M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 736 rectifié ter.
Mme Raymonde Poncet Monge. Omniprésents sur tous les réseaux sociaux, les jeux et paris sportifs représentent un phénomène de société inquiétant.
Tournés majoritairement vers les plus jeunes, ces jeux en ligne peuvent en effet provoquer une addiction élevée chez les plus fragiles, avec des conséquences sociales et sanitaires graves.
C’est ce que pointe l’Autorité nationale des jeux, qui dénonce les stratégies de marketing, avec un ciblage renforcé auprès des plus jeunes, et souligne que trois parieurs en ligne sur quatre ont moins de 34 ans. La part des joueurs excessifs est six fois plus élevée pour les paris sportifs que pour les autres jeux de loterie.
Or cette addiction, je l’ai dit, peut avoir des impacts sociaux graves, car elle touche majoritairement une population plus précaire. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), les pratiques à risque modéré ou excessif se rencontrent chez des hommes plus jeunes, issus de milieux sociaux modestes, ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs.
Ces pratiques se montrent aussi particulièrement dangereuses sur le plan sanitaire. Le jeu d’argent est effectivement l’une des addictions les plus suicidogènes : le nombre de tentatives de suicide est quinze fois supérieur à celui de la population normale.
Pour autant, on l’a déjà souligné, les investissements publicitaires ont augmenté de 25 % et ne cessent de s’intensifier. Et pour cause, l’addiction représente une manne, avec quelque 40 % du chiffre d’affaires des opérateurs de jeux provenant de personnes ayant une pratique excessive. Il faut donc l’alimenter.
La régulation des jeux sportifs en ligne apparaît désormais comme un impératif social et sanitaire. D’où cet amendement, dont l’objet est de limiter la publicité en ligne afin de réduire l’exposition des plus jeunes, en taxant les investissements publicitaires des opérateurs et en reversant les bénéfices de cette taxe à la branche maladie de la sécurité sociale.
Cette mesure de régulation, qui s’impose pour des raisons sociales et sanitaires, serait en outre bénéfique à l’ensemble des services de soins dédiés.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 819 rectifié ter.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Dans un autre registre que les amendements que nous avons précédemment défendus, mais toujours dans une perspective de prévention et de santé publique, nous proposons de mettre à contribution les messages publicitaires portant sur les jeux en ligne et paris sportifs.
Entre 2014 et 2019, les investissements publicitaires des opérateurs de jeux en ligne et de paris sportifs ont augmenté de 25 %. Ils donnent lieu à des campagnes publicitaires intenses et particulièrement ciblées sur les jeunes publics.
D’après les chiffres de la nouvelle autorité de régulation, l’Autorité nationale des jeux (ANJ), trois parieurs en ligne sur quatre ont moins de 34 ans, et l’on sait combien ce public est particulièrement vulnérable aux phénomènes d’addiction.
L’un des principaux centres de soins dédiés à Paris, l’hôpital Marmottan, a observé que les jeunes adultes de moins de 25 ans représentaient, à eux seuls, 62 % de la totalité des patients pris en charge pour leur addiction aux paris sportifs.
En 2019, l’OFDT relevait dans une étude que les pratiques de jeu à risque modéré ou excessif se rencontrent chez les hommes plus jeunes, issus de milieux modestes, ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs.
Grâce au travail de l’ancien Observatoire des jeux – je tiens ici à saluer l’implication de Jean-Michel Costes, qui fut le premier, dès 2011, à nous alerter sur les dangers de ce phénomène –, il est désormais admis que cette pratique peut entraîner de graves troubles sanitaires et psychiatriques et qu’il y a là un véritable enjeu de santé publique.
Le présent amendement vise donc à limiter la publicité en ligne, afin de réduire l’exposition des plus jeunes, en taxant les investissements publicitaires des opérateurs. Je précise que le marché du jeu en ligne et de hasard représente plus de 48 milliards d’euros de mises.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour présenter l’amendement n° 871 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Corbisez. En 2010, année de la libéralisation des paris sportifs, la France comptait près de 820 000 joueurs. Dix ans plus tard, ils sont près de 4,5 millions, et ils parient de plus en plus gros.
Si les jeunes âgés de 18 à 24 ans ne représentaient que 17 % des joueurs en 2011, leur proportion atteint désormais 34 % des joueurs, selon les données de l’Autorité nationale des jeux.
