Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
2. Hommage à Charles Revet, ancien sénateur
3. Questions d’actualité au Gouvernement
gestion de la crise migratoire (i)
M. Bernard Fialaire ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Bernard Fialaire.
gestion de la crise migratoire (ii)
M. Thomas Dossus ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Thomas Dossus.
situation de l’entreprise sam à viviez (i)
M. Alain Marc ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Alain Marc.
M. Guillaume Chevrollier ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Guillaume Chevrollier.
continuité des soins dans les établissements hospitaliers
Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Anne-Catherine Loisier.
levée des brevets des vaccins contre la covid-19
Mme Laurence Cohen ; M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes ; Mme Laurence Cohen.
M. Frédéric Marchand ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.
Mme Monique Lubin ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Monique Lubin.
situation de l’entreprise sam à viviez (ii)
M. Jean-Claude Anglars ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Jean-Claude Anglars.
enfouissement des déchets toxiques
M. Joël Bigot ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Joël Bigot.
M. Laurent Duplomb ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
rapport de l’insee et politique familiale
M. Olivier Henno ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Olivier Henno.
communication inclusive dans les institutions européennes
M. Philippe Pemezec ; M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes ; M. Philippe Pemezec.
situation de l’entreprise sam à viviez (iii)
Mme Angèle Préville ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Angèle Préville.
application aux fédérations sportives de la loi confortant les principes de la république
M. Michel Savin ; Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Michel Savin.
enquête visant le magistrat charles prats
M. Sébastien Meurant ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Sébastien Meurant.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Candidatures à une mission d’information et à une commission d’enquête
6. Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer. – Débat thématique
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
M. Jean-François Longeot ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
Mme Viviane Artigalas ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
M. Pierre Médevielle ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
M. Guillaume Chevrollier ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer ; M. Guillaume Chevrollier.
Mme Raymonde Poncet Monge ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
Mme Éliane Assassi ; M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.
Suspension et reprise de la séance
7. Éducation, jeunesse : quelles politiques ? – Débat thématique
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Sabine Van Heghe ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
M. Franck Menonville ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Anne Ventalon ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Monique de Marco ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; Mme Monique de Marco.
Mme Michelle Gréaume ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
M. Jean Hingray ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Conclusions de la conférence des présidents
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Situation des comptes publics et réforme de l’État. – Débat thématique
Mme Isabelle Briquet ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Isabelle Briquet.
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Vincent Segouin ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Vincent Segouin.
M. Paul Toussaint Parigi ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Vincent Capo-Canellas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Bernard Fialaire ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
11. Ordre du jour
Nomination de membres d’une mission d’information et d’une commission d’enquête
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Charles Revet, ancien sénateur
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec émotion que nous avons appris le décès, hier mardi, de notre ancien collègue Charles Revet, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1995 à 2019. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)
Maire de Turretot, son village natal, pendant trente-six ans, président du conseil général de la Seine-Maritime, cet agriculteur fut un défenseur passionné de cette terre du pays de Caux. Charles Revet fut un acteur majeur de la vie démocratique de son département. Il consacra son énergie, notamment, au rétablissement de la liaison transmanche Dieppe-Newhaven.
Élu plusieurs fois député de la Seine-Maritime, cet homme de foi et de conviction devint sénateur en 1995. Membre du groupe des Républicains indépendants, puis du groupe UMP et du groupe Les Républicains, il est toujours resté fidèle à son idéal humaniste.
Pendant vingt-quatre années passées à nos côtés, Charles Revet a éclairé notre assemblée, la commission des affaires économiques et la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont il fut vice-président, par sa connaissance des dossiers agricoles, maritimes et d’aménagement du territoire.
Son sens politique conjugué à son sens de l’humour et à sa gentillesse a marqué tous ceux qui ont eu la chance, et j’en étais, de travailler à ses côtés.
En juin 2013, président du groupe de spiritualité du Sénat et président du groupe France-Saint-Siège, il avait emmené une cinquantaine de nos collègues, de toutes convictions religieuses, au Vatican. Il était resté très marqué par sa rencontre avec le pape François, désigné quelques mois plus tôt.
En 2018, il avait écrit un livre intitulé La France périclite… et pourtant. Le « et pourtant » était pour lui essentiel. Au-delà de son inquiétude pour notre pays, il évoquait, comme dans la parabole, « ses talents » pour se redresser. C’était l’une de ses dernières contributions à une Nation qu’il a servie pendant plus de cinquante ans.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches, au président et aux membres du groupe Les Républicains auquel il a appartenu, ainsi qu’à ses collègues et anciens collègues de la Seine-Maritime, auxquels il était resté très attaché ; j’ai ainsi le souvenir d’une assemblée des maires en sa présence, à laquelle j’avais participé juste avant la pandémie de covid. J’ai une pensée particulière pour son épouse et ses filles.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, observent une minute de silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif à observer, au cours de nos échanges, le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.
Je ne doute pas que nous aurons le plaisir de retrouver M. le Premier ministre lors de la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement. Nous pensons à lui !
gestion de la crise migratoire (i)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Il y a une semaine, vingt-sept personnes trouvaient la mort en tentant de traverser le détroit du Pas-de-Calais pour rejoindre le Royaume-Uni. Après le temps légitime de l’émotion et du recueillement vient désormais celui des actes, afin de ne plus laisser « la Manche devenir un cimetière », comme l’a déclaré le Président de la République.
Au-delà des circonstances de ce drame, c’est bien toute la gestion de notre politique migratoire qui pose aujourd’hui question, en particulier en lien avec notre voisin britannique depuis le Brexit, avec, en toile de fond, le sort en suspens de populations très fragiles, qui restent irrésistiblement attirées par le rêve d’une vie meilleure outre-Manche ou chez nous.
Il y a donc urgence.
Oui, les réseaux mafieux de passeurs ont une responsabilité dans la multiplication des tentatives de traversée. Mais le verrouillage de la frontière autour de Calais depuis l’accord du Touquet en est aussi une cause structurelle.
Les migrants ne doivent pas devenir les victimes de nos arbitrages politiques.
Pour notre part, nous pensons que la solution doit d’abord être gérée par la solidarité européenne. Mais elle ne peut s’extraire d’une réflexion plus large sur notre politique migratoire, au regard des tendances de long terme de notre démographie.
Comment parler aujourd’hui de façon crédible de réindustrialisation si la main-d’œuvre venait à manquer ? Comment garantir la pérennité de notre modèle social si notre économie ne peut plus le financer ?
Hier, le Panthéon accueillait une migrante, Joséphine Baker, qui a su rendre à la France ce qu’elle lui avait donné et plus encore.
Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir une politique migratoire plus juste et plus humaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, tout d’abord, je veux redire au nom du Gouvernement – et je l’imagine, en notre nom à tous – notre émotion et, bien sûr, notre colère face au drame qui s’est déroulé au large de Calais le 24 novembre dernier. Beaucoup de vos collègues vont poser des questions sur cette crise migratoire, et je leur répondrai bien évidemment. Mais puisque vous avez prononcé ce mot d’introduction, je tenais à m’associer à vos propos.
Dans tous les pays, l’immigration est quelque chose de normal. Elle n’est ni une chance ni une malchance pour un pays ; elle est un fait.
Nous devons pouvoir accueillir sur notre sol les personnes qui y viennent pour diverses raisons, ce que notre droit reconnaît depuis des temps très anciens, au moins depuis que la République française est une démocratie.
L’accès au droit d’asile veut dire non pas que l’on accepte tout le monde, mais que chaque demande est étudiée dans les meilleures conditions possible.
Nous avons encore beaucoup de travail à faire, monsieur le sénateur, pour que l’accueil des personnes sur le territoire national ait lieu dans des conditions de parfaite humanité. Le Président de la République a demandé que les délais soient réduits ; nous y procédons. Faut-il agir encore davantage en ce sens ? Oui !
Notre pays a besoin aussi, comme tous les pays du monde – en tout cas ceux d’Europe –, de l’immigration de travail. Il faut réviser, sans doute, la liste des métiers concernés, mieux accueillir les personnes en matière de logement, peut-être établir avec elles un contrat plus clair, et il faut que le patronat les rémunère davantage. Oui, nous devons évidemment faire cela, comme l’ont proposé un certain nombre de penseurs et d’économistes.
En contrepartie – il me faut aller très rapidement, monsieur le sénateur –, nous devons pouvoir dire que nous ne voulons pas accueillir un certain nombre de personnes sur notre sol.
Bien sûr, nous devons encore améliorer la façon dont nous reconduisons ceux auxquels nous n’accordons pas le droit d’asile en France ou le droit de travailler dans notre pays, ou bien ceux dont nous jugeons que le comportement ou les valeurs ne sont pas compatibles avec la République.
C’est un travail très difficile, et je peux vous assurer que, loin des pulsions et des réflexes, le Gouvernement est dans la réflexion et dans l’action. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse. Sincèrement, le plus bel hommage que l’on peut rendre à Joséphine Baker aujourd’hui est bien de traiter avec humanité ce problème dramatique, à la suite de l’épisode qui s’est déroulé il y a huit jours exactement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
gestion de la crise migratoire (ii)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, cela a été dit, vingt-sept personnes sont mortes en mer au large de Calais.
Vingt-sept personnes : des enfants, des hommes, des femmes, comme Maryam Nuri Mohamed Amin, jeune kurde irakienne de 24 ans, qui tentait de rejoindre son fiancé au Royaume-Uni.
Vingt-sept personnes sont mortes : il est de notre devoir collectif qu’un tel drame ne se produise plus.
De quoi sont-elles mortes ? D’un étau mortel : d’un côté, la militarisation grandissante de nos frontières ; de l’autre, l’avidité des passeurs qui en profitent.
Monsieur le ministre, vous pouvez ériger autant de murs, de barbelés, déployer autant d’avions et de moyens de surveillance que vous le désirez, la détresse, le chaos climatique ou l’oppression continueront de faire se déplacer des hommes et des femmes vers un avenir meilleur. Votre politique fait la fortune des groupes de passeurs. Plus haut sera le mur, plus chère sera l’échelle qu’ils vendront.
Ce naufrage doit être considéré comme le drame de trop. Il nous fait honte, comme nous fait honte, parfois, votre politique quotidienne à l’égard des exilés. Les images des tentes lacérées par des forces de l’ordre ou leurs prestataires nous rappellent quotidiennement la réalité de l’attitude de ce gouvernement vis-à-vis des migrants.
Votre réponse à ce drame est désormais de déployer Frontex dans la Manche. Après avoir investi des centaines de millions d’euros en Méditerranée pour empêcher les exilés d’entrer en Europe, vous souhaitez déployer des forces pour les empêcher de sortir d’Europe !
Monsieur le ministre, quand allez-vous mettre fin à cette surenchère militaire, aux actes de maltraitance, et enfin travailler à une politique d’accueil digne ainsi qu’à la création de voies légales et sûres de passage ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Martine Filleul et M. Jean-Luc Fichet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, ce drame ne justifie pas toutes les contrevérités !
Depuis le 1er janvier de cette année, les policiers et les gendarmes ont sauvé, au péril de leur vie, 7 800 migrants : pour cela, ils sont entrés dans l’eau, dans des conditions extrêmement difficiles.
Quand nous empêchons des migrants de traverser la Manche, nous les interpellons non pas pour les mettre en prison, mais pour les empêcher de prendre la mer sur des embarcations de fortune, précisément pour éviter que de tels drames ne se produisent.
Monsieur le sénateur, faites attention que la bonne conscience ne conduise pas, justement, à ces drames que nous constatons !
Depuis le 1er janvier, nous distribuons, grâce aux contribuables français, 2 200 repas par jour. C’est l’honneur de la France que de le faire, et cela représente 4 millions d’euros.
Depuis le 1er janvier, nous avons relogé 14 400 migrants, partout sur le territoire national ; vous les voyez, parfois, dans vos territoires. Cela représente 20 millions d’euros et c’est, là encore, l’honneur de la France.
Je constate que, dans votre question, comme dans celle de votre collègue Mme Benbassa, laquelle disait que les passeurs n’étaient pas importants, vous n’avez pas un mot pour qualifier ceux-ci de criminels, ce qu’ils sont véritablement !
Le problème, c’est que ces migrants ne veulent pas rester en France. Nous proposons l’asile à ces personnes. Or – tous les élus du Nord-Pas-de-Calais vous le diront – moins de 3 % des 2 000 migrants qui se trouvent aujourd’hui à Dunkerque et à Calais demandent l’asile en France. Tous les autres, qui sont éligibles à plus de 60 % au droit d’asile, veulent aller en Angleterre.
Pourquoi n’attaquez-vous pas le patronat anglais, qui profite de cette « armée de réserve » ? Car, en Grande-Bretagne, on peut travailler sans avoir de pièce d’identité et payer des impôts !
Pourquoi ne regardez-vous pas la situation de l’autre côté de la Manche ? En Grande-Bretagne, seules 30 000 demandes d’asile sont déposées, alors que 1,2 million de clandestins se trouvent dans le pays.
Tandis que la France fait un travail humanitaire, l’insulter et insulter les forces de l’ordre n’est pas à l’honneur de la représentation nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.
M. Thomas Dossus. Monsieur le ministre, comme à votre habitude, vous n’êtes responsable de rien !
Puisque vous aimez les chiffres, je vais vous en donner trois : 97 % des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mise à l’abri ; dix-huit ONG de solidarité ont signé une tribune aujourd’hui pour vous exhorter à changer de politique, et notamment à mettre en place des routes sûres pour l’immigration légale ; enfin, vingt-huit, c’est le nombre de jours de grève de la faim suivis par un prêtre pour dénoncer votre politique.
En réalité, vous menez une politique irresponsable, inhumaine et criminelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Alain Marc. Madame la ministre chargée de l’industrie, la SAM, entreprise du bassin de Decazeville à Viviez, fabrique des moteurs pour Renault. Or le tribunal de commerce de Toulouse vient de prononcer sa liquidation, jetant ainsi 333 employés au chômage.
Ce bassin industriel, qui comptait 38 000 habitants il y a cinquante ans, n’en a plus que 18 000 aujourd’hui. Cette perte d’emplois est considérable pour ce petit bassin économique.
Au-delà des drames humains qui seront la conséquence de cette décision, comment comprendre la décision de Renault de permettre la délocalisation d’une entreprise dans un pays étranger, probablement la Roumanie, au moment où tout le monde a conscience qu’il faut réindustrialiser notre pays ?
Pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer ce que compte faire le Gouvernement dans les prochaines semaines ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Marc, j’aimerais, pour commencer, avoir un mot personnel aux salariés de la SAM, dont j’ai rencontré à de nombreuses reprises les représentants : le choc est terrible ; vous avez l’impression que votre monde s’effondre ; vous n’êtes pas responsables de la situation ; ni la qualité de votre travail ni votre engagement ne sont en cause, et vous nous trouverez – vous me trouverez – toujours à vos côtés.
Depuis maintenant deux ans, avec Bruno Le Maire, avec Carole Delga, présidente de la région Occitanie, avec Arnaud Viala, président du département de l’Aveyron, ainsi qu’avec les parlementaires et les élus du territoire, nous avons cherché un repreneur.
Depuis deux ans, l’État a mobilisé tous les outils pour éviter la liquidation judiciaire de l’entreprise et rendre possible cette recherche de repreneur. Notre responsabilité collective est maintenant de donner un avenir aux salariés et au site de Decazeville.
C’est ce que nous faisons en demandant à Renault de proposer un accompagnement financier et social exemplaire.
C’est aussi ce que nous faisons, avec Élisabeth Borne, en mobilisant le fonds Fonderie, dédié spécifiquement aux aspects sociaux de la transformation du secteur automobile et de la filière fonderie. Ce fonds accompagne les salariés dans leur rebond professionnel, en proposant des financements renforcés pour la formation, la mobilité, l’aide à la création d’entreprise, en vue de leur donner cet avenir professionnel.
C’est ce que nous faisons, par ailleurs, en mobilisant le dispositif Choc industriel, visant à implanter de l’emploi industriel sur le territoire de Decazeville. Nous l’avons lancé il y a quelques semaines et nous sommes aujourd’hui en contact avec plusieurs entreprises susceptibles de créer de l’emploi.
C’est ce que nous faisons, enfin, en accompagnant deux projets qui, je l’espère – mais je ne fais pas de promesses à ce stade –, pourraient s’implanter à Decazeville, permettant justement de renverser la vapeur et de créer de l’emploi sur ce site industriel très important. (MM. François Patriat et Frédéric Marchand applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Il y a tout de même un paradoxe, madame la ministre.
Tout d’abord, la procureure de Toulouse peut infirmer le jugement du président du tribunal de commerce et exiger la prolongation de l’activité.
Ensuite, l’État va donner des milliards d’euros pour le secteur automobile. Au sein de Renault, vous le savez, l’État dispose d’une minorité de blocage. Vous avez encore le pouvoir de faire en sorte que Renault continue à donner du travail à la SAM !
Enfin, tout le monde en sera d’accord sur ces travées, vous professez vouloir réindustrialiser la France et la réarmer économiquement. On ne comprend donc ni cette décision ni votre inaction !
Alors que vous avez ce pouvoir, vous prenez acte de votre impuissance. J’espère qu’il ne s’agit pas de votre part de duplicité… Ce que vous nous dites est extrêmement grave.
Il faudra tout de même un jour mettre en cohérence ces paroles et ces actes, si l’on veut réindustrialiser la France. Il faut vraiment sauver la SAM ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
situation en outre-mer
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, aux Antilles, la situation se dégrade et le lien national se distend. La crise sanitaire a exacerbé des problèmes de fond : coupures d’eau potable, chômage endémique des jeunes, vie chère, baisse démographique, excès d’emplois publics, scandale du chlordécone.
La crise en outre-mer est aussi politique et démocratique.
La première priorité, c’est le rétablissement de l’ordre public par l’État grâce à un soutien total à nos forces de l’ordre. En effet, ce sont des pharmacies, des bureaux de poste et des cabinets médicaux qui sont pillés. Les autorités locales doivent faire front commun avec l’État pour condamner sans réserve les violences.
La seconde priorité, c’est de juguler la pandémie et de permettre l’accès aux soins et aux vaccins.
Par ailleurs, il faut absolument rétablir un dialogue de confiance avec les forces vives des Antilles et trouver des solutions structurelles pour revitaliser durablement les territoires ultramarins, auxquels nous sommes profondément attachés.
La somme des diversités des outre-mer fait notre culture nationale et notre fierté. Nous devons refonder les termes d’une relation plus équilibrée et plus partenariale. Cela ne se règle pas par une visite ministérielle express trois semaines après le début de la crise, ou à la veille de l’élection présidentielle.
Aussi, quelle est la stratégie du Gouvernement pour nos outre-mer ? Quelles actions concrètes pour améliorer le quotidien de nos compatriotes ultramarins, qui méritent respect et reconnaissance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Chevrollier, je vous prie d’excuser le ministre Sébastien Lecornu : vous le savez, il est en ce moment même en train de discuter avec les élus de la Guadeloupe et de la Martinique ainsi qu’avec M. le Premier ministre en visioconférence. Il m’a chargé de le suppléer, et j’espère que la réponse que je vais vous apporter vous conviendra.
Nous vous remercions d’abord des propos que vous venez de tenir, lesquels témoignent d’une solidarité avec les forces de l’ordre, tant celles qui étaient sur place que celles que nous avons envoyées – cinq unités de force mobile (UFM) pour chacune des deux îles et, comme vous l’avez certainement vu, des unités d’élite du RAID et du GIGN – afin de rétablir l’ordre public.
Au bout de huit jours, le rétablissement de l’ordre public a fortement progressé sur les deux îles. Nous déplorons cependant une cinquantaine de policiers et de gendarmes blessés, dont un grièvement, et plus de 150 interpellations.
L’ordre républicain a donc été réaffirmé. Je le redis, je vous remercie de votre soutien, car tous ceux qui ont pris la parole sur cette question très importante pour la Guadeloupe et la Martinique n’ont pas fait comme vous.
Rétablir l’ordre public, c’est justement ce qu’a voulu faire le ministre des outre-mer en se rendant sur place : d’abord, en veillant à ne pas empêcher les forces de l’ordre de faire leur travail dans des conditions difficiles ; mais aussi, dans le cadre de ses rencontres avec une partie des forces vives, en opposant une fin de non-recevoir à des demandes d’entretien de délégations qui n’acceptaient pas, au préalable, de condamner la violence, les pillages et les tirs sur des policiers, des gendarmes et des journalistes.
Il ne faut pas, je le pense, discuter avec ceux qui sont manifestement des ennemis de la République. Avec tous les autres, le dialogue est évidemment ouvert, et c’est ce à quoi s’emploie le ministre.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la crise sanitaire : nous rappelons que 1 300 soignants ont été envoyés depuis la métropole en Martinique et en Guadeloupe et que, rien que pour la Guadeloupe, 1,5 milliard d’euros ont été versés pour apporter un soutien économique dans le cadre de la crise du covid.
Nous avons pris des dispositions extrêmement dures – il faut bien l’avouer –, mais courageuses : 1 400 soignants ont été suspendus car ils ne voulaient pas être vaccinés.
Il n’y a pas de raison que les métropolitains soit mieux vaccinés, mieux pris en charge et mieux protégés que nos compatriotes des Antilles. Céder sur ce point aurait été une preuve de faiblesse et de lâcheté.
Il faut bien sûr continuer à faire ce travail institutionnel, économique, social. Le ministre des outre-mer, sur la demande du Président de la République, a ouvert un cycle de concertations et de discussions. Il retournera aux Antilles, où il a ouvert des voies dans les domaines économique et institutionnel. Travaillez avec nous pour donner de l’avenir à ces territoires français ! (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, votre collègue des outre-mer a parlé d’autonomie à une semaine du référendum sur la Nouvelle-Calédonie, qui fait planer une menace d’indépendance. Cette proposition inattendue est inadaptée et ambiguë. Travaillons plutôt sur la différenciation territoriale, comme le propose le Sénat !
Avec les enjeux considérables qu’ils représentent – stratégie indo-pacifique, économie bleue, richesse de la biodiversité –, nos outre-mer méritent un débat de fond, dans un contexte apaisé. Construisons avec eux leur avenir dans la République française ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Guidez et Évelyne Perrot applaudissent également.)
continuité des soins dans les établissements hospitaliers
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question porte sur la continuité des soins dans les hôpitaux publics et s’adresse à Mme la ministre chargée de l’autonomie.
Le statut de clinicien hospitalier, issu de la loi HPST de 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, visait à compenser la perte d’attractivité des hôpitaux publics pour les emplois difficiles à pourvoir. Ce dispositif visait déjà à l’époque à lutter contre les recours abusifs à des mercenaires et à répondre avec pragmatisme au taux de vacance de 20 % constaté dans les hôpitaux.
Le Gouvernement a décidé, madame la ministre, de supprimer cette possibilité de recrutement par contrat à compter du 1er janvier prochain. Cette suppression sèche du statut de clinicien hospitalier, alors même que le taux de vacance a doublé, voire triplé, dans certains services à la fin de 2021 par rapport à 2009, met en grand péril la continuité des soins des services hospitaliers, notamment dans les hôpitaux dits périphériques, situés dans des territoires désertés par la médecine libérale et souvent victimes d’une surmortalité et d’une moindre consommation des soins liées à l’isolement.
Comment justifiez-vous cette décision, qui, en pleine crise, vient fragiliser encore les services subsistants, privant les hôpitaux publics de professionnels qualifiés ? Surtout, quelles alternatives proposez-vous pour garantir la continuité des soins dans ces hôpitaux publics confrontés à la menace d’une cinquième vague, et alors que les soignants épuisés croulent sous les heures supplémentaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Fabien Genet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, les tensions à l’hôpital sont réelles et ont été amplifiées par la concomitance des épidémies de covid, avec la cinquième vague, et de virus hivernaux.
Pour autant, ne disons pas – de grâce ! – que tout va mal. Il est nécessaire d’objectiver la situation : c’est ce que nous faisons avec l’ouverture d’une enquête sur les tensions RH et le capacitaire dans les établissements de santé, dont les résultats seront rendus publics dans les prochains jours.
Au vu de l’urgence, nous maintenons ce qui a permis aux hospitaliers de tenir jusqu’à présent, c’est-à-dire la majoration des heures supplémentaires et du temps de travail additionnel jusqu’en janvier 2022, et la possibilité d’un cumul emploi-retraite. Nous sommes particulièrement attentifs aux tensions dans les services d’urgence, de pédiatrie et de maternité. Nous avons demandé aux agences régionales de santé (ARS) de mobiliser leurs cellules territoriales de suivi et d’activer une nécessaire solidarité territoriale, avec le concours des établissements privés et des libéraux, en utilisant les libertés en termes d’organisation des services permises par la loi Rist (loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification).
Par ailleurs, nous réformons l’intérim médical, en deux temps. Des travaux préparatoires sont ouverts depuis un mois : une cartographie de la situation actuelle sera dressée et l’organisation de l’accompagnement dans les territoires, consacrée. Puis, dès que possible en 2022, nous appliquerons la réforme avec un contrôle a priori par le comptable public du respect du plafond réglementaire.
La réponse pérenne que nous apportons s’appuie aussi sur un effort sans précédent pour accroître l’attractivité des métiers et des infrastructures hospitalières, avec près de 30 milliards d’euros du Ségur. Le Gouvernement est donc pleinement au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, sortez des CHU et venez dans les hôpitaux périphériques !
Mme Anne-Catherine Loisier. Avant de supprimer des outils, certes imparfaits, prenez garde à ne pas fragiliser davantage les services publics hospitaliers et les soignants, qui sont au bord de la rupture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, Les Républicains, GEST et SER.)
levée des brevets des vaccins contre la covid-19
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Avec la cinquième vague de la covid qui déferle sur le monde et un variant omicron qui présente un risque très élevé selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il est urgent de répondre à la pandémie sur le plan international, en réunissant tous les pays, comme l’a souligné hier au Sénat le professeur Yazdanpanah, directeur de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes.
Les inégalités demeurent criantes à cause de l’égoïsme des grandes puissances : 60 % des personnes sont vaccinées dans les pays riches, contre seulement 3 % dans les pays pauvres. C’est une honte !
Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous enfin entendre la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud, soutenue par 100 pays et de très nombreuses ONG, de lever les brevets et les droits de propriété intellectuelle, de partager non seulement les technologies sur les vaccins mais aussi les traitements et les tests anti-covid, afin de permettre à toutes et à tous d’être vaccinés ?
Cette demande a été défendue avec force hier lors des rassemblements dans toute l’Europe ; j’ai moi-même participé à un rassemblement à Paris à l’appel de nombreux syndicats, ONG et partis politiques. Allez-vous continuer à l’ignorer ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice Cohen, il faut être extrêmement précis et clair sur l’action de la France et de l’Europe en la matière. Vous avez raison, nous ne viendrons pas à bout de cette pandémie, comme nous le constatons chaque jour, si le monde entier n’est pas vacciné, autrement dit si le vaccin ne devient pas un bien public mondial.
C’est le Président de la République, dès le mois d’avril 2020, et l’Europe, emboîtant le pas à la France, qui ont depuis le début porté très concrètement cette exigence au niveau international. Le Président de la République l’a dit dès le printemps 2020, la propriété intellectuelle ne sera pas un obstacle à la diffusion du vaccin.
Je le dis là aussi très précisément, la stratégie portée par la France et l’Europe est complexe, car il ne suffit pas d’ouvrir le débat sur la propriété intellectuelle.
D’abord, je le rappelle, nous sommes le seul pays et le seul continent, par rapport à nos voisins et partenaires britannique ou américain, qui clamaient pourtant la solidarité internationale, à ne pas avoir prévu d’interdiction d’exportation. J’insiste, nous n’y avons jamais eu recours. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle c’est l’Europe aujourd’hui qui a exporté dans le monde le plus de vaccins – un milliard de doses au total – et qui en a donné d’ores et déjà plus de 100 millions, dont 67 millions pour la France – et c’est tout à notre honneur.
Nous sommes devenus la pharmacie du monde. C’est l’Europe qui vaccine le monde entier grâce à cette solidarité. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe CRCE.)
Nous sommes le continent – nous devrions le célébrer ensemble, madame la sénatrice – qui en fait le plus, et nous avons débloqué au niveau européen 1 milliard d’euros pour développer des hubs de production industrielle en Afrique, sur place. Trois projets sont déjà en cours, en Afrique du Sud, au Rwanda et au Sénégal.
Avec le soutien de l’OMS, nous sommes actuellement en négociation avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous sommes favorables au mécanisme que j’appelle de « licence obligatoire » afin que les pays qui en ont besoin, moyennant une rémunération minimale ou nulle, puissent avoir accès aux vaccins, car, pour être très clair, c’est la propriété intellectuelle qui est le véritable obstacle. Voilà ce que défend l’Europe.
Je vous rappelle que ceux qui ont parlé de la levée des brevets il y a déjà quelques mois – je pense aux États-Unis en particulier – n’ont jamais fait de proposition en ce sens. Pour notre part, nous sommes concrets : solidarité, livraison de doses, production locale et levée de la propriété intellectuelle chaque fois que cela est nécessaire.
Cette négociation à l’OMC est aujourd’hui bloquée, non par l’Europe mais par d’autres pays. Nous sommes cohérents et nous faisons concrètement du vaccin un bien public mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes tellement cohérent que cela ne marche pas ! Il faudrait peut-être remplacer les paroles par des actes… Quand vous me répondez que nous exportons des vaccins, je vous redis que 75 % des doses de vaccin contre le covid sont uniquement utilisées dans dix pays. Il y a un problème : le dispositif Covax ne marche pas !
Je suis ravie d’entendre que, tout à coup, vous découvrez la licence d’office, car cela fait des mois et des mois que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste vous fait cette proposition. Subitement, le Président de la République dit qu’il faut lever les brevets : tant mieux !
J’ai déjà posé cette question ici, en juin dernier. En attendant, la pandémie continue à se propager et cause des milliers de morts. Et que faites-vous ? Vous privilégiez les grands laboratoires. Il faut savoir que Pfizer, Moderna et BioNTech empochent 1 000 dollars de bénéfices par seconde : avec la troisième dose, ce sera le jackpot !
Alors, mettez en accord vos paroles et vos actes et faites vôtre la proposition d’un pôle public du médicament et des produits de santé : vous verrez, cela marchera mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
situation des migrants
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le ministre de l’intérieur, la tragédie qui a conduit, il y a une semaine, à la mort par noyade dans la Manche de vingt-sept migrants rappelle cruellement que des milliers de personnes essaient, au péril de leur vie, de traverser ce bras de mer pour rejoindre le Royaume-Uni.
Qu’importe si les barrières sont toujours plus nombreuses à Calais, son port et aux abords du tunnel sous la Manche, rien n’entame la détermination des candidats au départ, qui connaissent pourtant les dangers de la traversée sur ces canots pneumatiques de fortune appelés small boats, devenus la marque de fabrique de passeurs faisant commerce de la désespérance humaine.
La question migratoire est une question ô combien sensible. Ce drame a légitimement suscité une vive émotion que, tous ici, nous partageons. Je veux avoir en cet instant une pensée pour toutes ces vies brisées.
Pour autant, il ne s’agit ni de se convertir aux thèses par trop nauséabondes de l’extrême droite, ni de recourir à certains simplismes démagogiques électoralistes comme ceux qui consisteraient à remettre en cause les accords du Touquet, ni de basculer dans l’angélisme béat.
Bien au contraire, il s’agit de montrer que c’est le chemin qui combine humanité, responsabilité et coopération européenne qui est la seule voie de passage. Ce chemin, vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, c’est celui que notre pays, la France, a décidé d’emprunter.
Oui, il faut faire face à cette situation de manière raisonnée, soit tout l’opposé de la réaction du Premier ministre Boris Johnson, inacceptable sur la forme et inique sur le fond.
Il s’agit d’abord de lutter plus efficacement contre les réseaux criminels de passeurs, qui profitent des populations migrantes vulnérables, les exposant à des traversées maritimes périlleuses vers le Royaume-Uni.
Il s’agit également de renforcer la coopération opérationnelle, non seulement sur les côtes de la Manche et de la mer du Nord, mais également plus en amont en Europe et dans les pays d’origine et de transit.
Enfin, la question fondamentale du partage des demandeurs d’asile entre l’Union européenne – la France en particulier – et le Royaume-Uni doit être mise sur la table.
Je pense donc profondément nécessaire la coopération européenne.
À ce titre, je salue votre initiative d’avoir réuni très rapidement vos homologues européens.
À l’issue de cette rencontre avec vos homologues et de la réunion, lundi, du Conseil de défense et de sécurité nationale, pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les engagements pris pour lutter toujours plus contre ce trafic insupportable de migrants et pour éviter que des drames humains ne se reproduisent ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Marchand, deux types d’actions doivent être entreprises à la suite des décisions prises par le Conseil de défense.
D’abord, c’est de lutter contre les criminels que sont les passeurs. Nous en avons interpellé 1 400 depuis le 1er janvier dernier, mais nous savons qu’ils sont plus nombreux, basés dans divers pays – Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Angleterre –, qu’ils se jouent des circuits financiers, des nationalités et des législations pour l’achat de bateaux. Nous devons absolument mieux coopérer. C’est ce que nous avons fait dimanche à Calais : pour la première fois, les ministres de l’intérieur se sont réunis sur cette question, qui sera à l’ordre du jour, sur la demande de la France, du Conseil des ministres de l’intérieur et de la justice du 9 décembre prochain à Bruxelles.
Nous avons augmenté le nombre d’effectifs de policiers, de gendarmes et d’agents de Bercy, de la diplomatie et de la magistrature qui nous aident dans un office particulier, anti-passeurs, que nous avons créé. Nous allons doubler ses effectifs d’ici à l’année prochaine. Ce soir même, à dix-neuf heures, le Premier ministre présidera une réunion à ce sujet.
Ensuite, nous devons absolument mettre fin à l’attractivité de la Grande-Bretagne, et j’ai largement développé ce point en répondant précédemment à votre collègue.
La principale difficulté, monsieur le sénateur, c’est qu’aujourd’hui, si la Grande-Bretagne profite en partie des immigrés clandestins – ces migrants qui fuient la misère et veulent absolument aller en Angleterre –, c’est parce que ceux-ci n’ont pas d’accès légal à cette île de Grande-Bretagne.
Remettre en cause les accords du Touquet n’aurait pas d’intérêt. Certes, on peut les renégocier, ce n’est pas un mantra ! Mais il faut savoir qu’ils ont été discutés au moment où les migrants clandestins passaient par le port et le tunnel. Or ce n’est plus le cas ! Nous avons sécurisé le port et le tunnel, et aujourd’hui c’est par des bateaux, des small boats, que les migrants vont en Angleterre.
Les accords du Touquet règlent la question des immigrés légaux, mais pas la question des small boats. Comme le Premier ministre l’a écrit à Boris Johnson, il nous faut un accord entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne, un sujet que le Président de la République mettra à l’ordre du jour de la présidence française de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
situation épidémique
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Monique Lubin. Madame la ministre chargée de l’autonomie, je ne peux que rappeler que le contexte de l’actuelle vague épidémique nous donne raison concernant la vaccination obligatoire.
Et pour différente que soit la situation dans son pays, le choix du futur chancelier allemand en faveur d’une obligation vaccinale prise sur la base d’une initiative parlementaire, que vous avez pour votre part refusée, ne fait que le confirmer.
Dans un autre registre, les informations relatives à la santé des enfants sont aujourd’hui préoccupantes. Elles incitent la Haute Autorité de santé à recommander la vaccination prioritaire des enfants de moins de 12 ans à risque de développer une forme grave ou vivant dans l’entourage de personnes vulnérables.
Il y a deux jours en effet, 69 enfants de 0 à 9 ans étaient hospitalisés du fait de la covid-19, et 53 de 10 à 19 ans. Si depuis le début de l’épidémie, il n’y a eu, si j’ose dire, que 13 décès d’enfants de 0 à 19 ans, nous en comptons 9 depuis la mi-juin, et 3 ces dix derniers jours.
Nous considérons tous ici que c’est beaucoup trop. Si l’erreur a été commise de confondre moindre risque pour les enfants avec absence de risque, les données qui nous sont présentées aujourd’hui ne nous y autorisent plus.
Je rappelle, par ailleurs, que les enfants peuvent également subir les séquelles du covid long et les traumatismes liés à la crainte d’être à l’origine de la contamination des proches vulnérables.
Dans ce contexte, le choix de laisser circuler le virus au sein des écoles et de favoriser la continuité en maintenant les classes ouvertes au-delà du raisonnable n’est plus recevable.
C’est la raison pour laquelle je vous demande, madame la ministre, quels sont les moyens que vous choisissez de déployer et à quelle échéance pour minimiser le risque à l’école. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Monique Lubin, depuis plusieurs semaines, je pense que chacun doit faire preuve d’un peu d’humilité face à ce virus (Marques d’indignation à gauche.), qui circule activement dans tous les pays, notamment en Europe de l’Est et du Nord.
Notre pays n’est plus épargné par cette cinquième vague épidémique violente, vous le savez, avec un taux d’incidence en hausse forte, désormais supérieur à 300. Le nombre d’admissions pour covid à l’hôpital, y compris en soins critiques, progresse ; la situation reste tendue en outre-mer ; par ailleurs, un nouveau variant préoccupant, l’omicron, a été identifié. Notre pays prend donc les mesures proportionnées à chacune des étapes de cette crise sanitaire.
Les vols en provenance d’Afrique australe, où le variant fut détecté, sont suspendus jusqu’à samedi. De nouvelles mesures aux frontières ont également été annoncées ce midi par le porte-parole du Gouvernement. Plusieurs cas ont été observés en Europe, dont un cas en France, à La Réunion.
Pour contenir son développement, le dépistage et les études sur sa contagiosité sont en cours. Nous prendrons des mesures, y compris au sujet des enfants dont vous parlez, dès que la Haute Autorité de santé nous en aura donné les résultats.
Après consultation et concertation, comme à chaque étape de la campagne de vaccination, nous avons ouvert le rappel vaccinal à tous les adultes, à partir de cinq mois après la précédente injection, sur la base de nouvelles recommandations de la Haute Autorité de santé. En pratique, cela concerne 25 millions de Français, dont 7,7 millions ont déjà fait leur rappel.
Pour mener cette vaste campagne, il nous faut la mobilisation de tous. Nous comptons sur les médecins libéraux, les pharmaciens, les infirmiers, qui seront valorisés pour cela. Nous réarmons plusieurs centaines de centres de vaccination partout en France. Le rappel vaccinal sera intégré au passe sanitaire. Nous réactivons aussi la ligne prioritaire pour les personnes âgées et fragiles qui ne trouvent pas de rendez-vous immédiat.
Bref, le passe sanitaire intégrera cette dose dès le 15 décembre pour les personnes de plus de 65 ans, et à compter du 15 janvier pour les autres publics. Enfin, le masque est rétabli en intérieur, et les préfets ont autorité pour l’imposer lors des rassemblements extérieurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées du groupe SER.)
Plusieurs sénateurs du groupe SER. Et les écoles ?
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, vous n’avez visiblement pas entendu ma question, à laquelle vous n’avez absolument pas répondu (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.), quelle que soit la mauvaise humeur dont vous faites preuve à l’instant.
Je vous parle simplement des écoles, où depuis le début de la crise règne une certaine cacophonie. Croyez-moi, nous gardons beaucoup de modestie parce que nous savons que les choix sont particulièrement difficiles en cette période. Mais il existe aujourd’hui des techniques, notamment des techniques de pooling, qui permettraient de mieux traiter les enfants et de mieux encadrer cette question. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
situation de l’entreprise sam à viviez (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre chargée de l’industrie, permettez-moi de revenir sur le cas de la filière automobile et sur la politique industrielle du Gouvernement. La situation est sérieuse, et votre réponse à notre collègue Alain Marc peu satisfaisante.
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
M. Jean-Claude Anglars. Je souhaite souligner à quel point cette réponse montre que vous n’avez saisi ni la gravité du sujet ni ses enjeux locaux et nationaux. Vous venez d’indiquer que votre agitation pendant un an n’a conduit à aucun résultat.
Ce matin, plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour soutenir les salariés de l’usine SAM de Viviez, car « le choc est terrible ». Oui, vous avez raison, le choc est terrible.
Vous avez dit que le rôle de l’État est d’accompagner tous les acteurs de la filière – salariés, sous-traitants, constructeurs et équipementiers –, mais nous constatons en Aveyron qu’il n’en est rien. Le cas de la fonderie SAM en est la preuve.
L’heure est aux choix, madame la ministre.
Choisir l’économie française, c’est vouloir l’implantation en France de productions stratégiques et investir pour leur avenir.
Le Gouvernement fait visiblement un autre choix, celui de l’abandon des outils industriels dans nos territoires. Ce choix est incompréhensible et inacceptable pour les 1 000 familles concernées par cet abandon. Ce choix est aussi inquiétant pour la France. Je ne doute pas que les Français ne l’oublieront pas en 2022.
Ma question est donc simple, madame la ministre : que dites-vous aux 333 salariés de la SAM pour leur expliquer que la réindustrialisation de la France peut encore attendre ? Que dites-vous aux Français pour expliquer l’incapacité du Gouvernement à sauver le pays ?
Et surtout, ne nous dites pas que, pour trouver un travail, les salariés de la SAM n’ont qu’à traverser la France comme on traverse la rue ! L’outil industriel et ses salariés sont en Aveyron, ils doivent rester en Aveyron ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – MM. Jérémy Bacchi, Denis Bouad et Jean-Jacques Michau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Anglars, vous le savez bien, car vous avez participé à quelques-unes des nombreuses réunions de travail sur cette fonderie : l’implication de l’État a été totale depuis deux ans pour retrouver un repreneur. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. On aura tout entendu !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Et ce n’est pas la première fois, car nous avons sauvé cette fonderie il y a cinq ans, en 2017.
À chaque fois qu’il y a eu des propositions de repreneurs, nous nous sommes mobilisés pour les accompagner et les financer.
À chaque fois que des options ont été écartées, nous avons tout mis en œuvre pour construire des projets alternatifs viables.
Vous-même, en mai dernier, avez contesté et écarté une offre ferme de reprise préservant l’emploi de 150 salariés. Vous considériez qu’elle n’était pas satisfaisante, car elle n’était pas durable. Notre responsabilité vis-à-vis des salariés du site est en effet de trouver une solution durable, qui permette à leurs emplois d’être présents sur le territoire dans la durée.
Proposez-vous aujourd’hui de retenir l’offre que vous avez écartée il y a six mois ? Voilà la question que je pose ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.) La réindustrialisation, monsieur le sénateur, demande de penser l’industrie de demain, de créer des emplois durables et transmissibles d’une génération à une autre.
