M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Mme Monique de Marco applaudit.)
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont historiques : les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % sur un an et, sur les six derniers mois, les structures alimentaires partenaires du réseau des banques alimentaires ont accueilli un tiers de personnes en plus.
La hausse des prix creuse dramatiquement l’écart entre les Français, qui, selon leurs revenus, mais aussi leurs lieux et conditions de vie, subissent plus ou moins fortement les conséquences de la crise. Celle-ci marginalise et précarise à vitesse accrue une grande partie de nos concitoyens.
À titre d’exemple, selon les récentes études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et de France Stratégie, le choc varie fortement en fonction du profil des ménages, les personnes âgées, pauvres et éloignées des centres-villes étant plus touchées. Si l’inflation moyenne sur l’année 2022 se situait à 5,2 %, elle était de 8,5 % pour les ménages les plus exposés et de 3,4 % pour les moins touchés, soit un écart de cinq points en défaveur des plus précaires.
Cela, je le constate chaque jour en Corse, sur mon territoire, majoritairement rural, dont 18 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 15 % au niveau national. Chaque jour, je constate les ravages de la crise, qui accentue la précarité et creuse les inégalités, car, à ses conséquences s’ajoutent, pour notre territoire, les surcoûts induits par l’importation de nombreux produits et matières premières.
Force est de constater que les mesures apportées par le Gouvernement sont, à ce stade, insuffisantes et trop ponctuelles face à une crise qui s’enracine, à une précarisation structurelle, qu’il a, hélas, contribué à aggraver en actant de nombreuses régressions sociales : réforme de l’assurance chômage, baisse des APL… Quant aux mesures temporaires, comme la revalorisation anticipée des minima sociaux en deçà de l’inflation, elles n’apportent aucune solution durable.
Pis, le Gouvernement agite et se vante de mesurettes à l’effet d’un moulinet par temps de canicule : je pense à la création d’un panier anti-inflation sur une cinquantaine de produits, basé sur le volontariat. Nous ne pouvons qu’en remercier le Gouvernement, dont l’action ambitieuse est à la hauteur des enjeux…
Cependant, en 2021, une étude de l’Insee sur l’aide alimentaire montrait que 64 % des personnes interrogées exprimaient de la honte à se rendre aux points de distribution de l’aide alimentaire. La création d’une prime alimentation aurait limité tout effet de stigmatisation et laisserait les personnes actrices de leur alimentation.
Au cours des derniers mois, notre groupe avait présenté plusieurs propositions afin d’aider les Français face à l’envolée des prix.
Nous avions proposé, dès juillet dernier, de protéger les plus précaires en établissant des mesures visant à limiter à 1 % la hausse des loyers pour les locataires. L’Espagne a suivi cette voie, en limitant la hausse à 2 %. Nous avons défendu l’augmentation des salaires, notamment du salaire minimum, porté à 1 500 euros net. Aujourd’hui, nous défendons une augmentation substantielle des minima sociaux au-delà du seuil de pauvreté, comme l’instauration d’un revenu minimum garanti. Aucune de ces propositions, pourtant efficaces immédiatement et sur le long terme, n’a trouvé écho du côté du Gouvernement. Nous ne pouvons que le regretter.
Enfin, j’ajoute que, si l’inflation actuelle a des origines conjoncturelles, notamment du fait de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur l’acheminement de produits agricoles et énergétiques, nous serions tous coupables si nous omettions un facteur structurel : celui de la raréfaction des ressources.
En effet, nombreuses sont les études scientifiques qui ont directement lié la baisse des rendements agricoles ou encore de la production industrielle à la hausse des températures. Le réchauffement climatique impacte donc de manière durable les coûts et les volumes de production, entraînant une hausse inexorable des prix.
La Banque centrale européenne a déjà alerté à plusieurs reprises sur le sujet. La dégradation de l’environnement, associée à la raréfaction des ressources, nous expose à une inflation de fond, qui touchera plus durement les Français les plus modestes. C’est pourquoi nous ne cesserons de le rappeler : il est aujourd’hui urgent de donner à la France les moyens de réussir sa transition écologique et de mettre en place une économie au service de la construction de la sobriété.
Aujourd’hui, nous sommes au regret, madame la ministre, de constater que le Gouvernement n’apporte aucune solution durable à cette crise sans précédent qui s’annonce. (Mme Monique de Marco et M. Éric Bocquet applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Parigi, chacun qualifie comme il le veut les mesures mises en place par le Gouvernement, mais je ne peux pas ne pas réagir lorsque vous parlez de « mesurettes » à propos de ce que nous faisons depuis maintenant deux ans et demi.
D’abord, vous aurez remarqué que je n’ai pas commencé par rappeler les chiffres de l’inflation. Or, quelle que soit la façon dont on peint le tableau, la France s’en sort mieux que l’ensemble de ses voisins européens. Ce n’est pas le fruit du hasard, auquel je ne crois pas. C’est le fruit d’une politique économique, d’un combat pour l’emploi, d’un travail de fond pour faire baisser les prélèvements obligatoires et les impôts que paient les Français et pour augmenter leur pouvoir d’achat.
Je le répéterai aussi souvent que nécessaire : nous avons prévu 110 milliards d’euros de soutien à la demande par le truchement du bouclier tarifaire pour nos compatriotes. Si c’est une « mesurette », que l’on m’explique comment on construit un budget ! À titre de comparaison, l’ensemble des Français paient 86 milliards d’euros d’impôt sur le revenu. Autrement dit, nous avons mis plus pour accompagner les Français durant cette période que ce que nous récoltons en matière d’impôt sur le revenu ! Nous avons augmenté les minima sociaux.
Vous considérez, monsieur Parigi, que ce que nous avons fait est, en un mot, assez « nul ». Chacun pense ce qu’il veut, mais j’ai à cœur de vous faire part de ce que cela donne, pour un certain nombre de nos compatriotes, des aides allant de 377 à 416 euros selon le nombre et l’âge des enfants par famille pour l’allocation de rentrée scolaire. Cela donne aussi, grâce à l’augmentation du point d’indice, un accompagnement de 687 euros net annuels pour une secrétaire de mairie ayant quinze ans d’ancienneté, mais aussi un gain de 543 euros net annuels pour un agent d’accueil en début de carrière, par exemple.
Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour que l’on dise que ce sont des « mesurettes ». Cependant, vous pouvez dire que vous auriez fait autrement : c’est le charme des échanges que nous pouvons avoir au sein de la chambre haute !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de trente ans, la hausse durable des prix, leur hausse généralisée, à la fois sur les biens et les services, a été contenue en France.
La rupture intervenue à l’été 2021 fut soudaine, avec des conséquences négatives sur le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, sur le fonctionnement de nos services publics, de nos entreprises et de nos collectivités. Cette rupture fut violente, en particulier pour les plus modestes. De fait, le renchérissement du coût de la vie touche avant tout les produits alimentaires et l’énergie. Il touche aux fondamentaux de notre vie quotidienne. C’est, par conséquent, pour les responsables publics que nous sommes, une préoccupation majeure, d’où l’organisation de débats réguliers, dont celui de cet après-midi.
Les causes sont multiples et de natures différentes. Certaines sont d’ordre conjoncturel, quand d’autres sont plus structurelles. Elles produisent, en somme, un effet cocktail.
Cette inflation est la conséquence de la sortie de la crise pandémique, avec une demande qui a nettement pu augmenter, plus fortement que l’offre, restée fragile sur certains produits. Elle est la résultante de l’agression militaire russe en Ukraine, qui a occasionné une baisse des exportations et une montée des prix des matières premières. Elle est aussi alimentée par la baisse de l’euro, qui a renchéri le prix des importations. Les prix de l’énergie ont aussi été mis sous pression.
Au reste, l’explication ne réside pas que dans le contexte international. Elle réside aussi dans un fait durable : l’épuisement des sources d’énergies fossiles, couplé avec l’impérative transition écologique, qu’il nous faut nécessairement mener de front.
La rupture fut et demeure cependant moins appuyée en France qu’ailleurs.
Avec un taux à 6,2 % sur un an, selon la dernière note de l’Insee, publiée hier, la France reste en dessous de la moyenne de la zone euro, et le pic inflationniste devrait être atteint cette année. Les explications sont à trouver dans les politiques mises en œuvre depuis maintenant plus d’un an. Contre l’inflation, l’État a agi, agit et agira encore. Nous soutenons toutes vos actions, madame la ministre.
En effet, afin de soutenir le pouvoir d’achat, de nombreuses mesures ont été adoptées, avec la revalorisation des minima sociaux, des prestations sociales et familiales, de même que des pensions de retraite de base.
Globalement, les dispositifs de soutien ont porté sur l’encadrement des prix de l’énergie : 12 millions de ménages – les plus modestes – ont été destinataires d’un chèque de 100 euros ou de 200 euros en décembre dernier. Un chèque exceptionnel a été attribué à ceux qui se chauffent au fioul ou principalement au bois.
L’action sur le travail a également été résolue : revalorisation du point d’indice des agents publics, « prime Macron » devenue « prime de partage de la valeur ». Ce dispositif pérenne, que les entreprises peuvent mettre en place chaque année, a bénéficié à 5,5 millions de salariés en 2022, en augmentation de 50 % par rapport à 2021, et avant tout au sein des petites entreprises. La prime s’est élevée, en moyenne, à 739 euros, pour un total de 4,4 milliards d’euros. Elle a contribué à préserver le pouvoir d’achat des ménages en 2022, en dépit de la hausse des prix, ainsi que l’Insee le rappelle également.
J’en profite pour saluer l’accord intersyndical validé par la CFE-CGC, la CFDT, FO et la CFTC. Son objectif est de généraliser largement des dispositifs tels que l’intéressement, la participation et la prime de partage de la valeur à toutes les entreprises de plus de 11 employés. Nous avançons sur ce point essentiel.
Je forme le vœu que nous continuions à avancer lors de l’examen du futur texte relatif au plein emploi. Je pense, enfin, aux projets de loi relatifs à l’énergie adoptés ou en cours de discussion au Parlement.
Je citais les derniers chiffres de l’Insee. Quel est le constat, dans le détail ? La baisse des coûts de l’énergie est de 14 % sur un an, contre 16,3 % en janvier, mais la hausse persiste sur les prix de l’alimentation et des services. Alors que les négociations annuelles entre distributeurs et industrie agroalimentaire s’achèvent, les prix dans les rayons des supermarchés pourraient encore grimper.
Il est, par conséquent, nécessaire, madame la ministre, que ce domaine fasse l’objet d’une vigilance particulière afin de maîtriser ce que j’appellerai « l’inflation de l’assiette ». En visite au salon de l’agriculture, samedi, le Président de la République s’est exprimé à destination des pêcheurs, en donnant de la visibilité sur les aides, mais aussi sur la hausse des prix dans les supermarchés, en appelant les distributeurs à « faire un effort sur leurs marges ».
Il y a la détermination de nouvelles mesures, adaptées, ciblées, et puis il y a l’optimisation du recours aux dispositifs existants.
Par exemple, pour aider les Français modestes à faire face à la flambée des prix du carburant, le Gouvernement a mis en place une indemnité de 100 euros. Parce que plusieurs millions de conducteurs éligibles ne s’étaient pas encore manifestés, vous avez annoncé la prolongation du délai de demande jusqu’à la fin du mois de mars. Nous devons diffuser l’information sur les aides dans nos territoires respectifs.
Je veux conclure en soulignant la situation en outre-mer. Le ministre Jean-François Carenco a présenté, en décembre, un plan pour préserver le pouvoir d’achat des Ultramarins. Fruit d’intenses négociations, ce plan traitait essentiellement de l’élargissement des boucliers qualité-prix adaptés à chaque territoire. Où en est-on de cet « Oudinot du pouvoir d’achat », à la carte, alors que, au-delà de cette période inflationniste, la vie chère est un problème structurel en outre-mer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Nadège Havet, je suggère, si vous m’y autorisez, de répondre par écrit à votre question sur l’Oudinot contre l’inflation outre-mer, après la présente séance, ce qui me permettra d’être parfaitement complète – le sujet est trop important pour que je l’élude.
Vous m’avez également interrogée sur la prise de parole du Président de la République au salon international de l’agriculture samedi matin et sur les actions que nous appelons de nos vœux pour continuer à juguler ensemble la poussée inflationniste, qui, même si elle est moins forte en France qu’ailleurs, reste assez soutenue en matière alimentaire, et, comme l’ont dit nombre d’entre vous, frappe en réalité très diversement nos concitoyens – elle touche d’abord les plus fragiles.
C’est un sujet sur lequel nous continuons à travailler. L’idée est assez simple. Nos compatriotes apportent leur contribution en payant cette hausse des prix. L’État a pris sa part : je ne reviens pas sur le bouclier tarifaire ni sur l’ensemble des aides, mais je rappelle qu’il y va de 46 milliards d’euros en 2023, soit, pour vous donner une idée, plus que le budget du ministère de la défense. Si nous parvenons à un prix à 280 euros le mégawattheure pour les TPE et à faire avancer le sujet avec les PME, c’est parce que les énergéticiens ont fait un effort. Total a aussi contribué. Le Président de la République a effectivement demandé aux distributeurs, avec Bruno Le Maire, de consentir un effort, en prenant sur leurs marges.
Nous attendons des propositions dans les prochains jours. L’objectif est d’aboutir à une solution collective, juste, où les distributeurs prendraient sur leurs marges, et non sur celle des producteurs ou de l’amont de la chaîne et, surtout, à une solution rapide qui soit efficiente et surtout opérationnelle pour les Français dans les supermarchés dès l’arrivée du printemps, qui, vous le savez, commence à la fin du mois de mars…
Nous sommes en train d’échanger et nous continuerons à le faire dans les prochains jours pour trouver une solution qui accompagne nos compatriotes durant les prochains mois.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Bruno Le Maire a dit, la semaine dernière, qu’il ne croyait pas aux prévisions des économistes, qui estiment qu’il faut s’attendre à un « mois de mars rouge » et à une inflation qui dépasserait les 10 % sur les produits alimentaires. Il a dit : « Ce n’est pas la réalité. »
J’aimerais vous rappeler ce qu’est de plus en plus la réalité quotidienne de nos concitoyens depuis près d’un an.
Les prix à la consommation ont augmenté de 6 %. À cause de l’inflation, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté de 10 % en 2022. Les retraités et les étudiants sont touchés, mais aussi les personnes qui ont un emploi.
Les prix de l’énergie ont augmenté de 16 %, malgré le bouclier tarifaire et la « remise à la pompe ».
Dans les outre-mer, l’inflation et la forte dépendance de ces territoires aux importations, via l’aviation et le fret maritime, se répercutent particulièrement sur le prix des produits alimentaires. Dans ces mêmes territoires, les mêmes mécanismes entraînent les mêmes conséquences sur les populations les plus précaires. Ils renforcent le sentiment prégnant d’une « vie encore plus chère », en raison d’un coût de la vie déjà supérieur à celui de la métropole. C’est aussi cela la réalité !
Cette hausse globale des dépenses contraintes a un impact direct sur la capacité des plus modestes à se loger. Le nombre de ménages en retard de paiement de loyer de plus de trois mois a augmenté de plus de 10 % en deux ans.
La précarité dans le logement, c’est aussi la précarité énergétique : 5,6 millions de Français sont dans cette situation, et le chiffre ne baisse pas. Avec la loi Climat et résilience, le Gouvernement s’est fixé pour objectif d’éradiquer les logements énergivores d’ici à 2028.
Or, avec 37 % des passoires thermiques occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec un reste à charge extrêmement important pour les familles modestes, avec une réelle difficulté d’accès aux droits et aux aides auxquelles elles peuvent prétendre, faute d’un accompagnement adéquat, comment réussir à atteindre un tel objectif ?
Nous formulons inlassablement des propositions dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances successifs ou en déposant des textes législatifs, madame la ministre. Ainsi, mon collègue Rémi Cardon et moi-même avons récemment déposé une proposition de loi visant à recentrer l’effort budgétaire du pays sur l’éradication des passoires thermiques, à mettre en place un reste à charge zéro pour les personnes les plus précaires et à assurer un égal accès aux dispositifs d’accompagnement sur tous les territoires, y compris dans les zones peu denses.
Si les mesures que vous avez prises contiennent l’inflation et limitent les hausses des prix de l’énergie, elles ne sont ni pérennes ni structurelles et ne ciblent pas les classes moyennes et populaires, qui sont les plus en difficulté. Elles n’apportent pas une réponse sur le long terme.
Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y aura pas de mars rouge : les Français sont déjà dans le rouge ! Pour lutter contre les conséquences de l’inflation, il faut de la cohérence et une véritable justice sociale.
Le forfait charges des APL doit être réévalué. De même, le chèque énergie doit atteindre sa cible : les personnes chauffées en collectif, les locataires du parc social, les copropriétaires et les personnes hébergées en foyers ou résidences sociales ne peuvent pas y recourir pour payer leurs factures. Toutes ces personnes ne peuvent pas utiliser le chèque énergie alors qu’elles y sont éligibles. Comment expliquez-vous cette inégalité ?
On demande aux 5,6 millions de ménages en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire les plus exposés aux aléas climatiques et à la hausse du prix de l’énergie, d’agir pour la sobriété énergétique dans le cadre de la transition écologique. Comment leur reprocher d’éprouver un fort sentiment d’injustice ? Alors qu’ils sont les moins favorisés, ils sont les premiers à payer la facture. Et il en faut peu, madame la ministre, pour que ce sentiment ne se transforme en colère ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le mois de décembre 2020, les prix de l’énergie ont massivement augmenté : +41 % pour le gaz entre décembre 2020 et octobre 2021, +21 % pour le carburant, +4 % pour l’électricité.
La tendance s’est confirmée en 2022, l’envolée des prix de l’énergie nous ayant entraînés dans une spirale inflationniste, jusqu’à atteindre des niveaux jamais vus depuis les années 1980.
Au mois de janvier 2023, les prix de l’énergie ont ainsi crû de 16,3 % en glissement annuel, tandis que ceux de l’alimentation ont connu une hausse de 13,3 %. Concrètement, pour les ménages, cela se traduit par +20 % pour les pâtes, +29 % pour le steak haché, +34 % pour les légumes frais et – chacun s’en souvient – jusqu’à +120 % pour l’huile de tournesol ! Le passage en caisse devient une épreuve…
Pour beaucoup, il faut choisir : manger, se chauffer ou se déplacer. En effet, plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq, et 7 millions se trouvent dans une situation de précarité alimentaire et doivent recourir à l’aide alimentaire. La fréquentation des Restos du cœur a ainsi augmenté de 12 % en six mois, nous conduisant à une situation inédite.
Le 6 octobre 2021, six mois avant le début du conflit russo-ukrainien, le journal Les Échos s’inquiétait sur ces « traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ». Et pour cause : en un mois, l’activité sur les options, c’est-à-dire les produits dérivés spéculatifs sur la matière première, avait bondi de 158 %.
Dans la même veine, si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les chaînes de distribution, certaines entreprises, profitant de leur position dominante sur les marchés, ont spéculé sur les prix des denrées alimentaires ou ont augmenté leurs marges.
Mais tout cela n’est pas nouveau. Cela fait près de trois ans que nous vous alertons et que les associations vous alertent sur la paupérisation croissante d’une part toujours plus importante de la population.
Même son de cloche du côté des PME : pour les entreprises du secteur agroalimentaire, les coûts ont augmenté, par rapport à 2021, de 29 % pour les matières premières agricoles, de 26 % pour les emballages carton et plastique et de 57 % pour l’énergie.
Et ce n’est pas fini : en 2023, la facture d’électricité et de gaz va être multipliée par trois par rapport à 2022 et par cinq par rapport à 2021, voire davantage.
En ce sens, ce débat d’actualité n’en est pas vraiment un. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un bilan des mesures prises par le Gouvernement pour tenter d’enrayer l’inflation, la spéculation et la perte de pouvoir d’achat.
Où est le chèque alimentaire promis dès 2020 par le Président de la République ? Comment expliquer que 50 % des personnes ayant droit à l’indemnité carburant d’un montant de 100 euros ne la demandent pas ? Idem pour le chèque énergie.
Par ailleurs, le bouclier tarifaire exclut de nombreuses entreprises qui, en raison des équipements nécessaires à leur activité, possèdent un compteur électrique dont la puissance excède 36 kilowattheures. L’amortisseur énergie se révèle également insuffisant au regard de l’explosion cumulée des prix des matières premières et des produits énergétiques. En outre, la complexité des différents dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s’en saisir massivement.
Alors oui, comme le soulignent de nombreux observateurs, le prix des biens de première nécessité a moins augmenté en France que dans d’autres pays, mais il a tout de même augmenté dans des proportions sensibles.
Alors que de nombreux États ont mis en place des mesures de revalorisation des salaires, vous avez préféré des mesures ponctuelles, sans portée générale. Vous continuez de ménager le capital au détriment du travail. Pourtant, la relégation de la question des salaires en marge du débat politique explique, pour l’essentiel, la baisse de la qualité de vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.
Ainsi, la France est, selon l’OCDE, le pays qui a subi la plus forte baisse des revenus réels au deuxième trimestre 2022, là où la majorité des autres pays ont progressé. Et, paradoxalement, alors que les dividendes battent chaque jour des records, notre pays connaît une hausse de la pauvreté « inédite depuis de très nombreuses années », selon les mots d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies.
Manger à sa faim, se chauffer, se soigner, cela devrait constituer un droit fondamental et une priorité politique. C’est la pauvreté qu’il vous faudrait combattre, par un véritable blocage des prix alimentaires, par une augmentation des salaires et des minima sociaux, par un tarif réglementé du gaz et de l’électricité pour tous et par la sortie du marché européen de l’énergie : autant de mesures que nous portons dans cet hémicycle de manière constante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Bocquet, sans avoir l’espoir de parvenir à vous convaincre, je tiens tout de même à partager deux ou trois points.
Tout d’abord, nous ne serons effectivement pas d’accord sur une chose : quand le taux de chômage est de 7,2 % après six ans d’action résolue, quand le taux de chômage de nos jeunes est au plus bas depuis qu’on le mesure, quand la réindustrialisation de la France est en cours – cela prend du temps, car nous partons effectivement de loin –, quand 1 725 décisions d’investissement porteuses d’emplois industriels sont recensées dans notre pays, alors même que ces emplois quittaient le pays depuis quinze ans ou vingt ans, oui, la meilleure façon d’augmenter le pouvoir d’achat, c’est le travail.
Je sais que nous ne serons sûrement pas d’accord, mais c’est par le travail que nous nous en sortirons, pour des raisons non seulement pécuniaires, mais aussi d’épanouissement personnel.
C’est donc vers le travail que convergent nos efforts, notamment notre politique fiscale, dont l’allégement des prélèvements sociaux. Nous n’avons pas oublié, et j’imagine que vous non plus, la baisse des cotisations sur les feuilles de paie qui a augmenté les salaires nets en 2018. Cela fait six ans que nous nous battons pour que le travail paye mieux.
Est-ce à dire que nous ne faisons rien ? J’ai été chargée de l’économie sociale et solidaire, et j’ai trop de respect pour les acteurs associatifs pour le laisser dire. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022 affecte quasiment 60 millions d’euros aux associations. Hier encore, le ministre Jean-Christophe Combe a annoncé que 60 millions d’euros seraient dédiés en 2023 à l’aide alimentaire de qualité.
Et je passe sur les vingt-sept appels à projets du plan de relance dont j’ai eu l’honneur de parler aux banques alimentaires pour que l’État, tout au long des années 2020 et 2021, continue de les soutenir financièrement.
Oui, nous nous battons pour que les gens travaillent et que le travail paye mieux ! Oui, nous accompagnons dans le même temps ceux qui, n’ayant pas de travail, ont besoin de la solidarité nationale ! J’avais à cœur de le rappeler.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un débat sera tombé aussi à point.
Si nous devions nous interroger sur l’intérêt des débats d’actualité, celui d’aujourd’hui nous apporterait sans doute une réponse positive. À quelques heures de la fin des négociations commerciales, la grande distribution, les agriculteurs, les industriels et le Gouvernement se renvoient la balle sur une hausse à venir de 10 % des prix alimentaires.
Des chiffres filtrent : les boîtes de Nesquik augmenteraient de 25 %, tandis que Coca-Cola envisagerait une hausse de 17 %.
Si l’inflation ralentit et si nous avons jusque-là évité la boucle prix-salaires, la hausse des prix alimentaires est, elle, plus alarmante. Même si nous essayons de faire la part des choses, nous ne pouvons qu’être inquiets.
Bien sûr, 6,2 % d’inflation en France, c’est mieux que 8,5 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Bien sûr, le Gouvernement a su mettre en place un certain nombre de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, comme la remise carburant, l’indemnité inflation, le chèque énergie, le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ou encore les aides ciblées aux ménages et aux entreprises.
Toutefois, les chiffres de l’inflation alimentaire de février, sur un an, ont été connus hier : 14,5 %. Le constat est simple : l’évolution des prix des denrées alimentaires est beaucoup plus forte que celle de l’inflation. En outre, ce qui filtre des discussions en cours laisse entrevoir de nouvelles hausses élevées, sans doute de niveau équivalent. Le président de Système U a évoqué 10 % d’augmentation et celui de Carrefour s’est montré plus alarmant encore.
L’addition des 14,4 % déjà constatés avec la hausse attendue de 10 %, si elle devait se confirmer, fait froid dans le dos. Il y a, bien entendu, une part de bras de fer dans cette confrontation annuelle entre chacun des acteurs de la distribution, mais cela pose question. Les distributeurs accusent les transformateurs, qui désignent du doigt les hausses des prix des matières premières, voire les agriculteurs. Le Gouvernement demande aux grandes surfaces de réduire leurs marges et évoque un panier, ou un chariot de prix alimentaires à maintenir sous contrôle. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en sont ces discussions et quels dispositifs vous pensez pouvoir mettre en œuvre ?
On peine à expliquer totalement ces augmentations. L’année dernière, la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie, des matières premières, des transports et des produits manufacturés pouvaient expliquer l’inflation alimentaire. Mais en 2023, ces chiffres sont bien moindres.
Bien sûr, le niveau des prix de production relaie peu à peu l’inflation déjà constatée et se diffuse. L’inflation des prix de production serait de 17 %. Ce chiffre, au demeurant élevé, est inférieur à celui du reste de l’Union européenne. Faut-il y voir l’une des causes des augmentations attendues ?
Quoi qu’il en soit, si le pouvoir d’achat a pu être préservé en 2020 et en 2021, il a baissé de 0,2 % en 2022, et nous risquons de perdre l’acquis en 2023. Il est vrai qu’en 2022, les salaires ont augmenté de 4,2 % en moyenne alors que l’inflation s’élevait à 6 %. L’évolution du niveau des prix sera donc plus marquée que celle du niveau des salaires. Les aides de l’État et les primes ne pouvant pas rester élevées, le moral des ménages se dégrade.
En somme, le problème est que les salaires augmentent moins vite que l’inflation et que la consommation s’en trouve affectée, alors qu’elle constituait jusque-là un moteur de l’économie. Sur ce point, il nous faut nous interroger sur les manières d’aborder l’avenir.
La soutenabilité de notre budget nous appelle évidemment à la plus grande vigilance ; c’est toute la quadrature du cercle. Elle suppose un effort collectif reposant sur la maîtrise de la dépense qui doit être couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci. Il y a là une contradiction dont il nous faut sortir. À cet égard, la croissance et la maîtrise de l’inflation sont des nécessités. Comment voyez-vous les choses sur ce point, madame la ministre ?
En attendant, il nous faut répondre de manière segmentée à plusieurs urgences.
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude sur les mesures budgétaires importantes qui ont été mises en place et leurs effets sur le pouvoir d’achat des Français en 2022 et 2023. Il estime qu’en 2023, le pouvoir d’achat pourrait revenir à son niveau de la fin de l’année 2019, avant la crise sanitaire, et se réduire de 1,2 % à 2 % entre la fin de l’année 2021 et la fin de l’année 2023 ; sans les mesures qui ont été prises, la baisse aurait pu atteindre 5 %.
Cela prouve l’efficacité des mesures appliquées : le bouclier tarifaire et la remise carburant ont, semble-t-il, permis de soutenir le pouvoir d’achat à hauteur de 790 euros en moyenne en 2022 et auraient soutenu le niveau de vie des ménages les plus modestes de 5,1 %, contre 2,2 % pour les ménages les plus aisés.
L’inflation affecte les ménages de manière inégale en fonction de leurs revenus, de leur situation personnelle et de leur lieu de vie. Toujours selon les travaux de l’OFCE, les ménages ruraux, les plus éloignés des centres urbains et les plus modestes seraient les plus touchés par ce phénomène inflationniste. Madame la ministre, cela nous invite à réfléchir à des mesures différenciées pour prendre en compte l’impact disparate de l’inflation. S’il est évidemment très difficile de prendre des mesures catégorielles, nous voyons bien que l’inflation n’affecte pas chacun de la même manière selon l’âge ou le lieu d’habitation.
Selon une étude des banques alimentaires, le nombre de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire a triplé en dix ans, avec une hausse de 10 % en 2022. Quelque 2,4 millions de nos compatriotes ont été accueillis par ces structures en 2022 pour bénéficier d’une nourriture gratuite ou très peu chère. Je n’oublie pas, madame la ministre, l’effort réalisé en matière d’emploi et de soutien. Mais je ne veux pas non plus nier les difficultés.
Avant de conclure, je tiens à mettre l’accent sur l’envolée des taux d’intérêt, qui affecte la capacité des ménages primo-accédants à devenir propriétaires. Beaucoup d’entre eux sont exclus du marché, ce qui constitue une grande difficulté. C’est un point d’alarme, tant pour le secteur de l’immobilier et de la construction que pour ceux qui veulent accéder à la propriété.
Dans un contexte de hausse des taux, il serait utile aux accédants de proroger le prêt à taux zéro (PTZ), dispositif phare du soutien à la propriété, de même que de développer massivement le bail réel solidaire, notamment pour les jeunes ménages. En tout état de cause, la cherté et la difficulté d’accession constituent un vrai sujet de préoccupation.
En outre, étant donné le poids du logement dans le budget des ménages, il y a sans doute une réflexion à conduire pour mieux adapter les loyers des locataires ou futurs locataires du parc social.
Nous mesurons, madame la ministre, l’ampleur des difficultés et l’effort qui a déjà réalisé. Nous avons dans cet hémicycle une pleine conscience des contraintes budgétaires. Mais les mesures que le Gouvernement doit annoncer sont, pour beaucoup, une question de vie quotidienne, pour ne pas dire une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP.)