Mme Patricia Schillinger. Face aux crises successives, les Français ont pu compter sur leurs élus locaux. Durant la crise sanitaire, ces derniers ont su, chacun à son échelon de compétence, faire la démonstration de leur détermination à garantir la santé et la sécurité de leurs concitoyens.
Toutefois, ces circonstances extrêmes ont également mis l’accent sur la complexité de notre millefeuille administratif et ont ravivé la question de notre organisation territoriale. L’enchevêtrement des compétences nuit en effet à la bonne compréhension par les citoyens de l’action publique, les en éloigne et constitue, in fine, un frein à l’efficacité de l’action.
Parallèlement, la constitution des grandes régions, en éloignant des territoires la prise des décisions, semble entrer en contradiction avec le besoin de proximité mis en lumière par la crise sanitaire.
Dans son discours de politique générale, la Première ministre a souhaité donner plus de poids aux élus locaux, de lisibilité à leurs compétences et de cohérence à leur action. Elle n’excluait pas, pour y parvenir, d’instaurer un conseiller territorial.
En Alsace, la mise en œuvre d’un tel conseiller aurait tout son sens. Véritable laboratoire de l’innovation territoriale depuis les premières lois de décentralisation, l’Alsace fait aussi figure de précurseur de la différenciation chère au Président de la République, puisqu’elle a créé la Collectivité européenne d’Alsace.
Le Gouvernement serait-il prêt à engager une réflexion sur la mise en œuvre de ce conseiller territorial dans le territoire alsacien ? À titre expérimental, avant son éventuelle extension au reste du territoire, ce conseiller exercerait, dans le périmètre alsacien, les compétences de la Collectivité européenne d’Alsace et de la région.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, vous m’interrogez sur la mise en place du conseiller territorial et, plus particulièrement, sur son application à la Communauté européenne d’Alsace, dans la région Grand Est.
Comme je l’indiquais précédemment au sénateur Martin, le conseiller territorial peut en effet conduire, selon son principe initial, à une plus grande proximité et à une plus grande complémentarité entre les départements et les régions. Il faut donc explorer cette piste d’organisation, afin que nos concitoyens gagnent en lisibilité, les collectivités en efficacité d’action et les élus en visibilité.
Des concertations seront conduites au cours de l’année 2023 avec les parties prenantes. Le Gouvernement a la volonté d’associer les territoires à cette réflexion importante pour notre organisation institutionnelle. Le calendrier et le format de cette concertation annoncée par la Première ministre seront précisés très prochainement.
L’Alsace et le Grand Est seront, au même titre que l’ensemble des départements et régions, pris en compte dans cette réflexion. Toutefois, l’objectif du Gouvernement est de mener une réflexion d’ensemble, et, à ce stade, aucune expérimentation n’est prévue.
Cela étant, je retiens votre proposition ; nous allons l’étudier.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Le droit à la formation des élus locaux est une condition du bon exercice des mandats, donc de l’action publique. C’est aussi une condition de la démocratisation des fonctions électives, dans un contexte de technicisation du gouvernement local.
La formation des élus locaux a connu des réformes : certaines utiles, d’autres guidées par la maîtrise des coûts. L’exercice de ce droit reste fragile, en raison de l’obligation de passer par la plateforme en ligne Mon compte élu, service inadapté qui a été mis en place en janvier 2022, sans aucune mesure transitoire et sans possibilité de communiquer avec une personne physique.
Le 25 octobre dernier, l’exercice s’est encore durci, avec la mise en place d’une authentification numérique renforcée, via FranceConnect+, pour accéder à Mon compte élu. Cette procédure découle de la réforme du compte personnel de formation (CPF) visant à lutter contre la fraude, mais elle représente un véritable parcours du combattant numérique pour des élus qui sont seuls face à leur écran. Certains d’entre eux ont déjà dû abandonner leur formation, faute de parvenir à créer leur nouvelle identité numérique…
Alors qu’un préavis avait été demandé, ce basculement a finalement eu lieu sans information préalable des élus locaux et sans délai, symptôme supplémentaire de la défiance existant entre l’État et les collectivités.
