M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, sur le règlement relatif à la commercialisation des volailles, il s’agit non pas d’un sujet sur lequel l’Europe est seule face au reste du monde, mais d’un sujet proprement européen. En effet, un certain nombre d’États membres demandent à réviser ces normes de commercialisation. Nous sommes en train, entre Européens et à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, de nous efforcer de préserver le label « élevé en plein air ». En d’autres termes, il s’agit non pas de descendre, mais de monter en gamme.
Nous entendons défendre, dans le cadre européen, notre spécificité, car nous sommes le pays qui a le plus développé la volaille élevée en plein air. Je ne peux pas en dire plus à ce jour, puisque nous sommes dans une phase de négociations, mais notre volonté est de défendre le modèle sur lequel nous nous sommes appuyés pour développer un certain nombre d’élevages.
Je reviens sur les accords de libre-échange. Une considération générale : il s’agit, premièrement, d’affermir la capacité et la vocation exportatrices de notre pays, que nous avons en partie perdues ; deuxièmement, d’obtenir des clauses de réciprocité ; troisièmement, face à certains autres pays européens, aux contraintes normatives comparables, il s’agit d’adopter une politique beaucoup plus offensive sur les marchés extérieurs. Dans ce cadre, nous aurions intérêt à étudier les possibilités de reconquérir des marchés émergents.
Enfin, vous avez mentionné l’installation des jeunes agriculteurs. Je vous prie de m’excuser de le dire quelque peu brutalement, mais le montant de la DJA ne me semble pas être le seul sujet. Tout d’abord, près de la moitié des jeunes qui s’installent n’en bénéficient pas. Se pose donc la question de son ciblage. Ensuite, compte tenu des montants de capitaux à engager, quel que soit le montant de la DJA, il faut rassurer le jeune agriculteur sur son revenu, ainsi que sur ses capacités à rembourser les emprunts et à faire face au dérèglement climatique. Voilà les sujets autour desquels il faudrait plutôt travailler. Dans ce monde déréglé, climatiquement, géopolitiquement, économiquement, il faut s’assurer que le système tienne à trente ans. C’est comme cela que nous installerons de jeunes agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture façonne le paysage français. Elle fait partie de notre ADN national. Elle est aussi la base de notre patrimoine culinaire, avec ses fromages, ses cultures, ses viandes, ses vins, ses terroirs et sa diversité. Cependant, le constat qu’on peut poser sur l’agriculture française devient préoccupant. Notre collègue Laurent Duplomb, dans son rapport du 28 mai 2019, intitulé La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?, mettait déjà en évidence le déclin de notre agriculture.
Force est de constater que rien n’a changé, et que la crise actuelle a même renforcé certaines difficultés, notamment dans l’élevage. Notre production stagne, voire recule dans certains secteurs, depuis les années 1990. Nous sommes le pays dont les parts de marché à l’export ont connu les plus fortes baisses depuis 2000, en raison d’une compétitivité qui s’effrite.
En parallèle, nos importations progressent : elles ont plus que doublé en vingt ans, et nous importons aujourd’hui pour 63 milliards d’euros de denrées alimentaires.
Pourtant, notre agriculture dispose d’un potentiel incontestable. En effet, la France est le principal producteur européen, loin devant l’Italie et l’Allemagne. Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire d’une telle évolution.
Il est urgent d’agir. Je salue le travail de nos trois rapporteurs, qui soulignent la baisse de compétitivité en dressant quatre constats. Ce travail essentiel et pertinent, qui s’appuie sur la réalité de cinq filières, les a conduits à formuler vingt-quatre propositions.
La période actuelle nous oblige à réaffirmer notre souveraineté alimentaire. Nous devons agir rapidement, car notre autonomie alimentaire est mise en péril. À titre personnel – cela a été évoqué par notre collègue Amel Gacquerre –, je pense que la stratégie de montée en gamme prônée, notamment, par le Président de la République dans son discours de Rungis, ne peut définir à elle seule notre futur agricole. Nous devons être présents sur tous les créneaux et sur toutes les gammes, le haut de gamme comme l’entrée de gamme, pour répondre aux attentes de tous les consommateurs. L’augmentation des importations sur certains produits et le recul du bio sont des signes plutôt clairs. Cette tendance s’est d’ailleurs accrue depuis le début de la crise ukrainienne.
