Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Loïc Hervé, Daniel Gremillet.
2. Hommage à Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais
3. Questions d’actualité au Gouvernement
diplomatie française et vente d’armes
M. Guillaume Gontard ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Guillaume Gontard.
M. Jean-Pierre Decool ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
situation du secteur de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel
Mme Pascale Gruny ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Pascale Gruny.
avenir de la nouvelle-calédonie après le référendum
M. Philippe Folliot ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
approvisionnement en vaccins contre la covid-19
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie-Claude Varaillas.
M. Bernard Buis ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
violences lors du meeting d’éric zemmour
M. David Assouline ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
garantie de financement des hôpitaux
Mme Véronique Guillotin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Véronique Guillotin.
organisation de la campagne de vaccination
Mme Chantal Deseyne ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Chantal Deseyne.
M. Serge Mérillou ; Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
M. Laurent Lafon ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Laurent Lafon.
M. Jean-Marc Boyer ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Jean-Marc Boyer.
difficultés de l’entreprise ferropem
Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Béatrice Gosselin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
accompagnement des enfants handicapés hors temps scolaire
M. Jean-Pierre Moga ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
4. Mise au point au sujet de votes
5. Remplacement d’une sénatrice décédée
6. Communication d’un avis sur un projet de nomination
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Candidature à une commission mixte paritaire
9. Accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission des affaires sociales
10. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire géorgienne
11. Accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer. – Suite de la discussion et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er, 2, 2 bis, 2 ter et 2 quater – Adoption.
Adoption de l’article.
Article 4 (suppression maintenue)
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
12. Favorisation de l’habitat en zones de revitalisation rurale. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi
Mme Valérie Létard, rapporteure de la commission des affaires économiques
13. Souhaits de bienvenue d’une délégation parlementaire turque
14. Favorisation de l’habitat en zones de revitalisation rurale. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 rectifié de M. Sebastien Pla. – Rejet.
Amendement n° 23 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 8 de Mme Viviane Artigalas. – Rejet.
Amendement n° 24 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Viviane Artigalas. – Rejet.
Amendement n° 10 de Mme Viviane Artigalas. – Rejet.
Amendement n° 11 de Mme Viviane Artigalas. – Rejet.
Amendement n° 15 rectifié de M. Christian Redon-Sarrazy. – Rejet.
Amendement n° 28 rectifié de M. Henri Cabanel. – Rejet.
Amendement n° 37 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 36 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Nadia Sollogoub. – Retrait.
Amendement n° 40 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 25 rectifié de M. Rémi Cardon. – Rejet.
Amendement n° 29 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Amendement n° 30 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Amendement n° 42 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 43 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 32 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié de Mme Nadia Sollogoub. – Retrait.
Amendement n° 13 de Mme Viviane Artigalas. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 33 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
15. Nouveau juge suppléant à la Cour de justice de la République
16. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
17. Mise au point au sujet d’un vote
18. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères
M. Dominique de Legge, vice-président de la commission des finances
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes
19. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Loïc Hervé,
M. Daniel Gremillet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec émotion que le président Marseille et moi-même avons appris hier matin le décès de notre collègue Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)
Maire de Fréthun pendant vingt-deux ans, elle a mis toute son énergie et sa générosité au service de sa commune.
Conseillère régionale des Hauts-de-France, cette cheffe d’entreprise fut une défenseure passionnée du Calaisis. Catherine Fournier s’est pleinement impliquée dans la vie démocratique de son département et de sa région, aux côtés de Xavier Bertrand.
Cette femme de conviction devint sénatrice lors du renouvellement de 2017. Membre du groupe Union Centriste, elle est restée jusqu’au bout fidèle à son idéal humaniste et à son engagement au service des autres.
Durant les quatre années qu’elle a passées à nos côtés, sur le fauteuil situé juste en face de moi, Catherine Fournier a éclairé la commission des affaires sociales, la commission des affaires européennes, puis la commission des affaires économiques, par sa connaissance des dossiers. Elle présida la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (Pacte) avec la plus grande rigueur. Je suis certain que, comme moi, les membres de la conférence des présidents conservent le souvenir de ses interventions, marquées à la fois par l’expérience et le pragmatisme. De même, je me souviens du débat que nous avions eu sur l’examen de certains articles de ce texte selon la toute nouvelle procédure de législation partielle en commission. Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je pense que vous vous en souvenez également. (M. le ministre chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne acquiesce.)
Aux côtés de Michel Forissier et de Frédérique Puissat, notre collègue fut l’auteure d’un rapport d’information sur le droit social applicable aux travailleurs des plateformes, lequel marqua le Sénat par sa qualité.
Son sens politique, conjugué à son sérieux et à sa gentillesse, a marqué tous ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés. Elle s’est battue avec un courage incroyable contre la maladie, donnant en quelque sorte sens à l’espérance. Elle fut accompagnée avec tendresse et dévouement par son époux, sa famille et ses collègues.
Je me souviens d’un échange récent que j’ai eu avec elle au téléphone : elle me parlait des travaux de notre assemblée alors qu’elle partait une fois encore suivre le protocole de traitement.
Au nom du Sénat tout entier – et bien au-delà –, j’exprime notre sympathie et notre profonde compassion à son époux, à ses enfants, à ses proches, au président et aux membres du groupe Union Centriste, ainsi qu’à tous ses collègues qui l’ont connu en commission.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, observent une minute de silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif à respecter, au cours de nos échanges, l’expression des uns et des autres, ainsi que son temps de parole.
diplomatie française et vente d’armes
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, la diplomatie française est particulièrement active ces derniers temps.
Elle s’active non pas, hélas ! pour négocier un accord ambitieux pour le climat ; pour lever les brevets des vaccins afin d’en finir avec la pandémie ; pour promouvoir les droits humains et obtenir la libération de prisonniers politiques comme Ramy Shaath, qui est emprisonné en Égypte depuis près de neuf cents jours ou pour s’opposer à la nomination d’un tortionnaire à la tête d’Interpol.
Non, la France s’active pour réhabiliter sur la scène internationale le prince saoudien assassin Mohammed Ben Salman ; pour vendre des Rafales à l’Égypte et aux Émirats arabes unis, qui serviront notamment à moderniser les bombardements de civils au Yémen.
La France s’active pour participer aux préparatifs de la Coupe du monde en 2022 au Qatar, tout en fermant les yeux sur les 6 500 ouvriers esclaves morts sur les chantiers de ces stades pharaoniques à usage unique.
La France s’active encore pour transmettre à l’Égypte des renseignements militaires, qui ont entraîné dix-neuf bombardements et la mort de milliers de civils. Quand l’alerte est lancée par un média indépendant, que fait la France ? Elle porte plainte pour violation du secret de la défense !
La France s’active pour honorer du plus haut grade de la Légion d’honneur le président al-Sissi pour l’ensemble de son œuvre de piétinement des droits humains.
Monsieur le Premier ministre, la France met aujourd’hui en œuvre une realpolitik cynique à l’efficacité douteuse, sur laquelle le Parlement est mal informé et peu consulté, s’agissant en particulier des ventes d’armes sur lesquelles votre gouvernement se targuait pourtant d’avoir amélioré la transparence.
Ma question est simple : notre diplomatie, longtemps fer de lance d’une politique qui se voulait humaniste, n’a-t-elle désormais pour fonction que de rééquilibrer notre balance commerciale, quoi qu’il en coûte ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de m’associer, au nom du gouvernement de la République, à l’hommage que vous venez de rendre à Mme Catherine Fournier.
Monsieur le président Gontard, c’est peu dire que je ne partage pas l’appréciation que vous portez sur le récent contrat signé par l’entreprise Dassault. (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido s’en amusent.)
Je rappelle à la représentation nationale que notre politique d’exportation d’armes, sur laquelle portait votre question, est un pilier de notre diplomatie et de notre politique de défense et qu’elle fait partie intégrante de la réponse globale de la France aux enjeux sécuritaires.
Cher président, vous avez surtout omis de rappeler que cette politique d’exportation s’inscrit dans un cadre normatif national et international. Elle est conforme à nos engagements internationaux en matière de maîtrise des armements, de désarmement, de non-prolifération, de régulation du commerce des armes et d’interdictions relatives à certaines armes ou destinations, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies.
Dois-je vous rappeler que la France a été l’un des tout premiers pays à ratifier le traité sur le commerce des armes ? Je pense aussi à la position commune 2008/944 de l’Union européenne définissant les règles régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. Là encore, la France a été à l’initiative !
Dois-je vous rappeler également – surtout ici au Sénat ! – que le Gouvernement a porté la plus grande attention aux travaux conduits par Jacques Maire et Michèle Tabarot sur les exportations de matériels de guerre et de biens à double usage ?
Nous avons adopté une série de mesures pour améliorer encore notre système de contrôle des exportations, afin de renforcer l’information apportée par le Gouvernement au Parlement. Il s’agit d’offrir une vision d’ensemble des priorités gouvernementales dans le domaine du contrôle des exportations des matériels de guerre et des biens à double usage.
Dans ce cadre, cher président Gontard, nous revendiquons et nous assumons la signature récente d’un très important contrat prévoyant l’acquisition de 80 avions de combat Rafale par les Émirats arabes unis et de 12 hélicoptères Caracal. Ce contrat résulte d’un partenariat ancien, matérialisé par des accords de défense et la présence de bases françaises aux Émirats arabes unis. L’une d’entre elles, je le rappelle, a été récemment indispensable au bon déroulement de l’opération Apagan, qui a permis l’évacuation de ressortissants français, européens et de pays tiers, ainsi que celle des Afghans menacés en raison de leurs liens avec la France.
Je rappelle que ce contrat confortera plusieurs milliers d’emplois dans les 400 entreprises françaises œuvrant pour le programme Rafale. En outre, mesdames, messieurs les sénateurs, celui-ci fait suite à plusieurs contrats de vente, qui confirment l’excellence de la technologie française autour du groupe Dassault. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. MM. Olivier Cadic, Bruno Retailleau et Philippe Mouiller applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, les Émirats arabes unis respectent-ils leurs engagements internationaux ? Respectent-ils les droits humains ? Non !
Vous ne respectez donc pas la position commune de l’Union européenne sur les ventes d’armes. C’est là un triste signal à la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
inondations dans le nord
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Decool. Voilà quelques jours, de nombreux habitants de la Flandre, de l’Audomarois et du Béthunois se sont réveillés les pieds dans l’eau. Et l’expression est faible ! À Esquelbecq, le niveau de l’eau a parfois atteint un mètre. Si ces secteurs doivent régulièrement affronter les conséquences de pluies abondantes, la récente pluviométrie, parfois cinquantennale, nous a rappelé qu’il convient d’être vigilant face à la puissance de l’eau !
Avant de poursuivre, je tiens à apporter mon soutien aux victimes de ces inondations, notamment à celles et ceux qui sont tétanisés à l’idée de réintégrer leur habitation, qui représente désormais un risque.
Toutefois, je ne peux pas passer sous silence la remarquable mobilisation des services de l’État, des forces de l’ordre, des élus, des sapeurs-pompiers et des bénévoles pour secourir ces personnes dans un contexte d’extrême urgence.
Aujourd’hui, alors que la décrue se poursuit, nous devons regarder l’avenir avec bon sens et embrasser une vision d’ensemble des secteurs géographiques. L’Yser, la Lys, le marais audomarois et les wateringues : la configuration et la gestion de toutes ces situations sont différentes. Il est donc indispensable de procéder à un constat d’ensemble et de procéder à une analyse collégiale.
Que penser du fonctionnement des wateringues, de l’état des matériels de pompage, d’un éventuel curage de l’Aa et des canaux non navigués et envasés ? Qu’en est-il des eaux situées en Belgique ? Quelle a été l’efficacité des bassins de rétention de crues ? Les façons culturales permettent-elles la percolation des terrains ?
Les réponses seront multiples et la solution résidera probablement dans un bouquet de propositions. Une chose est sûre : l’État devra faire un effort financier, car les collectivités ne peuvent plus tout supporter !
Madame la ministre, de nombreux maires déposent en ce moment leur dossier de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Ils attendent une décision diligente.
Enfin, permettez-moi de poser de nouveau une question d’importance que j’ai déjà posée dans mon courrier adressé au Premier ministre le 1er décembre dernier : le Gouvernement entend-il organiser des états généraux de la gestion hydraulique dans cette zone sinistrée des Hauts-de-France ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Emmanuel Capus. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du logement.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Decool, vous l’avez rappelé, le département du Nord a connu un épisode pluvieux particulièrement intense les 27 et 28 novembre derniers, lequel a provoqué de nombreuses inondations et le débordement des rivières Yser et Lys, ainsi que le décès de l’un de nos concitoyens et la mise à l’abri d’un peu plus de 170 personnes par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Nord.
À mon tour, je tiens à exprimer la solidarité du Gouvernement envers les victimes, leurs familles et les sinistrés, mais aussi à saluer l’action des services de l’État et des maires concernés, qui, dès les premières alertes, ont activé les plans communaux de sauvegarde.
Bien sûr, ces épisodes, dont la fréquence et l’intensité augmentent, illustrent les conséquences du changement climatique, qui appellent des actions de prévention renforcée.
Comme vous le savez, l’État a instauré les plans de prévention des risques d’inondation, qui visent à encadrer l’urbanisation future afin de réduire les risques et de permettre aux territoires d’être plus résilients – les vallées de la Lys et de l’Yser disposent de leur propre plan.
Depuis plusieurs années, l’État accompagne aussi les territoires pour mettre en place les programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI). Labellisés par l’État et financés par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, ces programmes répondent aux problèmes que vous avez soulevés : ils permettent de mettre en œuvre des actions de sensibilisation, de surveillance, de réduction de la vulnérabilité des personnes et des biens et, enfin, d’aménager les zones de crues.
Cette année, le Gouvernement a augmenté de plus de 50 % les moyens du fonds Barnier, lesquels seront encore accrus l’année prochaine. Nous avons aussi simplifié les dispositifs de labellisation de ces plans afin d’accélérer les procédures.
Pour ce qui concerne les récentes inondations, un retour d’expérience sera organisé d’ici à dix jours sous l’autorité du préfet. Dans l’intervalle, les préfectures sont à la disposition des maires pour les accompagner dans la constitution des dossiers de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, qui feront l’objet d’un examen interministériel dès la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation du secteur de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
À l’approche des fêtes de fin d’année, la cinquième vague de la pandémie s’abat tel un nouveau coup de massue sur les restaurateurs, les traiteurs, les exploitants de discothèques et les professionnels de l’événementiel.
Avec la reprise des contaminations, la fréquentation de certains restaurants a chuté en seulement quelques jours. Pas moins de 50 % des repas et des fêtes de fin d’année sont d’ores et déjà annulés. Les discothèques sont contraintes de refermer leurs portes. C’est une véritable catastrophe pour ce secteur, qui entame sa période la plus importante de l’année et qui se remet à peine des conséquences des premières vagues du covid-19.
Si les mesures de soutien du Gouvernement ont permis d’éviter le pire, ces entreprises ont vu leur trésorerie fondre comme neige au soleil. Bon nombre d’entre elles se sont endettées et devront commencer à rembourser leur prêt garanti par l’État (PGE) au mois de mars prochain. Une mission impossible si l’activité continue de se dégrader !
Monsieur le ministre, comment comptez-vous être aux côtés de tous ces professionnels pour les aider à passer ce nouveau coup dur, qui survient au plus mauvais moment ? Confirmez-vous une prise en charge à 100 % de l’activité partielle ? Allez-vous autoriser un nouveau report du remboursement des prêts garantis par l’État ? Comment comptez-vous compenser leurs pertes de chiffre d’affaires ?
Vous avez annoncé hier une prise en charge intégrale des coûts fixes des entreprises, sans toutefois préciser le seuil de déclenchement de cette aide. Qu’en sera-t-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Gruny, je pense que le Gouvernement, et l’État à travers lui, a toujours montré qu’il était aux côtés des entreprises.
Le secteur de l’hôtellerie, des cafés et des restaurants est celui qui a, légitimement, été le plus accompagné : ces entreprises ont ainsi bénéficié de 13 milliards des 38 milliards d’euros du fonds de solidarité.
Aujourd’hui, face à la cinquième vague de l’épidémie, le Gouvernement a dû prendre des mesures visant à limiter les contaminations, lesquelles ont conduit à la fermeture des discothèques pendant quelques semaines et ont entraîné des difficultés pour les traiteurs ou les entreprises de l’événementiel. Nous répondrons présents, comme nous l’avons toujours fait.
Les consultations sur les modalités de prise en charge des coûts fixes ont commencé. Sous l’autorité du Premier ministre, nous sommes prêts à envisager la prise en charge la plus importante possible, comme vous l’appelez de vos vœux, afin d’accompagner les secteurs touchés par la cinquième vague.
Bien que nous n’ayons pas mis en place, vous l’avez noté, de jauges ou de mesures restreignant l’accès aux établissements, hormis la présentation du passe sanitaire, nous serons extrêmement attentifs aux conséquences de cette cinquième vague sur les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Nous veillons à l’accompagnement de ces secteurs face aux conséquences de la crise.
En vertu d’une règle européenne, les prêts garantis par l’État ne peuvent pas être prolongés au-delà de six ans. Toutefois, pour les entreprises les plus en difficulté, nous avons veillé, sous l’autorité du tribunal de commerce, à ce que les remboursements puissent être étalés sans perte de la garantie de l’État. Les entreprises des secteurs S1 et S1 bis, les plus touchées par la crise, comme celles qui sont situées dans les territoires d’outre-mer, où l’état d’urgence sanitaire est maintenu, bénéficieront de plans d’épurement des dettes sociales sur cinq ans plutôt que trois ans – un décret a été publié hier en ce sens.
Nous serons donc présents, comme nous l’avons toujours été. Nous sommes non plus dans la logique du « quoi qu’il en coûte », mais dans celle du « quoi qu’il arrive ». (Exclamations amusées.) Il s’agit pour l’État d’accompagner et de protéger ces secteurs bien identifiés.
Tout le monde reconnaît, je pense, que l’État a répondu présent pour aider les entreprises. Nous continuerons tant que l’épidémie perdurera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre. J’ai pris bonne note de l’accompagnement qui sera mis en place, « quoi qu’il arrive ». Nous vous avons toujours soutenu sur ce sujet.
Si la prise en charge des coûts fixes constitue une bonne chose, je vous invite à examiner la rémunération des artisans et commerçants, qui repose sur leurs marges : ils doivent pouvoir vivre à titre personnel ! Il faut les accompagner !
Pour ce faire, peut-être aurait-il fallu utiliser l’argent des chèques distribués ces dernières semaines. C’est la raison pour laquelle nous ne vous avons pas suivi sur le projet de loi de finances. Nous sommes d’accord avec le « quoi qu’il en coûte » et le « quoi qu’il arrive », mais pas pour financer la campagne du Président Macron ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
avenir de la nouvelle-calédonie après le référendum
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, au nom du groupe Union Centriste, je vous remercie de l’hommage que vous venez de rendre à notre regrettée collègue Catherine Fournier.
Ma question s’adresse à M. le ministre des outre-mer.
Dimanche prochain, les Néo-Calédoniens sont appelés à se prononcer sur l’indépendance de leur territoire lors du troisième et dernier référendum d’autodétermination prévu par l’accord de Nouméa.
Très vraisemblablement, pour la troisième fois, à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », le « non » va l’emporter.
Que se passera-t-il au lendemain du scrutin ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les indépendantistes ont appelé à la non-participation et ont fait part de leur intention de ne pas reconnaître le résultat.
Mon collègue Gérard Poadja et moi espérons que le résultat du vote sera accepté par tous avec calme et sérénité, mais nous craignons que ce ne soit malheureusement pas le cas.
La société calédonienne est divisée. La Nouvelle-Calédonie doit retrouver une stabilité institutionnelle, seule à même de permettre de répondre à l’urgence économique et sociale et de régler les problèmes fondamentaux du territoire.
Elle ne pourra pas y parvenir sans la France, qui devrait se saisir de ce moment historique pour enfin considérer ce territoire ultramarin à sa juste valeur. Au-delà du nickel, nous devons ouvrir les yeux sur son potentiel en matière d’économie bleue, de tourisme et d’écologie, ainsi que sur sa position géostratégique dans l’Indo-Pacifique.
Monsieur le ministre, qu’allez-vous faire concrètement au lendemain du scrutin ? Quelles initiatives envisagez-vous prendre ? Vous rendrez-vous en Nouvelle-Calédonie ? Comptez-vous entamer des pourparlers avec toutes les composantes afin d’édicter un nouveau statut pour l’archipel ? (Applaudissements nourris sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, nous devons tout d’abord appeler à la participation massive au scrutin de dimanche, le troisième référendum prévu par l’accord de Nouméa. Comme vous l’avez souligné, les résultats s’imposeront à tous. Personne n’est propriétaire du vote des autres.
Plusieurs défis s’imposeront ensuite rapidement au Gouvernement et, bien évidemment, au Parlement.
Premièrement, les questions relatives aux finances locales sont particulièrement délicates. Vous le savez, c’est l’État qui a dû arrêter le budget de la Nouvelle-Calédonie en 2021. Des autorisations de garanties nouvelles ont été votées lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 pour accompagner le territoire. Le temps passe, mais les difficultés ne se règlent pas. Le Parlement, et donc le Sénat, sera appelé à se prononcer sur les solutions à apporter à un problème très complexe.
Deuxièmement, le nickel est un autre éléphant dans la pièce. Je m’étonne qu’une information soit passée relativement inaperçue à Paris : je veux parler de la clause de revoyure de Glencore, l’opérateur de l’usine du Nord, qui est l’un des instruments de rééquilibrage et de l’accord de Nouméa. Il a annoncé qu’il se réservait la possibilité de quitter la Nouvelle-Calédonie en juin. Chacun se souvient dans cet hémicycle combien le dossier de l’usine du Sud a occupé l’ensemble des décideurs durant plusieurs semaines. La question du nickel constituera donc un préalable important à la suite des discussions institutionnelles.
Troisièmement, j’évoquerai les opportunités économiques et les défis sociaux que vous avez cités, monsieur le sénateur. La réalité, c’est que le calendrier institutionnel est désormais déconnecté des attentes profondes de la population, lesquelles concernent davantage la jeunesse, le foncier et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dès le 13 décembre au matin, je prendrai la parole, sous l’autorité du Premier ministre, pour rappeler les engagements pris à Paris le 1er juin. La période de transition qui s’ouvrira nous permettra de sortir d’un binaire dans lequel nous sommes enfermés depuis trop longtemps et de mettre fin à un statu quo, dont, au fond, personne ne veut. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
approvisionnement en vaccins contre la covid-19
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Marie-Claude Varaillas. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Vous avez annoncé lundi soir, monsieur le ministre, le renforcement des mesures de vigilance face à la cinquième vague de la pandémie.
Vous avez annoncé, en plus du durcissement du protocole sanitaire à l’école primaire et du recours au télétravail, que les personnes âgées de plus de 65 ans seront dispensées de prendre rendez-vous pour le rappel de vaccination.
Sur le terrain, les pharmacies et les centres de vaccination sont pris d’assaut par nos concitoyens désireux de bénéficier de leur troisième dose avant le 15 janvier. Or les stocks de vaccins Pfizer commencent à manquer.
Votre solution, qui consiste à proposer en priorité le vaccin Moderna, n’est pas de nature à rassurer celles et ceux qui sont réticents à se faire vacciner en raison des risques, certes très rares, inhérents à ce vaccin pour les moins de 30 ans.
Aussi, ma question est simple : face aux ruptures de stocks de vaccins, où en est la production d’un vaccin français contre la covid-19 ?
Mme Marie-Claude Varaillas. Le Gouvernement a investi 530 millions d’euros entre les mois de mars 2020 et de mars 2021 dans la recherche contre la covid-19, mais pour quels résultats ? Certes, les dividendes des industriels du médicament ont progressé, mais où en sont les résultats de la recherche en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la campagne de vaccination de rappel. Vous vous étonnez de l’affluence dans les centres de vaccination, dans les pharmacies et chez les médecins.
Notre objectif, c’est d’aller vite et de vacciner ceux qui sont fragilisés, c’est-à-dire ceux dont la deuxième injection est ancienne. Le rappel évitera de nombreuses infections, de nombreuses hospitalisations et de nombreux décès dus au covid-19.
Vous regrettez que les personnes de plus de 65 ans qui se présentent sans rendez-vous ne puissent bénéficier de leur dose de rappel. Pour ma part, je remercie les collectivités territoriales et leurs agents, les agences régionales de santé (ARS), les préfets, et bien sûr les soignants, qui ont permis de réaliser plus de 650 000 injections en une seule journée hier dans notre pays. C’est un record !
M. Olivier Véran, ministre. Cela montre, premièrement, l’engouement pour le rappel ; deuxièmement, que nous sommes capables de répondre à la demande et que la logistique suit ; troisièmement, que nous sommes engagés dans une course contre la montre face à la cinquième vague. Il faut aller vite ! Vous ne m’entendrez jamais me plaindre du fait que de nombreux Français souhaitent se faire vacciner.
Madame la sénatrice, je ne peux pas vous laisser dire n’importe quoi sur le vaccin Moderna. Ce n’est pas responsable de tenir ce discours ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce vaccin à ARN messager fonctionne aussi bien que le Pfizer. Ce n’est pas parce que vous avez eu deux doses de Pfizer que la dose de rappel ne peut pas être du Moderna. Moi-même j’ai reçu de l’AstraZeneca, du Pfizer, du Moderna et je suis présent aujourd’hui devant vous ! (Protestations.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas la question !
M. Olivier Véran, ministre. Il n’y a pas de pénurie de vaccins ! Nous disposons des doses en nombre suffisant pour protéger toute la population. L’important est de recevoir une dose de vaccin à ARN messager, que ce soit du Pfizer ou du Moderna. Il n’y a, je le répète, aucune pénurie ! La médecine de ville a reçu cette semaine 4 millions de doses complémentaires. D’autres commandes sont en cours.
Mme Cécile Cukierman. Il n’y en a pas !
M. Olivier Véran, ministre. Je rappelle que le Pfizer est conseillé pour les moins de 30 ans. Les adultes plus âgés peuvent bénéficier indistinctement du Pfizer ou du Moderna.
Mme Cécile Cukierman. Il faut attendre trois semaines !
M. Olivier Véran, ministre. Madame la sénatrice, ce que vous dites est faux ! Des doses de Pfizer sont disponibles dans les centres de vaccination. Des millions de doses sont en cours d’utilisation. Je vous conseille plutôt d’encourager ceux qui vaccinent au lieu de hurler ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, nous l’avons déjà dit, il est urgent de lever les brevets et de réquisitionner Sanofi pour produire un vaccin public indépendant des intérêts des actionnaires.
Face à cette crise sanitaire qui n’en finit pas, le Gouvernement est responsable de la situation des hôpitaux et du secteur médico-social, qui souffrent cruellement du manque de moyens humains et financiers.
Au lendemain d’une journée de mobilisation nationale des personnels des structures associatives non lucratives, j’ai une pensée pour tous les oubliés du Ségur de la santé qui œuvrent au quotidien pour une société inclusive. Le renforcement de notre service public de la santé et du secteur médico-social doit constituer la priorité du prochain quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
assurances récoltes
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, nous nous souvenons tous du gel effroyable qui a frappé les récoltes dans de nombreuses régions françaises dans le courant du mois d’avril.
Dans la Drôme, département emblématique par sa diversité et sa production fruitière, la température était descendue jusqu’à 7 degrés au-dessous de zéro dans les plaines, et les arboriculteurs, que vous aviez d’ailleurs rencontrés à cette occasion, craignaient de perdre leur production.
En août, quand il a été question de faire le bilan des récoltes, le constat fut sans appel : la très grande majorité des producteurs de fruits de mon département ont péniblement ramassé entre 10 % et 15 % de leur récolte habituelle. D’autres territoires ont aussi été durement touchés.
Si le gel du printemps 2021 se caractérise par son étendue géographique, les aléas climatiques sont particulièrement redoutés même quand ils sont plus localisés, notamment par les arboriculteurs et les viticulteurs, car ils mettent à mal une année de travail, voire parfois bien plus quand les arbres sont endommagés.
Aussi la question de l’assurance récolte est-elle plus que jamais d’actualité.
Si l’épisode climatique du mois d’avril a montré qu’il était nécessaire de réfléchir à la diversification des exploitations ou de renforcer les dispositifs de protection, il a aussi mis en exergue le faible taux de souscription aux contrats d’assurance multirisque climatique.
Pour la plupart, nos exploitants considèrent que la souscription à ces contrats n’est pas suffisamment rentable. Ils ne disposent pas d’une trésorerie suffisante pour y souscrire et contestent notamment le niveau des pertes à partir duquel ils ont le droit de percevoir une indemnité.
Face à des événements climatiques qui ne manqueront pas de se répéter, nous risquons de nous retrouver au bord du précipice et, en définitive, de perdre une partie de notre souveraineté alimentaire.
Il est donc urgent de prévoir une refonte totale du système de protection des récoltes, afin de mieux couvrir les risques climatiques dans le secteur agricole.
Monsieur le ministre, vous avez présenté la semaine dernière un projet de loi en ce sens. Pourriez-vous nous préciser le calendrier d’examen de ce texte et détailler les mesures qu’il comporte ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Bernard Buis, nous faisons face aujourd’hui à un enjeu de souveraineté alimentaire, d’une part, parce que nous connaissons des épisodes climatiques de plus en plus violents – vous l’avez dit, l’épisode de gel du printemps dernier constitue la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle – et, d’autre part, parce que nous sommes confrontés au défi du renouvellement des générations.
En effet, comment convaincre un jeune agriculteur de s’installer si, au moment où il est censé investir, survient un aléa climatique, susceptible de le priver de revenus pendant plusieurs années ? Il s’agit, je le répète, d’un véritable enjeu de souveraineté.
C’est pourquoi nous avons décidé, sur l’initiative du Président de la République et du Premier ministre, de proposer une réforme totale du système de couverture des risques.
Songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que, jusqu’à présent, nous avons laissé les agriculteurs se couvrir eux-mêmes, si je puis dire, contre les risques climatiques. Année après année, on leur a dit de ne pas s’inquiéter et promis qu’on allait améliorer le système, mais à une seule condition, que le monde agricole assume seul les aléas climatiques. Cette situation n’était pas tenable.
La réforme que nous envisageons repose sur trois piliers.
Le premier vise à mettre en place de nouvelles aides pour nos agriculteurs au titre de la solidarité nationale. Ce nouveau système d’assurance récolte, doté d’environ 300 millions d’euros aujourd’hui, sera financé à hauteur de 600 millions d’euros dès le début de 2023.
Le deuxième a pour objet d’universaliser le système de couverture des risques. Aujourd’hui, les pertes causées à certaines cultures sont exclues de l’indemnisation du régime de calamité agricole ; demain, dans le nouveau système, l’ensemble des cultures pourront donner lieu à une indemnisation.
Le troisième et dernier pilier tend à rendre le nouveau système beaucoup plus accessible. Actuellement, en effet, un peu moins de 20 % de nos surfaces agricoles sont couvertes par un système d’assurance récolte, non pas parce que les agriculteurs sont des mauvais gestionnaires, mais parce que le système n’est pas suffisamment intéressant ni viable financièrement aux yeux des agriculteurs.
Nous allons donc revoir tout le système. À cet effet, j’aurai l’honneur de vous présenter ce projet de loi au début du mois de février après que l’Assemblée nationale l’aura examiné dans la seconde quinzaine du mois de janvier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
violences lors du meeting d’éric zemmour
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Dimanche dernier, dans une salle accueillant 10 000 personnes, alors que se déversait un flot continu de propos fustigeant notre République, ses valeurs et ses principes, quinze jeunes, filles et garçons de notre pays, membres de SOS Racisme (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains), se sont levés pacifiquement, au milieu d’une foule haineuse, pour dire tout simplement : non au racisme !
M. Jacques Grosperrin. Ce sont des provocateurs !
M. David Assouline. L’histoire retiendra que, loin d’avoir commis un acte de provocation condamnable, ces jeunes ont accompli un acte de résistance courageux (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) face à ce qu’il pourrait advenir si la banalisation de tels propos perdurait. Merci à ces jeunes filles et garçons de notre République, qui ont été, ce jour-là, des petites bougies s’allumant à la tombée de la nuit. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
Immédiatement après s’être manifestés, ces jeunes ont été passés à tabac, avec une violence inouïe, par des nervis fascistes. Parmi ces derniers, plusieurs ont d’ores et déjà été identifiés et leur appartenance à des groupes violents démontrée, puisqu’ils agissaient en toute impunité, ne se souciant même pas d’être filmés.
Interrogé à ce sujet, le candidat qui tenait meeting a répondu : « Je ne veux pas calmer les ardeurs de mes supporters ! »
Dans la même salle, la liberté de la presse, pilier de notre démocratie, a été souillée : des journalistes de l’émission Quotidien et de Mediapart ont été pris à partie, insultés, violentés et exfiltrés.
La parole extrémiste, antirépublicaine, raciste et antisémite s’est libérée. Elle a même des médias importants à son service exclusif !
M. Bruno Sido. Quelle est la question ?
M. David Assouline. Elle a libéré à son tour la violence physique.
Monsieur le garde des sceaux, quelles actions ont été engagées contre ces agissements ? Plusieurs réseaux violents, certains groupes d’extrême droite qui préparaient même des attentats, font l’objet d’enquêtes et de poursuites. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est de cette menace dans notre pays ? Cette menace est-elle réelle ? Quels sont les risques qui pèsent sur notre démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST. – Huées et marques d’indignation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Assouline, la justice, vous le savez, est saisie des faits que vous évoquez.
Naturellement, le garde des sceaux que je suis ne peut pas intervenir dans une affaire en cours parce que, contrairement à ce que disait celui qui était à la tribune lors des événements que vous venez de rapporter, les juges de ce pays sont totalement indépendants et en font la démonstration tous les jours.
Le parquet de Bobigny ayant été saisi, toute la lumière sera faite sur ces violences. Mais, disons-le très clairement, la violence est partout : dans les meetings, effectivement, mais également dans les discours.
Arrêtons-nous un moment sur cet individu qui, le menton haut, à coups de rodomontades, nous explique depuis des mois qu’il veut rétablir l’ordre républicain, lequel serait, selon lui, déliquescent. Or il est lui-même incapable d’assurer la sécurité dans son propre meeting : voilà la réalité !
Comme le disait ma grand-mère, avec cette sagesse caractéristique des gens du Nord : « quand tu veux ranger la rue, commence par ranger ta chambre ! » (Rires et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et CRCE.)
garantie de financement des hôpitaux
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le ministre de la santé, ma question fait suite à plusieurs interpellations et appels alarmistes de directeurs d’hôpitaux de ma région ces derniers jours.
Une cinquième vague de la covid est en cours, dont on connaît déjà l’importance, mais pas encore la durée. Ce que l’on connaît bien en revanche, c’est ce que vivent nos hôpitaux depuis le début de la crise sanitaire. Ces derniers sont confrontés à la fois à une augmentation importante de leur activité, liée à l’épidémie, et à une baisse de leurs recettes du fait de la diminution ou du report des autres activités. À cela s’ajoute une crise majeure et structurelle de leur attractivité, à l’origine de difficultés de recrutement dans tous les services.
Pour y répondre, du moins partiellement, le Gouvernement a mis en place la garantie de financement des établissements de santé, qui assure aux hôpitaux des recettes équivalentes à celles de l’année 2019. Or cette garantie expire à la fin du mois de décembre et nous n’avons aucune information sur son éventuelle prolongation.
Au-delà de ce que représente une cinquième vague pour les hôpitaux, à savoir une pression accrue sur des personnels et des finances déjà exsangues, vous comprenez, monsieur le ministre, que cette incertitude pour l’année à venir accroît l’inquiétude des responsables hospitaliers.
L’activité hors covid n’est jamais revenue à son niveau d’avant crise et, au vu des plans blancs qui se multiplient dans le pays, la situation ne va clairement pas s’améliorer.
Aujourd’hui, pouvez-vous assurer aux établissements de santé qui nous en font la demande que vous prolongerez la garantie de financement, ce qui leur permettrait de souffler au moins jusqu’à la fin de cette cinquième vague ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice Véronique Guillotin.
Je peux vous assurer que chaque fois qu’il a fallu accompagner les établissements de santé depuis le début de la crise sanitaire, quel que soit leur statut – public, privé à but lucratif ou non lucratif –, nous l’avons fait, notamment grâce à la garantie de financement que vous avez mentionnée.
Il était en effet hors de question que les déprogrammations et la baisse de l’activité chirurgicale pénalisent les finances des hôpitaux. Nous leur avons donc garanti que, à la fin de l’année, ils n’auront pas perdu d’argent par rapport à l’année précédente.
Par ailleurs, vous le savez, nous avons fortement désendetté les hôpitaux grâce au Ségur de la santé et ses plans d’investissement. Nous avons ainsi prévu un plan de 19 milliards d’euros pour investir et désendetter nos hôpitaux, afin de leur redonner un peu d’oxygène.
Je précise aussi que tous les surcoûts liés à la covid sont intégralement pris en charge, et ce en sus du budget alloué à l’hôpital. De la même manière, toutes les nouvelles dépenses annoncées après le Ségur de la santé, qu’il s’agisse des mesures concernant les ressources humaines ou celles qui visent à renforcer l’attractivité des métiers de santé, seront financées en plus des investissements déjà prévus.
Vous m’interrogez sur l’avenir, madame la sénatrice, et souhaitez savoir si nous comptons prolonger la garantie de financement au-delà du 31 décembre de cette année. Je peux vous donner une réponse, qui n’est pas encore ferme, mais qui traduit une intention très forte de ma part : de même que, depuis bientôt deux ans, nous avons toujours soutenu financièrement les hôpitaux, nous continuerons à le faire si la situation l’exige.
J’attire enfin votre attention, puisque vous avez parlé des cliniques privées au début de votre intervention, madame la sénatrice, sur le fait que j’ai prolongé la garantie de financement jusqu’au 31 décembre 2021 pour satisfaire une demande qui émanait davantage du secteur public que du secteur privé, ce dernier n’étant pas forcément friand d’une telle perspective. Cela étant, la quatrième puis la cinquième vague ont montré que nous avions bien fait d’agir ainsi et nous continuerons de bien faire.
Merci encore une fois, madame la sénatrice, pour cette question tout à fait justifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Même si vous ne m’avez pas formellement donné l’assurance que cette garantie de financement serait prolongée, monsieur le ministre, je crois comprendre que cela sera le cas. Seule cette mesure permettra de rassurer les directeurs d’hôpitaux. Qu’il s’agisse du secteur public ou du secteur privé à but non lucratif – je n’en avais pas vraiment parlé jusqu’ici –, tous les directeurs d’établissements de santé sont aujourd’hui dans l’attente d’une prolongation de la garantie de financement.
Si vous le permettez, je citerai pour finir l’exemple du centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville. Aujourd’hui, cet hôpital évalue la perte de ses recettes, hors garantie de financement, à 12 millions d’euros, soit près de 5 % de son budget. Ces chiffres nous donnent une idée de l’ampleur de la crise de la covid, qui ne va faire que s’accélérer.
J’espère réellement, monsieur le ministre, que vous annoncerez rapidement aux directeurs d’hôpitaux une prolongation de la garantie de financement, au moins jusqu’à la fin du premier trimestre 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-François Husson applaudit également.)
organisation de la campagne de vaccination
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, les centres de vaccination gérés par les maires ont parfaitement rempli leur rôle et ont permis de vacciner tous les Français qui le souhaitaient.
L’annonce de la troisième dose a aussitôt entraîné une reprise de l’activité de ces centres. Or, à ce jour, beaucoup d’entre eux n’ont plus de créneaux disponibles avant la mi-janvier, et ce faute de vaccins et de personnels soignants en nombre suffisant.
C’est le moment que vous avez choisi pour annoncer, sans aucune concertation avec les maires et en parfaite méconnaissance des impératifs logistiques auxquels ils sont confrontés, que les personnes âgées de plus de 65 ans pouvaient se rendre dans les centres de vaccination sans rendez-vous, et ce dès le lendemain de votre annonce.
Bien sûr, je me réjouis de l’intérêt que les Français portent à cette troisième dose de vaccin, mais encore faut-il organiser cette nouvelle campagne !
Dès hier, de nombreux Français de plus de 65 ans ont répondu un peu partout en France à votre appel : ils se sont présentés sans rendez-vous, mais n’ont pas pu être vaccinés…
Les maires et les collectivités ont toujours joué le jeu dans le cadre de la gestion de la crise. Or ils sont considérés comme la dernière roue du carrosse. Ce n’est pas correct !
Monsieur le Premier ministre, on a véritablement le sentiment que vous n’avez tiré aucun enseignement de vos erreurs : Paris décide toujours aussi seul ! On aurait pu penser que le Gouvernement allait enfin maîtriser ses annonces et engager une concertation avec les élus locaux et les personnels de santé qui mettent en œuvre au quotidien la vaccination sur le terrain. Il n’en est manifestement rien.
Qu’avez-vous à dire aux maires qui sont confrontés à la situation inacceptable que vous avez créée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Compliqué de répondre !
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je n’imagine pas une seule seconde que vous nous reprochiez de vacciner trop vite les Français ! (Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je ne vous ai pas entendue saluer l’effort des 60 000 professionnels de santé libéraux qui contribuent chaque jour à la vaccination des Français, l’effort de ces dizaines de milliers de professionnels qui agissent au quotidien pour protéger les Français dans les 1 300 centres de vaccination – nous avons déjà rouvert 200 centres en moins de deux semaines.
Madame la sénatrice, le Premier ministre et moi-même l’avons dit lorsque nous avons lancé cette nouvelle campagne de rappel : il n’y aura pas 20 millions de créneaux disponibles du jour au lendemain, mais n’ayez aucune inquiétude, ils le seront en l’espace de quatre semaines pour tous les Français qui en ont besoin. Progressivement, quelque 500 000, 600 000 ou 700 000 nouveaux créneaux seront ouverts par jour.
Grâce à votre question, madame la sénatrice, je peux le redire avec la plus grande clarté à nos concitoyens : si vous vous êtes connecté à une plateforme et n’êtes pas parvenu à trouver un créneau de vaccination près de chez vous avant le mois de février ou de mars, n’ayez aucune inquiétude, car, dans les prochains jours, en vous reconnectant, vous trouverez des créneaux beaucoup moins lointains.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas vrai !
M. Olivier Véran, ministre. Le Premier ministre a annoncé que 8 millions de créneaux supplémentaires seraient disponibles en plus des 7 millions de créneaux déjà ouverts pour le mois de décembre.
Tous les Français qui devront de nouveau être vaccinés pour bénéficier d’une prolongation de leur passe sanitaire, que ce soit avant le 15 décembre pour les Français âgés de plus de 65 ans ou avant le 15 janvier de l’année prochaine pour les Français de moins de 65 ans dont la dernière injection ou la dernière infection date de plus de cinq mois – tous les Français ne sont donc pas encore concernés par cette campagne –, trouveront des créneaux de vaccination en ville ou dans les centres.
Oui, madame la sénatrice, les centres de vaccination font face à un afflux. Alors, merci à eux, parce qu’ils tiennent !
Pour répondre à votre remarque sur la concertation, je vous indique que, demain, comme je le fais chaque semaine, je réunirai en visioconférence l’ensemble des acteurs participant à cette campagne de vaccination, y compris les représentants des élus locaux, lesquels nous disent que c’est dur, mais qu’ils tiennent et qu’ils savent pourquoi ils le font ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jacques Grosperrin. Ils sont débordés !
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Merci de votre réponse, monsieur le ministre. Je me réjouis tout comme vous que les Français adhèrent à la vaccination. Ne me prêtez donc pas des propos que je n’ai pas tenus !
À titre d’exemple, dans ma ville, à Dreux, nous avons atteint 1 000 injections par jour grâce à une organisation millimétrée. Alors laissez les maires faire ce qu’ils savent faire. (M. Bruno Sido applaudit.) Ils savent organiser leurs centres, bien qu’ils aient peu de soutien et peu d’aides financières de la part du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
suites du ségur de la santé
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Monsieur le ministre de la santé, l’ensemble des personnels du secteur médico-social est en première ligne depuis le début de la pandémie.
M. François Patriat. On le sait !
M. Serge Mérillou. Et pourtant, une partie d’entre eux est encore exclue de votre politique : pour eux, pas d’augmentation de 183 euros, pas de reconnaissance du travail accompli, contrairement à leurs collègues du secteur sanitaire et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
En réaction à ces manquements, salariés et employeurs du secteur médico-social à but non lucratif, notamment du secteur du handicap, s’organisent. Partout en France, ils manifestaient le 30 novembre dernier. Ils scandaient leur colère face à un Ségur inachevé, à des inégalités de traitement injustifiées.
Preuve de l’urgence et de la gravité de la situation, la mobilisation des employeurs est totale. En Dordogne, ils se sont rassemblés au sein d’un collectif pour défendre leurs salariés. Épuisés, découragés, désabusés, ces derniers fuient et se tournent vers des postes mieux rémunérés. Démissions, difficultés de recrutement, fermetures de places, de lits et, demain, d’unités entières : les craintes sont nombreuses.
Monsieur le ministre, l’accompagnement et la sécurité des personnes en situation de handicap ne se résument pas aux soins. Or, aujourd’hui, leur prise en charge se dégrade.
Le Ségur de la santé doit s’appliquer à l’ensemble des travailleurs du secteur social et médico-social. Combien de temps, monsieur le ministre, devront-ils encore attendre ? Combien de démissions, de postes vacants, de suppressions de services, d’interruptions ou de refus d’accueil vous faudra-t-il pour réagir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Mérillou, oui, le Ségur se poursuit !
Le Premier ministre l’a annoncé : nous sommes même en avance puisque les mesures qui étaient prévues pour le 1er janvier prochain, à hauteur de plus de 500 millions d’euros, s’appliqueront dès le 1er novembre à l’ensemble des soignants et des personnels du secteur paramédical.
Nous avons en effet été alertés sur les problèmes de recrutement et avons souhaité être à côté des organismes gestionnaires des établissements pour adultes en situation de handicap. J’appelle d’ailleurs tous les employeurs à faire un geste financier sur la fiche de paie des personnels des mois de novembre et de décembre, car ils disposent aujourd’hui de l’argent nécessaire. L’État, je le répète, a été présent à leurs côtés.
Comme l’a annoncé M. le Premier ministre il y a plus d’un mois lors d’un déplacement dans un établissement pour enfants et adolescents polyhandicapés, nous travaillons à l’organisation d’une grande conférence sur les métiers de l’accompagnement social, pour soutenir les éducateurs et le reste de ces personnels, que je tiens à saluer pour leur action aux côtés des personnes en situation de handicap, notamment.
Nous travaillons aussi avec les fédérations d’employeurs, les départements. Je rappelle que les 20 000 postes de soignants qui relèvent des départements ont également été financés par l’État au 1er novembre, en avance par rapport à ce qui était prévu. Vous le voyez, il s’agit d’une véritable mobilisation générale.
Je tiens encore une fois à saluer tous ceux qui contribuent à prendre soin des personnes en situation de handicap et à rappeler combien nous les avons accompagnés. Nous continuerons de le faire. Pour valoriser et mettre à profit leur expertise, nous avons confié à Denis Piveteau une réflexion destinée à les soutenir et à leur redonner des perspectives, notamment via d’éventuelles passerelles entre ces métiers si importants.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, de la mobilisation du Gouvernement auprès de ces professionnels et des personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation des enseignants
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, le 15 octobre dernier, nous rendions hommage à Samuel Paty, courageux professeur assassiné il y a un an, victime de l’islamisme.
La veille de cet hommage, le 14 octobre, Jean-Christophe Peton, professeur dans le Jura, a osé s’exprimer, en réponse à un message laconique de son proviseur sur l’application Pronote annonçant la minute de silence en hommage à Samuel Paty.
M. Peton remettait en cause le soutien de l’éducation nationale au professeur assassiné. Le 22 octobre, il a été convoqué et suspendu de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois. Il a bénéficié d’une vaste mobilisation de ses collègues, des syndicats, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les témoignages de soutien ont afflué derrière le hashtag #TousSuspendus. Grâce à cette mobilisation, l’enseignant a été réintégré dans ses fonctions le 3 décembre, sans explications de la part de sa hiérarchie.
Monsieur le ministre, de plus en plus de professeurs s’interrogent sur leur avenir et leur liberté d’enseigner ; de plus en plus de professeurs se sentent abandonnés. Comment comptez-vous rassurer les enseignants et leur apporter un soutien sans faille dans ce contexte extrêmement compliqué ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, l’exemple que vous évoquez me permet d’aborder la question des conditions de travail des professeurs.
Je ne m’exprimerai pas sur le cas particulier que vous avez évoqué, car un dossier doit toujours être examiné spécifiquement.
M. Jacques Grosperrin. Tout à fait !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je tiens en revanche à insister sur le fait que personne – je dis bien : personne ! – ne peut dire que l’éducation nationale n’a pas rendu hommage à Samuel Paty. Bien sûr, nous sommes en démocratie et chacun peut dire ce qu’il veut, mais je ne laisserai personne affirmer qu’une telle assertion correspond à la vérité.
La vérité, c’est que Samuel Paty est aujourd’hui une référence pour l’éducation nationale. Nous lui avons rendu hommage comme il nous revenait de le faire. Par ailleurs, nous soutenons bien entendu tous les professeurs de France.
Je pourrais vous parler longuement des différents aspects de cette question, mais j’évoquerai plus particulièrement le sujet de la sécurité.
Je rappelle que nous avons mis en œuvre ce que nous appelons désormais le « carré régalien ». Dans chaque rectorat, nous avons mis en place des équipes chargées de soutenir les professeurs sur quatre sujets distincts : les valeurs de la République et la laïcité, la lutte contre la radicalisation, la lutte contre les violences et la lutte contre le harcèlement.
Mon message est donc un message de soutien, et rien d’autre. Indépendamment du cas particulier dont vous parlez, madame la sénatrice, ce soutien est, je le redis, clair et net. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Il est dans notre intérêt collectif, représentation nationale et Gouvernement, de tenir le même langage sur ce sujet et de ne pas prêter à autrui des idées qu’il n’a pas.
Ce message de soutien qu’il convient d’adresser à tous les professeurs de France provient, je le crois, de l’ensemble des travées de cet hémicycle, comme de tous les bancs de l’Assemblée nationale et du Gouvernement. Nous avons mis en œuvre des mesures concrètes pour soutenir les professeurs, que ce soit sur le plan financier ou régalien, en matière de bien-être au travail et de sécurité.
Il reste évidemment du chemin à parcourir, mais mon message ne varie pas : la société entière doit respecter les professeurs – je m’adresse ainsi aux familles – ; l’État respecte les professeurs ; je soutiens les professeurs. Vous ne me prendrez jamais en défaut sur un tel sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je suis désolée, monsieur le ministre, mais vous ne m’avez vraiment pas convaincue !
Alors que ce sont la peur, la lâcheté et le manque de courage qui ont conduit à la mort de Samuel Paty, ce professeur qui défendait la liberté d’expression, force est de constater que, dans votre ministère, on continue à ne pas nommer les choses.
En un an, monsieur le ministre, rien n’a changé.
Dans quelques semaines, comme vos collègues, vous devrez présenter votre bilan aux Français. Or, malheureusement, cette merveilleuse institution qu’est l’éducation nationale n’aura jamais autant été remise en cause depuis cinq ans, du fait de votre absence de conviction pour défendre la laïcité et lutter contre les revendications communautaristes dans les établissements !