Depuis lors, le ministère a tenté d’apporter des solutions, mais la « plateformisation » du droit individuel à la formation des élus locaux (Dife) n’a pas entraîné de simplification et l’illectronisme ou les zones blanches constituent des facteurs aggravants. Le non-recours pourrait ainsi devenir la règle et priver les élus du bénéfice de la formation.
Après deux années de « surmobilisation » du Dife, le système de formation connaît une crise, en dépit de l’enjeu important de massification de la formation. Le rapport de gestion de la Cour des comptes dénombre 32 000 formations financées en 2021, contre 4 029 de janvier à fin août 2022…
Madame la ministre, qu’entendez-vous faire pour faciliter la formation des élus locaux ? Quelles améliorations envisagez-vous d’apporter à Mon compte élu, pour que ce service soit un service adapté et que les organismes de formation puissent accompagner les élus ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Kerrouche, c’est vrai, voilà près d’un an, le régime de formation des élus a connu une réforme d’ampleur ; il sera bientôt temps d’en tirer le bilan. Toutefois, les mesures prises ont d’ores et déjà permis de rétablir financièrement le système et d’aboutir à une modernisation des pratiques.
La plateforme Mon compte élu permet de mieux informer les élus, qui disposent dorénavant de l’ensemble des offres de formation, et de dématérialiser les procédures.
Tout dernièrement, il a fallu renforcer les mécanismes d’identification en ligne et, c’est vrai, il est désormais nécessaire de se connecter via FranceConnect+. Cette mesure était nécessaire pour éviter les fraudes à l’identité, dont le nombre allait croissant. Qui, dans cette enceinte, n’a pas été contacté par SMS ou par téléphone sur ce sujet ?
Mes services ont fait en sorte que l’accès à la formation des élus locaux ne soit pas restreint par ces nouvelles mesures. Nous sommes conscients du risque de fracture numérique qui peut exister dans ce domaine, comme, d’ailleurs, auprès de tous les publics.
C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un accompagnement spécifique des élus. Des téléconseillers ont été recrutés pour assister ces derniers dans leurs démarches, et La Poste offre désormais un service d’accompagnement, dans les bureaux de poste, dans les maisons France Services ou à domicile.
Nos contacts avec les associations d’élus et le secteur de la formation sont réguliers, afin d’entendre les difficultés qui pourraient se faire jour et d’améliorer les choses là où c’est nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Depuis quarante ans, des lois successives ont modifié en profondeur l’organisation territoriale des collectivités et les relations entre celles-ci et l’État. Ces lois ont connu leurs réussites, mais aussi, parfois, leurs échecs, liés à des erreurs d’échelle ou à des rigidités faisant obstacle à la bonne marche des territoires.
Dans le cadre de la loi NOTRe, on a clairement entendu donner la prépondérance au couple intercommunalité-région. Néanmoins, la récente crise sanitaire a rappelé à chacun que, sans remettre en cause le rôle essentiel de ces échelons territoriaux, la commune et le département constituaient bien des piliers indispensables pour répondre aux besoins de la population, dans la proximité.
Le Président de la République a annoncé un « nouveau chapitre de la décentralisation », tout en précisant : « La décentralisation, ce n’est pas de donner une compétence sans transférer la dynamique de financement qui va avec et les responsabilités, [ainsi que le pouvoir normatif] qui vont avec. »
Madame la ministre, sans préjuger des résultats de la concertation que vous avez annoncée et du travail conduit par le Sénat sous l’autorité du président Larcher, pouvez-vous nous exposer votre vision et celle du Gouvernement sur ce nouveau chapitre de la décentralisation annoncé par le Président de la République ? Comment verriez-vous vous-même cette nouvelle étape ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Bernard Delcros, vos questions sur le nouvel acte de décentralisation annoncé par le Président de la République sont nombreuses, mais il me semble difficile d’y apporter des réponses avant même que n’aient eu lieu les concertations et le dialogue avec les parties prenantes.
