M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour explication de vote.
Mme Chantal Deseyne. Ce texte évoque, en creux, l’artificialisation des terres agricoles. Plusieurs d’entre nous se sont émus de la disparation des terres arables, certains évoquant des superficies de l’ordre de leur département. Or, avec ces amendements, on fait tout l’inverse ! Je m’étonne que, pour régler des conflits de voisinage ou d’usage, on retire ainsi des terres agricoles à l’agriculture.
Les agriculteurs sont d’ores et déjà soumis à une réglementation contraignante, relative par exemple aux zones enherbées ou aux horaires d’épandage des produits phytosanitaires.
Je ne voterai donc pas ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Attention, les dispositions de ces amendements identiques sont plus restrictives que les ZNT. En clair, on n’aura plus de conflits d’usage, parce qu’on ne pourra plus construire ! C’est un vrai sujet, j’attire votre attention sur ce point !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié ter, 2 rectifié, 3 rectifié bis et 6 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 221 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 6
Le chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un article 1244-1 ainsi rédigé :
« Art. 1244-1. – Ne sont pas considérés comme des dommages, au sens du présent chapitre, les troubles inhérents à l’exercice d’une activité régie par l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime causés à une personne occupant un logement dans le voisinage de l’exploitation donnant lieu à cette activité lorsque celle-ci était déjà exercée à la date à laquelle la personne a acquis son titre à occuper ce logement. En cas de changement de cette activité postérieure à cette date, ne sont pas considérés comme des dommages les troubles inhérents à l’exercice de la nouvelle activité n’excédant pas les troubles comparables causés par l’activité à laquelle elle a été substituée. »
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Cet article vise à exclure les troubles de voisinage liés à l’activité agricole préexistante du champ des dommages ouvrant réparation.
En effet, tous les sénateurs ruraux le constatent régulièrement, des nuisances ou des troubles de voisinage reconnus par la loi sont utilisés à l’encontre d’exploitations agricoles. Certes, la loi et la jurisprudence reconnaissent ce droit, puisque le code civil fixe le principe général de responsabilité du fait personnel.
La jurisprudence fixe certaines conditions à l’établissement de cette responsabilité. Par ailleurs, la Cour de cassation a fait naître, sur le fondement du droit de propriété, une théorie spécifique au cas particulier des troubles anormaux de voisinage. Ainsi, sous certaines conditions, le juge judiciaire accepte d’indemniser les nuisances considérées comme excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Sur le fondement de ce principe, on peut donc solliciter réparation, que l’on soit propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit. Contrairement à la responsabilité du fait personnel, le recours en indemnisation sur le fondement de troubles anormaux de voisinage n’exige pas la démonstration d’une faute quelconque.
Aujourd’hui, le juge fait droit à ces demandes d’indemnisation. Or l’urbanisation en périphérie et, plus globalement, l’avancée de la ville créent des situations nouvelles d’interface entre zones habitées et zones rurales.
Nous assistons donc à une forte augmentation mécanique des recours en indemnisation à l’encontre d’exploitants agricoles, afin d’obtenir réparation de dommages liés à l’activité agricole.
Ainsi ont pu prospérer des recours pour perte d’ensoleillement, enlaidissement du paysage consécutif à la construction d’un hangar agricole à proximité d’une résidence secondaire, perte de vue, présence d’insectes due à la proximité d’un troupeau, odeurs d’élevages ou encore bruit d’animaux ou de machines agricoles.
Bien heureusement, une exception de pré-occupation, bien que limitée par la jurisprudence, est prévue dans le code de la construction et de l’habitation.
C’est pourquoi je souscris pleinement à l’introduction d’une exception au principe de réparation, au bénéfice des nuisances liées à l’activité agricole préexistante, en insérant au sein du code civil un nouvel article traitant spécifiquement de cette question. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Si nous sommes sensibles à la question soulevée par cet article – la protection des agriculteurs face à de potentiels recours abusifs du voisinage contre leur exploitation –, nous estimons que la rédaction retenue et les conditions dans lesquelles est discutée cette disposition ne permettent pas de prendre une décision adéquate. C’est pourquoi nous proposons sa suppression.
