M. Julien Bargeton. Les masques tombent…
M. Olivier Paccaud. Si l’histoire et les conflits de mémoire sont au cœur de ce débat, leur dimension passionnelle ne doit pas nous faire oublier un principe essentiel, multiséculaire, qui a été rappelé précédemment : l’inaliénabilité de nos collections publiques. C’est ce principe qui, depuis l’édit de Moulins de 1566, préserve notre patrimoine des prédations étrangères et de l’impéritie des gouvernements.
Au sein de cet hémicycle, nous siégeons d’ailleurs sous le regard de Michel de l’Hospital, qui fut l’un des rédacteurs de l’édit de Moulins.
Inscrire dans la loi cette instance de réflexion contribuerait à consacrer ce principe et à s’assurer que la circulation des œuvres ne soit pas laissée à la seule discrétion d’un chef d’État dirigiste et peu scrupuleux du droit, malgré des arrière-pensées peut-être louables.
Lors des débats sur le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, les députés de la majorité reprochaient au conseil que nous souhaitons créer son caractère redondant. Ils estimaient également que sa création serait susceptible de complexifier les procédures. Mais c’est oublier que lesdites démarches sont à juste titre complexes, qu’elles imposent des échanges, des concertations et une réflexion prospective sur la manière dont notre pays doit se saisir de ces questions.
Une instance comparable existe d’ailleurs d’ores et déjà pour les questions relatives au patrimoine architectural. Depuis 2016, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture est obligatoirement consultée dans le cadre de projets d’aliénation d’immeubles protégés au titre des monuments historiques appartenant à l’État. Cette consultation ne fonctionne pas forcément bien, mais elle est prévue.
Outre ce conseil de réflexion, le cas particulier de la restitution des restes humains, cher à Catherine Morin-Desailly, n’est pas à négliger. Ce ne sont évidemment pas des biens culturels comme les autres : c’est pourquoi il appartient au législateur d’aménager et de faciliter les procédures les concernant. C’est à cette fin que le Parlement doit consentir, dans le cas précis des restes humains et sur la base de critères stricts, à ne pas être systématiquement consulté.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, cette proposition de loi a vocation à rappeler que nos choix en matière de circulation des biens culturels dépassent le champ diplomatique et les intérêts transitoires susceptibles de motiver la sortie d’une œuvre de nos collections publiques.
Aucune revendication mémorielle, nulle doléance communautaire ne doit déterminer, même partiellement, le sort de nos biens patrimoniaux. Le Parlement se devra toujours d’y veiller. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Lucien Stanzione applaudit également.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques
Article 1er
Le titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens
« Art. L. 117-1. – Le Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens a pour missions :
« 1° De donner son avis, avant toute réponse officielle de la part des autorités françaises, sur les revendications de biens culturels présentées par des États étrangers qui ne relèvent pas du chapitre II du présent titre et ne portent pas sur des restes humains. Il est saisi à cette fin par le ministère des affaires étrangères dès la réception d’une telle revendication. Son avis est rendu public ;
« 2° De fournir aux pouvoirs publics des réflexions prospectives et des conseils en matière de circulation et de retour des biens culturels extra-européens, hors restes humains. Il peut être consulté à cette fin par les ministres intéressés, ainsi que par les présidents des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ;
« 3° (nouveau) De formuler des recommandations sur la méthodologie et le calendrier des travaux consacrés à la recherche de provenance des biens culturels conservés dans les collections publiques.
« Il peut consulter toute personne susceptible de l’éclairer dans l’accomplissement de ses missions. Dans l’exercice de la mission mentionnée au 1° du présent article, il procède systématiquement à la consultation du personnel scientifique de l’État demandeur.
« Art. L. 117-2. – Le Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens comprend un nombre maximal de douze membres, dont au moins :
« 1° Trois représentants des personnels mentionnés à l’article L. 442-8 ;
« 1° bis (nouveau) Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’archéologie ;
« 2° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’histoire ;
« 3° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’histoire de l’art ;
« 4° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’ethnologie ou d’anthropologie ;
« 5° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière de droit du patrimoine culturel.