Le premier principe directeur qui s’impose est notre volonté d’apporter aux Français un service public meilleur, plus efficace, plus adapté à leurs besoins réels et sur l’ensemble du territoire. Nous devons cela à nos concitoyens.
La réflexion sur la décentralisation sera également guidée par le cap fixé par le Président de la République le 10 octobre dernier : la décentralisation doit allier les responsabilités, le pouvoir normatif et un financement dynamique. Il faut aller au bout de la logique et ne pas rester au milieu du gué, sinon nous courrons le risque de répondre imparfaitement aux attentes de nos concitoyens.
Ce travail doit être une œuvre collective. Tel est le sens de la commission transpartisane qui sera prochainement instituée. J’imagine que les sénateurs y prendront toute leur part. C’est également la dynamique enclenchée par le Conseil national de la refondation et ses déclinaisons territoriales et thématiques.
Les élus, ainsi que leurs associations, sont pleinement associés à ces travaux. Le Gouvernement y tient, surtout sur ces sujets potentiellement structurants pour notre organisation territoriale. La concertation est le fil conducteur de notre action, et ce partenariat avec les élus est incontournable, essentiel.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Madame la ministre, vous le savez, les élus locaux n’espèrent pas un big-bang territorial ; ils ont des attentes précises.
Le futur texte devra absolument répondre à leurs préoccupations : une plus grande souplesse dans la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, une différenciation accrue, notamment par rapport aux normes souvent coûteuses et inadaptées aux petites collectivités, un renforcement des échelons de proximité et des services de l’État dans les départements, et bien sûr des moyens financiers permettant aux territoires d’avancer et de réaliser leurs projets.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. En tant qu’élue locale, même si je ne suis plus maire, je partage votre analyse en faveur de la proximité, de la lisibilité et de la simplification.
Aussi, donnons tout son sens à la loi 3DS, avec une application territorialisée, qui permettra d’avancer au plus près des attentes des différents territoires, parce qu’il ne se passe pas la même chose dans les Bouches-du-Rhône et dans le Nord ou le Pas-de-Calais. Si l’on utilise bien la loi 3DS, on pourra enregistrer des avancées, dans l’intérêt des territoires.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la soutenabilité des finances départementales.
Cette soutenabilité est aujourd’hui rendue possible par des efforts de gestion poussés au bout de leur logique, non sans sacrifice, et par des recettes post-covid qui sont certes dynamiques, mais de façon tout à fait conjoncturelle.
Alors que, d’une part, ce gouvernement décide, après d’autres, de prendre des mesures entraînant une augmentation des dépenses des départements – revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) et du point d’indice, augmentations salariales diverses ou encore prime de feu – et que, d’autre part, le contexte économique se dégrade, avec notamment la hausse du prix de l’énergie et des matières premières, l’augmentation des taux d’intérêt fait peser une lourde menace sur une recette stratégique pour nombre de départements : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
Par ailleurs, il est établi que le marché de l’immobilier est cyclique et que les départements sont exposés aux évolutions de l’économie de façon procyclique.
Ainsi voit-on se profiler le redoutable effet de ciseaux bien connu, alors que les départements sont privés de tout levier fiscal pour affronter des difficultés que l’on espère conjoncturelles, comme ils ont pu le faire à la suite de la crise financière de 2008-2009.
Pourtant, les départements ont un rôle de cohésion nationale de première importance, au travers notamment de leur politique sociale et éducative, mais également des défis de la transition énergétique et du vieillissement de la population. Ils participent également au dynamisme de l’investissement public dans les territoires.
L’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, supprimé par le Sénat, illustrait malheureusement l’attitude regrettable du Gouvernement à l’égard des départements, car il mettait en place un système de surveillance et de sanctions en cas d’augmentation des dépenses de fonctionnement.
Je souhaite donc vous demander, madame la ministre, comment vous comptez sécuriser plutôt que fragiliser les finances départementales. Êtes-vous favorable à une loi de finances entièrement consacrée aux finances locales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Arnaud Bazin, vous m’interrogez sur la capacité financière des départements à faire face aux défis des années à venir.