Le présent amendement pourrait être un premier pas vers la prévention des risques liés aux pratiques excessives du jeu, qui touchent les personnes les plus vulnérables, grâce à l’instauration d’une taxe sur les publicités relatives aux jeux d’argent en ligne.
En s’acquittant d’une taxe allouée à la sécurité sociale, les opérateurs de jeux contribueront ainsi à diminuer les risques et les conséquences de l’addiction liée à leur secteur d’activité.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 952 rectifié quater.
Mme Angèle Préville. Comme viennent de l’indiquer mes collègues, il s’agit ici de taxer les investissements publicitaires des opérateurs de jeux en ligne, investissements ayant augmenté de 25 %.
Rappelons que 40 % du chiffre d’affaires de ces opérateurs proviennent de personnes ayant une pratique excessive du jeu. Cette expression désigne en fait ce que l’on nomme le « jeu pathologique », une forme de pratique dans laquelle le joueur perd jusqu’à la notion même de plaisir de jouer et, comme dans toute addiction, développe une dépendance très forte et s’engage, en pure perte, dans une course sans fin à la recherche du plaisir initial.
C’est une pathologie reconnue dans le domaine psychiatrique, au même titre que celles qui sont dues aux substances psychotropes, comme la cocaïne et l’héroïne. Nécessitant une thérapie, elle est donc source, très concrètement, de dépenses de santé.
Pour cette raison, il apparaît légitime qu’une taxe contributive des opérateurs de jeux en ligne abonde la branche maladie de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je remercie mes collègues auteurs de ces amendements d’avoir abordé ce sujet, qui est une réelle plaie de notre société, comme, d’ailleurs, toutes les addictions. La pratique excessive de certains jeux ou certaines consommations brise, on le sait, la vie des personnes concernées, mais aussi de toute leur famille.
J’émettrai néanmoins, au nom de la commission, un avis défavorable sur ces amendements.
Si je partage les préoccupations exprimées et, surtout, la volonté de trouver la meilleure solution pour éviter ces addictions et pratiques excessives, il me semble que taxer les publicités n’est pas la bonne solution. C’est plutôt en allant vers le consommateur que l’on réussira le mieux à faire diminuer sa consommation. Il faut frapper directement au portefeuille des personnes ayant une consommation excessive.
Par ailleurs, les opérateurs de jeux et de paris en ligne font déjà l’objet de prélèvements, inscrits aux articles 302 bis ZG et suivants du code général des impôts. Si l’objectif est d’alourdir la fiscalité applicable à ces opérateurs, il paraît plus pertinent d’agir à ce niveau-là, au lieu de proposer une autre fiscalité.
En effet, selon un baromètre de Santé publique France datant de 2019, en matière de jeux d’argent et de hasard, les Français jouent moins, mais ils misent plus, ce dont, évidemment, nous ne pouvons pas nous satisfaire. Il serait donc plus cohérent de renforcer la fiscalité pesant sur ces mises, fiscalité qui est régie par le code général des impôts.
Enfin, sans juger de l’écriture de ces amendements identiques, ceux-ci présentent tout de même quelques fragilités rédactionnelles, risquant de rendre le dispositif proposé inopérant. Par exemple, il est fait référence à des documents dont il est impossible d’établir la nature, alors même que leur mise à disposition est identifiée comme fait générateur de la contribution.
Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable. Néanmoins, le sujet est important et nous devrons en reparler. Il faut agir en matière de fiscalité, mais plus en direction du consommateur et sur les mises qu’en se focalisant sur les publicités.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. L’avis du Gouvernement sera défavorable, pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être évoquées.
En règle générale, nous nous opposons à la création de toute nouvelle taxe. Par ailleurs, nous considérons que la prévention doit passer par un travail de pédagogie et de sensibilisation et que les taxes comportementales ont très souvent atteint les limites de leur efficacité, au vu des niveaux qu’elles affichent déjà. Nous leur préférons des actions plus ciblées.
J’aurai l’occasion de revenir plus en détail sur certains des amendements que nous allons examiner après cet article 16 ter, mais sachez d’ores et déjà, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’avis du Gouvernement sera défavorable sur tous ceux qui tendent à créer des taxes dites comportementales.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote.
Mme Jocelyne Guidez. Je comprends très bien les arguments qui nous sont opposés ; d’ailleurs, nos interventions se rejoignent sur pas mal de points.