« Ses membres sont nommés conjointement par le ministre chargé de la culture et le ministre chargé de la recherche.
« Art. L. 117-3. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent chapitre. Il est pris dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. »
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Nous entrons dans l’examen du texte, mais, aucun amendement n’ayant été déposé, nous n’aurons pas l’occasion d’approfondir le sujet. À ce stade, je souhaite donc revenir sur la raison pour laquelle nous voulons la création de ce Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens.
Très sincèrement, madame la secrétaire d’État, faut-il attendre une loi-cadre ? Et au-delà du principe d’un tel texte, dont on peut discuter, combien de temps faudra-t-il ?
M. Pierre Ouzoulias. Cinq siècles ! (Sourires.)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Nous avons longuement auditionné Emmanuel Kasarhérou, qui conduit un certain nombre de recherches sur la provenance des biens culturels. Compte tenu de la faiblesse des moyens attribués à la recherche, il se pose la même question.
Si vous avez raison de soutenir les musées, madame la secrétaire d’État, nous nous étonnons qu’il n’ait pu recruter qu’une seule personne dans le cadre de ses recherches et que l’essentiel du travail ait été effectué par des vacataires et quelques boursiers de bonne volonté…
Dans l’intervalle, j’estime que nous devons nous doter d’une méthode nous permettant de répondre aux demandes. À défaut, le fait du prince s’exercera.
Si nous légiférons sur l’initiative du président de notre commission, c’est d’ailleurs parce que nous avons entendu le Président de la République se prévaloir du fait du prince lors de la cérémonie de restitution au quai Branly. Nous le prenons au mot et nous formulons immédiatement des propositions utiles à la Nation et à notre travail partagé.
En effet, que vous le vouliez ou non, cher Julien Bargeton, le fait du prince est une réalité. La restitution de biens à la République du Bénin et à la République du Sénégal a été décidée et annoncée avant même que le Parlement en ait débattu. N’ayant pas même été saisi, il n’a pu organiser de débat transparent devant la Nation.
Le sabre restitué n’est certainement pas le vrai sabre. Les représentants du musée de l’Armée nous l’ont dit : nous avons rendu un sabre qui n’est pas celui que l’on imagine ! De même, on sait bien que la prétendue couronne surmontant le dais de la dernière reine des Malgaches n’est pas un objet authentique. Nous en venons à mépriser les pays demandeurs – ils nous l’ont indiqué lors de nos auditions.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voulons instaurer ce conseil national : il permettra rigueur, transparence, collégialité et efficacité.
Mme le président. Mes chers collègues, je vous remercie de veiller au respect de votre temps de parole.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, vous avez indiqué que la France avait rendu au Bénin des biens de première importance. C’est faux : le bien de première importance que revendiquait le Bénin est la statue du dieu Gou, qui est restée au Louvre.
Vous nous avez expliqué, par une forgerie administrative, que c’est la demande du Bénin qui avait été mal formulée. Nous vous avons demandé la copie de cette requête, mais nous ne l’avons jamais obtenue.
Par ailleurs, nous apprenons à l’occasion de ce débat ce que nous n’avions pas compris lors de nos auditions : vous affirmez, madame la secrétaire d’État, que cette proposition de loi arrive trop tôt et qu’il faut d’abord définir une doctrine et un cadre. Autrement dit, vous considérez que le rapport Sarr-Savoy ne l’a pas déjà fait. Il eût été plus simple de nous le dire plus tôt : nous aurions ainsi pu travailler sur des bases beaucoup plus saines.
M. Max Brisson. C’est juste !
M. Pierre Ouzoulias. Vous confiez à M. Martinez le soin de s’engager dans un travail de fond. Mais avec quels moyens ? Vous n’avez nullement évoqué cette question. À ma connaissance, M. Martinez n’est assisté que d’un secrétaire. Que pourront-ils réaliser à deux ?