C’est notre combat au quotidien, avec Bruno Le Maire. Avec France Relance, 24 projets de modernisation pour la fonderie automobile ont déjà pu être soutenus en France, pour 55 millions d’euros d’investissements. De manière globale, 620 projets de relocalisation ont déjà été soutenus partout en France, avec le plan de relance, ce qui va permettre de conforter ou de créer 77 000 emplois.
Sur le cas particulier de la SAM, c’est très exactement la même méthode que nous appliquons, pour créer des emplois durables pour les salariés du territoire.
Puisque vous posez la question de la confiance des Français, monsieur le sénateur, je pense que ceux-ci font davantage confiance à une équipe gouvernementale qui a recréé de l’emploi industriel en 2017, en 2018, et qui en recrée aujourd’hui, qu’aux équipes gouvernementales qui ont échoué ces vingt dernières années. (Protestations à droite et à gauche. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.
M. Jean-Claude Anglars. Merci de votre réponse, madame la ministre, mais votre parole vous engage. Nous avons trop entendu de promesses non tenues.
Je me souviens de ce que M. Le Maire a dit dans cet hémicycle, le 18 novembre 2020,…
M. Claude Raynal. Un jour où il était là !
M. Jean-Claude Anglars. … à propos de la fermeture programmée de l’usine Bosch de Rodez et de la disparition de ses 1 300 emplois, contre laquelle rien n’a été fait.
Je partage la détermination des salariés de la SAM et je veux croire que leur combat n’est pas perdu. C’est à l’État d’intervenir, et nous attendons vos actes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, Jean-Jacques Michau, Gilbert-Luc Devinaz et Mickaël Vallet applaudissent également.)
enfouissement des déchets toxiques
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes stupéfaits par l’amendement « StocaMine » défendu par le Gouvernement dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
Contre l’avis des élus locaux et des associations environnementales, cet amendement vise à autoriser de fait le confinement définitif de 44 000 tonnes de déchets toxiques – mercure, amiante, arsenic, zirame – se trouvant dans l’ancienne mine de potasse de Wittelsheim, en Alsace. Il a été adopté sans débat à l’Assemblée par une majorité aphasique, avec comme seule explication du Gouvernement une phrase laconique.
Nous relayons ici les inquiétudes des habitants quant aux possibles infiltrations de produits toxiques dans la nappe phréatique d’Alsace, située juste au-dessus du lieu de stockage. L’une des plus importantes réserves d’eau douce souterraine d’Europe est potentiellement menacée par cette décision contraire au principe de précaution.
C’est de la santé des générations futures qu’il est question, madame la ministre !
Dès 2018, un rapport parlementaire préconisait le déstockage quasi total du site de StocaMine. En 2019, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) proposait un scénario d’extraction des déchets en quinze ans. Vous le savez, plus nous attendons, plus le risque d’effondrement des galeries est important.
Lors du grand débat, le Président de la République avait lui-même reconnu la nécessité d’évacuer le maximum de déchets. Madame la ministre, vos prédécesseurs penchaient à juste titre du côté du déstockage, afin de préserver la nappe phréatique. Aucun élu ne comprend votre rigidité. N’est-il pas temps de reconsidérer votre position et de reprendre ce dossier en compagnie des élus locaux, afin de rétablir un climat de confiance avec la population et d’éviter ainsi un possible désastre écologique ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Marta de Cidrac applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. StocaMine ! Ce vieux dossier, monsieur le sénateur Bigot, aujourd’hui largement éclairé par une expertise qui nous alerte de longue date sur les risques de nouvelles interventions, nous nous sommes engagés à le résoudre. Dès le 18 janvier dernier, à la suite de sa visite sur le site, Barbara Pompili avait annoncé procéder à un confinement illimité des déchets toxiques, sans déstockage complémentaire.
Il s’agit de mettre en application un arrêté préfectoral de mars 2017. Cette décision est éclairée scientifiquement : tous les experts et toutes les études indépendantes ont montré que ce choix constitue la meilleure option, tant pour préserver la nappe phréatique d’Alsace que pour protéger les travailleurs. Ces études ont montré que les différents scénarios envisageables de déstockages supplémentaires présentaient de véritables risques pour ces travailleurs, sans réel bénéfice pour la nappe.
Des réunions larges et intenses ont été menées avec les parlementaires et les élus locaux sur ce choix, qui est aujourd’hui largement partagé. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) a reçu une enveloppe de 50 millions d’euros de la part du ministère de la transition écologique pour mener à bien un plan de protection de la nappe d’Alsace.
En réponse à l’annulation de cet arrêté préfectoral par la cour administrative d’appel de Nancy, au simple motif que la capacité financière de la société gestionnaire était interrogée, le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2022, effectivement voté par l’Assemblée nationale, afin de sécuriser et de donner une garantie financière aux dépenses liées à la sécurisation du stockage. Il s’agit donc non pas de la remise en cause du contexte technique, mais vraiment de la capacité financière de la société des Mines de potasse d’Alsace.
Le motif d’intérêt général sous-tendu par le stockage des déchets et le confinement du site n’a pas été remis en cause par ce jugement. Les Mines de potasse d’Alsace vont donc pouvoir stocker pour une durée illimitée ces produits dangereux en couche géologique profonde. Cela permettra de sécuriser ce site, là où l’affaissement des galeries nous mettait dans une situation très incertaine. Avec cette base législative, nous allons donc pouvoir mener les opérations de mise en sécurité dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Alors que la population vous demande une protection maximale, vous proposez des bouchons de béton dont on n’est pas sûr de la fiabilité à long terme.
Madame la secrétaire d’État, vous parlez des élus, mais nous n’avons pas dû rencontrer les mêmes. L’ensemble des élus, unanime, souhaite reconsidérer ce projet.
Mme Patricia Schillinger. Ce n’est pas vrai !
M. Joël Bigot. Rencontrez-les, pour une sortie de crise concertée : ce sera la meilleure solution ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre de l’agriculture, nos agriculteurs sont à bout, et le Conseil d’État vous somme de continuer à les assommer ! Vous avez six mois pour le faire.
Vous voulez lutter contre le mal-être des agriculteurs. Pour cela, vous avez annoncé la suppression des termes « mise en demeure » inscrits sur les courriers qui leur sont parfois adressés – car, c’est vrai, cette expression est anxiogène.
Et pourtant, le Conseil d’État vous somme encore de les mettre en demeure : mise en demeure d’interdire, ou de limiter au maximum, l’utilisation des produits phytosanitaires sur les sites Natura 2000 !
Les agriculteurs avaient accepté le zonage Natura 2000 il y a vingt ans, car il partait d’un bon principe : si les pratiques agricoles n’avaient pas d’impact sur leur environnement, elles étaient maintenues. La récente décision du Conseil d’État remet en cause cet équilibre, sans aucune raison ni aucune étude d’impact.
Le sujet est de taille. En France, Natura 2000 représente 7 millions d’hectares, dont 40 %, soit l’équivalent de cinq départements, sont des terres agricoles. De très nombreux agriculteurs sont donc concernés.
La ministre de la transition écologique a même soutenu devant le juge que les activités susceptibles d’avoir une incidence sur les sites Natura 2000 sont soumises à une évaluation, ce qui leur permettait donc d’être conformes à la directive européenne. Or le juge estime, quant à lui, que cette évaluation ne permet pas de s’assurer que l’utilisation des produits phytosanitaires est réduite, voire interdite dans les zones Natura 2000. C’est totalement inadmissible.
On assiste, une fois de plus, à une décision dogmatique.
On assiste, une fois de plus, à une vraie surtransposition.
Quel pays européen s’impose ce jusqu’au-boutisme ? Aucun ! Alors monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour stopper cette énième mise en demeure ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Laurent Duplomb, merci de votre question. Les zones Natura 2000 sont très importantes dans notre pays, tant en surface qu’en qualité, pour les activités environnementales, les activités de territoire, les activités agricoles. Ces zones Natura 2000 sont d’ailleurs créées par des dynamiques contractuelles, lors desquelles l’ensemble des activités qui peuvent y être menées sont définies dans les territoires.
Vous l’avez dit, le Conseil d’État a pris la décision de nous demander de revoir la mise en application des directives européennes régissant ces zones, eu égard notamment à l’utilisation des produits phytosanitaires.
En réponse à votre question, je voudrais vous faire une remarque et vous faire part d’un élément de méthode.
La remarque, c’est que, même s’il y a le mot « État » dans « Conseil d’État », le Conseil d’État n’est pas un organe de l’État, au sens de l’exécutif : il rend des décisions auxquelles nous devons nous conformer. Votre question n’allait pas du tout dans ce sens, mais souvent, dans nos territoires, on ne voit dans la dénomination « Conseil d’État » que le mot « État », tout comme dans la dénomination « tribunal administratif » on voit surtout le mot « administratif ». Faisons toujours la différence entre ce qui relève de la décision de l’exécutif et ce qui relève de la décision de nos juridictions.
L’élément de méthode, conformément aux échanges que nous avons eus avec les membres du Gouvernement et notamment avec Bérangère Abba, c’est que ces zones Natura 2000 doivent continuer à exister dans notre pays. Leur dynamique est très importante : pour les soutenir, il faut, très concrètement, soutenir les activités humaines y prenant part, notamment les activités agricoles.
Dans les six mois que nous avons pour répondre à cette injonction du Conseil d’État, nous devons suivre une approche pragmatique et territoriale. Les zones Natura 2000 sont très différentes les unes des autres. Toutes sont issues d’un contrat passé au niveau d’un territoire : c’est à ce même niveau qu’il faut agir pour apporter, territorialement, les réponses les plus pragmatiques. Telle est en tout cas la méthode qui va être la nôtre dans les prochains mois, pour trouver une solution face à cette injonction du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Pierre Louault et Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)
rapport de l’insee et politique familiale
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, ma question concerne la politique familiale.
L’Insee a publié ce lundi une note alarmante sur l’état de la natalité et l’évolution de la démographie dans notre pays.
Un chiffre clé ressort de cette étude prévisionnelle : 2044, année à partir de laquelle la population française pourrait commencer à diminuer. Ce chiffre descend même à 2035 si l’on retire l’apport de l’immigration. Il s’agit d’un véritable coup de tonnerre, quand on sait que notre pays avait l’un des taux de fécondité les plus élevés d’Europe.
Cependant, cela ne nous étonne pas, car nos politiques en faveur de la famille se sont considérablement affaiblies ces dernières années. Après avoir détricoté le principe universaliste des allocations familiales en 2015, les pouvoirs publics ont abandonné les familles dans leur recherche de modes de garde pour nos enfants.
La branche famille de la sécurité sociale sert en effet de caisse de secours pour renflouer les autres branches. Ainsi, on propose de lui retirer un milliard d’euros de financement, pour les réinjecter ailleurs, comme on déplace un livre mal rangé dans une bibliothèque. C’est incompréhensible ! Notre modèle se fragilise, et cela dans l’indifférence générale.
Monsieur le secrétaire d’État, qu’attend le Gouvernement pour réagir ? Il nous semble urgent de réunir l’ensemble des partenaires sociaux et les associations familiales pour impulser une nouvelle politique familiale ambitieuse pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Henno, sans chercher à occulter la tendance que vous évoquez, je précise que cette dernière doit être relativisée à plusieurs égards.
Tout d’abord, les questions démographiques doivent être appréhendées sur le temps long, comme la politique familiale, vous le savez.
Ensuite, cette tendance est en réalité constatée dans l’ensemble des pays d’Europe, et même au-delà – je pense notamment aux États-Unis.
En outre, la France reste le pays au taux de fécondité le plus élevé d’Europe : 1,83 enfant par femme.
Enfin, le désir d’enfant dans notre pays reste très élevé, avec près de 3 enfants désirés.
Alors, comment expliquer ce décalage entre le taux de fécondité et le désir d’enfant ? En réalité, monsieur le sénateur, aucune étude ne peut aujourd’hui démontrer qu’il existe une corrélation entre les prestations familiales, le quotient familial et le taux de fécondité.
Quel facteur joue sur le taux de fécondité d’un pays ? C’est la capacité d’un pays à créer les conditions d’un accueil favorable aux jeunes enfants, ce que nous faisons effectivement avec ce Gouvernement depuis quatre ans.
C’est l’universalisme non seulement des prestations mais également des services que nous mettons en place, en faveur de toutes les familles. (M. Stéphane Ravier s’exclame.) C’était d’ailleurs le sens de la Conférence des familles, que vous appeliez de vos vœux et que nous avons organisée voilà un peu plus d’un mois, réunissant l’ensemble des organisations syndicales et des associations familiales.
C’est la raison pour laquelle nous favorisons, entre autres, un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, au travers, par exemple, du doublement, décidé par le Gouvernement, du congé de paternité et d’accueil du jeune enfant, qui est passé de quatorze à vingt-huit jours. C’est la première fois, en dix-neuf ans, que ce congé était allongé.
Cela est également passé par le développement des modes d’accueil, que vous avez évoqués ; j’ai ainsi institué un comité de filière voilà deux jours, qui réunit l’ensemble des partenaires sociaux.
Cela est encore passé par le fait d’aider les familles les plus fragiles, avec, par exemple, l’augmentation de 30 % du complément de mode d’accueil pour les femmes seules ou la construction d’un service public des pensions alimentaires et d’un service public de la petite enfance, que nous sommes en train de bâtir pas à pas.
Voilà, monsieur le sénateur, le contenu de la politique familiale que nous mettons en place depuis quatre ans.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.
M. Olivier Henno. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais celle-ci me satisfait peu.
Bergson disait que l’avenir est non pas ce qui va arriver mais ce que nous voulons ou allons faire. Or, en matière de politique familiale, vous avez peu d’ambition politique et vous ne nous empêcherez pas de trouver cela grave pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
communication inclusive dans les institutions européennes
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commissaire européenne à l’égalité, Mme Dalli, a publié un guide interne pour la communication inclusive.
Je passe sur le langage non « genré » pour retenir sa dernière initiative : ne plus utiliser le mot « Noël » et les prénoms « chrétiens » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui feraient trop référence à la culture occidentale. Il faudrait les remplacer par des mots neutres et des prénoms reflétant la diversité. Ainsi, « Marie » ne peut plus « partir pour les fêtes de Noël », mais « Rayane » aura le droit de « profiter d’une période de vacances ». (Mme Michelle Meunier proteste.)
Cette initiative serait risible si elle n’était la partie émergée d’un courant nauséabond travaillant insidieusement à déconstruire la culture européenne au profit d’un leurre transcivilisationnel. Cela va se nicher jusque dans le Petit Robert, qui fait aujourd’hui l’apologie du « iel », ni masculin ni féminin ; je m’étonne d’ailleurs que les auteurs de ce dictionnaire acceptent encore de travailler pour ce patronyme bien français : Robert… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
N’oublions pas que cette dame, la commissaire européenne à l’égalité, s’était déjà illustrée par la scandaleuse campagne « liberté dans le hijab », financée par le Conseil de l’Europe.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, plus qu’une question, c’est une exhortation que je vous adresse. Allons-nous longtemps continuer à nous laisser dicter notre conduite et notre vocabulaire par la technostructure nocive de Bruxelles (Exclamations à gauche.), laquelle n’a de cesse de vider de son contenu ce qu’il reste de la civilisation européenne, de ses valeurs et de ses racines chrétiennes (Protestations à gauche.) ?
Mme Éliane Assassi. Vous êtes stigmatisant !
M. Philippe Pemezec. Quelle position M. Macron adoptera-t-il lorsque, en janvier prochain, il prendra la présidence de l’Union européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pemezec, je serai bref.
Je ne partage pas la dernière partie de votre exhortation, sur la technocratie, car cela ne me semble pas être le sujet. (M. Olivier Paccaud s’exclame.)
Toutefois, vous avez raison sur un point : le projet de guide diffusé publiquement hier, par erreur (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), est aberrant. Je l’ai signalé dès hier après-midi à la commissaire européenne concernée ainsi qu’à la Commission européenne, et ce guide a d’ailleurs été retiré. Je parlerai demain avec Mme la commissaire Dalli, car, selon moi, ce genre de pratiques ne peut que faire le jeu des extrêmes.
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Je suis donc extrêmement clair sur cette question. Si je ne partage pas l’ensemble de vos positions, sur ce point, nous sommes d’accord et je le dis d’autant plus que je suis proeuropéen, car la France ne tolérera pas que ce type de dérives puisse porter atteinte à l’image des institutions et des valeurs européennes.
Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer et moi avons du reste été tout aussi clairs, réactifs et fermes lorsque le Conseil de l’Europe a mené la campagne que vous évoquiez, qui a également été retirée sur la demande de la France, de même que lorsque la même commissaire européenne, Mme Dalli, a reçu une association, le Femyso, qui entretient des liens avec des associations islamistes, dont certaines ont, en France, été dissoutes ; je parle sous le contrôle du ministre de l’intérieur. (M. le ministre de l’intérieur opine du chef en signe d’assentiment.)
Nous serons sans excès mais intransigeants sur ce sujet, car ce n’est pas la conception que la France, le Gouvernement et moi avons de l’Europe ; je le répète, je dis cela en tant – vous le savez – que défenseur quotidien de l’Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Rémi Féraud applaudit également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour la réplique.
M. Philippe Pemezec. Ne soyons pas naïfs, elle va revenir à la charge, notamment avec le relais des maires écolo, qui rivalisent d’imagination pour tuer la féerie de Noël. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Ainsi, la Ville de Besançon a inscrit dans ses rues « Fantastique décembre ! » au lieu de « Joyeux Noël ! » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) et le maire de Bordeaux a enlevé le vrai sapin de Noël pour le remplacer par un arbre artificiel. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
Cela ne doit pas être pris à la légère. Une civilisation se suicide lorsqu’elle renonce à ses valeurs,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Philippe Pemezec. … et qu’elle se laisse imposer des règles qui ne sont pas les siennes.
Par conséquent, puisque le mois de décembre arrive, je vous souhaite à toutes et à tous un très joyeux Noël, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, Daniel Chasseing et Pierre Médevielle applaudissent également.)
situation de l’entreprise sam à viviez (iii)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Aujourd’hui, à Viviez, à Decazeville et dans tout le bassin industriel alentour, c’est ville morte !
Les commerçants ont baissé le rideau et toute la population – citoyens et élus – retient son souffle, dans une mobilisation sans précédent, appuyée par des dizaines de milliers de citoyens venus de la France entière. Entendrez-vous donc, madame la ministre chargé de l’industrie, le grand « cri muet » de ce territoire meurtri ?
Déjà, en 1987, 3 000 emplois sidérurgistes et métallurgistes avaient disparu. Connaissez-vous vraiment, madame la ministre, ce territoire rural et industriel, qui a perdu des milliers d’habitants en trente ans ?
Depuis le 26 novembre dernier, la Société aveyronnaise de métallurgie, la SAM, est en liquidation judiciaire et 333 salariés viennent de perdre leur travail.
Le groupe Renault a fait savoir par voie de presse, sans avertir les salariés, qu’il ne soutiendrait pas le projet de reprise. Il est pourtant le seul client de la SAM.
C’est donc toujours le même scénario : on s’approvisionne là où la main-d’œuvre est moins chère, au seul bénéfice des actionnaires : in fine, ce n’est ni plus ni moins que la mise à mort d’un territoire. Les salariés d’abord, mais aussi tous les habitants, vont payer une fois de plus le prix fort. C’est un profond sentiment d’abandon et d’injustice qui étreint ce territoire.
La situation de la SAM constitue l’exemple même de la désindustrialisation, organisée par un groupe automobile français, avec la complicité du Gouvernement, principal actionnaire. En effet, il s’agit bien d’une capitulation, après deux ans de recherches, en vain, d’un repreneur !
La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, s’est déplacée lundi dernier à Viviez, afin de réaffirmer le soutien de la région à la fonderie, s’engageant d’ores et déjà concrètement pour l’avenir de ce site. De votre côté, vous assistez, résignée, à la fuite inexorable de nos savoir-faire et à l’extinction de cette filière d’excellence qu’est la fonderie.
Vous affirmez avoir l’industrialisation au cœur, madame la ministre, mais quel est le sens de votre politique ? Combien d’entreprises comme la SAM allez-vous encore abandonner ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Préville, Bruno Le Maire et moi-même avons bien conscience de la situation du bassin d’emploi de Decazeville et, plus largement, du bassin de vie correspondant, qui s’étend jusqu’à votre territoire, le Lot. Dans cette situation, notre boussole, c’est de trouver une solution pour chaque salarié.
Cela suppose, d’abord, que Renault prenne toutes ses responsabilités. C’est ce que nous avons demandé, afin que ce groupe propose un accompagnement individuel à chaque salarié. Je vous le rappelle, hier, cette entreprise a indiqué que, eu égard aux circonstances exceptionnelles, elle mettrait en place un accompagnement individuel, y compris financier, pour chaque salarié.
Pour sa part, l’État mobilise le fonds de reconversion des salariés de la filière fonderie. Il s’agit notamment d’un financement de 15 000 euros activable pour une formation ou pour une création d’entreprise, ainsi que d’une enveloppe de 5 000 euros pour aider à la recherche d’emploi ou pour faciliter une mobilité professionnelle, laquelle n’emmène pas nécessairement très loin mais peut occasionner des frais.
Enfin, je l’ai indiqué à deux reprises cet après-midi, nous travaillons à l’accélération des projets de développement industriel du territoire, avec le dispositif Choc industriel, que nous avons déclenché. Nous sommes donc en contact avec un certain nombre d’entreprises ; nous avons des projets de créations d’emplois sur le territoire et nous espérons pouvoir ouvrir ces emplois aux salariés de Decazeville.
Toutefois, vous le savez, il faut aller plus loin.
Ce qui est en jeu, c’est l’accompagnement de la transformation environnementale de la filière automobile.
Ce qui est en jeu, puisque vous avez à cœur le combat contre le réchauffement climatique, c’est le fait de passer du moteur thermique au moteur électrique.
Ce qui est en jeu, c’est non pas le refus de Renault de soutenir la SAM, mais l’effondrement des commandes de ce constructeur lié au fait que, collectivement, nous achetons plus de véhicules électriques que par le passé.
M. François Bonhomme. Quelle surprise !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Voilà ce qui est en jeu, madame la sénatrice !
Or notre responsabilité – et c’est ce que nous faisons –, c’est d’accompagner cette transformation, par exemple en installant des gigafactories, des « giga-usines » de batteries électriques, qui créeront des milliers d’emplois, grâce au plan de relance, lequel nous permet d’accompagner plus de 350 entreprises de la sous-traitance automobile dans cette transformation et dans l’innovation.
Notre responsabilité, c’est également d’investir, au travers de France 2030, plusieurs milliards d’euros dans le soutien, non aux constructeurs, mais à toute la filière de sous-traitance,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … afin de permettre à celle-ci d’être plus forte et de créer de l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais je vous ai parlé d’une filière d’expertise industrielle et, justement, la SAM travaillait déjà à sa reconversion.
Où sont la fierté de travailler, l’innovation et la magie, ces mantras que vous invoquez sans cesse ? À quelle réalité correspondent-elles ? À aucune, semble-t-il, madame la ministre, car – les faits sont têtus – il y a manifestement une inefficacité flagrante de votre action en la matière… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
application aux fédérations sportives de la loi confortant les principes de la république
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des sports.
Madame la ministre, selon la Charte olympique, qui est d’une grande sagesse, « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». La neutralité est donc la règle et le sport s’en trouve pacifié.
La Fédération française de football (FFF), par respect pour les valeurs du sport, a également décliné le principe de neutralité dans ses statuts. Ce n’est que la traduction d’une conception du sport qui porte un message universel transcendant les clivages, de quelque nature qu’ils soient.
Jusqu’à une période récente, c’était la position de la France ; sage position, quand on sait que la radicalisation n’épargne pas les milieux sportifs.
Ce gouvernement a malheureusement rompu avec ces principes, en refusant frontalement les amendements que nous avons défendus, ici même, lors de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui tendaient à prévoir l’interdiction explicite du port de signes religieux ostensibles dans les compétitions organisées par les fédérations sportives, ainsi que l’interdiction de toute forme de propagande religieuse.
Ces amendements, adoptés au Sénat malgré l’avis défavorable du Gouvernement, ont été supprimés à l’Assemblée nationale. Les conséquences ne se sont pas fait attendre : des « hijabeuses » ont demandé à la Fédération française de football de revenir sur les principes de neutralité inscrits dans ses statuts. Cette demande a été rejetée par la FFF, et on ne peut que s’en féliciter ; mais le Conseil d’État est désormais saisi de cette requête et votre refus ainsi que celui de votre majorité à l’Assemblée nationale risquent de peser lourd dans la décision de cette juridiction.
Ma question est donc simple, madame la ministre : entre les valeurs du sport et de l’olympisme, d’une part, et la demande des « hijabeuses », d’autre part, quel choix faites-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des sports.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Savin, il est clair, tant pour ce gouvernement que pour tous les acteurs du sport et, je pense, les habitants de notre pays, que le lieu et le moment de la pratique sportive ne sont pas ceux de la propagande religieuse.
Cela ne doit être le cas ni dans nos territoires, dans nos clubs, ni à l’échelon national, que ce soit dans les faits ou dans l’affichage, et je ne laisserai jamais le sport et ses acteurs être pris en otage par qui que ce soit.
En même temps, mon expérience de sportive et de citoyenne française venue d’ailleurs m’impose de défendre le rôle essentiel du sport dans l’apprentissage de la tolérance, de l’acceptation et de la « sublimation » des différences, dans l’appropriation des principes républicains et dans l’émancipation des individus, notamment des femmes.
Les enjeux sont plus complexes, en tout cas moins simplistes, que ce que vous décrivez de l’action de l’association qui dépose effectivement un recours devant le Conseil d’État contre la FFF, parce que celle-ci refuse de modifier une disposition de l’article 1er de ses statuts.
En tout état de cause, je n’entends pas commenter une procédure en cours.
MM. Rémy Pointereau et Michel Savin. C’est facile…
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Toutefois, je serai très attentive à l’analyse de la haute juridiction, d’autant plus que, en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, adoptée par la Haute Assemblée et par l’Assemblée nationale, trois décrets vont voir le jour.
Le premier, piloté par le ministre de l’intérieur, sera relatif au contrat d’engagement républicain qui devra être signé entre les maires de France et les associations, préalable nécessaire à l’octroi d’un agrément ou d’une subvention.
Deux autres décrets, spécifiques au sport, engageront plus fortement les fédérations aux côtés de l’État, dans un lien plus fort avec les clubs, dans le cadre d’une véritable stratégie d’entrave et de lutte contre le séparatisme. Cette stratégie sera accompagnée et évaluée par les services du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, qui disposeront de moyens accrus, tant pour les contrôles que pour le signalement et la formation des éducateurs et des bénévoles.
Je compte enfin sur la vigilance des élus dans les territoires, et je suis sûre que, avec tous les nouveaux éléments issus de cette loi, nous saurons lutter efficacement contre le séparatisme dans le sport et ailleurs,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. … tout en continuant à laisser le sport jouer son rôle émancipateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bruno Retailleau. Il manque une volonté politique !
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Madame la ministre, votre réponse n’est pas rassurante.
Si ce gouvernement est prêt à renier les valeurs sportives, notamment le principe de neutralité dans le sport, pour notre part, nous continuerons de mener un combat sans ambiguïté et sans faiblesse contre l’embrigadement religieux et le repli communautaire, et nous poursuivrons notre lutte sans merci pour l’égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
enquête visant le magistrat charles prats
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Meurant. Cinq présidents de groupe parlementaire, dont Bruno Retailleau et Hervé Marseille, ont adressé, voilà deux semaines, une lettre au Président de la République, afin de s’indigner de la scandaleuse procédure d’intimidation que le Gouvernement mène contre le juge Charles Prats, par le biais de l’inspection générale de la justice.
Vous ne supportez pas, mesdames, messieurs les ministres, que ce juge, vice-président d’un syndicat et secrétaire national d’un parti d’opposition, mette en lumière l’échec de votre politique de lutte contre les fraudes sociales et fiscales, car, bien sûr, le fond de l’affaire réside précisément là : dans votre refus de vous opposer sérieusement à la fraude.
Comme François Hollande naguère, vous semblez considérer que « cela ne coûte rien, c’est l’État qui paie »… Mais comment expliquez-vous que la France, qui a 67 millions d’habitants, compte 75 millions d’assurés sociaux ? L’argent de la République pousserait-il sur des arbres irrigués par des retraités centenaires vivant au Maghreb ?
Dans tout autre pays, un magistrat qui indiquerait au Parlement et au Gouvernement le moyen d’économiser autour de 80 milliards d’euros par an recevrait une promotion et toutes sortes d’honneurs. Chez nous, comme disait Chamfort, « on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persécute ceux qui sonnent le tocsin ».
Mesdames, messieurs les ministres, pourquoi ne vous saisissez-vous pas de ce levier pour améliorer nos comptes sociaux sans mettre à contribution les Français honnêtes et travailleurs ? Y a-t-il une raison cachée à ce refus de s’opposer sérieusement à la fraude sociale ?
Comme je sais trop bien que vous refuserez de répondre à la question de fond – nous l’avons déjà posée, ici ou à l’Assemblée nationale, mais en vain, ce qui pose un problème démocratique –, permettez-moi de vous poser une question plus simple et à laquelle on ne peut répondre que par oui ou non : allez-vous mettre un terme à cette procédure scandaleuse contre le magistrat Charles Prats ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur deux points.
Le premier relève de la compétence de M. le garde des sceaux, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence et qui vous aurait indiqué, comme il l’a fait à l’Assemblée nationale, que, à l’heure où nous parlons, le magistrat que vous avez cité fait l’objet d’une enquête administrative qui n’a aucun lien ni avec une activité politique ni avec une décision juridictionnelle. Il s’agit d’une enquête interne visant à permettre au garde des sceaux d’apprécier l’opportunité, sans rien préjuger de la suite, d’ouvrir une procédure disciplinaire pour des faits qui ne relèvent, je le répète, ni de son activité politique ni de son activité médiatique.
Au-delà de cette clarification sur l’objet de la procédure, je veux dire un mot sur la question de la fraude ; c’est le second point.
En matière de fraude fiscale, ce sont ce gouvernement et sa majorité qui, en octobre 2018, ont permis l’adoption, grâce à l’action de Gérald Darmanin, alors ministre de l’action et des comptes publics (Exclamations sur plusieurs travées.), d’une loi renforçant la lutte contre la fraude fiscale et permettant d’aller plus loin qu’auparavant, notamment en allégeant ce que l’on appelait, souvent à tort, le « verrou de Bercy ».
C’est ce gouvernement qui, en étendant à la fraude fiscale des procédures comme la convention d’intérêt judiciaire ou la reconnaissance de culpabilité, a permis d’améliorer les recouvrements et de lutter contre la fraude. Ainsi, malgré la crise, les montants recouvrés n’ont jamais été aussi élevés qu’en 2019 et en 2020.
Pour ce qui concerne la fraude sociale, les caisses de la sécurité sociale mobilisent au total 4 000 équivalents temps plein (ETP) pour lutter contre ce phénomène. Ce sont d’ailleurs non pas 7,1 millions de retraités qui seraient concernés par des pensions versées à l’étranger, mais 1,2 million de personnes. En outre, depuis l’an dernier, nous contrôlons leur existence réelle par des procédures biométriques, inspirés du rapport de Mme la sénatrice Goulet, visant à améliorer la lutte contre la fraude.
Nous faisons en sorte de lutter contre les cartes Vitale surnuméraires. Vous évoquez 8 millions d’assurés indus. Il y a 150 000 cartes surnuméraires, que nous faisons en sorte de repérer, sachant que derrière chaque carte ne se cachent pas forcément des prescriptions.
Nous faisons aussi en sorte de lutter contre la fraude à l’immatriculation. Là aussi, les résultats sont au rendez-vous.
Les fraudes, qu’elles soient sociales ou fiscales, constituent des entorses au contrat social et au contrat républicain. Je puis vous l’assurer, monsieur le sénateur, nous n’avons pas attendu votre indignation pour nous mobiliser. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Pierre Louault et Pierre Médevielle applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.
M. Sébastien Meurant. Je rappelle que la discrimination politique est un délit pénal puni par les articles 225-1 et 225-2 du code pénal.
Cas unique en Europe, nous avons un ministre de la justice mis en examen. La mansuétude inhabituelle des médias encouragerait-elle le Gouvernement à prendre le risque que celui-ci se retrouve également devant la Cour de justice de la République ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 8 décembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2022 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Candidatures à une mission d’information et à une commission d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation de membres d’une mission d’information et d’une commission d’enquête.
En application des articles 8 et 8 ter, alinéa 5, du règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la mission d’information sur le thème « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? » et de la commission d’enquête sur le thème « La santé et la situation de l’hôpital en France » ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer
Débat thématique
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer. »
Dans le débat, la parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, incendies, tirs, pillages, violences urbaines, barrages et rackets rythment depuis plus d’une semaine le quotidien des Français en Guadeloupe et, désormais, en Martinique.
Ces territoires sont revenus à l’avant-scène médiatique, en raison des menaces et des agressions dont ont fait l’objet les personnels médicaux et non médicaux, ainsi que des entraves à la circulation paralysant l’accès aux soins et mettant en péril la vie de certains patients. Le climat d’insécurité est réel. Professionnels de santé, pompiers, forces de l’ordre, journalistes et photographes sont pris pour cibles par les émeutiers avec des armes lourdes, des pistolets mitrailleurs, des tirs à balles réelles, des coups de feu et des projectiles.
Après l’envoi de renforts de police et de gendarmerie – je profite de l’occasion qui m’est donnée pour leur exprimer mon soutien – et l’établissement d’un couvre-feu, la question de l’autonomie vient d’être hâtivement posée sur la table des discussions.
En tant que fille d’un Martiniquais habitant au Diamant, je suis choquée autant par la situation actuelle que par la proposition faite. Cette façon d’abandonner potentiellement ce territoire à son sort confirme en effet l’incapacité du Gouvernement à trouver des solutions.
Les sénateurs du groupe Union Centriste attendent une politique transversale tenant compte des besoins propres des territoires et des acteurs ultramarins.
Mon groupe appelle le Gouvernement à répondre en profondeur aux raisons de la colère des Guadeloupéens et des Martiniquais, dont la crise sanitaire n’a été que le détonateur. Les facteurs sous-jacents à cette crise sont en effet d’ordre social et économique.
La contestation vaccinale n’est que la partie visible de l’iceberg. Il semble que le Gouvernement passe à côté de la réponse attendue par la population ultramarine, à savoir une réponse plus économique et sociale que sanitaire. L’obligation vaccinale est la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase », même si je n’approuve pas une telle résistance à la vaccination.
Cependant, il existe, au-delà du champ sanitaire, une série de revendications concernant l’emploi, l’eau, le pouvoir d’achat, le prix des carburants et du gaz, le mal-être social et économique.
Accablée par les émeutes de rue, la population attend d’abord le retour au calme. Il est indispensable de rétablir l’ordre public pour permettre à nos îles de reprendre une vie normale et d’engager des discussions.
Le blocage des réseaux routiers perturbe l’activité économique, la libre circulation des habitants et la livraison des marchandises, entraînant des phénomènes de pénuries de produits de consommation de première nécessité dans certaines communes.
Cette situation véhicule une image catastrophique au regard de la saison touristique. Les touristes n’osent pas sortir de leur chambre d’hôtel et avancent leur date de retour pour éviter le risque d’être de nouveau bloqués sur l’île. Alors que la haute saison approche, l’activité des agences de voyages est complètement à l’arrêt. On note un ralentissement des réservations au départ de l’Hexagone et une augmentation des annulations.
Il convient d’élaborer un plan de reconquête du tourisme en outre-mer, pour éviter l’effondrement de l’économie touristique. L’État doit se donner les moyens de sauver l’économie des outre-mer.
Face à la situation explosive que connaissent les territoires d’outre-mer, il convient de faire confiance aux élus locaux, pour trouver, collectivement, une solution.
Il est temps de réfléchir à un plan pluriannuel « Ségur outre-mer » révisant les modes de financement de l’hôpital public, notamment ses moyens humains et ses équipements.
Il est temps de poser sur la table un nouveau modèle de développement pour les Antilles françaises, fondé sur la production, ainsi que sur des mesures fiscales.
Par ailleurs, d’autres sujets, comme la place de la jeunesse et son avenir dans la société ou les réflexions institutionnelles sur le statut de la Guadeloupe et la gestion économique, ainsi que les perspectives à quinze ans ou vingt ans de ces territoires, doivent faire l’objet d’un dialogue structurant. Ces sujets nécessitent d’être approfondis.
Il est urgent de trouver des mesures pour sortir du marasme social, en particulier l’adaptation de la communication en matière de vaccination, même si je souligne, monsieur le ministre, tous vos efforts, qui vont dans le bon sens.
Toutefois, il faut bien l’avouer, il existe de réelles attentes s’agissant du renforcement de la politique du logement, de la création d’emplois pour les jeunes, de l’encouragement de la production locale et de l’autosuffisance alimentaire et, enfin, de l’adaptation aux fragilités structurelles économiques et sociales.
Il ne faut pas prendre ce mouvement social à la légère. Je suis d’ailleurs persuadée que tel n’est pas le cas. En effet, si on remet, une fois de plus, le couvercle sur la cocotte-minute, elle explosera de nouveau dans quelques années.
L’attractivité de nos îles me tient particulièrement à cœur. Vous l’aurez compris, la situation actuelle me rend triste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Viviane Malet et M. Laurent Somon applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre – vous arrivez des Antilles –, mes chers collègues, il est difficile d’aborder la question ultramarine sans commencer par dire notre inquiétude quant aux événements qui se déroulent actuellement en Guadeloupe, et plus largement aux Antilles.
Il est fait état de barrages, de nuits de violence et de tirs d’armes à feu. Tous les témoignages sont édifiants ! Il faut retrouver le chemin d’un dialogue apaisé, plutôt que de poursuivre une escalade violente. Surtout, le rétablissement de l’ordre public est un impératif que notre groupe soutient sans réserve aux côtés du Gouvernement.
Il va également sans dire que les membres de mon groupe, au premier rang desquels Stéphane Artano, qui préside la délégation sénatoriale aux outre-mer, sont, comme le reste de la Nation, plus que préoccupés par cette crise, qui va au-delà de la seule question sanitaire liée au covid-19.
La défiance vaccinale cristallise un mouvement de réticence plus large à l’égard de la puissance publique. On pense forcément au scandale du chlordécone, qui a marqué durablement les esprits. Par ailleurs, nos compatriotes ultramarins sont frappés par des difficultés concrètes souvent inadmissibles et résultant d’investissements depuis trop longtemps insuffisants en matière de services et de politiques publics.
Il faut notamment se souvenir que, voilà quelques mois, nous adoptions ici une loi rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe.
Ces derniers jours encore, je lisais un article de presse qui redisait combien, sur ce territoire, les habitants sont excédés par les coupures d’eau incessantes.
À toutes ces problématiques déjà complexes, une autre question s’est ajoutée, celle du statut de ce département d’outre-mer. Si certains souhaitent une collectivité plus autonome, ce qui aboutirait à revenir sur la position exprimée par la population guadeloupéenne en 2003, une telle revendication n’émane pas de ceux qui se défient aujourd’hui de la politique vaccinale.
Certes, je comprends l’importance d’un tel sujet ; je comprends que la crise actuelle invite chacun à s’interroger sur le sens à donner au lien entre l’État et cette collectivité. Toutefois, je crois qu’il est prématuré d’aborder le sujet de l’autonomie dans de telles conditions. Cette discussion doit être menée dans un esprit de sérénité, sans violence et dans la concertation, afin de rechercher un équilibre. L’enjeu est trop important pour agir dans la précipitation et ajouter de la tension.
Il nous faut sortir de la logique d’urgence et de réaction aux crises. Les territoires ultramarins requièrent un travail de coconstruction des politiques publiques, qui s’effectuerait à long terme et en collaboration avec les acteurs de chacun des territoires.
Car, plus largement, les cas guadeloupéen et martiniquais sont symptomatiques des rapports difficiles qu’entretient notre nation avec ses collectivités d’outre-mer. De nombreux efforts devront être fournis. Bien évidemment, les situations sont très variées d’un territoire à l’autre. Cela étant, les outre-mer souffrent, depuis des décennies, de divers déficits en ce qui concerne l’accès aux services publics.
Enfin, vous le savez, le Sénat a choisi de mettre à l’honneur son ancien président Gaston Monnerville, à l’occasion de la commémoration des trente ans de sa disparition. Aussi, j’achèverai mon intervention en m’appuyant sur des propos extraits de ses vœux à l’adresse de l’Union française, qu’il prononça le 22 décembre 1954 : « La Patrie, c’est tout à la fois les provinces d’outre-mer et les provinces métropolitaines, où reposent tant de nos frères morts dans les combats pour la libération des hommes. »
Aujourd’hui et depuis quelques années, nous déplorons l’oubli croissant de ces combats, qui firent pourtant l’unité de notre nation, voilà encore quelques décennies. Ainsi, à l’approche des échéances électorales à venir, je souhaite que chacun s’en souvienne et ne nourrisse pas les populismes les plus nauséabonds, qui contribuent à désunir nos concitoyens, lesquels, j’en suis convaincu, gardent toujours en commun les valeurs de notre République !
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je lance un appel à la paix, un véritable appel à la paix, à la suite des violences auxquelles sont confrontées les populations de la Guadeloupe, de la Martinique et, peut-être encore, de la Guyane.
Les territoires d’outre-mer, en dépit de leur grande diversité géographique et institutionnelle, sont tous confrontés à des problématiques économiques, sanitaires et sociales liées à la non-adaptation de certaines politiques publiques à leurs spécificités, notamment celle de l’insularité.
Ainsi, plus de dix ans après les mobilisations sociales contre la vie chère aux Antilles, nos territoires traversent de nouveau une crise sociale accentuée par la pandémie de la covid-19. En réalité, ces crises à répétition sont les conséquences des difficultés structurelles auxquelles doivent faire face ces territoires et leurs habitants. Elles nous ont menés à la crise actuelle, liée à la crise sanitaire, et à des faits de violence.
Nos territoires d’outre-mer sont en effet marqués par des conditions de vie précaires, résultant notamment d’un manque de diversité relative à la structuration de l’offre de formation. L’orientation et la formation professionnelle sont des enjeux majeurs pour nos jeunes et doivent donc être organisées d’urgence, afin de redonner à ceux-ci des perspectives d’avenir.