Après la lecture du rapport, j’ai choisi de mettre en lumière un problème qui a été très bien identifié, celui des surtranspositions trop nombreuses et des lois franco-françaises trop strictes. À titre d’exemple, 454 substances actives sont autorisées au sein de l’Union européenne, alors que la France n’en admet que 309. Nous ne pouvons pas nous imposer des règles dont nos voisins s’affranchissent ; nous devons plutôt exiger que les produits que nous importons soient soumis aux mêmes normes que celles qui s’appliquent à ceux de nos agriculteurs.
Il faut donc poursuivre cette harmonisation européenne pour éviter la concurrence intra- et extraeuropéenne, qui nous pénalise. C’est pourquoi il me semble que la deuxième recommandation du rapport, à savoir donner corps au principe de l’arrêt des surtranspositions grâce à une mission confiée au Conseil d’État, est très intéressante.
L’exemple de la filière betteravière illustre bien ce sujet. Ainsi, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient d’interdire la dérogation concernant les néonicotinoïdes. La filière est aujourd’hui dans une impasse technique pour lutter contre les pucerons verts et la jaunisse.
Je rappelle que la France est le premier producteur de sucre de l’Union européenne.
Cet exemple met en évidence, une nouvelle fois, la mise en péril de notre souveraineté par des législations mal adaptées aux réalités des territoires.
Il est absolument indispensable d’élaborer préalablement des études d’impact et de s’assurer de l’existence de solutions alternatives permettant d’éviter les impasses techniques qui fragilisent durablement des filières entières.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre engagement, et, bien sûr, vous n’êtes pas comptable de cette situation dégradée. Il faut donner à nos agriculteurs les moyens d’être performants et compétitifs. Nous serons évidemment à vos côtés pour atteindre cet objectif.
Ne faisons pas de notre agriculture ce que nous avons fait de notre industrie ! Il est urgent d’agir !
Les agriculteurs français sont motivés et passionnés ; ils aiment leur métier, mais les surcharges administratives et la complexité de nos politiques publiques en atténuent l’attractivité. Il est important de redonner du sens à cette profession et d’ouvrir des perspectives aux jeunes, pour que nombre d’entre eux acceptent d’exercer ce merveilleux métier et de s’y investir.
Monsieur le ministre, comptez-vous utiliser les recommandations de ce rapport transpartisan comme base de travail pour le pacte et la loi agricoles que vous êtes en train de préparer ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Menonville, je vous remercie pour votre question, d’autant que ce sujet vous tient, comme à vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, à cœur.
Tout d’abord, sachez que je ne suis pas de ces ministres qui encouragent les surtranspositions de directives européennes dans notre droit.
Pour autant, il est vrai que notre pays a toujours eu tendance à considérer qu’il devait être la figure de proue et à la pointe du progrès sur un certain nombre de sujets. Cela fait près de vingt-cinq ans que nous pensons qu’en agissant les premiers, les autres États européens suivront. Sauf que ce n’est généralement pas le cas et que, dans l’intervalle, la France perd en compétitivité ou en souveraineté.
En vérité, ces questions de normes doivent être débattues à l’échelon européen. Quand une décision est prise à ce niveau-là, notre pays, en particulier nos agriculteurs, est en mesure de le comprendre, sous réserve que l’on ait cherché à définir des clauses de réciprocité dans le cadre des accords commerciaux. En tout cas, vous me trouverez toujours à vos côtés lorsque vous aborderez la question dans cette perspective.
La France s’inscrit aussi dans un cadre juridique national – vous avez suggéré un éventuel recours au Conseil d’État. Or j’observe que les principes de précaution et de non-régression ne datent pas d’hier – ils n’ont été prescrits ni par le précédent gouvernement, ni par celui d’avant, non plus que par le gouvernement antérieur. Pour un certain nombre d’entre eux, ces principes découlent de la Constitution. Gardons-nous par conséquent de penser qu’il est facile d’œuvrer en la matière.