Aujourd’hui, Didier Lemaire, professeur à Trappes, et Fatiha Boudjahlat, professeur à Toulouse, n’enseignent plus. Et combien d’autres hommes et femmes convaincus encore ? Ce sont les piliers d’une institution tellement malade qu’ils la défendent aujourd’hui du dehors. Le « pas de vague » et le « en même temps » auront fragilisé l’école de Jules Ferry comme jamais ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
amende google
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Laurent Lafon. Monsieur le secrétaire d’État, le 13 juillet dernier, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a condamné la société Google à payer une amende de 500 millions d’euros pour non-respect de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.
Dans le même temps, elle a donné deux mois à Google, à compter du début du mois de septembre, pour engager des négociations de bonne foi et parvenir à un accord sur la rémunération des agences et des éditeurs de presse, sous peine de se voir appliquer des astreintes pouvant aller jusqu’à 900 000 euros par jour de retard.
Cette double décision sanctionne clairement la société Google, qui n’avait eu de cesse, depuis le vote de la loi du 24 juillet 2019, de tenter de la contourner pour ne pas payer ces droits voisins. Cette double décision a été unanimement saluée par les acteurs du secteur, en raison de sa fermeté et de son caractère exemplaire.
À ce jour, aucune agence ni éditeur de presse autre que l’Agence France Presse (AFP) n’est parvenu à signer un accord avec Google.
Ma question est double : la société Google a-t-elle payé l’amende de 500 millions d’euros ? Lui a-t-on appliqué les pénalités d’astreinte, alors que la période de négociation est désormais achevée depuis un peu plus d’un mois ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Lafon, je tiens tout d’abord à souligner l’importance de votre question, car la liberté et l’indépendance de la presse sont évidemment au cœur de notre démocratie.
Toutefois, la liberté de la presse découle notamment de son indépendance économique. Or celle-ci est aujourd’hui menacée par l’asymétrie des relations économiques entre agences de presse et grandes plateformes numériques.
Pour répondre plus précisément à votre première question, je rappelle que, en juillet 2021, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Google d’une amende de 500 millions d’euros pour le non-respect de plusieurs injonctions. Sur ce point, je vous confirme que l’Autorité de la concurrence nous a indiqué que le titre de paiement avait été émis et que l’amende avait bien été payée.
Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence a ordonné à Google de se conformer à deux injonctions prononcées dans sa décision initiale, sous peine d’astreintes journalières. La société Google a donc été sommée d’entrer en négociation de bonne foi avec les éditeurs et les agences de presse qui le désirent et de communiquer les informations nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération, prévue à l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle.
L’Agence France Presse et Google ont annoncé la signature d’un accord le 18 novembre dernier et, comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur Lafon, les négociations se poursuivent avec l’Alliance de la presse d’information générale et le Syndicat des éditeurs de la presse magazine.
La balle est aujourd’hui dans le camp des éditeurs. C’est à eux de décider s’ils souhaitent continuer de négocier ou s’ils préfèrent demander à l’Autorité de la concurrence de prononcer l’astreinte. Il me semble qu’ils n’ont actuellement émis aucune demande de cette nature auprès de l’ADLC. Celle-ci pourrait également s’autosaisir, mais, à ce stade, il est possible qu’elle choisisse de respecter la volonté des acteurs de continuer de négocier.
Je souligne par ailleurs l’importance des discussions européennes que nous avons actuellement sur le sujet, notamment dans le cadre du Digital Markets Act.
La question de l’asymétrie des relations entre les plateformes et leurs clients ou fournisseurs est essentielle. Elle doit être traitée à l’échelon européen. Ce sera donc l’un des dossiers importants de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour la réplique.
M. Laurent Lafon. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour ces éléments de réponse. Vous le savez, nous sommes ici très attachés à la législation sur les droits voisins, qui est fondamentale pour l’équilibre économique de la presse et, tout simplement, pour le respect des droits des éditeurs et des agences de presse.
Ayant posé à plusieurs reprises des questions sur l’amende de 500 millions d’euros, je me satisfais évidemment de votre réponse et du paiement de cette amende.
J’entends également votre double remarque sur les astreintes, notamment sur le fait qu’elles pourraient aussi être demandées par les éditeurs en cas d’échec des négociations. Nous ne manquerons pas, bien sûr, de les alerter sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
urbanisme en zone rurale
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le secrétaire d’État chargé de la ruralité, 10 % des communes – en particulier des métropoles – sont responsables de 71 % de l’artificialisation des sols.
Aujourd’hui, la ruralité paye le prix fort de ce constat : des permis de construire et des autorisations d’urbanisme sont systématiquement refusés, la loi Montagne est interprétée de manière subjective et les services de l’État font preuve d’un zèle exagéré. Les plans locaux d’urbanisme (PLU) des communes rurales se trouvent ainsi amputés de 60 % de surfaces constructibles.
Les citoyens désireux de construire sont mécontents ; les maires excédés par une administration raide et tatillonne.
Cette interprétation très restrictive ne prend pas en compte la réalité de la vie des habitants et de l’urbanisme existant, tout projet devant être construit en continuité de cet habitat.
Les exemples se comptent par centaines. Projet de construction d’une maison d’habitation par un agriculteur sur ses terrains : refus ! Projet de construction d’une maison d’habitation d’un particulier sur son terrain séparé par une voie communale : refus ! Projet d’extension d’un bâtiment agricole pour valoriser une activité économique de bois : refus !
À l’heure où la crise sanitaire entraîne un retour à la campagne des citadins, nos villages ne veulent pas être condamnés. Ils ne veulent pas être les faire-valoir et les boucs émissaires d’un urbanisme débridé.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quelles solutions allez-vous mettre en œuvre afin de ne plus condamner injustement nos villages ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la ruralité.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur Jean-Marc Boyer, car elle soulève plusieurs points importants.
Comme vous le savez, la plupart des communes en milieu rural relèvent du règlement national d’urbanisme, qui interdit, sauf dérogation, de construire en dehors des espaces déjà urbanisés. Naturellement, il peut y avoir des refus, puisque les dérogations doivent être justifiées par des besoins locaux. Elles sont en outre examinées préalablement par la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), qui est tout de même l’un des outils de la stratégie de protection des terres agricoles.
L’objectif, vous l’aurez compris, est de limiter l’étalement urbain, la constitution de logements vacants ou l’accroissement du nombre de ces logements, déjà très élevé dans certains territoires ruraux. Tout cela n’a donc pas d’impact sur la densification des centres-bourgs, qui doit être encouragée pour conforter et dynamiser ces derniers.
Je précise que le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, qui est actuellement examiné par l’Assemblée nationale, permettra aux maires de récupérer plus rapidement et plus facilement les biens vacants et abandonnés pour conduire des projets, accueillir de nouvelles populations et lutter contre le phénomène de vacance. C’est d’ailleurs une proposition de loi sénatoriale qui est reprise, proposition sur laquelle j’avais émis dans cette enceinte, au nom du Gouvernement, un avis favorable.
L’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal ou, mieux, d’une carte communale – un document très simple – permet de s’affranchir du règlement national d’urbanisme et de retrouver des capacités à construire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous évoquez également les zones de montagne. Je le rappelle, la loi Montagne est aussi une loi particulièrement protectrice, au regard des enjeux paysagers et agricoles. Elle autorise la construction en continuité de l’urbanisation existante, mais aussi en discontinuité lorsque la situation le justifie, ce qui implique bien évidemment un dialogue – vous l’appelez tout comme moi de vos vœux – entre les collectivités locales et les services de l’État. Il existe donc des marges de manœuvre. L’enjeu me paraît plutôt résider dans la capacité des élus à mettre en œuvre cette loi. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est tout le sens de l’appui en ingénierie que propose, notamment, l’Agence nationale de la cohésion des territoires et de l’accompagnement au quotidien des élus par les services déconcentrés de l’État. (Protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.
M. Jean-Marc Boyer. Pour nos villages, pour notre ruralité, c’est la double peine !
Il faut en finir avec cette écologie punitive, au motif qu’il faut sauver la planète, car elle condamne nos territoires ruraux, sous prétexte que la maison individuelle semble être un habitat dépassé, et nos villages de montagne, lesquels, bien sûr, doivent être exemplaires en matière de protection de la biodiversité.
Monsieur le secrétaire d’État, la colère gronde dans nos campagnes !
Les maires ruraux, que le président Macron a caressés dans le sens du poil lors du Congrès des maires de France, ne sont pas dupes : ils veulent de la souplesse dans l’application de la loi Montagne ; ils veulent un équilibre intelligent et pragmatique entre l’objectif de zéro artificialisation nette et un urbanisme sauvage. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et RDSE.)
difficultés de l’entreprise ferropem
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la ministre chargée de l’industrie, Ferropem, filiale du groupe Ferroglobe, emploie près de 1 000 salariés en France et compte, notamment, quatre sites en Auvergne-Rhône-Alpes. Spécialisée dans la production de silicium et de ferroalliages, cette entreprise connaît depuis trois ans des difficultés économiques.
D’une part, elle supporte en tant qu’industrie hyper électro-intensive des coûts de fourniture d’énergie plus élevés que ses principaux concurrents européens ou chinois.
D’autre part, elle a dû faire face au cours des dernières années à la concurrence déloyale de la Chine, qui a entraîné une baisse de ses prix, alors même que les autres États se sont protégés de façon efficace, grâce à des mesures antidumping beaucoup plus fortes qu’en Europe. À titre d’exemple, les droits antidumping sont de 17 % en Europe, contre 53 % en Australie et 122 % aux États-Unis.
Madame la ministre chargée de l’industrie, cette filière est stratégique, car elle traite des métaux clés pour la transition énergétique, utilisés notamment dans les panneaux photovoltaïques, l’électronique et la production de semi-conducteurs. Essentielle à notre souveraineté industrielle, elle doit être préservée.
Les salariés, les collectivités, les élus se sont mobilisés. Malheureusement, si le plan de sauvegarde de l’emploi vient d’être levé sur le site isérois, 221 emplois sont encore menacés sur le site de Château-Feuillet en Savoie. C’est un gâchis industriel et un drame humain pour tous les salariés dont l’emploi est menacé.
Alors que s’ouvre la présidence française du Conseil de l’Union européenne, envisagez-vous d’agir pour obtenir une augmentation des mesures antidumping européennes et pour que ces industries hyper électro-intensives puissent bénéficier des prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) pour l’ensemble de leur consommation ?
Enfin, où en sont vos discussions avec la maison mère Ferroglobe sur le maintien de l’activité sur le site savoyard ? Une solution de reprise sérieuse qui préserverait emploi et savoir-faire est-elle envisagée ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Sachez, madame la sénatrice Blatrix Contat, que je suis personnellement la situation des sites de Ferropem depuis trois ans.
Cela fait effectivement trois ans – soit bien avant l’apparition de la problématique du prix de l’électricité que vous mentionnez – que le Gouvernement se mobilise pour accompagner cette entreprise et trouver des solutions pour l’ensemble de ses sites industriels français. Comme vous le savez, Ferropem a subi une restructuration financière particulièrement importante, à l’échelle mondiale, laquelle a pesé sur le devenir de ses sites.
Grâce à l’action menée, à laquelle j’associe les élus locaux de tous bords – Jean-Charles Colas-Roy, Anthony Cellier, Vincent Rolland, Hervé Gaymard, Émilie Bonnivard, Marie-Noëlle Battistel, et j’en oublie certainement – qui s’intéressent aussi au sujet depuis trois ans, sans doute avec moins d’opportunisme que certains candidats à la présidentielle (M. Jean-François Husson proteste), nous avons trouvé des solutions pour cinq des six sites.
Bien évidemment, nous n’allons pas laisser tomber le sixième ; les salariés et leurs représentants, que j’ai rencontrés, savent pouvoir compter sur moi. Nous avons plusieurs solutions de reprise industrielle, que nous allons essayer de mener à terme. J’ai demandé à Ferropem de considérer des solutions émanant de concurrents, de façon à ce que toutes les options soient ouvertes pour les salariés.
Par ailleurs, nous avons agi sur la compétitivité énergétique. Un amendement gouvernemental a été voté, ici même, sur les entreprises hyper électro-intensives.
En ce qui concerne, enfin, les mesures antidumping, nous sommes également à la manœuvre et la France a encore obtenu des avancées sur le sujet cet été.
Donc oui, madame la sénatrice, nous allons continuer à accompagner cette industrie, qui, vous avez raison de le souligner, est stratégique.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. Il est urgent d’agir, madame la ministre. Le gouvernement auquel vous appartenez communique beaucoup sur la réindustrialisation. Il faut très rapidement aboutir sur ce dossier !
situation de l’hôpital
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, alors que la cinquième vague frappe de plein fouet l’Hexagone, nos hôpitaux sont de nouveau soumis à une très forte pression.
Certains centres hospitaliers, dont celui de Cherbourg, dans la Manche, ont dû réactiver le plan blanc et ont déprogrammé les interventions médicales non urgentes.
La fragilité structurelle de ces établissements hospitaliers préexistait avant cette nouvelle vague épidémique. En effet, dans certains territoires, être admis aux urgences est devenu un parcours du combattant ! Au cours des derniers mois, de nombreux services ont été poussés à la fermeture, faute de personnel soignant et de médecins.
Pour la troisième fois depuis cet été, le service d’urgence de l’hôpital d’Avranches n’a pas pu accueillir des patients : il ne compte désormais que cinq médecins urgentistes titulaires, contre quinze l’an dernier. La direction a dû faire appel à des intérimaires, ce qui ne permet pas un fonctionnement optimal du service, au grand désarroi des médecins titulaires.
Certes, le Ségur de la santé était nécessaire, mais il montre déjà ses limites puisque les personnels manquent, quittent le service public ou refusent d’y travailler.
Vous nous avez annoncé des financements exceptionnels en matière d’investissements. Or c’est le fonctionnement ou l’attractivité de l’hôpital public qui est en cause.
Si le rôle de l’État est de protéger la population contre la covid-19, celui-ci doit également assurer une couverture sanitaire homogène et équitable, notamment dans les territoires ruraux.
Malades, sachez-le : vous n’avez pas la même chance d’être soignés selon que vous habitez dans une ville littorale au sud de la France ou dans une petite commune rurale, aussi charmante soit-elle !
Monsieur le ministre, quel est votre plan pour rendre l’hôpital public plus efficace et attractif, la suppression du numerus clausus ne pouvant plus être la seule solution ? Quelles actions entendez-vous mettre en œuvre pour que l’égalité des chances en santé soit réellement une réalité pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de cette question très factuelle, madame la sénatrice Gosselin. Vous l’avez introduite en évoquant plusieurs constats, que je partage.
Effectivement, notre Hôpital – avec un grand « H » – est soumis à une forte pression depuis des années, pour ne pas dire des décennies, cette pression étant exacerbée par la cinquième vague de covid-19.
Vous l’avez souligné, des plans blancs sont déclenchés dans certains territoires. Je vous indique que de tels plans vont être activés dans les prochaines heures à l’échelle régionale, en raison d’un afflux massif de patients atteints du covid-19.
J’ai déjà rappelé les chiffres : un malade atteint de forme grave entre en réanimation à l’hôpital toutes les dix minutes et, pratiquement chaque minute, un nouveau malade est hospitalisé quelque part en France en raison d’une forme symptomatique du covid-19. C’est la raison pour laquelle nous mettons l’accent sur la vaccination.
Dans ce contexte, nos soignants nous rappellent qu’ils étaient là pour la première vague, la deuxième, la troisième, la quatrième. Ils nous disent qu’ils sont fatigués, qu’ils tiennent bon, mais que c’est très compliqué, et qu’il faut déprogrammer des interventions. Nous connaissons cela, hélas ! madame la sénatrice.
Nous faisons face à une crise exceptionnelle, qui vient se surajouter à un état de tension dû, vous l’avez dit vous-même, à une pénurie de soignants, notamment de médecins, liée au numerus clausus. Vous avez aussi rappelé que nous avons supprimé le numerus clausus et vous avez eu raison d’indiquer que cela n’apporterait pas de solutions immédiates.
Mais nous améliorons tout ce qu’il nous est possible d’améliorer s’agissant du lien entre ville et hôpital, entre sanitaire et médico-social. Nous réduisons la charge administrative et tout ce qui n’est pas de portée médicale ou lié aux soins dans le quotidien des soignants. Nous faisons monter en compétences certains personnels non médicaux ; vous avez ainsi pu voter au Sénat un accès direct aux kinésithérapeutes, aux orthophonistes, la possibilité pour les orthoptistes de prescrire des lunettes, etc. Nous multiplions par deux le nombre des maisons et des centres de santé, des centaines de communautés professionnelles territoriales de santé ont vu le jour sur l’ensemble du territoire et l’activité de télémédecine a centuplé en deux ans.
Vous voyez donc, madame la sénatrice Gosselin, que nous mettons en œuvre toutes les solutions possibles.
En revanche, il n’y a pas de fuite de l’hôpital ou de démissions en masse. Nos hôpitaux comptent aujourd’hui plus de soignants qu’il y a deux ans – c’est un fait –, mais en raison de la charge de travail, du mouvement de réorganisation et de l’augmentation pérenne du nombre de lits de réanimation, cet accroissement ne suffit pas pour répondre à la demande.
Chaque fois que des difficultés sont recensées – vous avez cité celles que rencontre le service des urgences de votre hôpital du fait d’une pénurie de médecins urgentistes, pénurie qui est d’ailleurs nationale –, nous identifions localement, avec l’ensemble des acteurs concernés, des solutions en matière d’attractivité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
accompagnement des enfants handicapés hors temps scolaire
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Monsieur le ministre, je connais votre attachement au principe de l’école inclusive et je salue le fait que vous ayez élevé au rang de priorité un meilleur accompagnement à l’école des enfants en situation de handicap. Cette politique est partagée par tous les maires, notamment par ceux des plus petites communes.
Toutefois, l’arrêt du Conseil d’État du 20 novembre 2020 vient fragiliser une telle politique. En effet, le Conseil d’État considère que c’est à la collectivité locale, et non plus à l’État, d’assurer le financement des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sur le temps méridien et périscolaire.
Dans le Lot-et-Garonne, par exemple, cette évolution s’appliquera au 1er janvier 2022. C’est brutal, surtout pour les plus petites de nos communes, les maires n’ayant été prévenus qu’à la fin du mois de novembre.
Se pose aussi la question de leur capacité à supporter cette nouvelle charge, notamment sur le plan financier. In fine, cette évolution pourrait remettre en cause l’équité territoriale en matière d’accueil des enfants handicapés, qui ne peut dépendre de la seule capacité financière des communes.
Une école réellement inclusive ne peut pas et ne doit pas faire l’impasse sur la continuité des temps scolaires et périscolaires.
Monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il contrer cette jurisprudence du Conseil d’État pour revenir au statu quo ? N’est-il pas possible, au moins, de repousser la mise en œuvre de cette décision du 1er janvier 2022 à la rentrée scolaire de 2023 ? Enfin, peut-on envisager de prendre le temps de clarifier les financements permettant un accompagnement pérenne des élèves en situation de handicap, afin que ceux-ci ne dépendent pas uniquement des communes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. - M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Moga, je partage bien entendu la vision que vous avez exposée : nous voulons tous une école inclusive, prenant en compte l’ensemble des temps de l’enfant, c’est-à-dire le temps scolaire et le temps périscolaire.
Une telle école suppose aussi une réalité humaine, car il faut, si possible, que l’AESH soit le même tout au long de la journée, de la semaine, voire de l’année. C’est d’ailleurs l’un des objectifs que nous avons cherché à atteindre en pérennisant le statut des AESH. Pratiquement tous disposent désormais de contrats à durée déterminée ou indéterminée, et non plus de contrats aidés, comme par le passé.
Dans ce contexte et avec cette volonté, l’arrêt du Conseil d’État soulève effectivement des questions particulières.
Bien entendu, je ne saurai le commenter ou le critiquer. Par définition, le Conseil d’État donne un état du droit. Sa lecture est par ailleurs assez cohérente et nul doute que vous respectiez aussi cette décision, monsieur le sénateur, puisqu’il s’agit de tirer les conséquences du fait que les collectivités locales ont la compétence sur le temps méridien. Il est donc assez normal de considérer que l’État est responsable sur le temps scolaire et la collectivité sur le temps périscolaire. Néanmoins, il faut faire en sorte que les conséquences ne soient pas nuisibles pour l’enfant.
Sur un plan strictement juridique, on peut envisager différents montages : un contrat avec l’État, assorti d’une mise à disposition auprès de la collectivité locale ; un contrat avec la collectivité locale, complémentaire du contrat passé avec l’État ; un contrat conjoint avec l’État et la collectivité locale. Cela pourrait engendrer une certaine complexité, mais notre nouvelle organisation au plus près du terrain, à travers les pôles inclusifs d’accompagnement localisés – ou PIAL – me semble à même de nous permettre de trouver des solutions pragmatiques.
Au-delà des enjeux juridiques, il y a bien évidemment des enjeux financiers. Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et moi-même avons la ferme intention de trouver des solutions à ce problème, en concertation avec l’ensemble des représentants des collectivités.
Bien entendu, notre objectif est qu’il n’y ait pas de rupture sur le terrain, y compris au mois de janvier prochain. Aucun enfant ne doit se trouver dans une situation désavantageuse du fait de cette nouvelle définition juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 15 décembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Monsieur le président, à l’occasion du scrutin public n° 56 portant sur l’ensemble de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, je souhaitais voter pour, ainsi que mon collègue Jean-François Rapin.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Remplacement d’une sénatrice décédée
M. le président. Conformément à l’article 32 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre de l’intérieur m’a fait connaître que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Amel Gacquerre est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice du Pas-de-Calais, Catherine Fournier, décédée le 7 décembre 2021.
Son mandat a débuté le mercredi 8 décembre 2021, à zéro heure.
6
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 27 voix pour, 2 voix contre – sur la nomination de Mme Anne-Claire Mialot en tant que directrice générale de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Candidature à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
9
Accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer (proposition n° 490 [2020-2021], texte de la commission n° 248, rapport n° 247).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous dire mon plaisir d’être parmi vous aujourd’hui et à vous remercier d’avoir inscrit à l’ordre du jour de vos travaux ce sujet qui m’est cher, comme vous le savez peut-être, et auquel personne ne peut rester indifférent.
Nous avons eu l’occasion de débattre régulièrement, dans cet hémicycle comme à l’Assemblée nationale, d’une meilleure prise en charge des enfants malades et de l’accompagnement de leurs familles.
Nous avons ainsi abordé le financement de la recherche sur les cancers pédiatriques et débattu d’un texte, que j’ai défendu en tant que députée, visant à renforcer la prise en charge de ce type de cancers par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels ou encore le droit à l’oubli.
Nous avons été plusieurs à porter au débat national les sujets si nécessaires à l’accompagnement des familles en situation de fragilité. Je pense notamment à Guy Bricout, qui a déposé une proposition de loi visant à instaurer un congé de deuil pour le décès d’un enfant mineur. Je pense aussi à Paul Christophe, dont la proposition de loi est venue corriger quelques écueils du texte que j’avais défendu pour permettre, notamment, le doublement de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP). Ces textes ont permis de véritables avancées et amélioré l’accompagnement des malades et de leurs proches.
Je souhaite bien sûr saluer le travail remarquable et l’engagement de Béatrice Descamps et de Jocelyne Guidez, qui ont toutes deux porté le travail parlementaire sur ces textes dans leur assemblée respective.
La proposition de loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer tend à ouvrir des jours de congé aux parents et à faciliter le parcours de santé et la scolarité des enfants malades.
Sur ce sujet si douloureux, l’éducation nationale n’est pas en reste. Elle prend toute sa part pour accueillir ces élèves et les quelque 11 000 d’entre eux qui sont scolarisés dans des établissements hospitaliers ou sanitaires. Ainsi, des dispositions sont prévues pour permettre aux enfants et aux adolescents dont l’état de santé rend nécessaire l’administration de traitements médicaux particuliers de poursuivre une scolarité dans les meilleures conditions possible. Il s’agit d’ailleurs d’une obligation légale, prévue dans le code de l’éducation.
Des outils précis existent, comme le projet d’accueil individualisé (PAI), qui permet de définir les adaptations nécessaires, telles que l’aménagement des horaires de l’élève, des dispenses de certaines matières et activités ou encore l’organisation des soins.
Les modalités en matière d’examens et de concours des candidats sont définies dans une circulaire de décembre 2020, qui assure une cohérence entre les aménagements de scolarité inscrits dans le PAI et les demandes d’aménagement des épreuves d’examen.
Enfin, nous ne pouvons aborder cette proposition de loi sans évoquer les remarquables progrès enregistrés au cours des dernières années en matière de scolarisation des enfants porteurs d’un handicap, pour une école plus inclusive. Je veux saluer, à cet égard, la politique volontariste de Jean-Michel Blanquer et de ma collègue Sophie Cluzel.
Dans certains cas, les enfants malades ne peuvent pas se rendre en milieu scolaire, parce qu’ils sont hospitalisés ou contraints de rester à leur domicile. Il existe alors plusieurs solutions.
Parfois, c’est l’école qui vient à eux. Ainsi, près de 800 enseignants spécialisés sont affectés dans les hôpitaux ou dans des maisons d’enfants à caractère sanitaire.
À cet instant, je ne peux m’empêcher de penser à l’hôpital d’enfants de Margency, un établissement de soins de suite situé dans le Val-d’Oise, où je suis élue, qui accueille des enfants âgés de quelques semaines à 18 ans. Il héberge en son sein, au milieu d’un magnifique parc, une très belle école, colorée comme toutes nos écoles, à la différence près que les élèves arrivent le matin en classe en fauteuil roulant ou avec une perfusion au bras. Je profite de cette intervention pour les saluer, mais aussi pour saluer et remercier leurs professeurs.
Lorsque les élèves doivent rester à leur domicile, ce sont les enseignants qui viennent à eux afin de leur permettre de conserver un lien avec leur école et leur classe.
Et puis, dans le cadre du programme R2T2, il y a Thymio ou Poppy. Il s’agit ici non pas de programmes visant à vous envoyer sur Mars ou sur la lune, mais des noms de deux robots. L’intelligence artificielle est désormais mise au service des enfants malades dans le cadre du programme Travailler ensemble à distance et en interaction, ou TED-i, que notre ministère et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ont lancé. Jean-Michel Blanquer et Brigitte Macron se sont rendus dans une école, voilà quelques jours, pour échanger avec les enfants qui peuvent, grâce à ces robots, rester connectés à leurs classes.
Ce programme est destiné aux élèves empêchés par une maladie grave ou de longue durée et désireux de suivre des cours à distance à l’hôpital, en établissement de soins ou à domicile, voire sur leur lieu de convalescence. Il est destiné à améliorer l’accompagnement pédagogique et la socialisation des jeunes élèves ou des étudiants éloignés de leur classe. Il prend des formes diverses, depuis une petite caméra posée sur le bureau du professeur, jusqu’à un robot, de la taille d’un enfant, placé au milieu de la classe.
Vous l’aurez compris, le ministère de l’éducation nationale prend toute sa part et répond aux besoins des élèves présentant des particularités de santé ou des maladies graves, comme le cancer. C’est notre responsabilité, bien sûr, et ce qui fait la grandeur de l’école de la République.
Au-delà des normes juridiques, textes, règlements, outils, mesures, dispositifs, nous avons, avant tout, une obligation morale.
Épreuve intime et douloureuse qui bouleverse des familles et des fratries, la maladie, particulièrement le cancer, suscite un sentiment d’injustice, qui se transforme souvent en révolte lorsqu’elle touche nos enfants. Nous ne saurions être indifférents à la charge psychologique des parents concernés, qui deviennent des aidants familiaux, ni à la fragilité et aux difficultés des enfants.
Je l’évoquais dans mon propos introductif, à travers ces textes successifs – s’il fallait en apporter la preuve, je crois que c’est fait –, nous sommes tous plus que jamais mobilisés pour lutter contre les inégalités, pour soutenir les plus fragiles, nos enfants malades et leur famille. C’est aussi ce qui fait l’honneur et la grandeur de notre société.
J’aime beaucoup cette citation de Pythagore : « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant ». Ce sera mon propos conclusif et, dans cet esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à soutenir ce texte.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à m’associer à l’hommage qui a été rendu par le président Larcher à notre collègue Catherine Fournier, qui nous a quittés hier.
La proposition de loi que nous examinons vise à faciliter la scolarisation et l’accompagnement par leur famille des enfants atteints d’une pathologie chronique ou d’un cancer.
Déposée par notre collègue députée Béatrice Descamps, elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en première lecture le 25 mars dernier. Son premier objectif est d’accorder un congé immédiat aux parents sans perte de salaire ni de jour de congé afin de leur permettre de faire face à l’annonce de la maladie de l’enfant.
Le droit existant permet déjà aux salariés et aux agents publics de s’absenter de leur travail pour faire face à diverses situations liées à la maladie ou au handicap d’un enfant. Les salariés disposent ainsi, depuis la loi de 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, d’un congé d’au moins deux jours à l’annonce de la survenue d’un handicap chez leur enfant. Il est rémunéré par l’employeur et assimilé à du temps de travail effectif pour la détermination des congés annuels.
Par ailleurs, lorsque l’enfant est atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensable une présence soutenue et des soins contraignants, les salariés bénéficient, d’une part, du mécanisme de don de jours de repos non pris créé par la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d’un enfant gravement malade et, d’autre part, d’un congé de présence parentale.
Rappelons également que, lorsque l’état de santé de l’enfant nécessite une hospitalisation immédiate après sa naissance, la première période de quatre jours de congé de paternité et d’accueil est prolongée de droit dans la limite de trente-deux jours consécutifs.
Enfin, le salarié bénéficie de trois jours par an en cas de maladie ou d’accident de l’enfant à charge de moins de seize ans. Cela permet à un parent salarié de s’absenter en cas d’annonce de la maladie de son enfant, mais l’employeur n’est pas tenu de le rémunérer.
Les agents publics bénéficient quant à eux d’autorisations spéciales d’absence liées à la parentalité et à certains événements familiaux.
Par ailleurs, le congé de présence parentale est également prévu pour les fonctionnaires et le don de jours de repos leur a été étendu par décret.
La survenance d’une maladie chez l’enfant est un choc brutal et imprévisible, qui nécessite une réaction immédiate de sa famille. Pour les parents, qui ont besoin d’un temps pour s’organiser et appréhender la pathologie, le travail constitue le premier obstacle : si la majorité des employeurs se montrent compréhensifs, il existe des inégalités qui justifient la création d’un congé spécifique.
L’article 1er de la proposition de loi crée donc un nouveau motif d’absence pour événement familial au bénéfice des salariés en étendant le congé de deux jours accordé pour l’annonce de la survenue d’un handicap chez l’enfant aux cas de pathologie chronique nécessitant un apprentissage thérapeutique ou d’un cancer.
Il inscrit par ailleurs dans la loi le principe d’une autorisation spéciale d’absence pour les fonctionnaires dans les mêmes cas.
Le décret qui précisera la liste des pathologies chroniques concernées devra être pris rapidement – j’insiste sur ce point.
Comme les autres congés pour événement familial, celui-ci serait à la charge de l’employeur. Ce dispositif, qui constitue l’apport le plus substantiel de la proposition de loi, permet de combler une lacune des différents congés existants. La commission vous propose donc de l’approuver.
Le deuxième objectif de ce texte est de développer des échanges entre les parents et l’équipe éducative afin d’améliorer les conditions de travail de l’enfant à l’école.
Conformément au principe de scolarisation inclusive de tous les enfants sans aucune distinction, les enfants, adolescents et adultes présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant peuvent être scolarisés au sein de dispositifs adaptés.
En particulier, un projet d’accueil individualisé peut être mis en place lorsque la scolarité de l’élève nécessite des aménagements. Ce document précise la nature de ces aménagements, notamment la conduite à adopter en cas d’urgence. Les principales pathologies concernées sont l’asthme, les allergies, le diabète et l’épilepsie. Les cancers, leucémies et tumeurs, plus rares, représentent une bien moins grande proportion des PAI.
Ces aménagements sont élaborés avec le concours du médecin scolaire ou de la protection maternelle et infantile, à la demande de la famille ou, en accord et avec la participation de celle-ci, par le directeur d’école ou le chef d’établissement.
Les échanges entre parents, enseignants, médecins scolaires, nécessaires à cette élaboration, ont été récemment renforcés par la circulaire du 10 février 2021, laquelle prévoit notamment des réunions d’information censées impliquer l’ensemble des parties prenantes. Elles peuvent pourtant parfois être insuffisamment inclusives et se tenir dans un délai trop long, entraînant retard et incompréhension chez certains professionnels, qui peuvent, en fin de compte, refuser de signer le PAI.
Pour répondre à ces difficultés, l’article 2 prévoit l’organisation d’une réunion portant sur les modalités de mise en œuvre du PAI. Celle-ci devra rassembler l’élève, ses responsables légaux, le directeur ou le chef d’établissement, ainsi que l’enseignant ou le professeur principal. Pourront y prendre part d’autres professionnels accompagnant l’enfant sur le temps scolaire ou périscolaire, un représentant de la collectivité territoriale compétente, ainsi qu’un professionnel de santé ou de la médecine scolaire. Elle devra se tenir si possible dans un délai de vingt et un jours à compter de l’annonce du diagnostic ou en amont de l’arrivée de l’enfant dans l’établissement.
L’article 2 améliore en outre l’information des enseignants grâce à une documentation ad hoc.
Le retour à l’école peut être difficile pour l’enfant, surtout lorsque son aspect physique est modifié par la maladie. Les progrès considérables déjà observés, grâce notamment aux robots de téléprésence, seraient utilement complétés par le temps d’échange prévu à l’article 2 quater, mené conjointement par un intervenant du secteur médical ou associatif et le professeur et organisé à la demande des parents. L’enjeu est de préparer la classe au retour de l’enfant à la suite d’une hospitalisation ou d’une absence prolongée à cause d’une pathologie chronique ou d’un cancer.
Au-delà de ces dispositions, j’attire l’attention du Gouvernement sur l’amélioration de l’équipement des établissements du premier degré en stylos auto-injecteurs. Ces dispositifs, déjà imposés dans les établissements du second degré, sont très utiles en cas de réaction anaphylactique et peuvent empêcher la survenance de décès.
Un dernier volet du texte vise à améliorer les conditions d’accueil et d’encadrement par les équipes éducatives des enfants atteints de pathologies chroniques. À cette fin, la sensibilisation et la formation des enseignants constituent un axe d’amélioration certain.
L’article 2 bis prévoit donc d’étendre aux maladies chroniques la formation spécifique des enseignants de l’éducation physique et sportive sur les différentes formes de handicap, tandis que l’article 2 ter complète les formations de sensibilisation à la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers délivrées par les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), pour y inclure les élèves atteints de pathologies chroniques.
Ces dispositions s’appuient sur les outils existants pour combler les lacunes de la formation du personnel enseignant et d’éducation.
En pratique, il serait pertinent d’ouvrir aux enseignants chargés d’enfants malades certains modules de formation, très complets, destinés aux enseignants spécialisés dans le cadre du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive.
En ce qui concerne les conditions de passation des examens, sujet important, des aménagements particuliers sont déjà prévus pour les élèves en situation de handicap ou atteints de troubles de la santé invalidants. Ces contextes de fort stress sont propices aux crises, face auxquelles il faut savoir réagir. Pourtant, les centres d’examen ne sont pas toujours informés de la présence d’élèves bénéficiant d’un PAI ni du contenu de celui-ci.
L’article 3 prévoit donc la communication du PAI au centre d’examen lorsque celui-ci est distinct de l’établissement d’origine de l’élève. Il peut y être indiqué si la présence d’un professionnel de santé est nécessaire.
Mes chers collègues, comme l’a relevé la commission, cette proposition de loi soulève d’importantes questions, auxquelles elle n’apporte que des réponses modestes. Ses dispositions concernant l’école n’ont, en réalité, pas besoin d’un texte législatif pour être mises en œuvre, et l’on peut se demander, madame la secrétaire d’État, ce qui empêche le Gouvernement de s’y employer, alors qu’il soutient cette proposition de loi. Celle-ci s’ajoute à une série d’autres textes ponctuels portant sur des sujets connexes sur lesquels une vision globale semble encore faire défaut.
Ce texte représente néanmoins une avancée et répond à une certaine urgence pour les associations de parents. Son adoption conforme permettra l’entrée en vigueur rapide de l’article 1er et facilitera, en définitive, la vie des familles concernées par la maladie chronique d’un enfant. La commission vous propose donc de l’adopter sans modification.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit un accompagnement des parents d’enfants atteints d’une pathologie chronique ou d’un cancer lors de l’annonce de la maladie en ouvrant droit à deux jours de congé minimum.
Une telle disposition existe déjà pour l’annonce de la survenue d’un handicap depuis l’adoption de la loi du 8 août 2016.
L’extension de ce congé exceptionnel à l’annonce d’une maladie chronique telle que le diabète ou d’un cancer permettra de laisser quelques jours à la famille pour s’organiser et effectuer l’apprentissage thérapeutique nécessaire à la compréhension de la maladie.
Cette annonce est souvent brutale et nécessite un temps d’adaptation et d’échange spécifique avec l’enfant et les professionnels.
Ce congé serait rémunéré par l’employeur et les maladies concernées seraient précisées par décret.
La proposition de loi prévoit également d’améliorer l’accompagnement de l’enfant dans sa scolarité après l’annonce de sa maladie. Ce sont des dispositions de nature réglementaire, mais nous comprenons parfaitement la volonté de l’auteure de ce texte, la députée nordiste Béatrice Descamps, que je félicite de son initiative, et de ses cosignataires de le voir adopté sans modification afin qu’il puisse entrer en vigueur rapidement.
L’article 2 inscrit dans la loi le projet d’accueil individualisé mis en place pour accompagner l’élève qui présente une maladie nécessitant des adaptations dans sa vie scolaire. Ce dispositif prendra la forme d’une réunion entre l’élève, les parents et l’équipe pédagogique dans les vingt et un jours à compter de l’annonce du diagnostic. Il me paraît particulièrement important, compte tenu du manque de formation et d’information des enseignants sur la prise en charge d’enfants atteints de maladies graves ou de certaines pathologies chroniques méconnues, telles que l’épilepsie.
Si le quotidien des familles est bouleversé par l’annonce de la maladie, les enseignants sont souvent désemparés, notamment les professeurs d’éducation physique et sportive. La prise en charge de l’enfant doit être anticipée, organisée et adaptée, tout comme l’accompagnement des enseignants. Ces enfants doivent faire l’objet d’une attention particulière, en raison de leur maladie, mais également pour prévenir toute situation de harcèlement ou de mise à l’écart à la suite d’une crise.
L’article 3 prévoit l’information systématique du centre d’examen de la présence d’élèves disposant d’un projet d’accueil individualisé afin qu’il puisse prendre ses dispositions en amont de leur accueil et prévoir, par exemple, la présence d’un professionnel de santé.
Ces dernières années, de nombreuses mesures ont contribué à renforcer l’accompagnement des enfants atteints de maladies graves. Le Sénat a ainsi adopté récemment la proposition de loi de Paul Christophe, député du Nord, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu. Je pense également à la proposition de loi de mon collègue nordiste Guy Bricout.
Au même moment, le Gouvernement a revalorisé à hauteur du SMIC le montant de l’allocation journalière versée dans cette situation.
Ces démarches participent, d’un même tenant, à rendre notre société plus juste et plus solidaire. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quand le verdict tombe, lorsque les parents apprennent que leur enfant est atteint d’une maladie grave, tout s’écroule ! C’est un drame. Il n’y a pas d’autres mots ou peut-être manquent-ils pour exprimer les émotions que suscite une telle annonce.
Alors que nous sommes réunis dans cet hémicycle pour examiner la proposition de loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer, je souhaite tout d’abord remercier Mme la députée Béatrice Descamps, avec qui j’ai pu échanger, pour le travail accompli et le volontarisme qu’elle a su insuffler dans nos deux chambres sur ce sujet.
Accompagner ces familles est un devoir ; il est impossible d’en refuser la responsabilité en notre qualité d’élu. Nous devons les aider en leur donnant les moyens de continuer à vivre aussi normalement que possible dans une telle situation.
Si l’école n’est pas aussi inclusive que nous pourrions le souhaiter, des efforts significatifs, même s’ils sont encore loin d’être suffisants, ont été faits pour les enfants présentant un handicap. En revanche, rien n’est fait – ou trop peu – pour les enfants porteurs d’une maladie chronique ou d’un cancer. Les enseignants ont besoin de connaître et de comprendre les conséquences, les répercussions de la maladie ou du traitement sur la scolarité de l’élève, sur sa capacité d’attention, de concentration, sur sa fatigabilité, et ce afin d’adapter au mieux leur pédagogie.
L’introduction d’un congé spécifique, à l’instar de celui dont bénéficient les parents d’enfants atteints d’un handicap, est une avancée indéniable, un progrès dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Toutefois, les échanges et les rencontres sur le terrain nous ont permis de mesurer les attentes de nos concitoyens touchés par cette tragédie. Ce que nous devons retenir est simple : bien évidemment, deux jours, ce n’est pas assez, et, bien sûr, il faudra faire plus et encore mieux pour ces enfants et leurs parents.
Deux jours, c’est court. Deux jours, c’est peu pour encaisser le choc. L’annonce d’un tel diagnostic est toujours un moment difficile et douloureux pour les familles. Si certaines pathologies ne nécessitent pas d’hospitalisation ou d’apprentissage thérapeutique particulier, d’autres requièrent en revanche une hospitalisation immédiate. Les parents et les enfants doivent alors comprendre la maladie et apprendre à la gérer, à repérer certains signes, à administrer des traitements, à utiliser du matériel médical, par exemple à faire une injection ou à utiliser un lecteur de glycémie.
L’enfant a besoin de la présence de ses parents pour le suivi de la maladie, mais aussi pour le rassurer.
Je profite de cette intervention pour saluer le travail titanesque effectué par nos associations. À titre d’exemple, je citerai la Ligue contre le cancer, qui, au-delà de toutes ses actions, accompagne et soutient les parents d’enfants malades.
Dans mon département des Alpes-Maritimes, l’association Adrien, dont je suis la marraine, œuvre au quotidien pour soulager les familles et se bat avec de modestes moyens pour récolter des fonds et mener des projets. Au printemps prochain, la maison d’Adrien verra le jour, un lieu unique en France destiné notamment à héberger les familles dont l’enfant est hospitalisé. Il y a là aussi un sujet. L’État aurait dû apporter son soutien à ce remarquable projet : il ne faudrait pas que les associations aient trop souvent à combler les carences de l’autorité publique.
Vous l’aurez compris, personnellement et politiquement investie sur ce sujet, je ne peux que soutenir cette proposition de loi et les améliorations qu’elle permet. Cette reconnaissance législative des enfants atteints d’une maladie chronique et de leurs parents constitue une première pierre.
Pour conclure, je m’adresserai à Adrien, Flavien ou Paloma : nous ne cesserons jamais de travailler pour aller plus loin et répondre avec justesse aux cris d’alarme des familles, qui affrontent avec courage la maladie de leur enfant et les peurs qui en découlent inévitablement.
Fidèle à mon engagement de toujours, je suis fière d’appartenir à une majorité qui s’investit dans la protection et la défense des familles frappées par la maladie. C’est donc en cohérence que je soutiens la création d’un congé spécifique, qui est nécessaire tant du point de vue du droit que du point de vue humain.
Cette proposition de loi constitue un point de départ et non l’aboutissement de la construction du cadre juridique pleinement protecteur que nous appelons tous de nos vœux dans cette assemblée, j’en suis certaine, et ce quel que soit le groupe politique auquel nous appartenons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’en venir au contenu de cette proposition de loi déposée par le groupe Union Centriste, que nous remercions, permettez-moi de faire un point sur les maladies chroniques qui justifient ces nouveaux droits.
L’établissement d’un lien étroit entre santé et environnement est ancien. Hippocrate écrivait dans son traité Airs, eaux, lieux : « Pour approfondir la médecine, il faut d’abord considérer les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants. »
Les écologistes font d’ailleurs ce constat depuis toujours. En 2007, dans son ouvrage Le Défi des épidémies modernes, le toxicologue André Cicolella a marqué les esprits en parlant de « pandémie des maladies chroniques ». Le terme se justifie. Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dénombrait, dans un rapport publié en 2019, vingt millions de personnes – enfants et adultes – atteintes de maladies chroniques en France.
Ce constat est alarmant. À cet égard, je ne peux que rappeler l’importance de développer des recherches multidisciplinaires sur les maladies chroniques sous un angle médical, mais aussi social, économique et environnemental. Or la France a pris du retard dans ce domaine.
L’Organisation mondiale de la santé définit la maladie chronique comme un « problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années […], engendrant un besoin de soins médicaux, d’aide psychologique, d’éducation ou d’adaptation ».
Aussi cette proposition de loi vise-t-elle à mieux accompagner les enfants atteints de ces pathologies en milieu scolaire, ainsi que leur entourage.
Elle est bienvenue sur un aspect notable : le congé de deux jours qu’il est prévu d’inscrire dans le code du travail pour les parents qui apprennent que leur enfant est atteint d’une pathologie chronique ou d’un cancer. Deux jours, cela peut sembler modeste ; néanmoins, la reconnaissance de ce droit nouveau marque une réelle avancée, qu’il conviendra d’étendre, y compris par les accords de branche.
En revanche, nous nous interrogeons sur l’ambition de l’article 3, raboté par rapport à sa version initiale. Ainsi, la présence « obligatoire » d’un médecin ou d’un infirmier scolaire dans chaque centre d’examen durant les épreuves, afin d’assurer l’équité des conditions de travail entre les élèves, devient une présence « souhaitable » dans la rédaction qui nous est proposée.
De fait, nous craignons une faible effectivité des dispositifs proposés, notamment pour mettre en œuvre les temps de concertation. En effet, lors de l’examen des nombreux textes dont nous discutons, nous nous heurtons à la pénurie de médecins scolaires, de médecins du travail, de médecins en centres de protection maternelle et infantile.
Tout concourt à la faible attractivité de cette spécialisation, laquelle menace la qualité et l’égalité des soins en milieu scolaire et donc la politique de prévention et de promotion de la santé.
L’éducation et l’apprentissage thérapeutiques nécessitent que soient déployés au sein de l’éducation nationale des moyens humains à la hauteur.
Le Gouvernement a récemment demandé au député Paul Christophe de formuler dans un rapport des propositions d’amélioration des dispositifs existants. Si l’on peut s’en féliciter, il est dommage que, concernant la santé des enfants, cette prise de conscience ne se fasse qu’à la fin du quinquennat.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoire votera ce texte conforme, afin qu’il puisse entrer en vigueur au plus vite, même si les avancées qu’il contient sont modestes. Il portera une attention particulière aux propositions du rapport précité, qui devrait être remis en février 2022. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie à mon tour le groupe Union Centriste d’avoir déposé cette proposition de loi, qui concerne entre 1,5 million et 4 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes âgés de quelques semaines à 20 ans et atteints de maladies chroniques.
Elle crée ainsi un nouveau droit à des congés pour les parents à l’annonce du diagnostic de la pathologie afin que ces jeunes patients puissent être entourés. Ce congé viendrait en complément du congé de deuil de douze jours consécutifs pour le décès d’un enfant mineur voté par le Sénat voilà moins d’un an.
Il viendrait également en complément de la proposition de loi que nous avons votée le 4 novembre dernier visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
Sur le fond, cette proposition de loi vise tout d’abord à mieux accompagner les enfants malades dans le milieu scolaire. Nous savons combien c’est important. La crise sanitaire n’a fait que conforter ce constat.
Ainsi, il s’agit de maintenir la continuité pédagogique des apprentissages scolaires pour des enfants soumis à des interruptions de scolarité lors des examens médicaux et en raison des effets secondaires de leur maladie et de ses traitements. Il s’agit également de lutter contre les préjugés et les stéréotypes que subissent ces enfants malades. Il s’agit enfin de veiller à l’aménagement des épreuves des examens de ces enfants.
Initialement, la proposition de loi prévoyait la présence d’un médecin ou d’une infirmière scolaire dans le centre d’examen, mais, face au manque de personnels, l’Assemblée nationale a préféré faciliter la communication du projet d’accueil individualisé.
C’est l’occasion pour moi, comme pour l’ensemble des membres de mon groupe, d’alerter sur le désinvestissement des gouvernements successifs dans le secteur de la médecine scolaire, lequel a entraîné une baisse des effectifs. On compte désormais 1 000 médecins et 8 000 infirmières scolaires, les disparités territoriales étant assez fortes.
Nous regrettons également que les services d’éducation spéciale et de soins à domicile ou encore les aidants familiaux – c’est là la limite de cette proposition de loi – ne soient pas mobilisés dans les dispositifs existants.
Enfin, nous déplorons que, sans doute en raison du couperet de l’article 40 de la Constitution, ce texte ne contienne aucune mesure visant à réduire le reste à charge des familles. Selon une enquête réalisée en 2016 – en 2021, les chiffres devraient être plus accablants –, le reste à charge moyen annuel pour un malade chronique s’élève à 752 euros. Pour une personne en affection longue durée, il est d’environ 820 euros, contre 430 euros pour les personnes n’étant pas en affection longue durée. Ce reste à charge pèse donc lourdement sur les familles dont nous parlons.
On le voit, cette proposition de loi, comme les autres, ne prend en compte qu’un aspect du problème, certes important. Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, nous examinons en ce moment une série de propositions de loi traduisant souvent des intentions très louables, mais, faute d’appréhender les problématiques dans leur ensemble, ces textes manquent de sens et de cohérence.
Ce qu’il faut, madame la secrétaire d’État, ce sont des projets de loi qui aillent au bout des problèmes qui se posent. C’est d’autant plus vrai dans les domaines de la santé publique et de la protection sociale.
Pour en revenir à cette proposition de loi, les difficultés que rencontrent au quotidien les enfants atteints d’une maladie chronique et leurs familles nécessitent un accompagnement et un soutien de l’État. Vous avez dit en être totalement convaincue, mais il faut aller plus loin en termes de moyens financiers et humains.
En tout état de cause, face à la détresse des familles confrontées à la maladie de leur enfant, on ne peut qu’apprécier le petit progrès que représente cette proposition de loi. C’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain citoyen et écologiste la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer la députée Béatrice Descamps, présente dans nos tribunes, pour son travail auprès des familles dont les enfants sont porteurs de maladies graves, ainsi que pour son engagement en faveur d’une meilleure prise en charge de la scolarisation de nos enfants.
Le groupe Union Centriste aura eu raison d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux.
Je remercie aussi notre collègue et rapporteur Alain Duffourg pour la clarté de son rapport.
Apprendre que son enfant est porteur d’une maladie grave ou handicapante représente évidemment pour les familles une préoccupation certaine, voire un choc psychologique selon les cas.
Ces familles apprécieront de savoir que le Parlement œuvre afin qu’elles puissent bénéficier de deux jours de congé lorsqu’elles apprennent que leur enfant est atteint d’une pathologie chronique ou d’un cancer.
La durée de ce congé, qui pourrait être perçue comme symbolique, est avant tout une avancée. Le travail est l’un des premiers obstacles qui empêchent les familles de prendre du temps pour se remettre de leurs émotions, mais aussi, et surtout, pour s’organiser, se renseigner, effectuer les démarches nécessaires, être conseillées et accompagnées.
Si la plupart des employeurs se montrent compréhensifs, la libre appréciation ne peut faire loi et justifie la création d’un congé spécifique.
Parfois même, une fois le diagnostic médical posé, l’enfant doit être pris en charge et hospitalisé dans les plus brefs délais. Cette mesure permettra de faciliter la vie des familles et de rassurer l’enfant.
L’idée est somme toute assez simple : il s’agit de modifier l’article L. 3142–4 du code du travail en étendant le droit à congé jusqu’ici réservé aux parents apprenant le handicap de leur enfant aux parents apprenant la pathologie chronique ou le cancer de leur enfant.
La première question qui se pose à nous est la suivante : quelles pathologies chroniques figureront dans la liste définie par décret, madame la secrétaire d’État ? Le décret prendra-t-il en compte, par exemple, les leucémies et les tumeurs lourdes ?