Je tiens tout d’abord à saluer la bonne gestion financière des conseils départementaux, qui a permis à ces collectivités de commencer l’année 2022 dans une situation globalement positive.
En effet, au 1er janvier dernier, la capacité moyenne de désendettement des départements s’élevait à trois ans, en incluant pourtant le cas de Paris, où ce ratio s’élève – oserai-je le dire ? – à vingt et un ans… Cette situation a permis aux départements d’affronter le choc de 2022. Nous avons en outre constaté la poursuite de l’augmentation des DMTO et une forte hausse de la TVA.
Face à cela, les réformes structurelles lancées lors du quinquennat précédent et poursuivies sous le quinquennat en cours ont conduit à une amélioration du marché du travail, donc à une baisse du nombre d’allocataires du RSA. Cela représente autant de dépenses en moins pour les départements, même si les données fournies sont relatives au début de l’année 2022.
Peut-on pour autant affirmer que l’État n’a rien fait pour les départements ? Évidemment non.
La loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a consacré 120 millions d’euros à la compensation de la revalorisation du RSA pour les départements, et, pour ce qui concerne l’année 2023, ces derniers seront éligibles aux mesures prises contre la hausse des prix de l’énergie : l’amortisseur électricité s’appliquera automatiquement à leur facture d’électricité et le filet de sécurité sera étendu aux départements et aux régions, contrairement à ce qui s’est passé en 2022.
De manière plus spécifique, 160 millions d’euros du budget de la sécurité civile seront consacrés au financement des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), comme le Président de la République l’a annoncé la semaine dernière.
Ainsi, vous le voyez, les départements ne seront pas laissés pour compte, ce qui est d’ailleurs normal s’agissant d’une collectivité de proximité, au service des concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. En cette période budgétaire, il est indispensable de rappeler le rôle essentiel des collectivités pour nos concitoyens, quel que soit l’échelon.
Le contexte international de crise et son corollaire, l’augmentation des prix, notamment des matières premières et de l’énergie, affectent considérablement le budget des collectivités locales, dans l’Hexagone et outre-mer. Un rapport du Sénat, paru le 27 juillet 2022, mesure l’ampleur des conséquences de la crise énergétique pour les finances locales.
Selon l’Association des petites villes de France, l’augmentation des prix de l’énergie s’élève à plus de 50 %, ce qui affecte directement les dépenses locales. D’après l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ces hausses varient de 30 % à 300 %, selon les communes. Pour sa part, Intercommunalités de France estime que la facture énergétique des trois quarts des intercommunalités a doublé, triplé, voire, dans certains cas, quadruplé.
En ce qui me concerne, je considère qu’il est indispensable de prendre en compte les augmentations de prix que connaissent les différentes collectivités, particulièrement celles qui sont situées en outre-mer. À ce titre, il est également nécessaire et fondamental de valoriser le potentiel du mix énergétique en outre-mer.
En outre, il est proposé dans le rapport sénatorial l’institution d’un bouclier énergétique.
À cet effet, trois pistes sont suggérées : premièrement, la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement pour toutes les collectivités, fondée sur l’indexation sur l’inflation : deuxièmement, le retour à des tarifs réglementés de vente de l’électricité au bénéfice de toutes les collectivités, quelle que soit leur taille ; troisièmement, et enfin, le relèvement du plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui amortit la volatilité du marché.
Madame la ministre, sur la base de ces différentes propositions, quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre aux collectivités de poursuivre leurs politiques et, surtout, d’affronter les difficultés qu’elles rencontrent face à la crise énergétique et financière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la sénatrice Victoire Jasmin, vous m’interrogez sur la différenciation des territoires dans la prise en compte des hausses des coûts de l’énergie.
Face à l’augmentation de telles dépenses, plusieurs outils complémentaires sont disponibles. Naturellement, tous les territoires y sont éligibles, y compris dans les départements et régions d’outre-mer (Drom).
Parmi ces outils figurent les filets de sécurité de 2022 et de 2023. Le bouclier tarifaire, bien sûr, en est un autre ; les communes ultramarines, à ce titre, bénéficient toutes du tarif réglementé de vente.