En effet, l’article exclut les troubles liés à une activité agricole préexistante du champ des dommages ouvrant droit à réparation dans le cadre d’un recours des voisins. Sa rédaction est proche du droit existant, mais ne précise pas que les activités agricoles doivent s’exercer dans le respect de la réglementation en vigueur, ce qui semble plus que problématique.
En outre, si des recours abusifs ont pu être constatés sur ce sujet, le droit existant reste protecteur, via la reconnaissance de la pré-occupation. Comme l’a souligné la commission des affaires économiques, il convient d’être très vigilant quant à la réforme de cette disposition, dans la mesure où toute exonération de responsabilité en matière de troubles de voisinage touche à des principes constitutionnels forts.
La nécessité d’une telle vigilance a également été rappelée par le Conseil d’État, qui estime que l’état actuel du droit permet d’ores et déjà d’assurer une protection équilibrée des intérêts en présence et qu’il ne paraît pas nécessaire de modifier profondément les équilibres existants.
À nos yeux, la prise en compte de cet avis du Conseil d’État et la saisine de la commission des lois sur cette question auraient, à tout le moins, été souhaitables avant de réformer une telle disposition. Nous aurions également souhaité pouvoir nous appuyer sur le rapport prévu sur ce sujet par la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, mais qui n’a malheureusement pas été transmis à temps par le Gouvernement.
Sans ces préalables, la modification du droit existant nous paraît porter un risque de confusions ou de dérives, que les riverains ne pourraient plus contester.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 20 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 31 rectifié bis est présenté par MM. Cabanel, Requier, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Gold, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux.
L’amendement n° 44 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Le mot : « agricoles, » est supprimé ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment ou propriétaires d’un bien immobilier par des nuisances dues à des activités agricoles n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant, dès lors que ces activités s’exercent, le cas échéant, en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires applicables, et qu’elles se sont poursuivies sans changer de nature. »
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.
M. Pierre Louault. Il s’agit de compléter l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, en introduisant des évolutions spécifiques en matière d’agriculture, alors qu’il est fait référence à des coutumes.
Il est donc proposé d’introduire une exigence de conformité des activités agricoles avec la législation en vigueur.
Par ailleurs, l’exigence de poursuite des activités agricoles « dans les mêmes conditions » est assouplie, afin de permettre une évolution à la marge des pratiques agricoles liées, par exemple, à l’évolution des machines agricoles ou à la variation des cultures.
Il s’agit donc de faire évoluer le droit afin de le préciser.
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour présenter l’amendement n° 31 rectifié bis.
Mme Guylène Pantel. Cet article prévoit l’exclusion des troubles de voisinage liés à une activité agricole préexistante de l’ensemble des dommages ouvrant droit à réparation. Il s’agit de prévenir d’éventuels recours abusifs de la part de nouveaux arrivants à l’encontre d’agriculteurs préalablement installés et exerçant leur métier dans le respect de la réglementation.
L’article 113-8 du code de la construction et de l’habitation répond, dans une certaine mesure, à l’objectif visé par cet article, tout en précisant que les activités concernées doivent se poursuivre dans les mêmes conditions. Si une telle précision peut se comprendre pour les autres activités visées, qu’elles soient industrielles, commerciales ou touristiques, elle se justifie moins pour les activités agricoles qui évoluent sensiblement dans le temps.
Le présent amendement vise donc à modifier le droit en vigueur en créant une distinction entre les activités agricoles et les autres. Les éventuelles évolutions de l’exploitation agricole seront prises en compte dès lors que les activités demeurent de même nature.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 44.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Nous partageons bien évidemment le souhait d’éviter aux exploitants agricoles les recours parfois abusifs formés par les habitants nouvellement installés en zone rurale.
Cela semble aller de soi, le cas de l’occupant d’un bien se plaignant de désagréments liés à une situation préexistante n’est pas équivalent à celui d’un occupant se plaignant de désagréments de plus grande ampleur lorsqu’une exploitation a été significativement agrandie. Effectivement, un changement de nature ne présage pas d’un changement d’ampleur de l’activité, qui peut occasionner de graves dégâts.