Nous serons très attentifs à ce qu’aucune pathologie ou maladie grave ne soit oubliée. Oublier une seule des pathologies chroniques, c’est négliger certaines familles, c’est négliger l’enfant porteur de la maladie.
Puisque j’évoque le décret, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous prendre l’engagement de le publier le plus rapidement possible ?
Nous avons tous noté que le Gouvernement avait déposé un amendement visant à lever le gage de la proposition de loi en première lecture à l’Assemblée nationale, signe de votre soutien à ce texte.
Ne pouvant envisager que vos services soient attentistes, j’imagine que le décret est déjà prêt à être signé, compte tenu du manque de formation du personnel pédagogique sur ces sujets et du besoin de publicité et d’information sur ce nouveau droit.
Aussi, madame la secrétaire d’État, nous aimerions que vous nous le confirmiez, voire que vous nous présentiez ce projet de décret à l’issue de la discussion de ce texte.
J’ajoute que le délai de six mois maximum prévu à l’article 3 bis pour évaluer les difficultés que peuvent rencontrer les parents, recommander des solutions afin de les aider dans les démarches administratives complexes, pour promouvoir le dispositif et le rendre efficient économiquement et socialement, est presque coupable !
Outre ces aspects techniques, j’évoquerai à présent avec un peu de recul un point qui pourrait surprendre nos concitoyens qui nous écoutent.
La durée du congé pour l’annonce de la maladie grave d’un enfant – deux jours – ferait presque figure de petite provocation sachant que l’article L. 3142-4 du code du travail prévoit par ailleurs un congé d’une durée de quatre jours pour la célébration d’un mariage ou d’un PACS. Loin de moi l’envie de faire preuve de cynisme, mais j’oserai dire que, si un mariage est célébré « pour le meilleur et pour le pire », la maladie de son enfant n’est, elle, jamais « pour le meilleur ». Un congé d’une durée d’un à deux jours supplémentaires aurait été bienvenu, même si nous reconnaissons sincèrement l’avancée que permet ce texte.
Doivent également être reconnues comme des avancées les articles 2 et 3, qui portent sur l’accompagnement en milieu scolaire. Le principe républicain d’égalité implique que les élèves puissent suivre leur scolarité sans distinction et disposer des mêmes chances de réussite. La maladie ne doit pas être un frein à la scolarité et à l’épanouissement des enfants.
L’article 2 prévoit un échange entre l’ensemble des personnes impliquées afin d’évoquer les conséquences possibles de la maladie ou des traitements, la scolarité ou le comportement de l’enfant, mais non la maladie en elle-même, le secret médical devant être préservé.
Placer l’élève au centre des réflexions et des échanges afin de garantir sa réussite et son épanouissement, n’est-ce pas là donner du sens à l’école ?
Proposer aux intervenants de la documentation thématique afin de leur permettre de mieux appréhender les conséquences de la maladie sur la scolarité va dans le bon sens.
Adapter les dispositifs d’aménagement des classes, mettre en œuvre des formations de sensibilisation à la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, engager la formation spécifique des enseignants d’éducation physique et sportive sur les différentes formes de handicap, c’est rendre l’école plus inclusive.
En ce qui concerne l’école, nous regrettons vivement que l’article 44 alinéa 3 et l’article 45 de la Constitution ne puissent permettre, dans le cadre de cette proposition de loi, une réflexion sur la médecine scolaire.
Mes chers collègues, en matière d’accompagnement des familles et des aidants, nous avançons, certes, mais à petits pas, proposition de loi après proposition de loi, en essayant de colmater et de réformer ici ou là, comme on le voit encore avec le présent texte. Observant des manquements partout, nous appelons de nos vœux une réforme plus ample !
Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les chiffres sont connus, mais il me semble nécessaire de les rappeler. En France, entre 1,5 million et 4 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes, âgés de 0 à 20 ans, sont atteints de maladies chroniques et environ 2 500 enfants sont atteints d’un cancer. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde un sujet douloureux, qui ne peut laisser personne indifférent.
La maladie entraîne de nombreux bouleversements dans le quotidien de ces enfants et de leurs parents. Confrontés à la brutalité de l’annonce, ces derniers doivent mettre en place une nouvelle organisation de leur cadre de vie et de la vie scolaire de leur enfant. Un enfant malade a plus que quiconque besoin d’une vie sociale riche et équilibrée.
Je tiens à saluer le dispositif mis en place à l’article 1er, qui vise à répondre à la difficulté, pour les parents, de concilier vie privée et vie professionnelle lorsque survient la maladie de leur enfant. En effet, une telle annonce est toujours une épreuve difficile à surmonter pour les familles.
Ce nouveau droit ne règle évidemment pas tout : deux jours peuvent sembler dérisoires pour certains, mais c’est toutefois une avancée. Le groupe du RDSE soutient évidemment cette disposition, car il faut laisser du temps aux parents pour commencer à accepter cette annonce et, surtout, pour mieux s’organiser dans leur quotidien.
Ce texte entend également améliorer l’accueil de ces enfants à l’école. Si la scolarisation des enfants en situation de handicap a progressé ces dernières années – le taux de scolarisation a été multiplié par trois depuis la loi de 2005 –, celle des enfants porteurs de maladies chroniques reste encore trop faible. C’est pourquoi la formation des équipes pédagogiques aux pathologies chroniques est une très bonne chose. Trop d’enseignants, souvent par crainte de mal faire, sont en effet réticents à accueillir ces enfants. Les former et les sensibiliser permettra à ces enfants de bénéficier d’une scolarité normale et d’un accompagnement mieux adapté à leur état de santé.
Je me félicite tout particulièrement de l’article 2 quater, qui permettra de faciliter la réintégration de l’enfant malade en milieu scolaire. Le retour à l’école reste en effet un moment particulièrement difficile lorsque l’enfant est frappé par la maladie.
Permettre un réel temps d’échange au sein de l’établissement avec les élèves de la classe pour leur expliquer la situation, avant le retour de leur camarade, devrait permettre de retisser le lien social autour de l’enfant malade, ce qui lui donnera l’énergie indispensable pour se battre contre la maladie.
Bien que nous soyons par principe opposés aux demandes de rapport – c’est une coutume dans cet hémicycle –, l’article 3 bis me semble également important. À la douleur personnelle s’ajoutent en effet trop souvent des contraintes financières, professionnelles et sociales, qu’il ne faut surtout pas sous-estimer. (M. Alain Milon acquiesce.)
Enfin, je tiens à remercier nos collègues du groupe Union Centriste d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée. Certes, ce texte comprend des dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Certes, il est « un petit pas, qui s’ajoute à une série de textes ponctuels portant sur des sujets connexes », comme l’a rappelé Jocelyne Guidez en commission. Pour autant, ce texte répond à une forte attente des parents et, de manière plus large, des familles.
C’est pourquoi le groupe du RDSE apportera bien évidemment son soutien à ce texte, qui constitue une avancée et permettra une meilleure prise en charge et une meilleure inclusion des enfants souffrant de pathologies chroniques ou de cancers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Michelle Meunier et Laurence Cohen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, le nombre d’enfants atteints de maladies chroniques, c’est-à-dire de maladies de longue durée, évolutives, ayant un retentissement sur la vie quotidienne, augmente régulièrement.
Ainsi, depuis vingt ans, le diabète de type 1 progresse de 3 % à 4 % par an et apparaît de plus en plus précocement, notamment chez les enfants de moins de 5 ans. De même, chaque année, 2 500 enfants et adolescents se voient diagnostiquer un cancer. Le nombre de ces cancers augmente de 1 % à 2 % par an en Europe depuis trente ans.
À l’annonce de la maladie, c’est toute la vie de la famille qui est bouleversée.
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée, à la demande du groupe Union Centriste, que je remercie, s’inscrit dans la lignée des nombreuses initiatives parlementaires, ces dernières années, visant à assurer une meilleure prise en charge des enfants malades et à mieux accompagner leur famille.
Tout récemment, cela a été rappelé, notre assemblée a été amenée à discuter de la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu. Promulguée le 16 novembre 2021, cette loi permet le renouvellement de la durée du congé de présence parentale, qui peut être portée à 620 jours au total.
En outre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 revoit à la hausse le montant de l’allocation journalière de présence parentale en prévoyant sa revalorisation annuelle par référence au SMIC.
Cette proposition de loi vient compléter cet ensemble de dispositions. Elle est une première étape dans la reconnaissance par la loi des enfants atteints de maladies chroniques, ainsi que de leurs parents. Toutefois, il est indispensable qu’elle en appelle d’autres.
L’article 1er crée un nouveau droit à congé pour événements familiaux lors de l’annonce de la survenue d’une pathologie chronique. Il s’agit là d’une mesure d’urgence, un amortisseur face au choc de l’annonce, qui consacre une certaine égalité face aux employeurs.
Ce congé d’une durée de deux jours permettrait aux parents de s’occuper de leur enfant sans que cette absence soit décomptée de leurs congés payés ni qu’ils perdent une partie de leur salaire, comme c’est le cas avec les congés pour garde d’enfant malade.
Si cette mesure représente une avancée par rapport au droit existant, la durée de ce congé nous paraît bien faible face aux bouleversements et aux difficultés auxquels ces parents sont confrontés.
Le droit actuel prévoit en effet, cela a été dit, l’octroi de quatre jours de congés pour un mariage ou un PACS, contre seulement deux jours pour l’annonce de la maladie d’un enfant, alors même que, le plus souvent, ce dernier doit subir de nombreux examens, être accompagné à l’hôpital et voit sa vie quotidienne bouleversée ! Cela ne nous paraît pas très cohérent.
L’article 2 relève pour nous davantage du domaine réglementaire que du domaine législatif. Il instaure une réunion obligatoire sur les modalités du projet d’accueil individualisé et prévoit la remise d’une documentation spécifique à l’équipe pédagogique, lors de l’annonce de la maladie et de l’arrivée ou du retour de l’élève dans l’établissement.
Il est extrêmement important pour un enfant atteint d’une maladie chronique de prendre part aux activités scolaires et périscolaires, car cela influe sur son équilibre psychique, physique et physiologique. Cependant, pour les parents, confier leur enfant à un tiers peut susciter de nombreuses interrogations, souvent même du stress. Cette réunion entre l’équipe encadrante et les familles pour organiser le retour de l’enfant est donc primordiale.
Certes, les possibilités de concertation et de coordination existent déjà dans les faits. Cependant, dans la pratique, les entretiens ont souvent lieu trop tard. L’enjeu de cet article était donc de réduire le délai de tenue de cette réunion destinée à permettre l’adaptation de la scolarité de l’élève à sa situation. Toutefois, l’article prévoyant désormais que cette réunion doit se tenir « si possible, dans un délai de vingt et un jours », sa portée s’en trouve considérablement réduite. À notre sens, il aurait fallu rendre ce délai obligatoire.
Nous sommes également favorables à la mise en place de formations spécifiques pour les enseignants, les éducateurs sportifs et l’ensemble des équipes, ainsi qu’à la sensibilisation des futurs enseignants aux problématiques liées aux pathologies chroniques et aux cancers.
L’article 3 prévoit la communication du PAI au centre d’examen, celui-ci pouvant indiquer « si la présence d’un professionnel de santé dans le centre d’examen est souhaitable lors de ces épreuves ».
La présence d’un professionnel de santé dans un centre d’examen relève pour nous de l’incantatoire. En effet, la médecine scolaire est exsangue. En 2016, le taux moyen d’encadrement variait de 2 000 à 46 000 élèves par médecin et certains départements n’avaient même plus de médecin de secteur. À titre d’exemple, on compte un médecin scolaire pour 3 000 élèves à Paris et un médecin pour 99 000 en Dordogne, alors qu’il faudrait un médecin pour 5 000 élèves, voire pour 3 000 en zone difficile.
Depuis 2013, la moitié des postes offerts au concours – cinquante par an – ne sont pas choisis et demeurent vacants. La profession de médecin scolaire risque de s’éteindre. Les questions de l’attractivité de cette profession et des moyens de la médecine scolaire sont depuis de trop nombreuses années négligées. La majorité sénatoriale a d’ailleurs manqué l’occasion de traiter ce sujet en rejetant le projet de loi adéquat, c’est-à-dire le projet de loi de finances pour 2022.
Alors que nous appelons tous de nos vœux une école plus inclusive, nous ne nous donnons pas les moyens d’y parvenir. Nous le déplorons.
Nous le voyons, cette proposition de loi est de portée modeste, son sujet ainsi que sa disposition principale, à savoir l’instauration d’un congé de deux jours payé par l’employeur à l’annonce d’une telle maladie, oblige. Reste que, avec la stratégie des petits pas, on est toujours loin d’un statut de parent accompagnant.
Il faut désormais aller plus loin et instaurer un statut de parent protégé pendant tout le temps de la maladie de l’enfant.
Pour finir, j’indique que le logement est un problème lorsque les enfants sont hospitalisés loin de leur domicile.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Émilienne Poumirol. Malgré ces réserves, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui concerne des milliers d’enfants et de familles. L’objectif, sur lequel nous sommes tous d’accord dans cet hémicycle, est simple : il s’agit d’améliorer et de faciliter l’accompagnement des enfants atteints d’une pathologie chronique ou d’un cancer.
Ce texte fait écho, entre autres, à une autre proposition de loi que le Sénat a examinée au mois d’octobre dernier, promulguée depuis, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
Les débats parlementaires réguliers, qui ont donné lieu à des avancées concrètes, démontrent la volonté du législateur de permettre aux parents d’accompagner leur enfant dans les meilleures conditions possible.
Il s’agit, nous le savons, d’un sujet douloureux – je pense notamment au cancer. Il est douloureux avant tout pour l’enfant, qui doit apprendre à vivre avec la maladie et son traitement ; il est douloureux aussi pour les parents, pour qui le diagnostic d’une pathologie chronique ou d’un cancer est un choc et nécessite une disponibilité immédiate.
Cette proposition de loi entend envoyer un signal fort, que nous partageons. Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, elle permettra de répondre en partie aux attentes et aux préoccupations des enfants et de leur famille.
Ce texte instaure notamment un congé spécifique de deux jours pour les parents lors de l’annonce d’une pathologie chronique ou d’un cancer, sur le modèle de ce qui est prévu dans le code du travail pour l’annonce d’un handicap.
Il s’agit là d’une mesure de sécurité pour les parents qui font face à l’urgence et qui se doivent d’être auprès de leur enfant.
Ce texte instaure également une réunion de l’équipe éducative au plus tard dans les trois semaines qui suivent l’entrée dans l’établissement de l’enfant malade, avec l’accord des parents, afin de favoriser une meilleure coordination. Cette disposition nous semble essentielle, car un enfant est aussi un élève. Le rôle de l’école de la République est justement de lui offrir une scolarité normale, quelle que soit sa situation. Je salue d’ailleurs ici le travail des enseignants et des personnels de l’éducation nationale, mobilisés pour garantir une continuité éducative à chacun d’entre eux.
Un certain nombre de dispositifs existent pour permettre à l’enfant de retourner à l’école, lorsque cela est possible, dans les meilleures conditions.
Je pense notamment au projet d’accueil individualisé, destiné aux enfants qui ont des problèmes de santé nécessitant des aménagements. Ce PAI vise précisément à leur offrir un accueil et un accompagnement individualisé.
Il subsiste néanmoins des situations qui créent un sentiment de « double peine », lorsque l’enfant est exclu de certaines activités auxquelles tous ses autres camarades ont droit dans le cadre scolaire ou périscolaire, freinant ainsi sa socialisation, son développement et son émancipation.
Les conséquences de la pathologie de l’enfant sur sa scolarité étant parfois méconnues, la réunion de l’équipe éducative prévue dans le texte constitue une avancée notable : elle permettra notamment aux enseignants de mieux appréhender les besoins de l’enfant, grâce également à une documentation spécialisée.
Enfin, ce texte rend possible la présence d’un médecin ou d’un infirmier scolaire dans les centres d’examens durant les épreuves. Cette présence rassurera l’enfant, qui pourra passer son examen en étant sécurisé, mais aussi les parents, profondément attachés à sa réussite éducative.
Les membres du groupe RDPI partagent pleinement les objectifs de cette proposition de loi. Les problématiques qu’elle traite font partie du quotidien de milliers d’enfants et de familles. Ils ont la conviction qu’elle apporte des réponses concrètes à leurs préoccupations. C’est pourquoi nous voterons avec enthousiasme cette proposition de loi.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire géorgienne
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation du Parlement de Géorgie conduite par M. David Songhulashvili, président de la commission de l’économie sectorielle et de la politique économique, président du groupe d’amitié Géorgie-France. (Mme la secrétaire d’État, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Cette délégation est accompagnée par nos collègues Alain Houpert, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Caucase, et Philippe Tabarot, président délégué pour la Géorgie, ainsi que par son excellence Mme Tea Katukia, ambassadeur de Géorgie en France.
La délégation effectue une visite de travail en France sur les questions européennes et économiques, notamment le tourisme et la situation des entreprises en cette période de crise sanitaire. Plusieurs réunions sont organisées aujourd’hui et demain au Sénat avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes, la délégation aux entreprises et le groupe d’amitié.
Les liens avec la France sont anciens, nos relations avec la Géorgie sont étroites depuis l’indépendance retrouvée en 1991 et la coopération interparlementaire est soutenue.
La Géorgie poursuit ses réformes dans un contexte parfois difficile. Elle peut cependant s’appuyer sur ses atouts : riche de sa longue histoire, de son patrimoine naturel et monumental, elle est surtout forte de son peuple, qui a marqué à diverses reprises son attachement à la démocratie et à l’État de droit.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à M. David Songhulashvili et à sa délégation la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements.)
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Accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer
Suite de la discussion et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Paul, 4 ans et demi, a mal au ventre. Cela fait plusieurs jours que cela traîne. Aujourd’hui, il a de la fièvre.
Son médecin traitant ne répond pas, ses parents l’emmènent aux urgences de l’hôpital. Le personnel soignant les accueille, pose les questions d’usage, mais il faut faire vite, car Paul a de plus en plus mal.
Des examens sont effectués. Une masse sombre est très vite détectée au niveau des reins. Ce n’est pas bon signe, des examens complémentaires sont nécessaires.
Paul passe la nuit à l’hôpital, ses parents trouvent une place à ses côtés. Au petit matin, la nouvelle tombe : on diagnostique chez Paul un néphroblastome, qui apparaît chez l’enfant de moins de 5 ans et représente entre 5 % et 14 % de l’ensemble des cancers de l’enfant.
En une nuit, la vie de cette famille a basculé. Elle sera désormais rythmée par ce combat, que tous ses membres vont entreprendre ensemble : tout mettre en œuvre pour que Paul s’en sorte.
Ces parents sont confrontés à une expérience que 2 500 autres couples de parents vivent chaque année en France et à laquelle ils ne sont pas préparés.
L’article 1er de la proposition de loi discutée aujourd’hui permettrait aux parents de Paul de bénéficier d’au moins deux jours de congés. Il reconnaît à ces parents et à ceux d’enfants malades chroniques les mêmes droits que ceux dont l’enfant est porteur d’un handicap. Ces deux jours de congés seront les bienvenus et seront largement utilisés pour essayer de comprendre dans quelle nouvelle vie ils viennent de basculer, comment réorganiser tout leur quotidien pour que Paul ait toutes les chances de s’en sortir.
D’un point de vue administratif, beaucoup de points sont déjà prévus et le dossier qui sera remis aux parents liste toutes les démarches administratives qu’ils devront entreprendre. Le cancer ou les maladies chroniques faisant partie des affections de longue durée, les frais de santé et de transport sanitaire seront couverts par la sécurité sociale, ce qui est un soulagement pour les proches.
Il reste toutefois à régler tous les autres détails de la vie pratique : se libérer du temps pour faire face au protocole thérapeutique prévu, mais aussi à tous les imprévus, et veiller à ce que la vie quotidienne puisse continuer, presque comme avant.
Le code du travail permet de garantir l’emploi et le salaire du salarié pendant le congé de présence parentale, lequel peut durer jusqu’à 310 jours renouvelables. Ce congé pourra être complété par un congé pour enfant malade d’un mois par an. Un parent indemnisé par Pôle emploi sera lui aussi protégé par cette disposition.
Le salaire non perçu pendant cette durée sera compensé partiellement par les allocations journalières de présence parentale, mais celles-ci sont plafonnées à un peu moins de 1 000 euros par mois par personne.
Comment faire face à l’ensemble des coûts induits par la maladie de son enfant avec des revenus réduits – aides à domicile, gardes d’enfants, matériels supplémentaires, transports ? Les familles vont devoir compter sur leur réseau familial, amical ou associatif, de même que sur des organismes tels que la caisse d’allocations familiales, le centre communal d’action sociale, la maison départementale des personnes handicapées, le conseil départemental, en fonction du territoire où ils vivent.
Or ces maladies chroniques ou cancers de l’enfant sont des bouleversements majeurs dans la vie des parents, qui ont alors un besoin encore plus fort de souplesse et d’accompagnement. Il est indispensable qu’un statut mieux adapté soit mis en place le temps de la maladie de l’enfant !
L’article 2 aborde un autre aspect important pour l’enfant : sa vie à l’école. Il prévoit la réunion de toutes les parties prenantes et des parents afin d’organiser la nouvelle vie de l’enfant, en prenant en compte les spécificités de sa maladie et les besoins qui en découlent. Ce retour à la vie « normale », même adaptée, est ce dont l’enfant malade a besoin. Ce sera aussi pour lui un gage de guérison plus rapide, une aide psychologique appréciable.
Cette coordination entre professionnels et parents est une étape indispensable dans la nouvelle vie de l’enfant. Je me félicite que cette disposition soit incluse dans la proposition de loi que nous examinons.
L’article 2 formalise donc cette perspective pour tous les établissements scolaires et tous les enfants atteints de maladies chroniques et de cancer.
Cette concertation, qui sera évolutive dans le temps et dans la forme, permettra de réadapter le protocole de prise en charge scolaire en fonction de l’évolution de la maladie et de ses manifestations.
Cette proposition de loi reconnaît certains effets de la survenue de la maladie chronique ou du cancer sur l’enfant et ses parents et le bouleversement qui leur est infligé. Elle acte la nécessaire prise en charge de l’enfant par l’établissement scolaire qu’il fréquente.
Ce texte constitue une étape importante dans la prise en charge globale de l’enfant. Il s’agit de donner à tous les enfants, comme à Paul, tous les moyens de guérir au plus vite. C’est pourquoi nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Je tiens encore une fois à saluer l’excellent travail et l’engagement de la députée Mme Béatrice Descamps, à l’origine de cette proposition de loi, et du rapporteur de ce texte au Sénat M. Alain Duffourg.
Madame la sénatrice Devésa, vous m’avez interrogée sur le décret fixant la liste des pathologies chroniques, qui est très attendu. Je ne suis pas en mesure de vous le présenter en l’état : il est en cours de rédaction. J’y travaille avec le ministère des solidarités et de la santé qui, comme vous le savez, a compétence en la matière. Soyez assurée que nous serons évidemment très attentifs à ce que ce décret soit pris le plus rapidement possible pour concrétiser et rendre effectives ces avancées en faveur de nos enfants.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer
Article 1er
(Non modifié)
I. – Au 5° de l’article L. 3142-1 et au 6° de l’article L. 3142-4 du code du travail, après le mot : « handicap », sont insérés les mots : « , d’une pathologie chronique nécessitant un apprentissage thérapeutique ou d’un cancer ».
II. – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : « parentalité », sont insérés les mots : « , à l’annonce d’une pathologie chronique nécessitant un apprentissage thérapeutique ou d’un cancer chez l’enfant ».
III. – Un décret précise la liste des pathologies chroniques mentionnées au 5° de l’article L. 3142-1 et au 6° de l’article L. 3142-4 du code du travail et au II de l’article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – Le titre V du livre III du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° L’intitulé est complété par les mots : « ou présentant une maladie chronique ou de longue durée » ;
2° (nouveau)(Supprimé)
3° Le chapitre Ier est complété par un article L. 351-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 351-5. – Avec le consentement des responsables légaux de l’élève ou de celui-ci s’il est majeur, une réunion portant sur les modalités de mise en œuvre du projet d’accueil individualisé est organisée, si possible, dans un délai de vingt et un jours à compter de l’annonce du diagnostic d’une pathologie chronique ou d’un cancer ou en amont de l’arrivée de l’enfant dans l’établissement. Cette réunion se tient en présence des responsables légaux, de l’élève, s’il le souhaite, sauf s’il est majeur, auquel cas sa présence est obligatoire, du directeur ou du chef d’établissement, de l’enseignant ou du professeur principal ainsi que, en tant que de besoin, d’un représentant de la collectivité territoriale compétente. D’autres professionnels accompagnant l’enfant sur le temps scolaire ou périscolaire peuvent prendre part à cette réunion. La présence d’un professionnel de santé ou de la médecine scolaire est recommandée.
« Cette réunion permet l’aménagement d’un accueil adapté aux différents temps de présence de l’élève au sein de l’école ou de l’établissement scolaire.
« Une documentation concourant à un suivi adapté est accessible aux équipes pédagogiques. »
II. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
Au dernier alinéa de l’article L. 312-4 du code de l’éducation, après le mot : « handicap », sont insérés les mots : « et de pathologies chroniques ». – (Adopté.)
Article 2 ter
(Non modifié)
À la deuxième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 721-2 du code de l’éducation, après le mot : « handicap », sont insérés les mots : « ou atteints de pathologies chroniques ». – (Adopté.)
Article 2 quater
(Non modifié)
Lorsqu’un enfant atteint d’une pathologie chronique ou d’un cancer connaît une hospitalisation ou une absence prolongée du milieu scolaire, les parents peuvent demander qu’un intervenant du secteur médical ou associatif organise, conjointement avec le professeur et avant le retour de l’enfant, un temps d’échange au sein de l’établissement. Cette rencontre vise à faciliter la transition et le retour de l’enfant au sein de sa classe afin de garantir son inclusion. Lors de l’échange, sont présents l’intervenant, l’enseignant, les élèves de la classe et, si l’enfant en fait la demande, les parents. – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
Le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° L’intitulé est complété par les mots : « ou présentant une maladie chronique ou de longue durée » ;
2° Après l’article L. 112-4, il est inséré un article L. 112-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-4-1. – Lorsqu’un élève bénéficiant d’un projet d’accueil individualisé se présente à des épreuves orales, écrites, pratiques ou de contrôle continu des examens de l’enseignement scolaire se déroulant dans un lieu ne relevant pas de l’établissement dans lequel il est inscrit, le projet d’accueil individualisé est préalablement communiqué au centre d’examen.
« Il peut être indiqué dans le projet d’accueil individualisé si la présence d’un professionnel de santé dans le centre d’examen est souhaitable lors de ces épreuves.
« Un décret précise les conditions d’application du présent article. »
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article porte sur la présence souhaitée, et non plus obligatoire, comme cela était initialement prévu, d’un médecin ou d’un infirmier scolaire dans chaque centre d’examen durant les épreuves. Si l’ambition initiale est assez amoindrie, la raison en est très certainement l’impossibilité d’assurer l’effectivité d’une telle disposition.
En effet, on l’a dit, on se heurte à une pénurie de médecins scolaires, après celle de médecins du travail et de médecins de protection maternelle et infantile. Plus de 12 millions d’élèves sont concernés en France.
Dans un rapport publié en 2017, l’Académie nationale de médecine déplorait que les dispositifs en faveur de la santé des élèves se soient multipliés alors même que le nombre de médecins scolaires est en diminution constante : il est passé de 1 400 en 2006 à 990 seulement en 2017. La baisse des moyens alloués se cumule avec la médiocre attractivité de cette profession, due à l’absence de reconnaissance, y compris salariale, de cette spécialisation.
La répartition très hétérogène des praticiens constitue l’un des symptômes de ce phénomène. Émilienne Poumirol l’a évoqué : un médecin peut avoir en charge entre 2 000 et 46 000 élèves, selon le territoire. Le taux de visite pour les élèves de 6 ans varie selon les lieux et les départements de 0 % à 90 %. La qualité et l’égalité des soins en milieu scolaire sont clairement bafouées, et ce alors même que l’éducation et l’apprentissage thérapeutique des enfants atteints de pathologies chroniques nécessitent de déployer des moyens humains – je l’ai souligné lors de la discussion générale – et de garantir de bonnes conditions d’exercice au sein de l’éducation nationale.
Je tenais à pointer et à rappeler, comme ma collègue, que l’effectivité de la loi en dépend.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 3 bis
(Non modifié)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de vie des parents qui doivent interrompre leur travail ou se mettre en congé pour accompagner leur enfant atteint d’un cancer ou d’une maladie chronique grave. Ce rapport fait état de toutes les difficultés socio-économiques que peuvent avoir les parents et propose des recommandations à inscrire dans la loi pour protéger les emplois, permettre aux parents de financer les soins ou éviter qu’ils aient à le faire et les aider dans les démarches administratives complexes. – (Adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
Mmes Laurence Cohen et Valérie Létard. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Favorisation de l’habitat en zones de revitalisation rurale
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, présentée par M. Pierre Louault et plusieurs de ses collègues (proposition n° 527 [2020-2021], texte de la commission n° 193, rapport n° 192).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis vingt ans, plus de dix grandes lois concernant l’urbanisme et le logement, que je n’énumérerai pas ici, ont été votées. Je ne les énumérerai pas, je soulignerai simplement que les territoires ruraux n’ont bénéficié d’aucune mesure spécifique : au contraire, et malheureusement, elles ont plutôt été pénalisées par des règles prévues pour les zones urbaines et périurbaines.
Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, je vous propose de cibler très précisément non pas les zones de revitalisation rurale (ZRR), comme je l’avais initialement imaginé, mais les territoires en déprise démographique.
C’est bien d’eux qu’il s’agit ; de ces communes, de ces territoires ruraux qui, depuis dix ans, ont vu leur nombre d’habitants baisser régulièrement et même la vie disparaître.
Comme vous tous, je vais très souvent à la rencontre des maires de mon département ; et, au contact des élus locaux, je recueille un nombre invraisemblable d’exemples absurdes.
Un couple de jeunes agriculteurs ayant un enfant handicapé doit agrandir sa maison de plain-pied. Malheureusement, l’extension n’est possible que sur un terrain classé agricole : le permis de construire lui est refusé.
M. Laurent Burgoa. Lamentable !
M. Pierre Louault. Dans une autre commune en déprise démographique, à quarante mètres de l’église, une dame divise en deux son terrain de 2 000 mètres carrés et en donne la moitié à sa fille pour qu’elle y construise une maison d’habitation. Le permis de construire est refusé au motif qu’il s’agit de terrains agricoles et que la superficie à construire n’a pas été suffisamment réduite.
Ailleurs encore, un père éleveur de chèvres crée un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) avec ses deux fils. Ils développent leur exploitation. On leur demande d’éloigner la fromagerie du bâtiment d’élevage, ce qu’ils font après avoir obtenu les autorisations nécessaires. En revanche, alors qu’ils souhaitent construire une habitation en continuité du bâtiment d’élevage, leur permis de construire est refusé.
M. François Bonhomme. Insupportable !
M. Pierre Louault. Je pourrais ainsi multiplier les exemples qui m’ont poussé à déposer cette proposition de loi.
Ma communauté de communes compte, en tout, soixante communes : la moitié est réellement en perte de vitesse, l’autre non, bien qu’elle soit classée en ZRR.
Par ailleurs, le code de l’urbanisme prévoit que les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et autres plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) doivent prendre en compte l’évolution de la démographie pour définir les espaces constructibles dans lesquels des permis de construire pourront être délivrés.
En d’autres termes, les communes qui n’ont pas enregistré de demande de construction, ou très peu, au cours des dernières années, lesquelles sont souvent dans des zones défavorisées, se voient tout simplement refuser de nouveaux espaces constructibles lors de l’élaboration d’un SCoT : on part du principe qu’elles n’en auront pas besoin dans les années à venir ! (Mme Nadia Sollogoub approuve.) Une telle logique revient à dire à ces communes : « Vous êtes pauvres, vous n’avez besoin de rien. Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Toutes ces lois sont parfaitement adaptées pour maîtriser l’inflation de la construction dans les territoires urbains et périurbains, formant souvent trois ou quatre couronnes jusqu’à vingt-cinq ou trente kilomètres des métropoles, mais elles empêchent de construire dans les territoires ruraux.
Je n’entrerai pas dans le détail de cette proposition de loi – Mme la rapporteure le fera, j’en suis sûr, avec beaucoup de talent –, j’en rappellerai simplement les grands axes.
Tout d’abord, il s’agit de modifier les dispositions du code de l’urbanisme relatives aux SCoT et aux PLUi. J’y suis favorable.
Ensuite, le patrimoine bâti ancien doit pouvoir changer plus facilement d’affectation : dans ces territoires, nombre de fermes et de granges abandonnées pourraient être transformées en maisons d’habitation.
En outre, je demande un peu de souplesse pour que l’on puisse construire en continuité du bâti existant. C’est une question de bon sens : dans les bourgs ou les hameaux, construire une maison tous les trois ans en procédant ainsi ne pose pas forcément problème.
J’ai également voulu donner aux élus les moyens de définir les territoires concernés par ces dispositions. Il s’agit, une fois de plus, des territoires en déprise.
Par cette proposition de loi, nous prévoyons que, sur la base d’un arrêté ministériel, les communautés de communes demandent aux communes de définir les territoires éligibles et qu’elles proposent le découpage retenu à l’autorité préfectorale. Le préfet, ou la préfète, arrêtera cette liste après consultation de ses services. Autrement dit, nous n’ouvrons pas la boîte de Pandore : nous ne laissons pas faire n’importe quoi.
En parallèle, je souhaite favoriser la réhabilitation du bâti ancien dans les centres-bourgs par un certain nombre d’outils, en particulier le dispositif Denormandie.
J’ai pu le constater : quand cela bouge un peu dans les bourgs et dans les communes, c’est souvent grâce aux agriculteurs, aux artisans, aux habitants locaux qui créent des logements locatifs, malgré les difficultés – la rentabilité de ces investissements n’est pas toujours assurée.
Enfin, l’agriculteur, qui occupe l’espace rural en majorité, doit disposer d’un droit à vivre sur son exploitation.
Je précise qu’un chapitre du présent texte est destiné à protéger l’activité agricole un peu plus fortement que ne le permet aujourd’hui le code rural. Il s’inspire notamment des remarques du Conseil d’État.
Mes chers collègues, la possibilité de vivre dans un territoire rural doit devenir un droit : telle est l’ambition de cette proposition de loi, qui prévoit de lever les interdits observés dans les faits.
Merci à Mme la rapporteure, à Mme la secrétaire d’État et aux services du ministère chargé de l’urbanisme d’avoir pris le temps de travailler avec nous sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse que nous puissions débattre aujourd’hui du texte présenté par Pierre Louault.
Avec cette proposition de loi, notre collègue appelle notre attention sur une réalité : celle des territoires ruraux en déprise, dont s’inquiète tant notre assemblée et qui anime beaucoup notre hémicycle lors de l’examen de chaque grand projet de loi.
Aujourd’hui, nous allons creuser ce sujet, c’était une nécessité après la loi Climat.
Souvent, nous ne traitons d’urbanisme que dans le cadre de projets de loi, sur la base d’un programme répondant aux priorités gouvernementales. Il est plus rare que des propositions de loi s’en saisissent. Nous allons démontrer, non seulement la qualité de l’initiative sénatoriale, mais la capacité du Sénat à enrichir le présent texte.
Nul besoin de vous rappeler le contexte particulier dans lequel a été conçu et présenté ce texte, dans une période marquée par le mouvement des gilets jaunes, par l’adoption de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et par la dynamique de retour vers la campagne de nombreux citadins danse le contexte de la crise sanitaire et économique.
Les élus des zones rurales sont aujourd’hui soumis à des injonctions contradictoires, parfois inextricables : enrayer le déclin démographique et économique de territoires ruraux qui, selon l’Insee, restent en moyenne plus touchés par la désindustrialisation, la précarité, la déprise agricole ou le vieillissement que le reste du pays ; lutter ainsi contre la « périphérisation » de milliers de communes et de leurs habitants ; mais aussi assurer l’avenir du secteur agricole français et mieux protéger nos sols de l’artificialisation.
Les débats sur le projet de loi Climat et résilience l’ont montré : ces exigences multiples sont parfois difficiles à concilier et il n’est pas aisé de trouver un bon équilibre.
Ce texte, inscrit à l’ordre du jour de nos travaux par le groupe Union Centriste, a le grand mérite de soulever une question trop souvent éludée par le Gouvernement : notre droit de l’urbanisme, pensé et conçu avant tout pour les territoires urbains et dynamiques, voire pour les zones tendues, est-il adapté aux enjeux de la ruralité ?
L’une des problématiques principales de ces territoires est la dégradation de l’habitat, faute d’occupants et surtout de moyens. Dans la « diagonale du vide », 100 000 logements deviennent vacants chaque année. (Mme la secrétaire d’État le confirme.) La faute n’en revient pas tant à la faiblesse de la demande qu’au manque de rénovations.
Le coût de la modernisation est souvent prohibitif, mais les règles d’urbanisme, notamment de changement de destination, sont aussi parfois un obstacle. Nombre de maires déplorent que des familles renoncent à s’installer faute de trouver un logement adéquat ou d’obtenir un permis de construire.
Nos nombreuses auditions ont démontré que certaines règles d’urbanisme, pertinentes pour les zones urbaines, représentent des verrous excessifs pour les petites communes rurales.
Les communes dont le territoire est à dominante agricole ou naturelle ont structurellement moins de droits à construire que les communes plus urbanisées, ce qui contribue à geler leur développement. À l’inverse, plus une ville est grande et attractive, plus elle peut s’étendre et se développer.
Bien sûr, nous ne remettons pas en cause la compétence croissante des intercommunalités en matière d’urbanisme, mais, selon nous, elle a pu accentuer encore ce sentiment de relégation.
Les propositions formulées dans ce texte apportent des pistes de réponse pour adapter le droit et lever certains verrous. Notre commission a pleinement soutenu cette démarche, qui répond à un réel besoin, dans une logique de plus grande équité entre les territoires et de vivre ensemble.
Il existe un véritable gisement d’améliorations en matière d’urbanisme et de logement pour déployer une meilleure politique de revitalisation des zones rurales.
Toutefois, à l’issue de nos consultations, il nous a paru nécessaire de rassurer sur les objectifs de ce texte et sur ses équilibres.
Nous avons ajusté et encadré les mesures proposées, afin de les rendre plus efficaces. Nous avons tenu à y introduire des souplesses et des outils nouveaux sans remettre en cause les grands principes du droit de l’urbanisme ou les ambitions de la loi Climat et résilience, pour ce qui concerne la lutte contre l’artificialisation des sols.
Notre commission a donc travaillé en lien avec l’auteur de la proposition de loi pour proposer plusieurs rédactions alternatives. Ces dernières s’inscrivent dans le droit fil du texte initial, mais elles en gomment certaines aspérités, tout en ajoutant des garde-fous.
Je résumerai brièvement les modifications apportées en commission.
Tout d’abord, nous avons resserré le champ du présent texte pour mieux cibler le cœur de la ruralité française. Alors que la proposition de loi initiale avait pour objet les ZRR, nous l’avons concentrée sur les communes peu denses en déprise démographique.
En effet, le zonage des ZRR, principalement fiscal, nous est apparu à la fois trop large – il concerne près de la moitié des communes françaises, territoires aux réalités diverses – et trop mouvant pour servir de base à des mesures spécifiques d’urbanisme. Pour refléter ce changement de ciblage, nous avons modifié l’intitulé de la proposition de loi.
Ensuite, nous avons souhaité introduire une dose de territorialisation dans la politique de revitalisation rurale. En nous inspirant du dispositif dit « Pinel breton », nous proposons aux territoires eux-mêmes d’affiner le ciblage. Les intercommunalités participeront à la définition du champ d’application des dérogations d’urbanisme et des dispositifs d’aides fiscales. Les élus locaux sont ceux qui connaissent le mieux les besoins réels de leurs territoires : il faut améliorer le dialogue à l’échelon local et permettre une plus grande différenciation.
De plus, nous avons souhaité soutenir l’effort de réhabilitation et de modernisation du parc de logements, car la construction nouvelle n’est pas la solution à tout. Plutôt que d’étendre l’ensemble du dispositif Pinel, qui, aujourd’hui, vise principalement le logement collectif neuf, nous avons souhaité mieux mobiliser le Denormandie pour la réhabilitation de logements anciens. Nous l’avons donc prolongé jusqu’à 2025 et en avons ouvert le bénéfice aux petites communes rurales, qui en sont à ce jour exclues.
Enfin, il nous a paru nécessaire de renforcer l’encadrement de certaines mesures pour en garantir l’efficacité et l’acceptabilité. Par exemple, nous avons recentré les assouplissements en matière de constructibilité et de changement de destination sur l’objectif de création de logements ou d’hébergements.
Nous avons aussi restauré la compatibilité des documents locaux d’urbanisme aux SCOT et aux schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), en améliorant toutefois la prise en compte des spécificités communales dans la définition des objectifs. En parallèle, nous avons mieux encadré le droit au logement des agriculteurs sur leur exploitation pour éviter tout changement de destination abusif.
Dans la même logique, la commission proposera aujourd’hui plusieurs amendements élaborés en lien avec l’auteur de la proposition de loi. Ils visent, eux aussi, à proposer des rédactions mieux encadrées et des articulations avec le droit existant.
Je proposerai également d’améliorer la transparence et la cohérence de l’action des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), en prévoyant qu’elles élaborent des lignes directrices départementales dans un délai de deux ans. Cette disposition contribuera à une meilleure lisibilité de leurs décisions.
Mes chers collègues, cette proposition de loi apporte des réponses concrètes, ciblées et équilibrées au constat que nous faisons tous : il est nécessaire d’accroître les efforts de revitalisation rurale. Elle s’attelle – enfin ! – à un sujet trop souvent éludé par le Gouvernement, bien que crucial pour près de la moitié des communes françaises : comment réconcilier droit de l’urbanisme et développement rural ?
J’émets donc le souhait que ce texte à la fois lucide et constructif bénéficie d’un soutien transpartisan, afin qu’il puisse être inscrit à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale et aboutir à des avancées concrètes en faveur des territoires ruraux ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier M. Louault, qui, en présentant cette proposition de loi, nous donne l’occasion de débattre d’une problématique qui suscite tant d’inquiétudes dans les territoires ruraux. (Mme la rapporteure et M. Pierre Louault le confirment.)
En tant qu’élue de la Haute-Marne, je suis parfaitement au fait de ces questions, qui, en cette période de transition, méritent d’être toujours mieux débattues. À cet égard – j’en suis persuadée –, nous sommes tous désireux de parvenir à un équilibre entre la nécessaire attractivité des territoires ruraux et les enjeux de la transition environnementale.
L’accès de chacun à un logement abordable, partout sur le territoire, demeure une priorité de ce gouvernement. Et, pour permettre à chacun de se loger où il le souhaite, nous devons commencer par regarder cette réalité en face : la demande de logement est toujours plus forte dans les grandes villes et les métropoles, alors même que l’offre de nouveaux logements n’y suit pas.
Face à ce constat, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures.
Tout d’abord, nous avons créé des contrats de relance du logement dans chaque territoire tendu, financés à hauteur de 175 millions d’euros par le plan de relance.
Ensuite, nous avons conclu un protocole ambitieux visant à contractualiser pour la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans avec l’ensemble des parties prenantes.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, nous défendons également la compensation intégrale de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant dix ans pour les logements sociaux agréés en 2021.
Nous avons aussi choisi de porter le fonds pour le recyclage des friches de 300 à 650 millions d’euros pour 2021 et de le pérenniser afin de faciliter la mobilisation de foncier déjà artificialisé.
Ces outils sont absolument essentiels. En parallèle, il est nécessaire de construire en consommant moins d’espace, notamment naturel, agricole et forestier, pour réussir la transition écologique.
Afin de construire mieux et de façon plus raisonnée, de préserver nos sols agricoles, nos espaces naturels et nos paysages, nous avons fait évoluer les normes d’urbanisme.
Malgré la prise de conscience de la nécessité de préserver ces sols, le rythme d’artificialisation reste extrêmement soutenu en France : l’étalement urbain progresse quatre fois plus vite que notre population.
Tous les signaux nous le confirment : il est nécessaire d’intervenir pour infléchir cette trajectoire.
L’artificialisation menace évidemment la qualité de vie à plusieurs égards.
Tout d’abord – vous l’avez rappelé –, elle supprime des terres productives, agricoles ou forestières, alors même que nous devons maintenir notre capacité de production pour répondre à de nouveaux besoins, comme les matériaux biosourcés. C’est d’ailleurs un des sujets phares des Assises de la forêt et du bois, que je mène actuellement avec Julien Denormandie. Il s’agit d’une activité très structurante pour nos territoires.
M. François Bonhomme. Et la proposition de loi ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’artificialisation menace également les sols et les habitats naturels, qui stockent du carbone et préservent la biodiversité. Or il est impératif de garantir cet équilibre, compte tenu des enjeux et défis climatiques.
L’artificialisation conduit à des extensions urbaines, qui augmentent malheureusement les besoins de déplacement, avec tous les coûts induits, et qui aggravent parfois l’isolement et créent, pour l’avenir, des charges financières pour les collectivités concernées. (M. François Bonhomme manifeste son exaspération.)
Pour assurer une protection effective de nos sols, de nos terres agricoles et forestières, et garantir un aménagement raisonné, nous avons procédé à une évolution majeure du code de l’urbanisme en y introduisant la notion de lutte contre l’artificialisation des sols, définie par la loi Climat et résilience du 22 août 2021.
Permettez-moi de revenir un instant sur cette notion et sur le mécanisme prévu dans cette loi.
Je vous rappelle notre objectif : atteindre le zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Cette nécessité environnementale suscite aujourd’hui un large consensus.
M. Laurent Duplomb. Pas en milieu rural ! Il faut sortir de Paris !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Cette logique de flux signifie concrètement que, en 2050, nous serons parvenus à un équilibre entre les sols nouvellement artificialisés, dédiés à des constructions utiles, et les sols artificialisés rendus, eux, à leur état naturel ou agricole.
Il est indispensable de le garder à l’esprit : nous devons retrouver cet équilibre pour nos projets d’aménagement. C’est notre responsabilité.
Pour atteindre cet objectif, nous avons choisi de passer par la loi, en réduisant l’artificialisation de moitié par tranches de dix ans. Ainsi, nous disposerons d’une véritable visibilité : c’est une des clefs de la réussite. Les élus et les aménageurs le savent, nous avons besoin de nous fixer une trajectoire et un cadre communs. C’est désormais chose faite.
Cette notion nouvelle est complexe et parfois difficile à appréhender. C’est pourquoi nous avons souhaité, pour la première tranche de dix ans, fonder cette trajectoire de réduction sur la consommation d’espace, notion qui existe déjà en droit de l’urbanisme et qui est désormais très bien connue de tous.
En outre, avec le concours actif de votre assemblée, nous avons collectivement pris soin de confier aux différents échelons territoriaux la mise en œuvre de cette action, en cohérence avec l’ensemble de nos dispositifs d’aménagement du territoire.
Nous avons notamment veillé à la territorialisation de cet objectif pour tenir compte des contextes très différents dans lesquels peuvent se trouver les collectivités territoriales, notamment au regard de leur historique de consommation d’espace, des sols déjà artificialisés pouvant être mobilisés ou encore de leurs perspectives de développement.
Concrètement, toutes les communes, même les plus rurales, pourront toujours délivrer des permis de construire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est nécessaire de le redire.
Nous avons évidemment entendu l’inquiétude des collectivités territoriales quant au calendrier très serré que cette loi prévoyait initialement pour la territorialisation de l’objectif de division par deux du rythme de consommation d’espaces agricoles et naturels.
Dans la lignée du discours du Président de la République devant le Congrès des maires, nous avons défendu un assouplissement de ce calendrier lors de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « 3DS ».
Ainsi, nous proposons de consacrer six mois supplémentaires aux premières étapes, cruciales, de cette territorialisation. Ce souhait a été très bien entendu : nous devons nous donner le temps de nous approprier ces enjeux pour cheminer collectivement vers ces objectifs.
Nous proposons donc de porter à trente mois au total, contre vingt-quatre actuellement, le délai pour décliner l’objectif dans les Sraddet, et de le porter à quatorze mois, au lieu des huit initialement prévus, pour que des propositions puissent être faites dans les SCoT, sans pour autant revenir sur le calendrier global de la lutte contre l’artificialisation des sols.
C’est dans ce souci d’équilibre – construire là où se trouvent les besoins tout en préservant les espaces naturels – que nous devons aborder toute évolution de nos normes d’urbanisme. Il est indispensable de conserver ce cadre.
Le présent texte vise à favoriser l’habitat dans les territoires en déprise rurale. De nouveau, je salue le travail constructif de Mme la rapporteure et de l’auteur de cette proposition de loi, qui, en lien avec les équipes du ministère chargé du logement, ont su éclairer ces équilibres et ce nouveau cadre.
Monsieur Louault, le droit actuel permet déjà de satisfaire certaines de vos propositions. Je pense notamment à la possibilité d’habiter sur son exploitation quand l’activité agricole le nécessite, ou encore à la possibilité d’y construire, dans un cadre précis, tout en veillant à la préservation des terres agricoles. Il faut le redire : ces dispositions existent.
Je comprends l’esprit dans lequel Mme la rapporteure et vous-même avez travaillé : il s’agit de favoriser l’habitat dans les territoires en déprise rurale. Mais la solution est peut-être d’abord de mieux faire connaître les mécanismes existants et de valoriser les bonnes pratiques, plutôt que de voter des modifications législatives qui porteraient sans doute préjudice à la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles.
M. François Bonhomme. Cela se gâte !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. À cet égard, j’y insiste, un équilibre a été atteint ; il a d’ailleurs donné lieu à de longs débats parlementaires lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience.
L’article 1er inscrit dans le code de l’urbanisme la notion de zone de revitalisation rurale. Je salue moi aussi cet outil, mais – vous l’avez reconnu vous-même – les objectifs généraux et urbanistiques des ZRR figurent déjà à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme. Je serai donc défavorable à cet article, même si les amendements que vous proposez tendent à déplacer quelque peu la problématique.
L’article 2 modifie les articles touchant au règlement national d’urbanisme (RNU), au plan local d’urbanisme (PLU) et à la carte communale pour favoriser la construction en zone agricole parfois non constructible et permettre de construire dans la continuité des bâtiments existants. Néanmoins, il ne prend pas réellement en compte la compatibilité de telles constructions avec l’activité agricole de la parcelle.
Nous ne souhaitons pas retenir de telles dispositions, qui favoriseraient, voire accentueraient le mitage et la consommation d’espace. Je le répète, des dérogations sont déjà possibles. Cela étant, nous ne souhaitons pas les étendre. (M. Pierre Louault manifeste son désaccord.)
L’article 3 prévoit de prendre en compte la spécificité des territoires ruraux dans les documents annexes des SCoT pour l’analyse de la consommation d’espace. Il me semble déjà satisfait par l’article L. 141-8 du code de l’urbanisme, tel qu’il a été modifié par la loi Climat et résilience. J’y insiste, le Sénat a lui-même participé à la rectification de cet article pour assurer un alignement des critères retenus dans ce cadre ; à mon sens, ce travail était nécessaire.
L’article 4 porte sur l’extension du dispositif Denormandie dans l’ancien, aujourd’hui réservé aux communes bénéficiant du programme Action cœur de ville ou ayant signé une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT). Il s’agit d’inciter à la remise en état du bâti ancien dégradé plutôt qu’à la construction neuve, qui est souvent synonyme d’étalement urbain.
Cette proposition relève en réalité du projet de loi de finances. L’idée me semble tout à fait intéressante, mais elle doit donc être réservée aux débats budgétaires.
M. François Bonhomme. Bref, une prochaine fois…
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’article 5 permettrait de construire un logement sur une exploitation agricole en s’affranchissant de la prise en compte du zonage agricole et du type d’activité de l’exploitation. J’y suis également défavorable.
M. Laurent Duplomb. Que va-t-il rester ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. En effet, cette disposition risque elle aussi d’accentuer la consommation d’espaces agricoles. À mon sens, il n’est pas souhaitable de remettre en question les équilibres que nous avons trouvés en la matière.
L’article 6 prévoit de limiter les recours indemnitaires des voisins d’exploitations agricoles ; en réalité, il est satisfait par l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation. Vous souhaitiez l’étendre aux évolutions des activités agricoles existantes. Selon moi, nous devons reconsidérer les différents impacts pour chacun des nouveaux projets.
L’article 7 vise à garantir la présence, parmi les membres de la CDPENAF, d’un représentant d’une commune classée en zone de revitalisation rurale ou d’un élu de montagne. Encore une fois, je comprends l’esprit de votre proposition, laquelle ne changerait d’ailleurs pas l’équilibre des CDPENAF.
Cela étant, des dispositifs existent déjà pour faire entendre la voix des ZRR et des zones de montagne au sein de la CDPENAF. J’aurai donc un avis réservé sur cet article. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En tout état de cause, je vous remercie d’avoir ouvert le débat et engagé ces échanges, qui nous permettent de cheminer vers de nouveaux objectifs. Nous y sommes tous très sensibles. Une fois de plus, merci de ces discussions extrêmement éclairantes ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas la première initiative visant à simplifier le droit de l’urbanisme. Le Sénat appelle depuis plusieurs années à desserrer l’étau normatif sur la construction en milieu rural.
Je pense à la proposition de loi de Jacques Genest adoptée par le Sénat le 1er juin 2016.
Je pense aux nombreux amendements déposés lors de l’examen de la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne du 28 décembre 2016.
Je pense encore aux amendements déposés lors de l’examen de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018.
Enfin, je pense plus récemment aux nombreux amendements déposés lors de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets afin de territorialiser les objectifs du zéro artificialisation nette.
Par ailleurs, les conclusions du groupe de travail sur la ruralité, coprésidé par Anne Ventalon, Daniel Laurent et moi-même, ont permis de consacrer un droit au développement rural dans le code de l’urbanisme. Je remercie à cette occasion chaleureusement notre collègue Jean-Baptiste Blanc, d’abord de son écoute, ensuite de ses avis favorables.
Si nous sommes si nombreux depuis tant d’années à considérer que le droit de l’urbanisme n’est pas adapté aux zones rurales, qu’il paralyse le développement économique, qu’il empêche la conservation des emplois et donc des habitants, qu’il bride l’élaboration d’une véritable politique d’aménagement du territoire, c’est bien que nous ne sommes pas victimes d’une hallucination collective.
Comme je l’ai souligné lors des questions d’actualité au Gouvernement, 71 % de l’artificialisation des sols est le fait de 10 % des communes, en particulier des métropoles. Les PLU des communes rurales se trouvent amputés de 60 % de surfaces constructibles.
Vous avez affirmé à l’instant, madame la secrétaire d’État, que les communes rurales pourront continuer à délivrer des permis de construire. Actuellement, c’est faux !
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. Des centaines de permis de construire et de documents d’urbanisme sont refusés sur l’ensemble du territoire national. Que pensez-vous, madame la secrétaire d’État, des propos de Mme Wargon, pour qui la maison individuelle constitue un modèle d’habitat dépassé ?
M. Laurent Duplomb. Elle pense la même chose !
M. Jean-Marc Boyer. Nous affirmons que les communes rurales sont gérées par des maires réfléchis, qui veulent prendre leurs responsabilités, avec liberté. Les maires ruraux sont les premiers protecteurs de la biodiversité ! (On renchérit à droite.)
J’évoquerai surtout l’hypocrisie de certaines dispositions du code de l’urbanisme, dont on nous dit qu’elles traduisent une préoccupation constante de préserver l’environnement.
Puisqu’on ne peut pas, ou qu’on ne veut pas, rationaliser l’utilisation des sols autour des grandes métropoles, je ne reviendrai pas sur la question du « dimensionnement » de l’urbanisation. Les territoires ruraux deviennent les victimes expiatoires de notre impuissance !
La même hypocrisie règne s’agissant des éoliennes et des documents d’urbanisme. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) On demande aux élus de se justifier lorsqu’ils souhaitent geler certaines zones du territoire face au développement éolien.
D’un côté, on demande aux élus de justifier la constructibilité d’un abri de jardin de 15 mètres carrés dans leur PLU et, de l’autre, on leur enjoint de justifier la non-constructibilité d’éoliennes de 150 mètres de haut… C’est à « contre-vent » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À défaut d’une révolution, j’en appelle surtout à des ajustements pour assurer un développement minimal dans les territoires ruraux, développement théoriquement assuré par la Convention européenne des droits de l’homme, qui consacre en son article 8 la liberté de choisir son domicile.
Je ne me fais pourtant pas d’illusions, le Gouvernement ne sera pas particulièrement bienveillant.
Si le Gouvernement est hostile aux initiatives comme celle-ci visant à libérer la construction en milieu rural, il n’a qu’à prendre ses responsabilités en matière de rénovation énergétique.
Le logement représente un peu plus de 35 milliards d’euros d’argent public, quand seuls 2 milliards d’euros sont consacrés à la rénovation énergétique. Je n’inclus pas dans ce montant les 3 milliards d’euros des certificats d’économies d’énergie que payent les fournisseurs.
Si l’État ne veut pas donner les moyens juridiques aux Français de continuer de vivre à la campagne, voire de revenir y vivre, comme ils semblent vouloir le faire depuis les confinements, qu’il donne au moins les moyens financiers de faire de la rénovation !
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a considérablement évolué en commission.
L’article 2 introduit un dispositif au bénéfice « des communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est constitué en majorité de zones non constructibles », plutôt que de viser les zones de revitalisation rurale.
L’article 5, qui instaure le droit pour les agriculteurs de se loger sur leur exploitation, a été réécrit afin de sécuriser le dispositif, ce dont je me réjouis.
Assurément, cette proposition de loi va dans le bon sens. Certes, elle n’est pas parfaite, ses effets mettront un peu de temps à se matérialiser, mais elle constitue une des réponses que nous devions apporter.
Notre groupe votera donc cette proposition de loi. Nous espérons également que notre groupe sera en mesure, malgré un calendrier législatif contraint, de proposer de nouvelles dispositions afin de redonner aux élus locaux une véritable autonomie et des moyens pour se développer. Il s’agit de redonner aux maires du pouvoir de décision ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme la rapporteure et M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord quelques remarques générales sur la philosophie même de cette proposition de loi.
Nous soutenons, bien évidemment, les objectifs de revitalisation des territoires ruraux peu denses, car il est primordial d’engager le désengorgement de nos métropoles et de réinvestir nos petites villes, ainsi que nos campagnes.
Nous nous retrouvons moins sur le raisonnement qui induit que la revitalisation d’un territoire passe nécessairement par la construction de bâtiments neufs.
Nous pensons que la revitalisation passe davantage par le déploiement de services publics, de commerces de proximité et, bien sûr, par la réhabilitation du bâti.
Chaque année, 100 000 logements deviennent vacants – c’est là un patrimoine qu’il faut réinvestir en priorité –, sans parler des très nombreux corps de ferme qui sont à l’abandon.
De plus, le dynamisme des territoires repose bien sûr sur la création d’emplois. La dévitalisation rurale résulte, en effet, de l’affaiblissement ou de la disparition des activités agricoles et de son corollaire, la mort de tout un tissu commercial et artisanal.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a défendu une politique agricole commune (PAC) favorisant l’installation et l’emploi agricole plutôt que l’agrandissement des fermes. Il faut soutenir les oubliés de la PAC, qui œuvrent de manière intensive sur de petites surfaces.
De manière générale, les dispositions du texte vont à l’encontre des enjeux de préservation des espaces naturels, agricoles ou forestiers et de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui consacre l’objectif de diminution de moitié de l’artificialisation des sols à l’horizon de 2030.
C’est en ce sens que nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 2. L’assouplissement des règles de constructibilité sur l’ensemble des terrains agricoles en continuité d’un espace urbanisé, comme le prévoit ce texte, risque de favoriser le mitage, si coûteux pour les communes et les terres agricoles.
La problématique vaut également pour l’assouplissement, qui est étendu à toute l’exploitation et plus seulement au périmètre regroupant les bâtiments de la ferme.
De telles dispositions n’ont pas lieu d’être au regard des mesures adoptées dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, qui est déjà venue assouplir significativement la dérogation sur le principe de l’extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées, pour les activités agricoles ou forestières. Il nous paraît imprudent de contrarier l’équilibre existant.
Par ailleurs, nous souhaitons, a minima, réintroduire l’avis conforme des CDPENAF dans les différents cas où il est mentionné. Cette commission est un outil utile dans la lutte contre l’artificialisation des terres et subit de nombreux affaiblissements alors qu’elle devrait être renforcée. Le travail au sein de ces commissions permet d’améliorer les projets et donc d’éviter des refus précoces ou des contentieux chronophages et coûteux pour les communes.
Quant aux changements de destination des bâtiments agricoles prévus également à cet article, ils doivent être encadrés strictement.
Si le développement de l’habitat des agriculteurs est déjà possible dans le cadre législatif actuel, nous sommes bien conscients que certains verrous juridiques peuvent perdurer, notamment au moment de l’installation.
Des solutions sont possibles pour améliorer l’accès au logement pour les agriculteurs sans ouvrir la porte à une artificialisation trop peu maîtrisée des sols. Un rapport du Gouvernement sur les initiatives actuelles permettrait d’identifier les pratiques mises en œuvre sur le terrain et les politiques publiques efficaces pour les soutenir. C’est ce que nous proposerons à l’article 5.
Enfin, l’article 6 nous paraît largement inutile, le droit existant, via la reconnaissance de la « pré-occupation », étant déjà protecteur en la matière, comme le souligne le Conseil d’État. Il semble donc nécessaire de ne pas modifier les équilibres existants pour ne pas heurter le principe du droit d’agir en responsabilité et, plus généralement, du droit au recours effectif. C’est pourquoi nous proposerons la suppression de cet article.
En conclusion, cette proposition de loi ne nous paraît pas pertinente pour répondre aux enjeux de revitalisation des territoires ruraux, la priorité étant, pour notre groupe, la réhabilitation des logements vacants, la présence des services publics, le maintien de l’emploi agricole et paysan.
C’est pourquoi nous voterons contre ce texte, après avoir soupesé ses avantages et les risques qu’il présente, même si nous partageons certains constats de ses auteurs.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de nos collègues du groupe Union Centriste, qui vise à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement. Nous partageons clairement ses considérants et son objectif : permettre aux communes de revitaliser leur territoire.
Il est vrai que le code de l’urbanisme a évolué ces dernières années afin de réduire l’artificialisation des sols et de limiter l’étalement urbain.
Pourtant, cet objectif, juste et légitime, a malheureusement conduit à une quasi-interdiction des constructions en zone rurale.
En effet, le code de l’urbanisme impose aux collectivités de fixer des objectifs en fonction de l’évolution démographique d’un territoire au cours des années précédentes. Il en résulte que les petites communes rurales, dont la population évolue peu, ne peuvent plus délivrer de permis de construire.
C’est une forme de double peine puisqu’à la déprise démographique s’ajoute l’impossibilité d’accueillir de nouveaux habitants. Cette situation est inacceptable alors que la crise sanitaire a suscité un réel engouement pour la ruralité.
Cette proposition de loi est donc intéressante, d’autant que son passage en commission en a pleinement amélioré le dispositif initial.
Ainsi, elle ne vise plus uniquement les zones de revitalisation rurale, dont l’avenir reste incertain. Elle vise désormais l’ensemble des petites communes, plus particulièrement celles qui ne disposent pas de plan local d’urbanisme et qui sont donc soumises au règlement national d’urbanisme (RNU).
La proposition de loi permet la construction en continuité urbaine des bourgs et hameaux, ainsi qu’un changement de destination de certains bâtiments, notamment au sein des exploitations agricoles. Ces facultés ont été recentrées sur la seule nécessité de produire des logements ou des hébergements, et ce uniquement dans la continuité de l’espace déjà urbanisé à la date de la présente proposition de loi. Cet équilibre nous semble pertinent pour éviter un mitage trop important des terres agricoles. Il nous paraît surtout particulièrement opportun de solliciter l’avis de la CDPENAF.
Par ailleurs, la proposition de loi vise désormais non plus le dispositif Pinel, mais le dispositif Denormandie dans l’ancien, plus adapté aux zones rurales pour favoriser la rénovation de bâtiments dégradés et souvent vacants. On déplore, en effet, en zone rurale 10 % de logements vacants. Ce taux, il importe de le souligner, s’élève même à 24 % dans certains endroits.
Au-delà de ces évolutions du code de l’urbanisme, il faut reconnaître que le gel des terres est également la conséquence d’une perte majeure d’ingénierie au sein des collectivités en zone rurale.
La suppression de l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atésat) et la redéfinition de l’application du régime des autorisations du droit des sols (ADS) ont conduit à de grandes disparités territoriales.
Les documents d’urbanisme sont pourtant d’une importance majeure comme support des projets des collectivités. L’État devrait mieux accompagner ces dernières, y compris pour basculer en PLU, car cela offre des possibilités plus importantes en matière d’urbanisation.
Par ailleurs, les situations de blocage peuvent également être liées à la création d’intercommunalités forcées, les plus petites communes se trouvant dans un rapport de force ne leur permettant pas de partager leurs projets urbains et une vision dynamique de leur territoire.
Les différentes lois qui se sont succédé, telles que la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, ont contribué à obérer la réelle maîtrise de leur sol autant que le libre choix intercommunal.
Une autre question, pourtant très liée à cette évolution du code de l’urbanisme, n’est pas soulevée, à savoir celle des moyens financiers nécessaires pour permettre aux collectivités d’éviter la déprise de leur territoire. Rien ne sert en effet de favoriser la construction si l’on ne permet pas le retour des services publics nationaux et locaux et si les équipements indispensables à l’attractivité de nos territoires ruraux ne suivent pas.
Cette proposition de loi vise également à faciliter l’exercice des activités agricoles. Il s’agit notamment de reconnaître le droit pour chaque agriculteur de vivre sur son exploitation. C’est une idée que nous partageons.
Aujourd’hui, de plus en plus de bâtiments agricoles sont en ruine sur nos territoires. C’est, de mon point de vue, une bonne chose que de permettre leur réhabilitation en favorisant les transmissions d’exploitations.
Tels sont les quelques éléments que je tenais à préciser avant d’indiquer que nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, grâce à la démarche de Pierre Louault et aux apports de Valérie Létard, que je tiens à saluer et à remercier pour leur engagement sur ce texte, la présente proposition de loi tend à donner à la ruralité les moyens de ses ambitions et de relever ses difficultés.
Il n’échappe à personne que les campagnes se vident depuis plus d’un siècle, que les « places du marché » et les « rues du commerce » sont moins fréquentées, et que les bras manquent dans les fermes, quand celles-ci ne disparaissent pas.
Ce tableau n’est pas nouveau, il est celui d’une France qui a passé le pas de la modernité il y a maintenant plus d’un demi-siècle.
Nul besoin, toutefois, de ressasser les images du passé : j’ai l’intime conviction que la ruralité regorge de ressources qui lui permettront de sortir de l’ornière. Parmi ces ressources, il y a l’habitat.
Loin des prix faramineux de l’immobilier dans les métropoles, les territoires ruraux sont à la portée de tous, tant ils regorgent d’habitations et de terrains disponibles et tant le prix d’entrée dans le logement y est bas. Par ailleurs, le cadre de vie des territoires ruraux est plébiscité par nos concitoyens, comme on le voit depuis bientôt deux ans dans notre pays du fait de la crise sanitaire.
Si l’exode rural se poursuit, l’exode urbain est une réalité de plus en plus tangible. Paris a ainsi perdu près de 54 000 habitants entre 2013 et 2018.
Il est aujourd’hui nécessaire de donner aux territoires ruraux les moyens de leurs ambitions en matière de logement et de valorisation du patrimoine, qu’il s’agisse de réhabiliter le bâti ancien ou d’autoriser des constructions nouvelles, dans le respect de leurs engagements contre l’artificialisation des sols.
Il ne s’agit pas de discuter ces objectifs, car freiner la consommation du foncier agricole est aujourd’hui un enjeu stratégique national. Il s’agit plutôt de montrer que les territoires ruraux sont pénalisés et disposent de peu de zones constructibles alors même qu’ils en ont de plus en plus besoin pour briser le cercle vicieux de la dévitalisation.
La seconde ressource essentielle de nos territoires ruraux, qui les fait vivre, c’est l’activité agricole.
La chute continue du nombre d’agriculteurs n’est pas terminée : la moitié des 400 000 agriculteurs qui sont aujourd’hui en activité dans notre pays sera en âge de partir à la retraite d’ici à dix ans. Or nous savons aujourd’hui que le taux de remplacement de ces futurs retraités sera bien faible. Certains estiment qu’il s’élèvera à un tiers.
Nous nous faisons tous, mes chers collègues, les relais des difficultés que rencontrent les agriculteurs de nos départements respectifs. C’est une profession tout entière qui rencontre les mêmes difficultés économiques, administratives, climatiques ; celles-ci ont même pour effet de dissuader les plus chevronnés de poursuivre leur activité et les jeunes les plus motivés de s’installer.
Notre responsabilité, en tant que législateurs, est de lever ces freins à l’installation. Je me réjouis donc que cette proposition de loi contienne des dispositions ambitieuses à ce sujet.
L’ambition de cette proposition de loi en faveur du développement de l’habitat dans les zones rurales et du maintien de l’activité agricole est donc salutaire et porte sur deux socles essentiels de la revitalisation des territoires ruraux. Cette ambition a été réaffirmée par la commission des affaires économiques, qui a su enrichir ce texte avec justesse et bon sens, par exemple en remplaçant le ciblage spécifique des zones de revitalisation rurale par des mesures d’assouplissement ouvertes à l’ensemble des communes de petite taille et des mesures plus larges au bénéfice des communes peu denses en déprise démographique.
Ces mesures faciliteront la transformation d’anciens corps de ferme ou de granges inoccupés en logements dans tous les territoires ruraux, sans limiter l’application d’une telle disposition à un zonage administratif spécifique.
La commission a également amendé le texte initial afin de sécuriser le droit au logement des agriculteurs sur leur exploitation. Elle a confirmé son soutien aux agriculteurs en considérant que les troubles inhérents à l’activité agricole causés sur le voisinage ne sont pas considérés comme des dommages si l’activité agricole préexiste aux habitations concernées. Les coqs pourront ainsi continuer de chanter !
C’est donc en soutien à nos territoires ruraux et eu égard à la qualité de la présente proposition de loi que le groupe Union Centriste votera naturellement ce texte, dans l’espoir que la navette se poursuivra dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tous les observateurs s’accordent à souligner que la crise que nous traversons a eu pour conséquence un regain d’intérêt pour les territoires ruraux. Les qualités de nos territoires sont enfin connues et reconnues. Nous ne pouvons que nous en réjouir !
Comme le rappelait Alain Bertrand dans son rapport Hyper-Ruralité, nous disposons d’un potentiel de développement économique, social et écologique qu’il faut pouvoir accompagner, mais comment y arriver si nous n’avons pas la capacité d’accueillir de nouvelles populations ?
C’est ce retour à la campagne que les auteurs de la présente proposition de loi entendent accompagner. L’objectif est non pas de tout déréglementer, mais de lever les verrous qui sont autant d’obstacles au développement.
Assouplir, autoriser l’urbanisation et permettre les changements de destination de certains biens à des fins d’habitation dans nos zones hyper-rurales constitue une réponse adéquate. Cependant, appliquer à tous les territoires la même règle, c’est la double peine !
Les territoires ruraux ont subi pendant des années l’absence de véritable politique d’aménagement du territoire et un recul constant des services publics. Est-il juste aujourd’hui de leur refuser de construire au motif qu’ailleurs nous avons consommé trop d’espace ?
La loi ne peut pas nous priver du droit à l’accueil dont ont bénéficié pendant longtemps les métropoles et les agglomérations. Notre législation doit être adaptée. Tel est l’objectif de ce texte, d’autant que les garde-fous qu’il instaure apportent des garanties quant à la préservation des paysages, des espaces naturels et agricoles.
En ce qui concerne l’extension du dispositif Denormandie dans l’ancien, je m’interroge sur son recentrage sur les communes rurales qui disposent d’un fort taux de vacance. À mon avis, cette disposition rate sa cible. Nous proposerons donc un amendement visant à l’étendre aux autres communes peu denses ayant un besoin de logement avéré.
Pour autant, je partage l’idée que nous devons nous interroger sur ces 100 000 logements qui deviennent vacants tous les ans. C’est en traitant cette question que nous préserverons nos terres de l’artificialisation et non en mettant sous cloche les territoires peu peuplés.
Certes, les dispositions du projet de loi 3DS faciliteront quelque peu l’acquisition des biens sans maître ou des biens abandonnés. Mais pour être efficace, il faut des mesures fiscales en faveur de la rénovation de l’existant. Nous savons que l’inadaptation des logements anciens aux besoins actuels et le coût de leur rénovation sont des freins à l’acquisition.
Enfin, je précise que nous sommes également favorables à l’article 6 relatif aux troubles inhérents aux activités agricoles.
Pour conclure, je remercie les auteurs de la proposition de loi. Le texte répond à une préoccupation constante des élus qui se démènent pour maintenir la vie dans leurs villages. Ayons toutefois toujours à l’esprit que nos difficultés ne se limitent pas à l’habitat.
Nous avons également des besoins urgents en termes d’infrastructures, de services publics, de commerces de proximité, d’emplois. Toutefois, nous allons dans la bonne direction. Le groupe RDSE votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
13
Souhaits de bienvenue d’une délégation parlementaire turque
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de la Grande Assemblée nationale turque conduite par M. Mehmet Kasım Gülpinar, président du groupe d’amitié Turquie – France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État, se lèvent.)
Elle est accompagnée par M. Jean-Claude Requier, président du groupe d’amitié du Sénat.
Après des entretiens à l’Assemblée nationale, la délégation a assisté au Sénat au colloque co-organisé par le groupe d’amitié et le comité France – Turquie sur les cent ans du traité d’Ankara.
Cet accord signé, le 20 octobre 1921 par le ministre des affaires étrangères du Gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie, Yusuf Kemal, et l’envoyé spécial du Gouvernement français, Henri Franklin-Bouillon, mit fin immédiatement à l’état de guerre entre la France et le Gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie.
La France ouvrait ainsi la voie à la reconnaissance internationale de la Turquie nouvelle du Gouvernement de M. Mustafa Kemal.
La délégation turque vient d’avoir des entretiens avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Christian Cambon, et avec le vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat, M. André Reichardt.
Cette visite renoue avec une relation essentielle pour la stabilité, la sécurité et la prospérité de nos deux pays.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à M. Mehmet Kasım Gülpinar et à sa délégation la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements.)
14
Favorisation de l’habitat en zones de revitalisation rurale
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un réel problème pour nos territoires : la déprise démographique des zones rurales. Les contraintes en matière d’urbanisme peuvent freiner le développement de ces territoires. Tel est le constat des auteurs de ce texte, auquel nous ne pouvons que souscrire.
Il faut en effet trouver un équilibre entre le développement de l’habitat, des activités et des services à la population, tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement.
Je tiens d’abord à saluer le travail de la rapporteure qui, par ses propositions, a fait évoluer le texte sur deux points sur lesquels nous avions une position défavorable.
Le premier point concerne le périmètre retenu, celui des ZRR, pour faciliter l’accès à l’habitat dans les territoires en déprise démographique.
Ce périmètre ne nous paraissait pas pertinent pour trois raisons. Tout d’abord, parce qu’une réflexion doit être prochainement engagée pour réviser les dispositifs zonés. Ensuite, parce qu’il n’inclut pas l’ensemble des territoires ruraux. Enfin, parce que les ZRR comprennent des communes très diverses, qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés.
Nous sommes donc favorables au fait de viser les communes rurales peu denses en déprise démographique, plutôt que les ZRR.
Malgré une réécriture resserrée de l’article 2, la possibilité prévue dans la proposition de loi d’autoriser les constructions sur les terrains comprenant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole nous inquiète. Nous craignons que le mitage et l’habitat diffus ne s’en trouvent favorisés.
Le deuxième point de blocage portait sur l’article 4, qui prévoyait d’appliquer le dispositif Pinel aux ZRR. Nous n’y étions pas favorables, car nous estimons, comme la rapporteure, que le dispositif Denormandie dans l’ancien, qui est un avantage fiscal en faveur de la rénovation du bâti, est plus adapté aux spécificités des territoires ruraux.
Depuis le début de la pandémie, nos concitoyens ont redécouvert le potentiel offert par l’habitat en zone rurale.
Afin de parvenir à un équilibre, il est donc indispensable de ne pas accentuer les inégalités territoriales. Il faut, au contraire, préserver nos communes rurales tout en leur permettant de se développer pour conserver leur population ou en accueillir de nouvelles.
Cela passe certes par le développement de l’habitat, mais pas seulement. La déprise démographique ne résulte pas uniquement d’un manque de logements ou de contraintes trop importantes en matière d’urbanisme. Permettre l’arrivée d’une nouvelle population nécessite aussi l’implantation d’activités, de services et d’infrastructures.
L’objectif de la proposition de loi telle qu’elle ressort des travaux de la commission est bien d’accompagner nos territoires pour qu’ils disposent des outils nécessaires au renouvellement de leur patrimoine existant et au développement de leur attractivité.
Nous sommes donc favorables à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui ne connaît pas le maire d’une petite commune désabusé parce que les services de l’État lui ont refusé un permis de construire ? Pour ma part, j’en connais un certain nombre, si bien que je ne peux que porter un regard bienveillant sur cette proposition de loi.
M. Laurent Duplomb. Bien !
M. Bernard Buis. Ce texte cible en effet un blocage que je rencontre trop souvent, d’autant que depuis la crise sanitaire les spéculations vont bon train sur une « dé-métropolisation » de la France.
Avec l’émergence du télétravail et des tiers lieux, les grandes villes pourraient être boudées au profit de nos campagnes. La vacance de nombreux logements résultant de la déprise démographie constatée dans certains de ces territoires offre en effet une opportunité aux néoruraux.
Comment répondre à cette nouvelle demande ? C’est peut-être sur ce point que nous divergeons.
La proposition de loi prévoit de permettre à n’importe quelle commune en déprise démographique, disposant ou non de documents d’urbanisme, de déroger au droit de l’urbanisme. Elle offre ainsi des assouplissements en matière de construction nouvelle, d’adaptation du bâti et de changement de destination, en particulier dans les zones naturelles, agricoles et forestières.
Le texte prévoit également l’extension à ces zones en déprise du dispositif Denormandie dans l’ancien, qui est aujourd’hui réservé aux communes bénéficiant du programme Action cœur de ville, afin d’inciter à la remise en état du bâti ancien dégradé. Nous pourrions nous accorder sur ce point.
Permettez-moi néanmoins de vous faire part de mes interrogations.
À mon sens, ce texte avantage en premier lieu les communes régies par le règlement national d’urbanisme. Elles sont environ 10 000, mais que va-t-on dire aux 25 000 autres, soit 70 % des communes, qui, elles, ont fait l’effort financier de réaliser un document d’urbanisme ? Contrairement aux idées reçues, toutes ne sont pas des collectivités urbaines richement dotées, loin de là !
Aussi, un tel texte est contraire aux dispositions que nous avons prises pour lutter contre l’artificialisation des sols, qui figurent tout de même dans une cinquantaine d’articles de la loi Climat et résilience. Rappelons que la loi a fixé un objectif national d’absence d’artificialisation nette d’ici à 2050.
Dit autrement, déroger au droit de l’urbanisme, c’est favoriser le mitage par l’installation de bâtiments ou de logements dans le paysage rural, sans lien avec le schéma de cohérence territoriale et en totale contradiction avec la loi Littoral ou la loi Montagne.
Enfin, dans les communes régies par le RNU, si on ne peut pas construire en dehors des espaces attribués, on peut tout à fait bâtir en fonction des besoins de la commune. Il est par exemple possible de changer la destination des bâtiments agricoles pour en faire du logement ou de construire de nouveaux bâtiments à usage d’habitation dans le périmètre de bâtiments agricoles existants. Et surtout, pour éviter la perte démographique, il est possible de construire en dehors des espaces urbanisés sur délibération motivée de la commune.
Mes chers collègues, je veux que l’on puisse trouver des solutions pour nos maires qui connaissent ces difficultés, mais les dispositifs ici proposés sont disproportionnés et inéquitables pour l’ensemble de nos collectivités. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Vous aviez bien commencé, mais ça termine mal !
M. Bernard Buis. Il est nécessaire de travailler avec le Gouvernement pour trouver des solutions pertinentes. Ainsi, pourquoi ne pas prévoir un dispositif d’incitation en direction des maires souhaitant réaliser un document d’urbanisme ?
En attendant, certains sénateurs de mon groupe ont choisi de s’opposer à ce texte. D’autres, dont je fais partie, considérant que la proposition de loi pose de bonnes questions, préfèrent s’abstenir.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à Murat, en 2004, le président de la République Jacques Chirac évoquait « l’attachement de notre pays à une ruralité moderne ». Je pense que c’est toujours le cas – j’ajouterai, en le paraphrasant quelque peu, à une ruralité heureuse – quand je vois l’énergie que sont prêts à déployer nos territoires les plus ruraux pour relever le défi du dynamisme et de l’attractivité.
Cette proposition de loi est importante, car elle traduit une volonté de permettre à nos territoires les plus ruraux de faire face aux défis actuels en matière d’urbanisme. Je tiens à saluer notre collègue Pierre Louault pour son engagement, ainsi que la commission des affaires économiques, dont le travail a permis d’affiner ce texte.
Depuis quelques années, les territoires ruraux retrouvent une certaine vitalité et sont de plus en plus attractifs. La pandémie que nous traversons a accentué cette tendance.
À titre d’exemple, dans l’Aveyron, comme ailleurs, nous avons fait des efforts importants afin de gagner en attractivité. Ainsi, la fibre sera installée dans tout le département, un an et demi avant l’échéance du plan Macron. Nous assistons au retour volontaire de personnes pour lesquelles la qualité de vie redevient centrale. Ces dernières sont même prêtes à s’engager dans un métier leur offrant une rémunération inférieure pour profiter de la qualité de vie de nos départements ruraux. Les citoyens qui y habitent ont les ressources pour faire évoluer notre pays et ses territoires. Ils sont attachés au développement des bassins de vie et souhaitent y impulser un nouveau dynamisme.
Néanmoins, nous faisons face au problème majeur de l’artificialisation des sols. Notre pays a amorcé une transition nécessaire dans bien des domaines. Nous ne nions absolument pas l’importance de freiner la consommation de nos sols, mais force est de constater qu’une grande partie de celle-ci est le fait de départements très urbanisés.
Le constat, qui trouve sa traduction dans ce texte, est le suivant : certaines règles d’urbanisme sont trop strictes pour les territoires hyper-ruraux, alors que ces derniers ne représentent qu’une infime partie de la consommation nationale des sols. Nous en avons discuté lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience sans parvenir à des mesures de freinage suffisamment différenciées. Un tel freinage est pourtant crucial.
Nous devons pouvoir accueillir de nouveaux arrivants et surtout permettre à ceux qui le souhaitent de s’installer et de travailler à l’endroit de leur choix. Autoriser de nouvelles constructions et faciliter la réhabilitation des bâtis existants en hyper-ruralité : voilà les clefs du problème.
Le travail qui a été effectué sur l’article 2 de la proposition de loi est très juste. En effet, le périmètre des ZRR n’était pas assez précis et l’avenir de ces zones, qui ont déjà été prolongées, était plutôt incertain au-delà de 2022.
Se concentrer sur les communes peu denses en déprise ou en stagnation démographique, ou encore en reprise démographique lente, c’est donner la possibilité à ces territoires de survivre. C’est apporter de l’équilibre et de la flexibilité au rythme de freinage. Enfin, ce n’est que justice pour des territoires qui sont confrontés à un paradoxe : un regain d’attractivité et une impossibilité d’accueil. Pour redonner du dynamisme à notre hyper-ruralité, il faut rompre ce cercle vicieux.
La rénovation et la réhabilitation étant parfois trop hors de prix, elles ne permettent pas à nos concitoyens de faire les investissements nécessaires. Aussi, je salue l’option qui a été retenue non seulement de prolonger le dispositif Denormandie dans l’ancien, mais surtout de l’étendre à d’autres bénéficiaires. Les centres de nos petites villes et de nos villages, ainsi que nos centres-bourgs, en ont grandement besoin.
Enfin, il nous apparaît primordial de laisser les acteurs locaux, les maires, cibler leurs besoins en matière de revitalisation rurale. C’est synonyme de réussite pour le développement de nos territoires ruraux.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à adresser toutes mes félicitations à notre collègue Pierre Louault pour son initiative. Le texte qui nous est présenté répond en effet à de nombreux besoins et surtout à deux défis.
Le premier défi est de satisfaire les besoins en logements. Notre collègue Dominique Estrosi Sassone l’a souvent dit, on n’a jamais aussi peu construit de logements en France ; or nous en avons besoin ! Encore faut-il parvenir à en construire, madame la secrétaire d’État ; or je vous confirme ce que plusieurs de mes collègues vous ont dit à cette tribune : tous les jours, nos communes rurales sont confrontées à des refus de permis de construire.
Adressez-vous aux maires de Paizay-le-Sec, Béthines, Romagne, des communes du département dont je suis l’élu : ils pourront vous parler des refus qu’ils ont encore essuyés dernièrement.
Nous devons pouvoir construire : il va donc falloir prévoir un moratoire sur les PLUi et les dispositifs intermédiaires qui sont mis en place dans nos territoires par les préfectures et qui freinent toutes les initiatives des élus locaux.
Il faut aussi, et c’est du bon sens, généraliser l’ensemble des dispositifs. Il n’y a pas la « France du Pinel » et la « France pas Pinel » ! Une telle généralisation nous aiderait à combler le besoin de logements.
Il faut également adapter un certain nombre de dispositifs existants. Je ne sais pas si certains ici ont déjà eu recours à l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), mais essayez de faire aboutir votre demande dans un délai qui réponde à vos besoins d’amélioration de votre logement…
Généralisons à l’ensemble du territoire les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH), qui sont un dispositif simple, afin de permettre aux élus de mener des opérations.
Enfin, permettez-moi de revenir sur un point que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer à cette tribune, à savoir les difficultés que posent les architectes des bâtiments de France (ABF). Faisons en sorte, peut-être grâce aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) qui existent dans chaque département, de mettre davantage de liant entre les ABF et les maires afin que les projets puissent être réalisés dans les communes.
Le second défi est indiscutablement de permettre aux territoires d’être en mesure d’accueillir de nouveaux habitants. La pédagogie étant affaire de répétition, je dis encore une fois combien les éoliennes contribuent à la dépréciation de nos territoires. Là encore, laissons les maires décider, en prévoyant si nécessaire un moratoire.
Il est également nécessaire de prévoir un moratoire sur toutes les décisions de l’État qui dévaluent les territoires ruraux, comme des fermetures de classes ou de services publics. Laissons les élus conduire leur stratégie et mener à bien les projets qu’ils estiment nécessaires afin que les territoires ruraux soient en mesure d’accueillir les urbains – ils n’ont jamais été aussi nombreux ! – qui veulent s’y installer.
Encore faut-il disposer de dispositifs simples à cette fin. En matière de téléphonie – et là encore je me répète ! –, il va falloir passer très vite à la méthode TGV, pour téléphonie à grande vitesse. Aujourd’hui, les délais annoncés par les ministres ne sont pas respectés. Comment les territoires ruraux pourraient-ils être en mesure d’accueillir de nouveaux habitants quand ils font face à de tels blocages, qui sont dus à 100 % aux agences de l’État ?
Nous l’évoquerons lors de la discussion des amendements, 100 000 logements sont vacants dans les cœurs de communes et 140 000 corps de ferme sont abandonnés. Il ne s’agit pas là de réoccuper de l’espace rural ou foncier, puisque le bâti existe et qu’il est même parfois séculaire.
Cette proposition de loi est un bon texte, qui apportera de l’oxygène au milieu rural et aux entreprises du bâtiment. Vous connaissez le dicton : quand le bâtiment va, tout va. De même, quand la ruralité va, la France va ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Denis Bouad. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nos politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme doivent être centrées sur les enjeux de la revitalisation rurale.
À cet égard, on ne peut qu’être satisfait d’examiner le texte qui nous est aujourd’hui soumis. Cette proposition de loi s’appuie sur un constat simple : le déclin démographique de nos villages ruraux. Ce constat, nous le partageons. Il repose d’ailleurs sur une donnée objective, qui, pour notre groupe, est essentielle : la part de logements vacants est bien plus importante dans nos communes rurales que dans le reste de la France. L’attractivité naturelle de nos villages n’est pas en cause. Il nous appartient donc d’apporter des réponses politiques à ce phénomène.
Nombreux sont ceux qui, parmi nous, se battent pour maintenir des services de proximité au plus près des besoins des Français. Partout dans nos campagnes, des maires font tout ce qu’ils peuvent pour conserver une école, un bureau de poste ou un commerce.
L’une des façons de préserver des services de proximité et des services publics dans nos villages, c’est d’y maintenir et d’y attirer les populations.
Pour ce faire, nous devons adapter nos règles urbanistiques qui, comme leur nom semble l’indiquer, sont peut-être parfois un peu trop urbaines et éloignées des réalités et des spécificités de nos territoires ruraux.
Clairement, il nous faut porter une ambition de revitalisation rurale. Cette ambition ne doit pas pour autant nous faire oublier nos objectifs de préservation de l’environnement et de sauvegarde des terres agricoles.
Alors oui, il arrive que des exigences soient pertinentes et légitimes, tout en étant potentiellement contradictoires dans leur application. Dans ce genre de situation, il faut savoir donner des marges de manœuvre et un pouvoir de décision et d’arbitrage aux élus locaux. Tel est le sens de cette proposition de loi, à laquelle nous souscrivons.
Vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront ce texte, qui va dans le bon sens. (Marques de satisfaction sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Denis Bouad. Pour autant, nous émettons une réserve qui a son importance. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
J’ai déjà évoqué la question centrale de la vacance des logements.
Dans le cadre de notre objectif commun, la lutte contre cette vacance aurait dû être la première des priorités. La réappropriation du bâti existant permettrait de sauver le patrimoine qui fait le charme de nos communes et de renforcer leur attractivité tout en limitant l’habitat diffus et ses conséquences. Bien sûr, un tel projet nécessiterait un plan massif d’accompagnement des maires désireux de s’engager dans cette démarche.
À l’inverse, si nous faisons des constructions nouvelles une priorité, le risque est d’augmenter la vacance, d’accroître le délabrement du bâti existant et, de fait, de réduire l’attractivité et la vitalité de nos communes, contrairement à notre ambition initiale.
Nous voterons évidemment ce texte, mais il était important de faire entendre cette réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Cette proposition de loi étant discutée dans le cadre d’un espace réservé au groupe Union Centriste, je devrai suspendre la séance à vingt heures quarante-cinq.
proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement
Chapitre Ier
Faciliter l’habitat dans les zones de revitalisation rurale dans le respect de l’agriculture et de l’environnement
Article 1er
Après le 2° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis Dans les zones de revitalisation rurale, la promotion des initiatives contribuant à la poursuite des objectifs mentionnés à l’article 61 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire ; ».
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.
M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État, quand je vous ai vue vous installer au banc du Gouvernement, j’ai compris que vous alliez dire non à absolument toutes les dispositions proposées dans ce texte. Envoyer la secrétaire d’État chargée de la biodiversité auprès de la ministre de l’écologie s’occuper ici, au Sénat, d’une proposition de loi destinée à régler des problèmes de la ruralité donne immédiatement le ton de la discussion ! Et nous n’avons pas été déçus…
À la façon de Montesquieu, je dirai que j’aime les gens de mon pays car ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. J’aime Pierre Louault parce que c’est quelqu’un qui correspond à mon pays et qui n’est pas assez savant pour raisonner de travers ! (Sourires.)
En revanche, vous, pendant sept minutes vingt-cinq, vous nous avez fait de la Macronie dans toute sa splendeur ! Vous nous avez expliqué que vous étiez contre tout ce que nous proposions et que vous aviez déjà tout réglé. Et pourtant, n’est-ce pas raisonner de travers que de nous expliquer que tous les élus ruraux sont d’accord avec le zéro artificialisation nette et qu’ils ont compris le message ? Car c’est tout le contraire !
Au lieu de rester dans votre bureau parisien, sortez sur le terrain : vous constaterez que la préservation de la biodiversité est le fait des hommes et des femmes qui composent les territoires. Demandez-leur s’ils sont d’accord pour que, dans les années à venir, on leur interdise totalement de construire pour leurs enfants ou pour ceux qui veulent habiter à la campagne !
Pendant des années, la France a dépensé des sommes colossales pour essayer d’avoir une politique d’aménagement du territoire. Alors qu’aujourd’hui les populations urbaines demandent à s’installer dans les territoires, c’est vous, madame la secrétaire d’État, et le gouvernement auquel vous appartenez, qui empêcherez cet aménagement du territoire. C’est tout simplement une honte !
Ne pas comprendre que vous pourriez aujourd’hui lâcher du lest afin que les maires puissent enfin avoir un tant soit peu de responsabilités concrètes et donner à leur population la possibilité de construire ne vous honore pas.
M. le président. Concluez, mon cher collègue !
M. Laurent Duplomb. Finalement, vous faites partie des technocrates jacobins et vous n’acceptez pas que la campagne puisse avoir raison ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, sur l’article.
M. Philippe Folliot. Je tiens tout d’abord à saluer notre collègue Pierre Louault, auteur de cette proposition de loi, et notre rapporteure Valérie Létard, pour la qualité de leur travail sur ce texte, qui constitue une avancée positive, significative et très intéressante pour la ruralité.
Madame la secrétaire d’État, il y a près de vingt ans – privilège de l’âge ou de l’expérience –, en juillet 2003, je siégeais sur les bancs d’une autre assemblée, l’Assemblée nationale. Nous débattions avec Gilles de Robien, qui était alors ministre du logement, des enjeux en matière de logement, dans notre pays de manière générale et dans la ruralité en particulier.
Force est de constater que, près de vingt ans après le vote de la loi de 2003, la métropolisation n’a cessé de progresser dans notre pays. Si je prends l’exemple de notre région, l’Occitanie, l’artificialisation des sols s’est faite, pour l’essentiel, autour des aires urbaines de Toulouse et de Montpellier.
Aujourd’hui, face à cette évolution, ce texte donne une nouvelle chance et une nouvelle opportunité aux territoires ruraux. Les dispositions qu’il contient sont importantes, essentielles. Il est tout simplement insupportable pour le maire d’une petite commune, qui n’a l’occasion d’accorder un permis de construire qu’une fois tous les cinq ou dix ans, de devoir le refuser pour des raisons administratives.
Madame la secrétaire d’État, je pense qu’il est important d’entendre le cri du cœur de l’ensemble du monde rural et d’adopter ce texte afin de lui permettre de bénéficier de ses avancées. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Pla, Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Redon-Sarrazy, Tissot et Gillé, Mme Monier, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le a du 1° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme est complété par les mots : « au moyen de politiques renforcées et différenciées de développement mises en œuvre dans les zones caractérisées par des handicaps géographiques, économiques ou sociaux ».
La parole est à M. Sebastien Pla.
M. Sebastien Pla. Les zones de revitalisation rurale ne constituent pas des ensembles homogènes et ne reflètent pas la diversité des territoires ruraux. Ces territoires sont classés en tête des territoires délaissés. Aujourd’hui, 51 % des ruraux estiment que le monde rural est abandonné, notamment en raison des problèmes d’accessibilité aux services publics, de la fracture médicale et numérique, des problèmes de mobilité et d’autres causes qui entretiennent un sentiment d’abandon.
Ces espaces relégués et leurs 27 millions d’habitants, qui ont le sentiment d’être des laissés-pour-compte, constituent cependant un enjeu majeur pour nous tous.
C’est pourquoi notre amendement tend à inscrire dans les principes généraux du droit de l’urbanisme que l’équilibre entre les populations résidant dans les zones urbaines et rurales est obtenu au moyen de politiques différenciées en faveur de ces territoires fragiles.
Il tend à étendre la portée de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme à l’ensemble des territoires caractérisés par des handicaps géographiques, économiques et sociaux clairement identifiés par l’Insee et qui bénéficient à ce titre de politiques renforcées et différenciées de développement allant au-delà des dispositifs fiscaux attachés à la zone de revitalisation rurale, dont la portée n’est à ce jour pas garantie au-delà de 2022.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 7 rectifié bis est présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et Gillé, Mme Monier, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 17 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 38 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le 1° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° Au b, les mots : « et rural » et les mots : « et ruraux » sont supprimés ;
2° Après le même b, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) La revitalisation des espaces ruraux, le développement rural maîtrisé, la réhabilitation du bâti rural dégradé, l’amélioration de l’habitat au sein des espaces ruraux ; ».
La parole est à M. Denis Bouad, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié bis.
M. Denis Bouad. Cet amendement tend à prévoir que, dans le respect des objectifs du développement durable, l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à prendre en compte les enjeux propres aux territoires ruraux.
La crise sanitaire a montré qu’il était nécessaire de prendre en compte le potentiel offert par le monde rural. Un tiers de la population française vit dans une commune rurale. Il faut arrêter d’accentuer les ruptures territoriales. Au contraire, il faut engager une profonde évolution de notre rapport aux territoires, dans un objectif de préservation et de cohésion.
Aussi, il nous semble important de compléter l’article 1er, qui cible les seules ZRR, par une disposition générale, applicable à l’ensemble des espaces ruraux.
Notre amendement tend donc à compléter l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme en y ajoutant l’objectif de prise en compte des enjeux propres aux territoires ruraux, notamment la revitalisation, le développement et la réhabilitation du rural dégradé.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
M. Pierre Louault. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour présenter l’amendement n° 38 et donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 16 rectifié.
Mme Valérie Létard, rapporteure. L’amendement de la commission, identique aux deux précédents, tend à améliorer la rédaction de l’article 1er sur deux points.
Premièrement, il vise à supprimer le ciblage des ZRR par cohérence avec notre position en commission et à viser l’ensemble de la ruralité.
Deuxièmement, il tend à compléter les grands objectifs figurant déjà dans le code de l’urbanisme afin de mieux mettre en valeur et de renforcer les objectifs liés à la ruralité, dans le prolongement de ce qu’a voté le Sénat, sur l’initiative de notre commission, dans la loi Climat et résilience. Il tend ainsi à ajouter à ces objectifs la revitalisation des espaces ruraux, le développement rural maîtrisé, la réhabilitation du bâti rural dégradé et l’amélioration de l’habitat au sein des espaces ruraux.
L’amendement n° 16 rectifié vise à entrer dans un niveau de détail trop important. Il est en outre incompatible avec les amendements identiques en discussion commune. La commission en demande donc le retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Sur l’amendement n° 16 rectifié, je partage l’avis de Mme la rapporteure. Un trop haut niveau de distinction et de détail nous conduirait à menacer l’équilibre, que nous souhaitons préserver, entre les populations qui résident dans les zones urbaines et les populations rurales.
D’ailleurs, les dispositions de l’article L. 101-2 sont d’ordre général : elles s’imposent aux documents de planification.
L’enjeu majeur de l’équilibre entre les territoires pour permettre leur développement est déjà inscrit dans l’article du code que l’amendement tend à compléter. Sur ce simple aspect, celui-ci est donc, à mon sens, satisfait.
Les principes généraux inscrits dans le code de l’urbanisme ne peuvent porter sur d’autres champs que celui de l’urbanisme.
J’en viens aux amendements identiques nos 7 rectifié bis, 17 rectifié et 38.
Sur le fond, je souligne d’abord l’évolution positive que tendent à prévoir ces amendements en visant non pas seulement les zones de revitalisation rurale, mais les territoires ruraux dans leur ensemble.
Les principes généraux du droit de l’urbanisme prescrivent que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise avant tout à atteindre l’équilibre entre les territoires, afin de permettre un développement durable, et ce quelles que soient leurs caractéristiques.
Ces principes s’appliquent tant dans les communes urbaines que dans les communes rurales. Les enjeux majeurs de revitalisation des centres urbains, mais aussi ruraux, l’équilibre entre les populations et le développement territorial ne me semblent pas devoir être nuancés : ils doivent être traités de façon équitable. C’est d’ailleurs en fonction des besoins qu’est déjà intégrée dans les objectifs des collectivités publiques l’action en matière d’urbanisme.
L’intention que traduisent ces amendements me semble donc satisfaite sur le fond. Sur la forme, en revanche, ils me semblent bienvenus en ce qu’ils clarifient et précisent utilement la rédaction initiale du texte.
J’émets donc un avis de sagesse sur ces trois amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié bis, 17 rectifié et 38.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.
Article 2
Le livre Ier du code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° L’article L. 111-4 est ainsi modifié :
a) Au 1°, après le mot : « agricole », sont insérés les mots : « ou sur les terrains sur lesquels sont sis ces bâtiments » ;
b) Après le même 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Dans les communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est principalement constitué de parties non urbanisées, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation ou d’hébergement en continuité des parties urbanisées de la commune telles qu’elles existent à la date de promulgation de la loi n° … du … tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, dès lors que ces constructions ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ; »
2° À la première phrase de l’article L. 111-5, la référence : « au 1° » est remplacée par les références : « aux 1° et 1° bis » ;
3° L’article L. 151-11 est ainsi modifié :
a) Le I est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Dans les communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est principalement constitué de zones agricoles, naturelles ou forestières, autoriser la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation ou d’hébergement en continuité des zones urbanisées de la commune telles qu’elles existent à la date de promulgation de la loi n° … du … tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, dès lors que ces constructions ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. L’autorisation d’urbanisme est soumise à l’avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. » ;
b) Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Dans les zones agricoles ou forestières des communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est principalement constitué de zones agricoles, naturelles ou forestières, sont autorisés, sans préjudice de l’article L. 151-18 :
« 1° Le changement de destination des constructions existantes aux fins de création de logement et d’hébergement ;
« 2° La construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole ou sur les terrains sur lesquels sont sis ces bâtiments, dans le respect des traditions architecturales locales.
« Les autorisations d’urbanisme relatives aux projets mentionnés au présent III sont soumises à l’avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. » ;
4° L’article L. 161-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est principalement constitué de secteurs où les constructions ne sont pas admises, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation ou d’hébergement est autorisée en continuité des parties urbanisées de la commune telles qu’elles existent à la date de promulgation de la loi n° … du … tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, dès lors que ces constructions ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. L’autorisation d’urbanisme est soumise à l’avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. » ;
5° Le titre II est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Dispositions particulières aux communes en déprise démographique à caractère rural
« Art. L. 124-1. – Dans chaque département, les communes peu denses en déprise démographique dont le territoire est principalement constitué de parties non urbanisées, de zones agricoles, naturelles ou forestières, ou de secteurs où les constructions ne sont pas admises, mentionnées respectivement au 1° bis de l’article L. 111-4, au 3° du I et premier alinéa du III de l’article L. 151-11 et au dernier alinéa de l’article L. 161-4, figurent sur une liste arrêtée par le représentant de l’État dans le département, sur proposition des établissements publics de coopération intercommunale du périmètre départemental.
« Pour l’application des articles mentionnés au premier alinéa du présent article, l’inscription des communes à la liste s’apprécie à la date de dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme, nonobstant toute disposition du document d’urbanisme en vigueur.