Au préalable, un état des lieux doit être organisé pour répondre aux besoins du territoire. Je pense à la valorisation des formations et des métiers agricoles, en donnant des moyens aux lycées agricoles, pour susciter des vocations et permettre le développement de l’agrotransformation et de la diversification agricole, tout en relançant l’activité économique et touristique.
Les questions liées à l’éducation, plus particulièrement les suppressions de postes d’enseignants et les fermetures de certaines classes, doivent faire l’objet d’une attention toute particulière, monsieur le ministre.
Ces conditions de vie précaires sont difficiles à vivre et le retour des natifs de nos pays est devenu une priorité. En effet, on constate un manque d’encadrement structurant pour l’émergence d’entreprises pérennes. Nos jeunes ont du talent, parfois beaucoup de talent. Ils sont porteurs de projets, mais peinent à les réaliser, faute d’accompagnement structurant. Nous devons les accompagner aussi dans ce domaine, afin qu’ils puissent créer leur entreprise.
Par ailleurs, aux Antilles, le chômage est endémique. Environ un jeune sur deux est au chômage et, parmi les jeunes de moins de 25 ans, le taux de chômage est de 60 %. Notons également les inégalités sociales systémiques, ainsi que la pauvreté.
Au sein de nos territoires d’outre-mer, les produits alimentaires sont de 30 % à 50 % plus chers que dans l’Hexagone. Je suis moi-même confrontée à cette situation, dans la mesure où je fais régulièrement le va-et-vient.
Le revenu moyen des ménages y est inférieur de 38 % à celui de l’Hexagone. Près de 30 % des habitants des territoires d’outre-mer vivent avec moins de 850 euros par mois.
En Guadeloupe, environ 135 000 personnes sont considérées comme étant pauvres. Les prestations sociales représentent 60 % des revenus des personnes les plus modestes, contre 31 % dans l’Hexagone. Une grande partie d’entre elles appartiennent à des familles monoparentales, et les jeunes de ces familles sont en souffrance. Ces chiffres sont accablants !
Les consommateurs ultramarins subissent également l’effet ciseaux résultant, d’une part, de revenus faibles et, d’autre part, de l’augmentation des prix des produits de consommation.
Monsieur le ministre, il paraît urgent, compte tenu de la situation des territoires d’outre-mer et des impacts de la crise de la covid-19, de réguler les prix, en appliquant la loi relative à la régulation économique outre-mer. Car des textes existent ! Ainsi, l’article 410-2 du code de commerce, qui encadre la hausse des prix en cas de crise, n’est pas appliqué.
On peut le constater au vu des marges de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) : il n’est pas normal que les prix des carburants soient aussi élevés sur nos territoires. Quant au bouclier qualité-prix, mis en œuvre en 2009, la liste des produits qu’il recouvre n’est pas en adéquation avec les besoins réels de la population. Il est impératif qu’il soit révisé !
Par ailleurs, au sein de nos territoires, le jeu concurrentiel est très faible – des gouvernements, dans le passé, l’ont admis, en témoigne par exemple la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer – et les circuits d’approvisionnement privilégiés par les opérateurs s’avèrent plus onéreux.
Comment expliquer que, dans l’Hexagone, la chaîne de transport d’un produit de grande consommation ne compte que trois opérateurs, contre pas moins de quatorze en outre-mer, ce qui fait considérablement augmenter les tarifs, donc les prix à la consommation ?
En Guadeloupe, sur mon territoire, des questions tout aussi fondamentales – financements des travaux d’investissements sur les réseaux d’eau potable, organisation des branches professionnelles, réforme de la fiscalité des collectivités locales – doivent être abordées urgemment !
L’un de mes collègues a évoqué le problème des inégalités en matière de prise en charge médicale, je n’y reviens donc que très brièvement. Je l’ai souvent dit en commission des affaires sociales : ces inégalités se traduisent par des difficultés d’accès aux soins.
L’inégale répartition de l’offre de soins, le nombre insuffisant de spécialistes, les problèmes relevant de l’aménagement du territoire, ainsi que, en Guadeloupe, l’incendie du centre hospitalo-universitaire (CHU) survenu en 2017, sont autant de freins à l’accès aux soins.
Il est nécessaire de favoriser la prise en charge rapide de nos patients afin d’éviter les pertes de chance et de limiter les évacuations sanitaires, qui sont très coûteuses. Cette exigence doit se traduire concrètement…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Victoire Jasmin. … par une définition claire des besoins.
En conclusion, j’appelle à une vigilance accrue quant à la situation et à l’intégration sociales des jeunes – je pense notamment aux jeunes handicapés, qui ne trouvent pas d’emploi –, à leur épanouissement professionnel, culturel et sportif ; à une plus grande présence des services publics de proximité ;…
Mme la présidente. Votre temps de parole est depuis longtemps écoulé !
Mme Victoire Jasmin. … à un accompagnement renforcé des chefs d’entreprise, car l’économie souffre, malgré le soutien apporté par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance,…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
Mme Victoire Jasmin. … mais nombreux sont ceux qui n’ont pu en bénéficier.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est clair : la crise sanitaire a mis au jour les fragilités structurelles des territoires ultramarins et ne cesse de les accentuer.
Les effets de la pandémie sont dramatiques du point de vue social, d’autant que les taux de chômage et de pauvreté sont déjà, dans ces territoires, beaucoup plus élevés que dans l’Hexagone.
Les effets de la pandémie sont également dévastateurs sur les économies, qui sont très dépendantes de certains secteurs, dont le tourisme, où les entreprises ultramarines sont pour la plupart des TPE. Ainsi le tourisme représente-t-il en moyenne 10 % du PIB des outre-mer. Véritable catalyseur des secteurs des transports et du commerce, il a subi un coup d’arrêt désastreux en raison de la fermeture des frontières l’an dernier.
Si l’industrie a un poids moins significatif dans les économies ultramarines, exception faite de la Nouvelle-Calédonie et de la Guyane, le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP), vital pour les outre-mer, connaît quant à lui de grandes difficultés liées aux mesures de confinement.
Le tissu entrepreneurial est en très grande majorité composé de TPE, dont 70 % à 75 % d’entreprises unipersonnelles. D’un faible niveau de rentabilité, il n’est pas en mesure d’amortir le choc du confinement.
À ces spécificités s’ajoute notamment la faiblesse du numérique, qui représente un véritable handicap en période de confinement puisqu’elle rend difficiles le travail à distance et les démarches administratives.
L’aggravation par la crise sanitaire de ces fragilités préexistantes compromet toute capacité à rebondir de façon rapide et pérenne dans les territoires ultramarins. Cette situation nous inquiète fortement ; elle appelle un soutien d’ampleur jusqu’à la fin de la crise, et même au-delà.
Évidemment, depuis le début de la pandémie, l’État a joué et continue de jouer un rôle prépondérant et salutaire dans le soutien apporté aux économies d’outre-mer. Dès mars 2020, des dispositifs de soutien aux acteurs économiques, mais aussi aux collectivités, ont été déployés, évitant d’innombrables faillites qui auraient provoqué des dégâts irrémédiables.
Les entreprises des départements et régions d’outre-mer bénéficient des dispositifs instaurés dans l’Hexagone, comme le report ou, pour les entreprises des secteurs les plus touchés, l’exonération totale de charges, le fonds de solidarité pour les TPE, les prêts garantis par l’État, l’activité partielle.
Je me félicite que certains dispositifs aient été adaptés en réponse aux spécificités du tissu entrepreneurial outre-mer – je pense notamment au fonds de solidarité, qui était initialement réservé aux entreprises de plus d’un salarié alors que, dans les économies ultramarines, les entreprises unipersonnelles sont majoritaires. Je souhaite que cette approche, qui tient compte des particularités locales, puisse continuer de prévaloir.
Monsieur le ministre, la crise sanitaire a mis en lumière la fragilité des territoires ultramarins. Aussi apparaît-il urgent et vital d’accompagner durablement la transformation des économies dans les outre-mer, car ces territoires de la République constituent de réels atouts à valoriser.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il engager en faveur d’une véritable transformation de nos territoires ultramarins, qui sont parmi les plus pauvres de France – je pense surtout à la Guyane et à Mayotte ? Quelles dispositions plus spécifiques envisagez-vous de prendre en faveur du logement ultramarin ? Économiquement, le BTP, secteur primordial pour les outre-mer, s’écroule dans certains territoires, comme à La Réunion. Socialement, la lutte contre l’habitat insalubre nécessite une véritable politique volontariste. (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Malet.
Mme Viviane Malet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons ce soir est certainement pour nous, sénateurs des territoires ultramarins, l’une des dernières occasions, pour ce qui est de cette législature, d’évoquer assez longuement les spécificités de nos territoires.
Si ce débat intervient dans un contexte qui se révèle particulier et préoccupant aux Antilles, je souhaite axer mon propos sur des sujets qui me tiennent à cœur en tant qu’ancienne adjointe au maire de Saint-Pierre chargée de l’action sociale. De mon expérience d’élue locale, je conserve en effet un attachement à œuvrer pour la prise en compte des réalités du terrain et des attentes et besoins des habitants.
Prendre la parole aujourd’hui dans cet hémicycle, c’est donc l’occasion pour nous, représentants des outre-mer, de rappeler que nos collectivités ont un réel besoin de rattraper le retard persistant qui est le leur par rapport à l’Hexagone.
Il ne s’agit pas de « pleurnicher », comme on nous le reproche parfois de façon quelque peu caricaturale, mais d’attirer l’attention de tous sur la nécessité d’une véritable ambition pour ces territoires.
Or aucun texte spécifique aux outre-mer n’est venu changer la vie des Ultramarins ces dernières années.
Nous nous attachons donc à résorber certaines inégalités par le biais d’amendements. La reconnaissance des spécificités ultramarines se trouve dès lors souvent cantonnée dans des articles additionnels créés pour l’occasion, seul moyen dont nous disposons pour tenter de faire cesser des différences de traitement qui ne se justifient pas ou ne sont pas en adéquation avec les besoins de nos territoires…
Pourquoi nous imposer des mesures hexagonales qui nous sont structurellement inadaptées ? Pourquoi ce qui est possible dans l’Hexagone ne l’est-il pas chez nous ?
Je vous livre ici deux exemples saisissants que j’évoquerai rapidement.
Le premier concerne une injustice que j’ai tenté de corriger en déposant un amendement au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) – mais celui-ci fut déclaré irrecevable, de façon incompréhensible, en application de l’article 45 de la Constitution.
Comment peut-on justifier que s’applique à La Réunion l’obligation d’un avis conforme de la CDPENAF, la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, alors qu’un avis simple est requis sur le territoire métropolitain ?
Deuxième exemple, comment l’application mécanique de la trajectoire fiscale de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) peut-elle méconnaître la particularité du contexte réunionnais, qui est contraint par l’exiguïté du territoire et la saturation des sites d’enfouissement ? Je tiens à cet égard à saluer ceux qui ont soutenu la démarche que j’ai engagée – vous en faites partie, monsieur le ministre – lors de l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative pour augmenter les taux de réfaction applicables à la TGAP outre-mer et soutenir ainsi les efforts déployés par nos collectivités pour réduire l’enfouissement des déchets de 80 % à l’horizon de 2025.
L’un des sujets majeurs sur lesquels je souhaite aujourd’hui insister est le vieillissement de la population ultramarine, les questions fondamentales de la prévention et des conditions de logement me préoccupant tout particulièrement.
Nos sociétés sont certes jeunes, mais le vieillissement de la population y devient réalité. Or la précarité et le faible niveau de vie n’épargnent pas nos seniors. À La Réunion, par exemple, la part des seniors vivant en dessous du seuil de pauvreté est de trois à quatre fois supérieure, selon les tranches d’âge, à celle que l’on observe dans l’Hexagone. Ne parlons pas de nos agriculteurs, qui attendent toujours une revalorisation de leurs pensions de retraite scandaleusement basses… Là encore, nos amendements ont été rejetés, dans l’attente d’un grand plan de réforme des retraites.
La solidarité familiale et intergénérationnelle a toujours été une marque de fabrique de la société domienne, mais cette solidarité se fragilise, voire s’effrite, du fait de la part de plus en plus importante de personnes âgées vivant seules, l’évolution du mode de vie ayant conduit les jeunes à quitter le domicile familial.
Si nos seniors sont majoritairement propriétaires, ils vivent souvent dans des logements précaires et peu adaptés à la perte d’autonomie. Une enquête réalisée voilà quatre ans démontrait de surcroît que plus de la moitié de ces logements nécessitaient des travaux.
Mais le fait le plus marquant à La Réunion, par exemple, est que la dépendance s’avère toujours plus lourde et plus précoce. Il est donc impératif de mettre l’accent sur la prévention de la perte d’autonomie et d’envisager un meilleur accompagnement.
Nous devons travailler au bien vieillir de nos gramounes, sur cette terre de solidarité où l’accueil familial est développé via notamment les maisons d’accueillants familiaux (MAF). Dans ce contexte particulier, il nous incombe de faire en sorte que la création de résidences autonomie soit autorisée. Elle l’est dans l’Hexagone, mais pas encore dans nos territoires ; de nouveau, rien ne justifie cette différence de traitement. J’ai donc déposé un amendement au projet de loi 3DS afin qu’il soit pourvu à la légitime et nécessaire construction de logements et d’hébergements à loyer maîtrisé et social en même temps qu’adaptés au défi de la transition démographique.
Cette initiative reprenait une proposition formulée dans plusieurs rapports parlementaires, dont le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la politique du logement dans les outre-mer et le rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur la prévention de la perte d’autonomie.
Pourtant, cet amendement fut rejeté en séance au Sénat, le Gouvernement expliquant que la disposition proposée avait plutôt vocation à figurer dans le projet de loi relatif au grand âge et à l’autonomie, texte qui ne sera finalement jamais inscrit à l’ordre du jour du Parlement…
Nous nous raccrochons donc à l’espoir que suscite le dépôt par le Gouvernement, à l’Assemblée nationale, d’un amendement au projet de loi 3DS visant à lever les verrous faisant obstacle à la création de logements-foyers outre-mer. Mais pour que ces nouvelles dispositions législatives aient une traduction concrète sur le terrain, il faut que le Gouvernement précise rapidement leurs modalités de mise en œuvre et s’engage sur un calendrier réglementaire permettant de rendre effectif ce rattrapage légitime.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Viviane Malet. Restent en suspens des questions relatives à la gouvernance de ces structures, au coût des services adaptés et surtout au reste à charge dont devront s’acquitter les pensionnés qui touchent de petites retraites.
Par ailleurs, il convient de garantir l’adéquation qualitative des logements produits aux évolutions sociales…
Mme la présidente. Vous dépassez allègrement le temps de parole qui vous est imparti…
Mme Viviane Malet. … et démographiques de nos territoires – un effort doit notamment être consenti concernant les T1 et T2. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs jours de graves troubles marqués notamment par l’utilisation d’armes à feu, il est légitime que l’État rétablisse l’ordre. Mais l’image du GIGN, le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, venant mettre fin à une révolte populaire est pour le moins désastreuse.
Si la politique vaccinale est indispensable, j’ai déjà exprimé mes inquiétudes, ici même, à cette tribune, quant au fait qu’elle soit guidée par la contrainte plutôt que par la conviction. On constate d’ailleurs les limites de cette stratégie…
Alors que nous nous préparons à encaisser la cinquième vague de la pandémie, nous n’avions vraiment pas besoin de pénuries de personnel dans les hôpitaux ni d’émeutes urbaines.
Monsieur le ministre, au lieu de la « main ferme » de l’État, c’est de la souplesse qu’il faudrait proposer. Comme l’écrivait Jean Giono : « La vie c’est de l’eau. Si vous mollissez le creux de la main, vous la gardez. Si vous serrez les poings, vous la perdez. »
L’eau, précisément, est d’ailleurs, avec le coût de la vie et l’affaiblissement des services publics, au premier rang desquels l’hôpital, au cœur des revendications qui s’expriment dans la rue.
Pour limiter la propagation du virus aux Antilles, le vaccin, bien qu’indispensable, ne suffit pas. Il faudrait déjà que chacun ait accès à l’eau !
Comment imaginer, dans la septième puissance économique mondiale, des robinets à sec ou déversant une eau blanche saumâtre ?
Comment imaginer un rationnement tel que, depuis quatre ans, chaque commune de Guadeloupe est privée d’eau un à deux jours par semaine ?
Comment imaginer que l’eau du robinet puisse être régulièrement déclarée impropre à la consommation, car contaminée au chlordécone ?
Comment imaginer que les enfants puissent manquer un mois et demi de l’année scolaire, car les écoles sont privées d’eau ?
Comment imaginer, pour couronner le tout, que pour ce service calamiteux les Guadeloupéens paient 50 % plus cher qu’en métropole ?
Ce constat est sidérant. Il en faudrait infiniment moins, dans l’Hexagone, pour mettre les ronds-points à feu et à sang.
Ce constat, vous le connaissez, bien sûr : le réseau de canalisations est vétuste et mal entretenu, ce qui entraîne une invraisemblable déperdition de 60 % à 80 % de l’eau captée ; 70 % des stations d’épuration sont mal entretenues, mal surveillées, et les réseaux d’assainissement privés ne sont évidemment pas aux normes.
Cette catastrophe sociale se double naturellement d’une catastrophe écologique. Avec de telles pertes en ligne, le captage d’eau douce est très nettement supérieur aux besoins. Résultat : le débit des rivières diminue dangereusement, ce qui menace la continuité écologique et des pans entiers de la biodiversité de l’île. Les nappes phréatiques, souvent contaminées au chlordécone, risquent en outre la salinisation.
De l’autre côté du cycle, les rejets non contrôlés et les failles béantes du système d’épuration entretiennent ou aggravent la pollution des cours d’eau et des eaux littorales. Ainsi, la pêche est interdite en Martinique dans de nombreux cours d’eau à cause du chlordécone, et les récifs coralliens souffrent grandement.
L’ARS donne l’alerte : à ce rythme, d’ici dix ans, il n’y aura plus de coins de baignade de grande qualité en Guadeloupe. Un désastre écologique, touristique, donc économique, est en germe.
Le cas de la Guadeloupe est symptomatique ; mais j’aurais pu évoquer aussi bien les eaux contaminées au nickel, en Nouvelle-Calédonie, au mercure, en Guyane, ou les zones de baignade interdites, car l’eau y est fétide, qui pullulent en Guyane à cause des rejets des stations d’épuration.
Pour ce qui est de l’approvisionnement, comme l’a montré la commission d’enquête demandée par nos collègues députés du groupe La France insoumise, un litre d’eau sur deux est gaspillé, outre-mer, dans un réseau vétuste – gabegie invraisemblable !…
Monsieur le ministre, vous allez me répondre que vous prenez le problème à bras-le-corps. Mais, faute d’ouvrir suffisamment les vannes financières – 170 millions d’euros pour le réseau guadeloupéen, là où il en faudrait 600 voire 700 –, le Gouvernement s’est lancé dans de la plomberie administrative en créant un nouveau syndicat des eaux. Résultat des courses : vous avez promis, ce week-end, que le problème serait réglé dans… cinq ans ! Cinq ans supplémentaires, donc, de « tours d’eau » pour les Guadeloupéens. Il faut bien sûr aller plus vite.
L’eau est un bien commun de nécessité vitale. Il faut un plan Marshall de l’eau outre-mer pour en finir avec ce désastre social, économique et écologique.
Financement, ingénierie, main-d’œuvre, l’État doit suppléer les collectivités locales partout où c’est nécessaire. Il faut mettre en place une gestion publique de l’eau et cesser de confier ce commun précieux à la prédation de Veolia et consorts. Et il faudra, le rationnement passé, instaurer la gratuité des premiers mètres cubes d’eau afin notamment de compenser toutes ces années de coût invraisemblable de l’eau courante pour nos compatriotes ultramarins.
Il n’y a là nul cadeau, mais une dette que nous devons solder : la dette du chlordécone, la dette de l’orpaillage, la dette du nickel !
En outre-mer et partout en France, la gestion de la ressource en eau doit être élevée au rang de priorité nationale ; telle est la condition première de notre résilience. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que M. Franck Menonville, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer a lieu ici, au Sénat, dans un contexte de très forte tension, avec des mouvements sociaux dans les Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, et alors que des tensions couvent également en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, pour d’autres raisons. Cette colère sociale s’était déjà exprimée par de puissants mouvements en Guadeloupe en 2009 et en Guyane en 2017. Elle n’a trouvé aucune réponse à la hauteur des attentes.
Pour la comprendre, il faut garder à l’esprit le passé de nos territoires ultramarins et, surtout, les rapports de l’Hexagone avec ces territoires. Je pense au passé colonial, esclavagiste, bien sûr, mais aussi au passé plus récent, lorsque l’État français permettait par dérogation l’utilisation du chlordécone, cet insecticide dont la toxicité était connue depuis 1976, mais qui a été utilisé dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993 – au prix de la santé des travailleuses et des travailleurs de ces exploitations.
Le rejet du passe sanitaire et, dans certains cas, de la vaccination ne peut se comprendre hors de cette histoire, hors de ce contexte, où l’État français se manifeste pour imposer avec dureté et sans dialogue des mesures justes sans doute, mais qui portent sur un domaine, la santé et la vaccination, qu’il a jusqu’à présent négligé. Or dans les territoires ultramarins, les services publics, et particulièrement les hôpitaux, sont asphyxiés, plus encore que dans l’Hexagone. De plus, comme vous le savez, monsieur le ministre, les tests de dépistage pour le chlordécone ne sont toujours pas gratuits, alors que près de 90 % de la population serait infectée – ils sont gratuits pour celles et ceux qui ont travaillé au contact de cette molécule, mais pas pour l’ensemble de la population.
On peut dire la même chose au niveau social et économique. Vous n’avez apporté aucune réponse sur le fait que 30 % des Guadeloupéens n’auraient pas accès à l’eau. Rien sur le taux de chômage, de 15 % en Martinique, de 17 % en Guadeloupe. Enfin, quelles réponses sociales apporter aux 30 % de Guadeloupéens et de Martiniquais qui vivent sous le seuil de pauvreté ?
Oui, ces puissants mouvements sociaux prennent aussi leurs racines dans la lutte contre la vie chère. Pourtant, vous ne dites rien sur les marges de quelques grands groupes monopolistiques qui imposent des prix plus élevés que dans l’Hexagone. Ainsi, la bouteille de gaz coûte entre 28 et 30 euros en Martinique, et le prix du litre de supercarburant tourne autour de 1,80 euro en Guadeloupe. D’ailleurs, les populations ultramarines résument très bien ce système de profit et d’exploitation issu de l’histoire coloniale par le terme créole de « profitation ».
Après avoir légiféré, il y a quelques années, sur la transparence des prix, il nous faut passer à la vitesse supérieure et légiférer à présent sur la transparence des marges, exiger de ces grands groupes qu’ils les réduisent et bloquer les prix sur les produits de première nécessité.
Enfin, les Antillais ne demandent pas autre chose que le respect et le dialogue. C’est ce que j’ai entendu la semaine dernière lors du déplacement en Guyane et en Guadeloupe que j’ai effectué avec Fabien Roussel.
Oui, il faut ouvrir le dialogue avec les élus et celles et ceux qui sont mobilisés sur la question sanitaire et la vaccination, sans contraindre, mais en tentant de convaincre. En effet, la question est complexe, mais, quand la défiance a atteint un tel niveau, la seule voie possible est le dialogue. Tout au contraire, fidèle à une trop longue tradition de l’État français, oscillant entre abandon, mépris, mensonges et promesses non tenues, vous avez choisi la voie de la fermeté et de la répression.
Le Gouvernement a choisi d’envoyer le GIGN et le RAID en réponse à la crise sociale. Bien sûr, les pillages et les violences doivent être condamnés, mais il ne faut pas confondre, monsieur le ministre, ces quelques pillages et ces violences insupportables avec les femmes et les hommes, françaises et français, qui exigent l’égalité républicaine et qui sont la très grande majorité.
Vous avez choisi de culpabiliser les manifestants en menaçant la population de largage politique. Un débat sur l’autonomie de la Guadeloupe ? Vous savez parfaitement que toute évolution statutaire et institutionnelle doit se faire en consultant la population : il suffit de relire notre Constitution. Cela vous permet surtout d’éviter le débat sur la question sociale. Pourtant, si vous ne savez pas par où commencer, vous n’avez qu’à lire la plateforme des 32 revendications portées par les syndicats.
Je terminerai mon propos par ces quelques mots d’un des pères de la négritude, Aimé Césaire : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Monsieur le ministre, ne fermons plus les yeux. Réglons les problèmes de fond : services publics, vie chère et chômage endémique. Vous n’êtes pas responsable de tout, et certainement pas de quarante ou cinquante ans d’abandon de l’État, mais vous êtes aujourd’hui en responsabilité.
Alors il faut reprendre le dialogue sur place et régler toutes ces questions, pour que l’égalité républicaine résonne partout, enfin, sur l’ensemble des territoires, dans l’Hexagone comme dans nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je devais avoir 8 ans ou 9 ans quand, pour Noël, mes parents m’ont offert un atlas. Dans nos milieux populaires de la montagne tarnaise, c’était une période où l’on voyageait peu. Ainsi, j’ai pu voyager grâce aux cartes, ce qui m’a permis de prendre conscience du fait que notre pays ne se limitait pas à l’image que nous nous en formons souvent, c’est-à-dire à l’Hexagone. La question importante qu’il faut que nous nous posions est la suivante : la France est-elle continentale et européenne, ou mondiale et maritime ?
Les outre-mer sont-ils une charge ou une chance pour la France ? Pour moi, ils représentent une chance immense pour notre pays. Dès lors, il est essentiel de faire sortir nos outre-mer du cadre dans lequel ils se trouvent englués, si j’ose dire, depuis un certain nombre de décennies, avec un secteur public très important, une économie très liée au tourisme – comme l’a bien rappelé, entre autres, Jocelyne Guidez – et d’importants transferts sociaux.
Bien sûr, il y a d’autres secteurs d’activité : le nickel, le spatial, le secteur du bâtiment et des travaux publics, le commerce… Mais, en fait, nous assistons depuis plusieurs décennies à une succession de crises conjoncturelles. Si ces crises surviennent, c’est parce que nous n’avons jamais su résoudre un certain nombre de problèmes structurels pour nos territoires ultramarins. J’en citerai quelques-uns, monsieur le ministre.
La souveraineté, tout d’abord. Nous avons failli, et nous continuons à faillir, sur les enjeux de souveraineté outre-mer. Je ne reviendrai pas sur le cas de l’île de la Passion, aussi appelée île Clipperton, ni sur celui des îles Éparses, ni sur celui de l’île Tromelin, mais, quand l’État ne donne pas un bon signal en la matière, cela suscite un certain nombre d’interrogations sur bien d’autres points.
Il y a la question de la jeunesse. Si, dans l’Hexagone, nous avions le même taux de jeunes sans perspectives, situation ni avenir, nous connaîtrions la même situation de révolte sociale.
Il y a la question de l’autonomie alimentaire des outre-mer, qui n’a jamais été résolue, et qui renvoie à la nécessité d’engager enfin un véritable plan dans ce domaine.
Il y a les enjeux spécifiques à la sécurité et à l’immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. Pour nos concitoyens, la situation est tout simplement invivable : personne ne supporterait dans l’Hexagone ce qu’endurent nos compatriotes ultramarins dans ces deux départements.
Il y a aussi les questions relatives à la santé, à l’eau, comme plusieurs intervenants l’ont déjà dit.
Il y a un certain nombre de questions relatives à la défense. Nous parlons beaucoup de l’Indo-Pacifique, mais, si notre zone économique exclusive se trouve à 98,5 % outre-mer, 90 % des moyens de la marine nationale sont concentrés dans l’Hexagone : il faudrait peut-être se poser des questions, car il y a des enjeux de souveraineté qui devraient requérir le prépositionnement de certaines forces.
Je terminerai mon propos en évoquant l’économie bleue. Si la France suivait les perspectives de croissance en la matière à l’échelle mondiale, dans les dix prochaines années, nous enregistrerions une création nette de 200 000 emplois. Et si, par volontarisme politique, nous faisions en sorte qu’un tiers des nouveaux emplois de l’économie bleue soient liés, affectés aux outre-mer, cela résoudrait une partie des problématiques économiques, et donc sociales.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
M. Philippe Folliot. En somme, au-delà des enjeux d’actualité, nous devons prendre en compte la chance pour notre pays, pour l’Europe, que représentent nos outre-mer.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Philippe Folliot. Car ceux-ci nous confèrent une dimension planétaire et nous ouvrent des perspectives globales. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation sanitaire reste évidemment un déterminant majeur de l’évolution générale des territoires ultramarins. La vague de l’été dernier, due au variant delta, y a été particulièrement violente.
Certes, tous les territoires n’ont pas vécu la même détérioration sanitaire. Ceux qui étaient les mieux protégés par un taux élevé de vaccination ont franchi cette vague sans désastre. Mais, au total, nos compatriotes ultramarins, qui représentent 4 % de la population, comptent pour 30 % des décès du pays durant cette vague. C’est insupportable !
À la Martinique, en Guadeloupe, en Polynésie, les morts se sont comptés par centaines. Les hôpitaux ont subi un débordement bien supérieur à celui de la première vague en métropole et les soignants ont été contraints de procéder à des priorisations de soins chez des sujets de plus en plus jeunes, âgés de moins de 50 ans.
Partout, la situation est actuellement plus favorable, mais nous sommes particulièrement inquiets, car, dans plusieurs territoires, en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, le taux de protection de la population par la vaccination reste bas, beaucoup trop bas. Même en prenant en compte l’immunité naturelle acquise, en Guyane, le taux de protection n’est que de 62 %. La cinquième vague menace donc directement la population.
Nous partageons les constats et les propositions de la mission commune d’information du Sénat chargée d’évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités. Il nous faut mieux territorialiser les réponses et amplifier le soutien aux populations menacées.
Dans un contexte où le vaccin est l’objet d’instrumentalisations irresponsables, nous appelons à accentuer la mobilisation pour la vaccination, avec le concours de relais locaux et en prenant en compte les spécificités des populations concernées.
La survenue de la cinquième vague doit être anticipée par la reprise de renforts en soignants et par le renforcement de la coordination entre autorités sanitaires, établissements hospitaliers et professionnels libéraux.
Les stocks d’équipements, de matériels et de produits de santé doivent être l’objet d’une attention particulière. S’agissant de l’offre de soins, les investissements en outre-mer, notamment liés au Ségur de la santé, doivent être accélérés. Pour nous, les caractéristiques géographiques et populationnelles des territoires ultramarins justifient que l’offre hospitalière soit portée, dans certains cas, au-delà des moyennes observées dans notre pays.
Enfin, la crise sanitaire met à mal l’offre générale de soins dans plusieurs territoires. Alors que celle-ci avait progressé depuis dix ans à la Réunion, en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe, nous redoutons que l’épuisement dû à la crise et les tensions sociales et politiques qui se sont développées ne compromettent l’attractivité médicale de ces territoires. Nous appelons donc à préparer dès maintenant une stratégie pour renforcer cette attractivité.
Plus que jamais, en effet, nous sommes déterminés à défendre le droit des populations d’outre-mer à accéder au même niveau de soins que toute autre personne sur le territoire de notre République. La santé se construit dans l’égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise de la covid-19 a durement frappé la France et le monde depuis deux ans. Elle n’est pas terminée, mais son bilan humain et social est déjà lourd. Toutefois, ses conséquences ne sont pas limitées au seul domaine de la santé publique. Elles ont pu se révéler particulièrement redoutables dans certains territoires fragiles.
C’est le cas des nombreuses collectivités ultramarines, qui souffrent de problèmes économiques et sociaux profonds : un taux de chômage important, notamment chez les jeunes, une forte dépendance des circuits économiques, un coût de la vie élevé, l’insuffisance de certains services publics, un manque de confiance dans les institutions. Les constats ne manquent pas !
Récemment, la commission des lois du Sénat a étudié une proposition de loi dont l’objectif était de rénover le service public de l’eau en Guadeloupe.
Ces problématiques ne sont pas nouvelles, monsieur le ministre, et la crise sanitaire n’a fait que les renforcer. Le débat d’aujourd’hui prend tout son sens au regard des événements récents, que nul n’ignore ici. Un mouvement social important s’est déclenché en Guadeloupe et en Martinique, dépassant rapidement la question de la vaccination des soignants, qui en était à l’origine.
Ce mouvement s’est malheureusement accompagné d’actes de violence et de destruction, que nous devons collectivement condamner – et je voudrais ici rendre hommage aux forces de l’ordre engagées outre-mer pour restaurer le calme et la tranquillité.
Lors de votre très récent déplacement en Martinique, monsieur le ministre, vous avez laissé entrevoir une possibilité d’adaptation de l’obligation vaccinale. Pouvez-vous nous préciser si cette adaptation s’imposera après la date du 31 décembre, qui est celle du report de l’obligation vaccinale ?
Dans ce contexte, nos outre-mer ont besoin d’un engagement ferme de la part des pouvoirs publics. Cet engagement doit se traduire au niveau national par une véritable vision pour la France d’outre-mer, prévoyant l’indispensable renforcement de la compétitivité des économies de ces territoires, ainsi que de leurs liens avec leur environnement régional.
Il est essentiel, aussi, de renforcer la sécurité publique outre-mer, pour éviter la répétition des scènes de violence qui nous ont tant choqués ces derniers jours. Interrogeons-nous aussi sur la méthode à employer. Au Sénat, chambre des territoires, écho des collectivités territoriales, notre ambition doit être de passer par les collectivités ultramarines elles-mêmes, car un pilotage depuis Paris serait une nouvelle fois incompris et inefficace.
Plutôt que d’ouvrir à la va-vite un débat sur l’autonomie, il serait peut-être plus sage de s’appuyer avec bon sens sur les travaux du Sénat en matière de décentralisation et de différenciation. Ces travaux existent : je pense notamment aux cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales présentées par le président Larcher.
Les collectivités territoriales doivent aiguiller l’action future avant que des volontés de séparatisme et d’indépendance ne se fassent jour. Après tout, ce sont bien les départements et les régions qui assument les politiques sociales et économiques. Ouvrir la voie à des statuts sur mesure permettrait aux collectivités ultramarines de disposer de marges de manœuvre renforcées, en particulier pour adapter les normes nationales aux réalités locales.
Mme Agnès Canayer. Un tel statut serait la première pierre de la différenciation, car, comme vous le savez, il n’y a pas un outre-mer, mais des outre-mer.
Prévoir le vote annuel d’une loi d’actualisation du droit d’outre-mer faciliterait la mise en œuvre des politiques locales tant par les élus ultramarins que par les administrations déconcentrées de l’État, et cela assurerait le lien et la cohérence entre les politiques publiques et les spécificités locales.
Par ailleurs, afin de répondre à la crise avant qu’elle n’ait lieu, il est temps de disposer d’une meilleure courroie de transmission entre les collectivités ultramarines et le Gouvernement, notamment lorsque les premières souhaitent formuler des propositions de modifications législatives. Il y a donc beaucoup à faire, monsieur le ministre, dans cette France tout entière, riche de ses territoires ultramarins.
Les problématiques structurelles concernant nombre de territoires ultramarins sont restées largement les mêmes durant le mandat. Elles devront être traitées tôt ou tard afin de rétablir aussi la confiance, avant que celle-ci ne soit totalement rompue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’imagine que nous sommes nombreux à nous être posé les mêmes questions devant les images des violences que nous avons vues la semaine dernière en Guadeloupe et en Martinique. De telles scènes ont-elles réellement eu lieu en France ? Comment est-ce possible ? Comment a-t-on pu en arriver là ?
Ce qui s’est passé ces derniers jours dans les Antilles semble tout bonnement impensable, mais ces événements ont bel et bien eu lieu. Ils sont symptomatiques d’une crise aux racines bien plus profondes qu’une contestation de l’obligation vaccinale des soignants et du passe sanitaire.
La crise qui se manifeste aujourd’hui dans les outre-mer est complexe. Elle est multiface et à plusieurs degrés, du plus urgent au plus profond.
La priorité qui devait être la nôtre était la sécurité. Il était urgent de rétablir l’ordre et de faire preuve de force et de fermeté face aux violences. Si les revendications des populations d’outre-mer sont légitimes, de telles actions étaient tout simplement inacceptables, et il devait y être mis fin au plus vite. Les tensions se sont désormais calmées et l’envoi de policiers et de militaires supplémentaires était bienvenu. Mais je ne peux que regretter que cette décision ait pris tant de temps à intervenir. Je souhaite désormais que la justice fasse preuve de la plus grande fermeté envers les auteurs de telles exactions, en particulier envers ceux qui se sont rendus coupables de violences sur les forces de l’ordre. Il est de notre devoir d’être intransigeants à cet égard.
La deuxième problématique qui doit être au centre de nos préoccupations a trait à la situation sanitaire. L’obligation vaccinale pour les soignants et le passe sanitaire sont, en surface, les raisons qui ont précipité les outre-mer dans une telle crise. Alors que près de 80 % de la population est vaccinée dans l’Hexagone, le taux de vaccination le plus élevé en outre-mer est de 60 % pour La Réunion et le plus bas n’atteint même pas 23 % en Guyane. Ces disparités doivent conduire à nous interroger et à nous adapter. Elles mettent en lumière une réelle absence de confiance des populations envers le pouvoir central et ses décisions, ainsi qu’en la médecine. Les récentes décisions du Gouvernement visant à repousser l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale et à prioriser les vaccins sans ARN pour les outre-mer étaient nécessaires, mais elles ne suffiront pas. Des mesures fortes devront être prises pour retisser les liens de confiance, qui – soyons honnêtes – ne sont plus là depuis de nombreuses années. Leur disparition résulte en réalité de considérations économiques, sociales et identitaires.
Les populations d’outre-mer se sentent abandonnées par l’État et n’arrivent plus à discerner son action. Cela ne signifie pas que celle-ci soit inexistante, mais elle est, à tout le moins, insuffisante pour satisfaire ces populations et leur permettre d’en voir les effets.
Voyons les choses en face : tout est dégradé dans ces territoires. Les logements sont insalubres. Le taux de chômage explose et la pauvreté est endémique. Le pouvoir d’achat est en berne. Les services publics sont à l’abandon. Une grande partie de la population n’a pas accès à de l’eau potable.
Cette crise sociale et économique entraîne une crise identitaire et un sentiment de non-appartenance et de mise à l’écart des populations.
Parmi les questions que l’on peut lire en filigrane de ces événements, figure celle du droit à la différenciation, à la déconcentration et à la décentralisation des territoires, un droit pour lequel – cela a été rappelé par notre collègue Agnès Canayer – le Sénat plaide depuis des décennies. Je pense sincèrement que c’est peut-être là que réside une solution à la crise.
Ce n’est pas en donnant une autonomie aux outre-mer, comme vous l’avez suggéré, monsieur le ministre, que nous en viendrons à bout. D’ailleurs, il est presque indécent d’avoir évoqué ce sujet alors que cela ne faisait même pas partie des revendications de la population…
M. Cyril Pellevat. Même les autonomistes s’en émeuvent ! C’est dire !
M. Cyril Pellevat. Non ! Ce que nous devons faire, c’est, au contraire, appliquer enfin réellement ce droit à la différenciation. Cela vaut pour toute la France, pas seulement pour l’outre-mer. Je pense notamment aux territoires de montagne, dont vous savez combien ils sont chers à mon cœur. Ce droit existe ; il faut l’appliquer.
Au lieu de désengager l’État des outre-mer, nous devons au contraire l’y renforcer, réinvestir dans ces territoires et les accompagner tout en veillant à ce que celui-ci respecte leurs spécificités et s’y adapte. À mon sens, c’est le seul moyen de faire en sorte que les populations locales se réapproprient l’État et ne le voient plus comme un ennemi. Malheureusement, l’examen du projet de loi 3DS a été une occasion manquée.
J’espère que les événements nous ayant amenés à avoir ce débat auront au moins permis d’engager la réflexion et de prendre la mesure de l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’avais préparé une intervention générale, mais je vais plutôt répondre à certaines des questions que les différents orateurs ont posées.
Les situations territoriales sont très différentes, par exemple entre les Antilles et la Nouvelle-Calédonie, même s’il existe des thématiques communes à l’ensemble des outre-mer. Je ne pourrai évidemment pas toutes les traiter en dix minutes, mais je sais que la délégation sénatoriale aux outre-mer se saisit régulièrement d’un certain nombre de sujets.
Cette prise de parole devant le Sénat est pour moi l’occasion de rendre compte de la situation dans laquelle nous nous trouvons aux Antilles. Je précise que les cas de la Martinique et de la Guadeloupe ne sont pas exactement identiques. Nous parlons de deux territoires distincts, avec des écosystèmes assez différents.
Ainsi que cela a été souligné, la première des crises est d’abord une crise de l’ordre public et de la sécurité publique, à distinguer d’une révolte sociale, monsieur le sénateur Gay. Ce qui se passe est sans précédent. Nous assistons à un réveil des voyous, à un retour du grand banditisme. (M. Fabien Gay s’exclame.) Il existe malheureusement dans cette plateforme caribéenne une tradition de connexion entre trafics de drogue et détentions d’armes.
Des individus ont profité des contestations sociales pour, la nuit, non seulement commettre des méfaits sur les biens, mais surtout porter des atteintes d’une violence inédite aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie. Et j’insiste sur ce caractère inédit. J’ai rencontré les policiers du RAID et les militaires du GIGN. Certains ont témoigné n’avoir jamais été confrontés à un tel niveau d’engagement avec des armes à feu au cours de leur carrière.
En Martinique, en seulement quatre ou cinq jours, une centaine de coups de feu ont été tirés sur les forces de police et sur des militaires de la gendarmerie. C’est ce qui explique les renforts du RAID et du GIGN. En effet, il y avait besoin de techniques d’intervention n’ayant rien à voir avec le maintien de l’ordre en journée, qui relève des policiers et des gendarmes « conventionnels ». La nuit, ce sont le RAID et le GIGN qui sont engagés. Je tenais à le souligner pour éviter certains amalgames. Entre parenthèses, monsieur le sénateur Pellevat, je signale que les renforts sont arrivés immédiatement. Tout cela peut être établi.
Au moment où je vous parle, cinq escadrons de gendarmes mobiles sont engagés sur chacun des territoires concernés. Les axes de circulation – vous y avez fait référence, madame la sénatrice Guidez – sont en train d’être libérés. Et, encore une fois, les barrages ne sont pas tenus que par des syndicalistes ou des militants pacifiques. On y rencontre aussi des voyous. Qu’il y ait des bonbonnes de gaz sur des barrages est tout de même le signe d’une démarche particulièrement violente. Et cela oblige malheureusement les forces de l’ordre à recourir à des techniques d’intervention particulières.
La deuxième crise est – je ne le nie évidemment pas – une crise sociale au sein des hôpitaux, voire du monde médico-social en général. Les sollicitations dans les établissements ont été très fortes durant les différentes vagues de l’épidémie de covid-19. Nous avons tous en tête l’actualité du mois d’août. Nous pouvons, me semble-t-il, tous en convenir, les gouvernements successifs ont souvent négligé la santé publique outre-mer. Les hôpitaux d’outre-mer sont dans un état tout à fait préoccupant. Le rattrapage du Ségur est l’une des premières réponses. Je ne prétends pas qu’elle sera suffisante.
Au demeurant, certaines problématiques spécifiques à la médecine libérale ne sont pas propres aux outre-mer. On les retrouve ailleurs, y compris en métropole.
Face à une telle crise sociale à l’hôpital, un dialogue social particulièrement exigeant s’impose. En tant qu’employeur, l’État doit se montrer exemplaire dans les réponses apportées aux soignants qui font ou feront l’objet d’une suspension.
Cela étant, comme je l’ai rappelé hier en Martinique, il y a un principe de réalité sanitaire et sociale qui s’impose à nous. Et cela me permet d’évoquer la troisième crise.
Car il y a bien une crise démocratique et principielle. Je le dis ici, à la tribune de la Haute Assemblée, alors qu’une loi a été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat – certes, vous n’avez peut-être pas forcément tous voté pour, mais c’est le jeu démocratique, et je pense que nous défendons tous notre modèle de démocratie représentative – et qu’elle a été validée par le Conseil constitutionnel, on me dit localement qu’on ne veut pas l’appliquer.
M. Fabien Gay. Ou qu’on ne peut pas !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants, monsieur le sénateur. En l’occurrence, on m’a bien dit qu’on ne voulait pas. C’est très différent, et cela pose un problème démocratique majeur.
Je suis désolé, monsieur le sénateur Pellevat, mais, au cours de mes dernières heures de consultation, plusieurs élus de premier plan, pas forcément des parlementaires – mais certains l’avaient été ! –, m’ont dit que les décisions relatives à la Guadeloupe devaient être prises par les Guadeloupéens, et non par des députés ou des sénateurs à Paris. Là, on entre bien dans un débat qui n’a plus grand-chose à voir avec la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, voire l’autonomie !
J’ai donc pris ces élus au mot, mais en rappelant que, dans un département de la République française – la Guadeloupe, où de tels propos avaient été tenus, en est un, de même que la Martinique –, la loi de la République française a vocation à s’appliquer ! Il n’y a pas de discussion à avoir sur ce point.
Remettons donc les choses dans leur contexte. Vouloir adapter une loi sanitaire, c’est aller bien au-delà de la différenciation.
Nous sommes dans la chambre des territoires. Il est un modèle d’autonomie que nous connaissons bien : celui que la Constitution a instauré pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Qu’est-ce que l’autonomie ? Il est un peu triste, en 2021, de devoir redéfinir des notions supposément connues de tous. Si je devais caractériser en une expression, pour la presse ou pour l’opinion publique, l’autonomie, je dirais que c’est la décentralisation à l’extrême.
Vouloir adapter en Guadeloupe un texte aussi important qu’une loi de sécurité sanitaire applicable à des fonctionnaires hospitaliers, c’est prôner un changement de modèle. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé les élus concernés à faire preuve de franchise et à aller au bout de leur logique en demandant une évolution statutaire.
J’espère donc avoir répondu une fois pour toutes à cet égard. Mais peut-être le contexte politique national actuel a-t-il conduit certains à souhaiter habilement entretenir la confusion entre autonomie et indépendance…
Je le rappelle, en Nouvelle-Calédonie – je suppose que nous aurons l’occasion d’en discuter au cours du débat interactif –, celles et ceux que l’on appelle les « loyalistes », c’est-à-dire les personnes qui font campagne pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, sont eux-mêmes des militants de l’autonomie.
Les problématiques propres à l’outre-mer nous ouvrent ainsi beaucoup d’horizons, y compris les horizons juridiques les plus compliqués.
Le collectif contre l’exploitation outrancière, ou Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), qui est une plateforme syndicale connue en Guadeloupe, est venu nous voir en posant deux préalables avant toute discussion. Le premier était l’abrogation de la loi sur l’obligation vaccinale. J’imagine que si un ministre avait répondu favorablement à une telle exigence, les parlementaires, toutes opinions politiques confondues, auraient tout de même trouvé cela démocratiquement bizarre et dangereux. Et le second portait sur la suspension des poursuites judiciaires ou l’amnistie pour les personnes arrêtées pour avoir ouvert le feu sur des policiers et des gendarmes. Vous comprenez donc pourquoi il a rapidement été mis fin aux discussions.
En Martinique, l’intersyndicale nous a indiqué que les responsables concernés ne savaient pas appliquer la loi, ce qui n’a rien à voir avec la situation précédente. Soyons précis : quand des partenaires sociaux et des élus indiquent ne pas pouvoir appliquer la loi compte tenu de la situation particulière de la Martinique, c’est très différent d’une demande d’abrogation de la loi ou d’amnistie pour des personnes qui tirent sur des policiers et des gendarmes ! J’espère que vous me pardonnerez cette remarque de bon sens.
En Martinique, l’accord de méthode signé entre les élus locaux, l’intersyndicale et l’État va continuer à se décliner. Une méthodologie de dialogue s’est installée, avec notamment un atelier santé, c’est-à-dire un dialogue social au sein des structures hospitalières. Cela va nous permettre d’examiner l’applicabilité de la loi. Mais le principe est que l’obligation vaccinale des soignants doit s’appliquer.
Je le dis notamment devant une sénatrice de la Guadeloupe : je forme le vœu que nous puissions très vite reprendre le chemin du dialogue dans votre île.
La quatrième crise est commune à l’ensemble des outre-mer. Les problématiques auxquelles nous sommes confrontés viennent évidemment s’arrimer à des crises plus anciennes, voire systémiques. Certaines sont propres à l’insularité. D’autres sont malheureusement liées – je suis assez d’accord avec vous sur ce point, monsieur le sénateur Gay –, à l’histoire, avec ses ombres et ses lumières, pour faire écho à la très jolie formule de l’accord de Nouméa. Il faut les regarder en face.
Je pense d’abord à la vie chère, en distinguant le cas de l’énergie de celui des autres denrées ou biens. En effet, les structures de réponses ne sont pas les mêmes. Je suis sensible à ce que le sénateur Philippe Folliot a indiqué tout à l’heure sur la transition agricole. Sur ce sujet, la crise liée au covid-19 a pu modifier des comportements et des pratiques. Il faut avancer et aller plus loin.
Il y a aussi un énorme sujet sur la jeunesse en outre-mer.
D’aucuns ont également évoqué le rattrapage sanitaire ou la transition agricole.
Pour ma part, j’aimerais insister sur la transition énergétique. Il me paraît pour le moins curieux d’être encore aussi dépendants des hydrocarbures dans des territoires insulaires qui ne manquent ni d’eau, ni d’énergie, ni de vent, ni de soleil. Nous devrons travailler sur ce dossier.
La problématique de l’eau nous renvoie à la question des responsabilités locales. Je remercie le sénateur Gontard de la cohérence dont il a fait preuve en réclamant que l’État reprenne la main. Au moins, sa position est claire.
Mais nous sommes dans la chambre des territoires, et je m’en sens un peu membre. (Sourires.) Soyons cohérents. Nous sommes tous, me semble-t-il, des militants de la décentralisation. Il y a peu de jacobins sur ces travées. On peut aimer l’État en étant décentralisateur.
Or il est une chose que les lois de décentralisation, en 1982 comme en 2003, n’ont pas prévue. Quid lorsque la puissance publique locale se retrouve en défaut et n’exécute pas une mission, soit qu’elle ne le peut pas, soit qu’elle ne le veut pas ? Aujourd’hui, dans la loi de la République, rien n’est prévu dans une telle situation. Le préfet peut toujours faire des réquisitions ; d’ailleurs, il en a fait. Nous pouvons également passer par la loi, comme vous l’avez fait pour la création du syndicat des eaux, ce dont je vous remercie.
Monsieur Gontard, la gouvernance de l’eau est un sujet majeur. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Même si cela peut paraître invraisemblable, actuellement, beaucoup de crédits consacrés à l’eau ne sont pas consommés en Guadeloupe !
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion collective sur la décentralisation et, malheureusement, sur l’échec de la mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques.
Il arrive que l’État soit mis en cause à juste titre. Mais, sur la question de l’eau, il fait partie de la solution, et certainement pas du problème.
Je vous remercie de la bienveillance dont vous avez fait preuve à mon égard, madame la présidente.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, il était normal de vous laisser, ainsi qu’aux orateurs des groupes, du temps pour vous exprimer sur un sujet aussi sensible et d’actualité.
Cela étant, j’appelle chacune et chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti dans le cadre du débat interactif, afin que nous puissions tenir les autres débats inscrits à notre ordre du jour dans les délais prévus.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Le 12 décembre prochain, un troisième et dernier référendum se tiendra sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance.
La date du scrutin a été maintenue, la situation épidémique étant désormais sous contrôle, mais elle continue de faire l’objet de trop nombreuses polémiques. Elle a pourtant été soutenue par des personnalités de la société civile appelant à mettre fin à l’incertitude institutionnelle, qui n’a – nous en sommes tous convaincus – que trop duré.
Après deux précédentes consultations ayant confirmé la volonté du peuple calédonien de demeurer dans la République, cette dernière consultation optionnelle sera – j’en suis sûr – l’occasion de sortir d’une telle impasse et d’éviter une surenchère.
Je tiens à réaffirmer ma volonté que la consultation aille à son terme dans les meilleures conditions et qu’elle permette d’ouvrir une nouvelle page, un nouveau contrat social, entre la métropole et le Caillou.
Car la métropole n’a jamais laissé de côté la Nouvelle-Calédonie. Depuis le mois de juin 1988, la paix et l’exercice pacifique du droit à l’indépendance ont éclipsé la violence et l’incompréhension.
Au mois de septembre dernier, une centaine de réservistes sanitaires ont été envoyés pour aider la population.
En 2021, quelque 178 milliards de francs CFP ont été investis par l’État pour la Nouvelle-Calédonie, partagés notamment entre les dépenses d’intervention et l’aide fiscale à l’investissement.
Dès lors, monsieur le ministre, comment abordez-vous ce scrutin aussi stratégique que détourné de son objectif véritable ? Comment ouvrir une nouvelle page dans la relation entre la France et la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Longeot, je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer la Nouvelle-Calédonie.
Tout d’abord, les conditions sanitaires et organisationnelles pour tenir le référendum du 12 décembre sont remplies. Le taux d’incidence est stabilisé entre 70 et 80 cas pour 100 000 habitants. En pratique, plus de 200 observateurs sont en route vers la Nouvelle-Calédonie. Les maires, qu’ils soient indépendantistes ou non, organisent le scrutin de manière républicaine en respectant l’esprit de l’accord.
Ensuite, je souhaite insister sur le rôle de l’État, qui a tenu parole. Je pourrais évoquer la déclaration de Nainville-les-Roches, que tout le monde a oubliée, qui mentionne « les victimes de l’histoire ». J’ai également en mémoire les accords de Matignon de 1988 et les accords de Nouméa de 1998. D’après certains signataires, y compris celui qui siège encore parmi vous, Pierre Frogier, d’aucuns considéraient à l’époque que l’accord n’irait peut-être pas complètement au terme des trois référendums. Or nous sommes entrés dans ce moment ultime où peuvent parfois naître les tensions.
Il s’agit en effet d’imaginer le lendemain. L’État et le Gouvernement l’ont fait, au travers de la déclaration du 1er juin dernier, qui vient sécuriser la fin de l’application de l’accord de Nouméa, ouvrir une période de transition jusqu’en juin 2023 et, ainsi, stabiliser également la situation économique, sociale, politique et juridique de l’archipel.
Dieu sait que ce dernier en a bien besoin : la relance économique devra se faire en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs.
Dans cette affaire, l’État est neutre, je le rappelle. Si les parlementaires et les membres du Gouvernement peuvent émettre des opinions politiques, l’État, en tant que partenaire d’un accord, se doit de garder sa neutralité, comme il le fait lors des élections sénatoriales ou municipales.
J’observe que, d’un côté, certains nous poussent à nous montrer plus partisans que par le passé quand, d’un autre côté, d’autres nous reprocheraient presque, au travers de tribunes publiées dans des journaux de l’après-midi, d’être violemment anti-indépendantistes pour ne pas dire anti-Kanaks, ce qui est d’ailleurs assez scandaleux.
Au fond, je me dis que nous avons sans doute trouvé un équilibre, conforme à l’engagement d’appliquer cet accord véritablement jusqu’à son terme.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, cela a été dit, mais il faut encore le souligner : la crise du covid-19 a eu, indéniablement, des répercussions sociales et économiques désastreuses dans les outre-mer.
La mise en berne des activités économiques à la suite du confinement et des mesures de restrictions sanitaires ont exacerbé les faiblesses structurelles du tissu entrepreneurial ultramarin, majoritairement composé de petites entreprises et fortement dépendant du tourisme.
Je rappelle que, pour tenter d’endiguer la crise, le Gouvernement a étendu dans les outre-mer les dispositifs de soutien que sont le fonds de solidarité pour les entreprises ou encore les prêts garantis par l’État.
Or j’attire votre attention, monsieur le ministre, sur un point jusqu’ici peu évoqué : si l’impact des premières vagues épidémiques a été généralement moindre dans les outre-mer qu’en métropole, ces derniers subissent aujourd’hui de plein fouet la double crise sanitaire et économique.
Il est donc urgent, et même vital, de synchroniser les dispositifs d’aide économique aux outre-mer, pour tenir compte de ce décalage de l’épidémie dans le temps.
Monsieur le ministre, puisque les mesures économiques ont précédé l’explosion de la pandémie dans les outre-mer, comptez-vous réadapter rapidement ces dernières à la crise actuelle ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Corbisez, à question claire, j’apporterai une réponse claire.
Jusqu’à présent, nous avons toujours adapté les mesures d’accompagnement aux mesures de freinage telles que le couvre-feu ou le confinement.
La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, pays d’autonomie, étaient dans une situation particulière : nous y avons tout de même déclenché, vous le savez, les outils de solidarité – fonds de solidarité, prêts garantis par l’État (PGE). Seul le chômage partiel a fait l’objet d’une exception, dans la mesure où il relève de la compétence des pouvoirs locaux.
Ces territoires étant bien français, la solidarité nationale s’y est exprimée.
Nous avons également adapté la mise en œuvre du passe sanitaire : instaurer un passe sanitaire sur un territoire dans lequel les restaurants étaient fermés n’aurait pas eu de sens. Nous avons donc agi avec bon sens.
Nous continuerons à nous adapter en permanence, notamment dans les territoires soumis à l’état d’urgence sanitaire comme la Martinique, dont je reviens et où les indicateurs sont fragiles.
Nous continuerons, chaque fois que nécessaire, à bâtir dans les différents territoires concernés les systèmes d’accompagnement en fonction de la cinétique de l’épidémie.
Malheureusement, au vu du faible taux de vaccination dans certains territoires, nous n’en avons pas terminé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je vous pose ici la question de Victorin Lurel, qui ne peut malheureusement être parmi nous cet après-midi en raison d’une urgence personnelle. M. Lurel m’a demandé de vous présenter ses sincères excuses.
Voici sa question : « Monsieur le ministre, je souhaitais saisir l’occasion de ce débat pour clarifier un peu les choses et nous permettre, collectivement, d’avancer à la suite de votre déplacement.
« Nous ne serons jamais de ceux qui contestent votre fermeté face aux demandes d’amnistie des délinquants, pas plus que votre volonté de rétablir l’ordre.
« Pour autant, nous considérons que le choix délibéré d’une visite express, à la symbolique militaire et à la posture martiale et autoritariste, est une grave erreur politique.
« Vous ne pouvez ignorer que cela a braqué, a choqué et surtout – c’est là le plus grave – légitimé l’action politique de ceux qui, de toute façon, ne sont pas là pour discuter.
« Il était tout aussi maladroit de prétendre que tous les problèmes de l’île relèvent uniquement de compétences locales. Cette défausse ne pouvait que tendre le dialogue, y compris avec vos alliés politiques locaux et membres de votre majorité.
« En définitive, par ses excès, ce malheureux épisode n’a fait que renforcer la stratégie de pourrissement voulue par certains.
« Dans le même temps, et bien que vilipendés et délégitimés, les élus prennent leurs responsabilités en écoutant et en proposant. À l’État désormais de prendre les siennes.
« Monsieur le ministre, dans quels délais, sous quel format, avec quels experts, quels collègues et surtout avec quelle volonté reviendrez-vous en Guadeloupe pour non pas renouer, mais bel et bien nouer le dialogue et ainsi éviter la montée aux extrêmes et les morts ?
« Cette crise ne doit pas devenir une occasion d’envenimer le climat pour plaire à une frange radicalisée de l’opinion publique hexagonale en période de précampagne présidentielle. »
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je tiens à saluer, par votre intermédiaire, le sénateur Lurel, qui rentre en Guadeloupe – nous le savons – pour une raison qui n’est pas heureuse, et à lui adresser nos pensées amicales.
S’agissant, premièrement, de ma visite, je le répète : j’assume la méthode. J’ai subi suffisamment de pressions politiciennes, à Paris, qui m’invitaient à me précipiter sur le terrain. Je n’ai pas souhaité le faire, pour deux raisons : d’abord pour ne pas gêner les forces de l’ordre – cela fait parfois sourire, mais je tiens compte aussi de cet aspect – et, ensuite, pour laisser sa chance au dialogue local.
Sans vouloir comparer les territoires, cette démarche a fonctionné en Martinique. Si je m’y étais rendu dès les premières heures, nombre de positions syndicales et politiques se seraient crispées et nous n’aurions pas laissé cette chance au dialogue paritaire qui me tient à cœur.
Deuxièmement, en ce qui concerne la supposée symbolique martiale de ma visite, je voudrais apporter ces précisions à l’ensemble des parlementaires : j’ai dormi à Pointe-à-Pitre qui, comme chacun sait, n’est pas la préfecture de la Guadeloupe, plus précisément au fameux régiment du service militaire adapté (SMA) qui encadre des jeunes.
Il m’a été reproché, localement, d’avoir dormi dans un régiment, lequel dépend pourtant de mon ministère. Croyez-moi, il n’y avait là aucune dimension symbolique volontaire ; il fallait bien que je dorme quelque part !
Troisièmement, il ne faut pas nier que la plupart des revendications portent sur des compétences locales. Ce n’est pas se défausser sur les collectivités territoriales que de dire cela.
Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous êtes des parlementaires de la République, puisque vous votez le budget de l’État, vous incarnez l’État, vous aussi. Vous en conviendrez, les collectivités territoriales ne peuvent ainsi se défausser sur l’État.
Tous ici, nous sommes, nous avons été ou nous avons vocation à redevenir des élus locaux. Les partisans de la décentralisation le savent bien : l’eau potable est la compétence par excellence du bloc communal depuis Mathusalem.
Dès lors, assister à des manifestations dans lesquelles on reproche à Paris – c’est-à-dire autant à vous qu’à moi – de ne pas avoir fait le nécessaire pour alimenter la population en eau potable, pose quand même question. Cela pose la question fondamentale des compétences et de la responsabilité des uns et des autres.
Quatrièmement, je ne jugerai pas de la politique de la chaise vide qu’ont pratiquée les grands élus de Guadeloupe lors de cette visite. Je considère tout de même étonnant de ne pas venir à la rencontre d’un ministre lorsque ce dernier fait le déplacement.
Moi-même, alors que j’étais élu local de l’opposition, je me déplaçais systématiquement dans ces occasions, y compris pour faire entendre mon désaccord. Je pense donc, en effet, que la forme comptera également dans les semaines à venir.
En tout état de cause, je me tiens entièrement disponible pour avancer en vue de la résolution de la crise en Guadeloupe.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, il y a quelques jours, la Guadeloupe et la Martinique s’embrasaient et connaissaient des scènes d’insurrection inquiétantes et désolantes.
À la faveur de votre déplacement, vous avez pu personnellement évaluer la situation sur le terrain. Les revendications de ces agitateurs et casseurs, chauffés à blanc par certains syndicats aussi, ne paraissent pas, hélas, clairement identifiées. Il n’en reste pas moins que ces violences sont intolérables.
Comme dans les autres territoires d’outre-mer, le gouvernement français a fait de gros efforts sur les plans de la vaccination et de la protection sanitaire.
Nous le savons, cette crise, qui nous a fait mettre un genou à terre, a été plus durement ressentie encore, socialement, dans nos départements et territoires d’outre-mer, dont les économies sont fragiles, notamment dans les secteurs du transport, du numérique ou du BTP.
Pourtant, tout est bon en termes de récupération politique pour jeter de l’huile sur le feu. La pseudo-polémique entraînée par vos propos sur une plus grande autonomie de la Guadeloupe semble davantage liée à des tensions politiques de période présidentielle qu’au tabou de l’autonomie, qui n’a pas lieu d’être dans notre cadre constitutionnel.
Monsieur le ministre, pensez-vous que les discussions et les échanges que vous avez eus avec des responsables politiques locaux puissent ramener un peu de calme et de sérénité sur ces deux îles ? Voyez-vous d’autres solutions pour sortir de cette crise ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, votre question me donne l’occasion de rappeler la forte présence de l’État dans les outre-mer.
Additionnées, les prises de parole récentes donnent l’impression d’un grand retrait de la puissance publique.
Or, vous qui votez les lois de finances, mesdames, messieurs les sénateurs, savez à quel point l’État est présent outre-mer, bien au-delà, d’ailleurs, de l’action de ce seul gouvernement. Beaucoup de choses sont faites et nous pourrions les documenter.
Par ailleurs, pardonnez-moi de revenir sur l’affaire de l’autonomie, mais je le dis ici, dans la chambre des territoires : certains propos et amalgames ont profondément blessé les Polynésiens et les Calédoniens.
Les sous-entendus autour de l’autonomie, qui équivaudrait à une espèce d’abandon, à un recul de l’État, à un début de sécession, de rupture avec la communauté nationale, bref, toutes ces inepties juridiques et politiques ont blessé des territoires qui sont aujourd’hui dans l’autonomie et qui sont bien français.
La Nouvelle-Calédonie, jusqu’à preuve du contraire – le référendum a lieu le 12 décembre prochain – et la Polynésie française – qui en a déjà donné la preuve –, c’est la France !
Si la campagne présidentielle exacerbe sans doute les positions, on ne peut sans cesse invoquer, d’un côté, la République des territoires, la décentralisation et la différenciation et, de l’autre, considérer comme scandaleuse ou prématurée l’idée d’une autonomie qui, en fait, correspond au degré le plus poussé de la décentralisation.
Il convient donc de remettre les choses dans le bon ordre, sauf à manquer de cohérence. Cela ne serait pas la première fois, remarquez, qu’un débat politique manquerait de cohérence !
Monsieur le sénateur Médevielle, vous m’interrogez sur mon degré d’optimisme. Je vous répondrai : fermeté absolue pour ce qui se passe la nuit, car cela n’a rien à voir avec ce qui se passe le jour. Le dire ainsi clarifie les choses, me semble-t-il. Il ne faut donc pas que les syndicalistes de jour, notamment en Guadeloupe – M. Domota, pour ne pas le nommer – viennent réclamer l’amnistie pour les protagonistes des événements de la nuit. Ainsi, les choses se passeront très bien et nous pourrons avancer.
La méthode appliquée en Martinique produira vite ses effets, sur des questions d’intérêt général telles que la vie chère, l’avenir de la jeunesse, celui du territoire ou encore l’application de la loi dans les hôpitaux, sur la base d’une documentation Unédic.
Au sein de l’hôpital s’est ainsi noué un véritable dialogue social. Peut-être ce dernier aurait-il pu avoir lieu plus tôt, toujours est-il qu’il est maintenant à l’œuvre.
Je le répète : cette méthodologie devrait vite produire ses effets et peut-être inspirer la Guadeloupe. Là encore, je suis disponible et volontaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, depuis trente ans, la situation se dégrade aux Antilles et le lien national se distend.
La crise sanitaire a exacerbé les problèmes de fond : coupures d’eau potable ou d’électricité, réseau routier saturé, chômage des jeunes, vie chère, excès d’emplois publics.
Aucun des dispositifs déployés jusqu’à présent n’a permis à ces territoires de trouver les conditions d’un développement harmonieux et d’une croissance économique permettant de lutter efficacement contre le chômage, en particulier celui des jeunes.
Il faut agir de concert sur l’emploi et sur la consommation des ménages, afin de créer un choc de revitalisation économique.
Il y a, outre-mer, un véritable problème de coût du travail : son niveau élevé, en comparaison des territoires voisins, limite la compétitivité des entreprises locales.
Il est pourtant nécessaire de permettre à ces entreprises de développer leurs activités, d’investir, d’innover, de baisser leurs prix et de recruter des collaborateurs.
Le Gouvernement propose de créer de nouveaux emplois aidés dans les secteurs public et associatif, alors qu’il est déjà reconnu que le secteur public occupe une place très importante dans l’économie des outre-mer. Un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, a d’ailleurs dénoncé cette situation dans la presse, il y a quelques jours.
Dans ces conditions, ne devrait-on pas favoriser l’insertion dans les entreprises du secteur privé ? Quelle est la stratégie du Gouvernement pour développer les entreprises ?
Dans le cadre du grand débat national, l’ensemble des organisations socioprofessionnelles martiniquaises avaient proposé une mesure phare, véritable choc pour leur attractivité : elles avaient proposé de détaxer le travail afin de relancer l’économie.
Quel est, monsieur le ministre, votre avis sur cette proposition ? Comment, dans ces territoires ultramarins, créer un véritable tissu économique reposant sur un capitalisme patrimonial ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, veuillez me pardonner d’avoir été absent lors des questions au Gouvernement de ce jour et de n’avoir pu répondre à votre question.
La dernière fois que j’ai affirmé ne pas avoir de sujet tabou sur les questions statutaires, j’ai vécu deux ou trois jours agités. Je ferai donc preuve de prudence dans mes propos en matière économique.
Nous nous situons, cela étant, dans le même domaine de réflexion. L’évolution de la fiscalité est manifestement une question fondamentale. Si l’on s’interroge, en passif et en creux, sur le point de savoir si la défiscalisation telle qu’imaginée il y a quelques années et soumise au Parlement par Brigitte Girardin produit encore ses effets, la réponse est oui, mais plus complètement. Voilà un beau sujet pour le début du prochain quinquennat, quelle que soit la majorité qui sera aux manettes !
La question de l’octroi de mer est à manier également avec force précautions lorsque l’on s’exprime en tant que ministre des outre-mer.
L’octroi de mer constitue encore, sans nul doute, une barrière douanière protectrice pour l’économie insulaire et pour un certain nombre de biens de production du secteur marchand. Doit-il s’appliquer aux armes des fonctionnaires de police ou de gendarmerie, ainsi qu’à certains organes ou aux biens culturels ? Ce n’est pas là, me semble-t-il, sa vocation.
S’agissant de l’eau potable, il est évident que le développement d’une économie touristique en Guadeloupe est peu compatible avec l’existence de tours d’eau dans les gîtes ou les hôtels.
En matière de fiscalité et de défiscalisation, il ne faut négliger aucune piste.
Enfin, s’il y a un mot qu’il faut prononcer, c’est le mot « concurrence ». L’une des solutions, pour lutter, d’une part, contre la vie chère et, d’autre part, pour animer un vivier de jeunes entrepreneurs, réside évidemment dans la création de conditions concurrentielles, dans lesquelles – nous avons appris cela à l’école – l’offre peut rencontrer la demande.
« Vaste programme ! », comme aurait dit qui vous savez.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, cette question appelle – on le voit bien – un débat apaisé et posé, qui s’appuie sur l’Assemblée nationale, sur le Sénat et sur les différentes délégations.
Il convient d’agir sans précipitation et de mettre – vous l’avez dit – l’avenir et le développement de nos territoires ultramarins au cœur du prochain quinquennat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, malgré une accalmie, la Guyane a traversé une crise sanitaire sans précédent, qui a mis les personnels des trois seuls hôpitaux guyanais au bord de la rupture.
Ces derniers mois, alors que le taux d’incidence frôlait les 500 cas pour 100 000 habitants, les soignants ont fait face en dépit de l’obligation vaccinale, puisque, dans certains hôpitaux, à peine 50 % d’entre eux sont vaccinés.
Cette défiance des soignants envers la vaccination fait d’ailleurs écho à celle de la population générale : avec 26 % de personnes vaccinées, la Guyane affiche le taux de vaccination le plus faible du pays.
Mais comment convaincre la population et les personnels soignants de se faire vacciner quand seule s’applique la contrainte et que l’État a failli, notamment, dans sa mission de service public ? Quand, depuis des années, la Guyane, dont presque 30 % du territoire est classé en zone sous-dense, est le plus grand désert médical du pays ? Quand, à ces inégalités d’accès aux soins se conjuguent – cela a été dit – vie chère, un taux de pauvreté à près de 53 % et un revenu médian d’à peine 900 euros ?
Les Antilles s’enflamment pour les mêmes raisons : ces inégalités sociales et sanitaires territoriales qui perdurent, alors que l’égalité n’est convoquée que pour justifier l’obligation vaccinale.
Monsieur le ministre, que prévoit le Gouvernement pour en finir enfin, à court terme, avec les zones sous-denses, où toute politique « d’aller vers » est vaine, dès lors que l’accès aux soins n’est pas garanti ?
Quelles politiques publiques, rompant avec l’abandon des personnels soignants et des habitants, le Gouvernement entend-il mener en Guyane ? Elles seules sont à même de redonner confiance dans la parole politique et institutionnelle et, très certainement, à terme, d’améliorer la couverture vaccinale.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je répondrai d’abord à la fin de votre question.
Pour que la confiance revienne, il faudra que nous nous accordions, tous, pour lutter localement contre tous les populismes.
Il me paraît souhaitable de détacher la question de l’acceptation globale de la vaccination de celle de l’obligation vaccinale des soignants et des questions d’accès aux soins, sur lesquelles je reviendrai dans un instant.
La Guyane est aussi le territoire de la République dans lequel les fantaisies, les mensonges et les fake news – je pourrai vous le démontrer – ont été les plus invraisemblables et les plus graves. Parfois, ces allégations n’ont été confrontées à aucune contradiction, pas même de la part de l’État qui, certes, a fait son possible et dont je défends les équipes.
On a le droit de ne pas soutenir le Gouvernement, mais je vous prie de croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que les personnes qui rendent le service public au quotidien à l’ARS, à l’hôpital ou dans les centres médico-sociaux de proximité ont fait le maximum pour porter la parole de la vaccination. Il ne leur fut pas seulement opposé des théories sur les puces 3G ou autres, mais aussi des affirmations bien plus graves encore.
Il importe de dénoncer ces comportements, car ils ont eu, malheureusement, des effets tout à fait déplorables et très graves sur la protection de nos concitoyens outre-mer. En la matière, me semble-t-il, c’est collectivement que nous devons agir.
Par ailleurs, je vous confirme que la Guyane accuse, sur le plan de la couverture vaccinale, un retard considérable. Dans ce domaine, la mère des batailles reste l’hôpital public.
En effet, la présence de l’hôpital public permet de développer des stratégies « d’aller vers » et de déployer des centres de proximité. J’ai visité un de ces centres, à Maripasoula ; il va d’ailleurs être totalement reconstruit pour devenir un véritable hôpital, car l’attente est importante à cet endroit.
Enfin, le centre hospitalier de Cayenne va devenir centre hospitalo-universitaire (CHU), ce qui représente un tournant majeur pour la Guyane, à l’horizon 2024-2025. Cette transformation va permettre de diversifier l’offre de soins et, surtout, de proposer une offre de formation renouvelée aux personnels de santé. Il faudra malgré tout faire preuve d’un peu de patience, parce que les choses ne se font pas en quelques semaines.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, « quand on se déplace, c’est que les choses sont mûres ! » expliquiez-vous avant votre départ en Guadeloupe dimanche dernier…
Une chose est certaine, monsieur le ministre : ce qui est mûr, ce sont les inégalités entre la métropole et les outre-mer, dénoncées depuis de très nombreuses années.
L’obligation vaccinale des soignants et des pompiers a mis le feu aux poudres dans un contexte multidimensionnel devenu insupportable pour nos outre-mer. Mon camarade Fabien Gay et d’autres collègues ont multiplié les exemples de ces inégalités vécues et subies par nos compatriotes antillais : le non-accès à l’eau potable, la vie chère, le chômage des jeunes, etc.
Il est vrai que ces fractures sont anciennes – nous ne faisons que les constater année après année depuis bien trop longtemps.
Et elles ne s’arrêtent pas aux Antilles. En Guyane, au-delà de la situation de l’hôpital public que vous venez d’évoquer, on dénombre seulement 55 médecins généralistes pour 100 000 habitants contre 104 en moyenne nationale. L’habitat indigne représente 13 % du parc de logements outre-mer. Il y a autant de personnes qui vivent dans un bidonville à Mayotte que dans tout l’Hexagone.
Nos compatriotes ultramarins manifestent aujourd’hui pour une revalorisation de leur pouvoir d’achat, pour une progression des salaires, pour des moyens de sortir de la précarité, etc. Ils manifestent tout simplement pour plus d’égalité et pour vivre dignement !
Comme l’a dit Fabien Gay, nous condamnons avec fermeté toutes les violences, mais la réponse à ces manifestations ne peut pas se résumer à l’envoi de forces de police.
Quant à votre évocation d’une autonomie pour la Guadeloupe, question qui aurait été abordée « en creux », monsieur le ministre, c’est un sujet institutionnel d’importance, bien trop sérieux pour être avancé au beau milieu d’une crise aussi grave. Une telle réponse résonne, d’une certaine façon, comme une menace d’abandon. Surtout, elle est totalement décalée au regard de l’urgence sociale, en particulier quand on connaît la longueur des processus que nécessiterait sa mise en œuvre…
Je pourrais évoquer d’autres sujets et vous m’excuserez, monsieur le ministre, de vous poser une question d’ordre général. En tout cas, il faut absolument que vous apportiez des réponses concrètes pour mettre un terme aux injustices structurelles que je viens d’évoquer, comme d’autres l’ont fait avant moi cet après-midi.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Je vous remercie, madame la sénatrice. Je vous apporterai trois éléments de réponse.
Tout d’abord, j’estime qu’il n’y a jamais de mauvais moment pour rappeler les principes républicains. Quand des élus de la République vous expliquent que la loi ne s’appliquera pas sur leur territoire, le devoir d’un ministre est de dire qu’elle s’appliquera !
J’ai ajouté que, si l’on s’inscrit dans cette logique, il faut aller jusqu’au bout et demander un changement de statut. Je n’ai rien dit d’autre et la presse est libre d’écrire ce qu’elle veut. Je crois que c’est notre rôle à tous de dire que les lois de la République doivent aussi s’appliquer dans les départements et régions d’outre-mer.
Voilà ce que j’ai dit, madame la sénatrice, et je crois que nous pouvons tous nous retrouver sur ce point.
Ensuite, il n’est évidemment pas possible de répondre en deux minutes à l’ensemble des points que vous avez évoqués. Si vous aviez examiné l’ensemble du projet de loi de finances pour 2022, nous aurions pu débattre de ces questions, par exemple du logement, sujet sur lequel des choses sont en train de bouger.
Enfin, vous avez raison de dire que, sur certains sujets, les réponses devront être plus radicales dans les années à venir.
Par exemple, quand on évoque la vie chère, il faut évidemment mener une réflexion sur la fiscalité, notamment sur l’octroi de mer : il ne s’agit pas de le remettre en cause, mais de lui redonner son rôle de barrière douanière. Aujourd’hui, l’octroi de mer est l’une des causes de la vie chère, en particulier pour les produits de première nécessité.
Peut-être faut-il aussi répéter – c’est un sujet parfois méconnu à Paris – que, depuis des années, l’État ne perçoit plus un euro de fiscalité sur les carburants outre-mer. Je ne veux pas, en disant cela, montrer du doigt les collectivités territoriales, puisqu’il revient au législateur et à l’exécutif de mettre en place des solutions.
Je prends un autre exemple : les aides au fret. Il est évident que les transformations actuelles du commerce international liées à la pandémie de covid-19 nous amèneront à revoir la question de l’accompagnement de ce secteur. Une partie de la structure des prix outre-mer dépend de cette question.
Dernier exemple : les productions insulaires. Faire venir des matières premières en surgelé, sur des milliers de kilomètres et à prix d’or n’a aucun sens, en particulier si l’on veut développer des productions locales à coûts moindres.
Voilà autant de sujets sur lesquels nous devrons apporter une réponse d’ensemble.
J’ajoute pour conclure que nous devrons avancer sur les questions de concurrence – ce n’est pas un mot tabou pour moi. Outre-mer, beaucoup de prix sont élevés parce que nos concitoyens n’ont malheureusement pas le choix en termes de produits ou de circuits de distribution. Je le sais, c’est un sujet qui peut diviser les Ultramarins, mais nous pouvons en parler calmement. En tout cas, nous devrons aussi avancer sur ce dossier.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer. »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Éducation, jeunesse : quelles politiques ?
Débat thématique
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? »
Dans le débat, la parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur les politiques à mener pour l’éducation et la jeunesse, c’est bien parce que nous ressentons un malaise dans ce domaine.
Est-ce que l’éducation de la jeunesse est perçue comme la priorité dans notre société ? Dans un monde de perpétuelle indignation, de revendications de droits individuels, avons-nous gardé comme priorité le devoir collectif d’éduquer notre jeunesse ?
Un de mes grands regrets pour l’année 2020 est que nous n’ayons pas pu fêter dignement le 150e anniversaire de la République et en tirer les enseignements.
Cette IIIe République est née de la défaite de 1870 avec une dette de guerre, comme celle liée aujourd’hui à la lutte contre la pandémie. Sa naissance a été marquée par un mouvement social, la Commune, d’une ampleur autre que celui des « gilets jaunes »… Un grand nombre de compatriotes ne maîtrisaient pas le Français et parlaient leur patois. Les conditions sociales bien décrites par Zola, qu’il s’agisse de l’hygiène, de l’alcoolisme ou encore de l’inceste, étaient déplorables.
Et la République radicale, en faisant de l’éducation sa priorité avec l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, en formant une élite de la Nation, ces hussards noirs de la République envoyés dans chaque village et école, a su faire de la France, en une génération, un pays qui était en 1900 à l’avant-garde dans l’automobile, l’aviation, la chimie ou le cinéma…
Nous avons le même défi à relever aujourd’hui : voulons-nous vraiment faire à notre tour de la jeunesse et de l’éducation notre priorité ?
La richesse de notre pays est sa ressource humaine : le travail et l’intelligence de nos concitoyens. Alors, investissons, comme toute société responsable, dans notre production de richesse, dans nos ressources humaines, dans notre jeunesse.
Le constat est consternant : une évaluation des élèves en queue de classement européen, des enseignants dévalorisés et mal payés – 7 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), moitié moins que leurs collègues allemands.
En vingt-cinq ans, les élèves ont perdu l’équivalent d’une année scolaire, lorsqu’ils arrivent en classe de quatrième. Du CP au CM2, je suis allé à l’école cinq jours sur sept, mes enfants quatre jours. J’ai appris à compter : une journée de plus sur cinq ans représente une année scolaire supplémentaire !
Certes, nos enfants sont éveillés, mais ont-ils acquis les savoirs fondamentaux qui serviront de référence – de repère, pour reprendre un terme lacanien – à ceux qui ne peuvent pas se reposer suffisamment sur leur famille ? Ne craignons-nous pas de les éveiller en fait à une consommation numérique d’un savoir dispensé par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ?
Franchement, le désengagement électoral de nos jeunes s’explique aussi par le manque de connaissances en histoire ; de telles connaissances leur permettraient de construire leur culture politique.
Devant le constat de tous ces manques, que proposons-nous ? On compense le manque d’activité physique par un Pass’Sport, le manque d’accès à la culture par un pass Culture, le manque d’esprit civique par un service national universel, etc. Autant de petits pansements sur une plaie trop béante !
Lors d’une réunion de la délégation sénatoriale à la prospective, un intervenant a proposé d’organiser une année de propédeutique avant les études supérieures pour combler le déficit en connaissances non acquises pendant la scolarité. Certaines écoles proposent d’ailleurs de réaliser le deuxième cycle du second degré en quatre ans avec l’acquisition d’un CAP, d’un BEP ou du baccalauréat. Autant d’innovations qui permettent à certains jeunes de toucher de la matière et de se structurer pour s’ouvrir à d’autres horizons.
On peut s’interroger aujourd’hui sur la nécessité d’une année supplémentaire à l’issue du secondaire afin de compléter l’enseignement par les notions de civisme, de laïcité, de secourisme, mais aussi par le code de la route pour combler cette grande injustice d’un permis de conduire trop cher pour certaines familles.
Il faut aider les collectivités locales à étoffer les activités périscolaires pour ne pas rejeter nos enfants trop vite hors des murs de l’école et pour éviter de les mettre entre les mains des réseaux sociaux, des jeux vidéo ou d’autres influences négatives.
Je n’aurai de cesse, pour ma part, de mener le combat pour une éducation qui apporte à notre jeunesse la liberté de conscience, lui assure l’égalité des chances et développe la fraternité. (MM. Jean-Pierre Corbisez et Franck Menonville applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les difficultés de la jeunesse ont été cruellement dévoilées par les effets de la crise sanitaire sur les plus précaires des 18-25 ans.
Dans son portrait social de la France publié le 25 novembre dernier, l’Insee souligne par exemple que la prévalence des syndromes dépressifs chez les 18-29 ans a fortement augmenté, alors qu’elle est restée stable au sein des autres classes d’âge. Dans un autre registre, en 2020, le taux d’emploi des 18-24 ans a baissé de 1,7 point par rapport à 2019, alors qu’il est resté stable pour les 30-64 ans.
Les problèmes rencontrés par la jeunesse sont cependant incontestablement plus anciens.
Pour mémoire, dans son rapport annuel de 2020 sur l’état de la pauvreté en France intitulé Budget des ménages : des choix impossibles, le Secours catholique confirmait la situation de crise profonde que traversait la jeunesse dès avant la crise de la covid-19, en rappelant par exemple que les niveaux de vie des deux tranches d’âge 15-24 ans et 25-34 ans se situent largement sous le seuil de pauvreté : 139 euros pour les premiers et 413 euros pour les seconds.
