisan, je me permets d’attirer l’attention sur ce point.

J’en viens maintenant au deuxième axe de la problématique : l’effet de la pornographie sur le public. Qu’on le veuille ou non, la pornographie occupe aujourd’hui une place importante, sans pour autant qu’il faille la considérer comme un produit de consommation classique.

L’accès à la pornographie des mineurs est problématique dans la mesure où ces contenus leur sont interdits par la loi. Le contrôle de l’âge est une difficulté réelle. Un dispositif de certification de l’âge, qui devrait être mis en œuvre cette année, est en cours d’élaboration. Je rappellerai pour ma part la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet, adoptée voilà un an. Sait-on si elle a d’ores et déjà produit des effets ?

L’accès des adultes à la pornographie est quant à lui autorisé en France et, plus largement, dans les pays occidentaux, mais il est souvent interdit ou limité dans le reste du monde. Pour autant, les effets de la pornographie sur les adultes ne devraient pas être négligés, soit parce qu’ils y ont été confrontés pendant l’adolescence, soit parce qu’elle contribue encore à donner une vision déformée de la sexualité. Enfin, les adultes ont naturellement une responsabilité dans leur propre usage de la pornographie et dans les conseils qu’ils doivent apporter aux mineurs. J’évoque là la question de l’éducation.

En conclusion, convaincus de la nécessité d’agir plus efficacement pour lutter contre les dérives de cette industrie, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de nos collègues Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, que je salue, appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique, que nous sommes nombreux à avoir cosignée.

La pornographie est partout et accessible d’un seul clic, tel un produit de consommation courante.

Le marché est si peu régulé qu’il suffit de répondre à une question simplissime – Avez-vous plus de 18 ans ? – pour accéder à des contenus sensibles, que l’on soit mineur ou majeur.

Une réponse positive permet d’entrer dans l’univers sordide des vidéos pornos tournées avec des actrices parfois vulnérables, qui n’auraient jamais consenti à l’acte sexuel si elles avaient été informées des conditions de tournage et des pratiques que ce milieu, ignorant de la dignité humaine, leur impose.

Qu’importe le respect dû à la femme et à son intégrité physique. Devenue de la chair à canon pour des pornocrates sans scrupule, elle doit contribuer à leur fortune personnelle et à leur gloire !

Certains, fatalistes, banaliseront la pornographie en affirmant qu’elle n’est finalement qu’une version modernisée de la sexualité… Et c’est là que le bât blesse ! Car la pornographie, aussi répandue soit-elle, ne peut pas être assimilée à la sexualité, qui est une découverte partagée mettant en scène une intimité complice.

Plusieurs chercheurs auditionnés par notre délégation nous ont confirmé que ces vidéos ont une influence certaine sur les pratiques des adolescents, à travers les normes corporelles et les diktats qu’elles imposent. Pis, elles véhiculent la culture du viol dans un contexte où l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire est quasi inexistante.

Dans certains cas, la consommation de contenus pornographiques peut entraîner des traumatismes psychologiques et physiques graves, auxquels concourent également les réseaux sociaux numériques, comme Instagram et Snapchat, où l’image des corps dénudés est banalisée, et le revenge porn, une pratique courante.

De mon point de vue, la réponse à ce phénomène doit être double : il faut éduquer pour mieux protéger et réprimer pour mieux réguler. Protéger nos jeunes contre les contenus inappropriés par la prévention et l’éducation est en effet la première réponse à apporter, face au fléau de la pornographie en libre accès.

Le rôle des parents est décisif ; je pense en particulier à la mise en œuvre du contrôle parental pour les plus jeunes, qui possèdent souvent un smartphone dès l’âge de 10 ans. Celui de la communauté éducative et des associations est également très important, non seulement pour encadrer les bonnes pratiques informatiques, mais également pour délivrer à nos adolescents une information pertinente sur la sexualité et ses pratiques.

Si les enjeux de prévention sont majeurs, ils ne sont cependant pas traités aujourd’hui avec suffisamment de détermination et de moyens humains dans notre pays.

Une seconde réponse peut consister en la mise en œuvre d’une politique coercitive beaucoup plus forte à l’égard des éditeurs de contenus.

Agir sur le terrain juridique et renforcer les outils techniques sont certainement les meilleurs moyens de réguler l’accès à la pornographie.

À cet égard, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a constitué une étape importante en matière de lutte contre les contenus pornographiques. Je tiens ici à saluer l’engagement ferme et constant de notre collègue Marie Mercier sur le sujet essentiel de la protection de l’enfance.

C’est à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qu’incombe désormais la responsabilité de faire respecter l’interdiction de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Elle s’y est récemment employée en mettant en demeure plusieurs plateformes de rendre leurs contenus inaccessibles, puis en saisissant le président du tribunal judiciaire de Paris pour obtenir le blocage de l’accès aux sites et leur déréférencement.

Les éditeurs concernés se sont lancés depuis dans une bataille juridique acharnée, afin de protéger leur activité et leurs revenus. L’indécence n’a décidément pas de limite !

Il faudra sans aucun doute, comme le propose la délégation aux droits des femmes, renforcer les pouvoirs de l’Arcom, par exemple en assermentant ses agents, afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des éditeurs de contenus sensibles. Il devrait également être parfaitement envisageable de prononcer à leur encontre des sanctions administratives d’un montant dissuasif.

Dans ce contexte, je me réjouis de l’annonce récente par le Gouvernement du test prochain d’un dispositif technique reposant sur le principe du double anonymat, destiné à vérifier l’âge des internautes. Une telle solution, plus performante que celles qui sont actuellement proposées par les éditeurs de contenus, serait de nature à répondre aux recommandations de notre délégation.

Enfin, nous devons avoir conscience du rôle pivot de l’éducation nationale et de la nécessité d’aborder, dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie. De même serait-il judicieux de recruter plus de professionnels formés en matière d’éducation à la santé dans les établissements scolaires.

C’est à ces conditions que nous pourrons faire échec aux violences pornographiques et que nous permettrons à nos enfants et adolescents de vivre sereinement le passage progressif vers l’âge adulte.

Compte tenu de l’importance des enjeux et de la nécessité d’agir sans délai contre ces violences, je voterai la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel parent ne s’est pas jamais interrogé sur le type de contenus auquel son enfant a accès sur internet ?

Parmi les contenus suscitant des inquiétudes figurent évidemment ceux qui sont à caractère pornographique. Ils inquiètent, car la plupart des parents veulent protéger leurs enfants contre ce type de vidéos, tout en sachant que l’accès à ces contenus, volontaire ou non, est bien trop souvent d’une simplicité enfantine.

En revanche, les conditions de tournage de ces vidéos, pourtant parfois excessivement violentes, notamment envers les actrices, suscitent beaucoup moins d’interrogations. Quiconque a consulté le rapport d’information du Sénat, intitulé Porno : lenfer du décor, n’a pu être que bouleversé, voire perturbé, à la lecture des témoignages de certaines victimes. Certains font clairement état d’un système organisé d’abus de faiblesse, de viols et d’actes de torture et de barbarie.

Je tiens donc à saluer le travail des rapporteures, qui a permis de mettre en lumière les dessous très tabous d’un milieu qui l’est tout autant.

La pornographie constitue déjà en elle-même un genre du cinéma très particulier, dans lequel les actes les plus intimes ne sont ni simulés ni feints, mais reproduits. Et lorsque ces actes incluent des pratiques très violentes, voire déshumanisantes, non consenties, on ne peut plus du tout parler de cinéma.

Le sujet aujourd’hui, ce n’est pas d’être pour ou contre la pornographie ; c’est de condamner totalement et formellement toute forme de violence commise à l’encontre des acteurs et des actrices de cette industrie.

Ces dernières années, le secteur amateur s’est considérablement développé, notamment en raison de l’importance grandissante des réseaux sociaux, des messageries privées et des plateformes gratuites entièrement dédiées à ce type de contenus. Pratiques sexuelles imposées, rapports forcés, nombre de partenaires excessif : les tournages se font parfois dans des conditions inhumaines.