En matière de recettes, les communes ultramarines profiteront également de la hausse de la DGF en 2023, laquelle sera renforcée par rapport à l’Hexagone du fait de l’augmentation de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer (Dacom).
En effet, conformément au projet de loi de finances, 2023 sera l’année d’achèvement du rattrapage de la Dacom. Ce rattrapage, estimé à 62 millions d’euros, a été entamé en 2020 ; il s’effectue par l’augmentation chaque année de la DGF à destination des Drom. Dans le PLF pour 2023, il est prévu que la Dacom soit augmentée d’environ 26 millions d’euros, soit 16 millions d’euros correspondant à cet effort de rattrapage et 10 millions d’euros à la progression automatique des dotations.
Tel est le complément d’information que je voulais vous apporter, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, les communes et les intercommunalités doivent faire face à une situation sans précédent. Mais j’ai l’impression que nous ne partageons pas les mêmes chiffres…
L’inflation, estimée à 5,5 %, atteint son niveau le plus haut depuis 1985. L’augmentation du point d’indice de 3,5 %, mesure nécessaire pour les agents territoriaux, représente 2,3 milliards d’euros. La baisse des dotations se poursuit avec le gel de la DGF depuis 2017. Et, depuis 2014, la baisse cumulée des dotations aux collectivités représente 46 milliards d’euros, ce qui a conduit à l’effondrement des investissements.
À cela s’ajoutent, dans le projet de loi de finances pour 2023, la suppression de la CVAE et le fameux pacte de confiance, lequel encadre les dépenses d’un grand nombre de communes.
Face aux conséquences de la crise économique, il est essentiel, pour maintenir l’offre de services à la population, ainsi que le pouvoir d’achat des ménages, de garantir la stabilité, en euros constants, des ressources locales. Avec une croissance annoncée à 1 % en 2023, l’urgence est de soutenir l’investissement public local, en particulier en accompagnant la transition écologique des transports et des logements.
Dans ce contexte, je partage la volonté de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) d’indexer la DGF sur l’inflation prévue pour 2023.
L’objectif est d’éviter une nouvelle réduction d’un montant de 800 millions d’euros des finances du bloc communal, de maintenir l’indexation des bases fiscales, de revoir les modalités de la suppression de la CVAE, de renoncer à tout dispositif d’encadrement de l’action locale de sorte à éviter une perte de 15 milliards d’euros, de réintégrer des opérations d’aménagement dans l’assiette du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), et de rénover les procédures d’attribution de la DETR et de la DSIL, afin que les élus prennent une part plus active dans les décisions.
Madame la ministre, quelles mesures proposez-vous pour redonner de la lisibilité, de l’efficacité et de la confiance aux maires et aux présidents d’intercommunalités, assurant ainsi l’autonomie fiscale et la libre administration des collectivités locales et territoriales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Boyer, je tiens d’emblée à vous indiquer qu’il n’y a pas de gel de la DGF. Pas du tout ! J’ai clairement annoncé aux différents sénateurs qui m’ont interrogée qu’une dotation de 320 millions d’euros était inscrite dans le projet de loi de finances. Au minimum, elle sera stable ; au maximum, elle représentera une augmentation de crédits pour les collectivités.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire, la DGF n’a pas connu de baisse, depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macon, contrairement à ce qui avait été le cas au cours du mandat de M. Hollande.
En outre, la suppression de la CVAE a été décalée et étalée sur deux années, à la demande des présidents d’associations d’élus, avec lesquels j’ai débattu de ce point. Elle s’accompagnera d’une compensation à destination des collectivités concernées, à savoir le bloc communal et les départements.
Cette compensation a fait l’objet d’échanges très constructifs avec les nombreux présidents d’associations d’élus. De fait, nous avons abouti à une solution qui leur convenait, c’est-à-dire une part dynamique de la TVA. Une telle solution permettra de rendre la compensation proportionnelle à l’arrivée d’entreprises au sein des territoires qui continuent à investir et à accueillir des activités.