De plus, sans jeter le discrédit sur personne, j’estime qu’il serait beaucoup plus sage de mener un travail collégial.
Lorsque M. Martinez était président du Louvre, ce musée a reçu un don de 24 millions d’euros de l’Azerbaïdjan. Dans ces conditions, vous semble-t-il possible de lui confier l’instruction du dossier de restitution des crânes arméniens ?
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.
M. Max Brisson. Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué un « immense travail collectif » mené sur l’ensemble du quinquennat. Je le cherche ! Si ce travail existait, nous disposerions aujourd’hui d’une méthode, et nous n’en serions pas là.
Aux dires de Mme Bachelot, la loi sur la restitution du trésor d’Abomey, que vous avez longuement évoquée, était « une loi de circonstance », sans que la représentation nationale ait été éclairée sur ce point. Lors des débats, Mme Bachelot s’est évertuée à nous convaincre que chaque restitution devait être traitée au cas par cas. Or, par un véritable tour de passe-passe, vous en faites aujourd’hui je ne sais quelle loi fondatrice d’une méthode qui n’existe pas.
Le Sénat propose la création d’un conseil national, c’est-à-dire d’une institution permettant la transparence démocratique, car le retour des œuvres ne peut se faire en catimini.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
M. Max Brisson. L’éclairage scientifique public doit étayer la décision politique dans le cadre d’un débat public. L’origine des œuvres, leur conceptualisation artistique, leur parcours doivent être connus. Pour cela, une méthode est nécessaire : le conseil dont nous proposons la création peut l’établir. C’est pourquoi il est si déroutant que vous rejetiez cette proposition.
En tout état de cause, si une loi-cadre voyait le jour, la création d’un conseil similaire s’imposerait de même, peut-être sous une autre forme. Mais, au fond, ce que vous refusez, c’est que le Sénat en soit à l’origine.
M. Pierre Ouzoulias. En effet !
M. Lucien Stanzione. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Cet article 1er reprend l’article 3 du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal introduit par le Sénat, article qui avait fait l’objet d’un désaccord en commission mixte paritaire.
À l’issue de la discussion générale, que constate-t-on ? Que s’il y a un accord de l’ensemble des groupes – sauf du nôtre, qui s’abstiendra –, c’est pour des raisons totalement différentes, voire opposées.
En réalité, vous mettez la charrue avant les bœufs, car personne ne s’accorde sur les objectifs de cette commission : M. Dossus nous a ainsi expliqué qu’il fallait restituer le maximum d’œuvres, tandis que MM. Brisson et Paccaud ont exprimé leurs préventions et indiqué exactement l’inverse.
M. Max Brisson. Non ! Ne parlez pas à notre place !
M. Olivier Paccaud. Nous ne sommes pas contre les restitutions !
M. Julien Bargeton. Si ! Assumez vos propos, chers collègues.
M. Max Brisson. Vous faites des amalgames !
M. Olivier Paccaud. Vous interprétez !
M. Julien Bargeton. Non, je dis la réalité !
M. Max Brisson. C’est une pure invention et une provocation !
M. Julien Bargeton. Or, avant de créer cette commission, encore faudrait-il vous entendre sur la doctrine qu’elle doit appliquer.
Je sais bien que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, mais la réalité est qu’il n’y a pas d’accord dans cette assemblée sur les critères de restitution et que vous masquez cette absence par un accord sur l’établissement d’une procédure et la création d’un conseil.
À titre personnel, je ne suis pas opposé à ce que ce conseil national puisse servir de base à une loi-cadre ; c’est pourquoi je m’abstiendrai sur ce texte. Mais cela suppose d’avoir déterminé au préalable un cadre de doctrine et la composition de cette instance, car, comme vous le savez, le diable se cache dans les détails.