Toutefois, derrière tout cela, il y a des jeunes et un problème d’une telle gravité qu’il me semble nécessaire de maintenir mon amendement, qui sera au moins un amendement d’appel, nous enjoignant à pousser la réflexion plus loin.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Pour le coup, monsieur le ministre, ce n’est pas une taxe comportementale, puisqu’elle vise la publicité.
Mme Angèle Préville a tout de même bien développé l’analogie avec la drogue… Accepterions-nous, demain, une publicité pour l’héroïne, sachant ce que cela entraînerait en termes de consommations excessives ? On ne le tolérerait pas !
C’est donc que vous n’êtes pas convaincu par le fait que cette addiction au jeu est une addiction aussi grave que celle qui a été mentionnée par notre collègue.
J’y insiste, il ne s’agit pas d’une taxe comportementale ; le consommateur en situation d’addiction sera de toute façon prêt à payer davantage. Nous souhaitons taxer ceux dont l’action, en particulier en direction des publics les plus fragiles – les jeunes, les plus modestes –, est susceptible de conduire à la surconsommation.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Pour ma part, je ne suis pas tout à fait d’accord avec les arguments qui nous ont été opposés.
Certes, ce n’est pas une taxe comportementale, mais elle serait tout de même appliquée sur une publicité dont le but est bien de modifier le comportement des usagers, et qui le modifie. On pourrait donc, de manière indirecte, la considérer comme une taxe comportementale.
Par ailleurs, elle va rapporter un peu d’argent. Peut-être ne faut-il pas s’en priver… En définitive, c’est un peu comme si l’on voulait taxer des publicités par lesquelles on tente d’influencer le comportement de jeunes enfants face à des produits sucrés. Il me semble qu’il ne faut pas balayer de telles solutions d’un revers de main.
Je suis complètement d’accord sur le fait qu’il faudra travailler le sujet plus en profondeur. Cette mesure ne peut effectivement pas, à elle seule, faire reculer ce phénomène d’addiction.
Pour autant, je maintiens moi aussi mon amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. J’insiste sur le fait que, lorsque l’on évoque des campagnes publicitaires intenses, cela signifie qu’il est difficile pour les personnes précaires et fragiles d’y échapper. C’est pourquoi il me semble urgent d’instaurer cette taxe et, d’une certaine manière, de préserver un peu notre jeunesse de ces tentations répétées et délétères.
Comme mes collègues, je maintiens mon amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 34 rectifié ter, 736 rectifié ter, 819 rectifié ter, 871 rectifié bis et 952 rectifié quater.
(Les amendements sont adoptés.) – (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 16 ter.
L’amendement n° 996 rectifié, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, MM. Parigi et Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 16 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 438 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le montant : « 9,68 € » est remplacé par le montant : « 19,36 € » ;
2° Au deuxième alinéa, le montant : « 3,91 € » est remplacé par le montant : « 7,82 € ».
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Puisqu’il faut taxer le produit, madame la rapporteure générale, vous allez peut-être soutenir le présent amendement, au travers duquel je propose de taxer l’alcool.
Depuis toujours, l’alcool représente un fléau social et sanitaire. Il continue de détruire des familles et des vies. Son ampleur, loin de décroître, se stabilise.
Selon le ministère de la santé, si le pourcentage de jeunes de moins de 24 ans hospitalisés est stable depuis 2012 – à un niveau de 19 % des hospitalisations, tout de même –, celui des patients de plus de 55 ans a augmenté de près de 4 %. Le coût de ces séjours hospitaliers est estimé, par le ministère, à 2,64 milliards d’euros – c’est précis –, et les conséquences de la consommation excessive d’alcool restent l’un des tout premiers motifs d’hospitalisation en France.
De fait, la France a une position toute particulière, puisqu’elle est le deuxième pays le plus consommateur d’alcool, avec 16 % de la population, en moyenne, consommant du vin de six à sept fois par semaine.
Ce danger latent pour la population doit être réduit au maximum, et nous devons tout faire pour que la consommation ne devienne jamais une pratique excessive – c’est bien cette pratique excessive que nous ciblons ici.
À cet égard, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la France serait particulièrement concernée par le nombre de cancers évités si l’on doublait les tarifs des droits d’accises appliqués au vin. En effet, pour le moment, le vin ne représente que 4 % de ces droits d’accises, et ce produit est, en plus, exempté de cotisation de sécurité sociale.
Notre proposition constitue donc une mesure de santé publique. Nous suggérons de doubler les tarifs du droit de circulation du vin, ce qui, non seulement n’aura pas de conséquence excessive, car la fiscalité en vigueur est encore très faible, mais apportera en plus une contribution aux dépenses publiques de près de 4,9 milliards d’euros, cette somme permettant, à la fois, de couvrir les coûts des séjours hospitaliers que je viens d’évoquer et de renforcer grandement nos moyens en termes de prévention et de prise en charge de toutes les pathologies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Vous avez raison, madame Poncet Monge, l’alcool a des effets importants, surtout en cas de consommation excessive, sur certaines maladies, notamment les cancers. Je voudrais rappeler qu’il est responsable de 16 000 décès liés au cancer par an – ce n’est pas rien, il faut en avoir conscience – et qu’il constitue le second facteur de risque de développement de cancer.
Je partage donc l’objectif de lutte active contre la consommation excessive d’alcool, qui peut effectivement, sous la forme répétée et continue que vous avez décrite, avoir des effets considérables sur la santé.
Néanmoins, votre amendement vise à majorer la seule taxation du vin. Or on sait aujourd’hui que la consommation excessive d’alcool, notamment chez les jeunes, concerne plutôt des cocktails « explosifs », dirons-nous, d’alcools forts, mais aussi les mélanges avec boissons sucrées de type prémix.
Voilà deux ans, des décisions ont été prises pour taxer davantage ces boissons, très fortement consommées par un certain nombre de jeunes.
Plutôt que d’envisager une augmentation cantonnée au vin, il serait peut-être utile, à ce stade, d’attendre les résultats de l’action inscrite dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, qui vise précisément à réduire les consommations d’alcool à risque.
Dans le cadre de cette action, un programme national de prévention du risque alcool est mené de façon interministérielle et pluridisciplinaire. Il devrait permettre d’élaborer et mettre en œuvre un certain nombre d’actions de régulation du marketing à destination des jeunes. Les professionnels sociaux et médico-sociaux sont aussi mobilisés pour opérer un repérage précoce des situations de consommation excessive.
Pour ces raisons, et même si, sur le fond, je partage l’idée qu’il faut lutter contre la consommation excessive d’alcool, l’amendement présenté ne me semble pas apporter une réponse adéquate.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 996 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 29 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 250 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 1011, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, MM. Parigi et Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 16 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au chapitre III du titre III de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré une section I bis ainsi rédigée :
« Section I bis
« Taxe spéciale sur les édulcorants de synthèse
« Art. 554 B. – I. – Il est institué une taxe spéciale sur l’aspartame, codé E951 dans la classification européenne des additifs alimentaires, effectivement destiné, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine.
« II. – Le taux de la taxe additionnelle est fixé par kilogramme à 30 € en 2022. Ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2023. À cet effet, les taux de la taxe sont révisés chaque année au mois de décembre, par arrêté du ministre chargé du budget publié au Journal officiel, en fonction de l’évolution prévisionnelle en moyenne annuelle pour l’année suivante des prix à la consommation de tous les ménages hors les prix du tabac. Les évolutions prévisionnelles prises en compte sont celles qui figurent au rapport économique, social et financier annexé au dernier projet de loi de finances.
« III. – 1. La contribution est due à raison de l’aspartame alimentaire ou des produits alimentaires en incorporant par leurs fabricants établis en France, leurs importateurs et les personnes qui en réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, sur toutes les quantités livrées ou incorporées à titre onéreux ou gratuit.
« 2. Sont également redevables de la contribution les personnes qui, dans le cadre de leur activité commerciale, incorporent, pour les produits destinés à l’alimentation de leurs clients, de l’aspartame.
« IV. – Pour les produits alimentaires, la taxation est effectuée selon la quantité d’aspartame entrant dans leur composition.
« V. – L’aspartame ou les produits alimentaires en incorporant exportés de France continentale et de Corse, qui font l’objet d’une livraison exonérée en vertu du I de l’article 262 ter ou d’une livraison dans un lieu situé dans un autre État membre de l’Union européenne en application de l’article 258 A, ne sont pas soumis à la taxe spéciale.
« VI. – La taxe spéciale est établie et recouvrée selon les modalités, ainsi que sous les sûretés, garanties et sanctions applicables aux taxes sur le chiffre d’affaires.
« Sont toutefois fixées par décret les mesures particulières et prescriptions d’ordre comptable notamment, nécessaires pour que la taxe spéciale ne frappe que l’aspartame effectivement destiné à l’alimentation humaine, pour qu’elle ne soit perçue qu’une seule fois, et pour qu’elle ne soit pas supportée en cas d’exportation, de livraison exonérée en vertu du I de l’article 262 ter ou de livraison dans un lieu situé dans un autre État membre de l’Union européenne en application de l’article 258 A. »
II. – Après le 7° de l’article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Le produit de la taxe mentionnée à l’article 554 B du code général des impôts est affecté à la branche mentionnée au 1° de l’article L. 200-2 du présent code. »
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Présent dans des milliers de produits alimentaires de consommation courante, l’aspartame est l’édulcorant intense le plus utilisé au monde. Pourtant, dès son apparition dans les années 1960 aux États-Unis, des doutes ont été exprimés quant à sa nocivité et sa mise sur le marché a été d’emblée entachée de conflits d’intérêts.
Dans un avis datant de 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime qu’« il n’existe pas d’élément scientifique probant permettant d’encourager dans le cadre d’une politique publique la substitution systématique des sucres par [de l’aspartame] dans les produits au goût sucré ».
Ainsi, selon l’agence, l’objectif de réduction des apports en sucre doit être atteint, notamment, par la réduction globale du goût sucré de l’alimentation dès le jeune âge, et non en cherchant à le préserver par le biais d’une substitution.
Si l’Agence européenne du médicament a conclu, en 2013, que l’aspartame et ses produits de dégradation étaient sans danger pour la consommation humaine, d’autres études ont depuis lors évoqué ses dangers.
Une étude parue en décembre 2018 dans la revue spécialisée Obesity Facts dévoile que la consommation de boissons contenant de l’aspartame favorise l’obésité et a donc une responsabilité dans l’ensemble des maladies chroniques qui y sont associées.
En tout état de cause, nous devons inciter les professionnels à réduire leur utilisation de cet additif, par lequel se perpétue l’addiction au goût sucré.
Notre amendement tend à créer une taxe additionnelle sur l’aspartame. À cette fin, il convient de supprimer un avantage concurrentiel, reposant sur le seul fait que le coût des dégâts sanitaires causés par ce produit est externalisé, rendu invisible et supporté par la collectivité.
De ce point de vue, la progressivité est indispensable, car elle permet d’aboutir à terme à une taxation dissuasive, tout en laissant aux industriels, c’est important, le temps de s’adapter.
Par ailleurs, nous considérons qu’il est urgent de mener…
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, ma chère collègue !
Mme Raymonde Poncet Monge. … davantage d’études indépendantes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Effectivement, s’agissant de la consommation de produits sucrés, on préconise en général une certaine sobriété, et ce dès le plus jeune âge. C’est le cas de l’Anses, comme vous l’avez rappelé, madame Poncet Monge. Pas de sirop ou de bonbon à table : c’est parfois difficile à respecter, mais s’habituer à de telles règles au plus jeune âge, c’est éviter ces sortes de dépendance aux sucreries plus tard.
Cela étant, votre amendement porte sur le seul aspartame et ne concerne pas les autres édulcorants artificiels intenses – comme le stevia ou le sucralose –, qui se sont considérablement développés. Il ne traite pas non plus de tous les autres produits sucrés sans édulcorant, dont l’impact glycémique est tout aussi problématique, voire encore plus, en termes de santé publique.
Il serait dommage qu’une taxation de l’aspartame conduise les consommateurs à se reporter sur d’autres produits sucrés. Pour être efficace, la lutte contre la consommation excessive de produits au goût sucré doit être globale.
Par ailleurs, le champ des personnes redevables de la taxe pose question. En effet, la rédaction n’est pas très claire sur ce point, et l’on se demande si les vendeurs de produits alimentaires faits sur place seraient également soumis à la taxe, ou non, en cas d’incorporation d’aspartame.
Je vous rejoins donc sur le fond – il faut éviter les produits sucrés, dès le plus jeune âge –, mais je ne pense pas que l’adoption de cet amendement nous permettrait vraiment d’atteindre un tel but. N’oublions pas qu’il y a d’autres produits édulcorants !
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour explication de vote.
Mme Florence Lassarade. Malheureusement, il est trop tard pour que je prenne la parole sur l’amendement précédent. Mais, en tant que vice-présidente du groupe d’études Vigne et vin, j’aurais aimé m’exprimer sur le sujet, afin que le vin ne soit pas traité comme un alcool ordinaire.