Ces constats, qui témoignent d’une inégalité des chances et des droits qui pénalise de trop nombreux jeunes, ont conduit le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à défendre la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès 18 ans et à demander l’installation d’une mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, dont j’ai été la rapporteure.
Au fil des travaux menés dans le cadre de cette mission, il est apparu que les difficultés rencontrées par la jeunesse se déclinent sur tous les plans, de la formation à la santé, en passant par l’accès à l’emploi et à la culture. La nécessité de penser l’accompagnement de la petite enfance à l’âge adulte s’est également imposée.
Le développement du jeune enfant et les acquis intervenus au cours des toutes premières années ont en effet des incidences sur ses compétences et sa santé futures. Les inégalités se forment dès ce stade.
À l’autre extrémité du spectre, concernant les jeunes adultes, nous savons que la France compte environ un million de « NEET », des jeunes sortis du système scolaire, mais qui ne sont ni en emploi ni en formation. Ils sont plus de deux millions, en englobant les jeunes ayant suivi des formations ou exercé des activités sur un temps réduit – ils connaissent également des situations de forte précarité.
Chaque public doit être accompagné en prenant en compte son environnement afin de permettre à chacun de bénéficier des meilleures chances et du plein respect de ses droits.
Pour répondre à ces besoins, un ensemble hétérogène et foisonnant de dispositifs existent, mais ils sont, pour une majeure partie d’entre eux, difficilement identifiés aussi bien par les jeunes et leurs familles que par certains acteurs.
Les politiques en faveur de la jeunesse et de l’égalité des chances touchent de fait à de nombreux domaines de l’action publique. Elles mobilisent des acteurs nationaux et locaux très variés : État, collectivités territoriales, organismes publics et privés.
Alors que certaines pistes sont négligées, telles que l’éducation populaire qui offre pourtant une éducation hors milieu familial et scolaire porteuse d’autonomie et d’émancipation, l’existant est très intéressant, mais ne fait l’objet ni d’une politique suivie, ni d’une évaluation, ni d’investissements suffisants.
Les conclusions du rapport de la mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse insistent donc sur la simplification, la valorisation et la mise en cohérence de ce qui est déjà mis en œuvre.
Par ailleurs, à l’occasion des auditions menées dans le cadre de cette mission d’information, l’immense majorité des personnes et structures entendues ont pris position en faveur d’un revenu de subsistance pour les moins de 25 ans, quelle que soit sa forme.
C’est une proposition que les socialistes ont soutenue à plusieurs reprises ici au Sénat, mais également lors de la discussion de la proposition de loi relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire (Ailes), déposée et défendue à l’Assemblée nationale par notre collègue Boris Vallaud.
Pour mémoire, cette proposition de loi promeut la mise en place d’un revenu de base inconditionnel, dispositif qui vise à assurer à toute personne majeure un minimum mensuel de 564 euros versé automatiquement en lieu et place du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité, de manière dégressive en fonction des revenus de la personne, pour garder une réelle incitation au travail, et de manière inconditionnelle, pour permettre aux travailleurs sociaux de concentrer leurs interventions sur l’accompagnement et non sur le contrôle des personnes.
Par ailleurs, un dispositif de dotation universelle ouvrirait un compte personnel d’activité pour toute personne à ses 18 ans avec un crédit de 5 000 euros librement utilisable pour des projets de formation, de mobilité ou d’entrepreneuriat.
Le revenu de base inconditionnel et la dotation universelle seraient financés par une fiscalité plus juste des hauts patrimoines, des hauts revenus et des multinationales.
Les jeunes doivent avoir accès aux mêmes droits que les plus anciens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’école est cet espace d’élévation dans lequel l’enfance dessine l’avenir et le fait advenir.
Parce qu’elle est un moment charnière dans l’existence, nous devons tout faire pour offrir aux enfants cet héritage indispensable que forme l’éducation dans l’esprit de chacun. Investir massivement dans l’école, dès le plus jeune âge, voilà la priorité !
Ces dernières années, le Gouvernement a concentré ses moyens en direction des publics identifiés comme les plus fragiles, en dédoublant progressivement les classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 des réseaux d’éducation prioritaire (REP).
Ces mesures semblent porter leurs fruits : les études constatent dans ces classes une amélioration du climat scolaire et de meilleurs résultats, en particulier en mathématiques. Nous y sommes favorables dans la mesure où elles contribuent à lutter contre le déterminisme social, en offrant de meilleures conditions d’apprentissage aux élèves qui en ont le plus besoin.
Pourtant, nous devons changer d’échelle, aller plus loin, plus haut, dirai-je.
Le Gouvernement entend limiter progressivement les effectifs à 24 élèves par classe à l’école élémentaire, soit la moyenne actuelle. Je pense qu’il nous faut être plus ambitieux et abaisser cette jauge à 22 élèves par classe pour favoriser l’apprentissage des fondamentaux dans de bonnes conditions.
Le nombre d’élèves « non lecteurs » est en augmentation, tandis que le niveau des élèves baisse continuellement depuis près de vingt ans. Très concrètement, une enseignante ou un enseignant en fin de carrière ne peut plus proposer à ses élèves les mêmes exercices qu’elle ou il proposait voilà trente ans aux élèves du même niveau. Nous devons fournir plus d’efforts pour inverser la tendance et améliorer les résultats des élèves en leur donnant le goût du travail. Pour cela, il faut faire appel aux professeurs du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), ce qui permettrait d’offrir un accompagnement adapté aux élèves le plus en difficulté et un soutien inestimable pour les enseignants. Nous ne devons laisser aucun élève illettré sans accompagnement ciblé : 6 heures d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) par semaine, dans une classe de CM1 de 28 élèves, dont deux enfants « non-lecteurs », voilà la réalité quotidienne de bon nombre d’enseignants à qui l’on demande des résultats sans les moyens, c’est-à-dire l’impossible.
Par ailleurs, la faiblesse des évaluations dites « courtes, ciblées et valorisantes », associée au nombre insuffisant d’évaluations nationales, ne permet pas un suivi régulier des acquis, des lacunes et des progrès des élèves. Si nous voulons changer de dynamique, il nous faut mettre en place des évaluations nationales standardisées à chaque étape, c’est-à-dire à chaque classe, et j’irai même plus loin : je pense que nous devons systématiquement évaluer les élèves à la rentrée et en fin d’année de chaque classe, avec un dispositif adapté aux classes multiniveaux, lesquelles concernent près d’un élève sur deux. Il suffirait pour cela de flécher 6 heures des 108 heures de réunion par an des enseignants pour corriger ces évaluations. Cette mesure permettrait de donner une vision homogène des exigences, de mettre en évidence les élèves en grande difficulté afin de renforcer leur accompagnement, et d’identifier les élèves les plus prometteurs. Nous devons guider les plus fragiles vers la réussite en prévoyant un parcours suffisamment stimulant pour les élèves que je qualifierai d’« agiles ». En effet, près d’un tiers des enfants à haut potentiel se retrouve en échec scolaire, faute d’une scolarité adaptée.
Il faudrait également augmenter – pourquoi pas doubler ? – le temps consacré aux échanges individualisés avec les parents afin de permettre à chaque enseignant de rencontrer chaque parent d’élève au moins quinze minutes par an.
Nous devons également accorder plus de souplesse dans le choix des 18 heures de formation annuelle des enseignants. Bien souvent, ils sont contraints de suivre des formations déconnectées de la réalité, éloignées de leurs besoins et en décalage par rapport au déroulé du programme. La plupart des enseignants ont un immense besoin de formation et de soutien dans la gestion de la classe. Ils devraient aussi pouvoir bénéficier de rendez-vous avec un psychologue scolaire tout au long de l’année, autant que de besoin. Aujourd’hui, on ne leur accorde qu’une rencontre par an, en début d’année scolaire. L’accompagnement des enseignants dans l’exercice de leurs missions est le premier facteur de réussite des élèves.
Madame la secrétaire d’État, ces grandes lignes programmatiques sont les quelques ajustements nécessaires pour que l’« âge d’or » de l’éducation nationale soit non pas derrière nous, mais droit devant. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, scolarité obligatoire dès 3 ans, priorité au primaire, réforme du baccalauréat, revalorisation du métier de professeur : la liste des chantiers du « quinquennat Blanquer » est impressionnante.
Toutes ces mesures ont-elles eu pour autant sur notre école l’effet de revitalisation escompté ?
Je vous propose de choisir deux thèmes pour le mesurer, en abordant en premier lieu le renforcement de l’enseignement des disciplines fondamentales.
« Le français, la morale, le calcul ! » s’exclamait Jules Ferry. Par-delà la formule, le ministre affirmait sa volonté de mener tous les citoyens au niveau d’éducation nécessaire à l’exercice de leurs responsabilités démocratiques.
Forte de ce socle, l’école républicaine a progressivement nourri l’image d’une école capable d’offrir à tous la possibilité de s’élever dans la société par le travail, la motivation et le mérite. Autant de valeurs dont la remise en cause, à partir des années 1960, ne pouvait qu’ébranler les fondements mêmes de notre école.
Au début du quinquennat, Jean-Michel Blanquer, par des paroles fortes, a dit sa volonté de refaire de l’école élémentaire celle du « lire, écrire, compter ». Renouant avec la pratique des circulaires, il a fixé un cadre général à l’enseignement de ces fondamentaux.
Pourtant, plus les enquêtes se succèdent et moins le doute est permis : les résultats de tous les élèves baissent inexorablement, même pour les meilleurs d’entre eux. Les comparaisons européennes et mondiales sont affligeantes.
Cet affaiblissement a, il est vrai, débuté bien avant le « quinquennat Blanquer » et, sur toutes les travées de notre assemblée, il faut accepter d’en partager la responsabilité. Le phénomène est global et durable, mais c’est Jean-Michel Blanquer qui a dirigé le dernier le ministère de l’éducation nationale, et ce sur une durée sans équivalent depuis Victor Duruy et le Second Empire.
La question est simple : l’enseignement des disciplines fondamentales à l’école élémentaire a-t-il été au moins partiellement redressé ?
Certes, le gouvernement auquel vous participez, madame la secrétaire d’État, a engagé un certain nombre de grands chantiers, qui vont pour la plupart dans le bon sens, comme le dédoublement des classes en REP et REP+, le plafonnement des effectifs du primaire ou la réforme de la formation initiale des professeurs. Pour autant, l’impression qui prédomine est que nous sommes encore prostrés au milieu du gué.
Le « en même temps » n’a finalement abouti qu’à des demi-mesures, provoquant d’entières déceptions. Des demi-mesures qui s’avèrent bien insuffisantes pour soigner les maux d’une école qui a besoin d’une politique de franche rupture. Mais vous n’en aviez pas les moyens politiques.
Sur certaines travées, on nous rejouera l’air du manque de moyens, éternel refrain qui n’a jamais réduit un tant soit peu l’affaiblissement des résultats enregistrés enquête après enquête.
J’ai quant à moi l’intime conviction que seule la rupture avec une école qui a abaissé la parole du maître et la transmission des savoirs permettra de rompre avec cette tendance infernale. (M. François Bonhomme manifeste son approbation.)
Parler de la parole du maître, c’est aussi s’interroger sur la place des professeurs dans la société.
Sur ce point, l’échec de ces dernières décennies est tout aussi retentissant. Dans le pays où Victor Hugo qualifiait les maîtres d’école de « jardiniers en intelligence humaine », seuls 7 % des professeurs estiment que leur profession est appréciée.
Alors que 364 professeurs démissionnaient en 2008, ils sont près de 1 500 à déserter aujourd’hui le « professeur bashing » et la violence exercée par les parents, même parfois par les élèves.
Jadis piliers de la République, ils ressentent désormais un sentiment d’abandon. Certes, le Grenelle de l’éducation est un début de prise en considération, mais, au-delà, ils attendent surtout d’être soutenus quand leur autorité est contestée. Or l’on continue de les culpabiliser, en leur disant, par exemple, qu’ils ne sont pas capables d’appréhender la diversité des élèves d’aujourd’hui.
Et si la solution consistait plutôt, pour une fois, à leur faire confiance et à laisser des espaces de liberté à ces praticiens de terrain que sont les proviseurs, les principaux et les professeurs ?
Or le ministère Blanquer n’aura pas été celui d’une plus grande liberté pour les équipes et d’une plus grande autonomie pour les établissements. Le ministre n’a pas su ou n’a pas pu desserrer l’étau étouffant du dernier système éducatif centralisé et bureaucratisé d’Europe.
Pour ma part, je suis persuadé que cette école de la confiance, que Jean-Michel Blanquer appelait de ses vœux en début de quinquennat, ne pourra être construite qu’en faisant confiance et en libérant les énergies. Ainsi, l’école redeviendra le ferment de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, le débat d’aujourd’hui, intitulé « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? », permet de questionner un sujet central : la place de la jeunesse dans l’ensemble de nos politiques publiques.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, dès lors que l’on appréhende ce sujet de manière globale, le constat est peu reluisant pour ce gouvernement.
Que veut dire être jeune sous Emmanuel Macron ?
Tout d’abord, concernant les conditions matérielles, la précarité de la jeunesse est criante. Elle s’est manifestée de façon spectaculaire dans l’espace public pendant la crise du covid-19 par ces longues files d’attente devant les banques alimentaires, mais elle n’est pas nouvelle.
Dans notre pays, près de 1,5 million de jeunes sont soit travailleurs pauvres, soit ni en emploi ni en formation, et un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Pourtant, face à ce constat alarmant, le soutien financier à la jeunesse ne fait manifestement pas partie des priorités du Gouvernement. Leur accès aux droits sociaux est ainsi toujours extrêmement entravé.
Pour commencer, les jeunes sont très majoritairement privés du dispositif de l’assurance chômage. La durée de travail minimale nécessaire de 6 mois sur 24 mois pour bénéficier de l’allocation tend en effet à écarter de nombreux jeunes, qui n’ont accès qu’à des emplois courts et très précaires. Pis, durant le confinement, 58 % des étudiants ont été forcés d’arrêter, réduire ou changer leur activité rémunérée.
Pour les étudiants, il est quasiment impossible d’accéder à l’assurance chômage, puisque celle-ci est liée à une recherche active d’emploi, considérée par Pôle emploi comme incompatible avec une scolarité universitaire. Ils travaillent, cotisent, mais n’ont droit à rien.
Les jeunes n’ont pas plus accès au RSA. Toute cette partie de la population, soit les 18-25 ans, est volontairement écartée de cet indispensable amortisseur social au motif que, selon M. Bruno Le Maire, « à 18 ans, ce qu’on veut, c’est un travail, et pas une allocation ».
Cette affirmation n’est pas seulement paternaliste et méprisante ; elle est aussi un déni de réalité économique. Le ministre de l’économie devrait relire la lauréate du prix Nobel d’économie, Esther Duflo, dont l’ensemble des travaux démontrent qu’il n’y a absolument pas d’effet décourageant face au travail quand on perçoit des aides sans condition. Bien au contraire, plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes, plus ils sont aptes à sortir de la pauvreté. Vous privez donc la jeunesse d’un peu de dignité économique pour des raisons purement idéologiques.
Au-delà de leur niveau de vie se pose aussi la question de la santé de la jeunesse.
Un tiers des étudiants déclarent avoir renoncé au moins une fois à des examens ou soins médicaux au cours de l’année 2020 pour des raisons financières. Rien d’étonnant, quand on sait qu’un tiers des jeunes ne sont toujours pas couverts par une mutuelle.
Si le Gouvernement a mis en place la complémentaire santé solidaire, qui remplace la CMU-C et élargit son périmètre, la Cour des comptes note dans un rapport que les étudiants ne sont pas concernés par le renouvellement automatique de cette couverture. Ils sont ainsi obligés, chaque année, de refaire leur dossier, ce qui augmente inexorablement le taux de non-recours.
Au niveau de la santé mentale, là aussi, les chiffres sont inquiétants.
Un tiers des étudiants ont présenté les signes d’une détresse psychologique durant le confinement et les files d’attente devant les psychologues universitaires se sont allongées durant la pandémie.
Si le « chèque psy », avec le remboursement de trois séances annuelles, a été mis en place, tardivement, par le Gouvernement, cette mesure, certes bienvenue, ne nous semble pas à la hauteur pour faire face à l’urgence.
Enfin, quelles perspectives offrir à la jeunesse ?
Au-delà des injonctions creuses et paternalistes sur la valeur travail, quelle mesure concrète, quelle politique emblématique pour l’avenir le Gouvernement a-t-il mise en place pour remobiliser la jeunesse ? Le service national universel (SNU) !
Ce service, qui surfe sur la nostalgie naïve du service militaire, reposant sur une vision surannée de l’ordre républicain, le petit doigt sur la couture du pantalon, et sur le fantasme d’une jeunesse en uniforme, qui apprend à saluer et marcher au pas, ne correspond à aucun enjeu ni aucune aspiration de notre époque ou de notre jeunesse.
Pour autant, son budget a quasiment doublé, passant de 62 millions d’euros à 110 millions d’euros, pour un service qui n’a rien d’universel : parmi les volontaires, seuls 4 % proviennent des quartiers populaires, un chiffre à mettre en parallèle avec les 37 % de volontaires qui ont des liens familiaux avec des personnes portant l’uniforme. Le public est donc pour l’instant très spécifique. On est très loin des objectifs initiaux et son caractère universel n’est qu’une illusion.
Alors que la crise a été révélatrice de la précarité et des difficultés d’accès aux droits de la jeunesse, les réponses du Gouvernement manquent complètement leur cible.
À cela s’ajoute une politique écologique et climatique totalement irresponsable qui hypothèque largement l’avenir de cette génération et celui des générations futures.
Alors, madame la secrétaire d’État, à notre tour de vous poser une question que nous inspire ce débat : « Quelle égalité d’accès aux droits sociaux pour notre jeunesse ? » (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat doit nous permettre à la fois de tirer le bilan éducatif du dernier quinquennat et de dégager des perspectives nouvelles.
Ces cinq années auront été marquées, à presque tous les niveaux de la scolarité, par un sous-investissement chronique.
Oui, l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur représentent respectivement les premier et troisième budgets de l’État : c’est un fait ! Oui, les crédits généraux accordés à ces deux secteurs ont crû de 8 milliards d’euros et 4 milliards d’euros, hors plan de relance. Toutefois, derrière ces chiffres se cache une autre réalité.
En quinze ans, la part de l’éducation dans le PIB a reculé d’un point et est en baisse constante. Pis, la part de l’État dans la dépense intérieure d’éducation ne cesse de baisser au détriment des familles. Dans l’enseignement supérieur, c’est l’investissement par étudiant qui décroît, année après année ; sur ce mandat, il baisse encore de 200 euros : autant de moyens qui ne seront pas consacrés à la réussite des étudiants !
Face à cette situation, deux choix étaient possibles : réinvestir massivement ou gérer la pénurie. C’est malheureusement le second choix qui a été fait, avec, en prime, un chantage insupportable, en tout cas dans ma ville, à Marseille : « On vous aidera à rénover vos écoles si vous acceptez le recrutement sur profil. » Chez certains de mes collègues, c’est une pression pour regrouper les écoles, au mépris de l’intérêt des enfants, en échange d’un poste ou deux.
Dans l’enseignement supérieur, la réforme emblématique du quinquennat sera sans conteste la sélection à l’entrée de l’université et la fin du baccalauréat comme seule condition d’accession. Parcoursup n’a fait que généraliser la problématique que nous connaissions avec le système d’admission post-bac (APB), sans pour autant ajouter de l’humain.
Le ministère se targue d’un très faible nombre de recalés à l’entrée de l’université. Il est bien le seul et sa politique inquiète même à l’étranger. Ainsi, la rectrice de l’Université libre de Bruxelles doit faire face à l’afflux massif de rejetés de Parcoursup. Elle déclarait ainsi récemment : « Dès qu’une mesure sélective est prise chez vous, cela se ressent ici. »
Cette année, le ministre va encore plus loin en instaurant le Parcoursup des masters. Bien sûr, il s’appuie sur la réforme de ses prédécesseurs, qui, eux aussi, avaient fait le choix de traiter le manque de places par la sélection, mais il s’emploie à la systématiser. Pourtant, les occupations récentes des universités de Nanterre ou de Lyon 2 montrent que le problème est non pas le niveau des étudiants, mais bien le manque de moyens accordés aux universités pour remplir leurs missions.
L’institution scolaire et universitaire est aujourd’hui à bout de souffle. Elle ne tient plus que grâce à l’engagement sans faille de ses personnels. Ces derniers, fort peu soutenus par leurs ministres de tutelle, jamais avares de polémiques stériles, font aujourd’hui partie des enseignants les moins bien traités des pays occidentaux.
Injonctions contradictoires, stigmatisations et précarisation ont été les maîtres mots de ces cinq dernières années, au point même que les hauts fonctionnaires du ministère de l’éducation nationale, pourtant peu bavards en règle générale, se sont fendus non pas d’une, mais de deux tribunes publiques d’alerte.
Ce dont a besoin aujourd’hui l’école, c’est donc d’un réinvestissement massif. À ce titre, le recrutement de 90 000 enseignants sur cinq ans, accompagné d’une réelle revalorisation des traitements, doit permettre de limiter le nombre d’enfants par classe et d’améliorer les conditions de travail des enseignants.
Par ailleurs, parce que l’école doit redevenir le lieu où se gomme la reproduction des inégalités sociales, parce qu’elle doit être le lieu de l’émancipation, il faut repenser une nouvelle fois les rythmes. Le passage à 32 heures hebdomadaires d’enseignement ou de suivi pédagogique, couplé à la fin effective des devoirs à la maison, doit permettre d’atteindre cet objectif. En effet, des enfants ne pouvant pas s’appuyer sur leurs proches ou ne disposant pas de bonnes conditions matérielles pour faire leurs devoirs partent déjà avec un temps de retard. Ce qui doit être appris pour l’école doit l’être à l’école.
Enfin, il faudra faire l’inventaire des réformes qui se sont succédé dans l’enseignement. Je les rappelle pêle-mêle : la sélection à l’entrée en licence et en master, la réforme du lycée et du baccalauréat, le passage à trois ans du baccalauréat professionnel, la concentration à outrance sur les savoirs fondamentaux.
Le journal Libération évoquait ce matin une enquête sur le ressenti des Français à l’égard de l’école. Le constat est terrifiant : ils considèrent que l’institution s’est dégradée ces cinq dernières années et sont inquiets pour la suite. Ils jugent même que l’école, loin de compenser les inégalités, a plutôt tendance à les creuser.
Dans cette période traversée par une surenchère sécuritaire, je ne peux m’empêcher de penser à la célèbre citation de Victor Hugo : « Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison. » Faisons donc toutes et tous ensemble le pari de l’école pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 22 novembre dernier, le journal Le Monde révélait, à sa une, le nombre grandissant des démissions d’enseignants. Pour le Sénat, ce n’était pas une nouvelle.
En effet, de l’aveu même de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, lors de son audition devant notre commission de la culture le 3 novembre dernier, les chiffres suivants étaient confirmés : l’année dernière, on ne relevait pas moins de 937 démissions dans le premier degré et 617 dans le second degré. Le nombre de ces démissions a été multiplié par trois entre 2013 et 2018 !
De multiples facteurs expliquent ce phénomène : manque de reconnaissance, rémunération insuffisante, ou encore difficulté du travail. En résumé, il résulte d’un déficit d’attractivité du métier. Les confinements successifs et la crise sanitaire ont renforcé ce sentiment de malaise chez certains professeurs et instituteurs.
Le Gouvernement tente d’y répondre ; nous ne pouvons que nous féliciter des revalorisations salariales qui sont proposées pour les enseignants en début de carrière dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.
Je souhaite cependant attirer l’attention sur un facteur souvent minimisé : la mobilité des enseignants. La possibilité de choisir son lieu de travail est primordiale et souvent déterminante dans la poursuite d’une carrière professionnelle.
Dans le cadre du Grenelle de l’éducation, le Gouvernement a pris l’engagement d’accompagner la mobilité des enseignants. Pourtant, la plupart d’entre eux semblent réservés et font face à des « embouteillages », selon le terme de Maxime Reppert, membre du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc).
Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous mettre en place, concrètement, pour faciliter l’exercice de la mobilité des enseignants ?
Au malaise de ces derniers s’ajoute parfois celui des élèves. Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement concernent entre 800 000 et 1 million d’enfants ; autrement dit, entre 6 % et 12 % des élèves subissent ou ont subi une forme de harcèlement au cours de leur scolarité. Aucun établissement, aucune région, aucune catégorie sociale ne sont épargnés.
Face à cette réalité, le corps enseignant s’estime souvent désarmé, du fait d’un manque de formation, et souligne des difficultés à identifier les cas de harcèlement.
Dans le cadre de la Journée internationale de lutte contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre ce fléau, notamment la mise en place d’une application de signalement.
Si toute action visant à mettre un terme aux pratiques de harcèlement scolaire doit être saluée, nous regrettons que les conclusions rendues par la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement n’aient pas encore trouvé d’écho. Ce rapport met en avant 35 recommandations concrètes pour une lutte efficace contre le harcèlement et le cyberharcèlement.
Seul un enseignant sur trois s’estime armé pour lutter contre ce fléau. Il apparaît donc essentiel que les enseignants, dans le cadre de leur formation initiale, soient éduqués à la prévention des faits de harcèlement.
La proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire est examinée aujourd’hui par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons évidemment que ce texte soit inscrit le plus rapidement possible à l’ordre du jour du Sénat, afin de donner un cadre efficace à la lutte contre le harcèlement scolaire.
Pas plus qu’ailleurs l’apprentissage de la peur n’a sa place sur les bancs des écoles ou dans les cours de récréation !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis bientôt cinq ans, une logique implacable est à l’œuvre en matière d’éducation : celle d’une vision libérale de l’école, en contradiction avec le modèle de l’école publique républicaine que nous chérissons.
Durant ce quinquennat, il a toujours été question de faire des économies, en augmentant considérablement le recours aux contractuels et en supprimant des postes. Près de 8 000 postes ont ainsi été supprimés dans le secondaire depuis 2017, alors même que 25 000 élèves supplémentaires sont attendus à la rentrée 2022. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’enseignement agricole, dont les effectifs ont chuté de 300 postes : cela correspondrait, en proportion, à une suppression de 10 000 postes dans l’éducation nationale !
Toutes ces suppressions devaient permettre de créer des postes dans le premier degré, présenté comme une priorité absolue. Dans les faits, il n’en est pourtant rien : il n’y aura d’ailleurs aucune création de postes dans le primaire à la prochaine rentrée. Or les retours du terrain sont unanimes : sans moyens spécifiques, les objectifs, certes louables, de dédoublement des classes en REP et REP+ et de limitation du nombre d’élèves par classe dans les premiers niveaux conduisent à augmenter leur nombre dans les autres niveaux, à fermer des classes et à perdre des postes de remplaçants, dont le manque se fait sentir de plus en plus durement.
Loin du discours affiché de rééquilibrage en faveur des classes sociales défavorisées, nous constatons que, dans l’ensemble, les réformes qui se sont enchaînées depuis 2017 s’inscrivent dans le sillon d’une logique inégalitaire.
Parcoursup en est un exemple flagrant : si nous voulons lutter contre la reproduction des inégalités sociales et territoriales, qui se sont encore aggravées depuis la mise en place de cette plateforme, il faut sortir de cette logique de sélection accrue et dépersonnalisée, afin de redonner toute sa place à un processus d’orientation au plus près des besoins et des vocations des élèves.
Tous les indicateurs le prouvent : il est urgent de redonner corps à la promesse républicaine au sein de notre système scolaire, il est urgent de redémarrer l’ascenseur social !
Cela nécessite notamment de nouvelles ambitions fortes en matière de mixité sociale et de lutte contre les ghettos scolaires. Contrairement à ce que pense le Président de la République, ce n’est pas en demandant aux directeurs et directrices d’école de recruter leur personnel comme le feraient des chefs d’entreprise que nous y parviendrons.
Cela passe aussi par un meilleur accueil des élèves en situation de handicap et par une revalorisation adéquate de leurs accompagnants. Ceux-ci, les AESH, œuvrent aux côtés de ces enfants, mais sont aujourd’hui soumis à une logique de contrats courts et précaires, ainsi qu’à de nouvelles contraintes de mobilité liées à la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).
Enfin, c’est également à nos professeurs qu’il faut redonner envie de prendre le chemin de l’école, dans un contexte de crise aiguë des vocations, car l’école de la République n’existe pas sans ses hussards noirs.
Ces derniers ont besoin de confiance et de considération : pourtant, jamais les relations entre la communauté enseignante et son ministère n’auront été aussi dégradées et frappées du sceau de l’autorité et de la verticalité.
Nous devons aussi leur fournir de bonnes conditions de travail : cela implique des créations de postes, mais aussi plus de formation continue, une meilleure protection et des moyens matériels.
Surtout, il faut que leur rémunération soit à la hauteur de la tâche. Dans ce domaine, la France se situe en queue de peloton par rapport aux autres pays d’Europe de l’Ouest : il est plus que temps de rattraper cet écart ; les primes d’attractivité ne suffiront pas.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous ne réagissons pas, l’école publique, déjà mise à mal, sera bientôt devenue si fragile que notre système éducatif finira par ressembler dangereusement à celui des États-Unis : un système favorable aux plus aisés, bien loin de notre rêve républicain.
Ne nous y trompons pas : si notre école publique et républicaine vacille aujourd’hui, ce n’est pas par manque d’autorité ou de flexibilité, mais bien parce qu’elle n’écoute pas assez les cris d’alerte de celles et de ceux qui la font vivre au quotidien ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
M. Cédric Vial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Georges Bernanos avait eu ces mots désormais célèbres : « Hélas ! c’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Madame la secrétaire d’État, il commence à faire froid !
Je voudrais ici évoquer notre politique de la jeunesse : celle que mène l’État, celle que se doit d’avoir notre nation.
L’attention qu’une société porte à sa jeunesse est une attention portée à son avenir. La jeunesse n’est pas un état permanent ; ce n’est qu’une étape, un état provisoire dont tous sortent inégalement armés pour affronter la vie d’adulte et la vie en société.
Notre politique de la jeunesse est donc non seulement un enjeu majeur pour cette dernière, mais aussi un enjeu national qui porte en lui les prochaines réussites ou les prochains échecs de notre modèle de société.
La jeunesse ne dure pas, elle ne se recommence pas. Nous n’avons donc qu’une seule chance de réussir. Les jeunes consomment le présent : ils sont l’avenir, mais ils ne le savent pas.
C’est le rôle du politique que de donner du sens à cette période de la vie où l’on se prépare, où l’on se forme, où l’on apprend à devenir autonome, puis indépendant, où l’on apprend à être soi-même, mais aussi – ou « en même temps », si vous préférez, madame la secrétaire d’État (Sourires.) – à faire partie d’un tout, d’une société organisée qui a déjà ses règles.
Il y a alors deux manières d’envisager les choses que l’on pourrait formuler ainsi : d’une part, de quoi les jeunes ont-ils envie, ou besoin, et quelles réponses leur apporter ? D’autre part, qu’attend notre pays de sa jeunesse et de quelle politique en direction des jeunes a-t-il besoin ?
Eh bien, madame la secrétaire d’État, malgré tout le respect et même l’estime que je vous porte, je ne peux que déplorer l’absence de visibilité de la politique de la jeunesse menée par ce gouvernement.
Vous êtes à la tête d’un ministère qui n’en est pas vraiment un. Les programmes consacrés à la jeunesse au sein de la mission budgétaire « Sport, jeunesse et vie associative » sont minuscules et ne concernent que quelques dispositifs ; ils ne sont pas même le petit bout de la lorgnette !
Une vraie politique de la jeunesse devrait évidemment porter sur l’éducation, la santé, la mobilité, la sécurité, l’emploi, la famille, l’innovation, le sport, le logement, ou encore la transmission des valeurs et des principes de la République. Mais pour chacun de ces enjeux, chaque ministre garde sa clé et personne – même pas vous, madame la secrétaire d’État ! – ne dispose d’un trousseau !
Je veux ainsi dénoncer le manque coupable de vision interministérielle d’une vraie politique en direction de notre jeunesse. La somme de dispositifs n’a jamais fait une politique globale.
Certes, tout n’est pas noir au tableau ; il y a des points positifs, fort heureusement. Ainsi, les services civiques fonctionnent plutôt bien, même si une vision moins comptable et plus qualitative mériterait d’être mise en place, avec par exemple, pour chaque mission de service civique, une qualification ou une certification de compétences à la clé.
Mais le SNU, le service national universel, est un cinglant échec de votre gouvernement. Il faudra le revoir de fond en comble !
Le dispositif « 1 jeune, 1 solution » fonctionne en revanche plutôt bien, mais le contrat d’engagement que le Gouvernement vient d’improviser avant les élections n’est qu’un variant du RSA jeune qui ne dit pas son nom ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Madame la secrétaire d’État, la politique menée depuis cinq ans n’a pas permis de réduire les fractures qui existent, encore trop nombreuses chez nos jeunes. La lutte contre le décrochage scolaire est un point noir de votre bilan. Les actions de lutte contre la drogue, la délinquance juvénile et les violences, de manière plus générale, sont autant d’échecs.
La perte de repères et de reconnaissance dans le projet et les principes républicains est encore plus flagrante. Plus de 52 % des jeunes et, en particulier, près de 78 % des jeunes musulmans ne reconnaissent plus l’intérêt de notre modèle laïque et remettent en cause, par exemple, le droit au blasphème.
Nous avons le devoir de travailler à une politique qui permette à notre société de préparer son avenir, en n’oubliant personne au bord du chemin.
Nous avons besoin de donner du sens à cette politique de la jeunesse pour que les intéressés s’y reconnaissent et comprennent les enjeux de notre nation tout entière. Nous avons besoin d’en discuter dans notre société et au Parlement.
Notre approche de la politique de la jeunesse doit être plus interministérielle. Les réponses doivent aussi être plus déconcentrées, car les jeunes ne sont pas les mêmes en ville, en banlieue, à la campagne ou à la montagne ; leurs attentes sont différentes en fonction des territoires. Ainsi, les réponses qu’on leur apporte en matière de formation ou d’emploi doivent être plus proches des réalités des bassins d’emploi ; il convient donc probablement de les confier aux régions.
L’individualisation des solutions doit également être la règle, afin de ne laisser personne au bord du chemin. Chaque jeune laissé de côté porte les germes d’échecs pour les générations futures.
À l’école, le dédoublement des classes de CP a plutôt bien réussi, mais cela ne suffit pas : il faudrait être capable de passer à une prise en compte encore plus individualisée des accompagnements éducatifs, pour ne pas laisser des difficultés se poursuivre de trimestre en trimestre et d’année scolaire en année scolaire. Là encore, la réponse passe par plus de déconcentration. Les réponses doivent pouvoir être adaptées a minima par rectorat et plus probablement par département.
Le système national de recrutement des enseignants impose aujourd’hui plus de contraintes qu’il ne résout de problèmes. Il faudrait être capable de concevoir des politiques de ressources humaines plus locales en développant, par exemple, les profils de poste à mission. Il convient aussi de mieux prendre en compte les évaluations des chefs d’établissement ou des cadres intermédiaires dans la politique d’affectation. Ainsi, on concentrera les efforts là où ils sont le plus attendus pour ne laisser, encore une fois, personne au bord du chemin.
Madame la secrétaire d’État, la politique de la jeunesse dans notre pays est bien une politique en direction des jeunes, mais elle doit aussi être une politique pour la France : celle d’aujourd’hui et, surtout, celle de demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de la covid-19 a changé beaucoup de choses ; elle a remis en question de très nombreuses certitudes et a mis en exergue certaines lignes de fracture dans notre pays.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans notre hémicycle les problématiques rencontrées par la jeunesse. Je salue la tenue de ce débat, qui permet une nouvelle fois d’aborder ces problématiques. Maintenant, nous espérons simplement que les actions suivront.
Une étude menée par le réseau Animafac révèle que 35 % des jeunes considèrent que la crise sanitaire a affecté leurs aspirations futures ; 60 % d’entre eux estiment faire partie d’une « génération sacrifiée ». Je ne fais pas mien ce terme que je juge excessif. Il ne faudrait pas pour autant éluder les vraies problématiques et les racines de ce mal.
Prenons l’exemple d’un étudiant de la génération covid-19, dont je veux vous raconter l’histoire.
Malgré de très bons résultats scolaires et une belle mention au baccalauréat, il n’a pas obtenu ses premiers vœux sur Parcoursup et se retrouve sur une liste d’attente. Ne pouvant aller étudier à l’étranger, pour des raisons financières, il se retrouve contraint de s’inscrire par défaut en licence, pour ne pas faire une année blanche.
Il a trouvé à Paris un petit logement de 20 mètres carrés, dont le loyer est déraisonnable. Comme il est issu de la classe moyenne, il n’était pas prioritaire pour un logement dans une résidence du Crous (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) ; il n’a donc pas pu en bénéficier. Étant classé à l’échelon 0 pour les bourses étudiantes, il a simplement vu ses frais d’inscription à l’université remboursés.
Les fins de mois sont difficiles ; du fait de la crise sanitaire, il n’arrive pas à trouver de petit boulot. Il aurait bien eu besoin d’un ticket restaurant étudiant pour se nourrir le soir et le week-end, mais le Gouvernement ne souhaitait pas le mettre en place. Je suis désolé, madame la secrétaire d’État, mais il fallait que je le dise ! (Sourires.) Il se résigne à aller aux Restos du Cœur. Il n’en parle pas à ses parents, car il ne veut pas les inquiéter.
Au plus fort de la crise de la covid-19, ses journées se résument à des cours en visioconférence, procédé qui en diminue largement l’intérêt. Les échanges avec les enseignants sont très limités. Il ne connaît pas encore ses camarades de promotion : pas de soirées étudiantes, pas d’activités communes. Sa vie sociale est réduite à la portion congrue.
Il se demande réellement s’il vaut la peine de continuer ses études. Un sentiment de découragement l’envahit, d’autant qu’il a lu des témoignages de jeunes diplômés de master 2 qui, après cinq ans d’études, ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine ou sont rémunérés au SMIC, ou à peine plus. En tout cas, c’est loin de ce qu’il imaginait pour un titulaire d’un diplôme à bac+5.
Il se dit alors qu’il va essayer de partir à l’étranger l’année suivante, dans le cadre du programme Erasmus, pour vivre une expérience universitaire et humaine exceptionnelle. Malheureusement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et la covid-19 ont changé la donne. Il y a beaucoup moins de places et il ne pourra peut-être pas partir.
Notre étudiant se dit qu’il n’arrivera pas à accomplir ses objectifs de vie. Il remet beaucoup de choses en question.
La souffrance de cet étudiant, madame la secrétaire d’État, est celle de milliers d’autres depuis le début de cette crise sanitaire ! Son exemple doit nous inviter à prendre en compte collectivement le mal-être d’une génération qui a été fortement affectée par la crise sanitaire, mais dont les problèmes sont plus profonds et plus anciens.
Ce sentiment de déclassement et cette frustration de la jeunesse sur ses possibilités et ses perspectives doivent être pris en compte ; ils doivent donner lieu, au plus vite, à des solutions originales et concrètes.
La jeunesse ne demande pas l’aumône, elle ne veut pas d’assistanat, mais elle veut être écoutée et comprise ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus de 8 millions de Français ont entre 11 ans et 19 ans. Ce ne sont plus des enfants, pas tout à fait des adultes.
Les temps de transition sont toujours des temps d’anxiété. En outre, d’après Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, la précarisation croissante des liens sociaux, s’accompagne d’un état grandissant d’insécurité psychique.
Les conclusions des dernières études sur le changement climatique, qui leur dessinent un avenir incertain, et la crise sanitaire, économique et sociale de ces deux dernières années angoissent particulièrement notre jeunesse.
Mais une autre question inquiète aussi le jeune qui songe à l’adulte qu’il sera demain : quelle formation suivre pour s’insérer dans la vie active ?
Tout d’abord, je veux rappeler la triste réalité des chiffres : en 2021, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans s’élève en France à 19,5 % contre 6 % en Allemagne, et ce malgré les nombreux dispositifs mis en œuvre, comme le programme « 1 jeune, 1 solution » ou la subvention de 4 000 euros offerte pour l’embauche en entreprise d’un jeune avec un CDD de plus de trois mois ou un CDI.
Alors que 15,1 % des jeunes Français de 15 ans à 34 ans sont sans emploi, sans diplôme et sans formation, ce taux n’est que de 9,9 % de l’autre côté du Rhin.
Le contrat d’engagement jeune a pour objectif de faire baisser le chômage, mais il convient de rappeler que ce dispositif tente de combler les défaillances de notre système scolaire, avec 95 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualification.
Notons aussi que le premier versement de ce dispositif interviendra à six semaines du premier tour des élections présidentielles. Serait-ce un hasard ?
Pour faire baisser radicalement le nombre de jeunes sans formation, il me paraîtrait plus efficace de privilégier l’apprentissage, comme dans le système allemand. Cet enseignement pratique, véritable facteur d’insertion et de mobilité sociale, connaît aujourd’hui des résultats réels. Mais il faut être beaucoup plus ambitieux.
C’est assez paradoxal : alors qu’il est une voie d’accès efficace à l’emploi durable et qu’il a permis en France la formation d’un chef d’entreprise sur deux, l’apprentissage, porté par l’artisanat, souffre toujours d’une mauvaise image. On l’assimile trop souvent, en effet, à un échec du système scolaire traditionnel.
Face au chômage élevé et persistant des jeunes les moins diplômés, les gouvernements successifs ont tenté de mettre en place plusieurs mesures pour favoriser leur insertion sur le marché du travail. Malheureusement, le système actuel manque de lisibilité et certaines aides sont peu mobilisées.
Cependant, l’État ne peut pas tout, et nous devons également responsabiliser les parents dans l’éducation de leurs enfants dès le plus jeune âge.
Il faut une meilleure information sur les bénéfices et les risques réels des nouvelles technologies, lesquelles doivent être introduites à partir de la maternelle par étapes, qu’il faut faire respecter impérativement.
Il faut ainsi appliquer la règle dite « des 3-6-9-12 » : pas de télévision avant 3 ans ; pas de console de jeux avant 6 ans, et avec un usage contrôlé ensuite ; pas d’internet sans être accompagné avant 9 ans ; et un accès internet seul, uniquement à partir de l’entrée au collège, vers 11 ans ou 12 ans.