Ayons d’abord ce débat politique, au sens le plus noble du terme.
M. Max Brisson. Il faut que le Gouvernement prévoie les moyens nécessaires !
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
Cher collègue, je vous demande d’être bref, car vous avez déjà pris la parole sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, si le Gouvernement avait déposé des amendements, nous aurions eu un débat de qualité ! Nous sommes hélas contraints de débattre au travers de prises de parole sur les articles et d’explications de vote.
Je tiens toutefois à répondre à M. Bargeton. Nous pouvons avoir des appréciations différentes.
M. Julien Bargeton. Voilà ! Merci de le dire…
M. Pierre Ouzoulias. Mais ces appréciations ont été exprimées devant notre commission. En revanche, M. Martinez a refusé de nous indiquer la sienne.
M. Julien Bargeton. Nous aurons son rapport !
M. Pierre Ouzoulias. Dans ces conditions, comment pourrions-nous avoir un débat démocratique ?
L’institution d’un conseil national nous permettra de confronter nos différentes positions dans le cadre d’un débat démocratique, transparent et contradictoire. C’est pourquoi je préfère largement cette option à celle qui consiste à confier à M. Martinez le soin de trancher.
Je note qu’il est rare qu’un fonctionnaire refuse, ainsi qu’il l’a fait, de s’exprimer devant une commission parlementaire. J’estime que c’est un prélude à la suppression de l’École nationale d’administration, madame la secrétaire d’État : bientôt, les hauts fonctionnaires deviendront des affidés du Gouvernement et refuseront de s’exprimer devant le Parlement.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je voterai l’article 1er, mais, afin de purger définitivement ce débat, je tiens à affirmer clairement que je n’ai pas d’opposition aux restitutions.
M. Pierre Ouzoulias. Voilà qui est clair !
M. Max Brisson. Le président Chirac a été le fondateur du quai Branly ; il a tenu sur le dialogue des cultures des propos remarquables.
Quand je compare le travail accompli par le président Chirac et ses prises de position à ce qui se fait aujourd’hui, je puis vous dire que je n’ai pas honte, bien au contraire ! La formation politique à laquelle j’appartiens n’a donc aucune leçon à recevoir de vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et CRCE. – M. Lucien Stanzione applaudit également.)
Ayant affirmé clairement que nous ne sommes pas opposés aux restitutions, nous demandons l’instauration d’une méthode, afin de nous prémunir contre les postures idéologiques, c’est-à-dire pour que chaque œuvre soit considérée en fonction de son origine, de son mode d’appropriation, de son dépôt, de sa conceptualisation artistique et de son itinéraire, car elle le mérite.
Nous refusons d’agir sans méthode, car cela reviendrait à adopter une démarche globale réductrice de la vérité historique de chaque objet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. Vous voyez bien que ce n’est pas ce que dit M. Dossus…
Mme le président. Monsieur Bargeton, je vous prie d’éviter d’interrompre vos collègues et de demander la parole si vous souhaitez leur répondre.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. J’appelle l’ensemble de mes collègues à voter cet article 1er.
Au cours de nos auditions, nous n’avons pas eu la démonstration qu’il existait une véritable volonté d’avancer vers la définition d’une méthode.
La longue audition de M. Martinez fut un dialogue de sourds : il ne nous a rien dit ! Nous ne connaissons même pas le contenu de sa lettre de mission ; nous ignorons notamment si la question des restes humains y figure. Lui-même n’avait pas lu les rapports publiés par le Sénat depuis une dizaine d’années. Il n’avait connaissance – excusez du peu ! – ni de la question des restes humains ni des critères de restituabilité ni du travail de la Commission scientifique nationale des collections.
Emmanuel Kasarhérou nous a alertés sur la question des moyens : nous savons que l’État a ses contraintes budgétaires, et nous le respectons. Il faut donc trouver les voies et moyens d’une solution de rechange, et surtout d’une méthode susceptible de contenter chacun.