Selon moi, ces amendements, en tendant à modifier le dispositif existant, posent plusieurs problèmes, notamment au regard du droit au recours, du droit de propriété et du droit de jouissance d’un bien.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 rectifié, 31 rectifié bis et 44.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 6 est ainsi rédigé.
Chapitre III
Dispositions diverses
Article 7
Au deuxième alinéa de l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, après le mot : « montagne », sont insérés les mots : « ou des zones de revitalisation rurale ». – (Adopté.)
Après l’article 7
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 21 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 45 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le troisième alinéa de l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Afin d’améliorer la cohérence et la lisibilité des travaux de la commission, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi n° du tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, dans chaque département, la commission élabore et publie des lignes directrices présentant ses orientations générales concernant les avis qu’elle rend en application du code de l’urbanisme ou du présent code. Ces lignes directrices précisent les critères à l’aune desquels elle évalue les projets d’autorisation d’urbanisme ou de documents d’urbanisme qui lui sont soumis ainsi que les motifs qui sont susceptibles de fonder des avis négatifs. Elles précisent en particulier l’application des critères d’incompatibilité avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière et d’atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. »
II. – Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux lignes directrices des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ce rapport analyse en particulier la cohérence, au niveau national, des lignes directrices élaborées, ainsi que les facteurs de différenciation locale retenus par chaque commission. Il formule des recommandations visant à améliorer la transparence, la cohérence, la territorialisation et la lisibilité des travaux des commissions.
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.
M. Pierre Louault. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 45.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement vise à faire émerger une forme de doctrine lisible et cohérente des CDPENAF.
Nous faisons souvent le constat d’une intervention trop tardive de ces commissions, d’un manque de lisibilité de leurs critères d’examen, voire d’une forte variabilité de leurs avis entre territoires ou entre dossiers. Tout cela contribue à dégrader l’acceptabilité de leurs décisions. Pourtant, elles jouent un rôle crucial pour la préservation des terres agricoles et des forêts françaises.
Je propose donc que, dans un délai de deux ans, chaque CDPENAF élabore ses lignes directrices, qui seront rendues publiques : elles expliciteront ainsi leurs critères d’examen des dossiers et les définitions qu’elles retiennent. Ensuite, un rapport du Gouvernement analysera l’ensemble de ces lignes directrices pour évaluer si des mises en cohérence sont nécessaires et si de bonnes pratiques peuvent être partagées.
Certaines CDPENAF ont déjà amorcé ce travail. Cet amendement vise à le généraliser et à l’approfondir, afin de permettre un dialogue plus apaisé entre les acteurs d’un territoire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 rectifié et 45.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7.
Article 8
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement.
(La proposition de loi est adoptée.)
15
Nouveau juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. Le scrutin pour l’élection d’un nouveau juge suppléant à la Cour de justice de la République pourrait se tenir le mardi 14 décembre, de quatorze heures trente à quinze heures, en salle des conférences.
Le délai limite pour le dépôt des candidatures à la présidence sera fixé au mardi 14 décembre, à douze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
16
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
17
Mise au point au sujet d’un vote
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Stéphane Sautarel. Lors du scrutin public n° 57, notre collègue Laurence Muller-Bronn souhaitait voter pour.
Mme le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
18
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici bientôt arrivés à la dernière réunion du dernier Conseil européen de l’année et, surtout, à la dernière réunion du Conseil avant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, une échéance majeure pour notre pays et, je l’espère, pour l’Union européenne. Le Président de la République aura l’occasion de présenter en détail, dès demain, les grandes priorités de cette présidence.
Dans l’immédiat, quatre sujets principaux mobiliseront les chefs d’État et de gouvernement pour la réunion de décembre : la crise sanitaire et la nouvelle vague pandémique qui frappe, notamment, l’Europe ; la gestion des crises de manière générale, au-delà de cet enjeu de court terme ; la hausse des prix de l’énergie, qui demeure une préoccupation centrale en Europe ; et les enjeux de sécurité et de défense, combinés à plusieurs questions de politique internationale, comme c’est l’usage lors de ces réunions. À cet égard, je précise qu’il sera adossé à ce Conseil une réunion de ce que l’on appelle le « partenariat oriental », qui réunit des représentants de l’Union européenne et de six pays de notre voisinage oriental.
En premier lieu, cette réunion du Conseil européen sera l’occasion de faire un nouveau point nécessaire sur la situation sanitaire, qui s’est dégradée partout sur notre continent au cours des dernières semaines, imposant une nouvelle évaluation des modalités de réponse à l’épidémie de covid-19.
Face à cette cinquième vague, nos priorités sont bien identifiées et, je crois pouvoir le dire, la coordination européenne, forte des leçons tirées des précédentes vagues de covid-19, s’est améliorée.
Il s’agit, tout d’abord, de coordonner les mesures de restriction à la libre circulation ou de contrôle, en garantissant leur caractère proportionné au sein de l’Union européenne. Plus précisément, il sera nécessaire de veiller à l’articulation du délai de validité du certificat numérique européen avec nos règles nationales. En effet, différents modalités et calendriers d’accès à la troisième dose ont été définis par les pays européens – il pouvait difficilement en aller autrement – et, comme plusieurs pays européens, dont le nôtre, font désormais de cette dose une condition de prolongation de la validité du passe sanitaire, nous cherchons à harmoniser les modalités de ce passe commun, qui est une réussite, afin que celui-ci ne devienne pas, à nouveau, une source de fragmentation pour les déplacements, en particulier, de nos travailleurs transfrontaliers.
La Commission européenne a ainsi proposé que la durée maximale de validité des certificats passe à neuf mois : six mois après la vaccination complète, avec trois mois de marge accordée aux États membres pour imposer ou non une plus ou moins grande restriction d’accès.
Il importe, ensuite, de renforcer la couverture vaccinale, en ciblant les personnes qui n’ont pas encore été vaccinées et en généralisant, comme nous le faisons partout en Europe, avec un approvisionnement significatif, les doses de rappel.
Enfin, plus que jamais, il est essentiel de poursuivre, dans le cadre de la solidarité collective européenne, nos objectifs en matière d’accès mondial au vaccin. Nous le savons, nous sommes loin du compte. Néanmoins, je l’ai dit la semaine dernière ici même, c’est l’Europe qui porte ces dons et exportations de vaccins, au travers notamment, mais pas seulement, du mécanisme Covax.
La Commission européenne a ainsi proposé, voilà quelques jours, de rehausser l’objectif de dons collectifs de l’Union européenne et de ses États membres, avec 700 millions de doses données, d’ici à mi-2022, à certains pays, notamment africains. Je le rappelle, au-delà des dons, l’Europe est aujourd’hui le premier exportateur avec déjà plus d’un milliard de doses exportées à l’extérieur de notre marché, soit 50 % de notre production, ce qui est unique parmi les grandes régions de production du monde.
Cette actualité, celle de la crise sanitaire qui demeure, nous engage, plus que jamais, à mieux penser, pour l’avenir, la gestion européenne des crises, de toutes les crises ; cela constituera notre deuxième thème de discussion.
Depuis le début de la crise sanitaire et économique, le modèle européen s’est montré puissant et protecteur, tant sur le plan budgétaire que pour ce qui concerne notre cadre commun d’achat des vaccins, mais nous devons en tirer des leçons de réactivité et d’efficacité.
À cet égard, les conclusions adoptées fin novembre par le conseil des affaires générales de l’Union européenne, qui réunit les ministres des affaires européennes, identifient plusieurs pistes d’action, de la création d’instruments de planification au renouvellement de structures existantes. Je pense notamment, en matière de recherche et de préparation sanitaire, à l’HERA, la future Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, qui permettra de doter l’Europe, au cours des prochains mois – nous en discuterons pendant la présidence française – d’une autorité de réaction aux urgences sanitaires et d’accélération de nos innovations en matière de recherche.
Je sais qu’une proposition de résolution européenne à ce sujet a été déposée, au nom de la commission des affaires européennes, par Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey. Cette nouvelle instance, pour peu qu’elle soit dotée de moyens suffisants, ce à quoi nous veillerons, sera déterminante pour mieux armer l’Union européenne face aux urgences de santé publique.
Autre sujet d’actualité qui fera l’objet de discussions lors de la réunion du Conseil européen du 16 décembre : la hausse des prix de l’énergie, qui appelle, conformément à l’engagement pris en octobre, à un échange entre les chefs d’État et de gouvernement et à une évaluation des mesures à prendre ou à coordonner à court et moyen termes.