Une surexposition aux écrans peut entraîner des retards de langage, des troubles cognitifs, des troubles du comportement comme l’agressivité ou le repli sur soi, mais aussi des problèmes physiques : la vue et l’audition peuvent être altérées plus vite chez les enfants qui passent beaucoup de temps devant les écrans – entre 12 ans et 15 ans, un jeune sur dix souffre de baisse auditive. La musique trop forte, trop longtemps diffusée, entraîne des pertes d’audition irréversibles et la surdité, même partielle, est un facteur d’isolement supplémentaire.
L’accès à internet apporte le meilleur – des connaissances, un réseau illimité d’informations –, comme le pire, car c’est aussi, malheureusement, le lieu du cyberharcèlement. Les jeunes, adeptes de ces relations virtuelles aux milliers d’« amis » se trouvent parfois victimes de harcèlements sexuels ou raciaux aux conséquences qui peuvent être dramatiques.
Le numéro d’écoute 3018, qui permet de signaler des comportements délictueux, ne résout pas le déficit persistant de professionnels en pédopsychiatrie ou le manque d’accueil dédié, notamment en zone rurale. Il est dommage que le cyberharcèlement ne soit pas une infraction réprimée en tant que telle par la loi française.
La situation actuelle doit nous inciter à apporter des réponses d’urgence face à cette crise vécue par notre jeunesse. C’est le seul moyen, j’en suis convaincue, de prévenir l’apparition d’une génération sacrifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme la tradition le veut, je suis venue dans cet hémicycle avec un discours que j’avais préparé avec mon équipe. Mais au vu de la qualité et de la multiplicité des interventions, je fais le choix non pas de le lire, mais de répondre à chacune des questions qui ont été posées et aux inquiétudes qui ont été exprimées, en y consacrant le temps nécessaire.
Le présent débat, intitulé « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? », n’est en effet pas un débat sur le programme budgétaire 163, « Jeunesse et vie associative », et je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur Vial. Il porte, bien au-delà, sur la politique qu’il convient de consacrer à nos jeunesses – j’insiste sur le pluriel –, à notre pays, et à tous ceux qui, génération après génération, deviendront des citoyens.
Je ne suis pas la seule à détenir la clé du problème, loin de là ! Bien prétentieux serait celui qui penserait qu’une seule politique publique pourrait accompagner toute une jeunesse.
Les jeunes, qui sont-ils ? La jeunesse correspond à des âges, à des transitions ; elle englobe les enfants, mais aussi les adolescents et les jeunes parents. Ces jeunes ne sont pas dans la même situation selon qu’ils vivent dans des territoires ruraux, ultramarins ou dans des zones urbanisées, selon qu’ils appartiennent à une famille aisée ou monoparentale… Cette diversité de situations a pour conséquence une multiplicité de besoins, d’aspirations, d’espoirs.
L’École, avec une majuscule, qu’il s’agisse du premier, du second cycle ou des études supérieures, doit garantir l’égalité des chances, l’égalité des possibles. Mais pour cela, il faut apporter des réponses à chacun de ces âges.
Encore une fois, je ne pense pas apporter à moi seule les réponses aux questions de la jeunesse, et bien heureusement, car ce sujet, qui est une priorité, relève de la volonté de tout un pays ; c’est en tout cas ainsi que je le conçois.
Pour ce qui concerne le premier âge, entre 0 et 2 ans, on sait que les inégalités se reproduisent. C’est la raison pour laquelle mon collègue Adrien Taquet a annoncé les mesures en faveur des 1 000 premiers jours, afin d’aider les parents à accompagner leurs enfants.
En effet – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Gosselin –, les enfants sont soumis à des risques et des dangers accrus. Auparavant, il suffisait de mettre un code sur la télévision ; aujourd’hui, tel n’est plus le cas.
Pour les enfants, le ministre de l’éducation nationale, qui soutient viscéralement l’école républicaine, a apporté comme premières réponses le dédoublement des classes de CP et les petits-déjeuners, afin de permettre à ceux qui ont faim d’apprendre dans de bonnes conditions le matin. Pour autant, il suit un seul cap, simple, clair, basique et essentiel : apprendre à lire, écrire, compter et respecter autrui.
L’apprentissage du respect d’autrui aura en effet des conséquences au sein de la société en termes de lutte contre les violences, de respect de l’autorité et de l’uniforme, et de vivre-ensemble. Ce respect, il s’apprend.
Quant aux adolescents, ils s’émancipent en voyageant, en apprenant. Voilà pourquoi, avec le secteur de l’éducation populaire et l’ensemble des acteurs associatifs, nous avons mis en place les vacances apprenantes, afin de permettre aux familles qui n’ont pas les moyens de voyager ni d’envoyer leurs enfants à l’étranger pour apprendre des langues, aux familles qui n’ont pas les moyens de payer des colonies de vacances, de voir leurs enfants vivre ces aventures et grandir. Car oui, on grandit aussi en dehors des murs de l’école !
Dans ce cadre, le Pass’Sport et le pass Culture sont en réalité seulement des outils sur lesquels on s’appuie : ils ne constituent absolument pas une politique en soi.
Quant aux étudiants, ils sont selon moi les premières victimes de la période de la crise sanitaire, car ils ont été privés d’année universitaire, de bandes de copains, de sorties. Ayant à peine 32 ans, je me souviens des années que j’ai vécues entre 18 ans et 20 ans : j’adorais sortir, et c’est à cette époque que j’ai fait mes premières expériences associatives et syndicales. Toutes ces expériences leur ont manqué et ils ont dû suivre leurs cours en visioconférence.
En réalité, la crise sanitaire a percuté toutes les générations, dans tous les pays. Alors peut-être n’en avons-nous pas fait suffisamment, et pas assez vite, mais nous avons d’abord répondu à la priorité des priorités : permettre à la jeunesse de se nourrir et de se loger dignement. Nous avons aussi lancé une politique plus structurelle en rénovant les logements étudiants, qui étaient devenus de plus en plus insalubres, en ouvrant les restaurants universitaires et en proposant des repas à un euro.
Du point de vue sanitaire, nous avons mis en place le « chèque psy ». Il y avait un véritable tabou dans notre pays, celui de la santé mentale. Cette crise aura finalement permis de le lever et d’en parler. Pourtant, il n’y a pas suffisamment de médecins, de psychologues, de pédopsychiatres, que ce soit dans les services de santé universitaires ou au niveau national.
S’agissant de la jeunesse, l’enjeu est double.
Le premier est de protéger les jeunesses dans leur diversité, et d’abord de les protéger du numérique, qui représente une ouverture, mais aussi un risque réel et multiple. On a parlé du cyberharcèlement, mais on évoque encore trop peu la prostitution des mineurs qui se retrouvent piégés par des manœuvres de chantage via l’utilisation du revenge porn, ces vidéos à caractère sexuel ou sexiste. Toute une partie de notre jeunesse est ainsi prise en otage.
Il nous faut aussi lutter contre les fake news qui conduisent certains jeunes à ne plus aimer la France et ses institutions, à cause aussi d’un manque de repères ; peut-être l’école n’a-t-elle pas non plus été assez allante en matière d’éducation civique et morale ? L’objectif est d’aider à acquérir un esprit critique. On ne réussira jamais à limiter ce qui circule sur internet. Mais si nos jeunes sont éclairés, alors ils seront à même de douter et de croiser les sources.
Il faut lutter contre la prostitution des mineurs, contre les violences sexuelles et sexistes, contre les stéréotypes, mais également – et c’est selon moi un véritable sujet – contre les raids numériques, ceux-là mêmes qui sont en cause dans l’affaire Mila. La loi a été renforcée pour contrer ces bandes qui, aujourd’hui, brisent des vies.
Lever le tabou du harcèlement suppose de former l’ensemble des enseignants, mais pas seulement. Je crois en effet que la jeunesse doit être accompagnée par tous. Et l’accompagner signifie, d’abord, la protéger pour lui permettre, ensuite, de s’émanciper. Si notre pays est l’un des plus beaux au monde, comme je le pense, c’est parce qu’il permet à chacun d’être considéré par la société comme un citoyen. Cela passe par la lutte contre les discriminations, mais aussi par le programme Erasmus+, qui n’est pas réservé aux seules familles aisées ou urbaines.
Cela passe aussi par l’engagement, car un citoyen engagé prend pleinement sa place, que cet engagement ait pour cadre une ville, un village, un bourg, un conseil municipal, le service civique ou, plus largement, des associations.
Il nous faut enfin lutter contre la montée d’un islam politique et d’une extrême droite qui divisent, et contre tout ce qui conduit à la fragmentation des jeunesses. Pour gagner cette lutte, il convient de favoriser la cohésion et la mixité, en rappelant aux jeunes que ces repères absolument essentiels que la République nous a transmis et que la France a conquis siècle après siècle sont aussi leur héritage.
Cet héritage, j’assume de le porter au travers du service national universel. Nous avons, en effet, besoin de retrouver le goût de la cohésion, du « faire ensemble » et de l’effort par le sport, l’enseignement et le développement durable.
Il s’agit également de reconnaître les jeunes qui s’engagent davantage en leur permettant de quitter leur environnement familial et de s’en sortir un peu plus rapidement que les autres en intégrant des internats d’excellence.
Il est également essentiel de transmettre la valeur travail, qui n’est ni anodine ni dépassée. Chacun doit pouvoir se dire : « Par mon effort, par mon action, je m’en sortirai. »
Aussi le contrat d’engagement jeune n’est-il pas un RSA et n’a-t-il pas vocation à l’être. Il est en effet établi sur une base de devoirs et de droits, et sur le constat que certains connaissent une situation de plus grande fragilité que d’autres. Un jeune qui souhaite, par exemple, suivre un apprentissage – c’est aujourd’hui la voie d’excellence pour trouver sa place dans notre pays et mettre en valeur les savoir-faire de nos territoires – peut être freiné par des problèmes de logement ou de permis de conduire. Ces obstacles peuvent être levés à condition que le jeune bénéficie d’un accompagnement humain, notamment via une mission locale, Pôle emploi ou une association d’insertion. Les jeunes ont besoin de cela !
Les jeunesses sont tellement diverses que la valeur travail peut prendre plusieurs formes.
Il s’agit, d’abord, de protéger les emplois. Les 10 milliards d’euros du plan « 1 jeune, 1 solution », 3 millions de jeunes en ont bénéficié ; et c’est ce qui compte. Quant à l’entrepreneuriat, c’est pour moi un engagement. Je crois en effet que chaque jeune qui suit un apprentissage a vocation, demain, à reprendre une TPE ou une PME, pour établir une économie de proximité. Je veux aussi évoquer le déploiement des écoles de production, qui permettent d’apprendre autrement, et les établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide) qui lèvent d’autres freins.
Mais je vois que le temps passe, madame la présidente, et je vais conclure.
L’accompagnement, selon moi, doit être global.
L’école peut transmettre les fondamentaux, des valeurs et des repères, mais elle n’est pas la seule. Les familles doivent être soutenues afin de pouvoir reprendre pleinement leurs responsabilités et leur place. Il faut les accompagner face aux nouveaux dangers du numérique, leur apprendre les bons réflexes face au harcèlement et au cyberharcèlement, leur donner l’ensemble de l’information concernant les dangers des écrans. Outre les familles, il y a l’éducation populaire, toutes ces associations qui ont un rôle d’éveil dans nos territoires ; je pense aussi au déploiement plus large du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) et de l’enseignement extrascolaire.
Avec ce ministère, qui réunit l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, on peut désormais intervenir aux différents âges des jeunes.
Il me faut enfin souligner le rôle d’acteurs que l’on cite un peu moins, mais qui sont essentiels.
Il s’agit, en premier lieu, des élus locaux, qui s’engagent également pour nos jeunes de différentes manières. Ils organisent ainsi les conseils municipaux des jeunes (CMJ) et les cérémonies de citoyenneté et de remise des cartes électorales, afin de lutter contre l’abstention. N’oublions pas non plus le passeport du civisme en CM2 et la transmission des questions mémorielles, qui permettent à chacun de s’ancrer et d’être fier de sa ville, de son territoire, de son histoire.
Nous travaillons avec les élus locaux pour éviter que les écoles ne ferment ou que des fermetures n’aient lieu en l’absence de discussion et d’échange.
Je ne crois pas qu’une politique des jeunesses puisse être menée par un seul ministère. Et pourtant…
En deuxième lieu – je vous remercie pour votre indulgence, madame la présidente, car je suis un peu longue –, je veux évoquer les entreprises.
Il doit y avoir une adéquation entre les formations et les territoires : c’est ainsi que l’on permet à chaque jeune de trouver le contrat d’apprentissage ou l’emploi qui est le plus proche de lui.
Pour faire découvrir les métiers, on ouvre enfin les portes et les fenêtres des écoles. Il faut mettre un terme à cette suspicion entre les entreprises et l’école ! Plus les enseignants parlent aux entreprises, mieux celles-ci sont informées sur les parcours, et meilleure sera l’adéquation entre les formations et les territoires. Les entreprises se mobilisent également pour les stages, reconnaissent les compétences acquises lors d’un service civique ou d’une action bénévole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre jeunesse a de nombreuses aspirations en termes de mobilité, de famille, d’engagement. Chacune de ces aspirations mérite d’être accompagnée, quelle que soit la ligne de départ du jeune. S’il y a une promesse, elle est bien là : celle de l’école pour tous, de l’école de la confiance, et surtout de l’école française, que nous défendons et portons. (MM. Bernard Fialaire et Franck Menonville applaudissent.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la secrétaire d’État, dans une société fracturée et en manque de repères pour les jeunes, je ne doute pas que les projets présidentiels de mentorat et de service national universel puissent aider au renforcement de la cohésion sociale. Hélas, les objectifs fixés en termes d’effectifs pour 2021 ne devraient pas être atteints d’ici à la fin de l’année.
En effet, il y a peu, pour le mentorat, seuls 45 000 jeunes étaient inscrits sur les 100 000 envisagés. S’agissant du service national universel, le même constat peut être observé avec moitié moins de recrues que prévu.
Dans ces conditions, bien évidemment liées à la pandémie, et en période préélectorale, est-il prudent de promettre, comme c’est le cas dans le projet de loi de finances pour 2022, des cibles d’effectifs trop ambitieuses ? En outre, ne faudrait-il pas évaluer ces dispositifs avant de les généraliser quoi qu’il en coûte ?
Un peu de modestie budgétaire à leur égard aurait permis de soutenir d’autres secteurs également fragilisés par la crise sanitaire. Je pense aux colonies de vacances et, plus largement, à l’accueil des plus jeunes pour lesquels la formation des animateurs et encadrants a pris un sérieux retard, ce qui entraîne d’importantes difficultés de recrutement.
Or le prochain budget entérine une baisse de 18 % des crédits consacrés aux examens et certifications, là où il aurait fallu a minima les stabiliser…
À cela s’ajoutent les inquiétudes des élus locaux sur la généralisation des conventions territoriales globales. Ce nouveau mode de contractualisation de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) relatif aux politiques de l’enfance et de la jeunesse ne fait pas l’unanimité. Outre qu’il interfère avec les choix politiques des élus, il durcit les conditions de contractualisation et hypothèque certains financements.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous rassurer les élus locaux sur la préservation de leurs politiques contractuelles en direction de l’enfance et de la jeunesse ?
Par ailleurs, au vu du développement ralenti du mentorat et du service national universel, l’État envisage-t-il un rééquilibrage des crédits au profit d’autres actions auprès des plus jeunes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Corbisez, notre ambition a été trop forte, je vous l’accorde, mais seulement en termes de calendrier, qui a été ralenti pour le service national universel.
En revanche, notre ambition n’a pas baissé pour l’effectif des jeunes évalués. L’année dernière, 25 000 jeunes étaient attendus pour effectuer le service national universel ; finalement, ils ne sont que 15 000, puisque les protocoles sanitaires nous imposaient de réduire l’effectif. Mais, en réalité, plus de 30 000 jeunes se sont inscrits. Cela signifie que cette ambition pourra être atteinte lorsque nous serons libérés du port du masque, et plus largement de la crise sanitaire.
La même énergie a été déployée sur le mentorat, pour lequel 30 millions d’euros ont effectivement été investis.
Le mentorat est fondamentalement un accélérateur d’égalité des chances. Nous le percevons comme un moyen de permettre à chaque jeune, quelle que soit son aspiration, de ne pas céder à l’autocensure et de développer une énergie ou un réseau, familial ou autre, dont il ne disposerait pas.
Vous avez insisté, monsieur le sénateur, sur le rôle de la CNAF.
Nous organisons actuellement des assises de l’animation, auxquelles participent la CNAF, les associations d’éducation populaire, les représentants des élus locaux et les associations d’élus.
Si nous voulons porter cette ambition de l’accompagnement, périscolaire ou extrascolaire, des plus jeunes dans nos territoires, nous avons besoin de construire des projets au niveau local et donc de conclure des alliances territoriales, notamment éducatives.
Il convient à cet égard de relever deux enjeux : premièrement, redynamiser les parcours, en particulier ceux de l’animation professionnelle, en prévoyant une revalorisation des emplois et des salaires ; deuxièmement, recréer des envies de s’engager, grâce à la revalorisation du BAFA.
Aujourd’hui, je le sais, le coût du BAFA est un frein. Pour l’année prochaine, un investissement massif est prévu dans le budget de mon secrétariat d’État pour financer une aide nouvelle à destination de 20 000 jeunes souhaitant passer ce brevet. Mais au-delà de cette aide ponctuelle, il faut une réponse structurelle. J’espère que ces assises de l’animation aboutiront à l’adoption d’un plan d’action massif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sabine Van Heghe. Madame la secrétaire d’État, près de 1 million d’enfants subissent chaque année le harcèlement scolaire, avec des conséquences toujours trop lourdes sur les victimes.
Le cyberharcèlement aggrave encore le phénomène, car il abolit les frontières de l’établissement pour ne laisser aucun répit aux enfants harcelés. Et les réseaux sociaux agissent peu dans la lutte contre les actes de malveillance sur internet.
Il faut que la présidence française de l’Union européenne porte ce dossier au niveau européen et que, parallèlement, ce juste combat soit déclaré grande cause nationale 2022-2023.
Le harcèlement scolaire est l’affaire de tous, et à ce titre l’intervention du Président de la République du 18 novembre dernier a au moins permis d’aborder la question, même si les mesures annoncées sont bien insuffisantes.
II n’y a pas de remède miracle pour lutter contre ce fléau, et il ne doit pas y avoir de fausse polémique entre nous puisque, depuis plus de dix ans, tous les gouvernements se sont mobilisés sur cet enjeu.
Cependant, je regrette que ni le Président de la République ni le ministre Blanquer n’aient évoqué les travaux du Sénat sur la question, et particulièrement le rapport de la mission d’information que j’ai eu l’honneur de présider aux côtés de notre collègue rapporteure Colette Mélot.
Pas un mot sur la nécessité de plus de personnels médico-sociaux dans les établissements ; pas un mot non plus sur la nécessité d’une formation accrue des personnels des établissements pour faciliter la détection des signaux faibles ; pas un mot, enfin, sur les mesures simples de communication à destination des élèves.
Ces quelques mesures sont extraites des trente-cinq propositions unanimes de la mission d’information sénatoriale, qui sont le fruit d’un constat : les dispositifs existent, mais ils ne sont pas connus, pas suffisamment utilisés, à l’image du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l’école), généralisé à la rentrée 2021.
Ce qui fait défaut, c’est le traitement du « dernier kilomètre », et il serait incompréhensible, madame la secrétaire d’État, que vous passiez l’excellent travail du Sénat et notre rapport transpartisan par « pertes et profits ».
Quand allez-vous enfin vous emparer des propositions de notre mission, propositions qui sont à la fois concrètes, réalistes et applicables immédiatement, pour peu que la volonté politique soit là ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice Van Heghe, lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement n’est une question ni de couleur politique ni de position partisane, bien au contraire ! Aucune personne un tant soit peu engagée ne se priverait de propositions ou de rapports étayés. Dans votre rapport, vous évoquez la nécessité de diffuser plus fortement l’information aux élèves et d’organiser davantage de formations pour les enseignants, deux propositions parmi les trente-cinq que vous avez portées.
Aujourd’hui le programme pHARe n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement, mais c’est un outil extrêmement vivant, qui peut être complété au fur et à mesure. Ce programme comprend un certain nombre de mesures qui s’appuient en réalité sur l’expertise de votre rapport. Je pense par exemple à l’utilisation d’outils pédagogiques, comme les concours, au calendrier qui est mis en place, à l’affichage des informations, au dispositif Stop harcèlement et au site Non au harcèlement, et plus largement à la mobilisation et à la sensibilisation du corps enseignant.
Il est, je le crois, plus que jamais nécessaire de lever le tabou sur un fléau : avant le cyberharcèlement, il y avait le harcèlement ; aujourd’hui, celui-ci ne s’arrête pas aux salles de classe et aux abords des écoles, il peut continuer à la maison sous sa forme numérique. Il faut accompagner les parents et les enseignants, et sensibiliser les enfants.
Aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, une proposition de loi portée le député Erwan Balanant vise à aller encore plus loin dans la lutte contre le harcèlement scolaire.
Madame la sénatrice, les propositions qui figurent dans votre rapport et la mobilisation de l’ensemble des acteurs du monde éducatif – de l’éducation scolaire et populaire – nous permettront de nous outiller et de sensibiliser pour protéger nos enfants.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)
M. Franck Menonville. Madame la secrétaire d’État, le parcours scolaire de la maternelle aux études supérieures dessine un continuum de formation de la jeunesse française à la culture républicaine. Les valeurs intangibles, le sens du collectif, l’esprit civique qui y sont inculqués forment la clé de voûte indispensable à la cohésion de notre société.
L’un des piliers de cet apprentissage est l’éducation morale et civique, une matière à part entière depuis la réforme de 2015. Cette matière mériterait encore des ajustements, me semble-t-il.
Il conviendrait d’abord d’augmenter le nombre d’heures qui y sont consacrées ou, à défaut, de prioriser son contenu au regard de l’ampleur du programme.
Par ailleurs, je pense souhaitable de renforcer le programme « Apprendre ensemble et vivre ensemble » à l’école maternelle, en insistant notamment sur la prévention et la lutte contre le harcèlement scolaire, qui touche aussi les très jeunes enfants.
Le ministre de l’éducation nationale a annoncé l’année dernière vouloir valoriser l’engagement des élèves dans le cadre d’une réforme du brevet des collèges. Cette idée me semble très intéressante : est-elle toujours d’actualité ? Le cas échéant, sous quelle forme l’envisagez-vous ?
Je pense qu’il faudrait également valoriser l’engagement des citoyens, notamment le bénévolat des élèves de lycée au travers de Parcoursup, en prévoyant une rubrique dédiée dont les algorithmes pourraient tenir compte.
Enfin, je souhaite attirer votre attention sur l’importance de développer le mentorat entre lycéens et jeunes diplômés des grandes écoles, pour contrer l’éloignement social et géographique des élèves des écoles les plus sélectives de notre pays, souvent parisiennes.
En milieu rural, nous constatons une forte autocensure chez des élèves pourtant prometteurs. Institutionnaliser le mentorat serait un moyen de lever cet obstacle, tout en favorisant la réussite de tous les élèves.
Nous sommes là au cœur de l’idéal républicain et de la promesse républicaine. (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Menonville, je souscris totalement à votre intervention, que ce soit sur l’idéal républicain, sur le mentorat ou sur la nécessité de renforcer l’éducation civique et morale. Le projet de Jean-Michel Blanquer de reconnaître et de valoriser l’engagement au sein du brevet est toujours d’actualité et en cours d’expérimentation.
L’objectif est simple : pour devenir citoyen, il faut suivre un parcours qui comprend plusieurs étapes et qui nécessite des repères. L’engagement dès le plus jeune âge doit être valorisé, ce qui pose la question du brevet, du service national universel et de la reconnaissance des engagements bénévoles dans Parcoursup.
Aujourd’hui, il existe une première rubrique, mais sincèrement nous pouvons aller beaucoup plus loin en termes de reconnaissance du bénévolat et de l’engagement, que ce soit dans le cadre de la démocratie scolaire – lorsqu’un élève est délégué ou codélégué d’un conseil des délégués pour la vie lycéenne (CVL) – ou dans sa commune – dans un conseil municipal des jeunes ou sous une autre forme. Il ne faut pas créer de hiérarchie entre les différents engagements.
Au-delà de la reconnaissance à des moments clés, comme le brevet et le bac, je crois à l’importance des rituels et des rites de passage. Le brevet est un rite de passage, le baccalauréat en est un aussi. Dans ces moments, on peut valoriser encore plus fortement le parcours de citoyenneté.
Vous avez demandé comment lutter contre l’autocensure : cela pose la question du soutien des associations qui font spécifiquement du tutorat et du mentorat. J’ai une affection particulière pour l’une d’entre elles, Des territoires aux grandes écoles, qui accompagne par du tutorat et du mentorat des jeunes venant des territoires ruraux. Ainsi, grâce à la force du témoignage et en quelque sorte du compagnonnage, ils cessent de s’autolimiter, de s’interdire de rejoindre une grande école au motif que son coût serait trop élevé ou qu’ils n’y auraient pas leur place.
Avec le tutorat et le mentorat, je crois, monsieur le sénateur, que nous sommes en train de bâtir le projet d’une République de l’égalité des chances, et surtout de l’égalité des possibles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Madame la secrétaire d’État, la réforme du baccalauréat n’est pas encore arrivée à son terme qu’elle engendre déjà deux difficultés d’importance : sur le parcours des élèves et leur orientation, ainsi que sur les conditions de leur évaluation.
Point de départ de la réforme, l’organisation par spécialités pouvait permettre de décloisonner le cursus des élèves pour en finir avec la rigidité des anciennes filières. Malheureusement, vous le savez, l’offre de spécialités varie considérablement d’un établissement à l’autre.
Pire, le retour des options crée de nouveaux besoins financiers qui vont encore aggraver la baisse du nombre de spécialités enseignées dans les lycées.
Cette situation entraîne une véritable inégalité des chances entre les lycéens, dont nombre ne pourront suivre le cursus de leur choix. Moins cohérent ou moins complet, le profil de ces bacheliers fragilisera leurs candidatures auprès des établissements de l’enseignement supérieur.
Concernant le contrôle continu, sa forme actuelle présente deux inconvénients.
Il confère une dimension locale au baccalauréat, qui devait pourtant demeurer un diplôme national. Chacun connaît les fortes disparités de niveaux persistant d’un établissement à l’autre et sait qu’elles engendrent des barèmes de notes différents. Cela introduit un nouveau biais dans le dossier des élèves, avec des conséquences certaines sur leur traitement par Parcoursup.
De plus, le contrôle continu nourrit les pressions que subissent un nombre croissant de professeurs, à qui des parents d’élèves, certes anxieux, mais parfois vindicatifs, reprochent leur notation.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me répondre sur ces deux points ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice Ventalon, la réforme du baccalauréat avait pour objectif d’atténuer la césure qui suit ce diplôme et qui est à l’origine d’un vrai scandale français. En effet, soit les étudiants subissent un échec en première année, qui est même encore plus important qu’ailleurs ; soit ils se soumettent à une autre forme d’autocensure, en ne se dirigeant pas vers des filières professionnelles, parce que déconsidérées, ou agricoles, parce que méconnues, ou, inversement, en n’osant pas aller dans des filières scientifiques, parce que trop stéréotypées pour certains.
La réforme du bac a pour objet de rendre une certaine liberté aux jeunes sur la base d’une triple confiance : confiance en eux et dans leurs choix, confiance dans les professeurs qui peuvent dorénavant approfondir certaines disciplines et confiance dans les chefs d’établissement.
Vous avez posé la question du contrôle continu. Le baccalauréat est un diplôme national, et il faut que les notations soient équitables. Mais il permet aussi de valoriser la régularité du travail des élèves, qui ainsi ne prennent pas le risque d’être disqualifiés ou impactés par du bachotage au dernier moment. Cette demande venait plutôt en réalité des lycéens et de leurs familles.
La garantie nationale du baccalauréat est maintenue et le restera. Madame la sénatrice, je sais que le ministre est particulièrement vigilant à la démultiplication des réponses sur les matières de spécialité afin qu’il n’y ait pas d’inégalité territoriale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Madame la secrétaire d’État, mon collègue Thomas Dossus a abordé le sujet de la précarité grandissante des jeunes et de l’avenir que nous leur offrons. Cet avenir est étroitement lié à celui des étudiants et des universités françaises.
J’aimerais vous donner deux chiffres marquants. Entre 2017 et 2022, le budget de l’enseignement supérieur rapporté au nombre d’étudiants a baissé de 7 % et le taux d’encadrement a, lui, chuté de 15 % en dix ans.
Nous savons que l’enseignement supérieur fait face à une augmentation importante du nombre d’étudiants. Elle est due en grande partie au boom démographique. L’évolution des effectifs, et donc des besoins, aurait dû être anticipée. Il est toujours possible de changer de vision et de réagir afin d’offrir de réelles perspectives à notre jeunesse.
Le Gouvernement ne peut plus ignorer le manque de budget des universités. Les présidents d’université nous le disent : ils sont dans une situation financière préoccupante et n’ont plus aucune marge de manœuvre budgétaire, pourtant nécessaire pour l’accueil de nouveaux étudiants.
Le nombre de places, notamment à l’entrée en master, n’a pas suffisamment augmenté et beaucoup d’étudiants se retrouvent sans solution de poursuite d’études. Bien d’autres n’accèdent pas à la filière qu’ils souhaitent et subissent une orientation par défaut.
La nouvelle sélection en master risque d’aggraver les inégalités et de contraindre encore davantage les choix des étudiants. Quand le Gouvernement proposera-t-il un budget décent pour l’enseignement supérieur français afin de donner la possibilité à tous les jeunes qui le souhaitent de poursuivre les études de leur choix ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice de Marco, le budget de l’enseignement supérieur, qui relève d’une discussion interministérielle, est en augmentation sur un certain nombre de points. Je pense à l’investissement et au réarmement de la recherche française dans le cadre de la loi Recherche qui a été votée en 2020, à hauteur de 25 milliards d’euros sur dix ans. Je pense également au soutien à l’enseignement supérieur par la consolidation d’actions en faveur de la réussite étudiante et par la poursuite de la réforme des études de santé.
Mais il faut aussi améliorer les conditions de vie des étudiants : plus de 179 millions d’euros y ont été consacrés cette année, dont 150 millions pour les bourses sur critères sociaux. La lutte contre la précarité alimentaire a été réinvestie à hauteur de plus de 49 millions d’euros.
L’accompagnement pédagogique et psychologique participe aussi de la réussite des étudiants : plus de 10 000 étudiants ont bénéficié d’aides gratuites de psychologues depuis mars 2021.
Plus globalement, avec France Relance, ce sont 7,8 milliards d’euros supplémentaires qui serviront à financer l’accueil, la formation aux métiers d’avenir et la rénovation thermique des bâtiments et, avec France 2030, 30 milliards d’euros.
Vous avez également évoqué la question des masters et du choix de parcours. La réforme des masters, qui date de 2016, a permis de confirmer le master comme cursus sur deux années sans sélection intermédiaire, de renforcer la formation des étudiants en leur proposant de candidater à des offres de formation, mais également d’améliorer le passage entre la licence et le stage. De nouvelles possibilités sont ainsi offertes à tous les étudiants ayant une licence de saisir le rectorat s’ils n’ont pas de proposition d’admission en master. Ainsi, les étudiants peuvent construire un parcours.
Après quatre années de déploiement, la ministre Frédérique Vidal a souhaité faire évoluer cette réforme, car vous avez eu raison de dire que celle-ci posait certaines questions. L’idée est de faire que ce droit de saisir le rectorat soit pleinement garanti pour tous, parce qu’il y avait des inégalités d’accès, et d’augmenter les chances de succès des étudiants. La ministre a donc formulé un certain nombre de préconisations. Plus de 170 000 places supplémentaires en master ont été proposées, et elle a souhaité financer exceptionnellement la création de plus de 4 400 places cette année.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.
Mme Monique de Marco. Merci de votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais il faut clairement dire que les investissements ne sont pas à la hauteur des attentes des étudiants. Les organisations syndicales d’étudiants nous ont interpellés sur cette difficulté concernant l’entrée en master.
Des efforts devront être prochainement fournis pour donner satisfaction à ces demandes. Il faut également recruter des personnels enseignants, ce qui est urgent et nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la secrétaire d’État, la semaine dernière, l’académie de Lille annonçait la fermeture de 667 classes, dont 511 dans le seul département du Nord, soit près du double par rapport à la semaine précédente. Le Nord et le Pas-de-Calais étaient les deux départements les plus touchés après l’académie de Versailles.
Contrairement à ce que vous avez défendu mordicus pendant des mois, malgré toutes les études scientifiques et les retours de terrain, l’école est donc bien un haut lieu de contamination pour les enseignants, les personnels, les enfants, et donc les familles.
Au vu de la situation, je dois admettre que je partage l’inquiétude et l’incompréhension des organisations syndicales face au protocole sanitaire que Jean-Michel Blanquer a annoncé la semaine dernière.
Ainsi, dans le but de limiter les fermetures de classe, un cas positif ne vaudra plus fermeture de celle-ci. Seuls les enfants ne pouvant pas fournir un test négatif seront placés à l’isolement.
Bien évidemment, il n’est jamais bon pédagogiquement de fermer des classes durant une semaine : on prend le risque que les enfants accumulent du retard. Mais nous ne pouvons que nous interroger sur le bien-fondé d’un allégement du protocole sanitaire au moment même où l’épidémie accélère, au risque d’exposer un peu plus les enfants et le corps enseignant à la maladie.
Au demeurant, ce protocole est flou et donne le sentiment de laisser les enseignants, les parents, les directions d’établissement livrés à eux-mêmes face à l’épidémie.
Au fond, madame la secrétaire d’État, comme beaucoup, nous nous interrogeons sur la finalité de ce nouveau protocole : son objectif ne serait-il pas de garder les parents au travail et de faire baisser les chiffres ? Or il faut rappeler que nous parlons de la santé d’enfants non vaccinés, et dont le taux d’incidence est 1,8 fois supérieur à l’ensemble de la population.
Comptez-vous remettre à l’ordre du jour des discussions avec les organisations syndicales ce protocole sanitaire qui semble insatisfaisant socialement, professionnellement et sur le plan sanitaire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice Gréaume, la volonté du ministre de l’éducation nationale a toujours été la même depuis le début de cette crise : maintenir nos écoles ouvertes autant que possible, le plus longtemps possible. Les raisons en sont simples : limiter les conséquences sur l’apprentissage, le creusement et l’aggravation des inégalités de niveau en fonction des situations familiales, les conséquences quant au développement tant psychologique que physique des enfants.
Quand on prend un peu de recul, on constate que la France est d’ailleurs restée une exception dans le monde : chacun a ressenti le désir, l’envie, le besoin d’école. Pour cette raison, je ne peux pas entrer dans le détail du protocole sans remercier et saluer l’ensemble des enseignants, qui ont tenu, ainsi que tous les animateurs périscolaires et extrascolaires, qui eux aussi ont fait tenir l’école, qui font eux aussi partie des équipes pédagogiques.
Madame la sénatrice, nos deux impératifs sont évidemment d’assurer toujours la continuité pédagogique – je sais que vous y tenez –, et de garantir la sécurité des élèves comme des personnels – c’est la priorité des priorités.
Maintenir les écoles ouvertes n’a été et n’est rendu possible que par une gestion quasiment en temps réel de la situation épidémique, grâce à l’application extrêmement stricte des protocoles sanitaires, au dévouement et à l’engagement fort du corps enseignant pour l’école.
Depuis lundi, les classes ne fermeront plus automatiquement si un cas positif est détecté. La question des tests est posée. Les tests salivaires se poursuivent de manière très massive, toujours avec l’objectif de protéger, mais également afin de permettre à ceux qui ne sont pas contaminés de profiter de l’école. La poursuite des tests aléatoires est conduite sous l’autorité des ARS (Agences régionales de santé), et des boîtes d’autotests seront également mises à la disposition des élèves de sixième, parce qu’ils ne sont pas vaccinés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Madame la secrétaire d’État, notre système éducatif est devenu, selon la dernière enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), l’un des plus inégalitaires de l’OCDE. Face à ce constat, de nouveaux dispositifs comme le mentorat ou le renforcement de la formation de tous les professeurs à l’orientation ont été mis en place.
Néanmoins, la catastrophe éducative qui touche notre pays persiste, et les inégalités sociales se reproduisent dans le parcours scolaire. Ainsi, en 2018, 93 % des élèves ayant une mère diplômée de l’enseignement supérieur obtiennent le baccalauréat, contre 58 % de ceux dont la mère est sans diplôme. De même, 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur au-delà de la licence, contre seulement 16 % des enfants d’ouvriers.
Soucieuse de cette situation, la mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse a formulé plusieurs recommandations afin de garantir une meilleure égalité des chances et d’atténuer les facteurs qui pèsent fortement sur le destin des individus, notamment ceux qui sont liés au territoire d’origine.
Parmi ces recommandations, certaines nous semblent indispensables : accélérer le dédoublement des classes de grande section en éducation prioritaire et étendre le dédoublement des classes jusqu’au CE1 au-delà des QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville) ; améliorer la formation des enseignants afin de favoriser une meilleure prise en compte des élèves les plus en difficulté ; étendre le dispositif Devoirs faits dans les écoles élémentaires et l’adapter aux contraintes des transports en commun dans les territoires ruraux.
Madame la secrétaire d’État, quand et comment comptez-vous répondre à ces urgences ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Hingray, je sais à quel point vous êtes mobilisé pour l’égalité des chances et pour l’égalité de destin des jeunes et des enfants. Il s’agit également de la priorité du ministre de l’éducation nationale.
Cette égalité des chances, ce n’est pas un vœu pieux : ce sont des actions, des engagements, une envie d’accélérer bien sûr, qui ont été concrétisés dès l’entrée en fonction du ministre. C’est d’ailleurs la première fois qu’un secrétaire d’État est chargé de l’éducation prioritaire.
Les actions extrêmement ambitieuses qui permettent de lutter contre les inégalités se sont démultipliées – je n’en citerai que quelques-unes, pour ne pas être trop longue. Les cordées de la réussite ; les 126 cités éducatives, que le ministère de l’éducation nationale et le ministère chargé de la ville comptent bientôt porter à 200 ; les internats d’excellence.
Les moyens alloués sont extrêmement importants. En 2021, 50 % des classes de grande section en REP+ étaient dédoublées ; à la rentrée 2022, la totalité le sera. Les classes de CP et de CE1 seront également dédoublées.
Le dispositif Devoirs faits est vraiment un accélérateur d’accompagnement, parce que les inégalités sont très fortes entre les familles sur ce point. Pour le rendre encore plus accessible, l’outil e-Devoirs faits permet un accompagnement renforcé tout en restant à la maison par une utilisation du numérique à bon escient.
Des moyens importants sont investis, à hauteur de 60 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 6,5 millions d’euros attribués aux associations. En 2020-2021, un collégien sur trois bénéficie de ces mesures, ce qui montre leur impact.
Au-delà de cela, monsieur le sénateur, il n’y a évidemment pas d’égalité des chances sans enseignants mobilisés pour soutenir le système. C’est pour cette raison qu’avec le Grenelle de l’éducation le ministre réinvestit la formation, la revalorisation des métiers, l’accompagnement de tout le parcours, mais aussi, et surtout, les rémunérations. Tout cela représente un budget conséquent, défendu par la volonté du ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? »
L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie ce jour, sont consultables sur le site internet du Sénat.
En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
La conférence des présidents a par ailleurs décidé de rétablir l’obligation du port du masque dans l’hémicycle pour les orateurs s’exprimant à la tribune.
Conclusions de la conférence des présidents
SÉANCES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 7 décembre 2021
À 14 h 30 et le soir
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (texte de la commission n° 253, 2021-2022)
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : lundi 6 décembre, à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne (texte de la commission, n° 239, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 7 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 6 décembre, à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mercredi 8 décembre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 8 décembre, à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer (texte de la commission n° 248, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 7 décembre, à 15 heures
- Proposition de loi tendant à favoriser l’habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l’activité agricole et l’environnement, présentée par M. Pierre Louault et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 193, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 19 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 24 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 2 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 7 décembre, à 15 heures
À 22 heures
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 5 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30
• Réponse du Gouvernement
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 7 décembre, à 15 heures
Jeudi 9 décembre 2021
De 10 h 30 à 13 heures
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles (texte de la commission n° 250, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 décembre, à 12 heures
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 8 décembre, à 15 heures
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (texte n° 228 rectifié, 2021-2022)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 8 décembre, à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
À 14 h 30
- Désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » (droit de tirage du groupe Les Indépendants) ;
- Désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » (droit de tirage du groupe RDPI)
• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à ces missions d’information : mercredi 8 décembre, à 16 heures
De 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles (texte de la commission, n° 250, 2020-2021)
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (texte n° 228 rectifié, 2021-2022)
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, présentée par MM. Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini, David Assouline et Hussein Bourgi (texte n° 42, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 8 décembre à 15 heures
- Proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement, présentée par Mme Martine Filleul et plusieurs de ses collègues (texte n° 370 rectifié, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 1er décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 6 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 8 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 8 décembre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 14 décembre 2021
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2022
• Réunion de la commission pour le rapport : mardi 14 décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : à l’ouverture de la discussion générale
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 décembre, à 15 heures
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (texte de la commission n° 75, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 octobre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 20 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 9 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 14 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 13 décembre, à 15 heures
Mercredi 15 décembre 2021
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 15 décembre, à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (texte de la commission n° 75, 2021-2022)
Jeudi 16 décembre 2021
À 10 h 30 et 14 h 30
- 2 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan sur les services aériens (texte n° 58, 2021-2022)
=> Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (texte n° 877, 2020-2021)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : mardi 14 décembre, à 15 heures
- Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs (texte de la commission n° 186, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 22 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 23 novembre, à 17 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du Règlement : lundi 13 décembre, à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 10 décembre, à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 décembre, à 15 heures
- Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique (texte de la commission n° 188, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 22 novembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 23 novembre, à 17 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du Règlement : lundi 13 décembre, à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 10 décembre, à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 décembre, à 15 heures
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : mercredi 15 décembre, à 15 heures
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : mercredi 15 décembre, à 15 heures
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte n° 176, 2021-2022)
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs de groupe : mercredi 15 décembre, à 15 heures
Suspension des travaux en séance plénière :
du lundi 20 décembre 2021 au dimanche 2 janvier 2022
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 4 janvier 2022
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Débat sur la crise du logement que connaît notre pays et le manque d’ambition de la politique de la ville (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 janvier, à 15 heures
- Débat sur le thème : « Trois ans après la loi “Asile et Immigration”, quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ? » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 janvier, à 15 heures
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l’accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur, présentée par M. Laurent LAFON et plusieurs de ses collègues (texte n° 6, 2021-2022 ; demande du groupe UC)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 3 janvier, à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, tendant au développement de l’agrivoltaïsme en France, présentée par MM. Jean-François Longeot, Jean-Pierre Moga et plusieurs de leurs collègues (texte n° 30 rectifié, 2021-2022 ; demande du groupe UC)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 3 janvier, à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
Mercredi 5 janvier 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 5 janvier, à 11 heures
À 16 h 30
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, appelant le Gouvernement à œuvrer à l’adoption d’une déclaration de la fin de la guerre de Corée (texte n° 231 rectifié, 2021-2022 ; demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 4 janvier, à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Débat sur le rapport : « Défense extérieure contre l’incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires » (demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation)
• Temps attribué à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 4 janvier, à 15 heures
Le soir
- Débat sur le thème « Les oubliés du Ségur de la santé/investissements liés au Ségur à l’hôpital » (demande du groupe SER)
• Temps attribué au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 4 janvier, à 15 heures
Jeudi 6 janvier 2022
À 10 h 30
- Questions orales
À 14 h 30
- Débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 janvier, à 15 heures
- Débat sur le thème : « Le partage du travail : un outil pour le plein emploi ? » (demande du groupe CRCE)
• Temps attribué au groupe CRCE : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 8 minutes
• Conclusion par le groupe CRCE : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 janvier, à 15 heures
- Débat sur la sûreté des installations nucléaires (demande du GEST)
• Temps attribué au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 5 janvier, à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 11 janvier 2022
À 14 h 30 et le soir
- Débat sur les agences de l’eau (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 10 janvier, à 15 heures
- Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues (texte n° 41, 2021-2022 ; demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 13 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 6 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 11 janvier après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 10 janvier, à 15 heures
- Proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, présenté par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues (texte n° 43 rectifié bis, 2021-2022 ; demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 10 janvier à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 11 janvier après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 10 janvier, à 15 heures
Mercredi 12 janvier 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 12 janvier, à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
- Proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et à créer les instituts régionaux de formation, présentée par Mme Samantha Cazebonne (texte n° 234, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 10 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 12 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 11 janvier, à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire (procédure accélérée ; texte A.N. n° 4658)
Ce texte sera envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avec une saisine pour avis de la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 10 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 12 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 11 janvier, à 15 heures
Éventuellement, à l’issue de l’espace réservé et le soir
- Suite de la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, présenté par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues (texte n° 43 rectifié bis, 2021-2022 ; demande du groupe Les Républicains)
Jeudi 13 janvier 2022
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
L’ordre du jour sera fixé ultérieurement.
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 18 janvier 2022
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à démocratiser le sport en France (texte n° 465, 2020-2021)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 18 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 17 janvier, à 15 heures
Mercredi 19 janvier 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 19 janvier, à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à démocratiser le sport en France (texte n° 465, 2020-2021)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (texte n° 174, 2021-2022) et proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte (texte n° 173, 2021-2022)
Ces textes ont été envoyés à la commission des lois.
Il a été décidé que ces textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 13 décembre, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 décembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 13 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 19 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 18 janvier, à 15 heures
Jeudi 20 janvier 2022
À 10 h 30, 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la protection des enfants
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 19 janvier, à 15 heures
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 19 janvier à 15 heures
- Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (texte n° 174, 2021-2022) et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte (texte n° 173, 2021-2022)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 25 janvier 2022
À 14 h 30 et le soir
- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à démocratiser le sport en France (texte n° 465, 2020-2021)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 24 janvier, à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 25 janvier, à 12 h 30
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français (texte n° 178, 2021-2022)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 10 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 12 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 20 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 25 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 24 janvier, à 15 heures
Mercredi 26 janvier 2022
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 26 janvier, à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Sous réserve de sa transmission, 1 convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié :
=> Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer relatif au siège de l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (texte A.N. n° 4323)
• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : lundi 24 janvier, à 15 heures
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le représentant de la commission saisie au fond pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder cinq minutes chacun ainsi qu’un représentant des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder trois minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mardi 25 janvier, à 15 heures
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur (texte n° 225, 2021-2022)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques avec une saisine pour avis de la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 17 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 19 janvier matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 24 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 26 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 25 janvier, à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’adoption (texte A.N. n° 4607)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mercredi 19 janvier à 11 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 19 janvier à 14 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 24 janvier, à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 26 janvier matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 25 janvier, à 15 heures
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 1er février 2022
À 14 h 30
- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français (texte n° 178, 2021-2022)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 31 janvier, à 14 h 30
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 1er février, à 12 h 30
La suite de l’ordre du jour de cette semaine sera déterminée ultérieurement.
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents :
mercredi 12 janvier 2022 à 18 heures
La Conférence des Présidents a pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la demande de création de missions d’information :
- sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » (demande du groupe Les Indépendants – République et territoires) ;
- sur le thème « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » (demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants).
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Situation des comptes publics et réforme de l’État
Débat thématique
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Situation des comptes publics et réforme de l’État. »
Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire a montré, s’il en était encore besoin, que les États, loin d’être obsolètes, pouvaient beaucoup.
En outre, elle a montré la nécessité et l’efficacité de la politique budgétaire, quand cette dernière n’est pas paralysée par des contraintes arbitraires.
En France, comme dans la plupart des pays avancés, les finances publiques ont pris en charge une grande partie des dépenses à la suite de la chute du PIB. L’explosion du chômage ou les faillites en chaîne ont ainsi été évitées. Les taux d’intérêt sont restés négatifs pour les échéances inférieures à dix ans et faibles pour les échéances à long terme.
À l’avenir, les nécessités de la transition écologique imposeront une forte hausse des investissements publics.
Depuis des années, la social-démocratie n’a de cesse de prôner un rationnement de la puissance publique au service de la collectivité et de défendre une puissance publique sociale, soucieuse tant du bien commun que de la maîtrise des comptes publics.
Partout en Europe, au Portugal, en Espagne ou en Allemagne, les gouvernements sociaux-démocrates ont mesuré l’importance du recours à l’État-providence pour mener à bien des politiques sociales, vertueuses et redistributives.
Malgré tout, en France, d’aucuns s’interrogent : la gauche réformiste a-t-elle encore un avenir ? Comme Mark Twain lisant le faire-part de son décès dans un journal, elle répondra : « L’annonce de ma mort est très exagérée. »
Il est vrai qu’elle en a vu d’autres depuis le congrès de Tours, il y a un siècle ! Ce Lazare social-démocrate est toujours ressuscité pour continuer son œuvre de réforme. Ceux qui doutent de cette résilience liront l’essai précis et alerte d’Henri Weber, qui a siégé sur ces travées – je souhaite rendre hommage à ce grand acteur et analyste de la social-démocratie française.
Conciliant avec obstination socialisme et liberté, sûre que le libéralisme produit avant tout de l’injustice tandis que le communisme conduit à la tyrannie d’une minorité, l’inénarrable social-démocratie a connu trois époques depuis la guerre.
D’abord celle de la conquête. Pendant la période de croissance rapide appelée les Trente Glorieuses, elle a mis en œuvre l’essentiel des réformes qui constituaient la trame des revendications ouvrières depuis des décennies. Je pense notamment à la protection générale contre les aléas de la vie, à la régulation du marché du travail, à l’extension des congés payés, au droit syndical, au pilotage keynésien de l’économie, toutes ces réformes transformant radicalement la condition salariale dans les pays développés.
Ensuite, la crise venue, la social-démocratie se tourna vers des compromis défensifs, destinés autant à maintenir les acquis de la période précédente qu’à contenir les effets délétères de la faible croissance et du chômage de masse.
Pour aborder la faculté de la social-démocratie à faire évoluer notre pays, nul besoin d’aller chercher dans l’Histoire des dates trop lointaines.
Il y a plus de sept ans, nous engagions des réformes sociales sans plomber les comptes publics. D’ailleurs, si l’on compare la situation d’aujourd’hui à celle qu’a laissée Nicolas Sarkozy en 2012, on note que le déficit, qui était de 5,1 % en 2011, menaçait d’atteindre un niveau similaire en 2021. Or ce chiffre était passé à 2,9 % en 2017, en dessous du sacro-saint 3 %, et ce pour la première fois depuis 2007 ! François Hollande a été celui qui aura fait sortir la France de la procédure disciplinaire pour dérapage budgétaire lancée par Bruxelles en 2009.
Néanmoins, cela n’a pas empêché des idées radicales d’occuper le débat public. Pour certains, il suffit d’interdire les déficits, par la loi ou, mieux encore, par la Constitution ! De prime abord, nous pourrions penser qu’une telle décision aurait pour vertu de convaincre les investisseurs et les marchés financiers de l’irréversibilité de la conversion des États européens à la discipline budgétaire, et, ce faisant, de restaurer leur confiance.
Le problème, c’est que ce raisonnement ne résiste guère à l’expérience. Tout d’abord, il ne suffit pas de promulguer des textes de loi pour transformer la réalité. De nombreuses règles contraignantes en matière budgétaire en Europe existent déjà, sans que cela ait nullement empêché les États de creuser leurs déficits et d’augmenter leur dette.
Prôner la règle d’or selon laquelle l’évolution des dépenses publiques doit être inférieure à celle des recettes, tout en écartant des modifications du taux des prélèvements obligatoires, comme l’a proposé la commission Arthuis, est encore pire : cela revient à empêcher toute politique budgétaire de soutien à l’économie.
À l’avenir, la dépense publique doit aussi être mobilisée à plus long terme, puisque la France doit réaliser la transition écologique et favoriser le redéploiement des services publics sur l’ensemble de nos territoires, tant ruraux qu’urbains – je pense notamment aux secteurs de la santé et de l’éducation.
La crise sanitaire et le mouvement des « gilets jaunes » ont montré l’attachement des Français aux services publics. Le problème vient de la dégradation, faute de moyens, de ces derniers, qui est source d’inégalités sociales et territoriales importantes.
C’est là toute la différence entre les sociaux-démocrates et les sociaux-libéraux. Mais l’heure n’est plus aux sociaux-démocrates dans ce pays. Le parfum ambiant respire le libéralisme décomplexé, et les choix budgétaires de ces dernières années s’en ressentent.
Nous, sociaux-démocrates, pensons qu’une dépense publique maîtrisée est nécessaire au service des politiques sociales, alors que les sociaux-libéraux n’ont qu’une acception comptable de l’équilibre des comptes publics.
Être à l’équilibre pour être à l’équilibre ne me semble pas être une politique budgétaire dessinant un cap digne de ce nom. La gestion comptable et austéritaire des comptes publics ne peut constituer à elle seule l’horizon indépassable des réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au milieu du XIXe siècle, le député Frédéric Bastiat affirmait qu’il n’y a rien de plus facile que de voter une dépense, et rien de plus difficile que de voter une recette. De prime abord, le bilan de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 au Sénat semble lui donner tort, puisque la Haute Assemblée a voté toutes les recettes du budget,… et aucune dépense.
Mais je crois que nous avons, en fait, confirmé la maxime de Bastiat. En refusant le débat sur l’examen des dépenses du budget, mission par mission, programme par programme, le Sénat a en fait montré qu’il refusait de se prêter à l’exercice si difficile, et pourtant ô combien nécessaire, de cibler les dépenses à couper pour réduire effectivement le déficit public. Il a préféré rejeter en bloc le budget pour 2022.
Tel est donc l’exercice auquel nous sommes invités aujourd’hui : critiquer en bloc, pour ne pas discuter dans les détails. Je doute que le fait de verser dans des considérations générales et abstraites, plutôt que de procéder à l’examen des différentes missions, serve in fine notre institution.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire la semaine dernière, notre groupe regrette profondément cette décision. Nous aurions préféré mener les discussions budgétaires jusqu’à leur terme. La critique est aisée, l’art est difficile.
M. Jean-François Husson. Avec une autre copie du Gouvernement, on l’aurait voté !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ce sont vos mots, monsieur le rapporteur général.
Quelle crédibilité avons-nous encore sur l’impératif de réduction des dépenses publiques, alors que nous avons renoncé à notre pouvoir, voire à notre devoir, de voter les dépenses ?
Néanmoins, le sujet est trop grave pour que nous nous refusions à confronter nos points de vue. Je vais donc tâcher de dresser un bref diagnostic et d’esquisser quelques pistes de solutions.
Jamais, en temps de paix, notre pays n’a été aussi endetté. Le poids de notre dette ne cesse d’augmenter, tant en valeur absolue que par rapport à la richesse produite.
Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle ; voilà au moins quinze ans que cette tendance se poursuit et s’aggrave. Il y a trois quinquennats, le ratio d’endettement était le même en France et en Allemagne, autour de 65 % du PIB. Aujourd’hui, le ratio français a augmenté de 50 points et s’élève à 115 %, quand celui de nos voisins allemands est de 73 %.
Cette situation est très préoccupante. Bien sûr, les crises sanitaire et financière expliquent pour une large part l’explosion de notre dette, mais l’Allemagne, qui a connu les mêmes crises, s’en sort beaucoup mieux. Il y a donc un mal français qui nous empêche de réduire notre dette, qui fragilise la situation de nos comptes publics et qui menace in fine notre souveraineté nationale : ce mal français, c’est notre immense difficulté à réduire la dépense publique et à réformer l’État.
Certains, ici, pensent que le Gouvernement actuel en porte toute la responsabilité. Certes, les dépenses publiques n’ont cessé de croître au cours du quinquennat, mais il est également vrai que ce gouvernement est le seul à être parvenu, au cours des quinze dernières années, à stabiliser la dette publique. Avant la crise sanitaire, le déficit était maîtrisé et le taux d’endettement avait même commencé de baisser.
Ainsi, en l’occurrence, il est trop facile de critiquer le Gouvernement sur son impuissance à faire baisser la dépense publique, sans jamais indiquer quelles dépenses il aurait fallu réduire. Voilà, à mes yeux, la cause profonde de ce mal français, qui nous empêche de réduire notre dette publique.
J’ai cru utile de remettre ainsi les pendules à l’heure, car nous devons, sur ce sujet, tenir un discours de vérité. Il est trop facile de prêcher sans cesse la réduction des dépenses publiques sans jamais se risquer à préciser le propos.
En effet, au cours de la crise sanitaire, le Sénat a voté tous les projets de loi de finances rectificative, exception faite du tout dernier. Il est donc aisé de dénoncer aujourd’hui la hausse des dépenses publiques, alors que nous avons soutenu, je vous le rappelle, mes chers collègues, le « quoi qu’il en coûte ».
C’est d’autant plus grave que, pour relever les défis auxquels notre pays fait face, au premier rang desquels se trouvent la transition écologique et la révolution numérique, la puissance publique devra jouer un rôle majeur de soutien à l’innovation. Ainsi, le plan France 2030, présenté par le Président de la République, a fixé des objectifs ambitieux d’investissement public dans des verticales clefs de rupture technologique.
Ces injonctions sont apparemment contradictoires : d’une part, nous devons nécessairement réduire les dépenses publiques, pour abaisser notre endettement ; d’autre part, nous devons poursuivre l’investissement public, afin de ne pas décrocher, dans tous les domaines stratégiques, pour préserver notre souveraineté nationale et notre capacité à créer de la valeur.
Je suis convaincue, mes chers collègues, que nous avons tous à cœur de relever cet immense défi. Bien sûr, nos sensibilités politiques et nos différences d’approche nous opposeront sur les chemins à emprunter pour y parvenir, mais il nous faudra bien accepter, le moment venu, de remettre sur le métier l’ouvrage budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Paul Toussaint Parigi et Bernard Fialaire applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (MM. Vincent Segouin et Bruno Belin applaudissent.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’irai pas par quatre chemins : je suis inquiet, parce que la situation des comptes publics est critique et que le budget pour 2022, que nous venons de rejeter, ne fait qu’accentuer les risques pesant sur la soutenabilité de nos finances publiques pour l’avenir.
Depuis 2017 et jusqu’au début de la crise sanitaire, le Sénat a rappelé régulièrement au Gouvernement la nécessité d’assainir les comptes publics tant que la croissance économique le permettait, compte tenu du niveau de déficit et d’endettement de nos administrations publiques, parmi les plus élevés d’Europe.
Albéric de Montgolfier, mon prédécesseur comme rapporteur général de la commission des finances, l’a martelé régulièrement à l’occasion de l’examen de textes financiers examinés, en citant une phrase de John Fitzgerald Kennedy : « Le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille. »
Malheureusement, comme souvent, le Sénat n’a pas été entendu et, lorsque la tempête s’est abattue sur l’économie mondiale en conséquence de l’épidémie de covid-19, notre pays disposait de marges de manœuvre budgétaires plus limitées que des pays voisins, l’Allemagne par exemple, faute d’avoir fait le nécessaire en temps voulu.
Dès lors, quel bilan tirer de ce quinquennat, au regard de la situation de nos comptes publics ? C’est assez simple : les chiffres sont « dans le rouge » – dans le « rouge cramoisi », même – et sont très impressionnants : en 2021, le déficit se situe à 8,2 % et l’endettement à 115 % et, en 2022, le déficit sera, selon les prévisions, de 5 % et l’endettement de près de 114 %.
Certes – il faut s’en réjouir –, l’embellie économique a été particulièrement marquée en France au cours des derniers mois, entraînant un supplément de recettes fiscales, mais – car il y a un « mais » – ces recettes sont directement utilisées pour couvrir des dépenses supplémentaires, malheureusement, alors que les nouvelles émissions de dette vont encore représenter 260 milliards d’euros dans le budget de l’État… Au contraire, les recettes tirées de ce regain inattendu de croissance auraient pu et auraient dû être employées à réduire notre endettement et à assainir nos finances publiques.
Monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernement a tout simplement abandonné l’effort de maîtrise de la dépense publique qu’il avait promis, non seulement dans le budget « de campagne » qui nous a été transmis pour 2022, mais également – ce qui est plus grave – dans les budgets présentés depuis 2018, depuis le mouvement des « gilets jaunes ».
Ainsi, indépendamment des mesures d’urgence et de relance, que nous avons soutenues, les dépenses primaires ont augmenté de plus de 60 milliards d’euros par rapport à la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, présentée au Parlement au début du quinquennat. Une dérive de plus de 60 milliards d’euros, excusez du peu !
Dans le seul budget de l’État, hors missions « Plan de relance » et « Plan d’urgence », les dépenses dites « pilotables » étaient, dès le projet de loi de finances déposé en septembre dernier, en augmentation de près de 12 milliards d’euros, soit une hausse de 4,1 %, à périmètre constant, par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.
D’ailleurs, il est bon de le rappeler, monsieur le secrétaire d’État, parallèlement à la dérive des dépenses publiques de l’État, les collectivités locales, elles, ont fourni les efforts demandés, leurs dépenses n’ayant augmenté que de 0,9 % en volume.
Les efforts en dépense ont donc été totalement abandonnés par le Gouvernement, disais-je. Je pense par exemple à la réforme avortée des retraites, à la réduction des emplois publics ou encore aux contrats aidés, ressuscités après avoir été supprimés. La réforme de l’État est aujourd’hui au point mort ; il suffit, pour s’en convaincre, de voir ce qu’il est advenu des travaux d’Action publique 2022 ou de considérer l’absence totale de réflexion sur la relance de la décentralisation, alors que les Français plébiscitent les actions de proximité menées par les collectivités locales durant la crise, notamment par les communes.
Dès lors, qu’en est-il pour l’avenir ?
Il ne suffit pas de marteler, comme le fait Bruno Le Maire dans les médias, que « tout va bien », que l’économie repart et que l’on est parfaitement rassuré sur l’état de nos finances publiques ! De même, c’est une erreur que de croire que l’inscription dans la loi organique relative aux lois de finances d’un objectif pluriannuel de dépenses suffira à engager une véritable action de redressement des comptes publics et de maîtrise de la dépense.
Dans son programme de stabilité, le Gouvernement affiche, comme il l’a fait en 2017 au travers de la loi de programmation des finances publiques, une stratégie particulièrement ambitieuse, avec une croissance annuelle de la dépense primaire, hors mesures d’urgence et de relance et charge de la dette, fixée à 0,4 % par an en volume, entre 2022 et 2027.
Un tel résultat serait, en réalité, peu crédible, pour plusieurs raisons, mais notamment parce que nous n’avons aucune indication sur les moyens envisagés pour y parvenir.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quel est votre plan ? Quelle est la stratégie du Gouvernement ? Quelles sont les réformes qui pourraient vous permettre de tenir, cette fois-ci, votre objectif ? Comment croire à la capacité de votre majorité à maîtriser la dépense publique à l’avenir et à mener la véritable politique de réforme de l’État qui s’impose, alors que vous avez abandonné vos promesses du début du quinquennat ?
Pour y parvenir, évitez de contourner les corps intermédiaires – les assemblées d’élus et le Parlement, mais également les organisations professionnelles et syndicales –, parce que les Français attendent de vous le respect de vos engagements, pour aujourd’hui et pour la réussite de la France. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’on interrogeait les Français dans le cadre d’un micro-trottoir sur la situation des comptes publics et la réforme de l’État, trois éléments principaux émergeraient : une dette qui inquiète – personne ne le nie –, des impôts qui sont injustes et des services publics qui se dégradent.
La situation des comptes publics résulte d’un long processus et de tendances lourdes, et, puisque nous n’avons pas la possibilité de discuter du projet de loi de finances pour 2022, il est intéressant de s’interroger sur ces tendances.
D’où vient le fait que la majorité des Français pensent que les impôts sont injustes ? La suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés et, surtout, la suppression très fameuse, qui restera dans l’Histoire, de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) jouent certainement pour beaucoup…
Surtout, les Français pensent dans leur majorité que les impôts sont injustes parce qu’ils ont le sentiment d’en payer tout le temps et beaucoup, ce qui n’est pas faux, puisque, selon les données de l’Insee, les 10 % des ménages les moins fortunés contribuent aux prélèvements obligatoires à hauteur de 16,6 % de leur revenu, toutes taxes indirectes comprises, tandis que les 10 % les plus riches y contribuent à hauteur de 7,6 % de leur revenu. En d’autres termes, plus on est riche, moins on contribue à proportion de ses revenus.
Pourtant, la part de cet impôt dégressif est en augmentation continue dans le budget de l’État depuis près de trente ans. Selon la dernière enquête Dépenses et recettes des administrations publiques de l’Insee, en 2020, les impôts indirects représentaient 53 % des recettes de l’État en 1995, contre 60 % aujourd’hui, soit une augmentation de 13 % en volume. En d’autres termes, les recettes de l’État reposent de plus en plus fortement sur les ménages populaires et les classes moyennes. Cela devrait susciter des interrogations…
D’où vient l’augmentation de la dette ? Certainement du fait que les dépenses augmentent plus vite que les recettes – lapalissade… –, mais de quelles dépenses parle-t-on ? Quelles sont les dépenses qui augmentent et que l’on n’examine jamais ? Ce sont notamment les aides aux entreprises, qui sont passées, selon les chiffres de Bercy, de 60 milliards d’euros en 2006 à 140 milliards d’euros juste avant la crise. Nous sommes donc passés de 60 milliards à 140 milliards d’euros par an d’aides aux entreprises en quelques années… Il y a là de quoi s’interroger !
En outre, dans le même temps, entre 2001 et 2018, la contribution des entreprises au budget de l’État a baissé, selon les derniers chiffres de l’OCDE, de 64 %. On observe donc un mouvement de baisses massives des impôts des entreprises, d’autant que ces chiffres datent d’avant la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et de celui des impôts de production ; par conséquent, cette baisse est aujourd’hui encore plus importante.
Par ailleurs, parler de justice fiscale implique d’évoquer la différence majeure de pourcentage réel de contribution entre les petites entreprises et les grandes.
On peut se poser une autre question quand on parle de la réforme de l’État : celle de la manière dont la puissance publique contrôle l’effet de ses aides et veille à leur utilisation dans l’intérêt général, dans la lutte contre le chômage ou pour la transition écologique. Or un tel contrôle n’existe pas…
Ces aides sont attribuées au travers de plus de 2 000 niches ou aides spécifiques, dans un maquis gigantesque, avec des versements d’argent public, sans contrôle et sans capacité d’action réelle.
Il faut réhabiliter la dépense publique, mais non pas cette dépense-ci, qui est injuste. Les entreprises, notamment les petites, ont besoin d’aide pour la transition écologique ; les salariés et les précaires, aussi.
Il serait temps, dans notre pays, de réarmer l’État pour lui permettre de veiller à l’utilisation correcte et efficace de chaque denier, de chaque euro de dépense publique.
Dans la situation actuelle, on observe une situation de « deux poids, deux mesures » : on parle sans arrêt de contrôler chaque bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) à l’euro près, mais on ne parle jamais, au grand jamais, de vérifier ce que les multinationales font de l’argent public. Pendant ce temps, on observe des distributions de dividendes d’un côté et des suppressions d’emplois de l’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous parler de la réforme de l’État, même si cela n’a pas l’air de passionner grand monde ce soir…
Les débats relatifs à la réforme de l’État ont pour seule et unique finalité l’assainissement des comptes publics – c’est toujours vrai aujourd’hui –, comme si une réforme étatique ne pouvait être autre chose qu’une optimisation des coûts. Jean Rostand écrivait d’ailleurs : « Les mauvais effets d’une juste réforme ne condamnent point cette réforme, mais la société. »
Certes, il faut équilibrer les comptes de l’État, mais nous restons persuadés que cet unique objectif dévitalise la société dans ses rapports avec l’administration. Nous sommes las de ce discours réformateur, politiquement mobilisateur et électoralement rentable. Depuis 1980, nous endurons la démarche de « modernisation », de « démarche qualité » ou de « renouveau du service public », entamée avec la circulaire Rocard.
En 2007, la révision générale des politiques publiques (RGPP), confiée à des organismes privés, guidés avant tout par la satisfaction du client et non par celle du citoyen, a été menée sans concertation préalable et son bilan est pour le moins contrasté. Les fonctionnaires y ont vu, très majoritairement, un affaiblissement de l’État au bénéfice du secteur privé et une atteinte aux valeurs du service public ; en outre, les méthodes appliquées ont semblé arbitraires ou simplistes. Ensuite, après la timide « modernisation de l’action publique » sous François Hollande, voici, sous ce quinquennat, un énième plan, intitulé Action publique 2022.
On change chaque fois les vocables, les intitulés, les dénominations, mais l’objectif est constant depuis 2007 et peut être résumé en quatre points : réaliser des économies, s’engager dans la modernisation, tendre vers la simplification et, pour finir, concrétiser la proximité.
Emmanuel Macron, chef de projet, affirmait : « La mise en œuvre des réformes que nous préconisons permettra d’améliorer les comptes publics d’une trentaine de milliards d’euros à l’horizon 2022. »
Ces réformes auraient été justifiées par la demande des Français : amélioration de l’information et de l’accueil des usagers, simplification des procédures, développement des échanges électroniques – je pense que M. le secrétaire d’État en parlera –, mais comment répondre à ces aspirations si ce n’est avec un État moins centralisé, dans lequel la prise d’initiative et de responsabilité serait davantage valorisée et l’agent aurait des droits nouveaux d’intervention ?
Les fonctionnaires seraient « trop nombreux ». Tous les libéraux font campagne sur la réduction de leur nombre – il est vrai que nous sommes en période de primaires… –, mais personne n’y parvient : cela ne vous pose pas question ?
Toutes catégories confondues, hors contrats aidés, le nombre de fonctionnaires est passé de 5,26 millions en 2007 à 5,57 millions en 2021, soit une augmentation de 300 000 unités, pour 3,4 millions d’habitants supplémentaires sur la même période, ce que l’on oublie généralement de dire ! Donc la population croît et le nombre de fonctionnaires aussi ; c’est bien normal, car ceux-ci servent celle-là.
Ainsi, on nous vend un « nouveau monde » avec, une fois n’est pas coutume, de l’« ancien », avec l’annonce de la suppression de 120 000 emplois publics, dont 50 000 dans la fonction publique d’État, et on nous ressort les recettes de la RGPP avec la réforme de la rémunération des agents publics.
Pour ce gouvernement, la modernisation et la simplification de la relation entre État et usagers sont d’ailleurs associées au tout-numérique. Cette perspective constitue un basculement vers un État-plateforme, de l’aveu même de votre collègue Amélie de Montchalin, qui s’est exprimée sur ce sujet ici même, en évoquant « ce que l’État permettra à d’autres de faire grâce à des relations partenariales ».
L’objectif est clair : inventer des « services publics sans administration, auto-organisés par des communautés de citoyens prenant leur part de leur opération par leurs contributions et leurs interactions » écrivait Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État.
Le Conseil d’État a quant à lui évoqué « les conséquences disruptives pour le service public de l’émergence des plateformes numériques qui le concurrencent directement ».
Mes chers collègues, la réforme de l’État doit-elle forcément s’inspirer des méthodes du privé ? Le président veut « plateformiser » l’État, ce qui n’est pas étonnant : cela permet de minimiser les responsabilités d’un donneur d’ordre, de transférer les risques aux travailleurs et une partie des prérogatives des employeurs aux usagers.
C’est un coup triple pour le libéralisme, qui veut réduire les coûts, s’affranchir de ses responsabilités et achever de transformer le citoyen en client.
Une telle idée de la réforme contribue à saper l’État et le travail des fonctionnaires, qui sont confrontés à une perte de sens et d’expertise, le tout sans bénéfices pour les comptes publics.
Ce n’est pas notre vision de la réforme, ce n’est pas notre perception des services publics, et c’est encore moins notre définition de l’État.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre inattention ! Votre attitude est incorrecte !
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. N’avez-vous jamais regardé votre portable pendant que le ministre parlait ?
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous dis clairement, le groupe Union Centriste aurait bien entendu préféré que l’on puisse examiner les dépenses de ce budget 2022, en discutant concrètement les propositions budgétaires. J’en suis sûr, cela aurait attiré un bien plus grand nombre de nos collègues. Quoi qu’il en soit, je tiens à remercier et à féliciter tous ceux, qui, ce soir, se sont déplacés pour venir jusqu’ici.
Au cours de nos dernières discussions budgétaires, nous avons beaucoup parlé de l’évolution très forte du PIB. On s’est gaussé des chiffres : le Gouvernement avait prévu une augmentation 6 %, et, finalement, l’ensemble des observateurs ont revu à la hausse leurs prévisions de croissance pour cette année, puisque celle-ci approcherait les 7 %, ce qui pourrait laisser entendre un surcroît de recettes et l’apparition de cagnottes.
Le groupe Union Centriste l’a dit, il n’y aura pas de cagnotte. Il faut simplement que l’argent issu de la croissance vienne diminuer le déficit budgétaire de l’État, qui est extrêmement important, vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le rapporteur général.
M. Vincent Segouin. Abyssal !
M. Michel Canévet. Il sera de 143 milliards d’euros l’année prochaine.
Les crédits de certaines missions augmentent. Je pense notamment à la mission « Défense », qui connaît une hausse légitime de 1,7 milliard d’euros, conformément à la loi de programmation militaire que nous avons votée ici.
Je pense également à la mission « Enseignement scolaire », qui augmente également de 1,7 milliard d’euros. Certes, il s’agit d’une priorité de la Nation. Toutefois, le groupe Union Centriste considère qu’il est nécessaire de faire une revue de dépenses à cet égard. En effet, il n’est pas logique que des montants aussi significatifs – c’est le premier poste de dépenses de l’État, monsieur le secrétaire d’État – soient affectés sans que nous percevions au niveau des classements internationaux des résultats probants.
Si nous, les Bretons, pouvons nous prévaloir d’obtenir les meilleurs résultats aux examens nationaux, notamment au brevet des collèges et au baccalauréat, cela ne saurait constituer un motif de satisfaction pour nous. Nous souhaitons que l’ensemble des petits Français puissent apprendre dans les meilleures conditions et obtenir les meilleurs résultats.
Je pense encore à la mission « Engagements financiers de l’État », qui augmente de 1,5 milliard d’euros. Cela a été dit, nous sommes nombreux à être préoccupés de l’endettement de notre pays.
Vanina Paoli-Gagin a évoqué tout à l’heure la perspective de 115 %. À cet égard, rappelons-nous les critères de Maastricht au moment où nous avions institué, fort heureusement, la monnaie unique, à savoir l’euro. À l’époque, la dette publique maximale ne devait pas être supérieure à 60 % du PIB, tandis que le déficit public devait rester inférieur à 3 % du PIB. Aujourd’hui, nous sommes très loin de ces critères ! Il importe donc de prendre des dispositions.
Le groupe Union Centriste suggère d’instituer une règle d’or, car il n’est pas admissible de continuer à dépenser plus que ce que nous percevons. On ne peut indéfiniment augmenter la dette ! Rappelons-nous que Colbert, dont la représentation est située derrière le président et qui nous surveille tous ici, disait à Louis XIV : « Après les emprunts, il faudra les impôts pour les payer et si les emprunts n’ont point de bornes, les impôts n’en auront pas davantage. »
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
M. Michel Canévet. Par conséquent, ceux qui se disent sociaux-démocrates doivent y être bien attentifs : la maîtrise de la dépense publique est absolument nécessaire. Quant aux démocrates-sociaux, qui sont plutôt libéraux, ils pensent qu’il convient de revenir à l’orthodoxie budgétaire, c’est-à-dire à l’équilibre budgétaire.
La règle d’or doit pouvoir y concourir, par une augmentation des recettes, bien sûr, mais aussi par une bien meilleure maîtrise des dépenses. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, je ne veux pas fustiger le Gouvernement à cet égard. En effet, en 2009, le déficit de la France était de 138 milliards d’euros ; en 2010, il était de 148 milliards d’euros.
Nous devons donc tous balayer devant notre porte, la situation pandémique étant extrêmement grave.
Le débat porte également sur la réforme de l’État. Au nom du groupe Union Centriste, je veux saluer les efforts qui ont été faits par l’administration des finances publiques, qui dépend du ministère auquel vous êtes rattaché, monsieur le secrétaire d’État. Je pense notamment au prélèvement à la source et à la contemporanéisation d’un certain nombre de prestations. Par ailleurs, la refonte en cours du réseau des finances publiques montre bien qu’un effort sur les effectifs est possible. En la matière, le ministère des finances a montré l’exemple. Il importe qu’il soit suivi par le plus grand nombre.
Toutefois, il conviendra d’accroître les efforts concernant la lutte contre la fraude fiscale. Ce matin, la commission des finances s’est largement plongée sur la question des « CumEx Files » et des « CumCum Files », dispositifs visant à échapper à l’imposition sur les dividendes. Très clairement, nous avons besoin d’une politique proactive, pour éviter ces « événements » fiscaux et mieux lutter contre la fraude fiscale.
Dans le cadre de la réforme de l’État, sans doute convient-il de s’interroger sur ce qui doit effectivement être assumé par l’État. Le groupe Union Centriste estime que celui-ci doit se replier sur les fonctions régaliennes.
Ainsi, est-il nécessaire que l’État institue un pass culture et un Pass’Sport ? Est-il nécessaire que le ministère des sports subventionne les équipements sportifs neufs ? Cela ne relève-t-il pas, dans une France décentralisée, de la compétence des collectivités territoriales ? Si l’État ajoute sa propre politique à celle des collectivités territoriales, nous entrons dans un processus qui pourrait être considéré comme redondant.
Je pense également au domaine économique. Tout à l’heure, dans le cadre des questions d’actualité, le Gouvernement a été interpellé au sujet d’un problème que rencontre une entreprise en Aveyron. Il convient également d’interroger la région, qui est compétente en matière économique. Pourquoi se retourne-t-on systématiquement vers l’État en pareil cas ?
Je souhaite également évoquer la question des crédits d’impôt, qui doivent être revus. Le groupe Union Centriste estime qu’il faut être le plus mesuré possible en la matière.
Ainsi, pour ce qui concerne les dons aux associations, pourquoi l’essentiel de l’effort pèse-t-il sur l’État ? Le taux de réduction d’impôt pour dons est passé, pour un certain nombre de cas, de 66 % à 75 %. Je pense notamment aux dons pour Notre-Dame de Paris. L’effort doit être partagé ! Un taux de 50 % paraîtrait plus logique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise structurelle que connaît notre système de santé depuis plusieurs années a été aggravée par la crise conjoncturelle de la covid-19. Elle a mis en lumière ce que soignants et élus dénonçaient depuis déjà trop longtemps : malgré les réformes successives engagées, nous faisons face à la nécessité d’une transformation en profondeur de notre système de soins.
L’examen du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) pour 2022 a été l’occasion de constater, pour la deuxième année consécutive, une aggravation sans précédent des comptes de la sécurité sociale. Celle-ci a enregistré en 2020 le plus lourd – et de loin – déficit de son histoire : il atteint près de 40 milliards d’euros sur l’ensemble des régimes obligatoires de base. C’est 10 milliards d’euros de plus que le précédent record, qui datait de 2010, au plus fort de la crise financière qui avait débuté en 2008. Et pour cause ! La crise de la covid a engendré une perte colossale des recettes, accompagnée d’une augmentation tout aussi colossale des dépenses de santé.
Le déficit sera encore de 35 milliards d’euros cette année, et devrait malheureusement se pérenniser à un niveau très élevé.
L’État a joué son rôle d’amortisseur et de protecteur durant la crise. Il était impensable de ne pas agir en conséquence, même si cela signifiait que le retour à l’équilibre des comptes sociaux s’éloignait durablement. Le « quoi qu’il en coûte » a été salutaire, et il n’est pas question ici de le remettre en cause.
Néanmoins, notre rôle de législateur, mais aussi d’élus locaux et, pour ma part, de médecin nous engage à voir plus loin : il faut reconstruire dès aujourd’hui une trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux. Pour ce faire, il convient de prendre la mesure de l’ampleur des déséquilibres actuels.
Les dépenses de l’assurance maladie ne sont pas, comme dans le budget général de l’État, des dépenses d’investissement : il s’agit de dépenses de répartition, qui doivent donc être équilibrées. C’est pourquoi la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, financée par un impôt spécifique, a été créée pour rembourser la dette de la sécurité sociale. Or, en 2021, pour 1 000 euros dépensés dans la branche maladie, 130 euros sont financés par de nouvelles dettes à la charge des générations futures.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une telle situation, d’autant que les dépenses de santé continueront probablement continuer à augmenter. D’une part, la crise sanitaire s’installe dans la durée ; d’autre part, nous avons engagé, dans le cadre du Ségur, des revalorisations pour les soignants et des dépenses d’investissement. Bien qu’indispensables et urgentes, elles représentent près de 40 % des dépenses supplémentaires en 2022. Enfin, les nouveaux traitements, plus ciblés et plus innovants, coûtent naturellement beaucoup plus cher.
Sur ces sujets, il est impensable de revenir en arrière : la France doit permettre à tous les patients d’accéder au meilleur traitement et aux soignants de travailler dans les meilleures conditions.
Il faudra donc faire des économies, mais pas en matière de qualité des soins et pas n’importe comment.
Dans un premier temps, il nous faut mieux évaluer nos politiques de santé. Cela passe par un PLFSS réformé, comme nous l’avons voté il y a quelques semaines. Cela passe aussi, de l’avis général du Sénat, par un recentrage de la sécurité sociale sur ses missions premières. Ainsi, le transfert, en 2020, de Santé publique France à l’assurance maladie a considérablement plombé les comptes de la sécurité sociale. Il n’est pas normal que l’État ne compense pas ce transfert à son coût réel, mettant encore plus en difficulté les comptes sociaux.
Dans un second temps, il faut sans doute lutter davantage contre la fraude, car il n’y a pas de petites économies. La gestion des dépenses doit aussi passer par un effort sur la réduction des soins redondants, l’efficience des soins, leur gradation en fonction des besoins individuels, la généralisation du dossier médical partagé et la facilitation du maintien à domicile.
Enfin, les recettes de la sécurité sociale ne peuvent plus reposer exclusivement sur le travail. Il nous faudra inventer d’autres sources de financement, sans quoi chaque nouvelle crise fera de nouveau plonger durablement nos comptes sociaux dans le rouge. Nous avons besoin d’un financement pérenne pour que cette instabilité cesse de peser comme une menace sur notre système de soins, et pour ne pas transmettre cette charge aux futures générations.
Nous avons beaucoup entendu parler du projet de « grande sécu », notamment par la voix du ministre de la santé, qui teste sans doute ce sujet en vue de la campagne électorale.
L’idée est lancée, le débat est ouvert. Il s’agit d’une prise en charge intégrale par l’assurance maladie obligatoire d’un panier de soins aux prix encadrés. Les complémentaires seraient cantonnées à rembourser les actes médicaux aux tarifs libres ou, par exemple, les frais de chambre individuelle. Ce seraient des cotisations et des frais de gestion en moins pour les ménages, mais cela représenterait tout de même 22,4 milliards d’euros de charges supplémentaires pour les finances publiques, soit une augmentation d’environ 1,5 point de CSG.
Je n’ai pas de solution toute trouvée, mais j’ai la conviction qu’un tel débat est indispensable. À l’aube de l’élection présidentielle, une refonte plus structurelle et plus durable est à construire. (M. Jean-François Husson applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le secrétaire d’État, en parfaite concertation avec M. le rapporteur général, qui a évoqué les comptes publics, je m’intéresserai pour ma part à la réforme de l’État.
Je m’attacherai à revenir sur les trois points défendus par le Président de la République, à savoir la réduction du nombre d’agents publics, la fin des grands corps et la dématérialisation et la simplification des démarches administratives. Je suis sûre que ce dernier point vous passionnera, dans la mesure où je l’ai choisi spécialement pour vous, monsieur le secrétaire d’État. (Sourires.)
S’agissant de la réduction du nombre d’emplois publics, la promesse n’a pas été tenue. En effet, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé 120 000 emplois en moins sur la durée du quinquennat, soit 24 000 emplois par an, 10 000 emplois pour l’État et 14 000 pour les collectivités locales.
En juillet 2021, avec lucidité, le ministre délégué chargé des comptes publics annonçait que l’objectif de suppression était abandonné, au profit d’un objectif de stabilité de l’emploi de l’État pour la durée du quinquennat. Et cette « stabilité » doit encore être examinée en détail !
Dans le même temps, les dépenses de personnels de l’État ont fortement augmenté. Entre le PLF 2021 et le PLF 2022, elles croissent de 3,4 %. Quant aux dépenses de personnels des collectivités locales, elles ne sont pas en reste et connaissent une hausse continue de la masse salariale depuis 2018.
Si l’objectif n’a pas été rempli, c’est certainement parce que la méthode n’était pas la bonne. Permettez-moi de reprendre l’analyse de l’historien Émilien Ruiz, tirée de son livre Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française. Depuis les années 1980, les politiques expliquent qu’il faut réduire le nombre de fonctionnaires pour des raisons budgétaires, à la différence des époques antérieures, où la réduction du nombre des fonctionnaires se fondait sur une vision selon laquelle l’État n’avait pas à intervenir dans l’éducation, le social ou l’économie. Ainsi, la stratégie de réduction ne s’accompagne plus d’une volonté de repenser l’action de l’État.
Ce rôle incombe aux hauts fonctionnaires que votre gouvernement semble avoir pris en grippe. Souvenez-vous de ces mots, prononcés en 2015 par Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d’État : « Il nous faut ainsi revenir aux sources de l’intérêt général, qui n’est pas un mot creux, mais le ciment de notre société. Les hauts fonctionnaires doivent contribuer à le promouvoir, mais aussi à l’actualiser et à hiérarchiser les actions qui s’y rattachent. C’est un devoir qui s’impose à eux, même si le dernier mot ne saurait leur appartenir. »
Il poursuit : « Il nous faut mieux conjuguer le court et le long terme et constamment relier l’action immédiate à une vision prospective et stratégique des politiques à conduire. Les exigences de l’action ne sauraient conduire à négliger les enjeux de moyen et long terme. Si les hauts fonctionnaires l’oublient, qui s’en chargera ? »
Je me limiterai à la citation de ces mots puissants pour évoquer la réforme de la haute fonction publique, sur laquelle le Sénat a déjà largement exprimé son mécontentement, tant sur la forme que sur le fond.
Réformer la haute fonction publique sans s’attaquer aux 483 taxes, impôts et cotisations, aux 3 500 pages du code du travail et aux 400 000 normes revient à donner un coup d’épée dans l’eau.
J’en arrive à mon dernier thème, celui de la numérisation de l’État.
Le programme du candidat Emmanuel Macron était très ambitieux, puisque l’objectif fixé était de pouvoir réaliser 100 % des démarches administratives en ligne à l’horizon 2022.
Le programme Action publique 2022 dressait le constat fort juste que « le numérique […] permet de remplir conjointement [les] deux objectifs [d’un meilleur service public et d’une diminution des dépenses de fonctionnement] et c’est ce qui change […] par rapport aux exercices précédents de réforme de l’action publique ».
Sur les 242 démarches phares de l’État recensées par le Gouvernement, 40 ne sont pas encore totalement réalisables en ligne.
J’ai constaté que l’éducation nationale et la justice étaient particulièrement en retard. J’ai noté également que la plateforme voxusagers.gouv.fr, qui permettait voilà quelques mois aux usagers de raconter leurs expériences et de donner leur avis sur le service public, a tout simplement disparu. Désormais, ce lien renvoie au site de l’Observatoire du numérique. C’est dommage : la lecture des expériences des usagers était parfois édifiante, et on ne peut qu’imaginer les commentaires qui auraient été publiés sur les deux bugs qu’a connus la CAF, l’un au mois d’octobre, dont les conséquences ont été relativement graves en matière de divulgation de données personnelles, l’autre aujourd’hui même…
M. Jean-François Husson. Le Gouvernement n’aime pas les reproches…
Mme Christine Lavarde. Dans le Digital Economy and Society Index pour 2021 réalisé par la Commission européenne, si notre pays obtient de très bons résultats dans les domaines des données ouvertes et des services numériques aux entreprises, sa performance en matière de services numériques aux citoyens est inférieure à la moyenne européenne – et je ne parle pas de sa performance pour ce qui est du nombre de formulaires préremplis : pour le coup, elle se révèle parfaitement médiocre…
Bien souvent hélas ! la numérisation n’a pas été synonyme de simplification : sauf exception, l’occasion qui était offerte de repenser la politique publique ou la manière dont elle est administrée n’a pas été saisie. Un seul exemple : essayez de faire une demande de carte grise en France et faites de même en Finlande… Vous constaterez par vous-même !
La simplification et la lisibilité ne sont pas les maîtres mots de la gouvernance de la politique du numérique. Sur la thématique des contenus en ligne, on recense pas moins de cinq acteurs publics : observatoire de la haine en ligne, plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), numéros dédiés au harcèlement et au cyberharcèlement, délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, service, dit Viginum, de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères.
Et malgré l’existence d’un secrétaire d’État – vous-même –, les compétences sont éparpillées dans la sphère étatique : Direction interministérielle du numérique, Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, service numérique de la direction générale des entreprises, ambassadeur pour le numérique.
Il me semble donc qu’il est possible, dans ce secteur, de gagner en efficacité et en efficience.
Trois grands chantiers restent ouverts.
L’inclusion numérique, tout d’abord, est largement perfectible. En la matière, la France a même rétrogradé, glissant, entre 2017 et 2020, de la neuvième à la douzième place du classement établi par la Commission européenne. C’est un recul des gouvernements socialistes qui est ici en cause : des mesures avaient été annoncées en 2012 par le gouvernement Fillon, avant d’être abandonnées.
M. Jean-François Husson. Et voilà !
Mme Christine Lavarde. Quant à votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, il a attendu deux ans, septembre 2018, pour présenter une stratégie, initialement privée de moyens. Heureusement, le plan de relance est passé par là ; quid, néanmoins, de la pérennité de ces crédits ?
Ayons tous à l’esprit les propos de Mme la secrétaire générale du Secours populaire français : « Ce n’est pas par les ordinateurs que vous allez résoudre les problèmes des gens ! »
Il conviendrait, ensuite, d’instaurer une identité numérique ; Amélie de Montchalin est revenue sur ce thème, jeudi dernier, devant la délégation sénatoriale à la prospective.
Dernier sujet, mais pas des moindres : celui de la constitution d’un cloud souverain. Le 18 octobre dernier, plusieurs start-up françaises ont décidé de lancer leur propre initiative, contredisant le Président de la République qui, lors de la présentation du plan France 2030, estimait impossible pour la France de se doter d’un cloud totalement souverain d’ici cinq ans. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « figer l’État, c’est supprimer l’espérance, c’est supprimer l’action. […] Si l’on se risquait à caractériser l’État d’aujourd’hui, on ne le pourrait qu’en introduisant […] l’idée de mouvement ».
Ces propos de Jaurès définissent parfaitement l’enjeu qui est celui de la réforme de l’État : conserver une capacité d’action, c’est-à-dire préserver les moyens qu’exige la mise en œuvre des politiques publiques. La réforme de l’État ne saurait ainsi être considérée sous le seul prisme des comptes publics.
De surcroît, comme le souligne justement Jaurès, réformer est un mouvement permanent ; cela prend du temps. Nous constatons actuellement les conséquences néfastes de réformes brutales conduites dans le seul but de réduire la dépense publique.
Un des exemples les plus marquants en est incontestablement la RGPP, dont la volonté affichée de modernisation de l’État a été totalement éclipsée par l’impératif financier de réduction de ses dépenses. Cette réforme, qui a opéré des réductions massives d’emplois publics à force de réorganisations de différents services, n’a pas pour autant redéfini les missions de l’État ni empêché la dépense publique de continuer d’augmenter.
Est-ce à dire qu’il ne faut pas réformer l’État ? Absolument pas ! Les services publics doivent nécessairement s’adapter pour répondre aux besoins de la population.
Ces dernières années, en effet, tout a changé. Grâce à l’informatique, de nouveaux services de démarches en ligne simplifient les demandes administratives des usagers. Il en est ainsi de la dématérialisation des titres sous l’égide de l’Agence nationale des titres sécurisés.
Cette évolution, quoique souhaitable, doit néanmoins s’assortir de moyens humains.
Les systèmes d’information et les logiciels nous permettent de gagner un temps précieux dans nos démarches. Cependant, nous devons faire en sorte qu’ils restent des outils au service des citoyens et des agents du service public, afin d’éviter que bon nombre de Françaises et de Français, singulièrement les plus fragiles, ne soient laissés de côté.
En zone rurale, le développement des maisons France Services pour pallier la fermeture de nombreux services publics, les trésoreries notamment, peine encore à répondre aux besoins des élus et des populations. Si ces structures permettent d’accéder à certaines démarches administratives, l’accompagnement humain n’est pas à la hauteur des enjeux. Les écrans et les systèmes d’information, censés faciliter les démarches des citoyens, s’apparentent parfois à des barrières numériques.
Garantir l’accès aux services publics de proximité, c’est lutter contre la fracture numérique, c’est renforcer le maillage territorial, c’est préserver la présence d’agents sur le terrain. Et c’est surtout s’en donner les moyens !
Réformer pour réformer, sans définir clairement les enjeux, n’a pas de sens.
La mère de toutes les réformes de l’État est bien celle qui permet d’assurer l’égal accès aux services publics en tout point du territoire.
Il revient aux gouvernements, quels qu’ils soient, de mener cette réforme afin de garantir l’équité territoriale et la cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions sur un sujet qui est évidemment au cœur des préoccupations des Français. Je tiens à excuser l’absence du ministre Olivier Dussopt, qui est en déplacement à l’étranger.
Vous avez été plusieurs à évoquer le déséquilibre des comptes publics. Je m’attacherai, pour commencer, à y revenir.
Le Gouvernement est toujours resté fidèle au principe de sérieux budgétaire, qui n’a cessé de guider son action. C’est d’ailleurs – je me permets une rapide exégèse historique – grâce au sérieux de cette gestion que nous avons pu faire face à la crise. Je rappelle qu’au début de ce quinquennat nous avons ramené le déficit à un niveau, 2,3 % en 2018, que notre pays n’avait plus connu depuis près de vingt ans. Ce résultat a été obtenu grâce à une bonne maîtrise de la dépense publique. Celle-ci n’a augmenté que de 0,8 % en volume sur la première partie du quinquennat, le ratio de dépenses publiques diminuant, en parallèle, de 1,5 point de PIB.
Cette gestion sérieuse nous a permis de faire baisser les impôts des Français et des entreprises : nous avons ramené le taux de prélèvements obligatoires à un niveau que nous n’avions pas connu depuis plus de vingt ans.
Grâce à ces bons résultats, nous avons réussi à soutenir massivement notre économie, notamment pendant la crise.
J’aimerais à cet égard souligner que la stratégie économique du Gouvernement a rendu possibles le rebond de notre économie et, par conséquent, la réduction du poids du déficit et de la dette sur notre PIB. Cette réussite s’illustre très clairement dans le projet de loi de finances pour 2022 adopté par le Parlement voilà quelques jours.
La politique de l’État a été couronnée de succès, la prévision de croissance pour 2021 ayant été rehaussée à 6,25 % – chacun, sur ces travées, s’en réjouira. La France affiche ainsi la deuxième progression de croissance la plus forte dans l’Union européenne cette année ; c’est également le pays européen dont le taux de croissance devrait être le plus élevé en 2021. Notre acquis de croissance à la fin du troisième trimestre est en effet le plus important parmi les pays de la zone euro dont les données sont disponibles. Les perspectives macroéconomiques françaises s’améliorent à tel point que nous avons dû récemment – je l’ai dit – relever notre prévision de croissance à 6,25 % au lieu de 6 % dans le texte initial du PLF 2022. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je poursuis, sous les vivats de la foule (Mme Christine Lavarde ainsi que MM. Jean-François Husson et Vincent Segouin s’exclament.) : alors que la crise économique et sanitaire a nécessité une mobilisation sans précédent, notre action ciblée sur les entreprises et les ménages a bel et bien porté ses fruits. L’économie repart ! Le scénario macroéconomique modifié sur cette base, les recettes de l’État s’en trouveront mécaniquement accrues, pour l’exercice 2021 comme pour l’exercice 2022.
Il y a là autant d’indices qui viennent confirmer l’efficacité de la politique de soutien et de relance du Gouvernement et notre capacité à rétablir l’équilibre de nos comptes publics. La croissance réduit en effet mécaniquement le déficit public et la dette publique rapportés au PIB par comparaison avec nos prévisions antérieures.
Par ailleurs, monsieur Savoldelli, le respect étant bilatéral et dans la mesure où vous m’interpellez sur mon manque d’attention, je me permets de vous retourner le compliment.
M. Pascal Savoldelli. Je bois vos paroles !
M. Cédric O, secrétaire d’État. C’est comme pour M. Zemmour : le respect, c’est bilatéral. Quand on demande le respect, on montre du respect.
M. Pascal Savoldelli. Allons, je vous écoute, je n’ai pas bougé !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Non, vous bavardez, monsieur Savoldelli.
Le déficit en 2021 sera cohérent avec l’objectif de 5 % du PIB en 2022 que nous nous étions fixé. De même, nous estimions, au printemps dernier, que notre dette atteindrait 117,8 % du PIB en 2021 et 116,3 % en 2022 ; elle sera plutôt, en définitive, de 115,3 % du PIB en 2021 et de 113,5 % en 2022.
Ces chiffres confirment ce que nous avons toujours dit depuis le début de la crise : c’est avant tout par la croissance que nous parviendrons à maîtriser nos comptes publics.
M. Jean-François Husson. On en reparlera !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Outre ces réussites en matière de conjoncture économique, l’année 2021 est aussi celle de la maîtrise et de la normalisation budgétaires.
Nous avons en premier lieu annulé, pour 2021, les excédents de crédits mobilisés pour financer des besoins apparus au cours de l’année, notamment du fait de l’utilisation de la réserve de précaution.
M. Jean-François Husson et Mme Christine Lavarde. Ce n’est pas ce qui s’est passé !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous avons également annulé, dans le dernier projet de loi de finances rectificative, plus de 2 milliards d’euros de crédits de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », conformément à notre calendrier de sortie progressive des aides d’urgence. C’est une bonne nouvelle, qui laisse présager que bientôt nous laisserons la crise loin derrière nous et que 2021 sonne la fin du « quoi qu’il en coûte ».
Deuxièmement, l’exécution des dépenses sur les budgets ordinaires des ministères en 2021 sera conforme au niveau prévu en loi de finances initiale, à l’exception de quelques compensations de pertes de recettes liées à la crise sanitaire et de la mise en œuvre de l’indemnité inflation.
Le troisième marqueur fort de la dynamique de normalisation budgétaire que nous engageons concerne le niveau des dépenses totales de l’État, qui sera en baisse par rapport aux prévisions de la première loi de finances rectificative pour 2021.
La maîtrise de nos comptes publics passe aussi par des outils renouvelés. J’aimerais à cet égard revenir sur la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, que vous avez récemment adoptée. Vous vous êtes en effet entendus avec les députés sur ce texte proposé par Laurent Saint-Martin et Éric Woerth instituant un encadrement pluriannuel de la dépense publique. Les dispositions qu’il contient me semblent aller tout à fait dans le sens d’une meilleure maîtrise des dépenses publiques, dont la visibilité de long terme est une des composantes.
Je souhaite par ailleurs revenir sur la réforme de l’État promue par les gouvernements successifs depuis 2017. Au-delà des enjeux budgétaires, en effet, le Gouvernement s’attache à dessiner une vision d’ensemble quant aux finalités de l’action publique. Telle est la raison qui a présidé à la création, voilà un an et demi, d’un ministère de plein exercice, le ministère de la transformation et de la fonction publiques, confié à Amélie de Montchalin.
Cette transformation s’inscrit dans une perspective claire : construire l’État de demain, celui d’une action publique plus proche, plus simple et plus efficace.
Réformer l’État, tout d’abord, c’est répondre sans ambiguïté à la question de son utilité et de son impact. L’État n’est pas une machine bureaucratique tournée sur elle-même, sur ses fonctionnaires et sur les normes qu’ils édictent. L’action publique a pour moteur les conséquences concrètes qu’elle a sur la vie des Français.
Au-delà de l’indispensable transparence, que nous avons renforcée via le baromètre des résultats de l’action publique en ligne sur le site du Gouvernement, nous avons instauré un réel pilotage des politiques publiques par l’impact et les résultats plutôt que par les référentiels administratifs, juridiques ou budgétaires, ce qui permet à la sénatrice Lavarde de nous juger sinon sur place, du moins sur pièces ! (Sourires.)
Il y va d’une transformation plus profonde qu’une simple réforme organisationnelle de l’État ou qu’un exercice de révision générale des politiques publiques, comptables et budgétaires.
Cette transformation, ensuite, c’est la réforme de l’État territorial, qui rapproche l’État des citoyens et renforce les moyens des territoires pour des réponses adaptées aux besoins de chacun.
Dans cette transformation, le préfet occupe bien sûr – vous le savez mieux que quiconque – une place centrale : il est celui qui pilote une action interministérielle unifiée et cohérente et une vision stratégique du territoire appuyée et renforcée par l’expertise nationale.
Nous avons pour la première fois instauré une feuille de route interministérielle pour chaque préfet de département et chaque préfet de région, signée par le Premier ministre, coconstruite avec chaque préfet et avec l’ensemble des services de l’État. C’est là une réelle responsabilisation des services déconcentrés.
En contrepartie de cette responsabilisation, nous avons engagé un réarmement de l’État territorial en lui offrant davantage de compétences, d’expertise et d’ingénierie, ainsi que des marges de manœuvre en matière budgétaire et de ressources humaines.
M. Jean-François Husson. Il faut expliquer…
M. Cédric O, secrétaire d’État. Ce gouvernement met par ailleurs fin – enfin ! – à douze années d’appauvrissement de nos services déconcentrés au profit de nos administrations centrales. Nous faisons basculer le pouvoir de décision et les ressources au plus près du terrain, jusqu’à l’application de la norme. C’est à cette fin que nous avons autorisé les préfets à déroger à une norme nationale pour exercer leurs compétences au niveau local.
Il y a là, au sens propre, une révolution de l’action publique, qui sera désormais moins tournée vers la norme et davantage vers le résultat. Moins centralisée et plus proche du terrain, elle devient plus ouverte sur la société, plus bienveillante, accessible. Ces transformations sont issues de la conviction selon laquelle l’action de l’État doit répondre aux préoccupations locales.
Si l’État, donc, devient plus accessible, c’est aussi grâce à l’ensemble de notre action en matière de simplification des démarches administratives – nous aurons l’occasion d’y revenir, si vous le souhaitez, au gré des questions.
Quant à la réforme de la haute fonction publique portée par Amélie de Montchalin, elle contribue profondément à rebattre les cartes. Cette réforme doit refonder la formation, la carrière, le métier des hauts fonctionnaires ; on partira désormais d’une expérience opérationnelle et territoriale avant de construire des normes et des orientations nationales depuis Paris. Se trouve favorisé, dans le même temps, le développement d’une culture commune entre administrateurs, forces de sécurité, militaires, magistrats, hospitaliers.
Bref, il s’agit d’une réforme ambitieuse qui participe pleinement de la transformation de l’action publique au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le secrétaire d’État, si la présence de l’État en zone rurale est essentielle pour garantir à nos concitoyens l’accès aux services publics, la mise en œuvre de cette présence au travers de l’organisation territoriale de l’État n’en pose pas moins question.
La création des maisons labellisées France Services permet de conserver un accès aux services publics. Il faut cependant rappeler que ces structures sont essentiellement portées, aux deux tiers, par les collectivités territoriales et par d’autres acteurs tels que La Poste. Elles regroupent en leur sein différents services, comme les trésoreries, et des permanences de la CAF, la caisse d’allocations familiales, ou de la caisse locale de l’assurance maladie y sont assurées.
L’État n’est que bien peu présent : moins de 5 % des 1 745 structures labellisées France Services sont portées directement par l’État.
Pourtant, l’ambition initiale du Gouvernement était de couvrir tous les cantons à l’horizon de 2022. Force est de constater que pour le moment le compte n’y est pas, en ce qui concerne notamment la transformation prévue d’une centaine de sous-préfectures en maisons France Services. À l’heure actuelle, seules 21 sous-préfectures sont labellisées et 13 en cours de labellisation.
J’ajoute qu’était prévu également le financement de deux emplois permanents par maison. Là encore, l’État n’y met pas les moyens nécessaires : avec la dotation annuelle de 30 000 euros allouée au fonctionnement de chaque maison France Services, on est loin du compte.
La crise sanitaire a mis en lumière, si besoin en était, la nécessité de réaffirmer la présence forte de l’État aux côtés des collectivités territoriales. Au-delà des engagements pris en la matière, l’État compte-t-il se donner les moyens de répondre aux besoins et aux enjeux de présence des services publics dans les territoires ruraux ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice Briquet, sur les maisons France Services, je veux dire plusieurs choses.
Tout d’abord, nous assumons complètement que ces maisons soient déployées en collaboration avec les collectivités territoriales et pilotées avant tout par ces dernières. Il me semble qu’on ne saurait dans le même temps reprocher à l’État d’être insuffisamment décentralisateur – des questions en ce sens me seront peut-être posées dans la suite du débat – et considérer que ces services publics, qui sont l’essence même de la proximité et à ce titre relèvent du savoir-faire des collectivités territoriales, devraient être gérés par l’État.
Qu’un débat puisse avoir lieu sur le niveau de financement, c’est entendu. Vous l’avez vous-même dit, madame la sénatrice : un effort extrêmement important est consenti par l’État, en matière de financement, bien sûr, mais aussi d’organisation, de back office, pour le dire en bon français, de formation, via la Banque des territoires, de mise à disposition d’un certain nombre d’outils, d’agrégation de l’ensemble des services publics, avec la réorganisation que cela suppose.
Il nous semble logique, et de bonne politique partenariale avec les collectivités territoriales, que l’extrême majorité de ces maisons France Services soient portées par lesdites collectivités.
Songez au domaine qui me concerne tout particulièrement, à savoir le numérique : qu’il s’agisse des conseillers numériques France Services, qui sont financés par l’État et recrutés par les collectivités territoriales, ou du déploiement de la fibre, qui est financé par l’État et opéré par les collectivités, le défi que nous relevons est bien toujours de rapprocher les services publics et de les agréger en un même endroit pour mieux servir nos concitoyens.
Quant à savoir qui est le mieux placé lorsqu’il est question de proximité, je le répète, ma conviction est que les collectivités territoriales sont mieux placées que l’État.
M. Jean-François Husson. Mais c’est le financement, le problème !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. J’entends bien, monsieur le secrétaire d’État. Néanmoins, sur cet aspect des choses, l’État avait pris des engagements, notamment sur les sous-préfectures et sur l’accompagnement financier.
M. Jean-François Husson. Voilà !
Mme Isabelle Briquet. Comme cela vient d’être dit, 30 000 euros ne suffisent pas, puisque cela ne correspond pas à deux équivalents temps plein. De nombreux services publics ont fermé : je parlais tout à l’heure des trésoreries.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Isabelle Briquet. Le sentiment d’abandon gagne du terrain, alors que la présence de l’État aux côtés des collectivités locales est fondamentale pour la cohésion nationale, qu’il faut à tout prix préserver. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le secrétaire d’État, comme nous sommes dans un débat sur la situation des comptes publics, je voulais vous interroger sur la structuration de la dette française. Plus précisément, je souhaite que vous nous indiquiez à qui appartient la dette.
Depuis des dizaines d’années, la France emprunte, en général, sur les marchés financiers. De ce fait, une part importante de la dette, qui a atteint les 70 % du total, est détenue par des opérateurs étrangers – on dit des non-résidents dans le jargon –, c’est-à-dire des fonds de pension, des groupes d’assurances, etc.
À la suite de la crise de ces dernières années, les choses ont quelque peu évolué : il faut bien le reconnaître, la Banque centrale européenne est extrêmement active, et le balancier est revenu à peu près à l’équilibre, puisque cette part est désormais proche des 50 %.
Sur ce point, la France et certains pays européens diffèrent de plusieurs autres pays : une grande partie de la dette du Japon, des États-Unis ou du Royaume-Uni est détenue par des opérateurs nationaux.
Or chacun comprend bien que, le jour où il y a un problème, il est beaucoup plus simple d’aller discuter avec une banque ou un groupe d’assurances français qu’avec quelqu’un qui est à l’autre bout du monde !
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il une stratégie en la matière ? Réfléchissez-vous à lever de la dette auprès d’opérateurs de groupes français ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Verzelen, permettez-moi tout d’abord de rappeler par qui la dette française est aujourd’hui détenue. Comme vous l’avez dit, il y a quelques années, seulement 30 % de la dette était détenue par des Français ; cette proportion est passée à peu près à 50 %, ce qui est une forme de rééquilibrage.
On estime qu’environ un quart de la dette est actuellement détenu par des investisseurs étrangers situés en zone euro ; un quart est détenu par des investisseurs situés hors zone euro, au nombre desquels les grandes banques centrales étrangères ; un quart est détenu par des investisseurs français ; un quart par la Banque de France – cette dernière part ayant progressé.
On ne peut pas vraiment comparer la situation des Américains ou des Japonais avec la situation française. En effet, ces deux peuples ont un système de retraite par capitalisation. La très grande puissance financière de ces pays est liée à ce choix, qui leur procure des montants de financement extrêmement importants à placer sur les marchés financiers, ce qui profite à leur dette nationale.
Nous avons fait un choix différent – que nous ne regrettons en aucun cas.
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas vous qui l’avez fait !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Disons alors, monsieur le rapporteur général, que nous avons fait collectivement un choix différent.
M. Jean-François Husson. Et la réforme des retraites ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cela nous place dans la nécessité de développer la détention par les Français de leur propre dette.
La détention par des nationaux a parfois des effets contre-productifs en matière de taux d’intérêt. La dette italienne, par exemple, davantage détenue par des nationaux que la nôtre, s’échange à des taux d’intérêt plus élevés que les nôtres, ne serait-ce que parce que la compétition est moindre.
J’ajoute qu’un étranger qui détient de la dette française ne possède aucun pouvoir sur la France, si ce n’est celui d’être remboursé. Toute la question de la soutenabilité, et de l’influence éventuelle de détenteurs étrangers, renvoie à la dynamique de la dette et de sa réémission – et donc à la nécessité de réduire le déficit public.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Monsieur le secrétaire d’État, les prélèvements obligatoires atteignent 43,5 % du PIB, et la dépense publique, 55 %. L’écart est financé par la dette, qui atteint aujourd’hui presque 115 % du PIB. Les intérêts de la dette sont le troisième budget de l’État, avant la justice, et ce avec des taux d’intérêt très faibles ! Jusqu’à quel niveau de dette pouvons-nous aller avec le taux actuel ? Si ce taux augmente, quelle sera la nouvelle durée ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je crois qu’il est absolument impossible de vous répondre en deux minutes ! Quel est le niveau maximal de dette soutenable ? Votre question fait l’objet de nombreux débats en macroéconomie.
Nous évoquions tout à l’heure le cas du Japon, dont la dette publique atteint les 200 % du PIB, sans que personne s’interroge sur sa soutenabilité à long terme… Si l’on examine une économie de la puissance de celle des Américains, ou même l’action de la Banque centrale européenne, la réponse à la question de la soutenabilité de la dette est loin d’être évidente.
D’ailleurs, à mon avis, compte tenu de l’évolution des marchés financiers, la dynamique est probablement plus importante que le stock. C’est pourquoi il est absolument indispensable que nous revenions, après la crise et à la fin du « quoi qu’il en coûte », dans une dynamique de réduction de la dette.
Nous étions dans une telle dynamique entre 2017 et 2019. Je vous concède que nous n’avons pas totalement tenu les prévisions annoncées en 2017. Vous me concéderez en retour que la situation économique a joué…
De même, je ne suis pas certain que le président Sarkozy ait totalement respecté ses prévisions entre 2007 et 2012, car la situation avait aussi quelque peu changé au cours de la période !
Bref, ma réponse est assez simple : je n’en ai aucune idée. Les économistes se disputeraient pendant très longtemps sur votre question. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il faut réduire la dette !
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.
M. Vincent Segouin. Monsieur le secrétaire d’État, vous comparez notre dette à celle du Japon. Mais cette dernière est intégralement détenue par les Japonais ! Vous nous comparez aux États-Unis. Mais les transactions se font en dollars… Nous, en Europe, nous devons nous comparer à l’Allemagne, dont la dette ne représente que 68 % du PIB, contre près de 115 % pour nous.
Demain, nous nous ferons dicter la loi. C’est déjà le cas d’ailleurs : quand nous avons négocié la dette européenne, l’Allemagne a commencé à nous dire qu’il fallait réformer nos retraites !
En 2017, le ministre Le Maire disait que la France était droguée à la dépense publique. Je pense qu’il n’est pas là ce soir parce qu’il a fait une overdose ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le secrétaire d’État, la France connaît depuis des décennies une augmentation préoccupante des inégalités socioéconomiques.
En quinze ans seulement, le taux de pauvreté a progressé d’au moins 7 % : plus de cinq millions de nos concitoyens sont désormais en grande précarité.
Je ne remets pas en cause les raisons qui ont motivé l’endettement exponentiel décidé pour faire face à l’urgence sanitaire, car les mesures de soutien étaient indispensables. Mais celui-ci porte aujourd’hui l’endettement annuel à plus de 165 milliards d’euros. Et nous nous interrogeons sur la traçabilité des aides exceptionnelles fléchées à destination des entreprises.
À l’heure où l’État envisage de se réformer en vue de réduire le déficit public, où, malgré la crise sanitaire, le taux de profit des entreprises a atteint un niveau record, où les entreprises du CAC 40 ont versé 51 milliards d’euros à leurs actionnaires tout en licenciant plusieurs milliers de travailleurs, où la pauvreté, enfin, atteint un niveau alarmant et s’intensifie, le foisonnement des dispositifs à destination de nos entreprises nuit gravement à la lisibilité de l’action des pouvoirs publics.
Or, résorber une partie du déficit, c’est aussi, nous semble-t-il, faire un exercice de transparence et de rationalisation du maquis fiscal des aides attribuées à nos entreprises, qui a considérablement gonflé, et sans contreparties, dans le contexte de la crise de la covid-19.
Votre gouvernement justifie les réformes en cours et à venir par l’exigence d’une gestion responsable. Il invoque la nécessité de réduire le déficit public, en ciblant toujours les plus fragiles, comme il l’a fait dans la récente réforme de l’assurance chômage, et comme il prévoit de le faire par la réforme des retraites.
Avez-vous également prévu une réforme des aides versées aux entreprises pour mettre fin à ce véritable maquis fiscal ? Le « quoi qu’il en coûte » sera-t-il, à terme, uniquement payé par les salariés et les catégories les plus modestes ?
À défaut, la moindre des choses serait de faire régner la transparence sur l’identité des entreprises bénéficiaires et les montants de crédits publics qui leur sont accordés.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, tout d’abord, la seule justification que le Gouvernement donne à la politique économique qui est menée, c’est la croissance retrouvée.
Comme vous le savez, j’ai été membre du parti socialiste, me situant plutôt à son aile droite. J’ai participé à des débats d’exégèse théologique pendant des heures pour savoir s’il fallait préférer une politique de l’offre ou une politique de la demande. Après quelques années dans ce parti, j’ai fini par considérer que, dans le fond, comme le disait Deng Xiaoping, peu importe que le chat soit noir ou blanc : s’il attrape la souris, c’est un bon chat !
Nous pourrions entrer dans des débats théologiques pour savoir si le Gouvernement favorise les entreprises, ou s’il ne les favorise pas. La seule réponse pertinente est de rappeler qu’après cinq ans de macronisme, la France a le plus haut taux de croissance de la zone euro (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), son taux de chômage est au plus bas depuis à peu près quinze ans. Si nous continuons sur la même trajectoire, le taux de chômage français n’aura jamais été aussi bas depuis les années 1980.
M. Thierry Cozic. Grâce aux efforts réalisés entre 2012 et 2017 !
M. Jean-François Husson. Et le commerce extérieur ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Et, dans un domaine crucial pour notre compétitivité, celui de l’innovation, la France est le seul pays au monde à être passée de la dix-huitième à la onzième place des pays les plus innovants du monde entre 2016 et 2021. Ce qui compte, ce sont les résultats. Tout le reste est littérature…
M. Jean-François Husson. Vous êtes le Vasarely de la finance !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le secrétaire d’État, la Cour des comptes émettait l’année dernière un avis sévère sur le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) : « Détaillé quant à ses objectifs de gains de productivité et de calendrier, le projet ne formulait initialement aucun objectif précis d’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. »
Érigé en emblème de la logique de modernisation et de simplification des démarches administratives, ce plan révèle les manquements des intentions des réformateurs de l’État, qui ont décidé de prendre un virage abrupt vers le tout-numérique, commandé par une logique comptable, au détriment de la qualité du service rendu aux usagers.
Je prendrai comme exemple le remplacement des anciens services dits « titres » par les centres d’expertise et de ressources des titres (CERT), qui mettent en œuvre, non sans difficulté, la dématérialisation de la délivrance des quelque 24 millions de titres tels que les passeports, les permis de conduire ou les cartes grises. Les tâches imprévues de ces CERT exigeraient 350 équivalents temps plein supplémentaires. Les centres d’appels en requerraient 300, car, actuellement, seuls 71 % des appels sont traités. On y compte jusqu’à 30 % de contractuels, qui se substituent aux titulaires.
Les points de contact, heureusement, subsistent, et ils sont le signe que l’ambition portée par les téléprocédures n’est pas satisfaisante pour les personnes fragiles et dépendantes. Cette déshumanisation du rapport des citoyens à l’État et à ses agents, loin de générer des économies, engendre un surcoût de 15 millions d’euros par an pour l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et de 40 millions d’euros en outils informatiques, quand vous supprimez 1 000 postes.
Ces dysfonctionnements favorisent le développement des services privés. D’ailleurs, les sites des ministères renvoient même les citoyens vers ces offres.
Deuxième exemple : en Dordogne, la Cimade m’a appris que, sur le site de la préfecture, aucun créneau de rendez-vous pour le renouvellement des cartes de résident de dix ans n’était disponible entre avril 2020 et septembre 2021.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Marie-Claude Varaillas. En l’absence d’alternative, ces publics potentiellement éloignés de la langue française et du numérique risquent, faute d’accueil, d’être privés de leurs droits et placés en situation d’illégalité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, je vais abonder dans votre sens, et prendre l’excellent cas des PPNG comme l’exemple à la fois d’une forme d’erreur, mais aussi d’une correction apportée.
Vous ne siégiez pas dans les majorités précédentes, madame la sénatrice, mais l’ensemble des majorités – je nous y inclus –, au début de ce quinquennat, a commis l’erreur de considérer que la numérisation était inéluctable, qu’elle se ferait, que tout le monde s’y convertirait, et que tout se passerait bien.
Comme l’a rappelé la sénatrice Lavarde, alors que nous avions initialement promis 100 % de numérisation, nous avons ralenti. Nous avons en effet considéré, au vu des problèmes rencontrés par l’ANTS en matière de délivrance de permis de conduire, qu’il fallait s’occuper de la qualité avant de s’occuper de la quantité. La numérisation va dans le sens de l’Histoire, mais elle doit être accompagnée pour tous ceux qui ne se sentent pas capables d’utiliser des outils numériques.
Il faut donc réinjecter de l’humain. D’où la mise en place des conseillers numériques France services et d’une approche, au sein de l’ANTS, partant de la qualité de service et de la capacité à répondre à la demande des usagers pour aboutir à une réduction des délais d’attente et à une augmentation de la satisfaction des usagers. Avons-nous fait le tour de la question de la qualité de l’expérience des usagers dans leur relation au service public ? Non. Mais je peux vous assurer que l’approche de la numérisation des services publics s’est transformée, et part désormais de la qualité avant de se préoccuper de quantité.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Nous parlions tout à l’heure de notre addiction collective à la dépense publique.
Je voudrais profiter de ce débat, qui permet de nous échapper un peu des contraintes du court terme, pour que nous nous interrogions sur une double incapacité collective : incapacité, d’une part, à créer de l’adhésion autour de la nécessité de maîtriser nos dépenses et notre dette ; incapacité, d’autre part, à faire partager le besoin de compétitivité de nos entreprises. Cela se manifeste d’ailleurs par le déficit de notre balance extérieure ; cette donnée est rarement évoquée.
Les deux notions jumelles de déficit budgétaire et de déficit de la balance des échanges apparaissent souvent trop lointaines dans le débat public ; on évite de parler du solde budgétaire. Pourtant, elles symbolisent les deux faces de l’endettement « à la française ». Le déficit budgétaire entraîne le déficit extérieur, qui est financé par des capitaux extérieurs, entraînant ainsi la perte de contrôle de notre tissu productif.
Pourquoi ne pas exprimer plus clairement le déficit ? Quand on sait que les recettes du budget de l’État sont de 236 milliards d’euros en 2022 et que les dépenses sont de 391 milliards d’euros – cela représente donc un déficit de 155 milliards d’euros –, on comprend que près de 40 % des dépenses sont financées par le déficit et la dette et que cela ne peut pas durer.
Dans la communication financière, on a pris l’habitude de s’exprimer en pourcentage du PIB. Sans doute s’agit-il d’éviter d’inquiéter les marchés. Mais nous finissons par nous anesthésier nous-mêmes et par créer une forme d’indifférence au déficit. Nous gagnerions à décrire la réalité pour susciter une prise de conscience qui nous permettrait de réformer plus facilement.
Idem sur le commerce extérieur : son caractère structurellement déficitaire montre que nous sommes dépendants, et les entreprises étrangères rachètent du patrimoine national.
Monsieur le secrétaire d’État, va-t-on enfin envisager de communiquer les vrais chiffres et de les mettre dans le débat public, afin de favoriser des réformes structurelles ayant pour effet de réduire les dépenses ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Capo-Canellas, en un sens, vous avez raison : les volumes exprimés en milliards d’euros sont peut-être plus parlants que les pourcentages. Cela étant, quand on a les chiffres du PIB français, le calcul est assez simple pour connaître le déficit et le solde budgétaires.
Le déficit public s’élève à 8,2 %, soit 200 milliards d’euros, en 2021 – il est même possible qu’il soit inférieur si la croissance est meilleure que prévu –, et il sera de 5 %, soit 130 milliards d’euros, en 2022.
Si vous voulez le fond de ma pensée, je doute que les volumes en millions ou en milliards parlent encore à qui que ce soit, en particulier après la crise.
Par conséquent, la rigueur budgétaire et la réduction de la dette relèvent moins d’une question sémantique ou rhétorique – le problème n’est pas de savoir s’il faut s’exprimer en pourcentages, en milliards, en déficit structurel ou faire des comparaisons internationales – que du bon sens et d’un souci de bonne gestion. Et cela doit s’accompagner d’un exercice de pédagogie.
Bien entendu, et je me permets là une adresse à la Haute Assemblée, quand on parle de réduction des déficits publics, il faut préciser quelles dépenses on souhaite diminuer. Car si j’entends beaucoup d’apostrophes sur la nécessité de baisser les dépenses, je n’ai pas forcément saisi quels secteurs la Haute Assemblée s’accordait à cibler en priorité dans un objectif de réduction drastique du déficit public français.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le secrétaire d’État, l’avantage de passer en dernier est que beaucoup de questions que l’on aurait aimé poser l’ont déjà été !
Nous n’avons pas pu discuter du projet de loi de finances, ce qui est regrettable, d’autant que nombre de sujets pourraient encore être abordés. Je déplore une nouvelle fois la manœuvre un peu coupable qui ne grandit ni notre assemblée ni l’image que nos concitoyens peuvent avoir de notre fonction.
Ainsi que cela a été souligné, la dette est un enjeu majeur, même si la situation est un peu paradoxale, avec une augmentation en volume et une baisse de la charge du fait des taux d’intérêt.
La question qui nous inquiète est bien de savoir à qui nous empruntons et de qui nous dépendons.
J’ai entendu que vous comptiez sur la relance économique pour le remboursement. Il faut le savoir, les collectivités peuvent participer à la reprise par leurs investissements ; les infrastructures qu’elles créent permettent ensuite le développement économique.
La réforme de l’État est effectivement importante. Mais il faut une véritable révolution culturelle. Les élus locaux, ceux que nous représentons, doivent être aidés par les services de l’État, au lieu d’être constamment bloqués. Quand on présente un dossier, on doit pouvoir percevoir une aide, et non pas faire systématiquement l’objet de refus ou de manœuvres ayant pour effet, sous des prétextes divers, de retarder les investissements et les projets que l’on veut mettre à disposition de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je vous rejoins : dans la dynamique d’investissement public, de réforme et de projection vers un fonctionnement institutionnel et administratif plus moderne, la question de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, de leur capacité à mettre en œuvre des politiques publiques, est centrale. Au risque de me répéter, le déploiement de la fibre me semble être un exemple de coopération entre les deux.
Ma conviction est que nous devons nous concentrer moins sur le débat idéologique entre décentralisation ou non que sur l’objectif d’efficacité et de déploiement des politiques publiques.
À cet égard, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, qui est en cours d’examen, permet des avancées. Je pense par exemple à la gestion des routes, alors qu’on observe une recentralisation du RSA, en accord avec certaines collectivités. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas une démarche à sens unique qui emporterait l’adhésion de tout le monde. Il faut faire des adaptations entre décentralisation, déconcentration et différenciation. D’ailleurs, l’efficacité de l’État central dans sa capacité à nouer localement des partenariats avec les collectivités territoriales est également un enjeu important.
Nous avons évidemment besoin de déconcentrer et de décentraliser – il faut faire les deux –, de laisser plus de latitude au terrain et de contrôler un peu moins par la norme et un peu plus par la délégation.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Situation des comptes publics et réforme de l’État. »
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 7 décembre 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne (texte de la commission n° 239, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
nomination de membres d’une mission d’information et d’une commission d’enquête
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Mission d’information sur le thème « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’état de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? »
MM. Philippe Bas, Bruno Belin, Étienne Blanc, Jean Baptiste Blanc, Philippe Bonnecarrère, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. François Noël Buffet, Mmes Agnès Canayer, Cécile Cukierman, M. Alain Duffourg, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Jean-Luc Fichet, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Stéphane Le Rudulier, Jean-Yves Leconte, Pascal Martin, Franck Menonville, Claude Raynal, Alain Richard, Jean-Yves Roux, Mmes Elsa Schalck, Dominique Vérien et Mélanie Vogel
Commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France
Mmes Marie-Christine Chauvin Laurence Cohen, Catherine Conconne, Catherine Deroche, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, M. Bernard Jomier, Mmes Sonia de La Provôté, Florence Lassarade, M. Pierre Médevielle, Mme Marie Mercier, M. Alain Milon, Mmes Annick Petrus, Raymonde Poncet Monge, M. Jean Sol, Mme Nadia Sollogoub, MM. Laurent Somon, Dominique Théophile et Jean-Marc Todeschini.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER