Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
8
Vigilance sanitaire
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire (projet n° 131, résultat des travaux de la commission n° 136, rapport n° 135).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui en nouvelle lecture le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, après avoir constaté mardi en commission mixte paritaire qu’un accord ne pouvait être trouvé.
Les deux assemblées ont pourtant considéré, l’une comme l’autre, que la situation sanitaire justifiait de prolonger les outils donnés au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de covid-19.
Les divergences ont principalement porté sur l’échéance à retenir pour la prochaine période de gestion de la crise sanitaire, ainsi que sur les modifications à apporter aux prérogatives accordées au pouvoir réglementaire.
Dans la mesure où une motion visant à opposer la question préalable au projet de loi a été déposée, nos débats seront brefs, mais permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit ce texte, et ce qu’il permet.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’exprimer devant vous en première lecture, nous n’en avons pas terminé avec l’épidémie de covid. Pour s’en convaincre, il suffit malheureusement d’examiner la situation sanitaire en Europe.
À l’heure où je vous parle, nous sommes confrontés à un risque de rebond épidémique, à l’approche de la période hivernale, propice à une accélération de la circulation virale.
Pratiquement tous les pays européens font face à une hausse des cas, avec une situation préoccupante en Europe de l’Est.
Dans notre pays, on observe depuis plusieurs jours une tendance moins favorable, avec une reprise de la circulation épidémique et, plus récemment, une hausse des hospitalisations et des admissions en soins critiques dans plusieurs territoires. Sans évoquer à ce stade une cinquième vague, nous devons rester vigilants.
C’est particulièrement important alors que nous entrons dans une nouvelle période de mise sous tension de notre système de santé par la circulation simultanée de la covid-19 et d’autres maladies saisonnières comme la bronchiolite, la grippe ou la gastro-entérite.
Dans les prochains mois, nous devrons donc continuer à lutter contre cette épidémie, en poursuivant toutes les actions nécessaires pour protéger la santé des Français.
Ainsi de la vaccination, pour laquelle nous devons convaincre et accompagner nos concitoyens qui ne sont pas encore protégés, en particulier les plus vulnérables. Nous ne devons pas non plus relâcher nos efforts pour la campagne de rappel, qui progresse, mais qui devra progresser encore plus vite. Je m’y emploie avec Olivier Véran.
En complément de la vaccination, nous devons conserver la faculté de prendre les mesures de freinage nécessaires pour limiter la circulation du virus. Tel est bien l’objet du présent projet de loi, qui se projette à une échéance adaptée à l’évolution prévisible de l’épidémie.
De ce point de vue, le choix du 31 juillet prochain est pertinent. Nous savons très bien dès à présent qu’il nous faudra vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été, et la période hivernale amplifiera sa circulation dans les prochains mois.
Je rappelle en outre que la date du 31 juillet a été soumise respectivement au conseil scientifique et au Conseil d’État, qui ont pleinement validé cette orientation, chacun dans son office.
Cette prorogation avait comme corollaire un renforcement de l’information du Parlement. Le rapport d’étape qui sera remis par le Gouvernement d’ici la mi-février permettra ainsi de disposer d’une clause de revoyure, qui pourra bien entendu donner lieu à un débat en commission ou en séance, en présence du Gouvernement.
La remise d’un second rapport d’ici la mi-mai et la production de synthèses mensuelles sur les mesures prises et leur impact sur la situation sanitaire compléteront l’ensemble des initiatives déjà prises par ailleurs pour assurer une information pleine et entière du Parlement.
Quant aux outils de gestion de l’épidémie, le projet de loi permet de les conforter et de les améliorer sur la base du retour d’expérience acquis ces derniers mois, sans en bouleverser l’économie générale. Il permettra ainsi de mieux contrôler le respect de l’obligation vaccinale pour les publics concernés, de lutter avec davantage de rigueur contre les fraudes au passe sanitaire, et de renforcer la campagne de dépistage et de vaccination dans les établissements scolaires.
Les modalités de recours au passe sanitaire ont par ailleurs été précisées, en prévoyant que sa mise en œuvre sera justifiée par la circulation virale ou ses conséquences sur le système de santé, selon des indicateurs que le pouvoir réglementaire devra prendre en compte.
Sans imposer une logique de territorialisation du passe selon un critère sanitaire unique et une valeur de référence directement fixée dans la loi, ces précisions réaffirment le principe d’une mise en œuvre du passe strictement adaptée et proportionnée aux risques sanitaires encourus. Comme le Gouvernement l’a déjà indiqué, l’application du passe sanitaire tel que nous le connaissons depuis l’été sera réexaminée dans les prochaines semaines, et ajustée si la situation le justifie.
Le projet de loi comprend enfin un nombre ciblé de mesures d’accompagnement, qui permettront de faire face aux conséquences de la crise sanitaire, en matière d’activité partielle, de fonctionnement des organes délibérants des collectivités territoriales ou de durée de validité de certaines décisions administratives.
Malgré l’absence d’accord entre les deux assemblées, le projet de loi qui vous a été transmis reprend plusieurs dispositions importantes adoptées par le Sénat en première lecture.
Je pense en particulier à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire en Martinique, adoptée en concertation avec votre commission des lois. La situation dans ce territoire le justifie pleinement, avec une circulation virale qui se maintient à un niveau élevé, un taux d’occupation des lits de réanimation supérieur à 100 % et une couverture vaccinale encore insuffisante.
Je pense également aux dispositions précisant le périmètre de l’obligation vaccinale dans les établissements d’accueil des jeunes enfants, insérées sur l’initiative de Mme Gruny, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Elles permettront de sécuriser juridiquement les orientations retenues depuis le mois d’août pour tenir compte des spécificités de ce secteur.
Je pense enfin à l’article permettant d’accompagner la création de systèmes d’information analogues à SI-DEP en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. C’était une demande forte des élus de ces territoires, et je me félicite que nous puissions directement y répondre dans ce projet de loi pour renforcer localement la gestion et le suivi de l’épidémie.
Enrichi par ces compléments, le projet de loi qui vous a été transmis est un texte équilibré et adapté à la situation sanitaire des prochains mois.
Les prérogatives qu’il permettra de mobiliser s’inscrivent en effet dans un régime juridique précis et exigeant, qui a pleinement fait ses preuves pour concilier l’objectif de protection de la santé publique avec le respect des droits et libertés. Le Sénat a d’ailleurs largement contribué à définir et à préciser ce cadre d’action lors des différents rendez-vous législatifs que nous avons eus depuis mars 2020.
Les différentes mesures prises en application de ce régime devront toujours répondre aux exigences essentielles de nécessité et de proportionnalité, dont le respect sera placé sous le contrôle du juge administratif, y compris par des procédures de référé d’urgence.
J’ajoute également que, si le Gouvernement était amené, compte tenu de la situation sanitaire, à déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire national, le Parlement devrait être impérativement saisi pour autoriser sa mise en œuvre au-delà d’un mois.
M. Philippe Bas, rapporteur. Encore heureux !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous l’aurez compris, ce projet de loi, à l’image des précédents, permettra de protéger la santé des Français en limitant au mieux l’impact des mesures prises sur leur vie quotidienne.
C’est un équilibre difficile, sans cesse renouvelé face à l’évolution de la circulation du virus, à l’irruption de nouveaux variants et à l’état des connaissances. Cet équilibre, le Gouvernement s’emploie chaque jour à le maintenir et à anticiper, car gouverner, c’est prévoir.
Le projet de loi permettra de poursuivre dans cette voie, en disposant des moyens nécessaires pour gérer la suite de la crise sanitaire, avec toutes les garanties requises en termes de libertés publiques.
Permettez-moi de conclure en rappelant que le désaccord entre les deux assemblées sur ce texte n’ôte rien à l’importante mobilisation du Parlement depuis le début de la gestion de cette crise. À cet égard, permettez-moi de saluer une fois encore la participation du Sénat à chacun des rendez-vous législatifs que nous avons eus depuis bientôt deux ans sur ce sujet, souvent dans des conditions de travail difficiles, imposées par les circonstances.
Le Gouvernement restera fidèle à l’approche retenue depuis le début de la crise, en prenant les mesures nécessaires et proportionnées à l’évolution de la situation pour protéger la santé de nos concitoyens dans les meilleures conditions. Je ne doute pas que le Sénat restera fidèle à la sienne, en portant un regard sévère, mais constructif sur notre action. (M. Martin Lévrier et M. le rapporteur applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l’épidémie de covid-19 a fait son apparition en France au début de l’année 2020, notre pays s’est trouvé pris au dépourvu : pas de masques, pas de tests de dépistage, pas de gel hydroalcoolique, pas de pratique des gestes barrières, pas de pratique massive du télétravail, pas de médicaments, pas de vaccins.
À cet égard, notre pays n’a été logé ni à pire ni à meilleure enseigne que beaucoup d’autres. Sauf peut-être, en ce qui concerne la disponibilité des masques et des tests de dépistage : pour les masques, en raison d’une gestion non satisfaisante, du point de vue de l’intérêt national, des stocks constitués plusieurs années auparavant et parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 n’avait pris la mesure du danger ; pour les tests de dépistage, parce que, alors même qu’ils étaient disponibles dans beaucoup de pays d’Asie, il a fallu attendre encore longtemps pour qu’ils le soient en France.
C’est parce que l’ensemble de ces dispositifs concrets et pratiques, aussi bien d’ordre médical que relevant de l’organisation de la société, ne pouvaient être mis en œuvre qu’il a fallu procéder d’une autre manière pour enrayer l’épidémie.
Ce fut le premier confinement et, convenez-en, madame la ministre, le Sénat a répondu présent. Il l’a fait sans porter de jugement sur les responsabilités de la situation à laquelle nous étions confrontés, mais parce qu’il lui est apparu alors que c’était le seul moyen de se donner une chance de limiter la propagation d’une épidémie qui saturait déjà les services hospitaliers et, en particulier, les services de réanimation.
Cette épidémie a connu de nombreux rebondissements. L’expérience acquise depuis mars 2020 doit nous conduire à considérer aujourd’hui que la restriction des libertés individuelles n’est ni le moyen unique ni même le moyen principal qu’il faut mettre en œuvre pour juguler l’épidémie.
La situation est tout de même bien différente, sur tous les points que je viens d’évoquer, par rapport à ce qu’elle était il y a dix-huit mois. Même en matière de médicaments, préventifs ou curatifs, de très grands progrès ont été accomplis. On en annonce d’autres, les premiers pour les prochaines semaines, certains pour les mois qui viennent.
Cela signifie que, à certains égards, les restrictions aux libertés d’aller et venir des Français constituent aujourd’hui des solutions de facilité, alors qu’elles étaient incontournables il y a seulement quelques mois.
Non seulement le Sénat de la République a accepté, en mars 2020, en contradiction avec ce qui fait son identité profonde, des restrictions inévitables à nos libertés, mais il a continué à accorder au Gouvernement, chaque fois qu’il les lui demandait, les moyens d’action qui lui paraissaient proportionnés – après l’avoir vérifié, bien sûr – à la situation sanitaire qu’il s’agissait de maîtriser du mieux que l’exécutif pouvait le faire, avec l’aval du Parlement.
Il l’a fait, encore, quand il s’est agi d’imposer l’utilisation du passe sanitaire à l’entrée des cafés, restaurants, salles de spectacles et lieux rassemblant de nombreux concitoyens, tels les foires, marchés et salons.
On ne pourra pas dire que le Sénat n’a pas répondu présent. On ne pourra pas dire que le Sénat n’a pas assumé ses responsabilités.
Toutefois, pour notre assemblée, la contrepartie de cet engagement aux côtés des autorités sanitaires, c’est l’exigence d’un contrôle parlementaire qui permet d’adapter, pas à pas, les instruments de la lutte contre le covid-19 à la réalité de la situation sanitaire.
Si le régime de l’état d’urgence sanitaire est un régime temporaire qui, dans l’esprit du législateur, peut être activé à tout moment en fonction de l’évolution de l’épidémie, c’est aussi un régime dans lequel les mesures les plus restrictives de nos libertés prises par le Gouvernement – vous l’avez loyalement rappelé, madame la ministre –, ne peuvent être prolongées au-delà d’un mois sans le vote du Parlement. Je me permets de signaler qu’il s’agissait là d’une exigence du Sénat et qu’elle a été, bien sûr, respectée.
Madame la ministre, aujourd’hui encore, le Sénat ne s’oppose pas à ce que les instruments de la lutte contre l’épidémie soient prolongés. Mais de la même façon qu’il l’a toujours fait, il veut que ce soit sous son contrôle et sous le contrôle de l’Assemblée nationale.
Ces droits du Parlement, nous ne pouvons les laisser prescrire, pour une raison très simple, c’est qu’ils ne nous appartiennent pas. Ils ont été institués dans l’intérêt de nos concitoyens. La représentation nationale représente non pas seulement une majorité, mais toutes les sensibilités des Français. C’est pourquoi le rôle du Sénat est particulièrement important dans la lutte contre cette pandémie.
En effet, la majorité sénatoriale et, plus largement, l’ensemble des sénateurs peuvent apporter au débat une voix originale. Chaque fois que nous disons « oui », notre « oui » est celui d’une assemblée indépendante et non alignée. Cela peut contribuer à l’acceptabilité des mesures qui sont prises.
Je dois vous dire, madame la ministre, à la fois ma tristesse et mon étonnement de voir que ce que le Gouvernement a accepté, par exemple il y a trois mois et demi bientôt pour la durée de vie du passe sanitaire, il le refuse pour les mois à venir.
Qu’est-ce qui a donc changé dans les déterminants de la position du Gouvernement ? Je ne parviens pas à croire que la perspective de l’élection présidentielle puisse vous arrêter. Puisque nous avons ici démontré notre esprit de responsabilité, puisque nous avons affiché une certaine cohérence et une certaine continuité dans nos positions sénatoriales, nous n’avons aucune raison de changer d’attitude et nous n’en changerons pas.
En revanche, vous, vous avez changé de position et cela pose une question essentielle : votre intransigeance, la fin de non-recevoir que vous nous opposez, fait nécessairement émerger dans notre esprit le soupçon que des intentions politiques soient à l’origine de cette position qui n’est plus la même qu’à la fin du mois de juillet 2021.
À la tristesse s’ajoutent donc l’incompréhension et le mécontentement face au non-respect de principes fondamentaux de nos institutions démocratiques.
C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, nous réitérons nos positions. Nous ne pouvons admettre l’absence de discussion, dans la mesure où cette discussion – les députés nous l’ont dit –, c’est le Gouvernement qui l’a en réalité interdite. Cela est déplorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise est toujours là et la menace d’une nouvelle vague de l’épidémie se fait sentir.
Nous l’avons dit et répété, et nous le ferons encore et toujours, malgré la lassitude qui pourrait nous gagner : l’urgence n’est plus là. Rien ne peut plus justifier aujourd’hui la perpétuation d’un état d’exception qui met à l’écart le Parlement et porte atteinte, dans un même mouvement, à des libertés essentielles de nos concitoyens. Comment accepter, par exemple, le nouveau rôle dévolu aux directeurs d’école, désormais habilités à exercer une forme de police sanitaire ?
Nous l’avons dit et répété, la conviction démocratique devrait exiger que le Parlement décide et que le Parlement prenne le temps de décider.
Prenons ce débat. Pourquoi une telle précipitation ? Madame la ministre, la France n’est plus à l’arrêt, l’épidémie a reculé grâce à la vaccination, même si la vigilance doit rester de mise. Pourquoi, dans ces conditions, continuer à pratiquer l’oukase, en ne laissant aux sénateurs que quelques jours – quelques heures aujourd’hui – pour examiner des dispositions engageant la vie quotidienne et les libertés de notre peuple pour les mois à venir ?
Nous l’avons dit et répété, le Parlement doit reprendre le pouvoir. Les assemblées peuvent être saisies à tout instant, de nuit comme de jour, y compris pendant l’interruption des travaux liée aux prochains scrutins électoraux, pour débattre, proposer, voter.
La gestion solitaire de la crise sanitaire par Emmanuel Macron n’est plus acceptable. Il ne faut pas s’habituer à ces conseils de défense opaques, dépourvus de fondement constitutionnel, où les décisions sanitaires se prennent. Dois-je rappeler, une fois encore, que la santé ne fait pas partie du domaine réservé du Président de la République ?
Il revient maintenant au Parlement de décider, par la loi, de chaque étape de l’action sanitaire, de manière régulière. Les libertés et la santé de notre peuple ne doivent plus être une affaire de décret ou d’ordonnance, mais bien une affaire reprise en main par ses représentants, par la démocratie.
La question de l’hôpital public est à ce titre symbolique. Le Gouvernement nous promène dans les méandres du passe sanitaire, de cette société de vigilance chère au Président de la République, alors que, dans le même temps, l’hôpital public connaît une crise sans précédent, faisant courir le risque d’un effondrement de notre système de santé en cas de nouvelle vague.
Oui, le Gouvernement fait courir de graves risques à notre pays en ne prenant pas les mesures d’urgence. Or là, il y a urgence, pour redresser l’hôpital public et rouvrir, ici et maintenant, les milliers de lits qui ont été fermés.
La suppression, par la majorité En Marche, de la demande de rapport votée par le Sénat sur l’initiative de notre groupe est, à cet égard, assez éclairante. L’Assemblée nationale a balayé les propositions du Sénat. Nous avions, pour notre part, alerté sur le danger d’essayer d’aménager un dispositif de restriction des libertés aussi fort que cet état d’urgence et son excroissance, le passe sanitaire. Si, dans le dispositif proposé, le cadre juridique de l’état d’urgence était supprimé, l’état d’esprit demeurait et permettait, de fait, le retour de la copie à l’original, jugé plus efficace.
C’est pourquoi nous avons voté contre le texte du Sénat. Certes, ce dernier améliorait fortement le dispositif gouvernemental, mais il ne s’opposait pas frontalement à la logique autoritaire et infantilisante qui est celle du Gouvernement.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE se prononcent clairement contre la prorogation de l’état d’urgence et du passe sanitaire. Ils rappellent que les nécessités de l’heure sont le redressement de l’hôpital public, la prise en compte du devenir des personnels souvent démissionnaires ou suspendus du fait de la non-vaccination, mais certainement pas cette captation du pouvoir par l’exécutif, qui accélère le passage à ce que nous appellerons non pas une société de vigilance, mais une société de surveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa et M. Guy Benarroche applaudissent également.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapporteur Philippe Bas nous ayant longuement exposé la situation, mon intervention sera brève.
Profitons néanmoins de ce moment, mes chers collègues, parce que nous n’allons plus parler de ce sujet avant le mois de juillet ! (Sourires.)
Le Sénat avait exprimé, dans ce débat, une position claire : l’échéance fixée à l’été 2022 n’est pas raisonnable. Cela reviendrait à enjamber deux élections, dans des conditions qui nous semblent inacceptables et d’autant moins justifiées que le Sénat comme l’Assemblée nationale – cela a été dit et répété – peuvent se réunir en période électorale sur simple convocation. Il n’y avait donc pas de difficultés et vraiment pas d’urgence.
Nous continuons à penser qu’il aurait été plus démocratique de ne prolonger le régime très largement dérogatoire au droit commun que nous propose le Gouvernement que pour trois mois ; plus démocratique d’en débattre à l’issue de cette période et, le cas échéant, de voter de nouveau. La vraie raison, Philippe Bas l’a suggéré, est peut-être politique…
Le Sénat proposait, comme horizon de sortie du passe sanitaire, de s’appuyer sur le taux de vaccination par département. Le Gouvernement n’a rien voulu entendre. Je dois dire que, à titre personnel, j’étais un peu réservée sur cette départementalisation, compte tenu du fait, notamment, qu’elle compliquerait le passage d’un département à l’autre. Quoi qu’il en soit, des propositions ont été faites.
Je ne parle même pas de l’article 4, madame la ministre, et des graves atteintes au secret médical dans les écoles, qui sont quand même très problématiques.
Éliane Assassi a évoqué le rapport sur l’hôpital. Force est de reconnaître qu’il existe un lien de connexité entre la situation sanitaire de notre pays et la situation de l’hôpital. On ne peut disjoindre les deux sujets.
Certes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 sera examiné prochainement. Vous nous apporterez peut-être à cette occasion les indications que nous attendons sur la situation de l’hôpital. En attendant, la demande de rapport adoptée par le Sénat était loin d’être injustifiée. Il est vraiment dommage que cette disposition ait été supprimée du texte de l’Assemblée nationale.
Toutes les conditions d’un dialogue constructif n’ont pas été réunies. Nous soutiendrons donc la motion tendant à opposer la question préalable qui sera proposée par notre commission des lois.
Quelques mots enfin, madame la ministre, pour vous dire que j’attends avec gourmandise la décision éventuelle du Conseil constitutionnel sur l’amendement n° 90 du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale rétablissant l’habilitation à procéder par ordonnance que le Sénat avait supprimée.
En la matière, la Constitution et la jurisprudence sont très claires : aucun parlementaire ne peut se défaire lui-même de ses propres compétences au profit du Gouvernement. Pour ce faire, il eût fallu que cet amendement fût déposé par le Gouvernement, et sûrement pas par un parlementaire.
J’ignore si un recours sera déposé. En tout état de cause, cette habilitation à légiférer par ordonnance introduite par l’adoption d’un amendement, fût-il du rapporteur, me semble vouée à un échec cuisant.
En attendant cette décision du Conseil constitutionnel qui ne manquera pas de retenir notre attention, je vous confirme que l’ensemble du groupe Union Centriste votera évidemment la motion proposée.
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des commissions mixtes paritaires qui, lorsqu’elles échouent, nourrissent de profonds regrets.
Mon groupe s’était prononcé majoritairement contre ce projet de loi, y compris dans sa version sénatoriale, et cette commission mixte paritaire nous laisse indifférents.
Bien sûr, nous avions vu l’effort du Sénat visant à ramener la fin des dispositifs exceptionnels à la date du 28 février 2022. Certains de mes collègues avaient d’ailleurs déposé des amendements en commission, afin que la date choisie soit celle du 15 février. Nous avions vu également le travail fastidieux de notre hémicycle au sujet de l’encadrement du passe sanitaire. La territorialisation du dispositif était le minimum attendu.
Seulement, même en l’état, le projet de loi resterait encore peu satisfaisant à mes yeux. Aussi, vous imaginez bien que ce nouveau texte, qui reprend l’essentiel des positions initiales de l’Assemblée nationale, n’arrange rien.
D’abord, le choix de la date représente un obstacle presque insurmontable. Il va de soi que j’entends les arguments du Gouvernement en faveur du 31 juillet 2022 dans la gestion de cette crise : simplicité, efficacité, performance, optimisation. Tout le champ sémantique de la modernité managériale pourrait s’y trouver associé. Pourquoi alors s’embarrasser de vieux outils, ceux du contrôle parlementaire et de l’équilibre institutionnel ?
Il ne faut cependant pas s’y tromper, l’État n’est pas une entreprise, et le Parlement n’a pas à externaliser ses compétences au profit d’autres conseils, sans doute érudits, mais dépourvus de toute légitimité démocratique. Madame la ministre, cette légitimité n’est pas encore tombée en désuétude !
Aussi, je crois que c’est à tort que sera retenue la date du 31 juillet 2022.
Bien entendu, le chemin choisi par le Sénat était le bon, avec l’avancement de la date au 28 février pour la fin des dispositifs, mais il m’est apparu encore insuffisant.
Il ne s’agit pas de nier la situation sanitaire ni de critiquer aveuglément la gestion de la crise. Toutefois, face à ces régimes d’exception qui perdurent, il faut savoir garder un cap. Le nôtre a toujours été le même : tout état d’exception ne peut être envisagé que comme une mesure provisoire et extraordinaire. Il ne saurait nullement s’installer comme un paradigme normal de gouvernement. Or c’est ce qui est en train d’advenir avec ce projet de loi.
Ensuite, il y a ce très controversé passe sanitaire, qui devait demeurer un dispositif exceptionnel en vue d’inciter nos concitoyens à se vacciner.
Je n’y étais déjà pas favorable en juillet dernier, mais force est d’admettre qu’il a pu contribuer à éviter un rebond épidémique estival. Mais alors, pourquoi ne pas profiter du succès du dispositif pour y mettre fin ? La population française est désormais largement vaccinée, et nous ne sommes plus à la traîne comme on pouvait l’entendre voilà encore quelques mois.
Pourquoi donc maintenir ce dispositif si attentatoire aux libertés individuelles ? Pourquoi vouloir pérenniser un outil source d’incompréhension et de frustration ?
Faut-il encore le rappeler, en matière de libertés publiques, la liberté est la règle et la mesure de police doit à tout prix demeurer l’exception. Nous avons su, en responsabilité, admettre l’exception pour un temps, mais revenons désormais au principe : celui de la liberté, qui fait l’essence de notre nation !
Enfin, il y a la question de l’accès aux données virologiques des élèves dans les établissements scolaires. Nous y sommes farouchement opposés. Là également, il faut trouver d’autres moyens. La position du Sénat était la bonne à mes yeux.
Il reste, pour conclure, que nous aurions aimé qu’un débat puisse de nouveau avoir lieu sur ces sujets si graves afin que chacun ait la possibilité de réaffirmer ses positions. Le groupe du RDSE, fidèle à son habitude, se prononcera donc contre la motion déposée.