En définitive, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, que nous n’avons pas suffisamment évoqué aujourd’hui et qui partage la tutelle d’une majorité d’établissements, adopte souvent une position quelque peu plus nuancée, progressiste et subtile que celle du ministère de la culture.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Après la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :
« Section 3 bis
« Restes humains patrimonialisés
« Art. L. 112-23-1. – I. – Les corps humains ou éléments de corps humains, appartenant au domaine public mobilier au sens de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, cessent de faire partie des collections dès lors que sont réunies les conditions suivantes :
« 1° Il s’agit de restes humains dûment identifiés appartenant à des groupes humains encore vivants dont les cultures et les traditions sont actives ;
« 2° Les conditions de leur collecte ou leur présence dans les collections portent atteinte au principe de dignité de la personne humaine ;
« 3° Ils n’ont pas fait l’objet de recherches scientifiques depuis au moins dix ans.
« II. – Les restes des personnes mentionnés au I restent conservés dans les collections jusqu’à leur restitution éventuelle. Il est procédé à leur récolement et inscription provisoire sur un inventaire. Une copie de cet inventaire est adressée aux États d’origine de ces restes.
« L’autorité administrative dispose d’un délai de deux ans pour remettre aux intéressés les restes des personnes mentionnés au même I à compter de la date à laquelle leur restitution a été demandée par leur État d’origine ou, pour ceux d’origine française, par un groupe humain mentionné au 1° dudit I, sous réserve que leur retour :
« 1° Soit justifié au regard du principe de dignité et de respect de toutes les cultures, tel que protégé par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005 ;
« 2° N’ait pas pour objet leur exposition ;
« 3° S’inscrive dans un processus de coopération scientifique et culturelle avec l’État demandeur.
« III. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Cet article extrêmement important est l’aboutissement d’un travail de très longue date et de longue haleine.
J’ai un immense respect pour les experts de la Commission scientifique nationale des collections, en particulier pour les membres du groupe de travail de Michel Van Praët, qui ont travaillé aux critères de restituabilité de certains restes humains. Vous avez indiqué que leur travail était nébuleux, madame la secrétaire d’État. Il est au contraire très précis – je vous renvoie à l’excellent rapport établi par ce groupe de travail.
Vous avez également affirmé que nous n’avions pas auditionné certaines personnes, en particulier les représentants du Muséum national d’histoire naturelle. C’est faux : Michel Guiraud, directeur des collections du Muséum, faisait partie de ce groupe de travail. Toutes les parties prenantes ont donc bien été associées à ce travail d’établissement des critères de restituabilité.
Vous avez évoqué le critère d’un âge minimal. Je vous rejoins sur ce point. Nous avons d’ailleurs retenu ce critère de manière implicite, puisque le texte précise que les restes humains doivent appartenir « à des groupes humains encore vivants dont les cultures et les traditions sont actives ».
En tout état de cause, je ne comprends pas pourquoi le ministère s’est refusé à amender ce texte ; nous l’avons pourtant sollicité à plusieurs reprises en sens, car nous étions tout à fait disposés à améliorer ce travail. Or on le balaye d’un revers de la main.
J’estime cela d’autant plus déplorable que la mission d’information menée par le Sénat l’année dernière, pardonnez-moi de le dire, a permis de bien sérier l’ensemble des questions.
Cet article extrêmement important permettra de répondre à certaines demandes en souffrance depuis trop longtemps. Les pays qui nous les ont adressées méritent une réponse claire, nette et précise.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Nous avons longuement auditionné M. André Delpuech, conservateur au musée de l’Homme et fonctionnaire d’une intégrité absolue, dont je tiens à saluer le courage. En effet, lors de son témoignage devant notre commission, il nous a clairement décrit la situation actuelle, à savoir qu’environ 1 000 restes humains sont conservés au musée de l’Homme. Il l’a fait d’autant plus facilement que, aujourd’hui, il est mis à la porte, sans doute à cause de sa liberté de ton.
Il nous a confié l’effroi que provoquait chez lui, conservateur, la conservation d’un certain nombre de restes dans ces collections. Il nous a indiqué les risques diplomatiques immenses qu’une telle conservation emportait – je pense notamment aux crânes de cinq Arméniennes récupérés à Deir ez-Zor, sur le charnier du génocide de 1915. Comment peut-on conserver des choses pareilles ?
En 1894, Jaurès déclarait : « Nous en sommes venus au temps où l’humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné. » Je le paraphraserai pour ma part ainsi : « Nous en sommes venus au temps où nos musées ne peuvent plus conserver dans leurs placards les crânes d’Arméniennes assassinées lors du génocide de 1915. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – MM. Lucien Stanzione et Olivier Paccaud applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.
M. Max Brisson. Je m’associe pleinement aux propos d’une grande tenue de Pierre Ouzoulias. Le sujet est particulièrement sensible et il est urgent d’agir, car il n’est pas honorable de continuer d’exposer des restes humains dans nos musées.
Je souhaite également m’associer au coup de colère de notre rapporteure. Madame la secrétaire d’État, un travail remarquable a été mené sur le long terme, entre autres par Catherine Morin-Desailly ; il n’est ni convenable ni acceptable de le qualifier de « nébuleux » comme vous l’avez fait.
Alors que le cabinet du garde des sceaux, avec lequel nous avons échangé, a bien voulu nous permettre d’amender ce travail, le ministère de la culture, que vous représentez curieusement ce soir, a, pour sa part, affiché un mépris inacceptable à notre endroit.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. C’est scandaleux !
M. Max Brisson. Nos travaux – Pierre Ouzoulias a rappelé le cadre dans lequel nous les avons conduits – s’inscrivent dans le prolongement d’une longue réflexion menée par le Sénat. L’absence totale de prise de considération de nos travaux sur le sujet, alors qu’ils sont d’une grande importance, et le mépris affiché par le Gouvernement pendant les auditions en sont d’autant moins tolérables.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je souhaite remercier Catherine Morin-Desailly, qui porte ce sujet depuis de nombreuses années. Je félicite d’ailleurs Annick Billon d’avoir rappelé que, lorsqu’elle était adjointe déléguée à la culture au maire de Rouen, Catherine Morin-Desailly s’était déjà saisie de ce sujet et qu’elle avait entrepris une restitution. Cela devrait conduire à relativiser grandement les remarques qui ont été formulées précédemment.
Je remercie également Pierre Ouzoulias et Max Brisson.
Ce sujet d’une rare complexité doit être abordé avec beaucoup de sérieux et de modestie. En la matière, nulle simplicité et nulle facilité ne sont permises.
Les trois auteurs de cette proposition de loi nous proposent un texte d’équilibre. Le chemin n’est pas simple, mais, au travers des deux articles du texte, des réponses équilibrées sont apportées à la question de la méthodologie, ainsi qu’à celle de la spécificité des restes humains.
Je salue la qualité de leur travail, qui s’inscrit dans le cadre d’une réflexion de longue date menée par le Sénat, que ce soit au travers de la mission d’information conduite l’année dernière ou via des travaux entrepris antérieurement. Ce n’est pas pour nous flatter, madame la secrétaire d’État, mais je crois sincèrement que, sur ce sujet, le Sénat a un temps d’avance : au travers de cette proposition de loi, il apporte sa contribution à la réflexion collective.
Je me suis interrogé, avec les trois auteurs de ce texte, sur l’opportunité d’inscrire son examen à l’ordre du jour de notre assemblée en cette fin de session : fallait-il au contraire attendre quelques mois, afin de débattre de ce sujet dans le cadre d’une nouvelle session, peut-être avec une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale et certainement avec de nouveaux interlocuteurs ?