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Éducation, jeunesse : quelles politiques ?

Débat thématique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? »

Dans le débat, la parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur les politiques à mener pour l’éducation et la jeunesse, c’est bien parce que nous ressentons un malaise dans ce domaine.

Est-ce que l’éducation de la jeunesse est perçue comme la priorité dans notre société ? Dans un monde de perpétuelle indignation, de revendications de droits individuels, avons-nous gardé comme priorité le devoir collectif d’éduquer notre jeunesse ?

Un de mes grands regrets pour l’année 2020 est que nous n’ayons pas pu fêter dignement le 150e anniversaire de la République et en tirer les enseignements.

Cette IIIe République est née de la défaite de 1870 avec une dette de guerre, comme celle liée aujourd’hui à la lutte contre la pandémie. Sa naissance a été marquée par un mouvement social, la Commune, d’une ampleur autre que celui des « gilets jaunes »… Un grand nombre de compatriotes ne maîtrisaient pas le Français et parlaient leur patois. Les conditions sociales bien décrites par Zola, qu’il s’agisse de l’hygiène, de l’alcoolisme ou encore de l’inceste, étaient déplorables.

Et la République radicale, en faisant de l’éducation sa priorité avec l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, en formant une élite de la Nation, ces hussards noirs de la République envoyés dans chaque village et école, a su faire de la France, en une génération, un pays qui était en 1900 à l’avant-garde dans l’automobile, l’aviation, la chimie ou le cinéma…

Nous avons le même défi à relever aujourd’hui : voulons-nous vraiment faire à notre tour de la jeunesse et de l’éducation notre priorité ?

La richesse de notre pays est sa ressource humaine : le travail et l’intelligence de nos concitoyens. Alors, investissons, comme toute société responsable, dans notre production de richesse, dans nos ressources humaines, dans notre jeunesse.

Le constat est consternant : une évaluation des élèves en queue de classement européen, des enseignants dévalorisés et mal payés – 7 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), moitié moins que leurs collègues allemands.

En vingt-cinq ans, les élèves ont perdu l’équivalent d’une année scolaire, lorsqu’ils arrivent en classe de quatrième. Du CP au CM2, je suis allé à l’école cinq jours sur sept, mes enfants quatre jours. J’ai appris à compter : une journée de plus sur cinq ans représente une année scolaire supplémentaire !

Certes, nos enfants sont éveillés, mais ont-ils acquis les savoirs fondamentaux qui serviront de référence – de repère, pour reprendre un terme lacanien – à ceux qui ne peuvent pas se reposer suffisamment sur leur famille ? Ne craignons-nous pas de les éveiller en fait à une consommation numérique d’un savoir dispensé par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ?

Franchement, le désengagement électoral de nos jeunes s’explique aussi par le manque de connaissances en histoire ; de telles connaissances leur permettraient de construire leur culture politique.

Devant le constat de tous ces manques, que proposons-nous ? On compense le manque d’activité physique par un Pass’Sport, le manque d’accès à la culture par un pass Culture, le manque d’esprit civique par un service national universel, etc. Autant de petits pansements sur une plaie trop béante !

Lors d’une réunion de la délégation sénatoriale à la prospective, un intervenant a proposé d’organiser une année de propédeutique avant les études supérieures pour combler le déficit en connaissances non acquises pendant la scolarité. Certaines écoles proposent d’ailleurs de réaliser le deuxième cycle du second degré en quatre ans avec l’acquisition d’un CAP, d’un BEP ou du baccalauréat. Autant d’innovations qui permettent à certains jeunes de toucher de la matière et de se structurer pour s’ouvrir à d’autres horizons.

On peut s’interroger aujourd’hui sur la nécessité d’une année supplémentaire à l’issue du secondaire afin de compléter l’enseignement par les notions de civisme, de laïcité, de secourisme, mais aussi par le code de la route pour combler cette grande injustice d’un permis de conduire trop cher pour certaines familles.

Il faut aider les collectivités locales à étoffer les activités périscolaires pour ne pas rejeter nos enfants trop vite hors des murs de l’école et pour éviter de les mettre entre les mains des réseaux sociaux, des jeux vidéo ou d’autres influences négatives.

Je n’aurai de cesse, pour ma part, de mener le combat pour une éducation qui apporte à notre jeunesse la liberté de conscience, lui assure l’égalité des chances et développe la fraternité. (MM. Jean-Pierre Corbisez et Franck Menonville applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les difficultés de la jeunesse ont été cruellement dévoilées par les effets de la crise sanitaire sur les plus précaires des 18-25 ans.

Dans son portrait social de la France publié le 25 novembre dernier, l’Insee souligne par exemple que la prévalence des syndromes dépressifs chez les 18-29 ans a fortement augmenté, alors qu’elle est restée stable au sein des autres classes d’âge. Dans un autre registre, en 2020, le taux d’emploi des 18-24 ans a baissé de 1,7 point par rapport à 2019, alors qu’il est resté stable pour les 30-64 ans.

Les problèmes rencontrés par la jeunesse sont cependant incontestablement plus anciens.

Pour mémoire, dans son rapport annuel de 2020 sur l’état de la pauvreté en France intitulé Budget des ménages : des choix impossibles, le Secours catholique confirmait la situation de crise profonde que traversait la jeunesse dès avant la crise de la covid-19, en rappelant par exemple que les niveaux de vie des deux tranches d’âge 15-24 ans et 25-34 ans se situent largement sous le seuil de pauvreté : 139 euros pour les premiers et 413 euros pour les seconds.

Ces constats, qui témoignent d’une inégalité des chances et des droits qui pénalise de trop nombreux jeunes, ont conduit le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à défendre la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès 18 ans et à demander l’installation d’une mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, dont j’ai été la rapporteure.

Au fil des travaux menés dans le cadre de cette mission, il est apparu que les difficultés rencontrées par la jeunesse se déclinent sur tous les plans, de la formation à la santé, en passant par l’accès à l’emploi et à la culture. La nécessité de penser l’accompagnement de la petite enfance à l’âge adulte s’est également imposée.

Le développement du jeune enfant et les acquis intervenus au cours des toutes premières années ont en effet des incidences sur ses compétences et sa santé futures. Les inégalités se forment dès ce stade.

À l’autre extrémité du spectre, concernant les jeunes adultes, nous savons que la France compte environ un million de « NEET », des jeunes sortis du système scolaire, mais qui ne sont ni en emploi ni en formation. Ils sont plus de deux millions, en englobant les jeunes ayant suivi des formations ou exercé des activités sur un temps réduit – ils connaissent également des situations de forte précarité.

Chaque public doit être accompagné en prenant en compte son environnement afin de permettre à chacun de bénéficier des meilleures chances et du plein respect de ses droits.

Pour répondre à ces besoins, un ensemble hétérogène et foisonnant de dispositifs existent, mais ils sont, pour une majeure partie d’entre eux, difficilement identifiés aussi bien par les jeunes et leurs familles que par certains acteurs.

Les politiques en faveur de la jeunesse et de l’égalité des chances touchent de fait à de nombreux domaines de l’action publique. Elles mobilisent des acteurs nationaux et locaux très variés : État, collectivités territoriales, organismes publics et privés.

Alors que certaines pistes sont négligées, telles que l’éducation populaire qui offre pourtant une éducation hors milieu familial et scolaire porteuse d’autonomie et d’émancipation, l’existant est très intéressant, mais ne fait l’objet ni d’une politique suivie, ni d’une évaluation, ni d’investissements suffisants.

Les conclusions du rapport de la mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse insistent donc sur la simplification, la valorisation et la mise en cohérence de ce qui est déjà mis en œuvre.

Par ailleurs, à l’occasion des auditions menées dans le cadre de cette mission d’information, l’immense majorité des personnes et structures entendues ont pris position en faveur d’un revenu de subsistance pour les moins de 25 ans, quelle que soit sa forme.

C’est une proposition que les socialistes ont soutenue à plusieurs reprises ici au Sénat, mais également lors de la discussion de la proposition de loi relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire (Ailes), déposée et défendue à l’Assemblée nationale par notre collègue Boris Vallaud.

Pour mémoire, cette proposition de loi promeut la mise en place d’un revenu de base inconditionnel, dispositif qui vise à assurer à toute personne majeure un minimum mensuel de 564 euros versé automatiquement en lieu et place du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité, de manière dégressive en fonction des revenus de la personne, pour garder une réelle incitation au travail, et de manière inconditionnelle, pour permettre aux travailleurs sociaux de concentrer leurs interventions sur l’accompagnement et non sur le contrôle des personnes.

Par ailleurs, un dispositif de dotation universelle ouvrirait un compte personnel d’activité pour toute personne à ses 18 ans avec un crédit de 5 000 euros librement utilisable pour des projets de formation, de mobilité ou d’entrepreneuriat.

Le revenu de base inconditionnel et la dotation universelle seraient financés par une fiscalité plus juste des hauts patrimoines, des hauts revenus et des multinationales.

Les jeunes doivent avoir accès aux mêmes droits que les plus anciens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’école est cet espace d’élévation dans lequel l’enfance dessine l’avenir et le fait advenir.

Parce qu’elle est un moment charnière dans l’existence, nous devons tout faire pour offrir aux enfants cet héritage indispensable que forme l’éducation dans l’esprit de chacun. Investir massivement dans l’école, dès le plus jeune âge, voilà la priorité !

Ces dernières années, le Gouvernement a concentré ses moyens en direction des publics identifiés comme les plus fragiles, en dédoublant progressivement les classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 des réseaux d’éducation prioritaire (REP).

Ces mesures semblent porter leurs fruits : les études constatent dans ces classes une amélioration du climat scolaire et de meilleurs résultats, en particulier en mathématiques. Nous y sommes favorables dans la mesure où elles contribuent à lutter contre le déterminisme social, en offrant de meilleures conditions d’apprentissage aux élèves qui en ont le plus besoin.

Pourtant, nous devons changer d’échelle, aller plus loin, plus haut, dirai-je.

Le Gouvernement entend limiter progressivement les effectifs à 24 élèves par classe à l’école élémentaire, soit la moyenne actuelle. Je pense qu’il nous faut être plus ambitieux et abaisser cette jauge à 22 élèves par classe pour favoriser l’apprentissage des fondamentaux dans de bonnes conditions.

Le nombre d’élèves « non lecteurs » est en augmentation, tandis que le niveau des élèves baisse continuellement depuis près de vingt ans. Très concrètement, une enseignante ou un enseignant en fin de carrière ne peut plus proposer à ses élèves les mêmes exercices qu’elle ou il proposait voilà trente ans aux élèves du même niveau. Nous devons fournir plus d’efforts pour inverser la tendance et améliorer les résultats des élèves en leur donnant le goût du travail. Pour cela, il faut faire appel aux professeurs du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), ce qui permettrait d’offrir un accompagnement adapté aux élèves le plus en difficulté et un soutien inestimable pour les enseignants. Nous ne devons laisser aucun élève illettré sans accompagnement ciblé : 6 heures d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) par semaine, dans une classe de CM1 de 28 élèves, dont deux enfants « non-lecteurs », voilà la réalité quotidienne de bon nombre d’enseignants à qui l’on demande des résultats sans les moyens, c’est-à-dire l’impossible.

Par ailleurs, la faiblesse des évaluations dites « courtes, ciblées et valorisantes », associée au nombre insuffisant d’évaluations nationales, ne permet pas un suivi régulier des acquis, des lacunes et des progrès des élèves. Si nous voulons changer de dynamique, il nous faut mettre en place des évaluations nationales standardisées à chaque étape, c’est-à-dire à chaque classe, et j’irai même plus loin : je pense que nous devons systématiquement évaluer les élèves à la rentrée et en fin d’année de chaque classe, avec un dispositif adapté aux classes multiniveaux, lesquelles concernent près d’un élève sur deux. Il suffirait pour cela de flécher 6 heures des 108 heures de réunion par an des enseignants pour corriger ces évaluations. Cette mesure permettrait de donner une vision homogène des exigences, de mettre en évidence les élèves en grande difficulté afin de renforcer leur accompagnement, et d’identifier les élèves les plus prometteurs. Nous devons guider les plus fragiles vers la réussite en prévoyant un parcours suffisamment stimulant pour les élèves que je qualifierai d’« agiles ». En effet, près d’un tiers des enfants à haut potentiel se retrouve en échec scolaire, faute d’une scolarité adaptée.

Il faudrait également augmenter – pourquoi pas doubler ? – le temps consacré aux échanges individualisés avec les parents afin de permettre à chaque enseignant de rencontrer chaque parent d’élève au moins quinze minutes par an.

Nous devons également accorder plus de souplesse dans le choix des 18 heures de formation annuelle des enseignants. Bien souvent, ils sont contraints de suivre des formations déconnectées de la réalité, éloignées de leurs besoins et en décalage par rapport au déroulé du programme. La plupart des enseignants ont un immense besoin de formation et de soutien dans la gestion de la classe. Ils devraient aussi pouvoir bénéficier de rendez-vous avec un psychologue scolaire tout au long de l’année, autant que de besoin. Aujourd’hui, on ne leur accorde qu’une rencontre par an, en début d’année scolaire. L’accompagnement des enseignants dans l’exercice de leurs missions est le premier facteur de réussite des élèves.

Madame la secrétaire d’État, ces grandes lignes programmatiques sont les quelques ajustements nécessaires pour que l’« âge d’or » de l’éducation nationale soit non pas derrière nous, mais droit devant. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, scolarité obligatoire dès 3 ans, priorité au primaire, réforme du baccalauréat, revalorisation du métier de professeur : la liste des chantiers du « quinquennat Blanquer » est impressionnante.

Toutes ces mesures ont-elles eu pour autant sur notre école l’effet de revitalisation escompté ?

Je vous propose de choisir deux thèmes pour le mesurer, en abordant en premier lieu le renforcement de l’enseignement des disciplines fondamentales.

« Le français, la morale, le calcul ! » s’exclamait Jules Ferry. Par-delà la formule, le ministre affirmait sa volonté de mener tous les citoyens au niveau d’éducation nécessaire à l’exercice de leurs responsabilités démocratiques.

Forte de ce socle, l’école républicaine a progressivement nourri l’image d’une école capable d’offrir à tous la possibilité de s’élever dans la société par le travail, la motivation et le mérite. Autant de valeurs dont la remise en cause, à partir des années 1960, ne pouvait qu’ébranler les fondements mêmes de notre école.

Au début du quinquennat, Jean-Michel Blanquer, par des paroles fortes, a dit sa volonté de refaire de l’école élémentaire celle du « lire, écrire, compter ». Renouant avec la pratique des circulaires, il a fixé un cadre général à l’enseignement de ces fondamentaux.

Pourtant, plus les enquêtes se succèdent et moins le doute est permis : les résultats de tous les élèves baissent inexorablement, même pour les meilleurs d’entre eux. Les comparaisons européennes et mondiales sont affligeantes.

Cet affaiblissement a, il est vrai, débuté bien avant le « quinquennat Blanquer » et, sur toutes les travées de notre assemblée, il faut accepter d’en partager la responsabilité. Le phénomène est global et durable, mais c’est Jean-Michel Blanquer qui a dirigé le dernier le ministère de l’éducation nationale, et ce sur une durée sans équivalent depuis Victor Duruy et le Second Empire.

La question est simple : l’enseignement des disciplines fondamentales à l’école élémentaire a-t-il été au moins partiellement redressé ?

Certes, le gouvernement auquel vous participez, madame la secrétaire d’État, a engagé un certain nombre de grands chantiers, qui vont pour la plupart dans le bon sens, comme le dédoublement des classes en REP et REP+, le plafonnement des effectifs du primaire ou la réforme de la formation initiale des professeurs. Pour autant, l’impression qui prédomine est que nous sommes encore prostrés au milieu du gué.

Le « en même temps » n’a finalement abouti qu’à des demi-mesures, provoquant d’entières déceptions. Des demi-mesures qui s’avèrent bien insuffisantes pour soigner les maux d’une école qui a besoin d’une politique de franche rupture. Mais vous n’en aviez pas les moyens politiques.

Sur certaines travées, on nous rejouera l’air du manque de moyens, éternel refrain qui n’a jamais réduit un tant soit peu l’affaiblissement des résultats enregistrés enquête après enquête.

J’ai quant à moi l’intime conviction que seule la rupture avec une école qui a abaissé la parole du maître et la transmission des savoirs permettra de rompre avec cette tendance infernale. (M. François Bonhomme manifeste son approbation.)

Parler de la parole du maître, c’est aussi s’interroger sur la place des professeurs dans la société.

Sur ce point, l’échec de ces dernières décennies est tout aussi retentissant. Dans le pays où Victor Hugo qualifiait les maîtres d’école de « jardiniers en intelligence humaine », seuls 7 % des professeurs estiment que leur profession est appréciée.

Alors que 364 professeurs démissionnaient en 2008, ils sont près de 1 500 à déserter aujourd’hui le « professeur bashing » et la violence exercée par les parents, même parfois par les élèves.

Jadis piliers de la République, ils ressentent désormais un sentiment d’abandon. Certes, le Grenelle de l’éducation est un début de prise en considération, mais, au-delà, ils attendent surtout d’être soutenus quand leur autorité est contestée. Or l’on continue de les culpabiliser, en leur disant, par exemple, qu’ils ne sont pas capables d’appréhender la diversité des élèves d’aujourd’hui.

Et si la solution consistait plutôt, pour une fois, à leur faire confiance et à laisser des espaces de liberté à ces praticiens de terrain que sont les proviseurs, les principaux et les professeurs ?

Or le ministère Blanquer n’aura pas été celui d’une plus grande liberté pour les équipes et d’une plus grande autonomie pour les établissements. Le ministre n’a pas su ou n’a pas pu desserrer l’étau étouffant du dernier système éducatif centralisé et bureaucratisé d’Europe.

Pour ma part, je suis persuadé que cette école de la confiance, que Jean-Michel Blanquer appelait de ses vœux en début de quinquennat, ne pourra être construite qu’en faisant confiance et en libérant les énergies. Ainsi, l’école redeviendra le ferment de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, le débat d’aujourd’hui, intitulé « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? », permet de questionner un sujet central : la place de la jeunesse dans l’ensemble de nos politiques publiques.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, dès lors que l’on appréhende ce sujet de manière globale, le constat est peu reluisant pour ce gouvernement.

Que veut dire être jeune sous Emmanuel Macron ?

Tout d’abord, concernant les conditions matérielles, la précarité de la jeunesse est criante. Elle s’est manifestée de façon spectaculaire dans l’espace public pendant la crise du covid-19 par ces longues files d’attente devant les banques alimentaires, mais elle n’est pas nouvelle.

Dans notre pays, près de 1,5 million de jeunes sont soit travailleurs pauvres, soit ni en emploi ni en formation, et un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Pourtant, face à ce constat alarmant, le soutien financier à la jeunesse ne fait manifestement pas partie des priorités du Gouvernement. Leur accès aux droits sociaux est ainsi toujours extrêmement entravé.

Pour commencer, les jeunes sont très majoritairement privés du dispositif de l’assurance chômage. La durée de travail minimale nécessaire de 6 mois sur 24 mois pour bénéficier de l’allocation tend en effet à écarter de nombreux jeunes, qui n’ont accès qu’à des emplois courts et très précaires. Pis, durant le confinement, 58 % des étudiants ont été forcés d’arrêter, réduire ou changer leur activité rémunérée.

Pour les étudiants, il est quasiment impossible d’accéder à l’assurance chômage, puisque celle-ci est liée à une recherche active d’emploi, considérée par Pôle emploi comme incompatible avec une scolarité universitaire. Ils travaillent, cotisent, mais n’ont droit à rien.

Les jeunes n’ont pas plus accès au RSA. Toute cette partie de la population, soit les 18-25 ans, est volontairement écartée de cet indispensable amortisseur social au motif que, selon M. Bruno Le Maire, « à 18 ans, ce qu’on veut, c’est un travail, et pas une allocation ».

Cette affirmation n’est pas seulement paternaliste et méprisante ; elle est aussi un déni de réalité économique. Le ministre de l’économie devrait relire la lauréate du prix Nobel d’économie, Esther Duflo, dont l’ensemble des travaux démontrent qu’il n’y a absolument pas d’effet décourageant face au travail quand on perçoit des aides sans condition. Bien au contraire, plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes, plus ils sont aptes à sortir de la pauvreté. Vous privez donc la jeunesse d’un peu de dignité économique pour des raisons purement idéologiques.

Au-delà de leur niveau de vie se pose aussi la question de la santé de la jeunesse.

Un tiers des étudiants déclarent avoir renoncé au moins une fois à des examens ou soins médicaux au cours de l’année 2020 pour des raisons financières. Rien d’étonnant, quand on sait qu’un tiers des jeunes ne sont toujours pas couverts par une mutuelle.

Si le Gouvernement a mis en place la complémentaire santé solidaire, qui remplace la CMU-C et élargit son périmètre, la Cour des comptes note dans un rapport que les étudiants ne sont pas concernés par le renouvellement automatique de cette couverture. Ils sont ainsi obligés, chaque année, de refaire leur dossier, ce qui augmente inexorablement le taux de non-recours.

Au niveau de la santé mentale, là aussi, les chiffres sont inquiétants.

Un tiers des étudiants ont présenté les signes d’une détresse psychologique durant le confinement et les files d’attente devant les psychologues universitaires se sont allongées durant la pandémie.

Si le « chèque psy », avec le remboursement de trois séances annuelles, a été mis en place, tardivement, par le Gouvernement, cette mesure, certes bienvenue, ne nous semble pas à la hauteur pour faire face à l’urgence.

Enfin, quelles perspectives offrir à la jeunesse ?

Au-delà des injonctions creuses et paternalistes sur la valeur travail, quelle mesure concrète, quelle politique emblématique pour l’avenir le Gouvernement a-t-il mise en place pour remobiliser la jeunesse ? Le service national universel (SNU) !

Ce service, qui surfe sur la nostalgie naïve du service militaire, reposant sur une vision surannée de l’ordre républicain, le petit doigt sur la couture du pantalon, et sur le fantasme d’une jeunesse en uniforme, qui apprend à saluer et marcher au pas, ne correspond à aucun enjeu ni aucune aspiration de notre époque ou de notre jeunesse.

Pour autant, son budget a quasiment doublé, passant de 62 millions d’euros à 110 millions d’euros, pour un service qui n’a rien d’universel : parmi les volontaires, seuls 4 % proviennent des quartiers populaires, un chiffre à mettre en parallèle avec les 37 % de volontaires qui ont des liens familiaux avec des personnes portant l’uniforme. Le public est donc pour l’instant très spécifique. On est très loin des objectifs initiaux et son caractère universel n’est qu’une illusion.

Alors que la crise a été révélatrice de la précarité et des difficultés d’accès aux droits de la jeunesse, les réponses du Gouvernement manquent complètement leur cible.

À cela s’ajoute une politique écologique et climatique totalement irresponsable qui hypothèque largement l’avenir de cette génération et celui des générations futures.

Alors, madame la secrétaire d’État, à notre tour de vous poser une question que nous inspire ce débat : « Quelle égalité d’accès aux droits sociaux pour notre jeunesse ? » (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat doit nous permettre à la fois de tirer le bilan éducatif du dernier quinquennat et de dégager des perspectives nouvelles.

Ces cinq années auront été marquées, à presque tous les niveaux de la scolarité, par un sous-investissement chronique.

Oui, l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur représentent respectivement les premier et troisième budgets de l’État : c’est un fait ! Oui, les crédits généraux accordés à ces deux secteurs ont crû de 8 milliards d’euros et 4 milliards d’euros, hors plan de relance. Toutefois, derrière ces chiffres se cache une autre réalité.

En quinze ans, la part de l’éducation dans le PIB a reculé d’un point et est en baisse constante. Pis, la part de l’État dans la dépense intérieure d’éducation ne cesse de baisser au détriment des familles. Dans l’enseignement supérieur, c’est l’investissement par étudiant qui décroît, année après année ; sur ce mandat, il baisse encore de 200 euros : autant de moyens qui ne seront pas consacrés à la réussite des étudiants !

Face à cette situation, deux choix étaient possibles : réinvestir massivement ou gérer la pénurie. C’est malheureusement le second choix qui a été fait, avec, en prime, un chantage insupportable, en tout cas dans ma ville, à Marseille : « On vous aidera à rénover vos écoles si vous acceptez le recrutement sur profil. » Chez certains de mes collègues, c’est une pression pour regrouper les écoles, au mépris de l’intérêt des enfants, en échange d’un poste ou deux.

Dans l’enseignement supérieur, la réforme emblématique du quinquennat sera sans conteste la sélection à l’entrée de l’université et la fin du baccalauréat comme seule condition d’accession. Parcoursup n’a fait que généraliser la problématique que nous connaissions avec le système d’admission post-bac (APB), sans pour autant ajouter de l’humain.

Le ministère se targue d’un très faible nombre de recalés à l’entrée de l’université. Il est bien le seul et sa politique inquiète même à l’étranger. Ainsi, la rectrice de l’Université libre de Bruxelles doit faire face à l’afflux massif de rejetés de Parcoursup. Elle déclarait ainsi récemment : « Dès qu’une mesure sélective est prise chez vous, cela se ressent ici. »

Cette année, le ministre va encore plus loin en instaurant le Parcoursup des masters. Bien sûr, il s’appuie sur la réforme de ses prédécesseurs, qui, eux aussi, avaient fait le choix de traiter le manque de places par la sélection, mais il s’emploie à la systématiser. Pourtant, les occupations récentes des universités de Nanterre ou de Lyon 2 montrent que le problème est non pas le niveau des étudiants, mais bien le manque de moyens accordés aux universités pour remplir leurs missions.

L’institution scolaire et universitaire est aujourd’hui à bout de souffle. Elle ne tient plus que grâce à l’engagement sans faille de ses personnels. Ces derniers, fort peu soutenus par leurs ministres de tutelle, jamais avares de polémiques stériles, font aujourd’hui partie des enseignants les moins bien traités des pays occidentaux.

Injonctions contradictoires, stigmatisations et précarisation ont été les maîtres mots de ces cinq dernières années, au point même que les hauts fonctionnaires du ministère de l’éducation nationale, pourtant peu bavards en règle générale, se sont fendus non pas d’une, mais de deux tribunes publiques d’alerte.

Ce dont a besoin aujourd’hui l’école, c’est donc d’un réinvestissement massif. À ce titre, le recrutement de 90 000 enseignants sur cinq ans, accompagné d’une réelle revalorisation des traitements, doit permettre de limiter le nombre d’enfants par classe et d’améliorer les conditions de travail des enseignants.

Par ailleurs, parce que l’école doit redevenir le lieu où se gomme la reproduction des inégalités sociales, parce qu’elle doit être le lieu de l’émancipation, il faut repenser une nouvelle fois les rythmes. Le passage à 32 heures hebdomadaires d’enseignement ou de suivi pédagogique, couplé à la fin effective des devoirs à la maison, doit permettre d’atteindre cet objectif. En effet, des enfants ne pouvant pas s’appuyer sur leurs proches ou ne disposant pas de bonnes conditions matérielles pour faire leurs devoirs partent déjà avec un temps de retard. Ce qui doit être appris pour l’école doit l’être à l’école.

Enfin, il faudra faire l’inventaire des réformes qui se sont succédé dans l’enseignement. Je les rappelle pêle-mêle : la sélection à l’entrée en licence et en master, la réforme du lycée et du baccalauréat, le passage à trois ans du baccalauréat professionnel, la concentration à outrance sur les savoirs fondamentaux.

Le journal Libération évoquait ce matin une enquête sur le ressenti des Français à l’égard de l’école. Le constat est terrifiant : ils considèrent que l’institution s’est dégradée ces cinq dernières années et sont inquiets pour la suite. Ils jugent même que l’école, loin de compenser les inégalités, a plutôt tendance à les creuser.

Dans cette période traversée par une surenchère sécuritaire, je ne peux m’empêcher de penser à la célèbre citation de Victor Hugo : « Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison. » Faisons donc toutes et tous ensemble le pari de l’école pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)