Conformément à une autre demande des associations, nous prévoyons une compensation à l’euro près de cette part dynamique de la TVA, sur une période de référence suffisamment large pour lisser la volatilité de la CVAE, tout en prenant en compte l’année 2023. Cette année, l’État ne conservera pas un seul euro de la CVAE qui aurait dû être reversée en 2023. Je le répète : les collectivités ne connaîtront pas d’année blanche.
À la demande, je le précise, de l’ADF, l’Assemblée des départements de France, la CVAE sera territorialisée pour le bloc communal, selon un principe simple : une collectivité qui accueille plus d’entreprises aura plus de TVA. Pour ce qui concerne les départements, la CVAE sera forfaitisée.
L’autonomie des collectivités ne s’en trouve pas réduite. Le système de CVAE nationale, répartie selon des critères de territorialisation, est remplacé par un autre impôt national, et non par une dotation. Je rappelle que les taux de la CVAE ne pouvaient être modifiés ; à ce titre, je considère qu’elle relevait de la dotation.
La compensation, vous le voyez, nous semble juste et équilibrée. Elle répond à la méthode de travail que j’appelle de mes vœux entre les associations d’élus et le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Nous débattons aujourd’hui de la situation et des perspectives des collectivités territoriales. Elles sont particulièrement sombres, et les décisions gouvernementales que nous avons à examiner dans le cadre du projet de loi de finances ne sont guère porteuses d’éclaircies.
L’État a besoin de collectivités fortes, innovantes et réactives, tant pour répondre aux besoins du quotidien que pour relever les grands défis qui sont devant nous.
D’ailleurs, les élus locaux ont été en première ligne pendant la crise du covid-19. Au lendemain des confinements, ils ont encore répondu présent quand il fallait relancer l’économie par l’investissement. De même, face à la crise écologique, les collectivités sont fortement attendues. Les besoins d’investissements pour le climat sont estimés à 12 milliards d’euros par an jusqu’en 2030.
Enfin, il ne faut pas oublier leur rôle fondamental, jour après jour, pour faire vivre la cohésion sociale et l’engagement citoyen.
Les élus doivent répondre à ces injonctions avec des budgets toujours plus contraints. Outre l’explosion des prix de l’énergie, la hausse des prix des matières premières pèse sur leurs finances. De plus, l’inflation alimentaire se répercute fortement sur la restauration collective ; pour la seule restauration scolaire, le surcoût est estimé à 648 millions d’euros.
Dans de telles conditions, la suppression de services et d’emplois s’impose dans un nombre croissant de collectivités comme la seule solution pour boucler leur prochain budget. Aussi, l’État devrait déployer des mesures pour protéger les collectivités, comme il a su le faire pour préserver les entreprises face au covid-19.
Pourtant, de manière incompréhensible, vous aggravez une telle situation, madame la ministre, par la poursuite du désarmement fiscal des collectivités au travers de la suppression de la CVAE.
Après la taxe d’habitation, vous supprimeriez ainsi l’une des dernières recettes dynamiques des collectivités. Non seulement vous affaibliriez encore l’autonomie financière de ces dernières, mais vous décideriez de priver le pays d’une recette de 8 milliards d’euros, au moment même où vous appelez chacun à un effort de maîtrise des finances publiques.
Vous vous étiez félicitée, notamment dans cet hémicycle, d’une méthode renouvelée dans l’élaboration du volet territorial du PLF, passant par une démarche de coconstruction avec les associations d’élus. Une telle démarche est louable. Pourtant, il semble que le budget qui en ressort ne tient pas compte des principales attentes exprimées par les élus locaux.
Au-delà des moyens nécessaires pour fonctionner, les collectivités ont besoin d’une vraie relation de confiance avec l’État et d’une autonomie financière préservée. Plusieurs mesures de ce PLF tournent clairement le dos à cette attente légitime.
Aussi, qu’a retenu le Gouvernement de la concertation menée ? Vous a-t-elle conduit à de véritables inflexions ? Pourquoi avoir passé outre certains points fondamentaux ?