En tout cas, chaque fois que l’on saura se convaincre qu’il n’est pas nécessaire de surtransposer et que nous ne sommes pas nécessairement meilleurs que les autres dans tel ou tel domaine, je serai tout à fait disposé à défendre nos intérêts au niveau européen.
Par ailleurs, je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur, au sujet de la montée en gamme de notre agriculture. Il convient de la réussir, car elle permettrait d’assurer une rémunération supplémentaire à près d’un tiers des exploitants agricoles.
Prenons l’exemple de la filière avicole : oui, nous avons besoin de développer de nouveaux élevages de volailles pour garantir la souveraineté alimentaire de notre pays. J’assume pleinement cette idée : on ne peut pas à la fois se plaindre de perdre en souveraineté, d’exporter du CO2 et des pratiques que l’on juge inacceptables, et refuser l’implantation de nouveaux élevages sur notre territoire. Il y aurait là une contradiction majeure que je n’assumerai pas en tant que ministre. En revanche, je le répète, je suis prêt à me battre pour que la France retrouve sa souveraineté agricole.
Autre exemple,…
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la compétitivité de la ferme France suppose que l’on se mette d’accord sur la définition même des termes.
Dans le rapport dont nous débattons ce soir, la compétitivité est définie via des prix, des volumes et des coûts de production sur un marché internationalisé.
Or cette définition doit nous interpeller. On ne peut pas continuer à recourir à cette notion de compétitivité pour occulter des réalités multiples qui ont in fine un impact sur des dépenses assumées de façon collective.
Que devient notre compétitivité si l’on intègre le coût caché des pesticides, estimé entre 370 millions d’euros et plusieurs milliards d’euros par an pour la France ? Que devient-elle si l’on prend en compte l’impact des engrais azotés sur le climat, l’eau, les sols ? A-t-elle encore un sens si l’on omet de tenir compte des conséquences des pratiques agricoles sur les pollinisateurs et la fertilité des sols, dont nos cultures dépendent, et d’analyser leurs incidences sur l’emploi ou la qualité nutritionnelle des aliments ?
Nous interroger sur cette fameuse « compétitivité » devrait aussi nous conduire à évoquer les nombreuses subventions publiques, qui mettent le système agro-industriel sous perfusion : rappelons qu’à peine 1 % des 23,2 milliards d’euros de fonds publics versés chaque année ont un véritable effet sur la réduction de l’utilisation des pesticides.
Certes, nous ne pouvons pas nous affranchir en un jour du marché mondial et de ses règles, mais nous pouvons agir pour mettre fin aux accords de libre-échange, négocier des clauses miroirs et encourager à la fois une régulation des marchés et la relocalisation de notre alimentation.
Alors que de plus en plus de citoyens sont en situation de précarité et sont contraints de fonder leurs choix alimentaires sur les seuls prix, il est de notre responsabilité de garantir l’accès de toutes et tous à des produits sains et durables. À cet égard, le rapport de notre collègue Mélanie Vogel sur la sécurité sociale écologique du XXIe siècle, dont un chapitre portait sur l’alimentation, a permis d’esquisser quelques pistes.
Vous l’aurez compris, pour nous, la solution n’est pas de subventionner encore et toujours la supposée compétitivité d’un modèle agro-industriel à bout de souffle. Il nous faut, au contraire, garantir une véritable compétitivité, incluant l’ensemble des externalités, positives ou négatives, de nos systèmes agricoles.
Je veux insister ici sur la nécessité d’un modèle agricole qui tienne compte de cette notion de performance globale, en termes à la fois de production, d’emploi, de respect de l’environnement, de santé publique et de relocalisation. Je parle évidemment ici, cela ne vous surprendra pas, de l’agriculture biologique. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce mode de production, qui est en difficulté aujourd’hui, demeure pourtant plus que jamais compétitif. Il s’agit d’une production locale, consommée en grande partie localement, qui permet de stocker l’eau dans les sols lorsque nous en avons besoin, pratique indispensable à l’heure où nous faisons face à des sécheresses de plus en plus intenses.
En respectant la saisonnalité, l’agriculture biologique évite aux agriculteurs de chauffer leurs serres, ce qui n’est pas neutre au moment où explosent les prix de l’énergie. Elle leur permet aussi de se passer des engrais azotés, dont le coût a flambé. Ce mode de production est en définitive moins sensible à l’inflation et aux aléas géopolitiques.
Pourtant, face à un ralentissement de la demande, il semble que le Gouvernement ait fait le choix de laisser ce modèle porteur de solutions d’avenir dans la difficulté.
Car ce sont bien des politiques publiques inadéquates qui nous ont conduits à la situation actuelle. Je citerai notamment la promotion du label HVE, qui n’apporte pourtant aucune véritable garantie et qui entretient la confusion sur les atouts de l’agriculture biologique pour l’environnement et la santé.
Je pense aussi à la fin de l’aide au maintien dans le cadre de la nouvelle PAC et, donc, à l’absence de rémunération des services écosystémiques rendus par l’agriculture biologique. Il faut également mentionner le soutien minimal de l’État aux acteurs de la filière, en particulier au travers de l’Agence Bio, dont le rôle d’appui à la demande est pourtant primordial.
Je pourrais continuer longtemps. Aussi, je vous invite à consulter un rapport de la Cour des comptes pointant bien d’autres politiques qui n’ont cessé de pénaliser l’agriculture biologique ces dernières années.
Alors que – ce ne sont que quelques exemples – 489 millions d’euros d’aides à l’achat ciblées sur l’alimentation animale ont été débloqués dans le cadre du plan de résilience et que 270 millions d’aides d’urgence en faveur de la filière porcine conventionnelle ont été mis sur la table, rien n’a été fait pour soutenir l’agriculture biologique depuis un an.
M. Daniel Salmon. Aujourd’hui, nous constatons que de nombreux agriculteurs cessent de produire bio ou arrêtent leur activité, et que des outils de transformation se perdent. Devrons-nous demain importer du bio, parce que nous aurons laissé une filière entière se désorganiser ?
Ce soir, nous souhaitons vous interpeller, monsieur le ministre, sur la mise en place d’un plan de soutien pour l’agriculture biologique. Il est plus qu’urgent de mettre en œuvre tous les moyens pour aider cette filière, au travers notamment d’aides d’urgence à l’actif et d’un plan ambitieux de communication.
Une partie des financements destinés au développement du bio, comme les aides à la conversion ou le fonds Avenir Bio, pourrait a minima être orientée vers les entreprises et les exploitations en difficulté, dans l’attente de réponses plus structurelles. Le Gouvernement dispose d’une multitude de leviers : qu’attendez-vous pour les actionner ?
Confrontés à l’effondrement de la biodiversité – il est en cours ! –, allons-nous nous mettre la tête dans le sable durant quarante ans, comme nous l’avons fait face au réchauffement climatique ? Certains ici pensent peut-être qu’il y a encore beaucoup trop d’insectes. Ce n’est pas mon cas ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, vous avez abordé la notion de compétitivité sous un angle qui vous est propre.
En vous écoutant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser – pardonnez-moi, j’espère ne pas vous offenser – que c’est cette manière de voir les choses qui nous a mis dans la situation que nous connaissons actuellement en matière énergétique. En effet, on nous a longtemps expliqué que la solution passait par les énergies renouvelables, et pas par le nucléaire, sans pour autant nous dire un traître mot sur les moyens de parvenir à cette transition.
M. Ronan Dantec. Ce n’est pas vrai !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous venez de nous expliquer que la solution consistait à développer l’agriculture biologique et que ce mode de production réglerait tous les problèmes. Monsieur le sénateur, excusez-moi de le dire aussi clairement, mais je refuse que la France se retrouve dans une impasse du même ordre en matière de souveraineté alimentaire.
Il faut tirer la leçon de ce qui s’est passé ces dernières années. Cela ne signifie pas pour autant que je n’ai pas envie – ou qu’il n’est pas nécessaire – de soutenir l’agriculture biologique. Mais, par pitié, essayons de ne pas opposer les systèmes !
Le problème de l’agriculture biologique, c’est la demande. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Laurent Duplomb. Ah ça, oui !
M. Marc Fesneau, ministre. Vous aurez beau tourner le problème dans tous les sens, rien n’y fera ! Il faut se confronter aux réalités du marché et reconnaître qu’il n’est pas viable de produire des aliments dont les consommateurs ne veulent pas.
Il convient aujourd’hui de réfléchir à une meilleure définition des segments de marché. Cessons d’encourager la filière bio à produire en vain, et travaillons plutôt à trouver le moyen de la rendre attractive auprès des consommateurs. Sinon, on va droit dans le mur !
Monsieur le sénateur, nous ne sommes pas sur une île déserte et on ne peut pas se référer indéfiniment à la seule théorie économique. (M. Ronan Dantec s’exclame.)
Vous nous avez expliqué que la compétitivité devait se concevoir à l’échelon local. Je suis désolé, mais quand bien même nous serions sur une île déserte, nous vivons dans un monde où il faut bien nourrir les gens, c’est-à-dire les Français, bien sûr, mais aussi les hommes et les femmes qui vivent au-delà des frontières européennes – c’est dans notre intérêt.
Veillons à avoir les deux pieds dans le réel sur un tel sujet.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Marc Fesneau, ministre. En tant qu’élu de la région Bretagne, monsieur le sénateur, que me proposez-vous ? Me suggérez-vous de supprimer les aides à la filière porcine ou les aides conjoncturelles à l’achat, qui ont profité tant à l’agriculture biologique qu’à l’agriculture conventionnelle ?
On peut imaginer toutes les ruptures que l’on veut, mais, à un moment donné, il y a des réalités qui s’imposent. À l’heure actuelle, il nous faut encourager la transition écologique de l’agriculture – je l’assume parfaitement –, tout en évitant d’imposer un modèle unique qui nous place dans une impasse en termes de souveraineté. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Guillaume Gontard. C’est vous qui le faites !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. La réalité première, je vous le rappelle, monsieur le ministre, c’est l’état de la biosphère.
M. Daniel Salmon. Je suis effectivement élu de la région Bretagne, plus précisément du département de l’Ille-et-Vilaine, où seulement 3 % des masses d’eau sont de bonne qualité. Aujourd’hui, on est obligé de fermer certains ouvrages permettant le captage de l’eau, non pas parce qu’il n’y en aurait plus, mais parce qu’elle est devenue impropre à la consommation à cause du métolachlore et de l’inefficacité des plans antinitrates et anti-algues vertes qui se sont succédé année après année, sans résultat.
M. Daniel Salmon. On peut continuer à affirmer que le marché est au-dessus de la biosphère, mais je crois que l’on est en train de se faire rattraper par la patrouille !
Malgré toutes les alertes, celles du Giec notamment, je suis triste de constater que les rapports sur le climat ou la biodiversité s’empilent, et que l’on continue d’aller droit dans le mur…
M. Daniel Salmon. … au nom du sacro-saint marché (Mme la présidente de la commission s’agace.), qui trônerait au-dessus de tout le reste et qui serait une norme absolue !
J’estime que nous sommes déjà dans une impasse et qu’il est temps de se poser les bonnes questions. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec 70 milliards d’euros d’exportations dans les secteurs agricole et agroalimentaire, la France demeure un grand pays d’agriculture. Elle reste le principal producteur européen, loin devant l’Allemagne et l’Italie.
Pourtant, le rapport dont nous débattons ce soir dresse un constat alarmant : la ferme France serait en déclin.
Si nous pouvons être en désaccord avec un certain nombre de préconisations figurant dans ce rapport, je tiens néanmoins à reconnaître et à saluer sa grande qualité. De ce point de vue, je remercie les rapporteurs pour leur travail.
Cela étant, le rapport met en cause la montée en gamme promue par les pouvoirs publics. Elle mettrait en péril notre potentiel productif, rendrait l’alimentation d’origine française inaccessible aux plus modestes, sans pour autant favoriser son exportation, puisqu’on assisterait au contraire à une explosion des importations.
La France serait donc coupable d’avoir sacrifié la compétitivité de son agriculture à sa montée en gamme, coupable de privilégier la qualité de son alimentation à la quantité.
La question que ce rapport semble poser en filigrane est celle, dépassée selon moi, de l’arbitrage entre production de masse et production de qualité, quand il nous faudrait plutôt nous interroger sur les moyens de concilier ces deux objectifs.
Le secteur agricole est aujourd’hui au carrefour de nombreux enjeux, dont on ne peut faire abstraction.
En plus de devoir garantir la souveraineté alimentaire de notre pays, il doit répondre à une exigence croissante de qualité et s’orienter vers des pratiques plus durables et soucieuses du climat. Cela correspond à une attente sociétale forte que le monde agricole aussi bien que politique ne peut ignorer. Mais elle constitue également la condition de la survie et de la pérennité même de la ferme France.
Aussi, dissocier la question des volumes de production de celle de la manière de produire conduirait immanquablement à revenir sur les nombreuses transitions engagées, sans compter qu’en plus de sa compétitivité cela mettrait en péril notre modèle agricole lui-même.
Alors que les contraintes auxquelles sont confrontés nos agriculteurs sont déjà nombreuses, répondre à ces enjeux suppose, il est vrai, d’importants efforts de leur part qui, à défaut d’accompagnement, grèveraient considérablement leur compétitivité.
Car, si l’on demande aux agriculteurs de s’adapter et d’anticiper les bouleversements qu’engendre le changement climatique, c’est avant tout pour leur permettre de les surmonter.
La survie et la pérennité de notre modèle agricole sont au cœur de la politique du Gouvernement.
C’est notamment pour mieux protéger les agriculteurs face à ces changements et à leurs conséquences qu’a été engagée une réforme de l’assurance récolte. Ce sont près de 560 millions d’euros qui sont consacrés à sa mise en œuvre.
Accompagnés, les agriculteurs le sont aussi dans le cadre européen, un niveau qui leur permet non seulement d’emprunter la voie nécessaire des transitions, mais de le faire en préservant leur compétitivité. Un tel cadre sécurise financièrement ceux d’entre eux qui s’inscrivent dans cette démarche.
Je veux souligner, à titre d’exemple, le soutien apporté au développement de l’agriculture biologique par la nouvelle PAC, avec pas moins de 340 millions d’euros alloués en moyenne par an.
Plus largement, l’Union européenne contribue à établir les fondements d’une concurrence équitable entre ses États membres. La France, lors de sa présidence de l’Union européenne, en a profité pour faire de la question de la réciprocité des normes un impératif.
Le rapport dresse donc un bilan juste et sans appel des politiques menées depuis les années 1990, mais occulte le tournant pris depuis 2017 pour renforcer notre agriculture, soutenir nos agriculteurs dans leur transition et préparer la ferme de 2030.
Préparer la ferme France de demain implique d’investir.
Il faut tout d’abord investir pour innover. Avec les plans France Relance et France 2030, plus de 4 milliards d’euros sont dédiés à l’innovation.
Il convient aussi d’investir pour produire en quantité et en qualité : je pense évidemment aux 150 millions d’euros mobilisés dans le cadre du plan Protéines, mais également à la mise en œuvre du plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes, qui doit contribuer à une hausse de la production.
Préparer la ferme France de demain, c’est sécuriser les revenus agricoles et garantir des prix rémunérateurs à nos agriculteurs. Depuis les lois Égalim 1 et 2, nous faisons de la question du revenu agricole une priorité.
Préparer la ferme France de demain, c’est aussi veiller à l’accès de tous, dont les ménages les plus modestes, à une alimentation de qualité. Le « chèque alimentation durable » ou encore les dispositions adoptées dans le cadre de la loi Égalim et de la loi Climat et résilience vont dans ce sens.
Préparer la ferme France de demain, c’est enfin veiller au renouvellement des générations. Cela passe par la formation, le soutien à la transmission et à l’installation, car il n’y aura pas de ferme France sans agriculteur.
Face à ces nombreux chantiers, l’État, plus que jamais, se doit d’accompagner et de soutenir les acteurs dans leur transformation. C’est le sens de l’action que mène la majorité, aux côtés du Gouvernement.
Donc, oui au choc de compétitivité et au soutien aux exportations, mais sans pour autant revenir sur notre ambition, celle de favoriser une agriculture plus innovante, durable et performante. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)