Si certains producteurs tentent de mettre en place des pratiques différentes, respectueuses des actrices et des acteurs, de leur dignité, de leur consentement et de leurs conditions de travail, cela reste malheureusement encore très minoritaire.

Nous souhaitons également affirmer notre volonté de renforcer la protection des mineurs face à ce type de contenus. Car si le code pénal interdit leur accès aux mineurs, il serait illusoire de prétendre que tel est le cas en pratique. Une simple déclaration de majorité suffit pour accéder aux sites pour adultes : 62 % des adolescents ont déjà vu des images pornographiques avant 15 ans et 31 % avant 12 ans. Plus inquiétant encore, un enfant de primaire sur deux y a déjà été exposé.

Au-delà d’une simple déclaration, un contrôle effectif de l’âge devrait être assuré avant l’accès à tout contenu pornographique. C’est là un point crucial : comment s’assurer de l’âge de l’internaute tout en respectant la confidentialité des données à caractère personnel ?

La piste principale proposée par le pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) non seulement pour les sites pornographiques, mais aussi plus largement pour tout site soumis à une obligation de vérification de l’âge, vise à ce que ceux-ci ne réalisent pas eux-mêmes les opérations de vérification. Ils devront s’appuyer sur des tiers de confiance, comme les banques ou les fournisseurs d’énergie, dont la validité aura été vérifiée de manière indépendante.

Cependant, aucun système ne sera parfait et aucun ne sera indétournable. Il s’agit de trouver la moins mauvaise des solutions pour protéger les mineurs. Cette solution devra nécessairement s’inscrire dans le cadre d’un débat démocratique.

Enfin, et parce que l’actualité nous y renvoie, il faut renforcer les moyens permettant de lutter contre la pédopornographie. Comment est-il possible que de tels contenus soient encore disponibles aujourd’hui ?

En 2021, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) a permis d’empêcher plus de 3 millions de consultations, dont 90 % concernaient du contenu à caractère pornographique. Mais combien de contenus de ce type sont encore librement accessibles ?

Nous appelons à un renforcement de l’arsenal pénal, des effectifs et des moyens permettant de lutter contre toute forme de violence pornographique et de diffusion de contenus illicites. Nous espérons que cette proposition de résolution donnera lieu à des mesures concrètes.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quoi bon éduquer les enfants à la notion de consentement si des contenus pornographiques mettant en scène des adultes qui en sont privés leur servent de « lieu d’apprentissage de la sexualité par défaut », selon les termes de cette proposition de résolution ?

Contrairement aux fantasmes véhiculés par ces contenus, les faits judiciaires à l’origine de cette initiative sont bien réels. Dès 2020, plusieurs plaintes pour viols, viols aggravés, traite d’êtres humains et actes de torture, liées à des faits commis sur des plateaux de tournage et hors de ces plateaux, ont été déposées. Elles sont toujours en cours d’instruction.

Le Sénat s’est saisi de la question, ce qui a donné lieu à la publication d’un rapport d’information en septembre dernier, et je tiens à saluer l’initiative de mes quatre collègues.

Au moment de la publication du rapport, des représentants du secteur et des travailleurs du sexe avaient déjà mis en avant la possibilité d’une régulation alternative et la nécessité de distinguer la pornographie de la violence.

Bien que de jeunes productions offrent des contenus destinés à un public plus large et désormais féminin moins marqués par les rapports de domination, la marginalisation du secteur ne permet pas de garantir une protection satisfaisante pour les personnes engagées par ces productions. Il est donc urgent de s’assurer que le droit existant soit correctement appliqué au regard surtout de l’influence de ces contenus sur les mineurs.

Il est vrai que les images véhiculant les rapports de domination ne relèvent pas des seuls contenus pornographiques, mais ce secteur doit, comme les autres prendre, sa part de responsabilité, alors que deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à de tels contenus.

On observe en outre un net retour des perceptions sexistes parmi les jeunes générations. Selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 23 % des jeunes âgés de 25 ans à 35 ans estiment qu’il faut parfois être violent pour être respecté en tant qu’homme et l’image des femmes véhiculée par la pornographie est jugée problématique par seulement la moitié d’entre eux.

Par ailleurs, les travaux de la délégation au droit des femmes ont permis de constater les faibles moyens d’action de l’Arcom.

Lors de son audition par la commission de la culture, au mois de septembre dernier, j’avais interrogé le président de cette autorité de régulation sur les capacités de cette dernière à mettre en place un écran noir en l’absence de vérification de majorité de ses utilisateurs par le site et sur la possibilité de disposer d’agents assermentés pour constater les infractions. La question est restée sans réponse : le président de l’Arcom a mis en avant des campagnes de communication et le recours à la signalétique. Celles-ci me paraissent totalement insuffisantes.

C’est pourquoi, avec d’autres collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, j’ai signé cette proposition de résolution.

Il s’agit également de poursuivre la réflexion législative qui s’est ouverte depuis plusieurs années sur l’existence de violences sexuelles et sexistes structurelles dans notre société et sur les moyens à mettre en place pour empêcher leur répétition générationnelle.

Sans verser dans le prohibitisme, trois pistes devraient être examinées en priorité.

Premièrement, il importe de s’assurer que les contenus soient produits dans des conditions légales, respectueuses du droit du travail, de ceux des personnes et de la dignité humaine, et que les manquements donnent lieu à des sanctions adaptées, ainsi qu’à un accompagnement des victimes. Une réflexion pourrait s’ouvrir également sur le soutien aux productions plus respectueuses des droits des personnes, dans l’esprit des travaux législatifs conduits sur la prostitution.

Deuxièmement, il importe de garantir que les contenus pour adultes soient réservés aux adultes. Autrefois, le filtre était assuré par un contrôle physique des distributeurs de films, à l’entrée des salles de cinéma et dans les vidéoclubs. L’époque a changé. La digitalisation nécessite d’adapter les outils de régulation, dans le respect de la protection des données personnelles. J’espère que le Gouvernement parviendra rapidement à un dispositif efficace, en s’inspirant par exemple du modèle de la Louisiane.

Troisièmement, il faut impérativement renforcer l’éducation à la sexualité, qui nécessite d’importants moyens humains et matériels : c’est là le rôle de l’éducation nationale.

Il me semble important de rappeler que la consommation de pornographie n’est qu’un aspect de la liberté sexuelle, n’est qu’un des moyens de vivre ses fantasmes et qu’il existe des sexualités heureuses sans y avoir recours. Dans Totem et Tabou, Freud écrit : « Le besoin sexuel, loin d’unir les hommes, les divise. » J’espère que nous parviendrons à dépasser ces divisions pour aboutir à une régulation de la pornographie respectueuse de toutes les sexualités et de toutes les dignités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.

Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France est marquant : 48 % des hommes entre 15 ans et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique. Ce chiffre monte à 79 % des hommes âgés de 65 ans et plus, soit trente points d’écart.

Ce constat est alarmant, surtout quand on le regarde à l’aune d’un autre chiffre : 90 % des scènes pornographiques comportent de la violence.

Comment se fait-il que des images de violence choquent moins les jeunes ? Comment agir contre le sexisme en France dans toutes les sphères où ce dernier existe ? Comment protéger mieux les femmes aujourd’hui ?

Dans ce contexte, la délégation aux droits des femmes a rendu un rapport d’information sur les pratiques de l’industrie pornographique. C’est la première fois qu’un tel travail est réalisé, et nous ne pouvons que nous féliciter de son existence. Car pour endiguer un phénomène de violence, pour protéger les femmes qui en sont victimes et pour encadrer une industrie qui représente 25 % du trafic web des vidéos dans le monde, il faut comprendre quels en sont les acteurs, les enjeux, les limites et les risques.

Ce travail parlementaire nous permet d’avoir une vision plus claire des mesures à prendre pour avancer vers une meilleure protection des femmes et des mineurs face aux violences pornographiques existantes. C’est tout l’objet de la proposition de résolution qui nous est soumise et que j’ai souhaité cosigner avec plusieurs de mes collègues.

Dans une ère où les vidéos se diffusent en quelques secondes aux quatre coins du monde, où les régulations d’accès sont rendues difficiles par des contenus disponibles en quelques clics, des mesures protectrices sont souhaitées par nombre d’entre nous.

C’est ainsi que, l’année dernière, la loi issue d’une proposition de notre collègue député Bruno Studer visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet a été promulguée. Elle rend obligatoire la préinstallation d’un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés vendus en France. L’activation de ce dispositif devra être proposée gratuitement à l’utilisateur lors de la première mise en service de l’équipement.

Le Gouvernement s’est également engagé sur le sujet avec pour objectif, notamment, de mieux protéger les mineurs face à ces contenus. C’est ainsi qu’une campagne gouvernementale pour promouvoir le site jeprotegemonenfant.gouv.fr et les dispositifs de contrôle parental a été lancée voilà quelques semaines. Cette plateforme d’information, de prévention et de protection des mineurs contre l’exposition aux contenus pornographiques en ligne propose des outils, des conseils et des ressources pratiques pour mieux informer les parents, afin qu’ils protègent leurs enfants.

De plus, le rapport commandé par le Gouvernement concernant l’éducation à la sexualité a été publié en 2021 et permet d’avoir un état des lieux de la mise en œuvre de cette politique publique. Il préconise notamment d’inscrire des notions d’éducation à la sexualité dans les programmes de certaines disciplines appartenant au domaine des sciences humaines, économiques et sociales et liées au sujet.

Enfin, un travail commun est actuellement mené par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel sur la vérification de l’âge par le biais de l’attestation numérique. Ainsi le lancement au mois de mars prochain d’une expérimentation visant à trouver une solution de vérification de l’âge des internautes en double anonymat a-t-il été annoncé. Cette annonce intervient à la suite d’un avis de la Cnil sur le sujet. Il s’agira donc de s’assurer de la mise en œuvre d’un outil protecteur non seulement pour les mineurs, mais également pour la vie privée et les données personnelles de chacun.

Tout travail sur ces enjeux centraux implique d’aboutir à un équilibre. Il me semble que tel est l’objet de cette proposition de résolution : protéger avec justesse.

Le texte prévoit tout d’abord d’inciter à une prise de conscience collective de la réalité des pratiques de l’industrie pornographique et de leurs conséquences. C’est un objectif essentiel.

Il vise également à faire de la lutte contre les violences que cette industrie génère et véhicule une priorité de politique publique et pénale ; à mieux informer, accueillir et protéger les victimes de violences commises dans un contexte de pornographie, en particulier en formant les forces de l’ordre et les intervenants du numéro national 3919 ; à recommander la création d’une catégorie « violences sexuelles » sur la plateforme Pharos, afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements ; à protéger la jeunesse en bloquant tout site ou réseau proposant des contenus pornographiques sans exiger une preuve de majorité des utilisateurs ; à plaider pour une généralisation des dispositifs de contrôle parental et de navigation sécurisée, qui pourraient être activés par défaut dès lors qu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur ; enfin, à alerter sur la nécessité d’appliquer la recommandation de trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle, au cours desquelles devront être abordés les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.

Cette proposition de résolution vise ainsi à aller au-delà d’un mot connu de tous : la « pornographie ». Ce dernier est trop souvent utilisé par des mineurs qui ont accès à ces contenus avant même parfois de savoir ce que recouvrent les notions de consentement et de sexualité, et de connaître les problématiques liées à ces sujets.

Le texte, en s’attachant à trouver une réponse exhaustive tant sur l’information que sur le contrôle, la formation et la protection des plus fragiles, nous apparaît d’importance.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes UC, RDSE et SER.)