Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 22 novembre dernier, le journal Le Monde révélait, à sa une, le nombre grandissant des démissions d’enseignants. Pour le Sénat, ce n’était pas une nouvelle.
En effet, de l’aveu même de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, lors de son audition devant notre commission de la culture le 3 novembre dernier, les chiffres suivants étaient confirmés : l’année dernière, on ne relevait pas moins de 937 démissions dans le premier degré et 617 dans le second degré. Le nombre de ces démissions a été multiplié par trois entre 2013 et 2018 !
De multiples facteurs expliquent ce phénomène : manque de reconnaissance, rémunération insuffisante, ou encore difficulté du travail. En résumé, il résulte d’un déficit d’attractivité du métier. Les confinements successifs et la crise sanitaire ont renforcé ce sentiment de malaise chez certains professeurs et instituteurs.
Le Gouvernement tente d’y répondre ; nous ne pouvons que nous féliciter des revalorisations salariales qui sont proposées pour les enseignants en début de carrière dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.
Je souhaite cependant attirer l’attention sur un facteur souvent minimisé : la mobilité des enseignants. La possibilité de choisir son lieu de travail est primordiale et souvent déterminante dans la poursuite d’une carrière professionnelle.
Dans le cadre du Grenelle de l’éducation, le Gouvernement a pris l’engagement d’accompagner la mobilité des enseignants. Pourtant, la plupart d’entre eux semblent réservés et font face à des « embouteillages », selon le terme de Maxime Reppert, membre du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc).
Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous mettre en place, concrètement, pour faciliter l’exercice de la mobilité des enseignants ?
Au malaise de ces derniers s’ajoute parfois celui des élèves. Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement concernent entre 800 000 et 1 million d’enfants ; autrement dit, entre 6 % et 12 % des élèves subissent ou ont subi une forme de harcèlement au cours de leur scolarité. Aucun établissement, aucune région, aucune catégorie sociale ne sont épargnés.
Face à cette réalité, le corps enseignant s’estime souvent désarmé, du fait d’un manque de formation, et souligne des difficultés à identifier les cas de harcèlement.
Dans le cadre de la Journée internationale de lutte contre la violence et le harcèlement en milieu scolaire, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre ce fléau, notamment la mise en place d’une application de signalement.
Si toute action visant à mettre un terme aux pratiques de harcèlement scolaire doit être saluée, nous regrettons que les conclusions rendues par la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement n’aient pas encore trouvé d’écho. Ce rapport met en avant 35 recommandations concrètes pour une lutte efficace contre le harcèlement et le cyberharcèlement.
Seul un enseignant sur trois s’estime armé pour lutter contre ce fléau. Il apparaît donc essentiel que les enseignants, dans le cadre de leur formation initiale, soient éduqués à la prévention des faits de harcèlement.
La proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire est examinée aujourd’hui par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons évidemment que ce texte soit inscrit le plus rapidement possible à l’ordre du jour du Sénat, afin de donner un cadre efficace à la lutte contre le harcèlement scolaire.
Pas plus qu’ailleurs l’apprentissage de la peur n’a sa place sur les bancs des écoles ou dans les cours de récréation !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis bientôt cinq ans, une logique implacable est à l’œuvre en matière d’éducation : celle d’une vision libérale de l’école, en contradiction avec le modèle de l’école publique républicaine que nous chérissons.
Durant ce quinquennat, il a toujours été question de faire des économies, en augmentant considérablement le recours aux contractuels et en supprimant des postes. Près de 8 000 postes ont ainsi été supprimés dans le secondaire depuis 2017, alors même que 25 000 élèves supplémentaires sont attendus à la rentrée 2022. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’enseignement agricole, dont les effectifs ont chuté de 300 postes : cela correspondrait, en proportion, à une suppression de 10 000 postes dans l’éducation nationale !
Toutes ces suppressions devaient permettre de créer des postes dans le premier degré, présenté comme une priorité absolue. Dans les faits, il n’en est pourtant rien : il n’y aura d’ailleurs aucune création de postes dans le primaire à la prochaine rentrée. Or les retours du terrain sont unanimes : sans moyens spécifiques, les objectifs, certes louables, de dédoublement des classes en REP et REP+ et de limitation du nombre d’élèves par classe dans les premiers niveaux conduisent à augmenter leur nombre dans les autres niveaux, à fermer des classes et à perdre des postes de remplaçants, dont le manque se fait sentir de plus en plus durement.
Loin du discours affiché de rééquilibrage en faveur des classes sociales défavorisées, nous constatons que, dans l’ensemble, les réformes qui se sont enchaînées depuis 2017 s’inscrivent dans le sillon d’une logique inégalitaire.
Parcoursup en est un exemple flagrant : si nous voulons lutter contre la reproduction des inégalités sociales et territoriales, qui se sont encore aggravées depuis la mise en place de cette plateforme, il faut sortir de cette logique de sélection accrue et dépersonnalisée, afin de redonner toute sa place à un processus d’orientation au plus près des besoins et des vocations des élèves.
Tous les indicateurs le prouvent : il est urgent de redonner corps à la promesse républicaine au sein de notre système scolaire, il est urgent de redémarrer l’ascenseur social !
Cela nécessite notamment de nouvelles ambitions fortes en matière de mixité sociale et de lutte contre les ghettos scolaires. Contrairement à ce que pense le Président de la République, ce n’est pas en demandant aux directeurs et directrices d’école de recruter leur personnel comme le feraient des chefs d’entreprise que nous y parviendrons.
Cela passe aussi par un meilleur accueil des élèves en situation de handicap et par une revalorisation adéquate de leurs accompagnants. Ceux-ci, les AESH, œuvrent aux côtés de ces enfants, mais sont aujourd’hui soumis à une logique de contrats courts et précaires, ainsi qu’à de nouvelles contraintes de mobilité liées à la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).
Enfin, c’est également à nos professeurs qu’il faut redonner envie de prendre le chemin de l’école, dans un contexte de crise aiguë des vocations, car l’école de la République n’existe pas sans ses hussards noirs.
Ces derniers ont besoin de confiance et de considération : pourtant, jamais les relations entre la communauté enseignante et son ministère n’auront été aussi dégradées et frappées du sceau de l’autorité et de la verticalité.
Nous devons aussi leur fournir de bonnes conditions de travail : cela implique des créations de postes, mais aussi plus de formation continue, une meilleure protection et des moyens matériels.
Surtout, il faut que leur rémunération soit à la hauteur de la tâche. Dans ce domaine, la France se situe en queue de peloton par rapport aux autres pays d’Europe de l’Ouest : il est plus que temps de rattraper cet écart ; les primes d’attractivité ne suffiront pas.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous ne réagissons pas, l’école publique, déjà mise à mal, sera bientôt devenue si fragile que notre système éducatif finira par ressembler dangereusement à celui des États-Unis : un système favorable aux plus aisés, bien loin de notre rêve républicain.
Ne nous y trompons pas : si notre école publique et républicaine vacille aujourd’hui, ce n’est pas par manque d’autorité ou de flexibilité, mais bien parce qu’elle n’écoute pas assez les cris d’alerte de celles et de ceux qui la font vivre au quotidien ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
M. Cédric Vial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Georges Bernanos avait eu ces mots désormais célèbres : « Hélas ! c’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Madame la secrétaire d’État, il commence à faire froid !
Je voudrais ici évoquer notre politique de la jeunesse : celle que mène l’État, celle que se doit d’avoir notre nation.
L’attention qu’une société porte à sa jeunesse est une attention portée à son avenir. La jeunesse n’est pas un état permanent ; ce n’est qu’une étape, un état provisoire dont tous sortent inégalement armés pour affronter la vie d’adulte et la vie en société.
Notre politique de la jeunesse est donc non seulement un enjeu majeur pour cette dernière, mais aussi un enjeu national qui porte en lui les prochaines réussites ou les prochains échecs de notre modèle de société.
La jeunesse ne dure pas, elle ne se recommence pas. Nous n’avons donc qu’une seule chance de réussir. Les jeunes consomment le présent : ils sont l’avenir, mais ils ne le savent pas.
C’est le rôle du politique que de donner du sens à cette période de la vie où l’on se prépare, où l’on se forme, où l’on apprend à devenir autonome, puis indépendant, où l’on apprend à être soi-même, mais aussi – ou « en même temps », si vous préférez, madame la secrétaire d’État (Sourires.) – à faire partie d’un tout, d’une société organisée qui a déjà ses règles.
Il y a alors deux manières d’envisager les choses que l’on pourrait formuler ainsi : d’une part, de quoi les jeunes ont-ils envie, ou besoin, et quelles réponses leur apporter ? D’autre part, qu’attend notre pays de sa jeunesse et de quelle politique en direction des jeunes a-t-il besoin ?
Eh bien, madame la secrétaire d’État, malgré tout le respect et même l’estime que je vous porte, je ne peux que déplorer l’absence de visibilité de la politique de la jeunesse menée par ce gouvernement.
Vous êtes à la tête d’un ministère qui n’en est pas vraiment un. Les programmes consacrés à la jeunesse au sein de la mission budgétaire « Sport, jeunesse et vie associative » sont minuscules et ne concernent que quelques dispositifs ; ils ne sont pas même le petit bout de la lorgnette !
Une vraie politique de la jeunesse devrait évidemment porter sur l’éducation, la santé, la mobilité, la sécurité, l’emploi, la famille, l’innovation, le sport, le logement, ou encore la transmission des valeurs et des principes de la République. Mais pour chacun de ces enjeux, chaque ministre garde sa clé et personne – même pas vous, madame la secrétaire d’État ! – ne dispose d’un trousseau !
Je veux ainsi dénoncer le manque coupable de vision interministérielle d’une vraie politique en direction de notre jeunesse. La somme de dispositifs n’a jamais fait une politique globale.
Certes, tout n’est pas noir au tableau ; il y a des points positifs, fort heureusement. Ainsi, les services civiques fonctionnent plutôt bien, même si une vision moins comptable et plus qualitative mériterait d’être mise en place, avec par exemple, pour chaque mission de service civique, une qualification ou une certification de compétences à la clé.
Mais le SNU, le service national universel, est un cinglant échec de votre gouvernement. Il faudra le revoir de fond en comble !
Le dispositif « 1 jeune, 1 solution » fonctionne en revanche plutôt bien, mais le contrat d’engagement que le Gouvernement vient d’improviser avant les élections n’est qu’un variant du RSA jeune qui ne dit pas son nom ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Madame la secrétaire d’État, la politique menée depuis cinq ans n’a pas permis de réduire les fractures qui existent, encore trop nombreuses chez nos jeunes. La lutte contre le décrochage scolaire est un point noir de votre bilan. Les actions de lutte contre la drogue, la délinquance juvénile et les violences, de manière plus générale, sont autant d’échecs.
La perte de repères et de reconnaissance dans le projet et les principes républicains est encore plus flagrante. Plus de 52 % des jeunes et, en particulier, près de 78 % des jeunes musulmans ne reconnaissent plus l’intérêt de notre modèle laïque et remettent en cause, par exemple, le droit au blasphème.
Nous avons le devoir de travailler à une politique qui permette à notre société de préparer son avenir, en n’oubliant personne au bord du chemin.
Nous avons besoin de donner du sens à cette politique de la jeunesse pour que les intéressés s’y reconnaissent et comprennent les enjeux de notre nation tout entière. Nous avons besoin d’en discuter dans notre société et au Parlement.
Notre approche de la politique de la jeunesse doit être plus interministérielle. Les réponses doivent aussi être plus déconcentrées, car les jeunes ne sont pas les mêmes en ville, en banlieue, à la campagne ou à la montagne ; leurs attentes sont différentes en fonction des territoires. Ainsi, les réponses qu’on leur apporte en matière de formation ou d’emploi doivent être plus proches des réalités des bassins d’emploi ; il convient donc probablement de les confier aux régions.
L’individualisation des solutions doit également être la règle, afin de ne laisser personne au bord du chemin. Chaque jeune laissé de côté porte les germes d’échecs pour les générations futures.
À l’école, le dédoublement des classes de CP a plutôt bien réussi, mais cela ne suffit pas : il faudrait être capable de passer à une prise en compte encore plus individualisée des accompagnements éducatifs, pour ne pas laisser des difficultés se poursuivre de trimestre en trimestre et d’année scolaire en année scolaire. Là encore, la réponse passe par plus de déconcentration. Les réponses doivent pouvoir être adaptées a minima par rectorat et plus probablement par département.
Le système national de recrutement des enseignants impose aujourd’hui plus de contraintes qu’il ne résout de problèmes. Il faudrait être capable de concevoir des politiques de ressources humaines plus locales en développant, par exemple, les profils de poste à mission. Il convient aussi de mieux prendre en compte les évaluations des chefs d’établissement ou des cadres intermédiaires dans la politique d’affectation. Ainsi, on concentrera les efforts là où ils sont le plus attendus pour ne laisser, encore une fois, personne au bord du chemin.
Madame la secrétaire d’État, la politique de la jeunesse dans notre pays est bien une politique en direction des jeunes, mais elle doit aussi être une politique pour la France : celle d’aujourd’hui et, surtout, celle de demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de la covid-19 a changé beaucoup de choses ; elle a remis en question de très nombreuses certitudes et a mis en exergue certaines lignes de fracture dans notre pays.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans notre hémicycle les problématiques rencontrées par la jeunesse. Je salue la tenue de ce débat, qui permet une nouvelle fois d’aborder ces problématiques. Maintenant, nous espérons simplement que les actions suivront.
Une étude menée par le réseau Animafac révèle que 35 % des jeunes considèrent que la crise sanitaire a affecté leurs aspirations futures ; 60 % d’entre eux estiment faire partie d’une « génération sacrifiée ». Je ne fais pas mien ce terme que je juge excessif. Il ne faudrait pas pour autant éluder les vraies problématiques et les racines de ce mal.
Prenons l’exemple d’un étudiant de la génération covid-19, dont je veux vous raconter l’histoire.
Malgré de très bons résultats scolaires et une belle mention au baccalauréat, il n’a pas obtenu ses premiers vœux sur Parcoursup et se retrouve sur une liste d’attente. Ne pouvant aller étudier à l’étranger, pour des raisons financières, il se retrouve contraint de s’inscrire par défaut en licence, pour ne pas faire une année blanche.
Il a trouvé à Paris un petit logement de 20 mètres carrés, dont le loyer est déraisonnable. Comme il est issu de la classe moyenne, il n’était pas prioritaire pour un logement dans une résidence du Crous (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) ; il n’a donc pas pu en bénéficier. Étant classé à l’échelon 0 pour les bourses étudiantes, il a simplement vu ses frais d’inscription à l’université remboursés.
Les fins de mois sont difficiles ; du fait de la crise sanitaire, il n’arrive pas à trouver de petit boulot. Il aurait bien eu besoin d’un ticket restaurant étudiant pour se nourrir le soir et le week-end, mais le Gouvernement ne souhaitait pas le mettre en place. Je suis désolé, madame la secrétaire d’État, mais il fallait que je le dise ! (Sourires.) Il se résigne à aller aux Restos du Cœur. Il n’en parle pas à ses parents, car il ne veut pas les inquiéter.
Au plus fort de la crise de la covid-19, ses journées se résument à des cours en visioconférence, procédé qui en diminue largement l’intérêt. Les échanges avec les enseignants sont très limités. Il ne connaît pas encore ses camarades de promotion : pas de soirées étudiantes, pas d’activités communes. Sa vie sociale est réduite à la portion congrue.
Il se demande réellement s’il vaut la peine de continuer ses études. Un sentiment de découragement l’envahit, d’autant qu’il a lu des témoignages de jeunes diplômés de master 2 qui, après cinq ans d’études, ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine ou sont rémunérés au SMIC, ou à peine plus. En tout cas, c’est loin de ce qu’il imaginait pour un titulaire d’un diplôme à bac+5.
Il se dit alors qu’il va essayer de partir à l’étranger l’année suivante, dans le cadre du programme Erasmus, pour vivre une expérience universitaire et humaine exceptionnelle. Malheureusement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et la covid-19 ont changé la donne. Il y a beaucoup moins de places et il ne pourra peut-être pas partir.
Notre étudiant se dit qu’il n’arrivera pas à accomplir ses objectifs de vie. Il remet beaucoup de choses en question.
La souffrance de cet étudiant, madame la secrétaire d’État, est celle de milliers d’autres depuis le début de cette crise sanitaire ! Son exemple doit nous inviter à prendre en compte collectivement le mal-être d’une génération qui a été fortement affectée par la crise sanitaire, mais dont les problèmes sont plus profonds et plus anciens.
Ce sentiment de déclassement et cette frustration de la jeunesse sur ses possibilités et ses perspectives doivent être pris en compte ; ils doivent donner lieu, au plus vite, à des solutions originales et concrètes.
La jeunesse ne demande pas l’aumône, elle ne veut pas d’assistanat, mais elle veut être écoutée et comprise ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus de 8 millions de Français ont entre 11 ans et 19 ans. Ce ne sont plus des enfants, pas tout à fait des adultes.
Les temps de transition sont toujours des temps d’anxiété. En outre, d’après Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, la précarisation croissante des liens sociaux, s’accompagne d’un état grandissant d’insécurité psychique.
Les conclusions des dernières études sur le changement climatique, qui leur dessinent un avenir incertain, et la crise sanitaire, économique et sociale de ces deux dernières années angoissent particulièrement notre jeunesse.
Mais une autre question inquiète aussi le jeune qui songe à l’adulte qu’il sera demain : quelle formation suivre pour s’insérer dans la vie active ?
Tout d’abord, je veux rappeler la triste réalité des chiffres : en 2021, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans s’élève en France à 19,5 % contre 6 % en Allemagne, et ce malgré les nombreux dispositifs mis en œuvre, comme le programme « 1 jeune, 1 solution » ou la subvention de 4 000 euros offerte pour l’embauche en entreprise d’un jeune avec un CDD de plus de trois mois ou un CDI.
Alors que 15,1 % des jeunes Français de 15 ans à 34 ans sont sans emploi, sans diplôme et sans formation, ce taux n’est que de 9,9 % de l’autre côté du Rhin.
Le contrat d’engagement jeune a pour objectif de faire baisser le chômage, mais il convient de rappeler que ce dispositif tente de combler les défaillances de notre système scolaire, avec 95 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualification.
Notons aussi que le premier versement de ce dispositif interviendra à six semaines du premier tour des élections présidentielles. Serait-ce un hasard ?
Pour faire baisser radicalement le nombre de jeunes sans formation, il me paraîtrait plus efficace de privilégier l’apprentissage, comme dans le système allemand. Cet enseignement pratique, véritable facteur d’insertion et de mobilité sociale, connaît aujourd’hui des résultats réels. Mais il faut être beaucoup plus ambitieux.
C’est assez paradoxal : alors qu’il est une voie d’accès efficace à l’emploi durable et qu’il a permis en France la formation d’un chef d’entreprise sur deux, l’apprentissage, porté par l’artisanat, souffre toujours d’une mauvaise image. On l’assimile trop souvent, en effet, à un échec du système scolaire traditionnel.
Face au chômage élevé et persistant des jeunes les moins diplômés, les gouvernements successifs ont tenté de mettre en place plusieurs mesures pour favoriser leur insertion sur le marché du travail. Malheureusement, le système actuel manque de lisibilité et certaines aides sont peu mobilisées.
Cependant, l’État ne peut pas tout, et nous devons également responsabiliser les parents dans l’éducation de leurs enfants dès le plus jeune âge.
Il faut une meilleure information sur les bénéfices et les risques réels des nouvelles technologies, lesquelles doivent être introduites à partir de la maternelle par étapes, qu’il faut faire respecter impérativement.
Il faut ainsi appliquer la règle dite « des 3-6-9-12 » : pas de télévision avant 3 ans ; pas de console de jeux avant 6 ans, et avec un usage contrôlé ensuite ; pas d’internet sans être accompagné avant 9 ans ; et un accès internet seul, uniquement à partir de l’entrée au collège, vers 11 ans ou 12 ans.
Une surexposition aux écrans peut entraîner des retards de langage, des troubles cognitifs, des troubles du comportement comme l’agressivité ou le repli sur soi, mais aussi des problèmes physiques : la vue et l’audition peuvent être altérées plus vite chez les enfants qui passent beaucoup de temps devant les écrans – entre 12 ans et 15 ans, un jeune sur dix souffre de baisse auditive. La musique trop forte, trop longtemps diffusée, entraîne des pertes d’audition irréversibles et la surdité, même partielle, est un facteur d’isolement supplémentaire.
L’accès à internet apporte le meilleur – des connaissances, un réseau illimité d’informations –, comme le pire, car c’est aussi, malheureusement, le lieu du cyberharcèlement. Les jeunes, adeptes de ces relations virtuelles aux milliers d’« amis » se trouvent parfois victimes de harcèlements sexuels ou raciaux aux conséquences qui peuvent être dramatiques.
Le numéro d’écoute 3018, qui permet de signaler des comportements délictueux, ne résout pas le déficit persistant de professionnels en pédopsychiatrie ou le manque d’accueil dédié, notamment en zone rurale. Il est dommage que le cyberharcèlement ne soit pas une infraction réprimée en tant que telle par la loi française.
La situation actuelle doit nous inciter à apporter des réponses d’urgence face à cette crise vécue par notre jeunesse. C’est le seul moyen, j’en suis convaincue, de prévenir l’apparition d’une génération sacrifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme la tradition le veut, je suis venue dans cet hémicycle avec un discours que j’avais préparé avec mon équipe. Mais au vu de la qualité et de la multiplicité des interventions, je fais le choix non pas de le lire, mais de répondre à chacune des questions qui ont été posées et aux inquiétudes qui ont été exprimées, en y consacrant le temps nécessaire.
Le présent débat, intitulé « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? », n’est en effet pas un débat sur le programme budgétaire 163, « Jeunesse et vie associative », et je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur Vial. Il porte, bien au-delà, sur la politique qu’il convient de consacrer à nos jeunesses – j’insiste sur le pluriel –, à notre pays, et à tous ceux qui, génération après génération, deviendront des citoyens.
Je ne suis pas la seule à détenir la clé du problème, loin de là ! Bien prétentieux serait celui qui penserait qu’une seule politique publique pourrait accompagner toute une jeunesse.
Les jeunes, qui sont-ils ? La jeunesse correspond à des âges, à des transitions ; elle englobe les enfants, mais aussi les adolescents et les jeunes parents. Ces jeunes ne sont pas dans la même situation selon qu’ils vivent dans des territoires ruraux, ultramarins ou dans des zones urbanisées, selon qu’ils appartiennent à une famille aisée ou monoparentale… Cette diversité de situations a pour conséquence une multiplicité de besoins, d’aspirations, d’espoirs.
L’École, avec une majuscule, qu’il s’agisse du premier, du second cycle ou des études supérieures, doit garantir l’égalité des chances, l’égalité des possibles. Mais pour cela, il faut apporter des réponses à chacun de ces âges.
Encore une fois, je ne pense pas apporter à moi seule les réponses aux questions de la jeunesse, et bien heureusement, car ce sujet, qui est une priorité, relève de la volonté de tout un pays ; c’est en tout cas ainsi que je le conçois.
Pour ce qui concerne le premier âge, entre 0 et 2 ans, on sait que les inégalités se reproduisent. C’est la raison pour laquelle mon collègue Adrien Taquet a annoncé les mesures en faveur des 1 000 premiers jours, afin d’aider les parents à accompagner leurs enfants.
En effet – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Gosselin –, les enfants sont soumis à des risques et des dangers accrus. Auparavant, il suffisait de mettre un code sur la télévision ; aujourd’hui, tel n’est plus le cas.
Pour les enfants, le ministre de l’éducation nationale, qui soutient viscéralement l’école républicaine, a apporté comme premières réponses le dédoublement des classes de CP et les petits-déjeuners, afin de permettre à ceux qui ont faim d’apprendre dans de bonnes conditions le matin. Pour autant, il suit un seul cap, simple, clair, basique et essentiel : apprendre à lire, écrire, compter et respecter autrui.
L’apprentissage du respect d’autrui aura en effet des conséquences au sein de la société en termes de lutte contre les violences, de respect de l’autorité et de l’uniforme, et de vivre-ensemble. Ce respect, il s’apprend.
Quant aux adolescents, ils s’émancipent en voyageant, en apprenant. Voilà pourquoi, avec le secteur de l’éducation populaire et l’ensemble des acteurs associatifs, nous avons mis en place les vacances apprenantes, afin de permettre aux familles qui n’ont pas les moyens de voyager ni d’envoyer leurs enfants à l’étranger pour apprendre des langues, aux familles qui n’ont pas les moyens de payer des colonies de vacances, de voir leurs enfants vivre ces aventures et grandir. Car oui, on grandit aussi en dehors des murs de l’école !
Dans ce cadre, le Pass’Sport et le pass Culture sont en réalité seulement des outils sur lesquels on s’appuie : ils ne constituent absolument pas une politique en soi.
Quant aux étudiants, ils sont selon moi les premières victimes de la période de la crise sanitaire, car ils ont été privés d’année universitaire, de bandes de copains, de sorties. Ayant à peine 32 ans, je me souviens des années que j’ai vécues entre 18 ans et 20 ans : j’adorais sortir, et c’est à cette époque que j’ai fait mes premières expériences associatives et syndicales. Toutes ces expériences leur ont manqué et ils ont dû suivre leurs cours en visioconférence.
En réalité, la crise sanitaire a percuté toutes les générations, dans tous les pays. Alors peut-être n’en avons-nous pas fait suffisamment, et pas assez vite, mais nous avons d’abord répondu à la priorité des priorités : permettre à la jeunesse de se nourrir et de se loger dignement. Nous avons aussi lancé une politique plus structurelle en rénovant les logements étudiants, qui étaient devenus de plus en plus insalubres, en ouvrant les restaurants universitaires et en proposant des repas à un euro.
Du point de vue sanitaire, nous avons mis en place le « chèque psy ». Il y avait un véritable tabou dans notre pays, celui de la santé mentale. Cette crise aura finalement permis de le lever et d’en parler. Pourtant, il n’y a pas suffisamment de médecins, de psychologues, de pédopsychiatres, que ce soit dans les services de santé universitaires ou au niveau national.
S’agissant de la jeunesse, l’enjeu est double.
Le premier est de protéger les jeunesses dans leur diversité, et d’abord de les protéger du numérique, qui représente une ouverture, mais aussi un risque réel et multiple. On a parlé du cyberharcèlement, mais on évoque encore trop peu la prostitution des mineurs qui se retrouvent piégés par des manœuvres de chantage via l’utilisation du revenge porn, ces vidéos à caractère sexuel ou sexiste. Toute une partie de notre jeunesse est ainsi prise en otage.
Il nous faut aussi lutter contre les fake news qui conduisent certains jeunes à ne plus aimer la France et ses institutions, à cause aussi d’un manque de repères ; peut-être l’école n’a-t-elle pas non plus été assez allante en matière d’éducation civique et morale ? L’objectif est d’aider à acquérir un esprit critique. On ne réussira jamais à limiter ce qui circule sur internet. Mais si nos jeunes sont éclairés, alors ils seront à même de douter et de croiser les sources.
Il faut lutter contre la prostitution des mineurs, contre les violences sexuelles et sexistes, contre les stéréotypes, mais également – et c’est selon moi un véritable sujet – contre les raids numériques, ceux-là mêmes qui sont en cause dans l’affaire Mila. La loi a été renforcée pour contrer ces bandes qui, aujourd’hui, brisent des vies.
Lever le tabou du harcèlement suppose de former l’ensemble des enseignants, mais pas seulement. Je crois en effet que la jeunesse doit être accompagnée par tous. Et l’accompagner signifie, d’abord, la protéger pour lui permettre, ensuite, de s’émanciper. Si notre pays est l’un des plus beaux au monde, comme je le pense, c’est parce qu’il permet à chacun d’être considéré par la société comme un citoyen. Cela passe par la lutte contre les discriminations, mais aussi par le programme Erasmus+, qui n’est pas réservé aux seules familles aisées ou urbaines.
Cela passe aussi par l’engagement, car un citoyen engagé prend pleinement sa place, que cet engagement ait pour cadre une ville, un village, un bourg, un conseil municipal, le service civique ou, plus largement, des associations.
Il nous faut enfin lutter contre la montée d’un islam politique et d’une extrême droite qui divisent, et contre tout ce qui conduit à la fragmentation des jeunesses. Pour gagner cette lutte, il convient de favoriser la cohésion et la mixité, en rappelant aux jeunes que ces repères absolument essentiels que la République nous a transmis et que la France a conquis siècle après siècle sont aussi leur héritage.
Cet héritage, j’assume de le porter au travers du service national universel. Nous avons, en effet, besoin de retrouver le goût de la cohésion, du « faire ensemble » et de l’effort par le sport, l’enseignement et le développement durable.
Il s’agit également de reconnaître les jeunes qui s’engagent davantage en leur permettant de quitter leur environnement familial et de s’en sortir un peu plus rapidement que les autres en intégrant des internats d’excellence.
Il est également essentiel de transmettre la valeur travail, qui n’est ni anodine ni dépassée. Chacun doit pouvoir se dire : « Par mon effort, par mon action, je m’en sortirai. »
Aussi le contrat d’engagement jeune n’est-il pas un RSA et n’a-t-il pas vocation à l’être. Il est en effet établi sur une base de devoirs et de droits, et sur le constat que certains connaissent une situation de plus grande fragilité que d’autres. Un jeune qui souhaite, par exemple, suivre un apprentissage – c’est aujourd’hui la voie d’excellence pour trouver sa place dans notre pays et mettre en valeur les savoir-faire de nos territoires – peut être freiné par des problèmes de logement ou de permis de conduire. Ces obstacles peuvent être levés à condition que le jeune bénéficie d’un accompagnement humain, notamment via une mission locale, Pôle emploi ou une association d’insertion. Les jeunes ont besoin de cela !
Les jeunesses sont tellement diverses que la valeur travail peut prendre plusieurs formes.
Il s’agit, d’abord, de protéger les emplois. Les 10 milliards d’euros du plan « 1 jeune, 1 solution », 3 millions de jeunes en ont bénéficié ; et c’est ce qui compte. Quant à l’entrepreneuriat, c’est pour moi un engagement. Je crois en effet que chaque jeune qui suit un apprentissage a vocation, demain, à reprendre une TPE ou une PME, pour établir une économie de proximité. Je veux aussi évoquer le déploiement des écoles de production, qui permettent d’apprendre autrement, et les établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide) qui lèvent d’autres freins.
Mais je vois que le temps passe, madame la présidente, et je vais conclure.
L’accompagnement, selon moi, doit être global.
L’école peut transmettre les fondamentaux, des valeurs et des repères, mais elle n’est pas la seule. Les familles doivent être soutenues afin de pouvoir reprendre pleinement leurs responsabilités et leur place. Il faut les accompagner face aux nouveaux dangers du numérique, leur apprendre les bons réflexes face au harcèlement et au cyberharcèlement, leur donner l’ensemble de l’information concernant les dangers des écrans. Outre les familles, il y a l’éducation populaire, toutes ces associations qui ont un rôle d’éveil dans nos territoires ; je pense aussi au déploiement plus large du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) et de l’enseignement extrascolaire.
Avec ce ministère, qui réunit l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, on peut désormais intervenir aux différents âges des jeunes.
Il me faut enfin souligner le rôle d’acteurs que l’on cite un peu moins, mais qui sont essentiels.
Il s’agit, en premier lieu, des élus locaux, qui s’engagent également pour nos jeunes de différentes manières. Ils organisent ainsi les conseils municipaux des jeunes (CMJ) et les cérémonies de citoyenneté et de remise des cartes électorales, afin de lutter contre l’abstention. N’oublions pas non plus le passeport du civisme en CM2 et la transmission des questions mémorielles, qui permettent à chacun de s’ancrer et d’être fier de sa ville, de son territoire, de son histoire.
Nous travaillons avec les élus locaux pour éviter que les écoles ne ferment ou que des fermetures n’aient lieu en l’absence de discussion et d’échange.
Je ne crois pas qu’une politique des jeunesses puisse être menée par un seul ministère. Et pourtant…
En deuxième lieu – je vous remercie pour votre indulgence, madame la présidente, car je suis un peu longue –, je veux évoquer les entreprises.
Il doit y avoir une adéquation entre les formations et les territoires : c’est ainsi que l’on permet à chaque jeune de trouver le contrat d’apprentissage ou l’emploi qui est le plus proche de lui.
Pour faire découvrir les métiers, on ouvre enfin les portes et les fenêtres des écoles. Il faut mettre un terme à cette suspicion entre les entreprises et l’école ! Plus les enseignants parlent aux entreprises, mieux celles-ci sont informées sur les parcours, et meilleure sera l’adéquation entre les formations et les territoires. Les entreprises se mobilisent également pour les stages, reconnaissent les compétences acquises lors d’un service civique ou d’une action bénévole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre jeunesse a de nombreuses aspirations en termes de mobilité, de famille, d’engagement. Chacune de ces aspirations mérite d’être accompagnée, quelle que soit la ligne de départ du jeune. S’il y a une promesse, elle est bien là : celle de l’école pour tous, de l’école de la confiance, et surtout de l’école française, que nous défendons et portons. (MM. Bernard Fialaire et Franck Menonville applaudissent.)
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