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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Situation des comptes publics et réforme de l’État
Débat thématique
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Situation des comptes publics et réforme de l’État. »
Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire a montré, s’il en était encore besoin, que les États, loin d’être obsolètes, pouvaient beaucoup.
En outre, elle a montré la nécessité et l’efficacité de la politique budgétaire, quand cette dernière n’est pas paralysée par des contraintes arbitraires.
En France, comme dans la plupart des pays avancés, les finances publiques ont pris en charge une grande partie des dépenses à la suite de la chute du PIB. L’explosion du chômage ou les faillites en chaîne ont ainsi été évitées. Les taux d’intérêt sont restés négatifs pour les échéances inférieures à dix ans et faibles pour les échéances à long terme.
À l’avenir, les nécessités de la transition écologique imposeront une forte hausse des investissements publics.
Depuis des années, la social-démocratie n’a de cesse de prôner un rationnement de la puissance publique au service de la collectivité et de défendre une puissance publique sociale, soucieuse tant du bien commun que de la maîtrise des comptes publics.
Partout en Europe, au Portugal, en Espagne ou en Allemagne, les gouvernements sociaux-démocrates ont mesuré l’importance du recours à l’État-providence pour mener à bien des politiques sociales, vertueuses et redistributives.
Malgré tout, en France, d’aucuns s’interrogent : la gauche réformiste a-t-elle encore un avenir ? Comme Mark Twain lisant le faire-part de son décès dans un journal, elle répondra : « L’annonce de ma mort est très exagérée. »
Il est vrai qu’elle en a vu d’autres depuis le congrès de Tours, il y a un siècle ! Ce Lazare social-démocrate est toujours ressuscité pour continuer son œuvre de réforme. Ceux qui doutent de cette résilience liront l’essai précis et alerte d’Henri Weber, qui a siégé sur ces travées – je souhaite rendre hommage à ce grand acteur et analyste de la social-démocratie française.
Conciliant avec obstination socialisme et liberté, sûre que le libéralisme produit avant tout de l’injustice tandis que le communisme conduit à la tyrannie d’une minorité, l’inénarrable social-démocratie a connu trois époques depuis la guerre.
D’abord celle de la conquête. Pendant la période de croissance rapide appelée les Trente Glorieuses, elle a mis en œuvre l’essentiel des réformes qui constituaient la trame des revendications ouvrières depuis des décennies. Je pense notamment à la protection générale contre les aléas de la vie, à la régulation du marché du travail, à l’extension des congés payés, au droit syndical, au pilotage keynésien de l’économie, toutes ces réformes transformant radicalement la condition salariale dans les pays développés.
Ensuite, la crise venue, la social-démocratie se tourna vers des compromis défensifs, destinés autant à maintenir les acquis de la période précédente qu’à contenir les effets délétères de la faible croissance et du chômage de masse.
Pour aborder la faculté de la social-démocratie à faire évoluer notre pays, nul besoin d’aller chercher dans l’Histoire des dates trop lointaines.
Il y a plus de sept ans, nous engagions des réformes sociales sans plomber les comptes publics. D’ailleurs, si l’on compare la situation d’aujourd’hui à celle qu’a laissée Nicolas Sarkozy en 2012, on note que le déficit, qui était de 5,1 % en 2011, menaçait d’atteindre un niveau similaire en 2021. Or ce chiffre était passé à 2,9 % en 2017, en dessous du sacro-saint 3 %, et ce pour la première fois depuis 2007 ! François Hollande a été celui qui aura fait sortir la France de la procédure disciplinaire pour dérapage budgétaire lancée par Bruxelles en 2009.
Néanmoins, cela n’a pas empêché des idées radicales d’occuper le débat public. Pour certains, il suffit d’interdire les déficits, par la loi ou, mieux encore, par la Constitution ! De prime abord, nous pourrions penser qu’une telle décision aurait pour vertu de convaincre les investisseurs et les marchés financiers de l’irréversibilité de la conversion des États européens à la discipline budgétaire, et, ce faisant, de restaurer leur confiance.
Le problème, c’est que ce raisonnement ne résiste guère à l’expérience. Tout d’abord, il ne suffit pas de promulguer des textes de loi pour transformer la réalité. De nombreuses règles contraignantes en matière budgétaire en Europe existent déjà, sans que cela ait nullement empêché les États de creuser leurs déficits et d’augmenter leur dette.
Prôner la règle d’or selon laquelle l’évolution des dépenses publiques doit être inférieure à celle des recettes, tout en écartant des modifications du taux des prélèvements obligatoires, comme l’a proposé la commission Arthuis, est encore pire : cela revient à empêcher toute politique budgétaire de soutien à l’économie.
À l’avenir, la dépense publique doit aussi être mobilisée à plus long terme, puisque la France doit réaliser la transition écologique et favoriser le redéploiement des services publics sur l’ensemble de nos territoires, tant ruraux qu’urbains – je pense notamment aux secteurs de la santé et de l’éducation.
La crise sanitaire et le mouvement des « gilets jaunes » ont montré l’attachement des Français aux services publics. Le problème vient de la dégradation, faute de moyens, de ces derniers, qui est source d’inégalités sociales et territoriales importantes.
C’est là toute la différence entre les sociaux-démocrates et les sociaux-libéraux. Mais l’heure n’est plus aux sociaux-démocrates dans ce pays. Le parfum ambiant respire le libéralisme décomplexé, et les choix budgétaires de ces dernières années s’en ressentent.
Nous, sociaux-démocrates, pensons qu’une dépense publique maîtrisée est nécessaire au service des politiques sociales, alors que les sociaux-libéraux n’ont qu’une acception comptable de l’équilibre des comptes publics.
Être à l’équilibre pour être à l’équilibre ne me semble pas être une politique budgétaire dessinant un cap digne de ce nom. La gestion comptable et austéritaire des comptes publics ne peut constituer à elle seule l’horizon indépassable des réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au milieu du XIXe siècle, le député Frédéric Bastiat affirmait qu’il n’y a rien de plus facile que de voter une dépense, et rien de plus difficile que de voter une recette. De prime abord, le bilan de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 au Sénat semble lui donner tort, puisque la Haute Assemblée a voté toutes les recettes du budget,… et aucune dépense.
Mais je crois que nous avons, en fait, confirmé la maxime de Bastiat. En refusant le débat sur l’examen des dépenses du budget, mission par mission, programme par programme, le Sénat a en fait montré qu’il refusait de se prêter à l’exercice si difficile, et pourtant ô combien nécessaire, de cibler les dépenses à couper pour réduire effectivement le déficit public. Il a préféré rejeter en bloc le budget pour 2022.
Tel est donc l’exercice auquel nous sommes invités aujourd’hui : critiquer en bloc, pour ne pas discuter dans les détails. Je doute que le fait de verser dans des considérations générales et abstraites, plutôt que de procéder à l’examen des différentes missions, serve in fine notre institution.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire la semaine dernière, notre groupe regrette profondément cette décision. Nous aurions préféré mener les discussions budgétaires jusqu’à leur terme. La critique est aisée, l’art est difficile.
M. Jean-François Husson. Avec une autre copie du Gouvernement, on l’aurait voté !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ce sont vos mots, monsieur le rapporteur général.
Quelle crédibilité avons-nous encore sur l’impératif de réduction des dépenses publiques, alors que nous avons renoncé à notre pouvoir, voire à notre devoir, de voter les dépenses ?
Néanmoins, le sujet est trop grave pour que nous nous refusions à confronter nos points de vue. Je vais donc tâcher de dresser un bref diagnostic et d’esquisser quelques pistes de solutions.
Jamais, en temps de paix, notre pays n’a été aussi endetté. Le poids de notre dette ne cesse d’augmenter, tant en valeur absolue que par rapport à la richesse produite.
Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle ; voilà au moins quinze ans que cette tendance se poursuit et s’aggrave. Il y a trois quinquennats, le ratio d’endettement était le même en France et en Allemagne, autour de 65 % du PIB. Aujourd’hui, le ratio français a augmenté de 50 points et s’élève à 115 %, quand celui de nos voisins allemands est de 73 %.
Cette situation est très préoccupante. Bien sûr, les crises sanitaire et financière expliquent pour une large part l’explosion de notre dette, mais l’Allemagne, qui a connu les mêmes crises, s’en sort beaucoup mieux. Il y a donc un mal français qui nous empêche de réduire notre dette, qui fragilise la situation de nos comptes publics et qui menace in fine notre souveraineté nationale : ce mal français, c’est notre immense difficulté à réduire la dépense publique et à réformer l’État.
Certains, ici, pensent que le Gouvernement actuel en porte toute la responsabilité. Certes, les dépenses publiques n’ont cessé de croître au cours du quinquennat, mais il est également vrai que ce gouvernement est le seul à être parvenu, au cours des quinze dernières années, à stabiliser la dette publique. Avant la crise sanitaire, le déficit était maîtrisé et le taux d’endettement avait même commencé de baisser.
Ainsi, en l’occurrence, il est trop facile de critiquer le Gouvernement sur son impuissance à faire baisser la dépense publique, sans jamais indiquer quelles dépenses il aurait fallu réduire. Voilà, à mes yeux, la cause profonde de ce mal français, qui nous empêche de réduire notre dette publique.
J’ai cru utile de remettre ainsi les pendules à l’heure, car nous devons, sur ce sujet, tenir un discours de vérité. Il est trop facile de prêcher sans cesse la réduction des dépenses publiques sans jamais se risquer à préciser le propos.
En effet, au cours de la crise sanitaire, le Sénat a voté tous les projets de loi de finances rectificative, exception faite du tout dernier. Il est donc aisé de dénoncer aujourd’hui la hausse des dépenses publiques, alors que nous avons soutenu, je vous le rappelle, mes chers collègues, le « quoi qu’il en coûte ».
C’est d’autant plus grave que, pour relever les défis auxquels notre pays fait face, au premier rang desquels se trouvent la transition écologique et la révolution numérique, la puissance publique devra jouer un rôle majeur de soutien à l’innovation. Ainsi, le plan France 2030, présenté par le Président de la République, a fixé des objectifs ambitieux d’investissement public dans des verticales clefs de rupture technologique.
Ces injonctions sont apparemment contradictoires : d’une part, nous devons nécessairement réduire les dépenses publiques, pour abaisser notre endettement ; d’autre part, nous devons poursuivre l’investissement public, afin de ne pas décrocher, dans tous les domaines stratégiques, pour préserver notre souveraineté nationale et notre capacité à créer de la valeur.
Je suis convaincue, mes chers collègues, que nous avons tous à cœur de relever cet immense défi. Bien sûr, nos sensibilités politiques et nos différences d’approche nous opposeront sur les chemins à emprunter pour y parvenir, mais il nous faudra bien accepter, le moment venu, de remettre sur le métier l’ouvrage budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Paul Toussaint Parigi et Bernard Fialaire applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (MM. Vincent Segouin et Bruno Belin applaudissent.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’irai pas par quatre chemins : je suis inquiet, parce que la situation des comptes publics est critique et que le budget pour 2022, que nous venons de rejeter, ne fait qu’accentuer les risques pesant sur la soutenabilité de nos finances publiques pour l’avenir.
Depuis 2017 et jusqu’au début de la crise sanitaire, le Sénat a rappelé régulièrement au Gouvernement la nécessité d’assainir les comptes publics tant que la croissance économique le permettait, compte tenu du niveau de déficit et d’endettement de nos administrations publiques, parmi les plus élevés d’Europe.
Albéric de Montgolfier, mon prédécesseur comme rapporteur général de la commission des finances, l’a martelé régulièrement à l’occasion de l’examen de textes financiers examinés, en citant une phrase de John Fitzgerald Kennedy : « Le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille. »
Malheureusement, comme souvent, le Sénat n’a pas été entendu et, lorsque la tempête s’est abattue sur l’économie mondiale en conséquence de l’épidémie de covid-19, notre pays disposait de marges de manœuvre budgétaires plus limitées que des pays voisins, l’Allemagne par exemple, faute d’avoir fait le nécessaire en temps voulu.
Dès lors, quel bilan tirer de ce quinquennat, au regard de la situation de nos comptes publics ? C’est assez simple : les chiffres sont « dans le rouge » – dans le « rouge cramoisi », même – et sont très impressionnants : en 2021, le déficit se situe à 8,2 % et l’endettement à 115 % et, en 2022, le déficit sera, selon les prévisions, de 5 % et l’endettement de près de 114 %.
Certes – il faut s’en réjouir –, l’embellie économique a été particulièrement marquée en France au cours des derniers mois, entraînant un supplément de recettes fiscales, mais – car il y a un « mais » – ces recettes sont directement utilisées pour couvrir des dépenses supplémentaires, malheureusement, alors que les nouvelles émissions de dette vont encore représenter 260 milliards d’euros dans le budget de l’État… Au contraire, les recettes tirées de ce regain inattendu de croissance auraient pu et auraient dû être employées à réduire notre endettement et à assainir nos finances publiques.
Monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernement a tout simplement abandonné l’effort de maîtrise de la dépense publique qu’il avait promis, non seulement dans le budget « de campagne » qui nous a été transmis pour 2022, mais également – ce qui est plus grave – dans les budgets présentés depuis 2018, depuis le mouvement des « gilets jaunes ».
Ainsi, indépendamment des mesures d’urgence et de relance, que nous avons soutenues, les dépenses primaires ont augmenté de plus de 60 milliards d’euros par rapport à la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, présentée au Parlement au début du quinquennat. Une dérive de plus de 60 milliards d’euros, excusez du peu !
Dans le seul budget de l’État, hors missions « Plan de relance » et « Plan d’urgence », les dépenses dites « pilotables » étaient, dès le projet de loi de finances déposé en septembre dernier, en augmentation de près de 12 milliards d’euros, soit une hausse de 4,1 %, à périmètre constant, par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.
D’ailleurs, il est bon de le rappeler, monsieur le secrétaire d’État, parallèlement à la dérive des dépenses publiques de l’État, les collectivités locales, elles, ont fourni les efforts demandés, leurs dépenses n’ayant augmenté que de 0,9 % en volume.
Les efforts en dépense ont donc été totalement abandonnés par le Gouvernement, disais-je. Je pense par exemple à la réforme avortée des retraites, à la réduction des emplois publics ou encore aux contrats aidés, ressuscités après avoir été supprimés. La réforme de l’État est aujourd’hui au point mort ; il suffit, pour s’en convaincre, de voir ce qu’il est advenu des travaux d’Action publique 2022 ou de considérer l’absence totale de réflexion sur la relance de la décentralisation, alors que les Français plébiscitent les actions de proximité menées par les collectivités locales durant la crise, notamment par les communes.
Dès lors, qu’en est-il pour l’avenir ?
Il ne suffit pas de marteler, comme le fait Bruno Le Maire dans les médias, que « tout va bien », que l’économie repart et que l’on est parfaitement rassuré sur l’état de nos finances publiques ! De même, c’est une erreur que de croire que l’inscription dans la loi organique relative aux lois de finances d’un objectif pluriannuel de dépenses suffira à engager une véritable action de redressement des comptes publics et de maîtrise de la dépense.
Dans son programme de stabilité, le Gouvernement affiche, comme il l’a fait en 2017 au travers de la loi de programmation des finances publiques, une stratégie particulièrement ambitieuse, avec une croissance annuelle de la dépense primaire, hors mesures d’urgence et de relance et charge de la dette, fixée à 0,4 % par an en volume, entre 2022 et 2027.
Un tel résultat serait, en réalité, peu crédible, pour plusieurs raisons, mais notamment parce que nous n’avons aucune indication sur les moyens envisagés pour y parvenir.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quel est votre plan ? Quelle est la stratégie du Gouvernement ? Quelles sont les réformes qui pourraient vous permettre de tenir, cette fois-ci, votre objectif ? Comment croire à la capacité de votre majorité à maîtriser la dépense publique à l’avenir et à mener la véritable politique de réforme de l’État qui s’impose, alors que vous avez abandonné vos promesses du début du quinquennat ?
Pour y parvenir, évitez de contourner les corps intermédiaires – les assemblées d’élus et le Parlement, mais également les organisations professionnelles et syndicales –, parce que les Français attendent de vous le respect de vos engagements, pour aujourd’hui et pour la réussite de la France. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’on interrogeait les Français dans le cadre d’un micro-trottoir sur la situation des comptes publics et la réforme de l’État, trois éléments principaux émergeraient : une dette qui inquiète – personne ne le nie –, des impôts qui sont injustes et des services publics qui se dégradent.
La situation des comptes publics résulte d’un long processus et de tendances lourdes, et, puisque nous n’avons pas la possibilité de discuter du projet de loi de finances pour 2022, il est intéressant de s’interroger sur ces tendances.
D’où vient le fait que la majorité des Français pensent que les impôts sont injustes ? La suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés et, surtout, la suppression très fameuse, qui restera dans l’Histoire, de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) jouent certainement pour beaucoup…
Surtout, les Français pensent dans leur majorité que les impôts sont injustes parce qu’ils ont le sentiment d’en payer tout le temps et beaucoup, ce qui n’est pas faux, puisque, selon les données de l’Insee, les 10 % des ménages les moins fortunés contribuent aux prélèvements obligatoires à hauteur de 16,6 % de leur revenu, toutes taxes indirectes comprises, tandis que les 10 % les plus riches y contribuent à hauteur de 7,6 % de leur revenu. En d’autres termes, plus on est riche, moins on contribue à proportion de ses revenus.
Pourtant, la part de cet impôt dégressif est en augmentation continue dans le budget de l’État depuis près de trente ans. Selon la dernière enquête Dépenses et recettes des administrations publiques de l’Insee, en 2020, les impôts indirects représentaient 53 % des recettes de l’État en 1995, contre 60 % aujourd’hui, soit une augmentation de 13 % en volume. En d’autres termes, les recettes de l’État reposent de plus en plus fortement sur les ménages populaires et les classes moyennes. Cela devrait susciter des interrogations…
D’où vient l’augmentation de la dette ? Certainement du fait que les dépenses augmentent plus vite que les recettes – lapalissade… –, mais de quelles dépenses parle-t-on ? Quelles sont les dépenses qui augmentent et que l’on n’examine jamais ? Ce sont notamment les aides aux entreprises, qui sont passées, selon les chiffres de Bercy, de 60 milliards d’euros en 2006 à 140 milliards d’euros juste avant la crise. Nous sommes donc passés de 60 milliards à 140 milliards d’euros par an d’aides aux entreprises en quelques années… Il y a là de quoi s’interroger !
En outre, dans le même temps, entre 2001 et 2018, la contribution des entreprises au budget de l’État a baissé, selon les derniers chiffres de l’OCDE, de 64 %. On observe donc un mouvement de baisses massives des impôts des entreprises, d’autant que ces chiffres datent d’avant la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et de celui des impôts de production ; par conséquent, cette baisse est aujourd’hui encore plus importante.
Par ailleurs, parler de justice fiscale implique d’évoquer la différence majeure de pourcentage réel de contribution entre les petites entreprises et les grandes.
On peut se poser une autre question quand on parle de la réforme de l’État : celle de la manière dont la puissance publique contrôle l’effet de ses aides et veille à leur utilisation dans l’intérêt général, dans la lutte contre le chômage ou pour la transition écologique. Or un tel contrôle n’existe pas…
Ces aides sont attribuées au travers de plus de 2 000 niches ou aides spécifiques, dans un maquis gigantesque, avec des versements d’argent public, sans contrôle et sans capacité d’action réelle.
Il faut réhabiliter la dépense publique, mais non pas cette dépense-ci, qui est injuste. Les entreprises, notamment les petites, ont besoin d’aide pour la transition écologique ; les salariés et les précaires, aussi.
Il serait temps, dans notre pays, de réarmer l’État pour lui permettre de veiller à l’utilisation correcte et efficace de chaque denier, de chaque euro de dépense publique.
Dans la situation actuelle, on observe une situation de « deux poids, deux mesures » : on parle sans arrêt de contrôler chaque bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) à l’euro près, mais on ne parle jamais, au grand jamais, de vérifier ce que les multinationales font de l’argent public. Pendant ce temps, on observe des distributions de dividendes d’un côté et des suppressions d’emplois de l’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous parler de la réforme de l’État, même si cela n’a pas l’air de passionner grand monde ce soir…
Les débats relatifs à la réforme de l’État ont pour seule et unique finalité l’assainissement des comptes publics – c’est toujours vrai aujourd’hui –, comme si une réforme étatique ne pouvait être autre chose qu’une optimisation des coûts. Jean Rostand écrivait d’ailleurs : « Les mauvais effets d’une juste réforme ne condamnent point cette réforme, mais la société. »
Certes, il faut équilibrer les comptes de l’État, mais nous restons persuadés que cet unique objectif dévitalise la société dans ses rapports avec l’administration. Nous sommes las de ce discours réformateur, politiquement mobilisateur et électoralement rentable. Depuis 1980, nous endurons la démarche de « modernisation », de « démarche qualité » ou de « renouveau du service public », entamée avec la circulaire Rocard.
En 2007, la révision générale des politiques publiques (RGPP), confiée à des organismes privés, guidés avant tout par la satisfaction du client et non par celle du citoyen, a été menée sans concertation préalable et son bilan est pour le moins contrasté. Les fonctionnaires y ont vu, très majoritairement, un affaiblissement de l’État au bénéfice du secteur privé et une atteinte aux valeurs du service public ; en outre, les méthodes appliquées ont semblé arbitraires ou simplistes. Ensuite, après la timide « modernisation de l’action publique » sous François Hollande, voici, sous ce quinquennat, un énième plan, intitulé Action publique 2022.
On change chaque fois les vocables, les intitulés, les dénominations, mais l’objectif est constant depuis 2007 et peut être résumé en quatre points : réaliser des économies, s’engager dans la modernisation, tendre vers la simplification et, pour finir, concrétiser la proximité.
Emmanuel Macron, chef de projet, affirmait : « La mise en œuvre des réformes que nous préconisons permettra d’améliorer les comptes publics d’une trentaine de milliards d’euros à l’horizon 2022. »
Ces réformes auraient été justifiées par la demande des Français : amélioration de l’information et de l’accueil des usagers, simplification des procédures, développement des échanges électroniques – je pense que M. le secrétaire d’État en parlera –, mais comment répondre à ces aspirations si ce n’est avec un État moins centralisé, dans lequel la prise d’initiative et de responsabilité serait davantage valorisée et l’agent aurait des droits nouveaux d’intervention ?
Les fonctionnaires seraient « trop nombreux ». Tous les libéraux font campagne sur la réduction de leur nombre – il est vrai que nous sommes en période de primaires… –, mais personne n’y parvient : cela ne vous pose pas question ?
Toutes catégories confondues, hors contrats aidés, le nombre de fonctionnaires est passé de 5,26 millions en 2007 à 5,57 millions en 2021, soit une augmentation de 300 000 unités, pour 3,4 millions d’habitants supplémentaires sur la même période, ce que l’on oublie généralement de dire ! Donc la population croît et le nombre de fonctionnaires aussi ; c’est bien normal, car ceux-ci servent celle-là.
Ainsi, on nous vend un « nouveau monde » avec, une fois n’est pas coutume, de l’« ancien », avec l’annonce de la suppression de 120 000 emplois publics, dont 50 000 dans la fonction publique d’État, et on nous ressort les recettes de la RGPP avec la réforme de la rémunération des agents publics.
Pour ce gouvernement, la modernisation et la simplification de la relation entre État et usagers sont d’ailleurs associées au tout-numérique. Cette perspective constitue un basculement vers un État-plateforme, de l’aveu même de votre collègue Amélie de Montchalin, qui s’est exprimée sur ce sujet ici même, en évoquant « ce que l’État permettra à d’autres de faire grâce à des relations partenariales ».
L’objectif est clair : inventer des « services publics sans administration, auto-organisés par des communautés de citoyens prenant leur part de leur opération par leurs contributions et leurs interactions » écrivait Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État.
Le Conseil d’État a quant à lui évoqué « les conséquences disruptives pour le service public de l’émergence des plateformes numériques qui le concurrencent directement ».
Mes chers collègues, la réforme de l’État doit-elle forcément s’inspirer des méthodes du privé ? Le président veut « plateformiser » l’État, ce qui n’est pas étonnant : cela permet de minimiser les responsabilités d’un donneur d’ordre, de transférer les risques aux travailleurs et une partie des prérogatives des employeurs aux usagers.
C’est un coup triple pour le libéralisme, qui veut réduire les coûts, s’affranchir de ses responsabilités et achever de transformer le citoyen en client.
Une telle idée de la réforme contribue à saper l’État et le travail des fonctionnaires, qui sont confrontés à une perte de sens et d’expertise, le tout sans bénéfices pour les comptes publics.
Ce n’est pas notre vision de la réforme, ce n’est pas notre perception des services publics, et c’est encore moins notre définition de l’État.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre inattention ! Votre attitude est incorrecte !