Dans l’immédiat, partout en Europe, il importe d’atténuer au maximum l’impact de la hausse tarifaire des prix du gaz, de l’électricité et des carburants pour les ménages les plus modestes. Comme l’a proposé la Commission européenne, nous procédons à une analyse approfondie et objective du fonctionnement ou des dysfonctionnements des marchés européens de l’électricité et du gaz.
Je le répète, ce serait une erreur, selon moi, de casser le marché unique que nous avons patiemment construit. En effet, le fait d’avoir un prix unifié est une bonne chose, notamment pour les producteurs énergéticiens français. Cela permet de financer en partie nos mesures de soutien au pouvoir d’achat. Toutefois, nous devons, comme l’a indiqué M. le ministre de l’économie, mieux travailler pour que nos dispositifs de régulation, qui ne doivent pas être démantelés, soient plus réactifs, afin que, dans les périodes de crise comme celle que nous vivons, nous puissions prendre les mesures de soutien nécessaires en faveur des plus modestes.
Plus largement, nous devons procéder, nous le savons, à une transformation structurelle de nos économies. C’est toute l’ambition du paquet Fit for 55 – veuillez me pardonner l’anglicisme –, que nous devrons faire avancer sous la présidence française de l’Union européenne.
Autre domaine dans lequel l’Union doit se fixer des lignes de projection et qui fera l’objet de discussion au cours de cette réunion du Conseil : la sécurité et la défense.
La « boussole stratégique », dont le projet a été présenté par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, doit répondre à cette nécessité. Il s’agit d’une sorte de livre blanc européen définissant notre stratégie, l’analyse de nos menaces et nos grandes priorités en matière de sécurité comme de défense.
Une délégation conduite par le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon, s’est d’ailleurs rendue récemment en Pologne afin d’échanger notamment sur les sujets et les enjeux de sécurité et de défense dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne ; je veux saluer ces travaux du Sénat. Cette mobilisation est essentielle pour assurer le succès de notre présidence, qui passera par une discussion opérationnelle entre les chefs d’État et de gouvernement sur la cybersécurité ou la définition de zones d’actions prioritaires pour l’Europe, entre autres priorités concrètes.
Le Conseil européen fixera d’ores et déjà, lors de sa réunion du mois de décembre, les orientations politiques à suivre sur le fondement du premier projet de boussole stratégique présenté le 9 novembre dernier. Ce sera la première fois que l’Europe se dote d’une stratégie commune de sécurité et de défense à vingt-sept. Une telle initiative est la condition d’un certain nombre d’avancées concrètes en matière budgétaire et capacitaire : si nous ne pensons pas la même chose, il y a peu de chances que les ambitions qui sont les nôtres sur le terrain des interventions extérieures, création d’une force commune ou autre, puissent elles-mêmes prospérer.
Nous devrons porter une attention particulière, dans ce cadre, à notre voisinage immédiat, et notamment à l’Afrique, à laquelle notre stabilité de long terme est intimement liée, mais aussi à l’espace indo-pacifique. Pour ce qui est de la coopération avec ce dernier, c’est la France qui, avant même l’affaire dite des sous-marins, a promu l’idée d’en faire une priorité européenne ; une première stratégie en ce sens a été présentée au mois de septembre.
Nous discuterons également – je l’évoquais d’un mot – de notre stratégie en matière de cybersécurité, domaine dans lequel une action commune européenne, réduisant notre dépendance à l’égard des actions américaines, est indispensable et gage d’efficacité.
Toujours au chapitre des discussions sur les enjeux internationaux et de sécurité, le Conseil européen fera de nouveau un point sur la question migratoire, en se focalisant tout particulièrement sur la situation organisée depuis l’été par le régime biélorusse : une attaque migratoire délibérée instrumentalisant les migrants et s’appuyant sur des réseaux de passeurs.
Les chefs d’État et de gouvernement en discuteront la semaine prochaine, mais on peut d’ores et déjà affirmer – les pays concernés, comme la Pologne, le disent eux-mêmes – que ce sont des actions européennes, des mesures que nous avons prises, qui ont permis d’atténuer fortement cette pression exercée sur l’Union, donc l’impact de la crise : suspension de vols, sanctions supplémentaires ciblant non seulement les individus liés au régime de M. Loukachenko, mais aussi les entités, qu’il s’agisse de compagnies aériennes ou de sociétés liées à l’organisation de ce trafic délibéré.
Nous avons aussi, nous le savons, nos propres difficultés. Nous avons vécu nos propres drames, comme celui qui a coûté la vie à vingt-sept personnes voilà quelques jours dans la Manche. Cela montre aussi que sur ce sujet une coopération européenne est indispensable pour partager le renseignement et démanteler les filières de passeurs. Tel fut l’objet de la réunion organisée par le ministre de l’intérieur à Calais juste après ce nouveau drame.
La crise biélorusse, que je mentionnais, sera l’un des sujets de politique internationale évoqués lors de cette réunion du Conseil européen.
Je l’ai dit, nous avons réussi à mener une action commune qui a contribué à la désescalade. J’évoquais aussi le dialogue avec les pays tiers, notamment la Russie ; nous devrons tenir cette ligne de fermeté commune en réfléchissant, d’ailleurs, à d’autres modalités de sanctions éventuelles pour les mois à venir.
Nous devrons par ailleurs, concernant la question migratoire, ouvrir d’autres dossiers, qui seront autant d’objets importants de la présidence française de l’Union européenne, à commencer par la réforme de Schengen. La Commission en a présenté quelques grands axes aujourd’hui ; il s’agit d’assurer une meilleure protection de nos frontières partagées, dans le respect de nos règles comme de nos valeurs, par le biais d’une police aux frontières commune.
Là encore, la voie européenne est certes difficile, mais c’est la seule possible si l’on veut être efficace.
Le chapitre consacré aux affaires internationales étant copieux, la prochaine réunion du Conseil européen sera également l’occasion de préparer une rencontre importante pour l’Europe sous présidence française : le sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, qui sera organisé en février prochain.
Ce sommet, longtemps repoussé à cause de la pandémie, doit être l’occasion d’un renouvellement de notre regard sur l’Afrique et, partant, du partenariat entre nos deux continents, sur une base de réciprocité. Je rappelle que l’Union européenne reste, malgré l’essor d’autres influences étrangères, le premier partenaire de l’Afrique à tous les niveaux : en matière de développement comme dans les domaines commercial, sécuritaire, humanitaire ou sanitaire, je l’indiquais en parlant des vaccins.
Nous veillerons à ne pas centrer exclusivement notre agenda commun sur les questions de sécurité et de migration, bien que celles-ci restent évidemment importantes ; à cet égard, trois impératifs s’imposent : la prospérité, la mobilité, la sécurité globale. C’est ce qui devra ressortir de la déclaration politique que nous préparons en vue de ce sommet.
Pour conclure, je mentionnerai d’un mot une autre question internationale susceptible d’être abordée lors cette réunion du Conseil européen : celle de l’Éthiopie.
Alors que la situation sur le terrain continue d’évoluer de manière préoccupante et sans qu’un camp prenne le dessus sur l’autre par les armes, nous continuerons d’appuyer tous les efforts engagés pour parvenir à un cessez-le-feu. Les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement confirmeront leur soutien à la médiation du haut représentant de l’Union africaine pour la Corne de l’Afrique, M. Obasanjo. Nous soulignerons sans doute que l’utilisation des sanctions demeure une option là où il s’agit de parvenir à un règlement politique de cette crise, à condition bien sûr d’éviter tout effet secondaire contre-productif.
Voilà ce que je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce stade – et à cette heure tardive –, de la réunion à venir du Conseil européen. Vous savez que celui-ci peut adapter son agenda à d’éventuelles situations d’urgence. Pour le reste, c’est-à-dire pour la prochaine réunion ordinaire, il nous faudra attendre fin mars 2022. C’est la France qui exercera alors la présidence du Conseil de l’Union ; c’est à cette occasion que nous adopterons la boussole stratégique que je mentionnais. Nous aurons tout le loisir d’échanger, en vue de cette échéance importante, sur les priorités que j’ai rappelées et que le Président de la République détaillera encore davantage.