« En cas d’inscription ou de retrait d’une commune de la liste mentionnée au même premier alinéa, les dispositions du document d’urbanisme applicable à cette commune prises sur le fondement des articles mentionnés audit premier alinéa sont adaptées dès la prochaine modification ou révision du document. »
M. le président. L’amendement n° 23, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Nous proposons la suppression de l’article 2 pour plusieurs raisons.
L’assouplissement des règles de constructibilité applicables à l’ensemble des terrains agricoles en continuité d’un espace urbanisé prévu par cet article risque de favoriser le mitage et donc l’artificialisation des sols. Cet assouplissement est également étendu à toute l’exploitation, et plus seulement au périmètre regroupant les bâtiments de la ferme. Ces dispositions vont à l’encontre de nos objectifs de protection des espaces agricoles.
Le « changement de destination des constructions existantes aux fins de création de logement et d’hébergement » est un périmètre bien trop large. Il existe un risque réel de transformer n’importe quel bâtiment agricole en habitation, même si son usage initial en était très éloigné. Le terme « constructions » est très vague.
Cette mesure, si elle était adoptée, entraînerait des cohabitations difficiles. Alors qu’elles ne sont déjà pas si simples aujourd’hui, je ne vois pas de raison d’aggraver la situation…
La construction de logements neufs doit se faire de façon parcimonieuse et ne doit pas mettre à mal la préservation des sols et de la biodiversité.
Certains ici – très rares, je le concède – rêvent encore du pavillon construit au milieu d’un terrain de 3 000 mètres carrés. Nous savons bien que ce n’est pas possible : si nous mettons la ville à la campagne, il n’y aura plus de campagne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un peu caricatural, ce n’est évidemment pas ce qui est prévu dans cette proposition de loi, mais restons prudents, car nous savons que, dès que l’on ouvre la boîte de Pandore, les choses deviennent ensuite difficiles à gérer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Monsieur Salmon, je ne peux qu’être défavorable à cette demande de suppression du principal article de la proposition de loi.
Vous dénoncez le risque de mitage des territoires agricoles et naturels ainsi que le risque de changements excessifs de destination. Or, soyons clairs, ce n’est pas parce que l’on autorise, dans certains cas très encadrés, des constructions nouvelles en bordure de village que vont soudainement apparaître des lotissements à perte de vue !
Ce que l’on veut, c’est donner aux communes la capacité de répondre, chaque année, à une ou éventuellement deux demandes d’installation d’une famille, afin que ces villages retrouvent vie. Voyez bien à quels territoires nous avons affaire, on parle de territoires en déprise démographique ! (Marques d’approbations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Gontard. Et alors ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Il n’y aura pas de mitage, car nous avons prévu l’exigence de continuité avec l’espace déjà urbanisé, de compatibilité avec l’activité agricole et d’un avis de la CDPENAF.
Il ne me paraît pas excessif de vouloir donner une nouvelle vie aux 140 000 corps de ferme à l’abandon en France, qui tombent chaque jour un peu plus en ruine et qui ont besoin de ces souplesses et de ces autorisations. (Marques d’assentiment sur les travées du groupe Les Républicains – M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Je l’ai déjà indiqué à maintes reprises aujourd’hui, le droit en vigueur pose le principe de la « constructibilité limitée aux espaces urbanisés ». L’article 2 du texte vise à créer des dispositions particulières aux zones rurales, afin d’assouplir ces conditions de construction.
Je le répète, pour ceux qui pensent que, sous prétexte que j’ai été nommée au Gouvernement voilà maintenant un peu plus d’un an, je n’aurais pas conscience de ces difficultés, alors que je vis en Haute-Marne, que j’y ai grandi et que j’en ai été une élue locale avant d’en devenir députée,…
M. Laurent Duplomb. On a de la chance !
M. Laurent Somon. Ça n’a rien à voir !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. … je perçois parfaitement les enjeux de développement et d’aménagement des territoires ainsi que la nécessité de répondre aux besoins ; on a par exemple évoqué le logement des agriculteurs ou encore la situation des personnes qui souhaitent améliorer leur qualité de vie en s’installant dans nos campagnes.
Pour autant, cette règle a pour objectif d’éviter le mitage et la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Je pense que l’on ne peut pas nier l’importance de cette action volontariste. (M. Laurent Duplomb montre des signes d’agacement.)
Par ailleurs, le code de l’urbanisme prévoit déjà des dérogations, sous certaines conditions, pour permettre, par exemple, l’évolution de constructions existantes, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation ou nécessaires à l’exploitation agricole, ou encore l’édification d’équipements collectifs. Ces dérogations sont donc déjà tout à fait possibles. De même, quand des constructions sont nécessaires à la transformation, au conditionnement ou à la commercialisation de produits agricoles, ces dérogations peuvent également s’appliquer.
Ainsi, le champ de dérogations est largement ouvert ; il incombe simplement aux élus et à ceux qui instruisent ces dossiers de s’en saisir et de mieux se parler.
Par conséquent, l’objet de cet amendement s’inscrivant dans la lutte nécessaire contre l’artificialisation des sols, le Gouvernement émet un avis favorable à son sujet.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Je suis totalement contre cet amendement, pour une simple et bonne raison : on nous rebat sans cesse les oreilles avec l’artificialisation des sols, mais on n’a pas besoin de cette notion pour constater que l’agriculture est en déclin et que le nombre d’agriculteurs diminue sans cesse. Simplement, ce sont les injonctions environnementales constantes – l’adoption de nouvelles normes, qui procèdent parfois de la surtransposition de normes européennes, ou les accusations particulières portées contre les activités agricoles – qui entraînent le déclin de notre agriculture, non l’artificialisation des sols ! (M. Guillaume Gontard arbore une moue dubitative.)
Considérez la quantité de produits importés ! Ce n’est pas à cause de l’artificialisation des sols qu’on ne mange plus de cerises françaises, c’est parce qu’on a poussé les agriculteurs français à arracher leurs cerisiers, en supprimant l’autorisation d’utiliser des produits et de conserver les récoltes ! Et ce n’est pas seulement vrai pour les cerises : aujourd’hui, un fruit ou un légume sur deux qu’on mange est importé. En restauration collective, 80 % de la viande bovine et 90 % de la volaille sont importées. Vous pensez que c’est à cause de l’artificialisation des sols ?
Arrêtons de nous raconter des histoires ! Valérie Létard l’a dit, on n’est pas en train de demander l’extension de la construction dans toutes les campagnes, on demande simplement des ajustements pour arrêter d’« emmerder » le monde ! C’est uniquement ça qu’on demande et pas autre chose ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8, présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Gillé, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Les dispositions applicables au RNU prévoient actuellement des possibilités de construction en dehors des parties urbanisées de la commune. Elles permettent par exemple de faciliter « le changement de destination, […] l’extension des constructions existantes ou [encore] la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole ».
Ces dispositions, nous les avons travaillées collectivement au cours des dernières années, pour arriver à un juste équilibre entre, d’une part, la protection du foncier agricole et, d’autre part, le besoin de développement des territoires ruraux et de leur population.
La présente proposition de loi va encore plus loin, en permettant la construction de bâtiments nouveaux sur l’ensemble des terrains sur lesquels sont situés les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, sans considération de périmètre ni de continuité du bâti.
Au travers de cet amendement, nous proposons de supprimer cette modification, qui ne nous paraît pas souhaitable, car, selon la taille des terrains concernés, elle risque de favoriser la création d’habitats diffus à proximité d’activités agricoles. Nous en connaissons tant les inconvénients au regard de l’environnement que les coûts pour la collectivité.
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’autorisation d’urbanisme est soumise à l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
II. – Alinéa 9, seconde phrase, alinéa 14 et alinéa 16, seconde phrase
Après le mot :
avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Afin de protéger les espaces non artificialisés, cet amendement de repli vise à tout le moins à prévoir l’avis conforme de la CDPENAF, que la commission a supprimé, lorsque des constructions sont autorisées en vertu des nouvelles dérogations actées dans cette proposition de loi.
Nous proposons ainsi de prévoir l’avis conforme de la CDPENAF pour autoriser la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation ou d’hébergement, dans le RNU, les PLU et les cartes communales.
La CDPENAF est un outil de lutte contre l’artificialisation des terres naturelles, agricoles et forestières. Elle est très utile ; ce texte l’affaiblit, alors qu’elle mériterait au contraire d’être renforcée.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Gillé, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Après la première phrase de l’article L. 111-5, sont insérés deux phrases ainsi rédigées : « Toutefois, si la construction de bâtiments nouveaux mentionnée au 1° de l’article L. 111-4 est envisagée en dehors du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, elle est soumise pour avis conforme à cette même commission départementale. Cet avis est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans un délai d’un mois à compter de la saisine de la commission. »
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. L’article 2 du présent texte permet la construction de bâtiments nouveaux sur l’ensemble des terrains sur lesquels sont situés les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, sans considération de périmètre ni de continuité du bâti.
Si cette mesure était maintenue, elle devrait être assujettie à l’avis conforme de la CDPENAF, au même titre que les autorisations de construction déjà visées par le code de l’urbanisme, motivées par la volonté d’éviter la diminution de la population communale et à condition que les constructions envisagées ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Gillé, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer les mots :
ou sur les terrains sur lesquels sont sis ces bâtiments
La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. La présente proposition de loi permet aux règlements de PLU de prévoir, dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, la possibilité de constructions nouvelles sur l’ensemble des terrains sur lesquels sont situés les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole.
Dans la logique de nos amendements précédents, nous proposons de supprimer ces nouvelles ouvertures à la construction. En effet, sans encadrement plus précis, cette possibilité risque d’être la source d’un habitat dispersé, auquel, vous le savez, nous ne sommes pas favorables.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Gillé, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
, à l’exception des autorisations d’urbanisme portant sur des constructions de bâtiments nouveaux à usage d’habitation en dehors du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole mentionnées au 2° qui sont soumises à l’avis conforme de cette même commission départementale. Cet avis est alors réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans un délai d’un mois à compter de la saisine de la commission.
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport au précédent.
Si l’article 2 de cette proposition de loi devait être adopté, l’autorisation de construire dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, qu’il prévoit d’élargir, devrait être subordonnée à l’avis conforme de la CDPENAF.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Laissez-moi vous expliquer, mes chers collègues, ce qui a motivé l’évolution proposée par la commission.
Certes, il est aujourd’hui possible de construire sur une ancienne ferme, mais uniquement dans le « périmètre bâti », notion que les préfets et les juges interprètent, de façon très restrictive, comme désignant l’intérieur de la zone délimitée par les contours extérieurs des bâtiments.
En conséquence, il est souvent refusé, par exemple, de construire un petit logement agricole sur la grande cour arrière d’un ancien corps de ferme, si les bâtiments anciens de la ferme sont très rapprochés. Or, dans cet exemple, on ne parle pas de terres cultivées ni même végétalisées.
L’évolution vise donc à permettre une petite souplesse supplémentaire, afin de ne pas se limiter au « périmètre bâti » et d’inclure les terrains déjà bâtis des corps de ferme.
La commission a donc émis un avis défavorable sur les amendements nos 8 et 10, qui tendent à supprimer cette souplesse ; néanmoins, je signale aux auteurs de ces amendements que j’émettrai un avis favorable sur leur amendement n° 13, à l’article 5, qui vise à remplacer la notion de « proximité » par celle de « continuité », ce qui contribuera à l’encadrement de la mesure.
La commission a également émis un avis défavorable sur les amendements nos 9 et 11. Je rappelle qu’un avis simple de la CDPENAF est prévu et que l’autorité qui instruit et accorde les autorisations d’urbanisme dans le régime du RNU – le préfet – suit, en général, l’avis, même simple, de cette commission. Je ne souhaite pas aller plus loin que le droit existant sur ce point, car je crains que, dans ce cas, nous n’instaurions plus de verrous que nous n’en levons.
Pour les mêmes raisons, l’avis sur l’amendement 24 est également défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Sur la suppression de l’assouplissement des dispositions dérogatoires, ma position est assez simple.
Il est effectivement possible de construire des bâtiments d’habitation à l’intérieur du périmètre d’une installation, mais l’extension de cette possibilité à l’ensemble du terrain, parfois vaste, de l’exploitation conduirait très clairement à un mitage.
De la même façon, il me semble souhaitable d’imposer la délivrance de l’autorisation sollicitée à un avis conforme de la CDPENAF, ce qui nous permet de mieux contrôler les constructions et leurs principaux impacts négatifs éventuels.
Vous l’aurez compris, de manière générale, le Gouvernement est défavorable aux souplesses trop importantes prévues à l’article 2 de cette proposition de loi. J’émets donc un avis favorable sur les amendements nos 8 et 10 de Mme Artigalas et un avis de sagesse sur les amendements nos 24, 9 et 11.
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Redon-Sarrazy, Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Tissot et Gillé, Mme Monier, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Le même 1° est complété par une phrase ainsi rédigée : « S’agissant de l’extension des constructions existantes, peuvent ainsi être autorisés des projets qui, eu égard à leur implantation par rapport aux constructions existantes et à leur dimension n’excédant pas les deux tiers de la construction d’origine, peuvent être regardés comme ne procédant qu’à l’extension de ces constructions. » ;
La parole est à M. Sebastien Pla.
M. Sebastien Pla. La règle de « constructibilité limitée » applicable dans les communes soumises au RNU limite les possibilités de délivrer des autorisations de construire aux seules parties urbanisées de la commune.
Des exceptions prévues dans le code de l’urbanisme permettent de délivrer des autorisations, notamment pour des « changements de destination » ou une « extension des constructions existantes ».
Les services instructeurs considèrent généralement que, lorsque l’extension dépasse 30 % de la surface d’origine, l’opération est requalifiée en nouvelle construction. La demande de permis de construire est alors rejetée, en application de l’interdiction des constructions nouvelles en dehors des parties urbanisées de la commune, ce qui n’a pas de sens.
Pour apporter de la souplesse à la notion d’« extension des constructions existantes », nous proposons, au travers de cet amendement, d’autoriser les projets d’extension « eu égard à leur implantation par rapport aux constructions existantes et à leur dimension n’excédant pas les deux tiers de la construction d’origine ».
Notre objectif est bien la reconquête du bâti des centres-bourgs et des centres de village, l’idée étant de valoriser et de favoriser la réappropriation du bâti existant dans les petites communes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Aujourd’hui, il est possible, pour une commune sans document d’urbanisme, d’autoriser les extensions au sein du périmètre bâti des fermes existantes. La loi ne fixe pas de limite chiffrée à cette extension tant que cette dernière ne constitue pas une nouvelle construction.
C’est une bonne chose que la loi ne fixe pas de seuil arbitraire, car il est parfois nécessaire, pour moderniser un vieux bâtiment agricole ou rénover un corps de ferme, d’agrandir les édifices. Cela facilite le réemploi de ces derniers et la revitalisation des zones rurales.
Inscrire dans la loi un plafond chiffré serait de facto plus restrictif que le droit actuel et irait à l’encontre de notre objectif, qui est de faciliter la modernisation du bâti existant.
D’ailleurs, dans l’arrêt du Conseil d’État cité par les auteurs de l’amendement, il est justement précisé que le préfet ne peut pas être « moins disant » que la loi sur ce point, en ayant une interprétation restrictive de l’extension. S’il y a parfois eu des blocages, ce problème relève de l’autorité préfectorale et de l’application sur le terrain, et non de la loi.
C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Je rejoins Mme la rapporteure.
Dès lors que l’on fixe une limite pour déterminer si un projet constitue ou non une extension, on engendre forcément des effets de seuil, alors que les justifications de tels projets doivent être considérées au cas par cas.
La fixation d’un seuil et d’un pourcentage maximal, quand bien même l’intention serait de créer une limite à ne pas dépasser, aurait sans doute pour effet de créer un droit ne pouvant pas être remis en cause, ce qui ne me semble vraiment pas souhaitable.
Avis défavorable.
M. le président. Monsieur Pla, l’amendement n° 15 rectifié est-il maintenu ?
M. Sebastien Pla. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Cabanel, Requier, Artano et Bilhac, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Après le mot :
naturels
insérer les mots :
, agricoles et forestiers
II. – Alinéa 9, première phrase
Après le mot :
naturels
insérer les mots :
, agricoles et forestiers
III. – Article 16, première phrase
Après le mot :
naturels
insérer les mots :
, agricoles et forestiers
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. En dix ans, l’équivalent de 596 000 hectares de terrain ont été artificialisés en France. Cette artificialisation s’est essentiellement faite au détriment des terres agricoles, dont 70 % étaient des terres riches.
C’est la raison pour laquelle un équilibre doit être préservé entre la réponse à des besoins légitimes en logement et la sauvegarde des activités agricoles.
La présente proposition de loi conditionnait initialement l’autorisation de nouvelles constructions dans les zones en principe inconstructibles à leur compatibilité avec des activités agricoles et forestières. Le présent amendement vise à réintégrer ce garde-fou.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Les assouplissements que le texte propose d’apporter visent principalement la construction dans les hameaux, autour des corps de ferme et en bordure de village.
Par essence, ce sont aujourd’hui des terrains « gelés », car ils sont classés comme espaces agricoles au sein de ces communes rurales, même lorsqu’ils ne sont pas directement exploités. Votre amendement, qui tend à exclure les espaces agricoles et forestiers, empêcherait justement l’assouplissement proposé.
Toutefois, au-delà de ces remarques juridiques, je comprends le problème que vous soulevez et je souhaite vous rassurer à ce sujet. Nous prévoyons d’exiger l’avis de la CDPENAF sur l’ensemble des assouplissements, cette commission étant garante du bon respect des équilibres généraux entre espaces urbains, d’une part, et agricoles ou forestiers, de l’autre.
En outre, nous avons fait spécifiquement mention dans le corps de l’article de la « sauvegarde des espaces naturels », car il n’est pas question d’autoriser des constructions sur ces espaces particulièrement sensibles ou protégés.
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, mon cher collègue : à défaut j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. J’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
En effet, vous connaissez ma position de fond sur cette proposition de loi, mais cet amendement va dans le bon sens, puisque la disposition proposée est de nature à limiter les constructions ayant l’impact négatif le plus important.
M. le président. L’amendement n° 37 rectifié, présenté par MM. Gremillet, D. Laurent et Pellevat, Mmes Belrhiti et L. Darcos, M. J.P. Vogel, Mmes Chauvin et Demas, MM. Milon, Sol et Bascher, Mmes Puissat et Gruny, MM. Brisson et Savin, Mme Garnier, MM. Laménie, Burgoa, Chatillon et Sido, Mmes Lassarade et Thomas, M. Rietmann, Mme Dumont, MM. Babary, Anglars et Favreau, Mme Ventalon, M. Lefèvre, Mmes Gosselin, Richer et F. Gerbaud, M. Mouiller, Mmes Di Folco, Berthet et Malet, M. Cuypers, Mme Pluchet, MM. B. Fournier et Pointereau, Mme Eustache-Brinio et MM. Sautarel, Genet et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
ou qu’elles sont réalisées sur des parcelles en état d’inculture ou de sous-exploitation manifeste reconnu dans les conditions du chapitre V du titre II du livre Ier du code rural et de la pêche maritime dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État
II. – Alinéa 9, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou qu’elles sont réalisées sur des parcelles en état d’inculture ou de sous-exploitation manifeste reconnu dans les conditions du chapitre V du titre II du livre Ier du code rural et de la pêche maritime dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État
III. – Alinéa 16, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou qu’elles sont réalisées sur des parcelles en état d’inculture ou de sous-exploitation manifeste reconnu dans les conditions du chapitre V du titre II du livre Ier du code rural et de la pêche maritime dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Dans certains territoires, dans les zones peu denses et connaissant une baisse démographique significative, on a parfois plus besoin de voisins que d’hectares de terrain.
Cet amendement vise donc tout simplement à rendre possible la construction sur des terrains incultes, agricoles ou forestiers, situés à proximité du bâti rural. Ce moyen serait très efficace. Je vous le rappelle, la loi interdit en principe de laisser de terres incultes. Ainsi, sans rien enlever à l’agriculture ni à la forêt, une telle mesure permettrait de construire en milieu rural et d’accueillir de nouveaux ménages dans nos villages.
M. Pierre Cuypers. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Évidemment, je partage totalement le souci que Daniel Gremillet exprime au travers de cet amendement.
Toutefois, si l’intention est de permettre la construction en continuité de l’urbanisation, y compris sur des parcelles agricoles incultes ou sous-exploitées, cette volonté est déjà satisfaite par la rédaction actuelle du texte, qui est plus large, plus ouverte. En revanche, si votre intention, monsieur Gremillet, est de permettre les constructions uniquement sur ces parcelles, cette restriction me semble trop importante pour les communes hyper-rurales, dont la quasi-totalité du territoire est classée en zone agricole.
Je crains que cette condition supplémentaire n’interdise, par exemple, à un exploitant agricole de se loger sur son exploitation, ce qui aurait pour conséquence de restreindre trop fortement la portée de l’assouplissement proposé dans le texte.
En outre, les parcelles incultes ou sous-exploitées ne sont pas identifiées d’un point de vue urbanistique ; il sera donc difficile de les caractériser dans un PLU.
Pour toutes ces raisons, mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, qui est satisfait par la rédaction actuelle du texte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’élargissement de la constructibilité aux parcelles agricoles au motif de leur état d’inculture ou de sous-exploitation ne me semble pas souhaitable.
D’une part, cet état, qui est reconnu par le code rural et de la pêche maritime, n’est pas définitif.
D’autre part, il a pour objectif de permettre à un tiers de demander au préfet l’autorisation d’exploiter une parcelle susceptible d’une mise en valeur agricole ou pastorale, afin de revaloriser cet espace.
En outre, ce dispositif serait à nouveau source de mitage, de consommation et d’artificialisation des sols, qui seraient de plus en plus désordonnés. Cela ne me semble pas du tout souhaitable, c’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 37 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Madame la secrétaire d’État, franchement, vous ne m’avez pas convaincu. J’avais l’intention de suivre la recommandation notre rapporteure et de retirer mon amendement, mais vous me donnez presque envie de le maintenir !
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Mais non !
M. Daniel Gremillet. Je vais vous dire pourquoi.
Effectivement, aujourd’hui, la loi est très précise sur les terrains incultes. Vous dites que l’on va enlever des capacités productives à l’agriculture, mais, entre nous, je préfère qu’on donne à des terres incultes une vocation d’habitation, d’accueil de familles dans nos territoires, plutôt que de laisser consommer de la terre agricole productive !
J’ai envie de faire confiance à Mme la rapporteure, qui indique que notre amendement est satisfait. Généralement, dans une telle situation, on retire son amendement, mais, lorsque j’entends Mme la ministre, je ne suis pas satisfait, pour ma part ! (M. Laurent Duplomb approuve.)
Cela dit, je vais retirer mon amendement, mais, sincèrement, nous ne faisons pas progresser la gestion intelligente de l’espace agricole et forestier dans nos territoires. Nous avons des terres non productives et une loi applicable aux terres incultes, mais nous choisissons de lui tourner le dos. Je suis vraiment surpris…
Néanmoins, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. Surpris, mais satisfait : l’amendement n° 37 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 18 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 39 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et fixer les règles applicables à ces constructions en matière de dimensions, d’implantation et d’aspect
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié.
M. Pierre Louault. Cet amendement vise à permettre au règlement du PLU des communes concernées de fixer des règles de base applicables aux constructions proposées. On redonnerait ainsi la main aux élus locaux pour mieux encadrer les projets de construction, notamment en matière d’architecture.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 39.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Il est défendu !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces amendements.
MM. Laurent Duplomb et Laurent Burgoa. Ah !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. En effet, je comprends tout à fait cette préoccupation, visant à permettre le développement minimal des zones en déprise démographique, mais, si cette proposition devait être retenue, il faudrait imposer aux porteurs du PLU de fixer des règles encadrant les constructions autorisées.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à l’introduction d’une nouvelle dérogation non sectorisée, comme le prévoit l’alinéa 9 de l’article.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié et 39.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 36 rectifié, présenté par MM. Gremillet, D. Laurent et Pellevat, Mmes Belrhiti et L. Darcos, M. J.P. Vogel, Mmes Chauvin et Demas, MM. Milon, Sol et Bascher, Mmes Puissat et Gruny, MM. Brisson et Savin, Mme Garnier, MM. Laménie, Burgoa, Chatillon et Sido, Mmes Lassarade et Thomas, M. Rietmann, Mme Dumont, MM. Babary, Anglars et Favreau, Mme Ventalon, M. Lefèvre, Mmes Gosselin, Richer et F. Gerbaud, M. Mouiller, Mmes Di Folco, Berthet et Malet, MM. Husson et Cuypers, Mme Pluchet, MM. E. Blanc, B. Fournier et Pointereau, Mme Eustache-Brinio et MM. Sautarel, Genet et Chaize, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 1° Le changement de destination des constructions existantes, en particulier des bâtiments ruraux à usage agricole, attenants ou non à un local d’habitation, aux fins de rénovation ou de création de logement et d’hébergement ;
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Nous avons déjà eu un débat en commission sur l’objet de cet amendement, qui vise à permettre un changement de destination des constructions existantes. Il faut en effet faire une distinction entre l’affectation et l’usage d’un patrimoine bâti.
Dans tous nos territoires, il existe des corps de fermes d’une surface significative et comportant une partie d’habitation et une partie servant, par exemple, d’étable. Or, dans la réalité des faits, alors qu’il n’y a aucune difficulté pour rénover la partie habitable, la partie agricole n’est pas considérée de la même manière à cause de la distinction entre l’usage et l’affectation et sa rénovation pose de nombreux problèmes.
Notre idée est simple : il s’agit de permettre le changement de destination, d’affectation et d’usage d’une bâtisse agricole composée à la fois d’une partie habitable et d’une grange.
Un angle d’attaque possible réside dans la fiscalité, car, dès lors qu’une bâtisse a un usage agricole, même si elle n’a plus d’activité, elle est soustraite de l’assiette imposable, ce qui constitue une exception pour l’agriculture, et les conditions de distance s’appliquent si l’affectation du bien est réputée agricole.
Mon temps de parole est expiré. Je m’expliquerai davantage ultérieurement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Je l’ai indiqué en commission, cher Daniel Gremillet, cet amendement est satisfait par la rédaction actuelle du texte, puisque celui-ci englobe, sans s’y limiter, les changements de destination des bâtiments agricoles.
La précision proposée au travers de cet amendement restreint donc le champ de la proposition de loi sans rien apporter de plus, puisque, je le répète, le changement de destination, tel qu’il apparaît dans le texte initial, comprend par définition la situation visée dans cet amendement.
Très honnêtement, en droit de l’urbanisme, c’est la définition de « destination » et non celle d’« usage » qui est retenue.
C’est pourquoi je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Le Gouvernement demeure défavorable, sur le fond, à cette proposition de loi et donc – vous n’en serez pas surpris – à cet amendement.
L’article L. 151-11 du code de l’urbanisme permet déjà d’inclure dans le règlement du PLU la mention précise des bâtiments qui peuvent faire l’objet d’un changement de destination, à condition toutefois de ne pas compromettre l’activité agricole ou la qualité paysagère.
M. Daniel Gremillet. Cela n’a rien à voir !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. L’application de cette disposition permet à la fois de faciliter la construction, la réhabilitation ou la rénovation dans les espaces ruraux, ce qui me semble aller dans le sens général de votre proposition, monsieur le sénateur, sans compromettre l’activité agricole ni la qualité paysagère.
Je pense que nous devons préserver ces conditions, d’où mon avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Gremillet, si l’amendement n° 36 rectifié est satisfait, le retirez-vous ?
M. Daniel Gremillet. Les choses ne sont pas aussi simples, monsieur le président… (Sourires.)
Si Mme la rapporteure et Mme la secrétaire d’État me certifient que la précision relative à l’affectation et à l’usage que je souhaite apporter est couverte par le droit en vigueur et qu’il n’y a pas de souci, je vais bien sûr retirer mon amendement.
Je ne suis pas là pour compliquer les choses, je veux juste les clarifier, car, la réalité, sur le terrain, c’est que tout cela ne se passe pas de la manière que vous décrivez, mesdames.
Par ailleurs, madame la rapporteure, je ne cherche pas à restreindre le champ d’application de cette mesure, je mets simplement en lumière une spécificité de l’agriculture. Je peux me tromper, mais il s’agit, je pense, du seul secteur, parmi toutes les activités existantes, auquel s’appliquent des exceptions en fonction de l’usage ou de l’affectation d’un bien. Par exemple, il n’y a pas d’autre secteur dans lequel on doive respecter certaines distances. C’est donc assez exceptionnel.
Aussi, si vous pouvez m’apporter cette garantie – et cela figurera au compte rendu intégral –, je ne pourrai que me réjouir de savoir que, grâce à ce texte, on va enfin pouvoir rénover toutes ces bâtisses délabrées, qui n’ont plus d’intérêt agricole et qui pourraient constituer de l’habitat en cœur de village pour accueillir de nouvelles familles dans nos territoires ruraux, lesquels en ont bien besoin. En outre, cela réglera le problème des verrues que représentent ces bâtisses dégradées, parfois situées en plein cœur de nos villages.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Je ne prolongerai pas excessivement nos débats, car nous sommes contraints par le temps, mais je veux rassurer notre collègue Daniel Gremillet : je puis en attester, ce qui l’inquiète est totalement satisfait par la rédaction retenue, au-delà même de ses demandes.
M. Daniel Gremillet. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.
L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Sollogoub, MM. Levi et Anglars, Mme Herzog, M. Mizzon, Mme Dindar, MM. de Nicolaÿ et Laugier, Mme Guidez, MM. Genet et Henno, Mmes Jacquemet et Vermeillet, MM. Longuet et Chasseing, Mmes Richer, Dumont et M. Mercier, MM. A. Marc, Lagourgue, Lefèvre et Saury, Mme Ventalon, M. Chauvet, Mmes Paoli-Gagin et F. Gerbaud, M. Le Nay et Mmes Gatel et Evrard, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Après le mot :
environnement
insérer les mots :
ou lorsqu’au moins une partie des réseaux nécessaires à ladite construction dessert la parcelle concernée par le projet de construction
La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Cet amendement vise à empêcher que l’on interdise – donc à autoriser – une construction nouvelle lorsqu’une partie au moins des réseaux nécessaires est déjà en place. Le respect des investissements réalisés par une commune dans les réseaux impose de pouvoir valoriser ces derniers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. L’adoption de cet amendement, tel qu’il est rédigé, aurait pour effet d’autoriser la construction sur tous les terrains partiellement desservis par des réseaux publics et de supprimer la condition de continuité de l’urbanisation, laquelle constitue un réel garde-fou contre le mitage. Sans cette dernière, nous autoriserions de nouveaux foyers d’urbanisation, même en dehors de tout bâti préexistant.
Pour ces raisons, ma chère collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, qui tend à ouvrir les choses trop largement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Sollogoub, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nadia Sollogoub. Certes, les dispositions de cet amendement, que je vais retirer, sont sans doute incomplètes.
Toutefois, nous avons tous vécu, en tant qu’élus, des situations absolument incompréhensibles et insupportables ; nous aurions sans doute pu déposer des centaines d’amendements, sur toutes les travées.
Le nombre de ces situations intolérables doit nous alerter. Je songe en l’occurrence à un cas qui s’est produit dans une commune sans document d’urbanisme, dans laquelle on a refusé un permis de construire alors que les réseaux passaient dans le prolongement de la parcelle concernée, à l’instar de l’exemple évoqué par Pierre Louault voilà quelques instants.
Il faut être attentif au nombre de telles situations.
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.
L’amendement n° 40, présenté par Mme Létard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un décret précise les données prises en compte et les définitions retenues pour l’application du présent alinéa.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement vise à renvoyer au décret le soin de fixer un cadre commun pour déterminer les « communes peu denses en déprise démographique » et dont le territoire fait l’objet de fortes contraintes urbanistiques, c’est-à-dire celles qui bénéficieront des assouplissements prévus par le présent article.
Comme nous l’avons décidé en commission, ce sont les intercommunalités qui affineront le ciblage, mais il faut une base de travail commune et objectivable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Cet amendement, qui vise à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser les critères permettant d’identifier les communes, va dans le bon sens. Son adoption permettrait de diminuer les inconvénients déjà évoqués.
Sagesse.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le 4° de l’article L. 141-15 du code de l’urbanisme est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les zones de revitalisation rurale, cette justification prend en compte les spécificités et objectifs mentionnés à l’article L. 124-2 ; ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 19 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 41 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 141-3, après le mot : « favorisant », sont insérés les mots : « le développement économique et démographique de l’ensemble du territoire, dans les communes urbaines comme rurales, » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 141-8, après la première occurrence du mot : « objectifs », sont insérés les mots : « mentionnés au 1° de l’article L. 141-10 et des objectifs ».
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié.
M. Pierre Louault. Je laisse à Mme la rapporteure le soin de le défendre !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 41.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Les amendements identiques de la commission et de M. Louault visent à proposer une rédaction alternative du présent article pour améliorer la prise en compte des projets de développement rural des petites communes françaises au sein des SCoT.
Je propose de consacrer, dans le projet d’aménagement stratégique des SCoT, l’objectif de « développement économique et démographique de l’ensemble du territoire, dans les communes urbaines comme rurales ».
En m’inspirant des avancées obtenues par le Sénat dans le cadre de la loi Climat et résilience, je propose de garantir que les objectifs chiffrés des SCoT en matière de lutte contre l’artificialisation et de consommation d’espace prendront en compte plusieurs critères, dont celui des enjeux de la ruralité.
L’adoption de cet amendement permettra une meilleure territorialisation des objectifs des SCoT, une plus grande équité entre communes et une adaptation plus fine aux réalités rurales.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. J’adhère à l’objectif de ces amendements. De larges processus de concertation ont abouti, en juin 2020, à cette modernisation du SCoT, dont le contenu a été assoupli et simplifié pour en faire un document plus stratégique.
Ces amendements visent à mettre l’article 3 en cohérence avec les autres articles dans la rédaction issue des travaux de la commission. Ils me semblent donc aller dans le bon sens.
Toutefois, les précisions que vous souhaitez apporter au projet d’aménagement stratégique ne sont pas toutes indispensables : l’article L. 141-5 du code de l’urbanisme prévoit déjà que le document d’orientation et d’objectifs fixe les orientations en matière de développement économique, en visant notamment une répartition équilibrée entre les territoires.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur ces amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 rectifié et 41.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé.
Article 4
I. – L’article 199 novovicies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 5° du B du I, les deux occurrences de l’année : « 2022 » sont remplacées par l’année : « 2025 » ;
2° À la première phrase du IV bis, après le mot : « marqué », sont insérés les mots : « , dans les communes rurales peu denses en déprise démographique et caractérisées par un fort taux de vacance » ;
3° Le même IV bis est complété par une phrase ainsi rédigée : « La liste des communes rurales peu denses en déprise démographique et caractérisées par un fort taux de vacance est arrêtée par le représentant de l’État dans le département, sur proposition des établissements publics de coopération intercommunale du périmètre départemental. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par l’instauration d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Cardon, Michau et Pla, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer l’année :
2025
par l’année :
2050
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Rémi Cardon.
M. Rémi Cardon. Cet amendement vise à renforcer une des dispositions du texte et à ajouter de la cohérence à l’ensemble.
La proposition de loi prévoit de maintenir jusqu’en 2025 le dispositif de réduction d’impôt dit « Denormandie », qui apporte un avantage fiscal à celles et ceux qui font le choix d’investir dans la rénovation du bâti ancien.
Je suis tout à fait d’accord avec cette disposition et vous propose même d’aller plus loin en alignant la durée de ce dispositif sur celle de l’objectif de la récente loi Climat et résilience qui tend à atteindre « zéro artificialisation nette des sols » d’ici à 2050.
Il me semble qu’une durée trop courte, limitée à l’échéance de 2025, pourrait ne pas suffire pour permettre aux administrés d’intégrer ce dispositif et faire en sorte que celui-ci devienne aussi populaire que le dispositif Pinel. Je crains, au contraire, que cela n’aboutisse à un simple effet d’aubaine qui profiterait à des opérations qui auraient eu lieu de toute façon.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Comme je l’ai souligné en commission, je pense que le « Denormandie dans l’ancien » est un excellent outil, qu’il nous faut prolonger au-delà de sa période initiale de trois ans, jusqu’en 2025.
Pour autant, avant d’envisager une prolongation de près de trente ans, il nous faut d’abord conduire une évaluation en bonne et due forme, avec l’appui de la Cour des comptes, et examiner les résultats du dispositif sur les dix premières années, par exemple. C’est un principe de responsabilité et d’évaluation des politiques publiques, que nous devons à nos concitoyens.
Par ailleurs, si nous voulons donner une vraie impulsion et lancer une dynamique forte pour la réhabilitation du bâti ancien en zone rurale, mieux vaut prévoir une date butoir proche, plus incitative qu’une échéance très lointaine.
Pour ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Les dispositions d’un amendement au projet de loi de finances pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale avec un avis favorable du Gouvernement, prévoient déjà une prorogation anticipée, de fin 2022 à fin 2023, du dispositif de réduction d’impôt « Denormandie dans l’ancien », ainsi que la remise d’un rapport d’évaluation dudit dispositif d’ici au 30 septembre 2022. Il me semble tout à fait nécessaire de mener cette évaluation sur une durée suffisante avant toute prorogation du dispositif.
Par ailleurs, une échéance aussi lointaine que 2050 ne répond pas aux objectifs de pilotage et d’évaluation des dépenses fiscales, notamment au regard des lois de finances pluriannuelles, selon lesquels toute création ou extension de dépenses fiscales doit comporter une durée maximale d’application de quatre ans.
En conséquence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
peu denses en déprise démographique et caractérisées par un fort taux de vacance
par les mots :
dont les besoins en logement sont avérés
II. – Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
III. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le dispositif Denormandie dans l’ancien est intéressant dans la mesure où il incite à la rénovation, plutôt qu’à la construction, alors que nous disposons d’un vivier important de bâtiments vacants.
L’article 4 prévoit d’en limiter l’extension aux communes peu denses en déprise démographique et caractérisées par un fort taux de vacance. Or ces biens rénovés seront destinés non pas à l’acquisition, mais à la location, ce qui pourrait être inadapté pour ces territoires.
Il serait plus pertinent de créer un dispositif fiscal spécifique destiné à l’acquisition de logements vacants à rénover.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Gold, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 3 et 4
Supprimer les mots :
et caractérisées par un fort taux de vacance
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 4 privilégie la production de nouvelles constructions destinées à la location dans les zones connaissant un fort taux de vacance. Il écarte donc les communes rurales peu denses, qui ne disposent pas d’un tel parc de bâtiments disponibles.
Afin de ne pas pénaliser ces dernières, le présent amendement vise à supprimer le critère relatif au fort taux de vacance pour bénéficier de l’extension du Denormandie dans l’ancien.
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par Mme Létard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
1° Supprimer les mots :
du périmètre départemental
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un décret précise les données prises en compte et les définitions retenues pour identifier ces communes.
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 29 et 30.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement tend à renvoyer à un décret le soin de fixer un cadre commun pour définir les communes peu denses en déprise démographique à fort taux de vacance, c’est-à-dire celles qui bénéficieront de l’extension du Denormandie dans l’ancien. Les intercommunalités affineront ensuite le ciblage, comme pour le « Pinel breton ».
La rédaction de l’amendement n° 29 rectifié ne me paraît pas opérationnelle, en ce qu’elle vise les communes rurales « dont les besoins en logement sont avérés », définition qui ne renvoie à aucun critère objectivement mesurable : comment caractériser concrètement les besoins en logement ?
En outre, l’adoption de cet amendement aurait pour effet de centrer les aides fiscales sur les zones tendues, soit exactement l’inverse de ce que nous souhaitons. Il faut encourager la modernisation de l’habitat dans les zones rurales.
Cet amendement tend aussi à supprimer le mécanisme de territorialisation, inséré en commission, par lequel les intercommunalités d’un département contribuent à identifier les communes rurales qui bénéficieront de la mesure. L’extension du dispositif Denormandie dans l’ancien serait alors difficile à mettre en œuvre, voire inopérante.
L’amendement n° 30 rectifié tend à supprimer le critère de fort taux de vacance, qui constitue pourtant l’un des principaux symptômes de la dégradation du bâti en zone rurale. Je ne souhaite pas supprimer ce critère utile au ciblage de la mesure.
Par ailleurs, la territorialisation du dispositif inséré en commission permettra de cibler plus finement les communes éligibles, par exemple en vérifiant les raisons de la vacance.
La commission demande donc le retrait de ces deux amendements au bénéfice du sien ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 29 rectifié et 30 rectifié pour les raisons que j’ai déjà soulignées : prorogation du dispositif Denormandie de fin 2022 à 2023 et remise d’un rapport d’évaluation qui devrait éclairer nos choix.
Il est également défavorable à l’amendement n° 42, peu ou prou pour les mêmes raisons. Même si cet amendement est intéressant sur le fond, une telle disposition relève d’une loi de finances.
M. le président. Monsieur Requier, les amendements nos 29 rectifié et 30 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 29 rectifié et 30 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l’amendement n° 42.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 43, présenté par Mme Létard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement de coordination vise à supprimer un gage financier qui fait doublon avec une disposition de l’article 8 de la présente proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Chapitre II
Faciliter l’exercice d’activités agricoles
Article 5
Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de l’urbanisme est complété par une section 9 ainsi rédigée :
« Section 9
« Constructions de logements destinées à faciliter l’exercice d’activités agricoles
« Art. L. 111-27. – Les constructions et travaux visant la création de logements nécessaires au bon fonctionnement d’une exploitation agricole ou forestière sont autorisés sur le périmètre de l’exploitation ou à proximité de celle-ci, quel que soit le classement du terrain d’emprise au regard du document d’urbanisme applicable.
« L’autorité compétente peut assortir l’autorisation d’urbanisme de prescriptions visant à assurer que les constructions ou travaux ne portent pas atteinte aux espaces naturels ou au paysage et sont compatibles avec l’exercice de l’activité agricole ou forestière. L’autorisation d’urbanisme est soumise à l’avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
« Pour un délai de dix ans à compter de l’octroi de l’autorisation d’urbanisme, les constructions édifiées ou adaptées en application du premier alinéa ne peuvent faire l’objet d’aucun changement de destination.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, notamment la surface maximale des constructions pouvant être autorisées. »
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif aux mesures d’accompagnement pour l’accès au logement des agriculteurs ne contribuant pas à l’artificialisation des sols, notamment les mesures permettant le développement de logements sociaux à destination d’agriculteurs, le soutien à la rénovation de logements et la facilitation de l’implantation d’habitats légers et réversibles.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. L’article 5 de la proposition de loi déséquilibrera le droit existant en permettant des constructions pouvant contribuer au mitage ou à la spéculation foncière via la possibilité de changement de destination au bout de dix ans. C’est ouvrir la porte à des dérives néfastes pour la préservation des terres agricoles.
En revanche, nous sommes conscients des difficultés que peuvent rencontrer les agriculteurs pour se loger, notamment au moment de leur installation. En effet, il arrive que les propriétaires antérieurs conservent le logement sis sur l’exploitation ou que le prix de cession en soit trop élevé. Il se peut aussi qu’il n’y ait pas de logement abordable à proximité, notamment en raison de coûts de rénovation élevés.
Néanmoins, des solutions existent pour améliorer l’accès au logement des agriculteurs sans ouvrir la porte à une artificialisation des sols. Le développement du logement social agricole nous semble ainsi très intéressant. Des initiatives se développent pour que des bailleurs sociaux achètent des maisons d’habitation liées aux exploitations agricoles, les rénovent le cas échéant et les louent ensuite aux agriculteurs. Toutefois, il nous est revenu que le ministère du logement freinait ces initiatives, ce qui nous semble très dommageable.
Par ailleurs, l’habitat léger réversible est une solution de plus en plus prisée par les agriculteurs, notamment par ceux d’entre eux, et ils sont nombreux, qui ne sont pas issus du milieu agricole. Cette solution est pratiquée soit de façon temporaire, le temps de l’installation, soit de façon permanente, du fait d’un choix d’habitat différent.
Or des freins subsistent à l’implantation de ce type d’habitat, notamment en raison de la lourdeur du dispositif des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (Stecal). Il faudrait étudier et lever ces obstacles pour offrir un cadre sécurisant au développement de cet habitat léger réversible agricole.
Un rapport du Gouvernement sur ces initiatives permettrait d’identifier les pratiques présentes sur le terrain et les politiques publiques efficaces pour les soutenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement, qui vise à demander la remise d’un rapport au Parlement, « écrase » la mesure contenue dans l’article 5, qui tend à faciliter le logement des agriculteurs sur leur exploitation. Je ne suis pas favorable à cette suppression, dans la mesure où l’article 5 apporte une souplesse intéressante et bien encadrée : avis de la CDPENAF, interdiction du changement de destination sous dix ans, régulation par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), encadrement par le maire…
C’est dommage, car le sujet des différents modes de logement et d’hébergement des agriculteurs, soulevé par les auteurs de cet amendement, est intéressant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Le Gouvernement émettra un avis de sagesse sur cet amendement.
Il me semble nécessaire, non d’enfermer ce sujet dans un rapport, mais de tenir ce débat avec les élus et les représentants des agriculteurs pour définir un diagnostic et identifier des solutions. Je m’y engage donc, au nom du Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes Sollogoub et Saint-Pé, MM. Levi et Anglars, Mme Herzog, M. Mizzon, Mme Dindar, MM. de Nicolaÿ et Laugier, Mme Guidez, MM. Genet et Henno, Mmes Jacquemet, Vermeillet et Perrot, MM. Longuet et Chasseing, Mme Richer, M. Guérini, Mmes Dumont et M. Mercier, MM. A. Marc et Lagourgue, Mme Billon, MM. Lefèvre et Saury, Mmes N. Delattre et Ventalon, M. Chauvet, Mmes Paoli-Gagin et F. Gerbaud, M. Le Nay et Mmes Gatel et Evrard, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
forestière
insérer les mots :
, ainsi que les activités artisanales directement liées à ces exploitations,
La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Le présent amendement vise à prévoir les cas où l’activité agricole est liée à une activité artisanale, sans que cette dernière soit reconnue comme une activité agricole proprement dite.
Un exemple que j’ai rencontré résume cette situation : celui de deux exploitations laitières connexes, indépendantes et géographiquement voisines – à vrai dire, elles étaient sises l’une à côté de l’autre –, l’une produisant le lait et l’autre le transformant. L’administration a estimé que l’activité fromagère était artisanale et que le permis de construire ne pouvait être accordé.
Cet amendement vise donc à autoriser les constructions dans le cadre d’activités artisanales liées directement et indissociablement à une activité agricole.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. L’adoption de cet amendement étendrait significativement la portée de l’article 5, aujourd’hui strictement limité au logement nécessaire au bon fonctionnement de l’exploitation.
Seraient ainsi autorisées toutes les activités artisanales connexes, sans critère de nécessité, comme, par exemple, les ateliers de meubles fabriqués avec le bois de la forêt environnante ou les tanneries utilisant le cuir des bêtes. Autoriser toute construction nouvelle liée à ces activités me semblerait trop large.
En outre, sur l’initiative du Sénat, la loi dite ÉLAN (loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) a autorisé, en espaces agricoles ou forestiers, les constructions nécessaires « à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production » et dès lors qu’elles « ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées ».
L’activité fromagère que vous citez en défense de votre amendement répond à ces critères. Si blocage il y a, c’est donc du fait des services préfectoraux ou municipaux, non de la loi.
En conséquence, ma chère collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Chaque exception augmente le risque de construction sans lien direct avec l’activité agricole, ce qui ne me semble pas souhaitable ; avis défavorable.
M. le président. Madame Sollogoub, l’amendement n° 5 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nadia Sollogoub. Je le retire, monsieur le président, mais j’espère que les consignes aux services instructeurs seront suffisamment claires pour que des situations aussi ubuesques ne se renouvellent pas.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.
L’amendement n° 13, présenté par Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Gillé, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
à proximité
par les mots :
en continuité
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. L’article 5 autorise les constructions visant à créer des logements nécessaires au bon fonctionnement d’une exploitation agricole ou forestière sur le périmètre de l’exploitation ou à proximité de celle-ci, quel que soit le classement du terrain d’emprise au regard du document d’urbanisme applicable.
Les auteurs de la proposition de loi présentent cette mesure comme « le droit pour chaque agriculteur à vivre sur son exploitation ».
Toutefois, il nous semble que cette mesure risque encore une fois de créer de l’habitat diffus. Le terme « à proximité » étant relativement flou, nous proposons de le remplacer par « en continuité », en cohérence avec les dispositions du code de l’urbanisme sur ces questions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Je remercie les auteurs de cet amendement, dont l’adoption apporterait un encadrement bienvenu.
L’amendement tend en effet à préciser que les logements nouveaux, dès lors qu’ils sont nécessaires à l’exploitation agricole, ne pourront être construits qu’« en continuité » du bâti existant et non sur tout terrain situé « à proximité » de la ferme.
C’est un garde-fou supplémentaire pour faciliter la vie de nos agriculteurs et les aider à développer leurs exploitations, mais qui permet également d’éviter le mitage en privilégiant la construction regroupée au sein des hameaux agricoles. En outre, cette disposition est en cohérence avec ce que nous avons prévu à l’article 1er.
Pour ces raisons, la commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Cet amendement tend à conditionner les possibilités de construction au respect d’un critère d’implantation en continuité de l’exploitation, ce qui me semble utile et de bon sens.
Toutefois, dans la mesure où je suis défavorable au texte initial, j’émets simplement un simple avis de sagesse.
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié ter est présenté par MM. Pla et Montaugé, Mme Artigalas, M. Bouad, Mme Blatrix Contat, MM. Cardon, Mérillou, Michau, Redon-Sarrazy et Tissot, Mme Bonnefoy, M. Gillé, Mme Monier, M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Cadec, J.M. Boyer, Charon, Cambon, Bacci, Chatillon, Pellevat et Anglars, Mme F. Gerbaud et MM. Favreau, E. Blanc, J.P. Vogel et Saury.
L’amendement n° 3 rectifié bis est présenté par MM. D. Laurent et Burgoa, Mme Imbert, MM. Babary et Savary, Mme Férat, M. Bouchet, Mmes Lassarade, Ventalon et Belrhiti, MM. Piednoir, Houpert, Calvet, Grand, Lefèvre et Cardoux, Mmes Sollogoub, Garnier, M. Mercier, Thomas et Dumont, MM. Bonnus, J.B. Blanc, Kern, Détraigne, Brisson et Paccaud, Mmes Borchio Fontimp, Chain-Larché et Perrot, MM. Laménie, Belin, B. Fournier, Klinger, Bonhomme et C. Vial, Mmes Deroche et Schalck, M. Sol, Mme Berthet, MM. Pointereau, Duffourg et Sautarel et Mme Raimond-Pavero.
L’amendement n° 6 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Moga, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guiol et Mme Pantel.
L’amendement n° 22 rectifié ter est présenté par MM. de Nicolaÿ, Husson et Meignen.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La seconde phrase du 7° du I de l’article L. 151-7 du code de l’urbanisme est remplacée par trois phrases ainsi rédigées : « Elles définissent les conditions dans lesquelles les projets de construction et d’aménagement se trouvant en limite d’un espace agricole, quel que soit son classement, intègrent un espace de transition végétalisé non artificialisé entre les espaces agricoles et les espaces urbanisés sur la zone urbaine ou à urbaniser ou artificialisée, à la charge du pétitionnaire ou de la commune. La zone de transition est projetée de préférence en dehors des zones dévolues à l’agriculture. Il peut être dérogé à cette mesure par exception après avis favorable de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévu à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime. »
La parole est à M. Sebastien Pla, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié ter.
M. Sebastien Pla. Cet amendement vise à préserver les terres arables soumises à une forte pression de l’urbanisation.
Nous avons perdu 600 000 hectares en dix ans, comme le soulignait le sénateur Cabanel voilà quelques instants, soit l’équivalent, par exemple, de mon département, l’Aude.
S’y ajoute la mise en œuvre de zones de non-traitement (ZNT) ou d’aménagements linéaires – et j’en passe… –, qui restreignent encore davantage les espaces cultivés en zone périurbaine. Cette pression engendre de nombreux conflits d’usage entre agriculteurs et nouveaux riverains.
La création des zones de transition entre espaces artificialisés et espaces agricoles est devenue une nécessité. De nombreux élus locaux y sont favorables. Cela permettrait également de limiter les conflits d’usage et de pérenniser les activités agricoles.
L’adoption de textes précis, qui permettent d’éviter toute interprétation, rassure les élus, qui disposent ainsi d’outils permettant d’éviter de futurs conflits de voisinage.
Lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, le Sénat avait complété le dispositif adopté à l’Assemblée nationale en contraignant les aménageurs à intégrer un espace de transition végétalisé sur leurs parcelles. Las, la commission mixte paritaire avait rejeté ce dispositif, qui permettait pourtant d’aboutir à un équilibre.
Une fois de plus, champs, vignes et vergers battent en retraite face aux lotisseurs. Vous en conviendrez avec moi, ce débat a un caractère quelque peu schizophrénique : d’un côté, nous voulons préserver nos exploitations agricoles et notre indépendance alimentaire ; de l’autre, nous voulons à tout prix urbaniser des zones pour favoriser l’habitat rural sur des terres agricoles !
Cette règle, que le groupe SER défend très ardemment, doit donc devenir un principe général du code de l’urbanisme.
Enfin, je veux souligner, pour vous rassurer, madame la rapporteure, qu’il serait possible d’y déroger pour tenir compte de situations particulières, après avis favorable de la CDPENAF.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.
M. Gilbert Favreau. Il est défendu !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié bis.
M. René-Paul Savary. Je soutiens cet amendement, porté par M. Daniel Laurent et émanant du groupe d’études Vigne et vin.
Madame la secrétaire d’État, vous êtes d’ailleurs directement concernée, car il me semble que l’on trouve quelques hectares d’appellation champagne en Haute-Marne… (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. Jérôme Bascher. Ah !
M. René-Paul Savary. Vous imaginez facilement les répercussions que cela peut avoir.
Notre proposition est tout à fait cohérente, du point de vue tant de l’économie que de l’écologie, puisqu’il s’agit d’instaurer un corridor de protection, aux frais de celui qui crée la zone nouvelle.
Cette disposition permettra la création d’aires supplémentaires qui ne constitueront pas une entrave au développement cultural, agricultural ou viticole, mais qui permettront d’accroître les échanges entre oxygène et gaz carbonique, ce qui produit la photosynthèse tout à fait essentielle pour lutter contre le dérèglement climatique !
Vous ne pourrez donc, madame la secrétaire d’État, qu’être adepte de cet amendement. (M. Bruno Belin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié bis.
Mme Guylène Pantel. Défendu, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 22 rectifié ter n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Nous avons déjà eu un long débat sur ce sujet en commission, mais ces amendements identiques émanent de toutes les travées et nécessitent quelques précisions ; je vais donc prendre le temps de détailler les motifs de l’avis de la commission.
Il est proposé, au travers de ces amendements, que toute construction nouvelle doive obligatoirement respecter, au titre du PLU, une distance séparative minimale par rapport aux espaces agricoles. J’en comprends tout à fait l’idée : il s’agit d’éviter les conflits d’usage entre voisins et agriculteurs et les risques d’empiétement. A priori, c’est une bonne idée.
Toutefois, dans plusieurs situations, cette distanciation – systématique, je le rappelle – se révélerait très gênante. Dans ma région, par exemple, de nombreuses exploitations agricoles en zones hyper-rurales sont très intégrées aux bourgs. Certaines parcelles agricoles vont même jusqu’au cœur des villages.
Si ces amendements étaient adoptés, on empêcherait toute construction autour de ces enclaves agricoles, et donc dans ces villages, ce qui poserait problème à la fois pour leur réhabilitation et pour leur revitalisation.
De plus, l’éloignement vaudrait non seulement pour les habitations, mais également pour les constructions agricoles, même individuelles. Dans le petit village en déprise que nous évoquions voilà quelques instants, il n’y a qu’une ou deux demandes par an d’un logement individuel : il s’agit donc non pas de lotissements dans des zones périurbaines, mais bien de la ruralité en déprise.
Prenons garde à ne pas réduire les possibilités de construction de bâtiments agricoles de traite ou de stockage de machines, par exemple, ou de logements pour les agriculteurs. Il faudrait en effet prélever, chaque fois, une zone tampon sur la zone disponible pour la construction. Ainsi, la rédaction de ces amendements n’est, à tout le moins, pas assez précise, car il conviendrait de ne pas pénaliser les constructions agricoles.
Ensuite, ces amendements tendent à prévoir de prélever obligatoirement la zone tampon sur les espaces constructibles. Or cette proposition de loi repose sur le constat que le foncier constructible est trop rare en zone hyper-rurale, ce qui nuit au développement des communes concernées et les choses ne s’arrangeront pas avec les mesures de la loi Climat et résilience…
Par conséquent, cette mesure, pertinente pour les territoires périurbains dynamiques, dans lesquels la ville grignote sur la surface agricole, se révélerait extrêmement bloquante pour les villes rurales, déjà en mal de constructibilité et de revitalisation. Prenons garde de créer des verrous démesurés…
À l’article 200 de la loi Climat et résilience, nous avons adopté, en raison des mêmes craintes, une version améliorée de cette mesure : les distances séparatives sont autorisées par les maires au cas par cas, lorsqu’elles sont pertinentes. Il ne s’agit donc pas d’une obligation générale. Nous avions fait le choix de nous adapter aux réalités du périurbain et de la grande ruralité.
J’y insiste, ces amendements étant défendus sur toutes les travées de cet hémicycle : attention aux conséquences punitives pour la ruralité en déprise ! Vous risquez de réduire drastiquement les espaces constructibles. En pensant bien faire, on risque de mettre en péril l’hyper-ruralité, qui ne dispose en outre d’aucun moyen d’ingénierie. En effet, le Denormandie dans l’ancien n’est pas financé, madame la secrétaire d’État. Je sais bien que vous partagez notre vision, mais que Bercy desserre un peu l’étau ! Les territoires ruraux n’ont pas de moyens et il est proposé de leur interdire de nouvelles constructions !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Je suis très sensible à la nécessité de laisser ces possibilités à la main des élus locaux, en fonction des projets et des territoires : avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour explication de vote.
M. Pierre Louault. Je crois aussi que l’adoption de ces amendements, qui concernent toutes les constructions et tous les territoires agricoles, reviendrait à l’inverse de ce que nous voulons.
Je comprends parfaitement le problème. Je connais le vignoble de Vouvray, qui est mité, et il convient de protéger les territoires, le vignoble, les vergers et le maraîchage. Pour autant, étendre la mesure à l’ensemble du territoire agricole situé à proximité, c’est donner des verges pour se faire battre ! Cela se retournera contre tous les agriculteurs ; c’est cela qui m’inquiète.
J’ai essayé toute la journée de soutenir un amendement qui donnerait satisfaction aux producteurs rencontrant de véritables difficultés, mais cette proposition de loi porte sur les zones en perte de vitesse, qui sont peu ou non concernées, dans la mesure où les habitants connaissent la réalité.
Je crains donc que l’on regrette l’adoption d’une telle disposition, mais je suivrai, bien sûr, la majorité de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour explication de vote.
M. Hervé Gillé. J’ai eu le plaisir de construire un SCoT de bout en bout, dans un milieu viticole, celui de la Gironde, et je mesure donc complètement les enjeux identifiés par les différents orateurs.
Néanmoins, il convient, aujourd’hui, de donner de la confiance aux agriculteurs et aux viticulteurs, mais aussi aux personnes qui viendront habiter dans les zones de revitalisation rurale ou en déprise. Cette notion est absolument essentielle, parce que les conflits d’usage cassent la confiance de ceux qui souhaitent habiter en milieu rural, avec les contraintes sanitaires et environnementales que cela suppose.
Ces amendements identiques ont justement pour but de reconstruire la confiance, en instituant un cadre, auquel il pourra être dérogé, puisque la CDPENAF pourra intervenir, afin de juger le projet et d’adapter éventuellement la mesure. Leur adoption permettrait d’envoyer un signal clair, en toute confiance et transparence, à l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des agriculteurs ou des viticulteurs ou bien des futurs résidents.
J’ajoute que la différenciation, souhaitée par Mme la rapporteure, créerait de nombreuses difficultés et, par suite, de nombreux conflits.
L’amendement n° 1 rectifié ter est donc parfaitement justifié.
M. René-Paul Savary. Je maintiens cet amendement, monsieur le président.
L’année qui s’achève a bien illustré le sujet que nous évoquons ce soir.
Les vignobles – je connais un peu mieux ce sujet que d’autres – ont subi des pluies importantes, ce qui a nécessité quelques passages pour les exploitants qui recourent aux produits phytosanitaires mais de nombreux passages pour ceux qui font de la viticulture bio, afin d’épandre des produits spécifiques, notamment à base de cuivre.
La population qui en est témoin ne comprend pas cela et ne sait comment réagir face à ce type de pratiques culturales. C’est la raison pour laquelle il faut trouver un système permettant de mettre en place des zones tampons, de nature à rassurer ces gens et à satisfaire également le milieu agricole et viticole, car, outre les enjeux environnementaux, les enjeux économiques sont aussi très lourds !
Il faut donc trouver une solution.
En Champagne, nous avions adopté une charte de bon voisinage, qui a donné de bons résultats, mais des modifications réglementaires sont intervenues et elle n’a pas pu être appliquée. Par conséquent, puisque les choses n’avancent pas lorsque l’on fait preuve d’initiative, on est obligé de chercher d’autres solutions…
En outre, madame la rapporteure, madame la ministre, il est prévu des possibilités de dérogation, c’est important. Ainsi, les zones en déprise ne rencontreront pas ce problème et, en bonne intelligence, elles pourront recourir aux possibilités de dérogation. Cela me paraît d’une redoutable cohérence ! Il faut faire appel au bon sens des territoires…
C’est la raison pour laquelle je maintiens l’amendement n° 3 rectifié bis.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour explication de vote.
Mme Chantal Deseyne. Ce texte évoque, en creux, l’artificialisation des terres agricoles. Plusieurs d’entre nous se sont émus de la disparation des terres arables, certains évoquant des superficies de l’ordre de leur département. Or, avec ces amendements, on fait tout l’inverse ! Je m’étonne que, pour régler des conflits de voisinage ou d’usage, on retire ainsi des terres agricoles à l’agriculture.
Les agriculteurs sont d’ores et déjà soumis à une réglementation contraignante, relative par exemple aux zones enherbées ou aux horaires d’épandage des produits phytosanitaires.
Je ne voterai donc pas ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Attention, les dispositions de ces amendements identiques sont plus restrictives que les ZNT. En clair, on n’aura plus de conflits d’usage, parce qu’on ne pourra plus construire ! C’est un vrai sujet, j’attire votre attention sur ce point !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié ter, 2 rectifié, 3 rectifié bis et 6 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 221 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 6
Le chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un article 1244-1 ainsi rédigé :
« Art. 1244-1. – Ne sont pas considérés comme des dommages, au sens du présent chapitre, les troubles inhérents à l’exercice d’une activité régie par l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime causés à une personne occupant un logement dans le voisinage de l’exploitation donnant lieu à cette activité lorsque celle-ci était déjà exercée à la date à laquelle la personne a acquis son titre à occuper ce logement. En cas de changement de cette activité postérieure à cette date, ne sont pas considérés comme des dommages les troubles inhérents à l’exercice de la nouvelle activité n’excédant pas les troubles comparables causés par l’activité à laquelle elle a été substituée. »
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Cet article vise à exclure les troubles de voisinage liés à l’activité agricole préexistante du champ des dommages ouvrant réparation.
En effet, tous les sénateurs ruraux le constatent régulièrement, des nuisances ou des troubles de voisinage reconnus par la loi sont utilisés à l’encontre d’exploitations agricoles. Certes, la loi et la jurisprudence reconnaissent ce droit, puisque le code civil fixe le principe général de responsabilité du fait personnel.
La jurisprudence fixe certaines conditions à l’établissement de cette responsabilité. Par ailleurs, la Cour de cassation a fait naître, sur le fondement du droit de propriété, une théorie spécifique au cas particulier des troubles anormaux de voisinage. Ainsi, sous certaines conditions, le juge judiciaire accepte d’indemniser les nuisances considérées comme excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Sur le fondement de ce principe, on peut donc solliciter réparation, que l’on soit propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit. Contrairement à la responsabilité du fait personnel, le recours en indemnisation sur le fondement de troubles anormaux de voisinage n’exige pas la démonstration d’une faute quelconque.
Aujourd’hui, le juge fait droit à ces demandes d’indemnisation. Or l’urbanisation en périphérie et, plus globalement, l’avancée de la ville créent des situations nouvelles d’interface entre zones habitées et zones rurales.
Nous assistons donc à une forte augmentation mécanique des recours en indemnisation à l’encontre d’exploitants agricoles, afin d’obtenir réparation de dommages liés à l’activité agricole.
Ainsi ont pu prospérer des recours pour perte d’ensoleillement, enlaidissement du paysage consécutif à la construction d’un hangar agricole à proximité d’une résidence secondaire, perte de vue, présence d’insectes due à la proximité d’un troupeau, odeurs d’élevages ou encore bruit d’animaux ou de machines agricoles.
Bien heureusement, une exception de pré-occupation, bien que limitée par la jurisprudence, est prévue dans le code de la construction et de l’habitation.
C’est pourquoi je souscris pleinement à l’introduction d’une exception au principe de réparation, au bénéfice des nuisances liées à l’activité agricole préexistante, en insérant au sein du code civil un nouvel article traitant spécifiquement de cette question. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Si nous sommes sensibles à la question soulevée par cet article – la protection des agriculteurs face à de potentiels recours abusifs du voisinage contre leur exploitation –, nous estimons que la rédaction retenue et les conditions dans lesquelles est discutée cette disposition ne permettent pas de prendre une décision adéquate. C’est pourquoi nous proposons sa suppression.
En effet, l’article exclut les troubles liés à une activité agricole préexistante du champ des dommages ouvrant droit à réparation dans le cadre d’un recours des voisins. Sa rédaction est proche du droit existant, mais ne précise pas que les activités agricoles doivent s’exercer dans le respect de la réglementation en vigueur, ce qui semble plus que problématique.
En outre, si des recours abusifs ont pu être constatés sur ce sujet, le droit existant reste protecteur, via la reconnaissance de la pré-occupation. Comme l’a souligné la commission des affaires économiques, il convient d’être très vigilant quant à la réforme de cette disposition, dans la mesure où toute exonération de responsabilité en matière de troubles de voisinage touche à des principes constitutionnels forts.
La nécessité d’une telle vigilance a également été rappelée par le Conseil d’État, qui estime que l’état actuel du droit permet d’ores et déjà d’assurer une protection équilibrée des intérêts en présence et qu’il ne paraît pas nécessaire de modifier profondément les équilibres existants.
À nos yeux, la prise en compte de cet avis du Conseil d’État et la saisine de la commission des lois sur cette question auraient, à tout le moins, été souhaitables avant de réformer une telle disposition. Nous aurions également souhaité pouvoir nous appuyer sur le rapport prévu sur ce sujet par la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, mais qui n’a malheureusement pas été transmis à temps par le Gouvernement.
Sans ces préalables, la modification du droit existant nous paraît porter un risque de confusions ou de dérives, que les riverains ne pourraient plus contester.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 20 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 31 rectifié bis est présenté par MM. Cabanel, Requier, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Gold, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux.
L’amendement n° 44 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Le mot : « agricoles, » est supprimé ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment ou propriétaires d’un bien immobilier par des nuisances dues à des activités agricoles n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant, dès lors que ces activités s’exercent, le cas échéant, en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires applicables, et qu’elles se sont poursuivies sans changer de nature. »
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.
M. Pierre Louault. Il s’agit de compléter l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, en introduisant des évolutions spécifiques en matière d’agriculture, alors qu’il est fait référence à des coutumes.
Il est donc proposé d’introduire une exigence de conformité des activités agricoles avec la législation en vigueur.
Par ailleurs, l’exigence de poursuite des activités agricoles « dans les mêmes conditions » est assouplie, afin de permettre une évolution à la marge des pratiques agricoles liées, par exemple, à l’évolution des machines agricoles ou à la variation des cultures.
Il s’agit donc de faire évoluer le droit afin de le préciser.
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour présenter l’amendement n° 31 rectifié bis.
Mme Guylène Pantel. Cet article prévoit l’exclusion des troubles de voisinage liés à une activité agricole préexistante de l’ensemble des dommages ouvrant droit à réparation. Il s’agit de prévenir d’éventuels recours abusifs de la part de nouveaux arrivants à l’encontre d’agriculteurs préalablement installés et exerçant leur métier dans le respect de la réglementation.
L’article 113-8 du code de la construction et de l’habitation répond, dans une certaine mesure, à l’objectif visé par cet article, tout en précisant que les activités concernées doivent se poursuivre dans les mêmes conditions. Si une telle précision peut se comprendre pour les autres activités visées, qu’elles soient industrielles, commerciales ou touristiques, elle se justifie moins pour les activités agricoles qui évoluent sensiblement dans le temps.
Le présent amendement vise donc à modifier le droit en vigueur en créant une distinction entre les activités agricoles et les autres. Les éventuelles évolutions de l’exploitation agricole seront prises en compte dès lors que les activités demeurent de même nature.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 44.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Nous partageons bien évidemment le souhait d’éviter aux exploitants agricoles les recours parfois abusifs formés par les habitants nouvellement installés en zone rurale.
Cela semble aller de soi, le cas de l’occupant d’un bien se plaignant de désagréments liés à une situation préexistante n’est pas équivalent à celui d’un occupant se plaignant de désagréments de plus grande ampleur lorsqu’une exploitation a été significativement agrandie. Effectivement, un changement de nature ne présage pas d’un changement d’ampleur de l’activité, qui peut occasionner de graves dégâts.
Selon moi, ces amendements, en tendant à modifier le dispositif existant, posent plusieurs problèmes, notamment au regard du droit au recours, du droit de propriété et du droit de jouissance d’un bien.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 rectifié, 31 rectifié bis et 44.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 6 est ainsi rédigé.
Chapitre III
Dispositions diverses
Article 7
Au deuxième alinéa de l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, après le mot : « montagne », sont insérés les mots : « ou des zones de revitalisation rurale ». – (Adopté.)
Après l’article 7
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 21 rectifié est présenté par M. Louault et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 45 est présenté par Mme Létard, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le troisième alinéa de l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Afin d’améliorer la cohérence et la lisibilité des travaux de la commission, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi n° du tendant à favoriser l’habitat en zone rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, dans chaque département, la commission élabore et publie des lignes directrices présentant ses orientations générales concernant les avis qu’elle rend en application du code de l’urbanisme ou du présent code. Ces lignes directrices précisent les critères à l’aune desquels elle évalue les projets d’autorisation d’urbanisme ou de documents d’urbanisme qui lui sont soumis ainsi que les motifs qui sont susceptibles de fonder des avis négatifs. Elles précisent en particulier l’application des critères d’incompatibilité avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière et d’atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. »
II. – Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux lignes directrices des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ce rapport analyse en particulier la cohérence, au niveau national, des lignes directrices élaborées, ainsi que les facteurs de différenciation locale retenus par chaque commission. Il formule des recommandations visant à améliorer la transparence, la cohérence, la territorialisation et la lisibilité des travaux des commissions.
La parole est à M. Pierre Louault, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.
M. Pierre Louault. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 45.
Mme Valérie Létard, rapporteure. Cet amendement vise à faire émerger une forme de doctrine lisible et cohérente des CDPENAF.
Nous faisons souvent le constat d’une intervention trop tardive de ces commissions, d’un manque de lisibilité de leurs critères d’examen, voire d’une forte variabilité de leurs avis entre territoires ou entre dossiers. Tout cela contribue à dégrader l’acceptabilité de leurs décisions. Pourtant, elles jouent un rôle crucial pour la préservation des terres agricoles et des forêts françaises.
Je propose donc que, dans un délai de deux ans, chaque CDPENAF élabore ses lignes directrices, qui seront rendues publiques : elles expliciteront ainsi leurs critères d’examen des dossiers et les définitions qu’elles retiennent. Ensuite, un rapport du Gouvernement analysera l’ensemble de ces lignes directrices pour évaluer si des mises en cohérence sont nécessaires et si de bonnes pratiques peuvent être partagées.
Certaines CDPENAF ont déjà amorcé ce travail. Cet amendement vise à le généraliser et à l’approfondir, afin de permettre un dialogue plus apaisé entre les acteurs d’un territoire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 rectifié et 45.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7.
Article 8
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement.
(La proposition de loi est adoptée.)
15
Nouveau juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. Le scrutin pour l’élection d’un nouveau juge suppléant à la Cour de justice de la République pourrait se tenir le mardi 14 décembre, de quatorze heures trente à quinze heures, en salle des conférences.
Le délai limite pour le dépôt des candidatures à la présidence sera fixé au mardi 14 décembre, à douze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
16
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
17
Mise au point au sujet d’un vote
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Stéphane Sautarel. Lors du scrutin public n° 57, notre collègue Laurence Muller-Bronn souhaitait voter pour.
Mme le président. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
18
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici bientôt arrivés à la dernière réunion du dernier Conseil européen de l’année et, surtout, à la dernière réunion du Conseil avant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, une échéance majeure pour notre pays et, je l’espère, pour l’Union européenne. Le Président de la République aura l’occasion de présenter en détail, dès demain, les grandes priorités de cette présidence.
Dans l’immédiat, quatre sujets principaux mobiliseront les chefs d’État et de gouvernement pour la réunion de décembre : la crise sanitaire et la nouvelle vague pandémique qui frappe, notamment, l’Europe ; la gestion des crises de manière générale, au-delà de cet enjeu de court terme ; la hausse des prix de l’énergie, qui demeure une préoccupation centrale en Europe ; et les enjeux de sécurité et de défense, combinés à plusieurs questions de politique internationale, comme c’est l’usage lors de ces réunions. À cet égard, je précise qu’il sera adossé à ce Conseil une réunion de ce que l’on appelle le « partenariat oriental », qui réunit des représentants de l’Union européenne et de six pays de notre voisinage oriental.
En premier lieu, cette réunion du Conseil européen sera l’occasion de faire un nouveau point nécessaire sur la situation sanitaire, qui s’est dégradée partout sur notre continent au cours des dernières semaines, imposant une nouvelle évaluation des modalités de réponse à l’épidémie de covid-19.
Face à cette cinquième vague, nos priorités sont bien identifiées et, je crois pouvoir le dire, la coordination européenne, forte des leçons tirées des précédentes vagues de covid-19, s’est améliorée.
Il s’agit, tout d’abord, de coordonner les mesures de restriction à la libre circulation ou de contrôle, en garantissant leur caractère proportionné au sein de l’Union européenne. Plus précisément, il sera nécessaire de veiller à l’articulation du délai de validité du certificat numérique européen avec nos règles nationales. En effet, différents modalités et calendriers d’accès à la troisième dose ont été définis par les pays européens – il pouvait difficilement en aller autrement – et, comme plusieurs pays européens, dont le nôtre, font désormais de cette dose une condition de prolongation de la validité du passe sanitaire, nous cherchons à harmoniser les modalités de ce passe commun, qui est une réussite, afin que celui-ci ne devienne pas, à nouveau, une source de fragmentation pour les déplacements, en particulier, de nos travailleurs transfrontaliers.
La Commission européenne a ainsi proposé que la durée maximale de validité des certificats passe à neuf mois : six mois après la vaccination complète, avec trois mois de marge accordée aux États membres pour imposer ou non une plus ou moins grande restriction d’accès.
Il importe, ensuite, de renforcer la couverture vaccinale, en ciblant les personnes qui n’ont pas encore été vaccinées et en généralisant, comme nous le faisons partout en Europe, avec un approvisionnement significatif, les doses de rappel.
Enfin, plus que jamais, il est essentiel de poursuivre, dans le cadre de la solidarité collective européenne, nos objectifs en matière d’accès mondial au vaccin. Nous le savons, nous sommes loin du compte. Néanmoins, je l’ai dit la semaine dernière ici même, c’est l’Europe qui porte ces dons et exportations de vaccins, au travers notamment, mais pas seulement, du mécanisme Covax.
La Commission européenne a ainsi proposé, voilà quelques jours, de rehausser l’objectif de dons collectifs de l’Union européenne et de ses États membres, avec 700 millions de doses données, d’ici à mi-2022, à certains pays, notamment africains. Je le rappelle, au-delà des dons, l’Europe est aujourd’hui le premier exportateur avec déjà plus d’un milliard de doses exportées à l’extérieur de notre marché, soit 50 % de notre production, ce qui est unique parmi les grandes régions de production du monde.
Cette actualité, celle de la crise sanitaire qui demeure, nous engage, plus que jamais, à mieux penser, pour l’avenir, la gestion européenne des crises, de toutes les crises ; cela constituera notre deuxième thème de discussion.
Depuis le début de la crise sanitaire et économique, le modèle européen s’est montré puissant et protecteur, tant sur le plan budgétaire que pour ce qui concerne notre cadre commun d’achat des vaccins, mais nous devons en tirer des leçons de réactivité et d’efficacité.
À cet égard, les conclusions adoptées fin novembre par le conseil des affaires générales de l’Union européenne, qui réunit les ministres des affaires européennes, identifient plusieurs pistes d’action, de la création d’instruments de planification au renouvellement de structures existantes. Je pense notamment, en matière de recherche et de préparation sanitaire, à l’HERA, la future Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, qui permettra de doter l’Europe, au cours des prochains mois – nous en discuterons pendant la présidence française – d’une autorité de réaction aux urgences sanitaires et d’accélération de nos innovations en matière de recherche.
Je sais qu’une proposition de résolution européenne à ce sujet a été déposée, au nom de la commission des affaires européennes, par Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey. Cette nouvelle instance, pour peu qu’elle soit dotée de moyens suffisants, ce à quoi nous veillerons, sera déterminante pour mieux armer l’Union européenne face aux urgences de santé publique.
Autre sujet d’actualité qui fera l’objet de discussions lors de la réunion du Conseil européen du 16 décembre : la hausse des prix de l’énergie, qui appelle, conformément à l’engagement pris en octobre, à un échange entre les chefs d’État et de gouvernement et à une évaluation des mesures à prendre ou à coordonner à court et moyen termes.
Dans l’immédiat, partout en Europe, il importe d’atténuer au maximum l’impact de la hausse tarifaire des prix du gaz, de l’électricité et des carburants pour les ménages les plus modestes. Comme l’a proposé la Commission européenne, nous procédons à une analyse approfondie et objective du fonctionnement ou des dysfonctionnements des marchés européens de l’électricité et du gaz.
Je le répète, ce serait une erreur, selon moi, de casser le marché unique que nous avons patiemment construit. En effet, le fait d’avoir un prix unifié est une bonne chose, notamment pour les producteurs énergéticiens français. Cela permet de financer en partie nos mesures de soutien au pouvoir d’achat. Toutefois, nous devons, comme l’a indiqué M. le ministre de l’économie, mieux travailler pour que nos dispositifs de régulation, qui ne doivent pas être démantelés, soient plus réactifs, afin que, dans les périodes de crise comme celle que nous vivons, nous puissions prendre les mesures de soutien nécessaires en faveur des plus modestes.
Plus largement, nous devons procéder, nous le savons, à une transformation structurelle de nos économies. C’est toute l’ambition du paquet Fit for 55 – veuillez me pardonner l’anglicisme –, que nous devrons faire avancer sous la présidence française de l’Union européenne.
Autre domaine dans lequel l’Union doit se fixer des lignes de projection et qui fera l’objet de discussion au cours de cette réunion du Conseil : la sécurité et la défense.
La « boussole stratégique », dont le projet a été présenté par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, doit répondre à cette nécessité. Il s’agit d’une sorte de livre blanc européen définissant notre stratégie, l’analyse de nos menaces et nos grandes priorités en matière de sécurité comme de défense.
Une délégation conduite par le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon, s’est d’ailleurs rendue récemment en Pologne afin d’échanger notamment sur les sujets et les enjeux de sécurité et de défense dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne ; je veux saluer ces travaux du Sénat. Cette mobilisation est essentielle pour assurer le succès de notre présidence, qui passera par une discussion opérationnelle entre les chefs d’État et de gouvernement sur la cybersécurité ou la définition de zones d’actions prioritaires pour l’Europe, entre autres priorités concrètes.
Le Conseil européen fixera d’ores et déjà, lors de sa réunion du mois de décembre, les orientations politiques à suivre sur le fondement du premier projet de boussole stratégique présenté le 9 novembre dernier. Ce sera la première fois que l’Europe se dote d’une stratégie commune de sécurité et de défense à vingt-sept. Une telle initiative est la condition d’un certain nombre d’avancées concrètes en matière budgétaire et capacitaire : si nous ne pensons pas la même chose, il y a peu de chances que les ambitions qui sont les nôtres sur le terrain des interventions extérieures, création d’une force commune ou autre, puissent elles-mêmes prospérer.
Nous devrons porter une attention particulière, dans ce cadre, à notre voisinage immédiat, et notamment à l’Afrique, à laquelle notre stabilité de long terme est intimement liée, mais aussi à l’espace indo-pacifique. Pour ce qui est de la coopération avec ce dernier, c’est la France qui, avant même l’affaire dite des sous-marins, a promu l’idée d’en faire une priorité européenne ; une première stratégie en ce sens a été présentée au mois de septembre.
Nous discuterons également – je l’évoquais d’un mot – de notre stratégie en matière de cybersécurité, domaine dans lequel une action commune européenne, réduisant notre dépendance à l’égard des actions américaines, est indispensable et gage d’efficacité.
Toujours au chapitre des discussions sur les enjeux internationaux et de sécurité, le Conseil européen fera de nouveau un point sur la question migratoire, en se focalisant tout particulièrement sur la situation organisée depuis l’été par le régime biélorusse : une attaque migratoire délibérée instrumentalisant les migrants et s’appuyant sur des réseaux de passeurs.
Les chefs d’État et de gouvernement en discuteront la semaine prochaine, mais on peut d’ores et déjà affirmer – les pays concernés, comme la Pologne, le disent eux-mêmes – que ce sont des actions européennes, des mesures que nous avons prises, qui ont permis d’atténuer fortement cette pression exercée sur l’Union, donc l’impact de la crise : suspension de vols, sanctions supplémentaires ciblant non seulement les individus liés au régime de M. Loukachenko, mais aussi les entités, qu’il s’agisse de compagnies aériennes ou de sociétés liées à l’organisation de ce trafic délibéré.
Nous avons aussi, nous le savons, nos propres difficultés. Nous avons vécu nos propres drames, comme celui qui a coûté la vie à vingt-sept personnes voilà quelques jours dans la Manche. Cela montre aussi que sur ce sujet une coopération européenne est indispensable pour partager le renseignement et démanteler les filières de passeurs. Tel fut l’objet de la réunion organisée par le ministre de l’intérieur à Calais juste après ce nouveau drame.
La crise biélorusse, que je mentionnais, sera l’un des sujets de politique internationale évoqués lors de cette réunion du Conseil européen.
Je l’ai dit, nous avons réussi à mener une action commune qui a contribué à la désescalade. J’évoquais aussi le dialogue avec les pays tiers, notamment la Russie ; nous devrons tenir cette ligne de fermeté commune en réfléchissant, d’ailleurs, à d’autres modalités de sanctions éventuelles pour les mois à venir.
Nous devrons par ailleurs, concernant la question migratoire, ouvrir d’autres dossiers, qui seront autant d’objets importants de la présidence française de l’Union européenne, à commencer par la réforme de Schengen. La Commission en a présenté quelques grands axes aujourd’hui ; il s’agit d’assurer une meilleure protection de nos frontières partagées, dans le respect de nos règles comme de nos valeurs, par le biais d’une police aux frontières commune.
Là encore, la voie européenne est certes difficile, mais c’est la seule possible si l’on veut être efficace.
Le chapitre consacré aux affaires internationales étant copieux, la prochaine réunion du Conseil européen sera également l’occasion de préparer une rencontre importante pour l’Europe sous présidence française : le sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, qui sera organisé en février prochain.
Ce sommet, longtemps repoussé à cause de la pandémie, doit être l’occasion d’un renouvellement de notre regard sur l’Afrique et, partant, du partenariat entre nos deux continents, sur une base de réciprocité. Je rappelle que l’Union européenne reste, malgré l’essor d’autres influences étrangères, le premier partenaire de l’Afrique à tous les niveaux : en matière de développement comme dans les domaines commercial, sécuritaire, humanitaire ou sanitaire, je l’indiquais en parlant des vaccins.
Nous veillerons à ne pas centrer exclusivement notre agenda commun sur les questions de sécurité et de migration, bien que celles-ci restent évidemment importantes ; à cet égard, trois impératifs s’imposent : la prospérité, la mobilité, la sécurité globale. C’est ce qui devra ressortir de la déclaration politique que nous préparons en vue de ce sommet.
Pour conclure, je mentionnerai d’un mot une autre question internationale susceptible d’être abordée lors cette réunion du Conseil européen : celle de l’Éthiopie.
Alors que la situation sur le terrain continue d’évoluer de manière préoccupante et sans qu’un camp prenne le dessus sur l’autre par les armes, nous continuerons d’appuyer tous les efforts engagés pour parvenir à un cessez-le-feu. Les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement confirmeront leur soutien à la médiation du haut représentant de l’Union africaine pour la Corne de l’Afrique, M. Obasanjo. Nous soulignerons sans doute que l’utilisation des sanctions demeure une option là où il s’agit de parvenir à un règlement politique de cette crise, à condition bien sûr d’éviter tout effet secondaire contre-productif.
Voilà ce que je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce stade – et à cette heure tardive –, de la réunion à venir du Conseil européen. Vous savez que celui-ci peut adapter son agenda à d’éventuelles situations d’urgence. Pour le reste, c’est-à-dire pour la prochaine réunion ordinaire, il nous faudra attendre fin mars 2022. C’est la France qui exercera alors la présidence du Conseil de l’Union ; c’est à cette occasion que nous adopterons la boussole stratégique que je mentionnais. Nous aurons tout le loisir d’échanger, en vue de cette échéance importante, sur les priorités que j’ai rappelées et que le Président de la République détaillera encore davantage.
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre prochains sera, sauf événement très exceptionnel, la dernière avant le début de la présidence française. À cet égard, nous avons une responsabilité particulière, celle de préparer dans les meilleures conditions possible la mise en œuvre de nos priorités, qui sont nombreuses, au cours du premier semestre de l’année prochaine.
Dans ce contexte, j’aimerais attirer votre attention sur trois enjeux qui seront évoqués lors de cette réunion et dont la commission des affaires étrangères et de la défense assure un suivi particulièrement actif.
En premier lieu, pour ce qui concerne notre dialogue avec le Royaume-Uni, il est temps, monsieur le secrétaire d’État, que les Britanniques tiennent parole et mettent en application les termes de l’accord de commerce et de coopération conclu le 24 décembre 2020. Il s’agit non seulement d’une question de confiance entre nous et le Royaume-Uni, mais également d’une question de crédibilité pour les institutions de l’Union : celles-ci ne sauraient détourner le regard face un partenaire qui ne cesse, depuis plusieurs mois, de remettre en cause verbalement et matériellement les engagements souscrits dans le cadre de cet accord.
En ce qui concerne l’Irlande du Nord, cela fait maintenant plus d’un mois que la Commission a rendu publiques ses propositions d’aménagement quant à l’application du protocole nord-irlandais. J’espère que vous serez en mesure de nous expliquer quel est l’état actuel des négociations et quelle voie de sortie est envisageable, s’agissant d’un partenaire qui n’a pas abandonné sa menace régulièrement réitérée de recourir à l’article 16. Cet article prévoit, je le rappelle, la suspension unilatérale du protocole en cas, notamment, de désaccord avec les autorités européennes sur la question de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Parallèlement, monsieur le secrétaire d’État, nous attendons de vous des réponses claires et un calendrier précis quant à la mise en œuvre déjà maintes fois repoussée des stipulations de cet accord en matière de pêche.
Nous savons bien que le Président de la République a fixé comme délai limite la date du 10 décembre pour faire aboutir ces négociations, mais, à quarante-huit heures de cette date et après plusieurs mois de négociation, nous espérons que vous serez en mesure de dresser pour nous un état des lieux circonstancié des avancées que vous avez obtenues et des dispositions que le Gouvernement est prêt à prendre dans l’hypothèse où nos pêcheurs continueraient de se voir refuser, sur des fondements arbitraires, leur droit de pêcher dans les eaux britanniques.
En second lieu, pour ce qui concerne la protection de nos frontières extérieures, la commission des affaires étrangères du Sénat a entendu ce matin en audition le directeur exécutif de Frontex, M. Fabrice Leggeri, qui a dressé un tableau éloquent des menaces qui pèsent sur les frontières de l’espace Schengen.
À cet égard, nous attendons des précisions sur la position de la France dans le débat que la Commission et le haut représentant Borrell ont ouvert, le 23 novembre dernier, en présentant une communication sur la réponse à apporter à l’instrumentalisation par des États des mouvements migratoires aux frontières de l’Union.
En particulier, monsieur le secrétaire d’État, si nous ne pouvons que nous réjouir de la stabilisation progressive de la situation à la frontière biélorusse, comment ferons-nous pour empêcher qu’une nouvelle attaque hybride de ce type ne se reproduise à nos portes ? Il est essentiel que vous puissiez nous apporter des précisions sur la position française dans le cadre de la réforme à venir du code frontières Schengen.
En troisième lieu, enfin, alors qu’une nouvelle déclaration conjointe de l’Union européenne et de l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, est annoncée avant la fin de l’année, nous aimerions vous entendre sur la version initiale de la boussole stratégique présentée aux ministres de la défense et des affaires étrangères des Vingt-Sept, à la fin du mois dernier.
En vue de la présentation d’une nouvelle version de ce document le mois prochain, quels amendements le Gouvernement entend-il y apporter ? Plus précisément, quelle articulation la France propose-t-elle entre la garantie apportée par l’OTAN et l’autonomie stratégique de l’Union, dans un contexte marqué par l’annonce, au début du mois, selon laquelle un accord administratif était en cours de négociation entre l’Agence européenne de défense et le département de la défense des États-Unis, afin de permettre à notre partenaire américain d’être associé à certains des projets financés par des fonds européens ?
À quelques semaines du début de la présidence française du Conseil de l’Union, les enjeux – vous l’avez dit – sont nombreux. Ce dernier sommet de l’année 2021 doit nous permettre de prendre clairement position et nous mettre en situation d’assumer pleinement nos priorités stratégiques pendant nos six mois de présidence. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge, vice-président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine permettra aux chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept pays membres de l’Union européenne de faire un point sur la crise sanitaire, notamment sur ses conséquences économiques, ainsi que sur les prix de l’énergie, deux sujets que suit avec attention la commission des finances.
Alors que les promesses d’une reprise économique vigoureuse étaient en passe d’être concrétisées, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, a entériné un léger recul de sa prévision de croissance pour la zone euro en 2021, qui s’établit désormais à 5,2 %, en raison de la reprise de la pandémie.
À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, je vous adresse une première question : pensez-vous parvenir à une stratégie commune sur le plan sanitaire et, le cas échéant, sur quelles bases ?
D’un point de vue économique, le plan de relance européen représente un soutien incontestable. J’ai bien noté que la transition énergétique a été définie comme une orientation forte, conformément au Pacte vert pour l’Europe.
L’on peut s’en réjouir, mais il ne faudrait pas que la réglementation européenne sur la « taxonomie », c’est-à-dire la classification des activités économiques selon leurs effets sur l’environnement définie par le règlement européen adopté en 2020, en vienne à pénaliser la France en classant le nucléaire parmi les activités ne relevant pas de la catégorie dite durable.
M. Gilbert Favreau. Absolument !
M. Dominique de Legge, vice-président de la commission des finances. Les atouts économiques, technologiques et environnementaux dont nous disposons dans ce domaine ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de l’idéologie ou d’un consensus mou.
Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
La flambée du coût de l’énergie pose le problème du pouvoir d’achat des ménages. Les dispositions prises par le Gouvernement étant conjoncturelles, elles ne sauraient constituer une réponse dans la durée. Ainsi le « bouclier tarifaire » destiné à contenir les prix du gaz et de l’électricité apparaît-il d’ores et déjà insuffisant. Le dispositif prévu pour limiter à 4 % la hausse des prix de l’électricité coûtera beaucoup plus cher que prévu et risque fort de ne pas suffire. Des experts estiment que son coût budgétaire pourrait dépasser 10 milliards d’euros quand le rendement total de la taxe sur l’électricité, qu’il est d’ailleurs prévu de minorer, est inférieur à 8 milliards d’euros !
La hausse sans précédent des prix de l’énergie n’est pas sans lien avec le marché européen de l’énergie, ainsi qu’avec le système d’échange de quotas d’émission de l’Union. En effet, l’augmentation du prix de l’électricité résulte directement de la hausse du prix du gaz, les prix de ces deux énergies étant liés au sein dudit marché européen de l’énergie.
Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, la menace qui pèse ainsi sur la compétitivité de nos entreprises et sur le pouvoir d’achat des consommateurs est injuste, puisque notre pays bénéficie d’une production électrique très largement décarbonée, à des coûts de production faibles !
Surmontant quelques divergences apparues au sein du Gouvernement, la France a pris l’initiative d’une proposition de réforme d’ampleur du marché européen de l’électricité. Si quelques pays s’y sont ralliés – je pense à l’Espagne, à l’Italie, à la Grèce et à la Roumanie –, cette initiative fait face à une coalition déterminée conduite par l’Allemagne, hostile au nucléaire sous toutes ses formes.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que les divergences entre les Vingt-Sept promettent d’être à nouveau très prononcées sur le sujet de la réforme du marché de l’électricité, comment la France entend-elle promouvoir ce projet dans les mois à venir, en particulier dans la perspective de sa prochaine présidence du Conseil ? Quelles sont les chances réelles que cet objectif soit atteint ? En quoi la nouvelle coalition allemande influera-t-elle sur le processus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin qui, en déplacement en Grèce avec le président du Sénat, m’a chargé de le représenter ce soir.
La prochaine réunion du Conseil européen sera la première pour le nouveau chancelier allemand, intronisé aujourd’hui même par le Bundestag.
C’est une bonne nouvelle pour l’Union européenne que l’Allemagne soit parvenue, en moins de deux mois, à se doter d’une coalition et que celle-ci se soit accordée sur un programme dont le contenu converge avec les priorités que nous espérons précisément voir prospérer sous la présidence française du Conseil, à compter du 1er janvier 2022 : « accroître la souveraineté stratégique de l’Union européenne » et mieux défendre les « intérêts européens communs ».
Il y a là un précieux motif d’espoir, vu le contexte par ailleurs assez sombre dans lequel se déroulera la réunion du Conseil européen dans huit jours. De nouveau, le sujet de la pandémie de covid-19 revient à l’ordre du jour et, avec lui, l’impératif d’une coordination des mesures aux frontières intérieures et extérieures de l’Union, après l’activation du frein d’urgence qui a consisté à suspendre les vols en provenance d’Afrique australe.
La question se pose de savoir comment préserver la liberté de circulation, compte tenu de la disparité de la couverture vaccinale entre États membres. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le Conseil européen abordera l’hypothèse de l’obligation vaccinale, qui émerge dans plusieurs États membres ? La France a certes choisi une autre stratégie, mais cette solution de dernier ressort vous semble-t-elle à envisager ?
Deuxième sujet de préoccupation inscrit à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil européen : le prix de l’énergie – il a déjà été évoqué, mais mieux vaut deux fois qu’une. Il est essentiel de trouver le moyen d’améliorer les mécanismes du marché de détail de l’électricité, afin de stabiliser les prix et d’inciter à la consommation d’énergie bas-carbone.
Cette réunion n’y suffira sans doute pas, mais le cas d’Ascoval, qui a failli délocaliser en Allemagne sa production d’acier pour bénéficier d’une électricité moins chère, mais bien plus polluante, montre qu’il y a urgence à relever ce défi.
Ce défi est à la fois économique et climatique, comme l’est le débat autour de la taxonomie européenne des investissements durables dont parlait mon collègue de Legge. Sur l’initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat vient d’ailleurs d’adopter une résolution européenne plaidant pour l’inclusion de l’énergie nucléaire dans cette taxonomie, car il s’agit d’une énergie bas-carbone, mais également abondante, peu chère et régulière. L’enjeu est de permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de conforter son autonomie stratégique, en réduisant sa dépendance à d’autres énergies, donc aux États qui en sont fournisseurs.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous en mesure de nous indiquer quand la Commission prendra l’acte délégué annoncé pour décembre ? Pouvez-vous en particulier nous rassurer sur le traitement qui sera réservé au nucléaire dans cet acte ?
Un troisième sujet figure à l’ordre du jour de cette prochaine réunion du Conseil européen : la sécurité, la défense et les relations extérieures. Le 15 novembre dernier, vous le disiez voilà un instant, le haut représentant Josep Borrell a présenté la boussole stratégique de l’Union européenne. Cette réunion de décembre sera donc l’occasion d’un premier échange permettant d’évaluer dans quelle mesure les États membres partagent la même vision des menaces et la même ambition pour y répondre ensemble.
C’est pourtant sans délai que l’Union doit réagir aux menaces immédiates qui se présentent à ses frontières orientales : d’une part, la pression migratoire entretenue par la Biélorussie ; d’autre part, les troupes que la Russie masse à la frontière ukrainienne. Monsieur le secrétaire d’État, cette réunion sera-t-elle l’occasion pour le Conseil européen de préparer la réponse que l’Union pourrait devoir apporter en cas d’attaque russe dans le Donbass ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette réunion du Conseil européen s’inscrit dans un contexte chargé.
D’une part, nous sommes à la veille d’un semestre français assez ambivalent, puisqu’il sera à la fois celui de la campagne électorale, ce qui ne saurait échapper à personne, et celui de notre présidence du Conseil de l’Union, dont il serait bon qu’elle soit marquante.
D’autre part, nous subissons toujours les vagues pandémiques ; les variants mettent au jour nos fragilités sanitaires, sociales et économiques. En outre, nous voyons malmenées à nos frontières et sur nos côtes les valeurs qui ont fondé le projet européen.
Sur le front climatique, la COP26, les accords commerciaux, la politique agricole commune (PAC) ou la question de la taxonomie pour une finance durable montrent combien les politiques écologiques sont à la peine face aux dénis, aux atermoiements et aux lobbies à courte vue.
Enfin, ce moment est aussi celui où une nouvelle coalition allemande pose les bases d’une nouvelle donne. N’est-ce pas là une forte raison de plus pour redonner vigueur au projet européen commun ?
Face au covid-19, l’Europe est d’autant plus attendue qu’elle est par nature vouée à la coopération et à la solidarité, en interne, mais aussi au niveau international, où se joue, on le sait, l’essentiel. On pourrait certes se borner à ressasser que l’Europe a su mutualiser sa production et sa distribution vaccinales, qu’elle fournit beaucoup de doses aux pays pauvres et qu’en comparaison avec les autres privilégiés nous ne sommes pas les plus égoïstes, mais ces satisfecit autodécernés, même justifiés, ne changeront pas la donne sanitaire planétaire : seule une infime part des près de 6 milliards de doses injectées dans le monde est allée à des pays à faibles revenus.
Face aux drames humains et aux fabriques à variants, si l’on veut réduire les coûts et porter la production vaccinale à la hauteur des besoins planétaires, la levée des brevets et les transferts de savoir-faire et de technologies sont impératifs. En la matière, l’Europe est – je le répète – d’autant plus attendue qu’elle n’est pas la moins bonne parmi les acteurs décisifs.
Redonner vigueur au projet européen passera également par une réforme profonde de notre politique migratoire, qui met en difficulté, et c’est un euphémisme, tant les pays d’entrée que, surtout, les personnes exilées.
Le tout-sécuritaire et la sous-traitance à des États tiers de la tenue des frontières par les armes défont la dignité humaine et les valeurs qui nous constituent. Sortons de cette logique de protection des frontières qui ne protège pas les droits des personnes, déployons des moyens humanitaires partout où la vie humaine est menacée, ouvrons des voies de migration sûres et légales, instaurons un mécanisme efficace de relocalisation et de solidarité financière entre les États afin de faciliter l’accueil, l’intégration et le traitement de l’asile conformément aux exigences du droit international.
Autre sujet : la directive sur le salaire minimum met en jeu les droits sociaux, et en particulier le droit à un revenu décent. Elle ne sera opérante qu’à la condition d’être un mécanisme efficace pour combattre les inégalités socioéconomiques. Quelque 10 % de ceux qui ont un emploi en Europe sont des travailleurs pauvres. La Commission plaide, comme l’atteste une récente proposition législative, pour un alignement vers le haut des salaires minimums. Sur ce sujet, une position française ferme est nécessaire au Conseil afin de ne pas laisser les tenants du moins-disant social vider le texte de sa substance.
Quelques mots également sur la fameuse taxonomie, dont il a déjà été question ce soir. Les investissements publics et la finance, à condition qu’elle soit durable, sont essentiels pour la transition écologique. À cet égard, l’outil que constitue la taxonomie des activités, en cours de parachèvement par la Commission européenne, doit être rationnel et crédible pour être opérant.
Soyons clairs : la question des déchets radioactifs et des risques majeurs empêche l’activité nucléaire de satisfaire aux critères de la durabilité ; il ne s’agit pas d’idéologie, mais de cohérence ! Et si un « deal » incluant le gaz fossile devait éviter le possible rejet par une majorité qualifiée, il risquerait fort malgré tout de décrédibiliser la taxonomie dans son ensemble et de se solder par l’échec d’une finance durable.
Le prix de l’énergie, enfin, est à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil.
Au-delà des importantes questions immédiates ou de court terme, la proposition faite par la Commission européenne d’étendre le marché carbone aux carburants et au chauffage à partir de 2026 est totalement antisociale. Faire peser directement la taxe carbone sur les ménages populaires reviendrait à plomber les chances de la transition écologique. En matière de décarbonation des transports, c’est en faisant bouger les normes et en accompagnant socialement les réformes qu’on avancera plus sûrement. Telle est la voie envisagée dans l’accord de coalition du futur gouvernement allemand ; telle est la trajectoire claire qu’il faut ménager à l’industrie automobile pour éviter le désastre social.
Concluant ce rapide exposé de nos préoccupations et propositions principales à la veille de cette réunion du Conseil européen, j’ajouterai que, pour renforcer la position internationale de l’Europe, il est nécessaire de faire passer le commerce international du libre-échange au juste échange.
La politique commerciale de l’Union comme outil de régulation au service du climat et de la transition écologique, voilà la voie à consolider. Cela passera non pas par de simples déclarations, même si celles-ci peuvent contribuer à ralentir un peu, par exemple, le processus de ratification de l’accord avec le Mercosur, mais par des actes concrets conditionnant l’accès au marché unique européen au respect de règles sociales et environnementales fortes.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir préalablement à la dernière réunion du Conseil européen avant que ne débute la présidence française de l’Union. À cet instant, et alors que l’adoption de la boussole stratégique de l’Union, dont un premier projet vient d’être présenté, sera à l’ordre du jour sous cette présidence, je veux vous dire nos vives inquiétudes quant aux grands enjeux de sécurité humaine auxquelles l’Europe devrait contribuer à répondre.
Je commencerai par évoquer la dramatique situation des migrants. Le naufrage qui vient d’avoir lieu dans la Manche a rappelé quels caractères d’urgence et de violence s’attachaient à cette situation, ce dont témoigne aussi le voyage du pape à Lesbos. Il était question, dans le traité de Rome, d’« abolir les obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Pour ce qui est des capitaux, c’est fait. En ce qui concerne les personnes, en revanche, ce sont les barbelés, les murs et les cimetières marins qui resurgissent !
La politique migratoire de l’Europe est un naufrage, indigne des enjeux de sécurité humaine globale qui sont ceux de notre époque. Ces dernières semaines, l’instrumentalisation inacceptable par la Biélorussie de quelques milliers de migrants est devenue l’arbre qui cache la forêt de cette indignité européenne. Ces migrants seraient donc, selon la terminologie vulgarisée par les dirigeants polonais et européens, une « arme » au service d’une « guerre hybride » visant la déstabilisation de l’Union.
Soyons sérieux : ce chantage, comme ceux de la Turquie, du Maroc, du Royaume-Uni et d’autres, n’a de poids que parce que l’Union européenne referme partout ses portes aux voies légales et sécurisées de migration, poussant à la concentration de migrants aux frontières, livrant ceux-ci aux marchandages des passeurs. Les enjeux humains et politiques ont laissé place à un lexique militaire et sécuritaire qui enfonce l’Europe dans le déni des défis humains du XXIe siècle.
Un rapport de l’institut Jacques-Delors publié voilà quelques jours fustige d’ailleurs « un conflit profond de valeurs qui tend à opposer le besoin de sécurité des citoyens européens aux idéaux sur lesquels se fonde leur appartenance à l’Union européenne. »
La politique d’accueil et le droit d’asile sont maltraités comme jamais par les pays membres de l’Union européenne.
Nous ne traitons sérieusement aucune des causes profondes des migrations forcées : ni les guerres, auxquelles nous participons activement, nous faisant de surcroît les champions des ventes d’armes dans des régions qui sont déjà des poudrières ; ni les dérèglements climatiques – voyez les résultats de la COP de Glasgow – ; ni les écarts grandissants de richesses, dont le Laboratoire des inégalités mondiales vient de dresser un tableau alarmant ; ni les grands trafics criminels.
Nous n’abordons pas plus ambitieusement les enjeux vertueux d’une circulation des personnes, des jeunes, des savoirs, des cultures. Or qu’est-ce qui est le plus digne et le plus fécond pour l’avenir ? Accueillir plusieurs milliers de migrants afghans après le fiasco du départ américain de Kaboul, comme nous venons de le faire et comme nous devons continuer de le faire, ou bloquer ces Afghans aux frontières en les livrant aux passeurs et aux démagogues ?
Oui, les voies sécurisées de migrations sont plus sûres pour tous, pour les migrants comme pour les Européens. Ce n’est pas le déferlement qui nous menace, ce sont l’égoïsme, la peur et le repli.
Tout cela préjuge mal des discussions sur le pacte sur la migration et l’asile et sur la boussole stratégique, qui analyse même désormais les interdépendances comme des sources de conflictualité et de soft power agressif. Ceux-là mêmes qui ont défendu la libéralisation et la globalisation en viennent à crier au loup sur les interdépendances, c’est un comble !
Selon les auteurs de cette boussole stratégique, tout est conflictualité et l’OTAN et sa logique de confrontation permanente semblent constituer un horizon indépassable.
Si elle souhaite préserver sa sécurité et être autonome sur le plan stratégique, l’Europe doit s’émanciper du logiciel atlantiste, qui suscite plus de provocations que d’apaisement, cristallise plus de tensions qu’elle n’en résout.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Union européenne ait tant de mal à faire face aux récents développements de la pandémie de covid-19, inscrite une nouvelle fois à l’ordre du jour du Conseil européen. Sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il des inégalités, au sein même de l’Union européenne, dans les réponses sanitaires et dans l’approvisionnement en vaccins, face à la cinquième vague ? Qu’en est-il de la réponse européenne aux appels renouvelés du président de l’Afrique du Sud, qui appelle à la solidarité sanitaire plutôt qu’à la fermeture des frontières ?
Chacune des vagues – l’actuelle a pour origine un nouveau variant venu d’Afrique australe – nous rappelle notre devoir de solidarité globale. Si 54,6 % de la population mondiale a reçu au moins une dose de vaccin, cela concerne principalement les pays développés, car cette proportion n’est que de 6 % pour les habitants des pays à faibles revenus.
Le report, pour cause de risque sanitaire, de la douzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) représente un sursis accordé aux pays les plus riches – au premier rang desquels figurent les pays de l’Union européenne – pour trancher enfin en faveur de la levée des brevets. Cette solution s’impose à un point tel que le Parlement européen a adopté une résolution réclamant la levée temporaire des brevets sur les vaccins le 25 novembre dernier.
La Commission européenne et les États membres récalcitrants campent sur le principe de la licence obligatoire. Or, même avec ce type de licence, le coût d’accès à la production ne pourra pas être supporté par les pays les plus vulnérables, qui ne seront pas en mesure de financer les chaînes de production, la logistique, les rémunérations des travailleurs et les matières premières, en plus de la rémunération des brevets. Pendant ce temps, les laboratoires Pfizer, BioNTech et Moderna annoncent un bénéfice annuel avant impôts de 34 milliards d’euros, correspondant à un profit combiné de 65 000 dollars par minute. Il faut taxer les Big Pharma !
Il est possible de donner immédiatement de nouveaux moyens financiers aux pays du Sud. Je viens de déposer, avec l’appui de plusieurs membres de mon groupe, une proposition de résolution visant à réformer les modes de calcul des quotes-parts de droits de tirage spéciaux (DTS) attribués par le FMI, et à faciliter l’accès de ces pays aux droits de tirage non utilisés par les pays riches. La France pourrait soutenir cette proposition.
Enfin, de manière plus large, en Europe même, les règles et les critères de financement pour la relance d’une nouvelle vision économique doivent être bouleversés. La Banque centrale européenne (BCE) doit libérer les États de la charge des 20 % de titres de dette publique qui sont désormais en sa possession et le pacte de stabilité doit être abandonné au profit d’un pacte de financement social et écologique.
Voilà les combats que la France doit mener pendant sa présidence du Conseil de l’Union européenne ! (Mme Cécile Cukierman applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur le volet relatif aux relations extérieures inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil, et plus particulièrement sur les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, dans le contexte tendu que nous connaissons aujourd’hui. Au cours des dernières semaines, la nature de ces relations s’est révélée source de tensions à plusieurs égards, notamment au sujet de la pêche, de la question migratoire et des drames récents survenus en mer.
Notre collègue Pascal Allizard a longuement présenté le conflit actuel relatif à la pêche et concernant le Royaume-Uni, la France et l’Union européenne. Je tiens simplement à saluer l’annonce, la semaine dernière, de l’octroi, par le gouvernement de Guernesey, de 40 licences de pêche. Toutefois, qu’en est-il de la centaine de demandes restantes ? Monsieur le secrétaire d’État, que se passera-t-il si, au 10 décembre prochain, les pêcheurs français attendent toujours la délivrance d’une licence de pêche ?
En ce qui concerne la question migratoire et les frontières de l’Union européenne, je tiens à exprimer mon émotion à la suite du drame survenu à la fin du mois de novembre dans la Manche. Nous ne devons pas rester indifférents à la détresse des personnes qui se lancent, à leurs risques et périls, dans une dangereuse traversée, avec l’espoir d’une vie meilleure. Nous devons les protéger des passeurs, qui exploitent cette détresse.
Tous les États membres de l’Union sont contraints par leurs engagements européens et internationaux de lutte contre la traite des êtres humains. Le Royaume-Uni est, lui aussi, tenu par le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée « visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes », dit « protocole de Palerme ».
Tous les États doivent donc prendre leurs responsabilités. Si la France est en première ligne sur cette question, car les départs s’effectuent depuis nos côtes, il est impératif que tous les États membres s’impliquent, notamment pour contenir plus efficacement les mouvements secondaires au sein de l’espace Schengen.
La semaine dernière, nous avons appris que le Royaume-Uni avait signé une déclaration conjointe visant à renforcer la coopération avec la Belgique, en particulier dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France sur cette initiative bilatérale, à la veille de la présidence française de l’Union européenne ?
Dans le cadre du pacte européen sur la migration et l’asile, adopté en 2020 et qui a fait l’objet d’un premier rapport en septembre dernier, des mesures doivent être adoptées pour améliorer le cadre juridique de protection contre l’exploitation et des sanctions contre les passeurs, et pour mettre en place des partenariats opérationnels. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser l’avancée du processus d’adoption de ces mesures et de la révision des règlements existants ?
Par ailleurs, dans une lettre adressée au Président de la République, M. Johnson a exprimé son souhait de conclure un accord de réadmission entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, à l’instar de ce qui existe, par exemple, entre cette dernière et la Russie. Ce type d’accord prévoit une coopération avec l’État d’origine pour que les personnes y soient réadmises. Un tel accord avec le Royaume-Uni aurait pour but de faciliter le retour en France des personnes entrant sur le territoire britannique depuis le territoire français. Le ministre de l’intérieur l’a exclu et a appelé à la conclusion d’un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Lors d’une réunion à Calais le 28 novembre dernier, les autorités françaises, allemandes, belges et néerlandaises ont exprimé leur volonté de renforcer leur coopération dans la lutte contre les trafics migratoires. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter l’état des lieux des négociations entre l’Union et le Royaume-Uni ? Dans quelle mesure nos partenaires européens sont-ils mobilisés sur cette question, notamment à la suite de la réunion qui s’est tenue à Calais ?
Je conclurai mon propos avec un dernier point d’interrogation, tant les questions sont nombreuses depuis le Brexit, relatif à la politique de défense. En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni est sorti de la politique de sécurité et de défense commune et l’accord de commerce et de coopération, signé l’année dernière, ne mentionne pas ce volet.
Or le Royaume-Uni reste un membre important et actif de l’OTAN. En outre, il était un partenaire privilégié de la France en matière de défense commune européenne. Aussi, dans le contexte des tensions nées de l’alliance Aukus, il convient de s’interroger sur l’avenir des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans le cadre de la politique européenne de sécurité.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des migrations est revenue de façon brutale sur le devant la scène européenne en raison du naufrage d’une embarcation, non loin de nos côtes, qui a causé la noyade dramatique de 27 migrants. Depuis 2015, cette préoccupation n’a jamais quitté notre esprit : dans ces conditions, il est clair que, face à un phénomène durable, nous devons apporter des solutions durables.
Lampedusa en Italie, Melilla en Espagne ou Calais en France : il est dans l’intérêt de tous les États membres de coopérer et de mobiliser les moyens opérationnels adéquats. Il convient en outre de ne pas oublier les valeurs fondatrices de l’Union européenne, au premier rang desquelles figure la solidarité. Les nations qui protègent les frontières extérieures de l’Union le font – faut-il le rappeler ? – au nom de la sécurité collective. Pour cela, nous devons faire front commun et chacun des États membres doit prendre ses responsabilités.
Le ministre de l’intérieur l’a récemment déploré : des bateaux sont achetés en Allemagne, des passeurs logent aux Pays-Bas, tandis que l’argent transite par la Belgique…
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez souvent rappelé, il y a, dans cette lutte, des outils qui existent et d’autres qui sont « sur la table ». Frontex connaît, depuis quelques années, une montée en puissance, et le déploiement d’un avion missionné par cette agence pour surveiller la Manche va dans le bon sens. Il faut également encourager activement la mobilisation d’Europol afin de démanteler les réseaux de passeurs.
Toutefois, la surveillance n’est qu’un palliatif ; à mon sens, dans cette situation, la prévention demeure fondamentale. À cet égard, l’Europe doit envoyer un message politique ferme à tous ceux qui facilitent directement ou indirectement les migrations.
Je pense d’abord et surtout à l’instrumentalisation des migrants comme arme de pression politique. Le Conseil européen, lors de sa réunion des 21 et 22 octobre derniers, a condamné les attaques hybrides menées aux frontières de l’Union européenne et a déclaré vouloir y réagir en conséquence. Comment la France s’emparera-t-elle de ce sujet lors de sa prochaine présidence ? Où en sont les huit plans d’action pour les pays d’origine et de transit promis par la Commission européenne voilà quelques mois ?
Enfin, si tout doit être mis en œuvre pour éviter les drames humanitaires, l’Europe doit rester une terre d’accueil. Nous devons intégrer les migrants dans les meilleures conditions. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est ouvert aux propositions contenues dans le pacte sur la migration et l’asile et espère que les points de blocage pourront être levés rapidement.
S’il est un autre sujet qui ne connaît pas de frontières, c’est celui de la pandémie de covid-19. Une nouvelle vague approche, dont on a encore du mal à mesurer l’impact.
Que peut faire l’Europe en ce domaine ? Mieux coordonner les mesures, notamment dans les zones frontalières, et vacciner davantage, non seulement au sein de l’Union, mais également dans le monde, puisqu’il s’agit bien d’une pandémie.
Le projet de règlement du Conseil pour une gestion commune des contre-mesures médicales en cas de crise sanitaire transfrontalière est en route et c’est une bonne chose.
Plus globalement, le principal bénéfice de cette crise est l’émergence – enfin !– d’une Europe de la santé, un volet resté jusqu’à présent marginal au sein des actes fondateurs de la construction européenne. Pour sa part, le groupe du RDSE est très favorable au fait que la santé soit un véritable pilier de l’Union européenne.
Je veux souligner l’intérêt que nous aurions au fait de garantir le plus rapidement possible la souveraineté européenne en matière de production de médicaments. Notre dépendance à l’égard de pays tiers pour la production de principes actifs et de certains équipements médicaux doit être rapidement réduite. Je sais que la France soutient des projets de relocalisation industrielle dans le secteur de la santé. J’espère que ce sujet figurera parmi les chantiers de la présidence française de l’Union européenne.
Cette situation de crise pandémique qui se prolonge a des conséquences économiques, notamment des tensions sur les matières premières. Le Conseil européen se penchera à nouveau, lors de sa prochaine réunion, sur la question du prix de l’énergie.
Lors de sa dernière réunion, le Conseil européen invitait la Commission à se pencher sur le fonctionnement des marchés de l’électricité en vue d’une éventuelle adaptation du cadre réglementaire applicable. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous des pistes sur le sujet ?
Je profite de l’occasion pour souligner que ces tensions sur l’énergie pourraient s’aggraver si les États membres n’arrivaient pas à s’accorder sur les orientations de la taxonomie. La résolution européenne sur l’inclusion du nucléaire dans le règlement délégué complétant le règlement sur les investissements durables, que le Sénat vient d’adopter, rappelle l’importance de la préservation des capacités de la France à produire de l’énergie sur le fondement d’un mix énergétique comprenant le nucléaire. Certains membres de mon groupe souscrivent à ce point de vue, mais celui-ci est, certes, clivant. Il s’agit à la fois de contribuer à décarboner les sources d’énergie à long terme, mais aussi de limiter la flambée des prix qui nous préoccupe actuellement.
En marge de l’agenda de la prochaine réunion du Conseil européen, je veux évoquer une dernière question, qui n’est pas sans lien avec la précédente.
En ce qui concerne les conséquences de la pandémie de covid-19 sur l’économie, la situation est très contrastée et évolue au gré des nouvelles vagues. Toutefois, une chose est claire : les inégalités de richesses se sont accrues pendant la crise sanitaire. C’est pourquoi le groupe du RDSE considère avec attention la proposition belgo-espagnole d’un mécanisme d’alerte en cas de déséquilibre social, à l’instar de ce qui existe pour les déséquilibres macroéconomiques.
L’Union européenne doit en effet promouvoir des exigences fortes en matière de politique sociale et d’emploi. Dans cette perspective, il faut veiller à ce que les bénéfices de la relance soient équitablement partagés. Sans cela, faute de solidarité et de convergence, l’Europe échouera à construire un projet véritablement inclusif et vecteur d’espoir pour tous nos concitoyens. (M. André Gattolin applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen comportera la thématique de la gestion des crises et de la résilience.
C’est dans les épreuves que l’on mesure la solidité des organisations. Force est de le constater, ce ne sont pas les crises qui manquent et de fortes turbulences ne cessent de mettre à l’épreuve nos institutions.
Les élus littoraux, dont je fais partie, savent bien que la conjonction des vents et des marées est propice à l’érosion du trait de côte et aux catastrophes engendrées par les submersions marines. Face à ces menaces, trois stratégies sont possibles : le renforcement de nos défenses, l’adaptation ou le repli.
Le résultat du référendum britannique du 23 juin 2016 a fait l’effet d’un tsunami, dont on pouvait estimer les conséquences et s’y préparer : en effet, la procédure prévue à l’article 50 du traité sur l’Union européenne offrait du temps, avant que la vague n’arrive sur nos côtes, pour négocier et conclure un accord de retrait ainsi qu’un accord commercial et de coopération.
Considérant qu’elle avait, avec le Royaume-Uni, affaire à un partenaire de bonne foi, l’Union européenne s’est lancée dans une stratégie d’adaptation, mais cela suppose des concessions. Or force est de constater que les négociateurs n’avaient pas les mêmes arrière-pensées.
Ainsi, les Britanniques ont acquis implicitement la maîtrise du calendrier, imposant, à coups de psychodrames, leur propre tempo, jusqu’à aboutir, de report en report, à un accord de dernière minute, conclu fin décembre 2020, qui comportait de nombreuses zones d’ombre.
Le cas des licences de pêche est très emblématique. En la matière, l’accord n’est pas respecté. En février dernier, le Royaume-Uni a fixé, de façon unilatérale, de nouvelles conditions d’éligibilité à l’obtention d’une licence, notamment la preuve de l’antériorité au moyen de données de géolocalisation. Il a en outre imposé des conditions sur les espèces, sur les jours de pêche et sur les techniques utilisées, afin de restreindre l’activité de ceux qui avaient obtenu des licences.
Depuis plus de dix mois, les tergiversations se multiplient, comme l’attestent les quarante envois de données à la Commission européenne. De recul en recul, de licence provisoire en licence provisoire, les négociations s’enlisent et les sanctions annoncées à grand renfort de rodomontades ont été différées par le Président de la République en marge de la COP26, selon le principe suivant lequel ce n’est pas pendant que l’on négocie que l’on va infliger des sanctions, oubliant que les Britanniques ont inventé la négociation perpétuelle et le Brexit sans fin…
L’erreur de communication de la ministre de la mer sur les mesures compensatoires et l’activation d’un plan de sortie de flotte, qui laissait penser que le choix du repli était une option à envisager désormais, a semé la confusion et a provoqué la colère des pêcheurs, dont les nerfs sont mis à rude épreuve.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que les droits historiques et les droits issus de l’accord de retrait sont bafoués, quelle réaction forte proposez-vous d’inscrire à l’agenda européen ? À quel moment et selon quelles modalités faudra-t-il activer l’instance de règlement des différends de l’accord post-Brexit ?
La même question pourrait être posée à propos du sujet, grave, des migrations aux frontières extérieures de l’Europe, notamment à deux points de tension : la mer de Manche et la Pologne.
Il aura fallu, pour qu’une prise de conscience ait lieu, l’horreur de la mort par noyade de 27 migrants à laquelle s’est ajoutée une nouvelle provocation de Boris Johnson, qui proposait le retour sur le sol européen des migrants en situation irrégulière.
Certes, il est nécessaire de renforcer la coopération policière et les moyens de surveillance aux frontières, mais quelle politique européenne définir pour lutter efficacement contre les passeurs et contraindre la Grande-Bretagne à ouvrir davantage les voies de migration légale ?
À la frontière biélorusse, ce sont les valeurs de l’Union européenne qui sont mises en péril. La première nécessité est de venir en aide à ceux qui ont été instrumentalisés par le régime biélorusse et qui sont aujourd’hui piégés.
De même, l’utilisation d’êtres humains comme arme de guerre hybride et asymétrique doit être condamnée et les instigateurs durement sanctionnés devant une cour internationale. Les opérateurs de transport qui se sont rendus complices ou ont manqué de vigilance face à de telles pratiques doivent également faire l’objet de mesures spécifiques.
L’attitude la Pologne ne laisse pas non plus de susciter des interrogations. La solution ne passe ni par un refoulement systématique ni par l’édification d’un mur infranchissable.
L’accès aux abords de la frontière biélorusse doit être garanti aux journalistes et aux associations humanitaires, qui ont respectivement pour missions d’informer et de secourir.
La menace de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et le déploiement d’une structure d’enregistrement des demandes d’asile seraient de nature à inciter la Pologne à respecter ses obligations en la matière. Enfin, il semble inopportun que de l’argent européen puisse être mobilisé pour financer un mur de protection, symbole d’un repli frileux.
En évoquant le plan de relance européen, Thierry Breton disait que « l’Europe avance avec des crises ». Souhaitons donc que celles-ci conduisent l’Europe à grandir, en mettant en relief ses valeurs, plutôt qu’à s’abaisser, en renonçant à ce qui fait son identité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étrange moment que celui que nous vivons ce soir, à l’occasion de ce débat préalable à la prochaine réunion du Conseil européen. Si nous devions essayer de définir ce moment autrement que par son étrangeté, nous serions tentés de le caractériser comme une situation d’entre-deux, et ce à plus d’un titre.
Entre-deux, d’abord, parce que, à une semaine de ce sommet, nous ne savons guère ce que nous pouvons en attendre, tant l’ordre du jour provisoire communiqué, qui se résume à 21 mots et à 5 points thématiques des plus classiques, est particulièrement sibyllin. La transparence des réunions du Conseil, dont on évoque souvent le nécessaire renforcement, pourrait commencer par une plus meilleure information dans les documents communiqués en amont et relatifs aux sujets soumis à discussion.
Entre-deux, ensuite, alors que s’achève, après une présidence portugaise assez « proactive » et avant une présidence française qui devrait l’être au moins autant, un semestre sous présidence slovène, laquelle ne s’est illustrée – c’est un euphémisme – ni par une franche adhésion aux valeurs fondamentales de l’Union européenne ni par un véritable entrain à faire avancer les dossiers en cours. Résultat : l’adoption de certains textes majeurs, tels que les fameux projets Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), a été reportée de cette année à 2022.
Entre-deux, enfin, parce que nous nous exprimons à la veille d’une conférence de presse, au cours de laquelle le Président de la République présentera les grandes lignes de la présidence française de l’Union européenne, dont nous ignorons presque tout à ce stade. J’ai appris hier que l’Assemblée nationale organiserait un débat sur ce sujet la semaine prochaine, mais j’ai cru comprendre que ce ne serait pas le cas à la Haute Assemblée.
Pourtant, le sujet est d’importance et il suscite de nombreuses attentes, non seulement dans notre pays, mais aussi chez nos partenaires. Depuis plusieurs semaines, c’est la course à l’information ! Rien que la semaine dernière, j’ai eu deux longs entretiens avec des eurodéputés allemands, qui, connaissant sans doute mal le fonctionnement politico-institutionnel de notre pays, s’imaginaient que j’étais en mesure de leur apporter quelque éclairage. En la matière, on finit par s’habituer, en tant que parlementaire français, à être décevant. Nous verrons donc demain…
Pour autant, il me semble important de prévenir les éventuelles déceptions liées à des attentes disproportionnées au regard de ce qu’est réellement, aujourd’hui, la présidence tournante du Conseil européen. En effet, la réforme de 2007 de l’organisation du Conseil européen, entrée formellement en vigueur en 2009, a eu pour conséquence d’amoindrir singulièrement l’influence de chaque présidence. Outre l’existence, depuis douze ans, d’une véritable présidence permanente du Conseil européen, la présidence française sera également largement encadrée par le système du trio de présidences, supposé assurer une continuité entre trois présidences tournantes successives.
Les choses ont donc beaucoup changé depuis les précédentes présidences françaises du Conseil de l’Union européenne : il serait donc assez malvenu de comparer ce qui sera engagé au cours des prochains mois avec ce qui aurait pu être fait lors des PFUE passées.
La présidence qui vient devra en premier lieu faciliter l’adoption définitive d’un certain nombre de textes déjà programmés et en faire avancer d’autres, sur des sujets encore très discutés, tels que la directive relative au devoir de vigilance et à la responsabilité des entreprises.
Si l’on s’en tenait là, oui, à n’en point douter, il pourrait y avoir quelques déceptions quant à cette présidence française, mais – on oublie souvent de le mentionner, je pense notamment à ceux qui prônaient un changement du calendrier institutionnel européen en raison de l’élection présidentielle dans notre pays au printemps prochain – un report éventuel de la PFUE aurait à coup sûr été dommageable pour la portée de celle-ci.
Je m’explique : le 1er janvier prochain marquera aussi le début d’un nouveau trio de présidences et la France, en tant que pays ouvrant cette période de trio, jouera un rôle capital pour définir de nouvelles lignes directrices, non pas seulement à l’horizon de ses six mois de mandat, mais bel et bien pour les dix-huit mois à venir. Elle aura, à ce titre, plus que son mot à dire sur les chantiers à engager et à poursuivre lors des présidences tchèque et suédoise, qui suivront.
Certes, on peut s’agacer de ce calendrier et des annonces tardives des orientations de la PFUE, mais il faut avoir en tête que celles-ci devaient préalablement faire l’objet de discussions approfondies tant avec la présidence du Conseil européen qu’avec les deux pays qui nous succéderont, en 2022 et en 2023.
J’ajoute que, pour être sûrs que nos propositions puissent disposer d’un alignement favorable des planètes, au sein de la « constellation Europe », il était bon d’avoir connaissance du contrat de coalition négocié par nos amis allemands. Or c’est chose faite depuis la fin du mois de novembre et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce texte de 177 pages, contraignant pour ses parties signataires, met en lumière bien des convergences de vue entre nos deux pays sur les défis européens d’aujourd’hui et de demain, bien davantage qu’avec la précédente coalition !
L’accord stipule notamment l’objectif d’accroissement de la souveraineté stratégique de l’Union, en déterminant notre politique étrangère, de sécurité et de développement, ainsi que notre politique commerciale sur le fondement de valeurs et d’intérêts européens communs. La nouvelle coalition s’exprime en outre très clairement en faveur d’une plus grande transparence des travaux du Conseil européen, notamment en faisant en sorte que les propositions de la Commission y soient débattues publiquement. Surtout, elle annonce vouloir étendre le champ du vote à la majorité qualifiée au Conseil. C’est là un excellent présage, non seulement pour la prochaine présidence française, mais surtout pour les quatre années à venir.
Comme j’entends rester optimiste quant à l’avenir de l’Europe, je vois aussi un autre présage positif dans l’annonce, le 1er décembre dernier, par la présidente de la Commission, du projet Global Gateway, consistant en un financement, à hauteur de 300 milliards d’euros, d’infrastructures durables dans les Balkans et en Afrique, pour contrer les nouvelles routes de la soie lancées voilà plus de huit ans par la Chine.
Certes, on peut s’irriter de la dénomination d’un tel projet, d’autant que, une semaine après son annonce, la totalité des textes consacrés à cette initiative et présents sur le site de la Commission est encore exclusivement rédigée en anglais. Heureusement, la presse québécoise a déjà traduit l’intitulé de ce projet par « passerelle mondiale ». Après les autoroutes de l’information des années 1990 et les routes de la soie des années 2010, on pourrait ironiser en disant que, avec sa « passerelle », l’Union européenne des années 2020 entre dans l’ère dans mobilités douces…
On peut aussi s’interroger sur la pertinence du montant prévu et sur la faisabilité d’un tel projet au regard des exigences posées en matière de gouvernance, de transparence, de respect des valeurs démocratiques, de partenariats équitables et d’objectifs de neutralité climatique et de développement durable, mais ne faisons pas la fine bouche : c’est une initiative, certes tardive, mais qui prend enfin en compte la nouvelle donne géopolitique mondiale.
Compte tenu du moment où elle a été annoncée, j’imagine que la Commission européenne a dû consulter en amont les autorités françaises et la nouvelle majorité allemande. Monsieur le secrétaire d’État, vous qui en savez certainement plus que nous à ce sujet, pourriez-vous nous en dire davantage sur cette « passerelle » et sur la manière dont elle est perçue par notre gouvernement ? (M. Pierre Louault applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors d’un énième tour de négociation, Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, alertait sur la nature même du Brexit, en déclarant que « le plus dur, ce n’est pas la séparation, c’est la construction d’une nouvelle relation après la séparation. »
Or c’est bien une étape cruciale de cette nouvelle relation que nous vivons actuellement de part et d’autre de la Manche et, autant le dire, pour le moment, elle ne prend pas le bon chemin…
Depuis le début de l’application de l’accord du Brexit, on ne peut d’ailleurs pas dire que les Britanniques jouent franc-jeu, ce qui fait craindre bien des complications à moyen et long termes. Nous devons, nous Européens, rester fermes et solidaires.
Je dis « solidaires », car, parfois, l’Union européenne manque de voix. Sur le dossier des licences de pêche par exemple, le groupe Les Indépendants a appelé, lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement du 24 novembre dernier, à un engagement fort de la Commission européenne. N’oublions pas que c’est celle-ci qui a négocié l’accord, dont les conséquences doivent être assumées par tous.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque la problématique des relations extérieures de l’Union sera à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen et que, malheureusement, les dossiers relatifs au Royaume-Uni font désormais partie de cette rubrique, pourriez-vous nous dire, à deux jours de la date butoir que vous avez fixée, où nous en sommes des demandes de licences de pêche ? Comment ce dossier a-t-il évolué depuis quinze jours ? Quelles sont les sanctions que vous envisagez, si la réponse britannique n’est pas à la hauteur ?
Au vu des récents et tragiques événements, un autre dossier requiert la concertation et l’intervention de l’Union européenne : la crise des migrants dans la Manche.
Nous devons trouver des solutions à cette situation urgente, qui a déjà coûté la vie à trop de personnes, la liste des victimes s’étant malheureusement allongée le 24 novembre dernier. Cette situation est inadmissible !
La réunion entre les pays européens concernés par ce dossier a contribué à apporter un début de solution, notamment au travers du déploiement d’un avion de l’agence Frontex. Je salue cette volonté de travailler ensemble contre les passeurs et leurs filières : ces personnes mettent en danger la vie des gens pour de l’argent et c’est inacceptable ! Il faut que ce dossier soit plus « européanisé », puisqu’il concerne, même indirectement, tous les États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous d’aborder ce sujet lors du Conseil européen ? Le pacte européen sur la migration et l’asile est-il une priorité de la présidence française de l’Union européenne ? Enfin, selon vous, quelle forme prendront les échanges avec les Britanniques : France et Royaume-Uni discuteront-ils de manière bilatérale ou s’agira-t-il plutôt d’un dialogue entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ?
Autre sujet d’importance au programme de la réunion du Conseil européen de la semaine prochaine : les prix de l’énergie. Leur hausse, qualifiée à juste titre de flambée, concerne l’Europe dans son ensemble ; la réaction doit donc permettre d’y faire face et être à la mesure des attentes de l’ensemble des Européens.
La Commission avait mis en place une boîte à outils, dont l’objectif était de contrer cette augmentation rapide des tarifs et de permettre aux États de réagir vite, mais cette réponse est de très court terme et les intérêts des pays européens sont assez divergents, particulièrement en ce qui concerne la révision du marché intérieur de l’énergie. C’est en tout cas ce qu’a révélé, sans grande surprise, le Conseil Énergie lors de sa réunion d’octobre dernier.
Quelle position la France défendra-t-elle au sein du Conseil lorsqu’il sera question de la nécessaire mise en œuvre de nouvelles mesures réglementaires en fonction des solutions potentiellement identifiées ?
Dans ce cadre énergétique, il me semble qu’il serait également pertinent d’aborder le dossier de la taxonomie verte pour une finance durable et la nécessité d’y inclure l’énergie nucléaire. Notre transition et notre neutralité carbone passeront par le nucléaire. Au-delà des sujets qui seront à l’ordre du jour de la réunion du Conseil, où en est ce dossier ? Une fois de plus, il est probable que les débats sur ce point déborderont sur les problématiques examinées lors de la présidence française de l’Union européenne. Quels sont les scénarios sur la table ?
Dernier point que je souhaite aborder concernant la future présidence française, avant d’évoquer le dernier sujet important de la prochaine réunion du Conseil européen : le harcèlement en ligne. Je connais l’engagement de ce gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, face à ce fléau. Je suis également avec grand intérêt les dernières évolutions relatives aux textes DMA et DSA. Comment entendez-vous mettre en avant la problématique du harcèlement en ligne lors des six prochains mois ?
Je termine par le premier sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen, à savoir la gestion de la pandémie de covid-19.
La cinquième vague a submergé les États membres de l’Union européenne, où les courbes de contaminations montent en flèche. Alors que, dans de nombreux pays, la vaccination est le sujet majeur, où en sommes-nous des négociations autour de la construction d’une Union de la santé ?
Face à l’apparition de nouveaux variants, que pouvez-vous nous dire de l’indispensable actualisation de nos vaccins, pour les rendre plus efficaces contre les nouvelles formes du virus ?
L’Agence européenne des médicaments, l’EMA, a récemment approuvé plusieurs traitements contre la covid-19, et devrait encore rendre un certain nombre d’avis prochainement. Un déploiement de ces traitements au sein de l’Union européenne, sur le modèle des vaccins, est-il prévu ? (Mme Véronique Guillotin et M. Pierre Louault applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement se pencheront sur la préparation du sixième sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Il s’agira d’un rendez-vous important, notamment pour progresser sur la voie d’un partenariat économique renouvelé, à la fois plus robuste et plus équilibré.
En effet, un changement de paradigme est désormais nécessaire pour dépasser la seule logique de l’aide au développement et favoriser les investissements, en particulier dans les compétences, la croissance des entreprises et, plus largement, la transformation déjà amorcée des économies africaines.
Ce sommet sera également l’occasion d’aborder la crise sanitaire. En tant que président du groupe sénatorial d’amitié France-Afrique de l’Ouest, j’ai pu constater, lors d’un récent déplacement au Bénin et au Togo, que, si l’Afrique demeure relativement épargnée par rapport à d’autres régions du monde, la covid-19 y a néanmoins des répercussions fortes, qui font peser de nombreuses incertitudes sur sa stabilité et sa prospérité.
Or, pas plus en Afrique qu’en Europe, il n’existe de solution miracle et la vaccination massive demeure le moyen le plus sûr de vaincre le virus.
Dans cette optique, la Commission européenne et les États membres se sont mobilisés pour conforter la réponse africaine à la crise. Un nouvel appui financier d’au moins 1 milliard d’euros a ainsi été annoncé au mois de mai dernier pour soutenir le développement des capacités sanitaires africaines, la fabrication locale de vaccins et la planification logistique des campagnes de déploiement.
Par ailleurs, dans le cadre de l’initiative Covax, 700 millions de vaccins ont été promis d’ici au milieu de l’année prochaine aux pays à revenu faible ou intermédiaire. Néanmoins, seules 100 millions de doses ont été fournies à ce jour. Il nous faut donc intensifier nos efforts. Le défi est considérable puisque, aujourd’hui, la proportion de la population africaine vaccinée reste extrêmement faible et s’établit, à de rares exceptions près, bien en deçà de 10 %.
Réduire cette fracture vaccinale croissante est une obligation morale, mais ne perdons pas de vue que cette solidarité va aussi dans le sens de notre propre intérêt, puisque nous voyons bien, avec le variant omicron, qui est apparu en Afrique du Sud et qui gagne désormais nos latitudes, que, tant que l’humanité entière ne sera pas aussi bien protégée que possible, notre continent demeurera lui aussi vulnérable.
Autre sujet pour lequel une coopération euro-africaine plus étroite et plus efficace est incontournable : la gestion des flux migratoires, sujet qui sera également au cœur des discussions du prochain sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine. Ce dernier devra notamment permettre de progresser en vue de l’élaboration d’un cadre commun pour la migration et la mobilité, qui comprendra lui-même des programmes de retour, de réadmission et de réintégration.
Je souhaite insister sur cet aspect, car la mise en œuvre de retours efficaces est une composante fondamentale de la crédibilité d’une politique migratoire européenne, qui a par ailleurs toutes les peines du monde à voir le jour.
Or les résultats en la matière, sévèrement épinglés par la Cour des comptes européenne, sont – il faut le dire – catastrophiques. À peine 29 % des personnes qui se voient délivrer chaque année l’ordre de quitter le territoire de l’Union regagnent effectivement leur pays ; cette proportion tombe même à 19 % si l’on exclut du calcul les ressortissants des Balkans occidentaux. Le signal envoyé est délétère…
Une fermeté accrue dans notre dialogue avec les pays d’origine est donc indispensable. Cela étant, dans ce contexte, une voie encore peu empruntée mériterait de l’être davantage : celle des retours volontaires. En effet, les retours sont plus efficaces et moins coûteux quand ils peuvent se dérouler sur une base volontaire et s’accompagner de véritables chances de réintégration.
Pour des raisons évidentes, cette option ne pourra pas concerner tous les migrants éloignés. Néanmoins, on pourrait y avoir recours plus largement. À cet égard, la stratégie présentée par la Commission européenne en avril dernier, qui charge notamment Frontex d’assister les États membres dans le développement de l’aide au retour volontaire, est une bonne base de départ.
Toutefois, si les initiatives envisagées vont dans le bon sens, le programme européen reste flou concernant la prise en charge financière de l’aide au retour et, surtout, les incitations concrètes, financières ou non, qui pourraient encourager les pays d’origine à s’engager véritablement dans un processus de réadmission et de réintégration.
Plusieurs options sont actuellement étudiées, mais il faudra, en tout état de cause, avancer avec nos partenaires africains sur ce dossier, si nous voulons une politique européenne de retour enfin efficace et durable.
Pour conclure, je souhaite aborder un dernier axe majeur du prochain sommet Europe-Afrique, à savoir l’indispensable coopération sécuritaire, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Avec les opérations Serval puis Barkhane, la France est en première ligne de ce combat depuis maintenant près de neuf ans. Elle est en première ligne, mais surtout bien seule et, de surcroît, en butte à une défiance croissante des populations locales, parfois instrumentalisées par tous ceux qui ont un intérêt à l’effacement de la France dans cette région.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
M. André Reichardt. La prise en charge de la lutte contre les groupes djihadistes par les pays de la bande sahélo-saharienne reste, malgré les efforts de ces pays et la formation du G5 Sahel, bien en deçà de ce qui serait nécessaire.
Quant au groupement européen de forces spéciales Takuba, il a certes le mérite d’exister, mais ses effectifs demeurent bien trop limités pour produire des effets opérationnels significatifs. Avec la refonte du dispositif militaire français, la task force est appelée à tenir un rôle plus important. Il est indispensable que cette montée en puissance se confirme et que davantage de pays européens y contribuent à la fois en hommes et en matériel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors d’un précédent débat, voilà quelques semaines, je vous présentais les propositions que ma collègue Florence Blatrix Contat et moi-même avions élaborées pour améliorer le DMA, au terme d’un travail qui nous avait été confié par la commission des affaires européennes.
Certes, la stratégie numérique de l’Union européenne n’est pas, à proprement parler, inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil, mais je veux tout de même profiter de l’occasion pour revenir sur cette question à quelques semaines de la PFUE.
Monsieur le secrétaire d’État, sachez que la proposition de résolution européenne sur le DMA que nous avions déposée en octobre dernier est devenue résolution du Sénat le 12 novembre dernier. Sachez aussi que, pas plus tard que cet après-midi, la commission des affaires européennes a adopté une nouvelle proposition de résolution européenne, relative cette fois-ci au DSA.
Je veux rappeler à quel point il est urgent d’agir malgré les progrès technologiques considérables accomplis ces vingt dernières années. En effet, les plateformes numériques n’ont pas démontré leur capacité – ni, surtout, leur volonté – de trouver des solutions permettant de résoudre les graves dysfonctionnements qui les caractérisent désormais. En réalité, elles ont même démontré tout le contraire, comme l’ont bien mis en évidence les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, que nous avons entendue en audition au Sénat, le 10 novembre dernier.
Les projets de règlement DSA et DMA constituent sans conteste une avancée. Je pense en particulier au montant des amendes qui pourront être infligées aux opérateurs en cas d’infraction au règlement européen, qui pourra atteindre jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires. Nous espérons que cette disposition sera dissuasive.
Toutefois, au-delà des déclarations, nous devons nous donner les moyens de faire respecter le futur règlement européen. Au vu des dysfonctionnements du mécanisme des autorités chefs de file, prévu par le règlement général sur la protection des données (RGPD), et du manque d’empressement de certaines autorités nationales à le mettre en œuvre, nous sommes favorables à ce que la Commission dispose d’une compétence exclusive concernant ces très grandes plateformes, comme le prévoit du reste le dernier compromis obtenu au Conseil, sur l’initiative de la France.
Il faudra aussi s’assurer que la Commission dispose des moyens humains et techniques suffisants pour exercer ces nouvelles missions.
Enfin, les autorités nationales de régulation – y compris celles des pays de destination –, qui ont des compétences sectorielles et une bonne connaissance de l’écosystème numérique local, doivent elles-mêmes être dotées de moyens suffisants et être mieux associées au travail d’enquête et de contrôle de la Commission.
Surtout, monsieur le secrétaire d’État, il faut que les plateformes cessent d’être des « boîtes noires ». (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Le DSA prévoit d’importantes avancées en matière d’accès aux données à la fois pour les autorités de régulation et les chercheurs, mais les critères et les modalités d’accès doivent absolument être élargis, pour faciliter la participation de chercheurs indépendants et la détection et l’évaluation de tous les types de risques, selon des protocoles établis par les chercheurs et les régulateurs, et non par les plateformes elles-mêmes.
Ces dernières ne devraient pas non plus pouvoir opposer le secret des affaires aux autorités de régulation et aux chercheurs agréés par ces autorités. En effet, bien qu’étant des acteurs privés, ces grandes plateformes sont devenues des quasi-infrastructures publiques, ce qui justifierait de nouveaux modes de régulation, adaptés aux caractéristiques propres à l’espace en ligne.
L’espace en ligne n’est pas identique à l’espace public dans le monde réel, car il est déformé par l’amplification algorithmique. La lutte contre les propos illicites devrait donc s’accompagner de mesures visant à lutter spécifiquement contre leur viralité. En d’autres termes, il faut encadrer les modalités de diffusion, le « freedom of reach », comme disent les Anglo-Saxons, plutôt que les contenus eux-mêmes, le « freedom of speech ». Surtout, ne nous laissons pas enfermer dans le piège qui consiste à dire qu’il faut s’attaquer aux contenus, et ce au détriment de la liberté d’expression.
En sélectionnant et en classant les contenus, en en déterminant la présentation et en augmentant la visibilité de certains d’entre eux au détriment d’autres, les plateformes, par le biais des algorithmes, jouent bien un rôle actif. J’appelle donc une nouvelle fois à une véritable réforme du régime européen de responsabilité des hébergeurs, afin de prendre en compte ce paramètre. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat l’avait appelé de ses vœux dans sa résolution européenne du 30 novembre 2018 sur la responsabilisation partielle des hébergeurs de contenus numériques.
De ce point de vue, le DSA manque cruellement d’ambition. Or il faut avoir conscience que la réglementation numérique ne sera sans doute pas refondue avant de longues années. En conséquence, il nous faut dès à présent réfléchir à un règlement robuste face aux évolutions prévisibles des technologies et aux nouveaux services numériques.
Il faudra par ailleurs, si le DSA ne comporte aucune mesure en ce sens, que la future législation européenne sur l’intelligence artificielle prévoie des dispositions fortes en matière de sécurité et d’éthique pour réguler les algorithmes des plateformes, et ce dès leur conception ; c’est ce que j’appelle le legacy et le safety by design. Les algorithmes de l’intelligence artificielle devraient également faire régulièrement l’objet d’un audit par des tiers.
Monsieur le secrétaire d’État, nous observons une prise de conscience à l’échelle mondiale de la nécessité de réformer le régime de responsabilité des plateformes. Même aux États-Unis, après des années de laisser-faire, on envisage sérieusement de restreindre le champ d’application de la fameuse section 230 du Communications Decency Act.
Dans ce contexte, il est primordial que l’Europe légifère la première, selon ses valeurs et ses principes, pour fixer un « étalon-or » mondial, selon l’expression de France Haugen devant le Parlement européen. Ainsi, nous serons capables d’inspirer d’autres pays.
Même si les trilogues qui devraient être lancés en janvier s’annoncent difficiles, nous espérons toujours que le DSA sera adopté lors de la présidence française de l’Union européenne.
Je souhaite maintenant évoquer un second sujet, celui de la nécessaire politique industrielle qui doit accompagner l’évolution de la réglementation.
Je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur les récentes décisions qui nous ont conduits à renoncer au cloud souverain au profit du cloud dit « de confiance », lequel incite nos entreprises et nos administrations à contractualiser avec les Gafam, au motif qu’il n’y aurait pas d’entreprises françaises ou européennes capables de gérer et de traiter nos données. À ce stade, il s’agit, me semble-t-il, d’une aberration stratégique.
Par ailleurs, je m’interroge également sur ce que j’appelle le « fiasco du projet Gaïa-X ». N’est-il pas temps de débrancher ce programme qui, au dire des industriels français qui y participaient, est aujourd’hui gangréné de l’intérieur par les Gafam ? En effet, la participation des géants américains et, maintenant, de Huawei, donc des Chinois, rend complètement illisible cette initiative, qui devait reposer à l’origine sur le développement des technologies européennes. Nous vivons cet échec comme une espèce d’abdication technologique.
Je tenais donc vraiment à vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur deux dossiers qui me semblent tout à fait essentiels et stratégiques, à un moment où l’Europe est justement en train de légiférer et, en tout cas, de réfléchir à de nouveaux règlements européens.
Mme le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il espérer que l’Union européenne soit le cadre cohérent et adapté pour garantir notre souveraineté collective et une autonomie stratégique réelle, particulièrement dans les domaines clefs qui vont contribuer à la prospérité de nos peuples ?
Mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et moi-même considérons que tel doit être le véritable enjeu de la prochaine réunion du Conseil européen.
Alors que nous nous trouvons, en France comme en Europe, en pleine cinquième vague pandémique, après un an et demi d’apprentissage et d’enseignements, nous devons nous interroger sur les limites et les insuffisances des États membres et de l’Union européenne dans le domaine de la santé.
Où en est la relocalisation promise de la production de médicaments stratégiques ? Où en est la recherche européenne, notamment pour ce qui concerne les vaccins, dans le cadre de la future agence HERA ? Alors que la présidente de la Commission européenne l’a évoqué et que certains pays s’engagent dans cette voie, n’est-ce pas le moment de débattre de l’obligation vaccinale en Europe, même si j’ai bien conscience qu’il s’agit d’une prérogative nationale ?
Enfin, comme Jacques Fernique, je me demande comment nous pourrions rendre enfin possible l’accès au vaccin pour tous dans le monde. L’un de nos collègues vient de nous expliquer que 700 millions de doses avaient été promises, mais, pour moi, le vaccin est un bien public et les brevets doivent être levés. Le cadre européen est sans aucun doute un cadre pertinent de réponse et d’action, à condition de s’en donner les moyens.
Autre sujet, il y a urgence à ce que l’industrie et l’économie européennes s’inscrivent dans les échanges économiques et commerciaux de demain.
Dans le numérique, un secteur d’avenir, tous les États membres et l’Union européenne sont en retard sur leurs principaux concurrents nord-américains, chinois, mais également israéliens et indiens. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la question de la mise en œuvre d’un cloud français ou européen est emblématique. Ce service a désormais vocation à être non plus « souverain », mais simplement digne « de confiance », ce que l’on peut regretter.
Comme l’a mentionné ma collègue Catherine Morin-Desailly, le retrait de Scaleway du projet Gaïa-X n’est pas un épiphénomène : il nous éloigne de la perspective d’un véritable cloud européen et d’une maîtrise européenne de ces technologies. C’est là tout le problème, d’autant que ces techniques, qui sont, nous le savons, duales – à usage à la fois civil et militaire –, sont essentielles. Comment parler de « boussole stratégique européenne » quand on a des technologies dont on n’est pas sûr ?
Ce que je dis pour la défense vaut du reste pour la santé, l’éducation et les affaires intérieures.
De ce point de vue, comme ma collègue Catherine Morin-Desailly et moi-même l’avons indiqué dans nos différentes propositions de résolution, il faut renforcer l’encadrement et la régulation des grandes plateformes numériques, dans le cadre des projets DMA et DSA, actuellement à l’étude. Il faut aussi aider à la mise en place de filières industrielles performantes dans ce secteur en Europe, de sorte à être compétitifs sur les marchés extérieurs.
Cela suppose une stratégie d’ensemble et la désignation d’un chef d’orchestre. Il existe, au sein des différents États membres, des entreprises en mesure de fournir les éléments, les « briques », d’une telle stratégie, mais encore faut-il les mettre en cohérence et les lier entre elles.
Il existe aussi un problème de réciprocité dans l’accès aux différents marchés. Permettre aux acteurs nord-américains ou chinois d’entrer sur le marché européen suppose, en retour, un égal accès à leurs marchés. Il faut y travailler.
Enfin se pose la question du financement des jeunes pousses françaises et européennes.
L’Union européenne doit non pas se perdre dans les combats d’hier, mais affronter le monde d’aujourd’hui et préparer celui de demain.
Protéger nos concitoyens par le biais d’un plan Schuman de la santé et bâtir l’avenir via un plan Monnet pour le numérique, voilà un beau programme pour la future présidence française de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne s’est fixé pour objectif de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050, dans le cadre de la loi européenne sur le climat.
Les objectifs inscrits dans le volet énergie du paquet climat sont particulièrement exigeants pour les États membres, quels que soient les efforts déjà accomplis pour réaliser la transition énergétique.
Qu’on en juge : cette transition énergétique suppose de multiplier par deux la production d’électricité à l’échelle du continent ; c’est le défi industriel des prochaines décennies.
Or la flambée des prix des énergies démontre aujourd’hui la nécessité de sortir de notre dépendance par rapport aux énergies fossiles et importées. C’est une urgence, dans le domaine tant climatique qu’économique. Il s’agit aussi d’une exigence pour notre transition et notre souveraineté énergétiques.
Cette flambée révèle les limites du marché européen de l’énergie. L’indexation des prix de marché de l’électricité sur ceux du gaz, l’extinction des tarifs réglementés pour le gaz ou l’introduction des contrats dynamiques pour l’électricité, prévues par le droit européen, ont d’importantes répercussions pour les consommateurs.
Nous attendons du Gouvernement qu’il promeuve une véritable régulation à l’échelon européen, au-delà des déclarations d’intention.
Cette flambée révèle aussi les divergences entre États membres. Contrairement à l’Espagne ou à l’Allemagne, la France n’a pas fait le choix d’une baisse massive de la fiscalité énergétique, alors qu’elle en est le champion européen. Nous demandons au Gouvernement de corriger cette divergence fiscale, dont la France est seule responsable.
Au-delà de cette conjoncture, l’Union européenne doit favoriser les énergies décarbonées sur son territoire. Pour ce faire, elle doit respecter la souveraineté des États membres, seuls compétents pour choisir leur bouquet énergétique selon le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ceux-ci doivent ainsi pouvoir, librement et résolument, définir leurs stratégies industrielles et mobiliser les investissements nécessaires.
À cet égard, l’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie européenne sur les investissements durables est absolument cruciale.
À l’heure où la France et bien d’autres pays européens font part de leurs intentions d’investir dans le nucléaire, il est impératif de garantir à cette énergie une neutralité technologique, car elle permet de produire une électricité stable, compétitive et peu émettrice de carbone, avec un strict contrôle de la sûreté des installations et de la gestion des déchets.
Pour garantir cette neutralité, la production d’électricité nucléaire doit être assimilée non pas à une activité transitoire, voire habilitante, comme pourrait l’être le gaz naturel, mais bien à une activité durable, comme toutes les autres sources d’énergie décarbonée.
Convaincu de cette nécessité, le Sénat, sur l’initiative des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, vient d’adopter une résolution en ce sens.
Nous croyons qu’il est fondamental d’intégrer l’énergie nucléaire dans la taxonomie, en reconnaissant la production d’électricité d’origine nucléaire comme une activité durable et en la soumettant aux mêmes obligations en matière d’information que toutes les autres énergies durables. Pas plus, pas moins !
Il est tout aussi crucial que la taxonomie évite toute distorsion de concurrence entre l’hydrogène nucléaire et l’hydrogène issue des énergies renouvelables.
Enfin, la question du calendrier est importante. Nous souhaitons que l’acte délégué attendu soit pris avant la fin de l’année, de sorte qu’il entre en vigueur en même temps que les autres dispositions de la taxonomie.
Ce sont ces lignes rouges, fixées par le Sénat dans sa résolution, que nous vous proposons de faire vôtres, monsieur le secrétaire d’État.
Parvenir à introduire l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte avant le début de la présidence française de l’Union européenne constituerait un signal politique majeur.
Cette décision aurait des effets économiques immédiats et une incidence sur les choix énergétiques des États membres. Elle rétablirait un certain équilibre au sein du couple franco-allemand, qui diverge aujourd’hui sur les choix stratégiques à prendre, ce qui a des conséquences très importantes sur le coût de l’énergie et la compétitivité de nos entreprises. Il serait en effet inenvisageable que l’Allemagne obtienne satisfaction sur le gaz naturel et pas la France sur l’énergie nucléaire !
Au regard du coût que représenterait la construction de six nouveaux réacteurs, qui s’élèverait à au moins 46 milliards d’euros selon EDF, les conditions de financement de l’énergie nucléaire auront un impact sur la compétitivité et le coût de la production d’électricité française.
En répondant à la flambée des prix et en enrichissant la taxonomie, notre production d’électricité nucléaire pourra ainsi être pleinement mobilisée et nous aider à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat de 2015 et par la loi Énergie-climat de 2019. Cet engagement est fondamental, car la décarbonation de notre économie est tout autant une obligation juridique qu’une exigence morale ! Ces sujets sont stratégiques pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour ma part, j’aurai deux questions à formuler.
La première porte sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Je souhaiterais que vous précisiez, monsieur le secrétaire d’État, ce que le Gouvernement et vous en attendez. Quel est votre investissement en la matière ?
Je figure parmi les quatre parlementaires qui y siègent et je suis membre du groupe de travail sur l’Union européenne dans le monde, que vous présidez, et je m’inquiète, car je trouve l’organisation de cette conférence fort décevante. Je ne voudrais pas que, pour nos concitoyens, celle-ci ne représente in fine qu’un marché de dupes.
Cette conférence, lancée le 9 mai dernier, devait être l’occasion unique de débattre des priorités et des défis auxquels l’Europe est confrontée. L’objectif est de mieux donner aux Européens de tous horizons la possibilité de s’exprimer, afin que leurs attentes influent sur la direction et l’élaboration des futures politiques de l’Union européenne. En théorie… parce que la réalité est tout autre ! Pour grand nombre de nos compatriotes, c’est une Arlésienne ; et pour cause : aucune promotion de cette conférence n’est faite auprès d’eux.
Pourtant, les espaces publicitaires ne manquent pas. Nous ne pouvons allumer la radio ou la télévision sans entendre ou voir une campagne publicitaire du Gouvernement faisant la promotion du plan de relance ou de l’entrepreneuriat français.
Alors, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi ne pas avoir encouragé les Français à se saisir de cet espace d’expression, à se prêter à cet exercice de démocratie participative, quelques semaines avant la présidence française de l’Union européenne ? Je ne vous parle pas des panels nationaux ou des contributions du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; je vous parle de tous nos concitoyens !
Ma seconde question porte sur les conséquences, pour la défense européenne, du contrat de coalition du futur gouvernement allemand. La lecture de ce document nous confirme la vision atlantiste et circonspecte du gouvernement allemand à l’égard du développement de la défense européenne.
J’en veux pour preuves : la souveraineté stratégique européenne qui n’intègre pas la question de la défense, le privilège donné à la coopération entre armées nationales et non à une armée européenne, la promotion des stratégies de sortie de conflit et des interventions à titre civil, le choix assumé du passage à la majorité qualifiée pour les décisions du Conseil et, enfin, l’intérêt affirmé pour des relations privilégiées avec les États-Unis dans le cadre d’un agenda renforcé.
Ce n’est pas une surprise, mais c’est particulièrement décevant, voire extrêmement énervant, notamment après les crises que nous venons de traverser.
Nous avons de quoi être très pessimistes, monsieur le secrétaire d’État. Que va devenir le système de combat aérien du futur, le fameux SCAF, aujourd’hui au point mort ? N’était-ce pas une erreur de se concentrer sur la relation franco-allemande, d’écarter l’Italie du SCAF et de laisser l’Espagne se tourner vers les F-35 ?
Plus largement, monsieur le secrétaire d’État, que va devenir la défense européenne ? C’est bien de se présenter comme un leader européen, c’est pratique d’instrumentaliser la présidence de l’Union européenne à des fins politiques, mais ce revers qui approche n’est rien d’autre que le fruit de ce qui a été semé.
C’est fort dommageable, car les attentes sont fortes. Oui, la défense aurait pu être un beau projet européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les années passent, les problèmes demeurent ! Crise migratoire, tensions dans l’est de l’Europe, inquiétude vis-à-vis de la Chine, suite du Brexit, difficultés dans le secteur de l’énergie : les dossiers s’accumulent pour la présidence française de l’Union européenne, qui se déroulera, cela a été dit, dans un double contexte de l’élection présidentielle et législatives en France et sans doute encore, malheureusement, de pandémie.
En matière migratoire, personne ne souhaite revivre les terribles années 2015 et 2016. Pourtant, la situation se dégrade sur les frontières orientales de l’Europe ; l’Italie est également sous pression.
Dans la zone Manche-mer du Nord, une hausse des traversées est constatée depuis plusieurs mois et le préfet maritime vient de faire part d’une nouvelle accélération, en novembre, dans un secteur très dangereux. La tragédie qui s’est déroulée au large de Calais illustre les risques mortels courus par les migrants. Certaines communes, de la côte normande aux rivages des Hauts-de-France, sont en première ligne et subissent les désagréments d’un contexte qui dure depuis plusieurs années.
Le Royaume-Uni conserve son pouvoir d’attraction. Quand cela l’arrange, il s’accommode des migrants, qui fournissent des travailleurs à bas coût. Dans le même temps, il se prémunit à sa manière contre les flux migratoires. La France n’est en définitive qu’un filtre ou une zone tampon.
Au même moment, les Britanniques traînent opportunément des pieds, si je puis dire, dans l’application des accords sur la pêche. Je ne développerai pas plus longuement ce point, déjà largement évoqué. Cela étant, les plans de sortie de flotte qui se préparent constituent en fait le financement d’une mise à la casse de l’outil de travail des pêcheurs ; parfois, cela concerne des navires neufs.
Monsieur le secrétaire d’État, comment redonner confiance en l’Europe lorsque les citoyens ont le sentiment que celle-ci se fait duper sans réaction appropriée ? Nos voisins anglais, on les aime bien, mais on sait aussi qu’ils sont habiles en négociation et habitués aux rapports de force. Il faut accroître, je crois, la pression sur les questions migratoires et la pêche, car chacun constate qu’ils gagnent du temps et suivent en fait un programme de politique intérieure.
Sur le volet migratoire, je note que beaucoup, par bienveillance, ne perçoivent le sujet que du seul point de vue humanitaire. C’est absolument respectable, mais l’aspect sécuritaire et désormais stratégique des questions migratoires ne peut être tenu pour secondaire.
Les pays instrumentalisent les migrants, provoquent le chaos aux frontières pour fragiliser les États membres et l’Union européenne. C’est un moyen, parmi d’autres, de la guerre hybride.
Cela contribue par ailleurs à l’emprise d’organisations criminelles vivant de ce honteux trafic d’êtres humains, qui, jusqu’à présent, ne semblent pas avoir été suffisamment dissuadées par les mesures prises.
Cette situation conduit à saper les efforts d’accueil et d’intégration des États membres. Elle fait le lit du communautarisme, puis du séparatisme et renforce le contrôle desdites communautés depuis l’étranger. En réaction, et c’est malheureux, le populisme et la radicalité gagnent du terrain. Il nous faut, monsieur le secrétaire d’État, briser ce cycle infernal.
En matière écologique, l’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux, notamment celui de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050. Pour la France, ce verdissement ne doit pas conduire à affaiblir la filière du nucléaire et l’industrie de la défense, les deux étant liés par la dissuasion. Un lobbying soutenu s’exerce en ce sens à Bruxelles. Il n’aura d’autre effet, à terme, que de faire fuir les investisseurs de ces secteurs. Or les banques sont déjà prudentes en raison des règles dites de compliance et de l’activisme des organisations non gouvernementales (ONG). Enfin, des fonds d’investissement internationaux commencent aussi à se désengager de ces activités, qu’ils estiment non durables ou non éthiques.
Les récentes tensions sur les marchés de l’énergie, les menaces proférées par les Biélorusses de couper le robinet du gaz et les désordres géopolitiques illustrent nos fragilités alors que, au contraire, il est nécessaire de préserver ces activités fondamentales pour notre sécurité et notre souveraineté énergétique.
Mes chers collègues, je veux terminer par un mot sur la Birmanie ; cela nous éloigne un peu des questions européennes, mais c’est tout de même un véritable sujet.
L’Union européenne avait condamné le coup d’État militaire et pris plusieurs séries de sanctions contre la junte et ses intérêts, mais la situation ne semble guère s’améliorer. Il existe un risque de normalisation de la junte ou de glissement vers une guerre civile. Devant le Sénat, le ministre du commerce extérieur avait indiqué qu’aucune piste n’était écartée, y compris la suspension du régime européen « Tout sauf les armes ». Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, l’Europe entend-elle renforcer la pression sur le régime birman ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 1er janvier 2022, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Je regrette que cette présidence tournante, nous revenant tous les quatorze ans, tombe en plein milieu d’une actualité nationale forte, à savoir les élections présidentielles. Ce télescopage des calendriers ne me semble pertinent ni pour la France ni pour l’Union européenne.
Par ailleurs, au printemps 2022 s’achèvera aussi la Conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée le 9 mai 2021 par le Président de la République. Cette conférence se présente comme un exercice de démocratie participative, à l’image du grand débat national en France, dont on a vu, d’ailleurs, les limites. Son objectif est de donner aux citoyens des 27 États membres la possibilité d’exprimer ce qu’ils attendent de l’Union européenne.
Je dois dire que nous avons très peu entendu parler de cette campagne en France ; cette consultation semble susciter le désintérêt de nos concitoyens, malgré l’implication forte du Sénat et de sa commission des affaires européennes, qui en a fait la publicité, ainsi que du réseau des « maisons de l’Europe », notamment de celle du département dont je suis élu.
Il est infiniment louable de vouloir recréer du lien entre les institutions et les citoyens européens, mais la confiance dans les institutions démocratiques ne peut être regagnée uniquement par des consultations. Il faut une Europe des solutions pour nos concitoyens, une Europe du concret.
En début de semaine, monsieur le secrétaire d’État, j’ai reçu dans ma permanence un jeune couple franco-belge, qui m’a raconté ses mésaventures et les procédures kafkaïennes auxquelles il a été confronté. Bien qu’elle possède une carte européenne de sécurité sociale, la jeune mère de famille belge ayant rejoint son conjoint français estime ce document inutile. Elle veut accéder à une activité professionnelle, mais la caisse primaire d’assurance maladie refuse de lui octroyer un numéro de sécurité sociale et, faute d’un tel numéro, Pôle emploi ne peut pas procéder à son inscription.
Ces jeunes gens, attachés à la construction européenne, se retrouvent donc en plein désarroi, ils sont déçus par cette Europe-là. C’est pourquoi il nous faut trouver des solutions concrètes. Les institutions européennes, les parlements nationaux et les gouvernements ont la responsabilité de préserver l’ordre européen, afin que l’Europe soit véritablement un espace de liberté, de mobilité, de sécurité, de justice et de solidarité.
Je crains également que la Conférence sur l’avenir de l’Europe accouche de propositions présumées légitimes qui pourraient être utilisées à des fins politiques au printemps prochain. La présidence française compte effectivement sur les résultats de cette consultation, ainsi que sur les débats citoyens organisés à l’échelon régional, pour éclairer ses priorités politiques.
Dans ce cadre précis, une restitution des panels de citoyens s’est tenue au CESE, à Paris, du 15 au 17 octobre dernier. Vous avez affirmé, monsieur le secrétaire d’État, que trois sujets ressortaient des débats : la question sociale – plus de droits sociaux en Europe –, la question des valeurs – protéger le droit des femmes, le droit à l’avortement, la liberté de la presse ou encore l’indépendance de la justice – et la puissance de l’Europe.
Vous savez combien la question des valeurs est sensible et importante. L’Union européenne vit aujourd’hui un moment critique, mais la crise de la covid-19 l’a renforcée ; je pense par exemple à la gestion mutualisée du vaccin ou à la reprise économique rendue possible grâce au soutien du plan de relance européen.
Parallèlement, une prise de conscience a eu lieu et les initiatives se multiplient pour réindustrialiser, relocaliser, accélérer la transition écologique, décarboner notre économie, réduire notre dépendance par rapport aux États-Unis d’un côté et à la Chine de l’autre, avancer sur un cloud européen – une nécessité absolue – et renforcer la sécurité du continent.
Je suis européen et je crois en l’Europe des projets, mais on voit bien qu’il existe une fracture culturelle, avec, à l’ouest, un libéralisme décomplexé et, à l’est, un conservatisme qui s’oppose chaque fois plus au progressisme des sociétés occidentales et qui se braque dès que les institutions communautaires souhaitent inscrire, par exemple, l’avortement ou la non-discrimination sexuelle au rang des « droits inviolables » ou de la « protection des minorités ».
C’est, semble-t-il, votre intention, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous avez affirmé souhaiter que le droit à l’avortement soit intégré à notre socle de droits fondamentaux. Pouvez-vous nous le confirmer ?
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été proclamée lors du Conseil européen de Nice, le 7 décembre 2000. Elle comporte 54 articles consacrant les droits fondamentaux des personnes au sein de l’Union européenne, articles qui sont répartis entre les six valeurs constituant le socle de la construction européenne : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice.
L’Union européenne est unie dans la diversité, mais il semble indispensable que l’Europe réaffirme les valeurs qui fondent sa civilisation face au reste du monde.
Le Gouvernement s’est fortement impliqué sur la question du respect des droits dans certains pays de l’Union européenne.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guillaume Chevrollier. En ferez-vous l’une de vos priorités pour la présidence française de l’Union, monsieur le secrétaire d’État ? Pourriez-vous expliciter les droits que vous souhaitez voir respecter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen fera le point sur les travaux visant à renforcer notre préparation, notre capacité de réaction ainsi que notre résilience collective face aux crises à venir, et à protéger le fonctionnement du marché intérieur.
La réponse apportée par l’Union européenne à la pandémie a démontré sa valeur ajoutée, par exemple avec les résultats positifs concernant la production, l’acquisition et la répartition des vaccins.
Toutefois, la pandémie a aussi mis en lumière les défaillances de l’Union européenne sur le plan de la préparation et de la réaction aux crises multisectorielles. L’union est encore insuffisamment prête pour faire face à des crises graves de nature différente, qui pourraient être multidimensionnelles, hybrides, avoir des effets en cascade ou se produire simultanément.
En 2013, le Conseil européen a créé un dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise, dit IPCR, qui a récemment été activé dans le cadre de la crise migratoire et de la crise sanitaire. Il me semble que, d’ici à juin 2022, il examinera l’opportunité d’améliorer ou de renforcer ce dispositif.
Depuis le début de la pandémie, plusieurs initiatives ont d’ailleurs été prises à ce titre, mais, incontestablement, il faut mettre en œuvre la mise à jour de la stratégie industrielle de l’Union européenne présentée en mai dernier, notamment pour diversifier les chaînes d’approvisionnement et forger de nouvelles alliances industrielles. Cela permettra de réduire la dépendance de l’Union à l’égard de certains pays tiers, notamment dans les secteurs jugés critiques : matières premières, substances actives pharmaceutiques ou encore produits essentiels pour soutenir la double transition verte et numérique comme les semi-conducteurs.
Depuis plusieurs mois, partout dans le monde, les entreprises sont confrontées à des pénuries de matières premières et de produits semi-finis ; métaux, bois, papier, aluminium, plastique, blé ou encore semi-conducteurs : la liste s’allonge au fil des semaines. Ces difficultés d’approvisionnement, couplées à l’augmentation des prix de l’énergie, freinent la reprise de l’activité industrielle, alimentent l’inflation et pèsent sur les budgets des ménages.
La pandémie a mis en lumière nos fragilités. Une réflexion essentielle s’est engagée sur la question de la relocalisation de certaines productions et sur l’accès de l’Europe aux ressources. La Commission européenne a notamment présenté, voilà un an, un plan d’action sur les matières premières critiques pour les secteurs stratégiques et lancé de nouvelles alliances industrielles.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur le premier bilan que vous tirez de ces initiatives ? Au vu de la situation actuelle, l’Union européenne entend-elle aller plus loin et proposer de nouvelles mesures ?
La pénurie actuelle de semi-conducteurs a par ailleurs mis en évidence le rôle fondamental de ces composants, indispensables pour tous les secteurs – ils sont toujours plus nombreux – qui utilisent des équipements électroniques.
Ainsi, le président américain annonçait en avril dernier un plan de 50 milliards de dollars pour soutenir et développer ce secteur stratégique. En juillet, la Commission lui répondait en lançant une alliance industrielle pour les processeurs et les semi-conducteurs, afin que l’Europe atteigne au moins 20 % de la production mondiale. Un plan d’investissements de 20 milliards à 30 milliards d’euros était par ailleurs annoncé pour accompagner cette excellente initiative.
Pourtant, à peine deux mois plus tard, à l’occasion de son dernier discours sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen évoquait la perspective d’une prochaine « loi sur les semi-conducteurs ». Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les contours de cette future législation et, surtout, nous éclairer sur sa complémentarité avec l’alliance industrielle, qui commence à peine à se structurer ?
Par ailleurs, le Conseil européen reviendra sur les évolutions récentes concernant les prix de l’énergie. Je veux m’y arrêter un instant pour finir.
Le 13 octobre dernier, la Commission européenne a présenté une « boîte à outils » visant à aider les États membres à atténuer l’impact de la flambée des prix de l’énergie sur les ménages et les entreprises, ne prévoyant pas de nouvelle initiative européenne particulière. Elle n’a pas donné suite à la demande de la France de réviser le fonctionnement du marché européen de l’électricité, qui aboutit de fait à arrimer le prix de l’électricité à celui du gaz.
Or la France, qui dispose de nombreuses centrales nucléaires, souhaite découpler le prix de l’électricité de celui du gaz, ce qui lui permettrait de proposer une électricité encore moins chère, mais neuf États membres s’opposent fermement à cette demande et soutiennent les « principes concurrentiels de la conception de nos marchés de l’électricité et du gaz », jugeant la hausse des prix seulement conjoncturelle.
Aux côtés de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce et de la Roumanie, la France réclame une modification de la directive sur le marché intérieur de l’électricité, afin notamment de permettre aux États membres d’appliquer des mécanismes de régulation garantissant que les prix de l’électricité reflètent les coûts du mix de production utilisé par le pays.
Monsieur le secrétaire d’État, comment la France entend-elle faire valoir cette demande, aussi juste sur le plan économique que sur le plan écologique, au regard de ce qui demeure l’un des rares avantages compétitifs dont nous disposons, tant pour les citoyens consommateurs que pour les entreprises ?
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour apporter des réponses qui seront, je l’espère, efficaces, mais également nombreuses…
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà une saine pression à être concis tout en étant exhaustif ! (Sourires.) Je vais donc tenter de combiner ces deux impératifs, pour tenir compte de l’heure tardive, sachant que les sujets à aborder sont effectivement nombreux ; j’essaierai d’ailleurs d’en oublier le moins possible.
Je débuterai, monsieur le sénateur Allizard, par la question que vous avez évoquée et qui a été relayée dans plusieurs interventions : celle des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Elle concerne le secteur de la pêche, mais pas seulement ; les problématiques plus larges de sécurité ont également été mentionnées.
Néanmoins, pour répondre précisément sur le contentieux nous opposant à nos voisins en matière de pêche, et, malgré les tonalités diverses des interventions que j’ai entendues, je tiens à dire que l’objectif est largement partagé : nous ne sommes pas dans le jeu ou dans les rodomontades, notre détermination est aussi nette que celle des représentants des filières et des pêcheurs.
Je ne reviendrai pas sur tous les épisodes d’un feuilleton malheureusement déjà trop long. Pendant plus de onze mois, la France et la Commission européenne ont patiemment négocié avec les Britanniques. Si je considère le résultat d’ensemble, je constate que nous avons obtenu un grand nombre de licences – c’est heureux ! –, notamment toutes celles qui concernent la zone économique exclusive, mais qu’il nous en manque encore un certain nombre, pour les îles anglo-normandes et la bande des 6 à 12 milles marins, principalement dans les Hauts-de-France.
Nous avons donc haussé le ton, j’y insiste ; il ne s’agissait pas de se faire plaisir ou de surjouer la querelle. Il fallait être extrêmement déterminés, et c’est parce que nous avons forcé la voix de manière crédible au début du mois de novembre que nous avons relancé un dialogue, alors totalement bloqué, avec les autorités britanniques et, surtout, que nous avons poussé la Commission européenne à se réengager.
Il n’est effectivement dans l’intérêt de personne de faire croire que le sujet est franco-français ou, plutôt, franco-britannique. Ce n’est pas le cas ! L’enjeu est de faire respecter un accord signé et ratifié entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. La Commission européenne s’est ainsi remobilisée – Annick Girardin et moi-même avons encore échangé avec le commissaire européen chargé de la pêche aujourd’hui.
La semaine dernière, quelques signaux sont apparus – ce sont plus que des signaux, d’ailleurs, car ce sont des résultats tangibles que nous attendons –, puisqu’un certain nombre de licences ont été accordées : plus de 40 ont été définitivement confirmées par l’île de Guernesey et 9 ou 10 ont été obtenues de l’île de Jersey. Toutefois, nous n’avons pas encore reçu toutes les licences que nous estimons fondées et documentées ; plusieurs dizaines manquent encore et l’échéance de vendredi prochain est en vue.
Je précise à cet égard – c’est important – que la date limite du 10 décembre prochain n’a pas été fixée par la France. Elle a été annoncée publiquement par le commissaire européen à la pêche, donc par la Commission européenne, et c’est cette dernière qui nous présentera le résultat des ultimes réunions avec les Britanniques, qui se poursuivront jusqu’à vendredi – il y en a eu une aujourd’hui même.
Nous ferons cette évaluation avec la Commission européenne, mais, je le dis en toute transparence, nous n’obtiendrons jamais, d’ici à vendredi, toutes les licences que nous souhaitons.
Dès lors, soit nous avons le sentiment, sur le fondement de l’analyse de la Commission européenne, que la situation progresse – notamment sur les navires de remplacement ou sur les données exigées pour les petits bateaux, mais aussi parce que de nouvelles licences sont obtenues ou que les critères évoluent – et que le dialogue, qui d’après moi est la meilleure solution, vaut la peine d’être mené, soit celui-ci nous apparaît comme un jeu de dupes, une discussion totalement bloquée ou un échange sans véritable bonne volonté.
À cet égard, je le précise, c’est principalement l’île de Jersey qui pose problème. On n’observe aucun mouvement significatif de ce côté, exception faite de l’obtention récente de quelques licences, dont on peut se réjouir, mais qui reste insuffisante.
C’est donc avec la Commission européenne que nous évaluerons la situation et, au cas où prévaudrait le second scénario – celui dans lequel nous estimons que le dialogue ne progresse pas –, ce que bien évidemment je déplorerais, nous aurions de nouveaux échanges avec elle et lui demanderions de prendre des mesures, notamment contentieuses, à l’échelle européenne. Ce serait le plus efficace.
Cela dit, je ne peux vous en dire plus à l’heure actuelle, car cette évaluation reste à faire et il faudra ensuite que nous tirions, avec la Commission européenne, les conséquences du bilan du 10 décembre.
J’en viens à la question migratoire, évoquée à plusieurs reprises, à juste titre, non pas que les sujets soient liés, mais parce qu’ils concernent tous deux notre relation avec le Royaume-Uni.
Je n’entre pas non plus dans le détail de notre coopération avec ce pays, mais je tiens à souligner que, sur le plan opérationnel, elle est en réalité de bonne qualité depuis plusieurs années, c’est pourquoi nous comprenons d’autant moins les raisons – mais de toute évidence elles sont liées à des considérations de politique intérieure – pour lesquelles nos amis britanniques ont éprouvé le besoin, après un drame comme celui que nous avons vécu, de twitter, d’envoyer des lettres sans prévenir et de ne pas jouer le jeu de la coopération réelle, la seule voie de progrès possible. Ils ont préféré dénoncer le prétendu manque de travail et de coopération de la France.
Comme nous l’avons dit, ce n’est pas sérieux ! Nous menons un travail difficile, parfois difficile à expliquer à nos propres concitoyens, puisque nous tenons la frontière à terre. C’est un travail qui sert l’intérêt commun et qui préserve le plus de vies humaines, mais il est évident que nous avons besoin d’une plus grande coopération du Royaume-Uni, par le biais de soutiens financiers – partiellement débloqués à la suite de nos protestations des dernières semaines – ou de coopérations opérationnelles en matière de renseignement et de démantèlement de filières.
En revanche, nous l’avons dit, il ne nous semble pas souhaitable, pour des enjeux de souveraineté évidents, voire d’efficacité, de mettre en place des brigades conjointes, au travers desquelles on transférerait sur les forces de l’ordre britanniques un travail que nos forces de l’ordre – je leur rends à nouveau hommage – effectuent avec le plus grand sérieux.
S’agissant d’une étape supplémentaire, c’est-à-dire d’un accord que nous pourrions signer avec le Royaume-Uni, nous y sommes ouverts, comme le Premier ministre et le ministre de l’intérieur l’ont rappelé, mais à deux conditions.
D’une part, ce doit être non pas un accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, mais un accord européen. Il n’y a effectivement aucune raison pour que nous nous limitions, sur la question des réadmissions ou du démantèlement des filières, à un travail bilatéral. Celui-ci est européen par nature, d’où la réunion organisée à Calais, visant à renforcer également les coopérations avec les Néerlandais, les Allemands, les Belges en matière d’identification des filières ou de lutte contre l’immigration illégale.
D’autre part, l’accord ne doit évidemment pas être déséquilibré ou asymétrique, par exemple parce qu’il stipulerait que nous réadmettons toutes les personnes que les Britanniques ne souhaitent pas accueillir sur leur territoire.
Je rappelle d’ailleurs que la plupart des personnes qui tentent la traversée, parfois au péril de leur vie, sont éligibles à l’asile, mais souhaitent le demander au Royaume-Uni, qui, lui, n’ouvre pas de voie de migration légale. C’est ce cercle vicieux qui aboutit aux dramatiques prises de risque auxquelles nous assistons.
Nous pouvons accepter des réadmissions dans un nombre limité de cas, mais cela doit aller de pair avec l’ouverture de voies légales de migration, ainsi qu’une coopération stable, équilibrée, renforcée en matière policière et judiciaire avec le Royaume-Uni.
Un cadre européen et un cadre large : telles sont les deux conditions que nous avons toujours posées.
En effet, et je termine ma réponse sur le sujet par cette observation, dans la négociation de l’accord de Brexit lui-même, l’Union européenne avait proposé de consacrer un chapitre à ces questions de migration et d’asile, mais ce sont les Britanniques qui ne l’ont pas voulu. Pour notre part, nous sommes toujours ouverts à l’idée d’un accord, mais dans des conditions qui soient équilibrées, non léonines.
À propos des problématiques de sécurité qui ont été rappelées, permettez-moi également d’indiquer – sans vouloir être trop long – que nous avions aussi proposé au Royaume-Uni, par l’intermédiaire du négociateur Michel Barnier, d’engager un chapitre de négociation sur ces questions, en vue d’élaborer un accord global de sécurité et de défense. Les Britanniques s’y sont également refusés. Nous y sommes toujours favorables et, en attendant, nous poursuivons notre collaboration avec le Royaume-Uni, notamment dans un cadre bilatéral, car nous ne remettons pas en cause nos intérêts vitaux réciproques.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question migratoire et, notamment, le pacte sur la migration et l’asile, ainsi que la réforme des accords de Schengen.
Je vais être très franc : au cours de la présidence française, nous ferons tous les efforts possibles pour faire progresser ce dossier, mais, en l’état, il me paraît extrêmement difficile d’aboutir, ne serait-ce que parce que la solution d’équilibre que propose la Commission européenne entre solidarité et responsabilité ne fait pas consensus à l’échelon européen.
De deux choses l’une : soit l’on se résigne à cette impasse, soit l’on cherche des solutions efficaces et pragmatiques. C’est dans cette seconde voie que le ministre de l’intérieur et moi-même nous sommes engagés et c’est notamment pour cette raison que la réforme des accords de Schengen nous paraît d’autant plus nécessaire, l’idée étant d’en renforcer le pilotage politique. De fait, les ministres de l’intérieur ne se sont jamais réunis en format Schengen – nous allons d’ailleurs y suppléer –, de même qu’il n’y a jamais eu d’échanges entre les différents États sur les possibles dysfonctionnements des contrôles aux frontières extérieures ou de partage de bases de données. Le Président de la République sera amené à détailler les initiatives que nous prendrons en la matière, l’objectif, plus largement, étant de renforcer, notamment grâce à l’agence Frontex, ces contrôles. Il s’agit là d’un enjeu très important.
Monsieur Laurent, peut-être vais-je vous surprendre, mais je partage nombre des propos que vous avez tenus sur ce sujet. En effet, nous devons promouvoir en la matière la coopération européenne et – nous aurons peut-être sur ce point, et je l’assume, une approche légèrement différente – assurer le contrôle des frontières européennes grâce à une police aux frontières chargée de faire respecter les règles d’entrée dans l’Union d’une manière humaine et qui nous honore. Ne sombrons pas en érigeant systématiquement des murs, en disposant toujours plus de fils de fer barbelés – plus hauts et plus tranchants –, en procédant à des refoulements ou en interdisant aux ONG et à la presse l’accès aux zones d’opérations de police, dont l’existence se justifie d’ailleurs parfaitement. C’est ainsi que fonctionne l’Europe, dans le respect de nos règles.
Sur ce point, nous sommes donc très clairs et je l’ai moi-même été chaque fois que j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Notre solidarité est absolue avec les pays de l’Union européenne victimes d’une pression organisée. Les mots doivent être savamment choisis : je ne confonds pas les bourreaux et les victimes – les migrants –, de même que je ne confonds pas l’agresseur, la Biélorussie, et les agressés que sont la Pologne, la Lettonie ou la Lituanie. Pour autant, nous Européens, à quelque pays que nous appartenions, ne devons pas nous autoriser à agir n’importe comment, sans respecter les règles. C’est d’ailleurs, me semble-t-il, un piège qui nous est tendu : sommes-nous capables on non d’assurer le maintien de l’ordre dans le respect de notre ADN et de nos valeurs ? Je crois que, globalement, nous avons passé ce test avec succès, mais nous devons veiller strictement au respect de ces règles, quitte à le signifier à nos partenaires.
La question de la boussole stratégique a été évoquée par plusieurs d’entre vous. Nous accueillons favorablement la proposition qu’a faite Josep Borrell au mois de novembre dernier. C’est là un chantier important de la présidence française et il devrait aboutir à la fin du mois de mars. Certes, il n’est pas proposé, dans ce document stratégique, la création d’une force d’intervention européenne non plus qu’une hausse des financements destinés aux capacités et aux programmes de recherche de défense européens ; pour autant, il est très important d’élaborer une analyse stratégique commune. Nous avons pu en prendre conscience avec les événements qui se sont déroulés dernièrement en Afghanistan : en matière d’information, d’analyse des menaces, nous dépendons largement d’autrui, notamment des Américains. C’est là l’une de nos grandes faiblesses. Nous devons donc, grâce à cette boussole stratégique, à ce livre blanc, remédier à cette situation.
En ce qui concerne la stratégie sanitaire, nous devons là aussi tirer des leçons de la crise que nous traversons. Alors qu’elle était inexistante à l’apparition de la covid-19, nous nous sommes dotés – avec une certaine efficacité, me semble-t-il – d’une compétence sanitaire qui nous a permis d’aboutir à des éléments très concrets : un passe sanitaire européen commun, un cadre d’achat commun de vaccins et avec la future agence HERA, qui devrait nous donner les moyens de surmonter l’une de nos grandes faiblesses, à savoir l’absence de toute capacité de financement de la recherche et de la préparation aux pandémies. Ce processus s’accélérera sous la présidence française.
Pour ce qui se rapporte à la solidarité internationale, je partage le sentiment de frustration qui s’est exprimé. Les chiffres l’attestent : hormis les populations européennes, le reste du monde est très mal vacciné ; c’est particulièrement le cas en Afrique. Néanmoins, c’est l’Europe qui a agi le plus rapidement en empêchant, avant même la levée des brevets, non seulement toute interdiction d’exportation des vaccins – mesure la plus importante –, mais encore en exportant elle-même, et de façon massive, ses propres doses, voire en les donnant.
Nous avons rehaussé notre objectif à 700 millions de doses d’ici à la fin du premier semestre 2022, dont 100 millions seulement sous forme de dons, les mécanismes existants, dont le dispositif Covax, ne nous permettant pas d’agir plus vite. C’est là un enjeu pour les prochaines semaines.
Cette stratégie doit reposer sur plusieurs piliers : d’une part, une livraison plus rapide des doses de vaccin que nous donnons ; d’autre part, le soutien aux capacités locales de production, moyen d’action très efficace sur le plan sanitaire dans les pays qui en sont dépourvus. En Afrique, nous pouvons avoir des projets industriels de production de vaccins. Ainsi, l’Europe investit 1 milliard d’euros dans le soutien à des projets en Afrique du Sud, au Rwanda et au Sénégal ; dans ce dernier pays, la production a déjà démarré.
Par ailleurs, nous veillons à favoriser l’accès aux vaccins au regard des règles de propriété intellectuelle, même si, comme nous l’avons toujours dit, nous ne faisons pas de la levée des brevets l’alpha et l’oméga de cette politique de solidarité. Au sein de l’OMC a été débattue la question des licences obligatoires, lesquelles, moyennant une rémunération nulle ou très faible du détenteur du brevet, permettraient un accès automatique au vaccin des pays qui ne disposent pas de cette capacité à ce jour.
Donner des doses, produire localement et adapter les règles de propriété intellectuelle : tels doivent être les trois axes de notre action, en complément de la stratégie sanitaire interne à l’Europe.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué la question de la libre circulation. Nous devons la préserver grâce au passe sanitaire ; fermer à nouveau les frontières, comme ce fut parfois le cas lors de la première vague, ne serait dans l’intérêt de personne. À cette fin, nous devons adapter les règles communes applicables au passe sanitaire. À ce jour, le schéma vaccinal complet est défini de la même façon partout en Europe, à de très rares exceptions près : deux doses – une seule pour ceux qui ont été infectés par la covid-19 –, avec des vaccins reconnus dans tous les pays.
En ce qui concerne la troisième dose, elle se généralise, mais selon des calendriers quelque peu différents. Probablement au tout début de l’année prochaine, le passe sanitaire européen devrait intégrer celle-ci avec des exigences identiques partout.
En France, selon l’âge, le schéma vaccinal devra avoir été complété entre le 15 décembre et le 15 janvier, tandis que d’autres pays ont fait le choix de retenir des délais plus tardifs pour l’injection de cette troisième dose. Aussi, nous nous laisserons une marge de manœuvre afin de ne pas bloquer la circulation entre les différents pays européens et le passage des frontières.
Monsieur Cadec, vous me demandez si l’hypothèse d’une obligation vaccinale sera abordée lors de la réunion du Conseil européen. Dans la mesure où la présidence de la Commission européenne a ouvert ce débat à l’échelon européen, elle le sera certainement, même s’il est probable qu’aucune décision ne sera prise. Ce choix de l’obligation vaccinale généralisée est minoritaire à ce jour parmi les États membres, la France, quant à elle, s’en tenant au passe sanitaire et, sauf pour quelques catégories de personnes très exposées, sinon à une pression, du moins à une incitation assumée à la vaccination, car celle-ci nous protège.
Les questions énergétiques, très importantes, ont été abordées par plusieurs intervenants. Au-delà de la question des prix de l’énergie, c’est notre stratégie de transition qui est en jeu. Concernant la taxonomie, nous attendons que la Commission européenne adopte, avant la fin de l’année, un acte délégué tendant à intégrer l’énergie nucléaire comme une énergie non seulement de transition, mais contribuant à la neutralité carbone. Ce choix en faveur du nucléaire doit rester à la main des États membres ; bien évidemment, il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit. En revanche, si l’Europe, considérée dans son ensemble, veut être neutre en carbone en 2050, elle aura besoin du nucléaire, dans la mesure où le mix énergétique d’autres États membres est bien plus carboné en raison d’un recours massif au charbon ou au gaz. J’observe d’ailleurs que certains pays se tournent de nouveau vers l’énergie nucléaire, énergie décarbonée, souveraine, stable.
Je le répète, nous ne voulons forcer personne à revenir sur les choix qui ont été faits, mais nous voulons que le bouquet énergétique reste ouvert à l’énergie nucléaire.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué la politique commerciale. Nous l’avons insuffisamment souligné : le nouveau contrat de coalition qui vient d’être signé en Allemagne, et qui a été mentionné à plusieurs reprises, indique que le nouveau gouvernement veillera à ce que les exigences environnementales soient prises en compte dans les accords commerciaux, notamment dans l’accord avec le Mercosur, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Autrement dit, le gouvernement allemand, tout comme la France, ne signera pas cet accord s’il n’intègre pas notamment les exigences liées au respect de l’accord de Paris ; on pourrait citer également la déforestation ou les standards alimentaires.
Cette évolution très significative de la politique commerciale de l’Allemagne s’appliquera, je l’espère, à d’autres accords à venir ou en discussion.
Madame Guillotin, vous me demandez – et je reviens sur les questions migratoires – où en sont les huit plans d’action pour les pays d’origine et de transit promis par la Commission européenne. Ceux-ci ont bien été élaborés, et il s’agit maintenant de les mettre en œuvre, ce qui est le plus important.
Monsieur le sénateur Gattolin, vous m’avez interrogé sur ce projet de « passerelle mondiale », comme l’appelle la presse québécoise. Il s’agit là d’une initiative très importante, puisque l’Europe ne dispose à ce jour d’aucune stratégie d’investissement pour faire face à la concurrence des Américains, qui réfléchissent à cette option, et des Chinois, avec leurs nouvelles routes de la soie, une concurrence qui s’exerce parfois de façon peu scrupuleuse, en particulier en Afrique.
Cette initiative s’articule autour de deux éléments, parfaitement assumés : la communication et l’explication, au sens noble du terme.
M. André Gattolin. On a perdu la guerre de la communication !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. L’Union européenne est souvent le premier fournisseur d’aide au développement, le premier investisseur public ou privé, le premier soutien en cas de crise. C’est particulièrement vrai en Afrique ou dans les Balkans occidentaux. Aussi, réunir sous un même « chapeau » les investissements des États membres et ceux de l’Europe en leur conférant un statut et en leur donnant une reconnaissance participe de cette communication géopolitique.
Par ailleurs, au-delà des mots, il convient que la Banque européenne d’investissement et la Commission européenne renforcent, au travers du nouveau plan d’investissement, un certain nombre d’outils de financement, en soutien aux efforts que chaque pays déploie, pour cibler les infrastructures ou les zones géographiques prioritaires pour l’Europe. La Commission européenne a évoqué un plan doté de 300 milliards d’euros.
Mesdames Mélot et Morin-Desailly, vous avez abordé les sujets numériques. Le DSA et le DMA compteront parmi les grandes priorités de la présidence française. Ce dossier a bien avancé au cours de la présidence slovène, avec notre soutien, et nous aurons donc à cœur de mener cette négociation à son terme.
Un certain nombre d’avancées ont été enregistrées, notamment sur les sujets qu’a évoqués Mme Mélot, par exemple le harcèlement en ligne, ou qu’a soulevés Frances Haugen. Vous avez raison d’y insister : le plus important, une fois que le cadre a été défini, c’est d’appliquer les règles, et rapidement. L’entretien que j’ai eu avec Frances Haugen m’a alerté sur certaines problématiques dont, jusqu’à présent, je n’avais pas complètement mesuré l’importance : la nécessité de disposer de modérateurs maîtrisant la langue de définition des règles et standards en vigueur pour leur bonne application ; surtout, la nécessité de faire évoluer nos textes en même temps qu’évoluent les plateformes, étant entendu que nous ne pouvons à ce jour prévoir quel type de régulation devra s’appliquer à quel type de contenu à l’avenir. Nous plaidons donc en faveur d’actes délégués nous permettant d’adapter régulièrement ces textes, en y associant les États membres.
Par ailleurs, la régulation doit se faire au bon niveau. Pour les très grandes plateformes, celles qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs actifs en Europe, nous souhaitons que ce soit la Commission européenne qui fixe et harmonise les règles pour l’application du DSA, en particulier pour éviter l’engorgement des petits régulateurs ou – soyons francs – pour parer à tout laxisme.
Sur le cloud de confiance, vous n’avez pas tort. Toutefois, et pour être optimiste, je veux dire qu’il s’agit là d’une bonne initiative et d’un label rigoureux. Pour autant, nous avons besoin d’un cloud souverain, auquel il ne saurait se substituer. Il ne s’agit pas de remettre en cause le cloud de confiance, mais cette question d’un cloud souverain européen reste pendante. Les projets tels que Gaïa-X, portés généralement par des entreprises, restent décevants et très insuffisants. Ni lui ni les initiatives parcellaires qui ont été engagées dans le passé ne répondent à cette préoccupation majeure pour notre autonomie stratégique. Vous avez raison de le souligner.
Je ne peux, ce soir, vous apporter une réponse complète, mais ce sera un thème essentiel de la présidence française, et nous entendons bien, en relation avec le nouveau gouvernement allemand, engager des investissements européens dans ce domaine.
Madame Gisèle Jourda, je suis extrêmement attaché à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, et je vous remercie de vous y être impliquée. Comme vous, j’ai pris part, quand je n’étais pas retenu par un conseil des ministres ou par un Conseil européen, à des sessions plénières et à des groupes de travail, et je dois bien dire que l’organisation est loin d’être parfaite. Pour autant, nous ne devons en aucun cas jeter le bébé avec l’eau du bain, car on trouve de très bonnes choses dans cette conférence. Ainsi, les panels citoyens européens qui se sont réunis ont produit des résultats intéressants.
En France, nous avons organisé, sur un mode similaire, et pour la première fois, des conférences régionales associant près de mille citoyens dans chacune des régions de métropole et d’outre-mer. Ces événements ont suscité un grand enthousiasme. Le rapport, désormais public, met en évidence les priorités climatiques, de sécurité, de défense, la nécessité de construire des projets industriels et de réformer la politique de concurrence. Cette réflexion nourrira la présidence française, avant la conclusion politique de cette conférence, en mai.
Il y a, c’est vrai, des défauts d’organisation, assumons-le ; mais, je le répète, ces panels citoyens ont formulé des propositions très importantes qui conduiront, je crois, à d’importantes réformes de l’Union européenne sur les plans institutionnel, commercial, budgétaire, économique.
Que le contrat de coalition allemand souligne cette volonté de réforme, y compris en procédant, à terme, à une révision de certains traités, est très positif, même si, comme vous l’avez souligné, nous avons avec nos voisins encore quelques points de divergence sur les questions de défense. Néanmoins, je serai moins sévère que vous, car les termes employés par le parti vert allemand et le parti social-démocrate traduisent, ce qui n’est pas toujours allé de soi dans le passé, un soutien fort à la politique de défense et de sécurité européenne et à des projets comme le SCAF ou le char du futur franco-allemand, qui demeurent non seulement pertinents sur le plan stratégique, mais, de surcroît, selon moi, irréversibles.
Nous aurons des moments de doute, nous aurons des moments d’inquiétude sur le plan industriel, mais il faut saluer ce choix stratégique qu’ont fait en 2017 la chancelière Merkel et le président Macron, après le Brexit. On ne peut pas construire une politique de sécurité et de défense européenne sans se lancer dans des projets industriels communs qui formeront l’ossature d’une industrie de défense européenne, laquelle reste à construire. Non seulement elle n’affaiblira pas la nôtre, mais, sur certains projets précis, je crois même qu’elle la renforcera.
Quant au calendrier de la présidence française de l’Union européenne, je me garderai d’ouvrir un long débat qui n’aurait pas valeur scientifique et serait dépourvu de toute conclusion définitive. Toutefois, je ne crois pas que le « télescopage », comme cela a été dit, entre les élections nationales et la PFUE nuise à cette dernière. Quoi qu’il arrive, un semestre, c’est court, et quoi qu’il arrive, un semestre vaut d’abord par la façon dont il a été préparé.
Sur le plan de l’organisation, nous respectons évidemment les périodes de réserve électorale. Ainsi, en application de la loi française, aucune conférence de presse ni aucun événement ministériel ne seront organisés pendant les six semaines situées entre le début de la période de réserve et le second tour de l’élection présidentielle.
Toute autre solution comporte aussi des inconvénients. Ainsi, si nous avions avancé la présidence française au présent semestre, ce n’aurait pas été, sur le plan politique, parfaitement idéal ni exempt de toute critique possible ; a contrario, il aurait semblé étrange pour le grand pays que nous sommes, qui se veut pro-européen, que le Président de la République, lui-même très engagé sur le plan européen, repousse de six mois cette présidence, qui ne nous échoit que tous les quatorze ans.
Je note que cette concomitance entre la présidence de l’Union européenne et des échéances nationales, encore récemment, n’a posé aucune difficulté pour plusieurs pays européens, de même qu’elle n’en avait pas posé pour le nôtre voilà vingt-cinq ans.
Je ne vous dirai pas que cela ne soulève aucun problème d’organisation, mais, puisque les ministres ont le devoir de présider toutes les réunions ministérielles, même en période de réserve, je vous le dis très franchement, ils le feront, en respectant les exigences qui s’imposent à eux en matière de communication. Grâce à nos diplomates, grâce à nos négociateurs, nous assurerons pleinement cette présidence française de l’Union européenne.
Pour la première fois, je tiens à le souligner, j’ai réuni à quatre reprises – et je continuerai de le faire – un comité transpartisan composé d’un représentant de chacun des groupes politiques de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen, pour partager le mieux possible sur les préparatifs de cette présidence et sur – je l’espère – ses avancées.
Monsieur Chevrollier, vous m’avez en particulier interrogé sur la question des valeurs. Oui, ce sera l’un des points très importants de cette présidence, et j’y tiens beaucoup. L’État de droit n’est pas une marotte, ce n’est pas non plus un combat contre certains pays ou entre l’Est et l’Ouest ; c’est une nécessité pour faire durablement adhérer nos concitoyens au projet européen. Si ce projet n’est qu’un projet de marché, qu’un projet de budget, il ne suscitera pas d’adhésion politique, quoi qu’on pense de l’Europe, avec des sensibilités qui peuvent être très différentes.
Dans tout projet politique, il faut un socle commun. En l’espèce, ce sont les traités, ce sont les valeurs, et ne pas les respecter pose la question de l’existence même du projet européen. Aussi, je ne lâcherai rien sur ce sujet. Au cours de la présidence française, nous interviendrons auprès de la Commission européenne afin qu’elle active certains outils, notamment ce qu’on appelle le règlement de conditionnalité entre les financements européens et le respect de certains principes de l’État de droit. Nous poursuivrons en même temps le dialogue avec la Pologne et la Hongrie notamment, car nous ne devons pas leur fermer la porte et couper tout canal de discussion. Ce ne serait pas rendre service à leurs populations.
Madame la présidente, l’heure tourne et je n’ai pas pu aborder tous les sujets évoqués ; puis-je poursuivre ou est-il préférable que je m’arrête ici ?
Mme le président. Il me semble important que vous répondiez à toutes les questions, monsieur le secrétaire d’État, quitte à le faire de façon synthétique.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Je vous remercie ; je m’y applique bien volontiers, madame la présidente.
Je veux donc aborder la question du marché unique de l’énergie. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, il me paraît essentiel de conserver cet acquis : des prix de gros unifiés sont bénéfiques en particulier pour les énergéticiens français, puisque nous produisons et exportons notre électricité à des coûts compétitifs. Quand les prix augmentent, nos industriels gagnent donc de l’argent, ce qui nous permet notamment de réduire la fiscalité qui pèse sur elle et, ce faisant, de soutenir le pouvoir d’achat des Français dans les périodes difficiles, sans nuire à nos finances publiques.
Nous sommes pour autant confrontés à un problème de formation du prix final proposé au consommateur. Cette crise souligne donc plus que jamais la nécessité de conserver les mécanismes de régulation tels que l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), même s’ils sont contestés par certains de nos partenaires européens ainsi que par la Commission européenne. À cela nous répondons, à la lumière de cette crise, que ces mécanismes de régulation des prix proposés au consommateur peuvent être conservés, quitte à être adaptés, sans que cela contrevienne en quelque manière à l’unification des prix du marché de gros du gaz et de l’électricité.
Enfin, la question des microprocesseurs fait l’objet d’une initiative européenne, ainsi que l’ont annoncé la présidente de la Commission européenne et le commissaire français Thierry Breton. Un texte sera présenté dans les prochaines semaines pour définir les standards et règles de production et fixer le montant des futurs investissements européens dans un secteur essentiel pour notre autonomie stratégique. Ce dossier ne sera sans doute pas finalisé avant la fin de la présidence française, mais il avancera.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes.
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. Monsieur le secrétaire d’État, d’abord, je ne partage pas votre analyse sur la concomitance entre la présidence française de l’Union européenne et les élections et ne peux laisser passer sans réagir vos propos : nous aurions pu, comme d’autres l’ont fait avant nous, différer l’exercice de cette présidence. Cette décision aurait été responsable.
Mes chers collègues, il me revient de conclure nos échanges à cette heure tardive. L’ensemble des sujets qui seront abordés au cours de la prochaine réunion du Conseil européen ont, me semble-t-il, été largement développés au cours de ce débat préalable, chacun d’entre vous ayant pu s’exprimer sur les différents axes prioritaires de cette réunion. Aussi, je ne reviendrai pas sur les propos qui ont été tenus.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas une seule seconde que vous saurez prendre en compte la voix du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021.
19
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui jeudi 9 décembre 2021 :
De dix heures trente à treize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles (texte de la commission n° 250, 2020-2021) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (texte n° 228 rectifié, 2021-2022).
À quatorze heures trente :
Désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » ;
Désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? »
De quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles (texte de la commission n° 250, 2020-2021) ;
Suite de la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (texte n° 228 rectifié, 2021-2022).
De seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, présentée par MM. Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini, David Assouline et Hussein Bourgi (texte n° 42, 2021-2022) ;
Proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à seize ans, l’enseignement et l’engagement, présentée par Mme Martine Filleul et plusieurs de ses collègues (texte n° 370 rectifié, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 9 décembre 2021, à zéro heure quarante.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. François-Noël Buffet, Mmes Dominique Vérien, Agnès Canayer, M. Stéphane Le Rudulier, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Hussein Bourgi et Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Catherine Belrhiti, Claudine Thomas, MM. Philippe Bonnecarrère, Didier Marie, Jean-Yves Roux et Mme Éliane Assassi.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER