M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Schillinger, en abordant ces différents sujets, vous avez, au fond, rappelé ce que nous avons essayé de mettre en œuvre depuis bientôt six ans.
Force est tout d’abord de reconnaître que le chemin pour retrouver notre souveraineté et notre compétitivité est long. L’un d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a affirmé tout à l’heure que je n’étais pas forcément comptable de la situation. Peut-être, mais je me sens comptable de ce que notre pays a fait depuis trente ans, parce qu’il serait trop facile de ma part de rejeter la faute sur les autres. Il appartient à chacun de faire sa part du chemin.
Je voudrais souligner plusieurs points.
D’abord, vous l’avez mentionné, madame la sénatrice, il faut accorder une place importante à l’innovation, à la recherche et à l’expérimentation. En effet, il est nécessaire de convaincre les agriculteurs que c’est de cette manière que nous trouverons des solutions, des alternatives, par exemple, en matière de transition, aux produits phytosanitaires. C’est la seule voie qui nous permettra d’avancer, d’une part, et de retrouver notre souveraineté et notre compétitivité, d’autre part.
Ensuite, vous avez évoqué la réforme du système assurantiel, qui a été votée ici, au Sénat, et qui fait suite aux travaux que vous aviez conduits. De mon point de vue, ce nouveau dispositif est solide.
Assurer les agriculteurs contre les risques passe non seulement par la mise en place du système assurantiel dont je viens de parler, mais aussi par notre capacité à leur garantir que, dans trente ans, le système que nous mettons en œuvre aura résisté et qu’il permettra de faire face au dérèglement climatique et aux grandes transitions qui sont à l’œuvre. Je pense évidemment à la problématique de l’accès à l’eau ou à celle du changement des pratiques.
Un certain nombre de modes de production vont devoir évoluer avec le réchauffement climatique. Je vous rappelle, monsieur le sénateur (M. le ministre se tourne vers M. Daniel Salmon.), que 1 degré Celsius, c’est la différence de température que l’on enregistre en moyenne entre les villes de Toulouse et de Rennes. Or le changement climatique, de Toulouse à Rennes, entraîne un changement des systèmes de production. Si on ne le disait pas aux agriculteurs, nous serions en défaut, car, pour le coup, cela nuirait à la transition écologique que tout le monde appelle de ses vœux.
N’oublions pas que l’enjeu principal est de réussir à mener à bien cette transition. Il ne suffit d’ailleurs pas de dire que c’est facile…
M. Daniel Salmon. Je n’ai jamais dit cela !
M. Marc Fesneau, ministre. Tout à fait, monsieur le sénateur. Je voulais simplement insister sur le fait qu’il faut assumer cet engagement sur la voie des transitions, d’autant que cela implique du temps et un accompagnement des hommes et des facteurs de production.
Pour finir, madame la sénatrice Schillinger, vous avez fait allusion au cadre européen. Je suis favorable à ce qu’un certain nombre de problèmes, notamment lorsqu’ils touchent à notre souveraineté, soit résolus à cet échelon. À l’aune de la guerre en Ukraine et de la crise de la covid-19, je pense en effet que c’est à ce niveau-là que l’on parviendra à trouver des solutions.
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée pour notre collègue Jean-Claude Tissot, qui est le chef de file de notre groupe sur les sujets agricoles, et que je remplace ce soir au pied levé, car il est, hélas ! confronté à un drame personnel.
Comme je l’ai dit en introduction, notre rapport dresse un constat sans appel, rappelé par beaucoup d’intervenants : la ferme France décline. Partout sur nos territoires, les agriculteurs nous interpellent, nous font part des difficultés, parfois insurmontables, que rencontrent celles et ceux qui nous nourrissent et ne sont pas rémunérés à hauteur de leur engagement.
Notre agriculture et notre gastronomie sont réputées dans le monde entier. La qualité de nos denrées, notre savoir-faire ne sont plus à démontrer.
Pourtant, à l’heure où le commerce international des produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, nous ne sommes pas au rendez-vous.
Nous sommes le seul grand pays agricole dont les parts de marché reculent quand, dans le même temps, nos importations de produits agricoles explosent. En vingt ans, nous sommes passés du deuxième au cinquième rang mondial en termes d’exportations. Notre excédent commercial résulte pour l’essentiel du seul effet prix de nos exportations, notamment des vins et spiritueux, filière de plus en plus concurrencée.
Mes chers collègues, nous devons nous inquiéter d’une telle situation, d’autant que le contexte géopolitique est tendu et l’inflation galopante. Nous le constatons, le prix des denrées alimentaires s’envole et certaines viennent à manquer.
Plus que jamais, nous devons repenser notre modèle agricole pour tendre vers une pleine souveraineté et ne pas dépendre de l’extérieur pour notre alimentation. Il n’y a rien de pire que les peuples qui ont faim ! Nous devons être en mesure de nourrir convenablement les Français, quelle que soit leur classe sociale.
Nous devons reconnecter l’agriculture avec les attentes des consommateurs. Notre pays, grande puissance agricole, le grenier de l’Europe, en est capable sous réserve d’une réelle volonté politique.
Pour ce faire, il est impératif de réarmer la ferme France en lui donnant les moyens de ses ambitions, les moyens d’être compétitive.
Redevenir compétitif, c’est d’abord redevenir attractif. Aujourd’hui, face aux difficultés financières, matérielles ou techniques, beaucoup d’agriculteurs ne s’en sortent plus. Précarité et agribashing n’incitent pas à l’installation de nouveaux exploitants. En ce sens, les chiffres publiés par la Mutualité sociale agricole ces dernières années sont significatifs et doivent nous interpeller.
Réforme de l’enseignement, du foncier, juste rémunération des agriculteurs ou encore revalorisation des retraites agricoles : les chantiers sont nombreux et les avancées en la matière, pour l’heure, insuffisantes.
Redevenir compétitif implique aussi de revoir nos politiques agricoles. La stratégie insufflée par le Président de la République dans son discours de Rungis, qui ne vise que la seule montée en gamme, ne peut être l’alpha et l’oméga de notre agriculture.
D’autant plus que les agriculteurs ont vu le montant de leurs charges s’envoler, leur fiscalité augmenter et la concurrence mondiale s’intensifier. Ils ont en outre pu constater que le soutien du Gouvernement dans le cadre des accords de libre-échange était pour le moins mitigé.
Faute d’un accompagnement adapté et à la hauteur des ambitions du Président de la République, cette stratégie du « tout montée en gamme » risque d’entraîner notre pays dans une crise de souveraineté alimentaire et de pouvoir d’achat.
Pour faire face à la demande et redonner une dynamique à notre ferme France, nous devons – j’en suis convaincu – réinvestir le marché « cœur de gamme » et booster notre productivité. L’agriculture française est capable de répondre à ces défis.
Nos éleveurs, nos agriculteurs sont responsables et soucieux de produire des denrées de qualité. Faisons-leur davantage confiance et, surtout, donnons-leur un cadre et des outils adaptés : il s’agit de les accompagner face aux nombreux défis auxquels ils doivent faire face.
Adaptation de l’agriculture au changement climatique – c’est le principal défi des dix années à venir –, enjeux environnementaux, gestion de l’eau, concurrence internationale déloyale à cause de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que nous : il est urgent de sauvegarder notre souveraineté alimentaire pour ne pas, demain, être totalement dépendants des aléas géopolitiques, sanitaires ou encore climatiques.
Les trois années que nous venons de traverser ont certes été difficiles, mais elles ont également été riches d’enseignements.
Il est temps de reconquérir, dans tous les domaines, notre appareil productif et de cesser de s’en remettre aveuglément aux sirènes de la mondialisation à tout-va.
Ce rapport n’a pas pour objet d’opposer les modèles agricoles et les agriculteurs entre eux – surtout pas ! Il ne vise pas non plus à opposer l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique, les céréaliers aux éleveurs, l’agriculture dite « productive » – encore faudrait-il définir précisément ce que ce terme recouvre – à une agriculture plus « familiale ».
Il faut produire pour toutes et tous, dans un cadre clair, afin de répondre aux différentes attentes de nos concitoyens et d’avoir une alimentation sûre, locale, de qualité, diversifiée, mais également accessible économiquement.
Ce dernier point est essentiel : chacun de nos concitoyens doit pouvoir manger français tous les jours, et pas uniquement le dimanche. Rappelons-nous que le contenu de l’assiette est le premier révélateur d’inégalités.
Mes chers collègues, pour ce faire, nous devons changer de cap, mais non sans garde-fou.
En tant que corapporteur socialiste d’un rapport transpartisan, j’ai évidemment des divergences avec mes collègues au sujet d’un certain nombre de propositions. Mais c’est là tout l’intérêt de la confrontation des idées. Après tout, quand on reste dans l’entre-soi, il n’en sort jamais grand-chose. Il est toujours intéressant de partager et de comparer les points de vue, pour trouver des accords et avancer.
Pour ce qui est de nos désaccords, je citerai tout d’abord l’évolution du rôle qui pourrait être confié à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
La rentabilité et la compétitivité de notre ferme France ne doivent pas altérer la qualité des produits et représenter un danger pour la santé de nos concitoyens – c’est évidemment la ligne rouge à ne pas franchir.
Il en est de même pour la réduction des coûts de production, qui ne peut prendre la forme d’une détérioration des conditions salariales des travailleurs. Sur ce dernier point, nous avons échangé et trouvé un accord.
Monsieur le ministre, ce rapport transpartisan est une contribution qui me paraît pertinente compte tenu de l’état de notre modèle agricole. L’accueil positif qui lui a été réservé par le monde agricole en témoigne.
Privilégier la montée en gamme grâce à la production sous signes officiels de qualité, comme le bio, les labels, ou encore la production locale est un bel objectif, mais il doit s’accompagner d’une présence de l’agriculture française sur tous les segments du marché. Tel est à mon sens le véritable défi à relever.
Le groupe politique auquel j’appartiens a été à l’origine de nombreuses initiatives lorsque nous étions aux responsabilités. Je pense notamment à l’engagement de Stéphane Le Foll en matière de développement du bio et de l’agroécologie ou encore à celui des sénateurs de mon groupe, depuis des années, en faveur du développement des paiements pour services environnementaux.
J’encourage moi-même ces modes de production, de distribution, de mise en valeur des produits de nos terroirs dans mon département. Nous devons collectivement les promouvoir.
Je l’ai dit, la stratégie de montée en gamme nécessite un accompagnement fort et massif des agriculteurs pour limiter la différence de prix sur les étals. Nous devons viser une démocratisation de ces produits, afin que chacun puisse en bénéficier.
Mais, pour l’heure, monsieur le ministre, la priorité est de nourrir tous les Français et de faire en sorte que chacun d’entre eux ait les moyens de se nourrir ! Or nous ne sommes pas sur la bonne voie.
Rendons à nos agriculteurs la fierté de produire et n’oublions pas que, dans nos départements ruraux, l’agriculture est souvent la dernière activité économique qui exerce, sans contrepartie financière, un rôle irremplaçable dans l’aménagement et l’entretien de l’espace. (Mme la présidente de la commission et M. Pierre Louault applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Mérillou, j’essaierai de répondre dans mon propos conclusif.
Tout d’abord, vous avez raison, rien n’est pire que de ne pas être capable de nourrir son propre peuple. À ce jour, ce n’est pas un sujet qui concerne notre pays, mais il pourrait en aller différemment à l’avenir, en particulier en raison du dérèglement climatique. Par conséquent, nous devons être vigilants, parce qu’il s’agit d’une question essentielle de souveraineté.
Les grandes crises sociales et révolutionnaires – nul besoin de remonter jusqu’en 1789 : les pays situés de l’autre côté de la Méditerranée en ont connu assez récemment – sont souvent le fruit de crises alimentaires.
Ce sujet est important pour la stabilité de notre pays et pour celle des États situés à nos frontières. Nous avons besoin d’assurer notre souveraineté et celle des pays tiers, sans quoi une déstabilisation globale pourrait en résulter. Je suis donc d’accord avec votre propos sur ce point.
Ensuite, vous avez évoqué les attentes et les besoins des consommateurs. Oui, nous devons remédier à la situation d’un certain nombre de nos concitoyens, qui, parfois, ne peuvent pas accéder à une alimentation de qualité ou diversifiée. C’est le travail que nous devons poursuivre au travers du chèque alimentaire ou du chèque alimentation.
Quant aux attentes des consommateurs, vous le soulignez d’ailleurs dans le rapport, celles-ci sont diverses. Nous avons donc besoin de productions également différentes, afin de proposer une offre diversifiée aux consommateurs, allant de l’entrée au haut de gamme, en passant par les produits de moyenne gamme.
Vous reliez stratégie de montée en gamme et signes de qualité. Selon vous, combien d’entre eux – il en existe plusieurs centaines – ont été créés ces cinq dernières années ? Ces signes de qualité ne sont pas une nouveauté : cela fait soixante ans qu’on les développe.
Dans le discours de Rungis, il était indiqué qu’ils permettaient de créer une rémunération. Assumons collectivement – c’est plutôt une fierté – d’avoir porté ces signes de qualité dans notre pays et à l’extérieur de nos frontières, puisque nous avons obtenu leur reconnaissance dans les accords internationaux.
La qualité est une question pour la marque France que nous avons à défendre. Nous avons beaucoup exporté, parce que nous partageons une identité, un patrimoine, une culture et une qualité. Il ne faut pas complètement s’en délester – vous ne l’avez d’ailleurs pas dit –, y compris pour les exportations.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne répéterai pas les conclusions de nos brillants rapporteurs MM. Duplomb, Louault et Mérillou, mais il faut nous rendre à l’évidence : notre excédent commercial agricole s’érode et nous perdons en compétitivité. Le Sénat formule vingt-quatre recommandations afin d’y remédier à l’horizon de 2028.
Heureusement, la France demeure une grande puissance agricole et conserve son rang de principal producteur européen, devant l’Allemagne et l’Italie. Néanmoins, en vingt ans – cela a été dit –, elle est passée du deuxième au cinquième rang mondial.
Je pourrais me satisfaire de cette situation et dire que, finalement, nous ne nous en sortons pas si mal. Mais, monsieur le ministre, ce serait nier plus de vingt ans de travail au Sénat et de rencontres avec les organisations agricoles.
Ce serait nier le rapport parlementaire portant sur le suicide des agriculteurs, rédigé par Henri Cabanel et moi-même.
Ce serait nier, monsieur le ministre, six années de rapports budgétaires et d’auditions, au cours desquelles nous constations une perte de compétitivité des exploitations françaises, due bien souvent à une surtransposition de normes européennes ou à des contraintes que je qualifierai d’« administrato-paperassiales », qui plombent la vivacité de nos fermes.
Pour illustrer mes inquiétudes et mes alertes, je rappelle qu’en 2021, le solde commercial français s’élève à 8 milliards d’euros. Certes, cela correspond à une progression de 3,4 % par rapport à son niveau en 2019, mais celle-ci est principalement due aux exportations de vins et spiritueux, dont le solde est de 14,2 milliards d’euros.
Cette filière constitue le fleuron d’un secteur agroalimentaire qui n’arrive pas à valoriser correctement le reste de ses produits. En clair, sans les vins, nous serions déficitaires ! Cela ne choque pas un État surendetté, mais permettez-moi de l’être.
À qui et à quoi attribuer cette perte de compétitivité ? Peut-être à la stratégie du « tout montée en gamme » conduite par votre majorité depuis 2017 ?
Nos rapporteurs citent le « poulet du dimanche ». Ainsi, les Français se tournent vers la découpe et les produits élaborés, dont 16 % seulement proviennent des signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo). Le vaste marché du poulet standard est donc ouvert aux importations et près d’un poulet sur deux est importé, contre 20 % en 2000 !
Je peux citer l’exemple des betteraves, qui se trouvent coincées par la justice européenne ! Mais, rassurez-vous, le Brésil saura nous vendre du sucre pour pas cher, produit dans des conditions déplorables pour l’environnement ou le droit social…
J’évoquerai le coût de la main-d’œuvre, qui est de une à trois fois plus élevé qu’en Espagne, qu’en Allemagne ou qu’en Pologne.
Je pourrais multiplier les exemples de surtransposition des normes européennes. En effet, notre pays se caractérise par la place importante des surtranspositions « politiques », pour lesquelles l’arbitrage politique l’emporte sur le choix d’une transposition mesurée.
D’autres pays se sont également posé cette question. Il en ressort que la majorité des États affichaient une part de normes d’origine européenne plus faible que la nôtre : 14 % pour le Danemark, 10 % pour l’Autriche.
Je vous l’accorde, ce taux est de 39 % pour l’Allemagne – soit ! –, mais pour contrebalancer ce poids, depuis 2015, ce pays surveille l’impact de la législation européenne sur ses entreprises et a adopté le principe du one in, one out pour contenir la complexité. Cette politique aurait permis de baisser les coûts de 3,5 milliards d’euros depuis 2015. Trois milliards et demi, monsieur le ministre !
Nous n’en sommes pas à notre première interpellation sur ce sujet.
Monsieur le ministre, il vous faut dresser le bilan de vingt années de stratégie agricole. Quels en sont les résultats ? Stoppons le déclassement international, il est encore temps d’inverser la tendance ! Écoutez le Sénat, monsieur le ministre, il est l’écho de la ruralité et de nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Férat, je suis également l’élu d’un territoire rural.
Mme Françoise Férat. Cela ne m’avait pas échappé !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous me demandez d’écouter la ruralité ; je n’ai aucune difficulté à le faire, puisque je vis aussi quotidiennement que possible – ou au moins chaque semaine – dans ces territoires ruraux.
Vous ne vous satisfaites pas de la situation ? Moi non plus ! Oui, je ne suis pas satisfait de la situation de la ferme France, en termes de souveraineté. Vous l’avez rappelé, depuis des dizaines d’années, on a laissé faire les choses sans regarder dans le détail, sans grande rupture. En réalité, il s’agit d’une tendance assez lourde.
Nous avons donc besoin de redresser la situation. Cela ne sera pas une courbe inversée. Chacun doit œuvrer avec patience et modestie, dans les mois et les années à venir, afin de reconstruire la souveraineté que nous avons perdue.
Vous avez évoqué le fleuron qu’est la viticulture – et le département dont vous êtes l’élue n’y est pas étranger.
De fait, la viticulture est, en apparence, le dernier des fleurons français, mais en réalité, nous en avons plein : à mon sens, la filière animale en est également un, tandis que la filière végétale pourrait aussi en devenir un. Nous avons besoin de renouer avec cette tendance.
Je signale simplement que la viticulture est le seul secteur exportateur à s’être entièrement doté de labels et de signes de qualité. Par conséquent, le signe de qualité peut être un outil intéressant dans une perspective d’exportation, ce que vous connaissez bien dans le département de la Marne.
Le troisième sujet que vous avez évoqué est celui de l’espace européen et des normes que nous nous infligeons, en tant que Français, alors que d’autres ne s’imposent pas les mêmes.
Je l’ai indiqué, nous avons besoin de réfléchir, en tant qu’Européens, avec nos collègues européens, à la façon d’édicter des normes et d’évoluer s’agissant d’un certain nombre de transitions nécessaires.
Nous avons besoin de réfléchir également, à l’échelle de la France, à la question des transpositions, des surtranspositions et de la suradministration, qui a trait à la manière de gérer les politiques publiques.
Je me méfie toujours des ministres qui déclarent vouloir simplifier les dispositifs, parce qu’en règle générale, au bout du compte, la situation est plus compliquée.
Cette réflexion doit donc être menée avec modestie, mais j’emprunterai ce chemin.
Je voudrais également vous remercier du travail que vous accomplissez, afin d’identifier les cas pour lesquels une simplification concrète pourrait intervenir.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de septembre 2022, une journaliste de l’hebdomadaire Le Point écrivait : « La commission des affaires économiques du Sénat tire, pour la énième fois, le signal d’alarme : la “Ferme France” ne va pas bien, elle produit de moins en moins et, pour nourrir le “Peuple France”, les importations explosent ! »
Notre pays, aux terres fertiles, au climat tempéré, aux savoir-faire et à la diversité des produits, a de nombreux atouts pour réussir. Pourtant, notre agriculture va mal et le monde agricole est préoccupé par un certain nombre de points, au nombre desquels figurent les changements réglementaires permanents, ainsi que la pression concurrentielle croissante. La compétitivité de notre agriculture chute et les conséquences sont inquiétantes pour notre souveraineté alimentaire.
Beaucoup de filières souffrent et certains succès cachent bien des problèmes.
Deuxième producteur de lait de l’Europe, la France alimente son marché intérieur avec 58 % de sa collecte, tout en exportant 40 % de sa production, en majorité vers les pays européens. En Normandie, la filière lait détenait un troupeau de 547 000 vaches laitières en 2021.
Pourtant, si les éleveurs maintiennent les produits laitiers sur la scène internationale, c’est au prix de la faiblesse de leurs revenus pour répondre à la guerre des prix.
Ce soi-disant « miracle français » se traduit plutôt par l’expression « filière en danger et désastre annoncé » pour la production laitière. En effet, le manque de trésorerie pénalise les investissements susceptibles d’améliorer la productivité et les revenus.
Des exploitants agricoles, découragés par les revenus faibles, le coût des investissements et les contraintes quotidiennes de l’élevage, arrêtent la production laitière. Ainsi, la Normandie a connu une baisse de sa production de 32 % de 2010 à 2020 et des régions de bocage et d’élevage, comme la Manche, voient leur cheptel bovin diminuer de façon importante.
C’est une situation de plus en plus difficile à supporter pour les producteurs et un point de blocage pour les jeunes candidats à l’installation. Se pose alors le problème de la transmission, sachant qu’un éleveur sur deux est âgé de 50 ans ou plus et que la baisse du nombre d’exploitations laitières est plus importante en France que dans les autres pays européens.
Le nombre d’élevages de porcs a chuté de 40 % en dix ans en Normandie. La filière porcine obéit à des règles de production exigeantes sur le plan technique et très aléatoires sur le plan économique. Le prix de vente fluctue énormément, alors que les charges continuent de progresser. La production porcine française est donc plutôt à la baisse. Dans le même temps, en Espagne, pays premier producteur européen, 58 millions de porcs ont été abattus en 2021.
Dans un autre domaine, la production française de pommes a été divisée par deux depuis trente ans. On en exporte deux fois moins qu’il y a sept ans, alors qu’une pomme sur trois est importée pour être transformée.
La surtransposition des normes nuit également à la compétitivité de l’agriculture française. La France impose des normes plus contraignantes que les directives européennes, ce qui augmente le coût de production. Par exemple, notre pays oblige à un recyclage des eaux issues de la transformation laitière, alors que les pays concurrents sont autorisés à réutiliser ces eaux sans traitement.
L’État français interdit 145 produits phytosanitaires, pourtant utilisés dans l’agriculture des pays concurrents de l’Union européenne. Cela crée une distorsion de concurrence évidente.
Les produits issus de l’agriculture française sont souvent plus chers pour les consommateurs, notamment en raison de l’importance des charges, dont le coût de la main-d’œuvre, qui est plus élevé en France.
Depuis 2017 et son discours de Rungis, le président Macron prône le « tout montée en gamme ». Même si cette stratégie correspond à certains marchés, elle n’améliore pas globalement la situation.
Pour les exportateurs et les consommateurs nationaux, le positionnement français sur les produits haut de gamme ne justifie pas un tel écart de prix avec des concurrents. Les habitudes de consommation des ménages se traduisent, dans les faits, par une réduction des quantités achetées, au regard des prix.
La pomme bio, par exemple, qui revient en moyenne deux fois plus cher que la pomme conventionnelle, est achetée par seulement 21 % des consommateurs. Elle est également difficile à vendre à l’étranger : 38 % des producteurs bio sont alors contraints d’écouler leur surproduction sur le marché conventionnel, ce qui représente une baisse de revenus de 820 euros par tonne.
Nous devons désormais agir avec force pour éviter que notre pays à la terre nourricière ne devienne un pays sans autonomie alimentaire.
Le rapport sénatorial a formulé plusieurs recommandations en ce sens afin, notamment, de maîtriser les charges de production, d’éviter les surtranspositions et de relancer la croissance de la productivité.
Je tiens à saluer la qualité du travail réalisé et je souscris pleinement à ces recommandations. Nous devons absolument engager au plus vite ce choc de compétitivité.
Notre pays manque de stratégie. Or la clé de la réussite des pays qui gagnent est leur capacité à définir une stratégie et un objectif clairs. La compétitivité doit donc être un objectif politique clair.
Nous le devons à notre agriculture, tant cette activité est au cœur de l’avenir de nos territoires, que le Sénat a précisément vocation à représenter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)