Sommaire
Présidence de M. Georges Patient
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Loïc Hervé.
2. Mise en place d’un agenda rural européen. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
M. Cédric O, secrétaire d’État
Adoption de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
3. Respect des principes de la démocratie représentative. – Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi constitutionnelle
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 21, de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Présence parentale auprès d’un enfant. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Colette Mélot, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Candidatures à une commission mixte paritaire
7. Administration au service des usagers. – Adoption d’une proposition de loi modifiée
Discussion générale :
M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 7 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 5 de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 10 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 11 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 12 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 6 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Adoption de la proposition de loi, modifiée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
8. Vigilance sanitaire. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Georges Patient
vice-président
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise en place d’un agenda rural européen
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de résolution demandant la mise en place d’un agenda rural européen, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Patrice Joly et plusieurs de ses collègues (proposition n° 839 rectifié bis [2020-2021]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution.
M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Vienne, Rome, Prague, Madrid, la liste est longue des très belles villes européennes dont fait partie, bien sûr, Paris !
Ah, Paris ! Paris, plus belle ville du monde ! Paris, ville lumière ! Berceau de Notre-Dame, écrin du Louvre ou encore monture de la tour Eiffel. (Sourires.) Notre capitale était pour l’écrivain Jules Renard, également maire d’une petite commune de campagne, une ville à laquelle il manquait seulement deux lettres pour être un « paradis »…
Ville la plus visitée au monde, Paris émerveille encore par ses trésors et sa manière d’incarner la beauté architecturale.
Toutefois, la France n’est pas seulement Paris, et si le monde entier envie notre capitale, il nous envie aussi la France de nos villages.
Leben wie Gott in Frankreich – « vivre comme Dieu en France » – disent nos amis allemands. Au travers de ce proverbe, ils nous signifient à quel point l’art de vivre à la française, la qualité des paysages de notre pays et la diversité de ses terroirs sont une chance que l’on ne saurait ignorer.
Pourtant, notre pays a occulté trop longtemps cette richesse extraordinaire que les Français ont commencé à découvrir ou à redécouvrir en allant s’y confiner ou encore à la faveur de deux étés au cours desquels ils ont dû privilégier le territoire national pour leurs vacances.
Ce que nos compatriotes ont pu mesurer à cette occasion, c’est que la beauté n’est pas l’apanage de quelques villes qui monopolisent le désir. Cette beauté, qui a fait l’objet dans l’imaginaire collectif d’une confiscation par certaines villes, a produit une forme de déclassement territorial.
Au travers de ce phénomène, nous avons vu émerger un mépris de classe lié au dédain que certaines populations peuvent avoir envers ceux qui habitent au sein d’une localité mal considérée, car celle-ci est perçue comme trop banale, trop motorisée, trop « supermarchisée »…
Cette considération esthétique, loin d’être anecdotique, doit être prise au sérieux, puisque le beau non seulement participe de la reconnaissance des territoires, mais les ségrègue entre eux.
De son côté, l’État prend part à cette forme de déclassement territorial, comme en témoigne la répartition du budget du ministère de la culture, qui a dépensé, en 2019, quelque 139 euros par Francilien et seulement 15 euros par habitant des autres régions. Même si l’on exclut de ces dépenses les monuments nationaux concentrés à Paris, l’inégalité reste flagrante, puisque 41 % des crédits bénéficient au territoire francilien, ce qui représente deux fois plus que le poids démographique de l’Île-de-France ; c’est loin d’être un détail.
Quant à l’action de l’Union européenne, où se trouve l’équivalent pour les territoires ruraux du programme « Capitales européennes de la culture » ? Le patrimoine et la vie artistique dans ces territoires n’ont-ils pas suffisamment de valeur pour mériter un plan de soutien spécifique, qui aurait pu être intitulé « Campagnes européennes de la culture » et qui aurait constitué une véritable reconnaissance ?
Si j’insiste sur les représentations que nous avons des territoires, c’est qu’elles ont pour conséquence directe la manière dont nous définissons les politiques publiques.
Nous pouvons donc reprendre la méthode du pamphlet de l’abbé Sieyès et poser les questions suivantes : qu’est-ce que la ruralité ? C’est 80 % du territoire et 30 % de la population en France comme en Europe. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans les politiques publiques ? Elle a été oubliée ! Et cela au profit d’une logique de métropolisation inconsidérée. Que demande-t-elle ? Une juste considération !
Il est à propos de reprendre ces trois questions posées à la veille de la Révolution, car, d’une part, elles soulignent la nécessité de mener une action en faveur des territoires ruraux, sur le modèle de celle qui a été portée avec ambition dans les territoires urbains, lorsqu’un agenda urbain européen a été adopté, en 2015 ; et, d’autre part, elles en rappellent l’urgence, car le point de rupture est certainement très proche.
Qu’il s’agisse de l’accès aux soins, à la mobilité, aux études supérieures, au numérique ou encore à la culture, les domaines dans lesquels les fractures territoriales et les inégalités entre citoyens s’expriment toujours plus sont cruciaux.
Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental, a récemment rappelé que, malgré des résultats supérieurs à la moyenne nationale au baccalauréat, la proportion des jeunes ruraux qui disposent d’un diplôme universitaire est deux fois moindre par rapport à celle des jeunes urbains, notamment à cause de l’autocensure et de l’éloignement des centres d’enseignement supérieur.
De même, une étude récente de l’Association des maires ruraux de France a mis en lumière les conséquences de la désertification médicale croissante dans les campagnes, qui conduit au tragique constat d’une espérance de vie inférieure de plus de deux ans dans les territoires par rapport aux villes.
Cela n’a rien d’étonnant, dès lors que six millions de ruraux habitent à plus de trente minutes d’un service d’urgence. Que dire aussi des fermetures de maternités, qui mettent chaque jour des milliers de femmes et d’enfants en danger, puisqu’il est établi qu’un temps de trajet supérieur à quarante-cinq minutes jusqu’à la maternité multiplie par deux le taux de mortalité des nourrissons et par treize celui de la mère, lors d’accouchements inopinés.
Concernant les mobilités, alors que les autosolistes sont régulièrement voués aux gémonies, existe-t-il de réelles alternatives quand neuf personnes sur dix sont toujours dépendantes de la voiture dans la ruralité ?
Pour une part importante de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles comme les personnes âgées, les femmes isolées ou les foyers précaires, l’absence de solution de transport est une assignation à résidence, qui entrave l’accès à la santé, à l’emploi, à la culture ou tout simplement à la sociabilité.
Néanmoins, face à ces fractures, nous ne nous résignons pas et nous voulons participer à l’émergence d’une politique véritablement ambitieuse pour les campagnes. Celle-ci se dessinera d’autant plus naturellement que « l’inaccompli bourdonne d’essentiel », comme le disait René Char.
L’essentiel, c’est répondre aux besoins concrets de nos concitoyens ruraux, en leur garantissant les mêmes possibilités qu’à leurs compatriotes urbains et en faisant en sorte que la jeunesse dispose des mêmes chances dans son développement personnel et professionnel.
Il s’agit également d’offrir une vision de long terme aux territoires ruraux, en stimulant leur développement tout en agissant pour le bien-être social, la protection de la nature et la préservation de la qualité de vie.
Ce sera aussi l’occasion d’appréhender la valeur des services écologiques rendus par les territoires ruraux à la société tout entière et de les traduire par une valorisation financière.
Espérer, c’est démentir l’avenir. Si donc nous espérons l’avènement de cet agenda rural européen, c’est parce qu’il permettra de démentir l’avenir que certains promettent à nos campagnes, les condamnant soit à l’abandon et au déclin, soit à vivre dans le sillage des grandes métropoles.
Sans fard, il faut affirmer que, en dépit des difficultés qu’ils éprouvent, nos territoires vivent dans leur temps et présentent tous les atouts pour devenir des lieux privilégiés de la relance, notamment en raison de leurs disponibilités foncières et des ressources humaines présentes, nécessaires pour développer des écosystèmes industriels performants qui participent à la reconquête de notre souveraineté, dont les fragilités ont été révélées par la crise sanitaire, dans de nombreux secteurs.
En développant les territoires ruraux, nous garantirons à l’Union européenne les ressources dont celle-ci a besoin pour mener à bien les transitions qui s’imposent, dans les secteurs économique, énergétique, climatique, environnemental, sanitaire ou alimentaire.
À la suite de la crise sanitaire qui a ébranlé bien des certitudes, nous participerons ainsi à la construction du monde d’après et nous trouverons de nouvelles voies pour répondre à la question qui constitue l’intitulé de l’ouvrage de Bruno Latour, Où atterrir ? Nous pourrons alors garantir une meilleure habitabilité du monde.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’avenir de la France et de l’Europe passera nécessairement par le développement des coopérations entre tous les territoires. Cela nous oblige à penser les modes d’organisation de nos sociétés en abandonnant les logiques qui opposent le centre aux périphéries pour leur substituer celles d’une organisation en réseau où chaque territoire est reconnu pour ce qu’il est et pour ce qu’il apporte au collectif, de sorte qu’ils sont tous d’égal intérêt et de même dignité, tout comme les populations qui y habitent.
En proposant la mise en place d’un agenda rural européen, nous souhaitons que l’Europe prenne en compte la question rurale au-delà de la politique agricole commune (PAC). Il s’agit en réalité de corriger les fragilités des ruralités, en permettant la montée en puissance de dispositifs tels que le programme Leader (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale), et, plus globalement, en mettant en place un grand plan d’action en faveur de ces territoires.
Un tel agenda doit être l’occasion d’affirmer l’ambition européenne en faveur des territoires ruraux constitués de la campagne et de villes, petites et moyennes. Il doit répondre à leur diversité ainsi qu’à la dimension multisectorielle de leur réalité culturelle, économique et sociale.
Même si l’agenda rural français, présenté en septembre 2019, reste encore très incantatoire, car financièrement modeste, au regard des nouveaux enjeux imposés par les crises que nous traversons, il aura permis de repositionner la ruralité dans le débat public. À ce titre, il pourrait fournir les premiers éléments d’une trame pour un agenda rural européen.
À l’heure où les campagnes attirent des populations qui souhaitent construire un projet professionnel ou familial fondé sur une autre qualité de vie, toute la société nous pousse à agir pour accompagner ce désir de campagne.
En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat incitera la future présidence française de l’Union européenne à se fixer comme ambition de sensibiliser la Commission européenne à la nécessité de ruraliser l’Europe.
Notre pays, qui dispose du plus vaste et du plus bel espace rural en Europe, a toute la légitimité pour agir durant cette présidence.
Au-delà de l’occasion qui sera ainsi donnée à l’Union européenne d’envisager un autre avenir, il y va aussi de la considération que nous accordons à des populations très longtemps délaissées et qui ne se reconnaissent pas dans une Europe par trop lointaine. Donnons à l’Union européenne l’occasion de leur montrer qu’elles peuvent compter sur elle !
Mes chers collègues, je suis certain que le Sénat saura encore une fois démontrer qu’il est la chambre des territoires, de tous les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Unie dans la diversité » : cette devise nous rappelle que c’est à partir des cultures, des traditions et des langues propres à chacun de ses membres, que l’Union européenne s’est construite, et que c’est en se nourrissant de cette diversité qu’elle œuvre pour la paix entre les États qui la composent et pour leur prospérité.
La proposition de résolution que nous examinons s’inscrit dans le droit fil de cette devise, puisqu’il s’agit de faire en sorte que l’Union européenne prenne pleinement conscience de la diversité des territoires qui la composent en faisant des régions rurales, de leurs spécificités et de leurs problématiques, des thématiques à part entière des politiques européennes.
Dès lors que la ruralité compte 137 millions d’habitants qui représentant près de 30 % de la population européenne, ce serait mentir que de dire qu’elle n’a jamais fait partie des préoccupations de l’Union européenne.
Toutefois, si le Parlement et la Commission européenne ont pu témoigner au travers de différentes actions d’un certain souci du monde rural, celui-ci ne s’est pas encore traduit par une politique transversale et ambitieuse en faveur de cette ruralité.
Aussi, le texte qui nous est proposé invite nos instances européennes à se doter d’un agenda rural européen. Il charge notamment le Gouvernement de le porter à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Mes chers collègues, la question est simple : qui mieux que la France pourrait porter cette ambition au niveau européen ? La France n’a-t-elle pas été, par la voix de ses ministres Jacqueline Gourault et Joël Giraud, le premier des États membres à soutenir l’élaboration d’un agenda rural national, sans attendre celui de l’Europe ?
Cet agenda, dont l’une des ambitions est de réduire les inégalités territoriales, compte plus de 92 mesures qui ont déjà été réalisées depuis le mois de septembre 2019 et 77 autres qui sont en cours de réalisation. Il a ainsi permis des avancées substantielles dans plusieurs domaines.
Dans le secteur du numérique, on constate des progrès considérables concernant la couverture mobile et internet des territoires.
Le secteur de la jeunesse et de l’égalité des chances a bénéficié d’initiatives telles que les campus connectés, l’accompagnement des jeunes pour l’obtention du permis de conduire et le déploiement de 30 000 services civiques dans les territoires ruraux.
L’agenda comprend également des mesures en faveur de l’école, dont la prise en compte des spécificités des territoires et des classes multi-âges, lors de la formation des enseignants et dans l’accompagnement de leur carrière, afin de les inciter à venir travailler dans ces zones.
Pour soutenir les collectivités locales, il est prévu d’accompagner les élus dans leurs projets visant à améliorer la vie des citoyens et à renforcer l’attractivité de leur territoire. L’opération Mille cafés, le programme Petites Villes de demain, le plan Avenir montagnes et les contrats de relance et de transition écologiques (CRTE) y contribuent.
En matière d’accès aux services publics, le déploiement des maisons France Services doit permettre à tous les habitants de disposer à proximité de chez eux d’un socle de services publics.
L’agenda rural se concentre également sur la lutte contre les déserts médicaux. En effet, la crise sanitaire et le contexte général de vieillissement de la population ont démontré que l’accès aux soins reste l’une des problématiques majeures des zones rurales.
À ce titre, le rapport que nous avons publié avec Philippe Mouiller sur les collectivités à l’épreuve des déserts médicaux a montré les différentes initiatives que celles-ci mettent en œuvre pour pallier le manque d’offre de soins dans les territoires ruraux.
Parmi celles-ci, le recours à la télémédecine a connu, grâce au soutien des pouvoirs publics, une accélération considérable durant la crise. Dans la mesure où il relève toutefois de dispositions dérogatoires, nous devons désormais réfléchir à un cadre pérenne, qui permettra le développement de ces pratiques.
Dans tous ces domaines, la France a su, grâce à une vision transversale et à une feuille de route qui appréhende tous les aspects de la ruralité, mettre en œuvre des politiques publiques efficaces en faveur non pas de la ruralité, mais des ruralités.
Elle a su saisir les spécificités de chaque territoire. Elle a œuvré à faire de leurs différences une force pour en développer l’attractivité, en dynamiser l’économie et, plus largement, y améliorer la vie des Français qui ont fait le choix de s’y installer.
Le souci de la ruralité participe directement de la mise en œuvre du principe républicain d’égalité, auquel nous sommes attachés. Il est désormais intégré au cœur de chaque politique publique.
Conformément à l’agenda rural, chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale, chaque préfecture départementale a vu la nomination en son sein d’un référent ruralité.
Au regard de ces éléments, je le répète, qui mieux que la France peut porter auprès de la Commission européenne la mise en œuvre d’un agenda rural européen ?
Le groupe RDPI est persuadé que ce qui est réalisé dans nos campagnes peut être amplifié grâce à la puissance de l’Union européenne. Le modèle peut aussi être répété à l’échelle européenne.
Par conséquent, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. Nous faisons une entière confiance au Gouvernement pour porter cette ambition à la tête du Conseil de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. C’était presque parfait : il y avait juste une phrase en trop ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter Patrice Joly et les auteurs de cette proposition de résolution.
Comment mieux penser la ruralité qu’à l’échelle européenne ? Les vingt-sept États membres de l’Union sont jalonnés de territoires ruraux ou hyper-ruraux, dont la surface représente 80 % du territoire européen et où vit un tiers de la population. L’Union européenne ne s’est pas trompée en proposant en juin dernier une vision à long terme pour les zones rurales à l’horizon de 2040.
Je partage la position de l’auteur de la proposition de résolution pour la mise en place d’un agenda rural européen, afin de permettre une relance économique de nos territoires ruraux. La volonté et le dynamisme de leurs habitants doivent être accompagnés.
Un atout important de notre ruralité est son agriculture. Il faut permettre sa diversification, notamment en ce qui concerne l’irrigation par les retenues collinaires. Il faut aussi donner à notre agriculture les moyens d’effectuer progressivement des transitions, pour maintenir l’aménagement du territoire en favorisant une agriculture familiale.
À ce titre, la stratégie européenne Farm to Fork n’est pas, en l’état, satisfaisante. Nous ne devons pas sacrifier une agriculture forte sur l’autel de la transition écologique, alors que l’agriculture est l’un des vecteurs importants de cette transition.
Notre souveraineté alimentaire en dépend. Si nous étions amenés à augmenter nos importations de produits alimentaires depuis les pays les plus pollueurs, comme la Chine, l’Inde ou l’Australie, nous perdrions sur tous les tableaux.
Notre ruralité peut nous aider à faire la différence : l’Europe doit rester une puissance agricole mondiale, permettant à ses territoires de retrouver de la vitalité. Nous devons développer notre agriculture, qui a perdu des parts de marché depuis quinze ans.
Revitaliser notre ruralité, c’est aussi s’occuper de nos petites villes, de nos villages et de nos centres-bourgs. Nous devons mener des luttes importantes contre les passoires énergétiques, comme pour la revitalisation de nos centres-bourgs.
Au passage, je déplore les paroles de la ministre déléguée en charge du logement, Mme Emmanuelle Wargon. Non, les maisons individuelles ne sont pas un non-sens écologique et social ! (M. Jean Hingray approuve.)
Les gens viennent dans nos campagnes pour trouver de l’espace et respirer. Nous devons faire en sorte que les rénovations ou la construction de bâtiments neufs soient en lien avec la transition, mais en aucun cas nous ne devons condamner la maison individuelle, car cela reviendrait à désertifier les communes rurales.
Cette proposition de résolution nous demande d’encourager le développement de projets qui utilisent les atouts et les forces des territoires. C’est sur ce point que les innovations industrielles et technologiques, comme le numérique, doivent faire la différence.
La pandémie de l’année 2019 nous a montré que les Français étaient véritablement intéressés par le fait de retourner vivre dans nos campagnes. Nous devons le leur permettre, comme nous devons permettre aux élus et aux collectivités de travailler sur la revitalisation économique de leurs territoires, notamment en ce qui concerne l’accès au numérique, la création d’emplois, le soutien au commerce, la réindustrialisation. Ceci est possible, en particulier grâce à l’aide de l’Europe sur l’immobilier et l’équipement.
Il faut également permettre le développement du tourisme, notamment les hôtels et les hébergements ruraux.
Il en va de même pour l’accès à la santé. Les zones rurales vivent sous la contrainte des déserts médicaux, ce qui n’est pas acceptable dans nos pays occidentaux. Nous rencontrons le même problème concernant l’accès à l’éducation. Nous ne pouvons plus accepter que nos concitoyens vivant à la campagne n’aient pas accès à ces services.
Tous les éléments que je viens d’évoquer ont besoin de l’Union européenne pour développer des outils pour la ruralité. Mais nous avons surtout besoin de moyens. La Commission européenne doit donc inclure des propositions financières pour mieux prendre en compte les spécificités du développement des zones rurales.
L’Union européenne doit devenir un atout indispensable pour le développement de ces territoires. Notre collègue Colette Mélot a réalisé un excellent rapport d’information sur le sujet. Deux de ses propositions me semblent essentielles.
Premièrement, la mise en œuvre d’une ingénierie locale, afin que les fonds soient bien répartis sur l’ensemble du territoire.
Deuxièmement, l’importance d’écouter les acteurs de terrains, qui connaissent leurs besoins et qui pourront orienter efficacement l’argent sur des projets concrets et utiles.
Chaque territoire a ses spécificités, ce qui fait la beauté de nos pays. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage les points soulevés par cette proposition de résolution. C’est pourquoi il votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’initiative de cette proposition de résolution demandant la mise en place d’un agenda rural européen est tout à fait opportune. Nous avons besoin, en effet, d’un signal politique fort pour témoigner du renouvellement de notre soutien aux territoires ruraux.
La ruralité fait partie de l’ADN de l’Europe. Son histoire, son identité, sa diversité, mais aussi son autonomie et son dynamisme, lui sont intimement liées. Ses politiques communes le sont également, comme bien sûr la PAC, entrée en vigueur dès 1962, et la politique de cohésion économique, sociale et territoriale, à partir de 1986.
Bien que leur part relative accuse une baisse constante dans le budget communautaire, ces deux politiques en représentent toujours plus de 60 %. Les sommes considérables ainsi investies au fil des ans ont porté de nombreux fruits, dont les zones rurales ont profité.
Cependant, le rythme toujours plus élevé des changements économiques et sociaux a fait peser sur les communautés rurales une pression croissante.
Si l’on ne saurait nier l’apport décisif des programmes européens, il faut également admettre que, en matière de développement des territoires ruraux, les résultats sont désormais décevants, et les perspectives inquiétantes.
Déficit persistant en infrastructures, notamment numériques et de transports, désagrégation progressive du tissu industriel et artisanal, rentabilité déclinante de l’activité agricole, ou encore recul continu des services de base essentiels à la vie quotidienne : les difficultés rencontrées par les régions rurales sont largement connues.
À cette érosion des chances et de la qualité de vie s’ajoute en outre une lente paupérisation. En effet, le PIB par habitant plafonne dans la plupart des campagnes à 70 % de la moyenne européenne, alors qu’il culmine à plus de 120 % de cette moyenne dans les zones urbaines.
Conséquence logique de ce sombre tableau de la dévitalisation rurale, le vieillissement et le déclin démographique se poursuivent, quoique ce soit à des rythmes différents selon les États membres de l’Union européenne.
Face à de tels constats, force est de reconnaître que les objectifs fixés par les traités ne sont pas atteints. Selon leurs propres termes, la population agricole devrait être assurée d’un « niveau de vie équitable […] notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture » et l’écart de développement entre régions urbaines et rurales devrait être significativement réduit.
À l’évidence, et malgré l’apport des politiques communautaires, la situation actuelle est tout autre. Elle voit au contraire croître la détresse d’un monde rural qui se sent abandonné, parfois méprisé, et en tout cas de plus en plus déconnecté du reste de la société, dont une partie ne voit les campagnes que comme une sorte de musée naturel à protéger, et non comme des bassins de vie et d’activité à faire prospérer.
Alors que, en 2016, l’Europe se penchait au chevet de ses villes en adoptant un agenda urbain, il est effectivement plus que temps, comme le demandent les auteurs de la proposition de résolution, d’établir un agenda rural.
Cette nouvelle page, la Commission européenne a commencé de l’écrire en proposant le 30 juin dernier une « vision à long terme pour des zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères ».
Cette communication est en soi une bonne nouvelle, car elle démontre que le fossé qui se creuse entre monde rural et monde urbain est aujourd’hui de plus en plus pris au sérieux. Par ailleurs, la Commission y détaille un état des lieux pertinent des difficultés à surmonter, des champs d’action à investir et des occasions à saisir dans un monde en pleine mutation.
Même si leurs modalités mériteraient d’être davantage précisées, certaines innovations me semblent également les bienvenues pour mieux appréhender la réalité du terrain. Je pense notamment à l’observatoire rural et, surtout, au « test rural », qui vise à analyser systématiquement l’impact des différentes politiques européennes sur les communautés et les espaces ruraux.
Le cœur du dispositif m’apparaît néanmoins plus nébuleux. Tout d’abord, le pacte rural et le plan d’action rural proposés par la Commission interviennent tard, sans doute trop tard.
Le budget européen étant déjà fixé jusqu’à 2027, les programmes relevant de la PAC et de la cohésion ayant déjà été agréés par les colégislateurs et les plans de relance nationaux étant déjà ficelés, les marges de manœuvre réelles permettant d’impulser une nouvelle dynamique apparaissent bien minces.
Ainsi, le pacte rural s’appuiera principalement sur les réseaux déjà existants. Les initiatives du plan d’action rural se contenteront pour la plupart d’outils de dialogue, de retours d’expérience et d’échanges de bonnes pratiques. Surtout, l’ensemble reposera sur une « boîte à outils sur l’accès aux possibilités de financement », c’est-à-dire sur un simple recensement des programmes financiers existants et sur une volonté de renforcer ex post leurs synergies et leur cohérence.
En d’autres termes, sans remettre en cause le bien-fondé de ces propositions, il faut bien relever qu’aucun instrument robuste et aucun fonds nouveau ne sont proposés pour le développement des territoires ruraux.
On peut donc s’interroger sur l’impact réel qu’aura, dans les prochaines années, cette vision proposée par la Commission. Sans doute faut-il alors retenir que celle-ci vise avant tout, comme son titre l’indique, le long terme et l’horizon 2040, et qu’elle n’est donc qu’une première étape vers l’établissement d’un agenda rural européen fonctionnel.
C’est dans cette perspective que j’appréhende la résolution proposée par notre collègue Patrice Joly. Mon groupe souscrit bien volontiers à ses constats et à ses préconisations.
Enfin, comment parler de ruralité sans évoquer l’agriculture, qui en constitue l’activité pivot ? Avec ses stratégies Biodiversité et De la ferme à la table, la Commission a souhaité accélérer la transition vers une agriculture écologiquement plus vertueuse.
C’est bien sûr essentiel, mais plusieurs études, dont celle de l’unité de recherche de la Commission elle-même, annoncent toutes une baisse de production agricole de 10 % à 15 % d’ici à l’année 2030. Outre les conséquences de cette baisse sur les prix au consommateur, sur le bilan carbone des produits qu’il faudra importer et sur notre souveraineté alimentaire, l’impact sur les revenus des producteurs sera une nouvelle fois dommageable.
On peut se demander ce qu’il adviendrait de ces stratégies si elles étaient passées au crible du « test rural » que j’évoquais à l’instant.
En effet, se pencher sur l’avenir des zones rurales, c’est aussi développer une politique environnementale, mais également des politiques commerciales de concurrence adaptées aux réalités de l’agriculture. Nous serons attentifs aux initiatives que portera la France à l’occasion de sa prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire a confirmé ce que beaucoup d’entre nous perçoivent depuis plusieurs années : un renversement de tendance, un « retour du rural » est possible en Europe, singulièrement en France.
Toutefois, il ne se produira que si nous renforçons nos politiques et si nous les ajustons aux spécificités de ces territoires, afin que ces derniers puissent créer localement davantage de valeur et d’activité. Il faut que les gens qui y vivent bénéficient, comme ailleurs, de chances, de services et de revenus suffisants, pour qu’ils sentent, tout simplement, qu’ils peuvent encore construire leur avenir en milieu rural.
Le chantier est immense. Je me réjouis qu’il soit enfin lancé. Il devra maintenant se concrétiser. (MM. Patrice Joly et Jean-Claude Anglars, ainsi que Mme Patricia Schillinger, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution qui porte sur une thématique essentielle, le développement rural et le soutien que l’Europe peut lui apporter.
Nous en sommes tous ici convaincus, les territoires ruraux représentent une véritable richesse en raison de leur diversité, de leurs populations, de leur patrimoine naturel et culturel, de la qualité de vie qu’ils proposent, comme des viviers d’innovation sociale qu’ils portent, notamment pour la transition écologique et solidaire.
Comme le texte le souligne, ces atouts ont été mis en lumière par la crise sanitaire, qui a créé une envie de ruralité nouvelle, en lien notamment avec l’essor du télétravail. Mais cela ne peut faire oublier les inégalités dont souffrent les territoires ruraux, alors que nombre de politiques publiques, notamment européennes, restent axées sur le développement urbain.
Le texte le rappelle, les territoires ruraux rencontrent des difficultés pour l’accès aux soins, aux services publics, au numérique, qui est pourtant de plus en plus indispensable à la vie quotidienne, ainsi que pour l’accès aux commerces, aux transports en commun ou à un emploi, en particulier pour les jeunes.
Toutes ces difficultés peuvent susciter un sentiment d’abandon et de relégation au sein des populations rurales – nous partageons à cet égard le constat de l’auteur de la proposition de résolution.
Dans ce contexte, les politiques européennes, notamment les fonds européens consacrés au développement rural, n’atteignent pas leurs objectifs. L’agenda rural européen est donc une piste pertinente pour résorber ces fractures, en intégrant et en finançant le développement rural à hauteur de ses atouts et du poids démographique de ces territoires.
Les axes de travail de la proposition de résolution sont à cet égard tout à fait intéressants : revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, accès aux services, à la santé, au numérique, lutte contre la pauvreté et les inégalités entre les hommes et les femmes, politiques ciblées sur les jeunes, interconnexion avec les espaces urbains, soutien aux initiatives locales et aux investissements de transition écologique, enfin, préservation et mise en valeur de leur patrimoine, notamment via un tourisme rural écologique.
Nous sommes également satisfaits de constater que l’économie sociale et solidaire figure dans les axes proposés par ce texte. On constate en effet son dynamisme et son intérêt pour la ruralité, avec par exemple le développement d’épiceries solidaires, de cafés associatifs, de tiers lieux, de magasins de producteurs…
Il nous semble important que le développement du logement s’effectue en lien avec les enjeux environnementaux, par exemple au travers du soutien à la rénovation de logements vacants et de la revitalisation des centres-bourgs.
Je voudrais toutefois m’attarder spécifiquement sur deux points qui mériteraient d’être mis en valeur.
Le premier concerne la question agricole. Effectivement, l’Europe s’est construite par le biais de la PAC. Mais derrière celle-ci, il y a un lien entre l’agriculture et l’alimentation dans l’ensemble des territoires, ruraux comme urbains. La relocalisation de l’alimentation est un levier majeur pour un développement rural fondé sur une agriculture paysanne dynamique, bien présente et préservée.
La future PAC continue d’encourager l’agrandissement des fermes, par le biais de ses aides à l’hectare et par son trop faible soutien aux petites fermes. C’est l’installation de nouveaux agriculteurs qui est mise à mal par ces aides, alors même que des personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole aspirent à un « retour à la terre ».
L’agenda rural européen devrait donc s’articuler avec une PAC beaucoup plus écologique et favorable aux terroirs, aux territoires et, je le répète, à l’alimentation de proximité.
Le second point qui mériterait d’être mis en valeur dans l’agenda rural européen concerne le soutien à l’accueil des migrants en milieu rural.
Ce n’est pas la peine de se voiler la face : les migrants, nous allons devoir les accueillir. Cela ne veut pas dire les cantonner dans les périphéries des villes. Au contraire, la planification d’un accueil humaniste des migrants, quels que soient leurs pays d’origine, demande d’être pensée sur l’ensemble du territoire national, de manière régulée.
Ces populations, qui migrent, car elles n’ont pas le choix de faire autrement, viennent souvent de territoires ruraux. Elles pourraient contribuer à la dynamisation de nos territoires et de nos écoles. Elles pourraient apporter des bras pour les emplois en milieu rural et pour la réindustrialisation, qui y a aussi sa place, et évidemment à répondre aux besoins de main-d’œuvre agricole.
Pour toutes ces raisons, et en souhaitant que ces deux points soient mis en avant, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (M. Ronan Dantec applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution a pour ambition louable l’élaboration d’un agenda rural européen.
Si nous partageons ses constats, nous regrettons qu’elle se refuse à avancer une perspective de changement des politiques publiques mises en place dans les campagnes européennes. En effet, il existe de criantes et graves inégalités entre les ruraux et les urbains, que ce soit en termes de mobilité, d’accès aux soins, aux services publics ou aux infrastructures numériques.
Entre zone rurale et zone urbaine, les écarts concernant l’espérance de vie se creusent depuis plus de trente ans. En milieu hyper-urbain, un Français vit en moyenne deux ans de plus qu’en milieu hyper-rural, alors que cet écart était de trois mois en 1990.
Cette résolution rappelle pourtant que 92 % des Français trouvent le monde rural attractif – il est vrai que nos campagnes sont belles, avec leurs paysages modelés par l’agriculture et par la conservation d’un patrimoine exceptionnel. Mais cela ne nous fait pas oublier les graves problèmes de chômage, de désertification, le sentiment d’abandon et le délitement du lien social qui ont constitué le terreau d’ancrage du mouvement des « gilets jaunes », appelant à plus d’égalité et de justice.
Un point positif, néanmoins, consiste dans l’expression d’une volonté de mieux prendre en compte la situation particulière des femmes en milieu rural. À cet égard, mes chers collègues, je vous renvoie au rapport rendu récemment par la délégation sénatoriale aux droits des femmes du Sénat sur ce sujet.
Mme Nathalie Goulet. Excellent rapport !
Mme Marie-Claude Varaillas. Dans le prolongement de ce diagnostic, cette proposition de résolution formule trois propositions : elle invite la Commission européenne à prendre en compte les spécificités de ces zones et à apporter un financement via les fonds européens structurels et d’investissement ; elle demande que la ruralité bénéficie de crédits correspondant à son poids démographique ; enfin, elle invite le Gouvernement à soutenir cet agenda rural européen à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne.
Quelques mesures concrètes sont également évoquées, notamment l’accès à « un socle de services universels à moins de trente minutes de trajet », grâce à un plan de soutien au commerce rural et à la mise en place d’une politique de logement. Cette mesure aurait pu constituer une base de discussion très intéressante si elle n’était pas absente de la proposition de résolution en elle-même, puisqu’elle n’est formulée que dans l’exposé des motifs de cette dernière.
De fait, la proposition de résolution n’aborde aucune mesure concrète et passe sous silence les causes profondes de ces inégalités. Je pense aux ravages du dogme de la concurrence libre et non faussée, à l’obsession de la lutte contre les monopoles publics et aux impératifs de réduction de la dépense publique, qui ont été imposés au fil des directives européennes et appliqués avec zèle par les gouvernements successifs.
La concurrence entre les territoires s’est exprimée au travers les lois dites Maptam et NOTRe – les lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République –, qui ont contribué à fragiliser les zones rurales, accélérant ainsi la désertification de celles-ci.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Marie-Claude Varaillas. Le ruissellement attendu n’a pas eu lieu.
Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !
Mme Marie-Claude Varaillas. La métropolisation, conjuguée à la fermeture des services publics, a freiné le développement des zones rurales. Les politiques de rétraction de la présence de l’État ont brisé la promesse de l’égalité républicaine, accentuant un sentiment de relégation qui favorise le vote extrême.
Malheureusement, ce n’est pas l’agenda rural présenté en 2019 qui changera la donne : l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) peine à trouver sa place, faute de moyens – espérons qu’elle en aura plus en 2022 – et l’ouverture des maisons France Services n’est, ne nous voilons pas la face, qu’un pis-aller face à la fermeture des services publics de plein exercice dans notre ruralité : postes, gares, gendarmeries, hôpitaux ou encore centres des impôts.
Le monde agricole reste, malgré les deux lois Égalim – la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs –, le parent pauvre de la répartition des richesses dans le secteur agroalimentaire.
En outre, la santé demeure un problème récurrent, cela a été souligné. Même si des efforts très importants sont réalisés par les élus, avec l’émergence des maisons et des centres de santé, de plus en plus de familles rurales n’ont plus, à ce jour, de médecin traitant. Les zones de revitalisation rurale (ZRR), prolongées jusqu’en 2022, devront être pérennisées, afin de faciliter l’installation d’entreprises et de médecins.
Ainsi le monde rural est-il en souffrance, alors qu’il recèle de formidables atouts, notamment pour accompagner la transition écologique. De ce constat, tant européen que national, découle la nécessité non pas d’une politique sectorielle de saupoudrage au travers d’un nouvel agenda, mais, plus sérieusement, d’une remise en cause des fondements mêmes des politiques publiques, à tous les échelons.
Nos élus ruraux dénoncent la baisse des moyens et des compétences. Une nouvelle politique d’aménagement du territoire s’impose, avec l’augmentation des dotations de fonctionnement. Nous proposons donc, avant toute chose, une révision des réformes des collectivités, afin de redonner à l’échelon communal une véritable place de proximité et de lien démocratique.
Nous souhaitons l’abrogation des lois de libéralisation et le retour de services publics, sous maîtrise publique et avec des opérateurs publics. C’est à cela qu’il faut s’atteler à l’échelon européen, afin de revenir sur les directives qui nous enferment dans des carcans libéraux sacrifiant nos campagnes sur l’autel de la concurrence économique.
Faute de répondre à ces enjeux, cet agenda rural européen risque de se révéler inopérant, en tentant de vider l’océan des inégalités territoriales avec une petite cuiller…
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra sur cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution nous est soumise opportunément, à quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne, et je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Patrice Joly.
En effet, nous nous trouvons à un moment clef pour faire avancer les ruralités et l’idée que l’espace rural, où vivent 30 % des Européens, peut apporter des réponses aux défis environnementaux et économiques, ainsi qu’au défi de cohésion sociale, que nos sociétés du XXIe siècle doivent relever ; la ruralité comme une chance à saisir, en quelque sorte.
Ce constat est partagé par la Commission européenne, laquelle a rendu publique, en juillet dernier, sa « vision à long terme pour les zones rurales de l’UE », qui vise à rendre ces dernières « plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l’horizon 2040 ».
La crise sanitaire mondiale a vu l’espace rural représenter, pour bon nombre de nos concitoyens, une solution, une réponse à la nouvelle vie imposée par cette crise, mais également un choix de vie possible durablement, notamment grâce à la montée en puissance des nouvelles possibilités offertes par l’arrivée du numérique.
En réalité, la valeur ajoutée que peuvent apporter l’espace rural et son potentiel de créativité, d’innovation et d’agilité est considérable, mais largement sous-exploitée.
De surcroît, l’inégalité des citoyens face à l’offre de services d’intérêt général et aux infrastructures de base est croissante, au détriment du secteur rural. Mes chers collègues, les services proposés dans les ruralités ne sauraient être des services au rabais !
Garantir l’accès à des soins de qualité, développer les mobilités, proposer des services de qualité en matière d’éducation, de logement et d’accès aux nouvelles technologies, ainsi qu’à la culture pour tous, construire une offre de services structurante et de qualité : voilà la carte qu’il faut jouer pour permettre à la ruralité de répondre pleinement aux attentes des populations et des nouvelles générations, mais encore aux nouveaux enjeux auxquels notre société doit faire face.
Aujourd’hui, la France est en situation de promouvoir cette volonté politique et cette ambition pour les ruralités, à l’échelle européenne.
La présidence de l’Union lui donne une occasion unique pour promouvoir un agenda rural européen, à savoir un cadre politique et des orientations opérationnelles pour un développement de tous les territoires ruraux européens, décliné dans chaque pays, en fonction de ses spécificités. Elle en a toute la légitimité, parce qu’elle présidera l’Union et parce qu’elle a ouvert la voie avec son agenda rural français.
Cette proposition de résolution, que, bien évidemment, le groupe UC votera, ainsi que les événements que nous préparons ensemble, cher Patrice Joly, au sein de l’Association nationale Nouvelles ruralités, qui auront lieu à Bruxelles en décembre prochain et à Strasbourg en février 2022, s’inscrivent dans cette perspective.
C’est celle d’un agenda rural européen comportant des mesures concrètes pour répondre aux besoins des populations et doté des moyens financiers nécessaires pour bâtir une politique européenne des ruralités qui soit volontariste, juste, exigeante et durable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – MM. Patrice Joly et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution est bienvenue. Elle appelle à la mise en place d’un agenda rural européen, conformément à la résolution adoptée par le Parlement européen, en 2018, visant à instaurer une feuille de route en faveur des besoins spécifiques des territoires ruraux.
Le 30 juin dernier, la Commission communiquait au Parlement européen sa « vision à long terme » en faveur de « zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l’horizon 2040 ». Ses objectifs sont ambitieux : renforcer la gouvernance, améliorer la connectivité et la desserte numérique de ces zones, favoriser l’innovation et améliorer les transports ou la résilience face aux changements climatiques.
Cette vision européenne tend à déployer une stratégie transversale pour réussir à valoriser les zones rurales, notamment en matière de culture, d’activité agricole, d’agroalimentaire et d’agrotourisme. La diversification économique serait privilégiée, en s’appuyant sur le développement de circuits courts et sur la mise en avant de la qualité des produits locaux.
Au-delà de ces bonnes intentions, il est regrettable de constater que, depuis la mise en place de l’agenda européen urbain en 2015, rien n’a été fait pour insuffler une dynamique identique pour les territoires ruraux européens, qui représentent 30 % de la population européenne. Que de temps perdu !
Les zones rurales subissent des fractures territoriales qui sont autant de handicaps au développement. La liste est longue : déserts médicaux, zones blanches sans connexion aux réseaux téléphoniques ou numériques ou encore accès dégradé aux services publics, dont la responsabilité repose de plus en plus sur les collectivités territoriales. Ces dernières pallient les carences, en déployant des maisons de service public, des agences postales communales ou encore des maisons de santé pluridisciplinaires, autant de facteurs aggravant l’enclavement.
Cela dit, je ne reviendrai pas sur les marqueurs des difficultés du monde rural. Je dirai simplement que, en zone rurale, on paie pour ce qui, en ville, est gratuit.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Christian Bilhac. En 2014, notre ancien collègue Alain Bertrand, sénateur du groupe du RDSE, avait proposé, dans un rapport au Premier ministre, un pacte national sur l’hyper-ruralité, afin de restaurer le principe d’égalité des territoires. Il évoquait le « déménagement », plutôt que l’« aménagement » tant attendu, des territoires ruraux.
Nombre de ses recommandations sont transposables à l’échelon européen, telles que l’obligation de traiter l’hyper-ruralité dans les lois ou encore la création d’un « guichet unique hyper-ruralité ». Notre ancien collègue invitait également à engager une troisième phase de la décentralisation, avec la « règle de “démétropolisation” », mais également à pérenniser les entreprises performantes et innovantes, ou encore à « moderniser la péréquation et [à] stimuler de nouvelles alliances contractuelles » entre les territoires.
Aujourd’hui, avec la crise sanitaire et les périodes de confinement, les territoires ruraux ont retrouvé une forte attractivité pour les populations urbaines, représentant des ressources en matière de création de richesse et d’emplois.
Nombre d’Européens ont entamé un retour au vert, motivés par une meilleure qualité de vie et un besoin d’air pur, grâce au développement du télétravail. L’importance de ces territoires a également ressurgi parce qu’ils garantissent une résilience alimentaire, revenant à leur fonction première de foncier nourricier, une fonction longtemps oubliée.
L’interdépendance entre territoires urbains et territoires ruraux a, de ce fait, été démontrée. Il est désormais non plus question de concurrence, mais de complémentarité. Que seraient les métropoles sans les territoires ruraux de leur périphérie ? Il est de notre responsabilité d’en tirer les conséquences, y compris à l’échelle européenne, en réorientant les fonds structurels et la politique agricole commune en ce sens.
Notre siècle a désormais 20 ans, et il convient, sans plus tarder, de fixer un cap et de prévoir les financements nécessaires pour que vive la ruralité du XXIe siècle. Dans l’Union européenne, pas plus qu’en France, il ne peut exister ni sous-territoire ni sous-citoyen.
N’attendons pas 2040 pour agir. La présidence française de l’Union européenne, à compter du 1er janvier 2022, représente une occasion pour accélérer cette prise de conscience et obtenir une transposition, en faveur des zones rurales, du plan européen pour les zones urbaines.
Puisque nous parlons d’Europe, cela m’évoque la transposition, à laquelle nous sommes habitués, des directives européennes en droit français. Or je plaide, en ce qui me concerne, pour la transposition des lois et règlements, souvent d’essence urbaine, à la ruralité, afin que leur application ne soit pas un frein au développement de ces territoires.
Le groupe du RDSE attend des engagements fermes du Gouvernement en ce sens, par exemple dans le plan de relance européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP. – M. Patrice Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce matin vise à renforcer le fil ténu liant l’Europe aux ruralités, en appelant à la pleine intégration de ces espaces au sein des politiques publiques européennes, afin de favoriser l’image d’une institution plus concrète et plus citoyenne.
L’Union européenne traverse une période difficile dans l’affirmation de sa puissance politique sur l’échiquier international.
Dans l’opinion publique, sa crédibilité se trouverait renforcée par une nouvelle ambition de sa politique territoriale. Un signe de l’existence d’un modèle de développement durable européen doit être l’attention portée aux territoires, en contribuant aux réciprocités entre métropoles et espaces ruraux, ou bien encore en valorisant les aménités offertes par un cadre de vie rural. À l’évidence, la transition écologique ne se fera pas sans l’implication des territoires.
La commissaire européenne chargée de la politique régionale et de la cohésion écrivait, en 1996 : « Face à l’ampleur des disparités régionales, elle est un instrument incontournable pour aider les régions les moins prospères à s’adapter au marché unique. Les régions d’Europe et leurs citoyens ne sont pas à égalité de chances aux niveaux économique et social.
« Dans les régions défavorisées, des interventions publiques doivent donc accompagner les investissements privés pour stimuler l’activité économique. Cet effort incombe avant tout aux États membres, à travers leurs propres aides régionales. Toutefois, l’ampleur des problèmes amène la Communauté à participer aux efforts de solidarité pour que l’ensemble des régions et des citoyens puissent tirer parti pleinement du marché intérieur et de l’Union économique et monétaire. Tel est l’objet de la politique régionale. »
C’était en 1996 ; tout était donc déjà diagnostiqué voilà vingt-cinq ans !
De cette lutte contre les discriminations territoriales, dépend la compétitivité de l’espace européen. Nous avons conscience des difficultés à harmoniser une telle priorité ; les vingt-sept États membres ont une approche très diverse des ruralités. Beaucoup d’entre eux continuent à les assimiler à une seule préoccupation : l’agriculture. Or, si celle-ci demeure la toile de fond économique de nos territoires, elle ne saurait la représenter dans son exhaustivité.
Le risque est grand de voir les ruralités se déliter si les leçons de la crise sanitaire ne sont pas appréhendées à travers le prisme de l’équilibre ville-campagne. Les politiques publiques de développement des territoires impliquent aujourd’hui une combinaison harmonieuse des stratégies locales et nationales, avec les fonds de relance post-covid-19 de l’Union européenne.
Le monde rural a, aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, conscience de lui-même ; sa volonté de vivre et de tenir un rôle central dans la cohésion nationale s’est fortifiée. Le covid-19 et les confinements ont convaincu de nombreux urbains qu’une autre vie était possible.
Dans quelle mesure cette réalité redessinera-t-elle certains équilibres de la carte de France ? Le temps est-il venu du « réenchantement du territoire », pour reprendre l’expression de Jean Viard ? Créer les conditions de cette attractivité est bien au cœur du texte qui nous est aujourd’hui proposé.
Dans ce travail d’une plus grande reconnaissance des ruralités, l’Union européenne tient un rôle clef, par exemple au travers des fonds de liaison entre actions de développement de l’économie rurale (Leader) et des groupes d’action locale (GAL). Elle doit en être une inspiratrice et un financeur, dans le respect du principe de subsidiarité, laissant à chaque État membre, à chaque autorité de gestion locale, la liberté de décision et d’action, essentielle à la réussite de cette politique de développement.
Ces associations, mêlant stratégie globale et mise en œuvre locale, doivent être clairement explicitées et contractuellement assurées. Elles seront également chargées de lancer et de faire vivre une démarche participative et des actions collectives, intégrant les citoyens aux projets de territoire.
Faute d’avoir atteint une taille critique, les territoires ruraux, pourtant pôles d’innovation, voire d’excellence, dans des domaines aussi divers que les sciences du vivant, l’énergie verte ou les technologies appliquées, demeurent trop souvent éloignés des instituts de recherche et ignorés du plus grand nombre. Encore largement inspirées d’approches urbaines, les typologies et représentations statistiques et cartographiques des territoires ruraux ne facilitent pas toujours la compréhension des nouveaux enjeux auxquels ils sont confrontés.
En France, les contrats de relance et de transition écologique comme les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain marquent une rupture avec la logique unilatérale dite « du ruissellement » des métropoles sur leurs territoires périphériques.
La philosophie des contrats de réciprocité, institués par le comité interministériel aux ruralités de 2015, doit pouvoir être déclinée à l’échelle de l’Union et répondre aux défis des transitions environnementale et énergétique – sécurité alimentaire, préservation de surfaces agricoles et des milieux naturels, développement de la bioénergie ou encore gestion de déchets –, et des mutations économiques – mobilité, aménagement durable du territoire, politique d’accueil, télétravail, qualité et accès aux services sanitaires et éducatifs, ainsi qu’aux équipements sportifs et culturels ou encore préservation et valorisation du patrimoine et des sites touristiques.
La France rurale continuera de vivre, mais elle se privera de l’exploitation optimale de ses atouts si l’Union européenne n’est pas au rendez-vous de cette France hors les murs, de cette France de la périphérie, qui s’est notamment manifestée lors du mouvement des « gilets jaunes ». Le développement de la vie rurale est l’affaire de l’État et de l’Europe. Si celle-ci veut tenir son rang dans le rapport de force mondial du XXIe siècle, elle doit consolider ses territoires.
Nous disons « agenda » par respect pour la terminologie communautaire et par analogie avec l’agenda urbain, mais, en réalité, nous pensons tous à un programme d’actions concrètes. Je formule le souhait que cette proposition de résolution nous rassemble et contribue à de très prochaines décisions, génératrices de renouveau pour nos campagnes et leurs villes, petites et moyennes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place d’un agenda rural européen est une initiative qui vise à encourager une vision à long terme pour les territoires ruraux, à la suite d’une résolution du Parlement européen de 2018.
Sur ce sujet, il n’y a pas de divergence partisane : l’importance de la ruralité est un enjeu partagé. Les défis sont identifiés jusque dans l’urgence à agir : mobilités, zones blanches numériques, téléphoniques ou encore médicales, reconquête des centres-villes, accueil d’actifs, accès aux services, entre autres.
La ruralité n’est plus une politique sectorielle : elle concerne désormais l’ensemble des politiques publiques, en partant de la spécificité des territoires concernés. Il faut encourager la mise en place d’un agenda rural européen, qui profitera à la population et aux territoires par des politiques d’aménagement complémentaires, pour tenir compte de la spécificité des espaces ruraux.
Cependant, pour que cet agenda soit efficace, la ruralité ne doit pas être régie par des approches dogmatiques. Elle doit être guidée par le pragmatisme. Les politiques publiques en faveur de la ruralité devraient systématiquement être fondées sur la prise en compte des spécificités de ces territoires, afin d’atteindre leurs objectifs ambitieux.
Pour que l’agenda rural soit efficace, il est aussi nécessaire d’éviter l’éparpillement des mesures. Je pense, par exemple, aux mesures technologiques, qui occupent une place importante dans le développement de la ruralité, comme le dossier de la 5G.
Toutefois, pour bien connaître cette problématique en Aveyron et dans le Massif central, je tiens à rappeler qu’il existe des priorités, certes moins médiatiques, mais tout aussi importantes, comme l’entretien des lignes téléphoniques cuivre et la garantie du service public universel pour tous, qui ne sont toujours pas réalisées.
Afficher des ambitions en matière numérique pour les territoires ruraux est tout à fait positif, mais il ne faut pas oublier les besoins concrets et immédiats de la population.
Pour que l’agenda rural soit efficace, il faut de la clarté dans les annonces et dans la mise en œuvre des politiques publiques multiniveaux. Il me semble, par exemple, que le taux de 60 % de mesures achevées annoncé par le Gouvernement est très discutable, du moins au regard de mes échanges avec les élus locaux et les habitants du Massif central.
Au contraire, l’action en faveur des territoires ruraux doit être durable et planifiée. Certains axes sont à privilégier pour les effets directs qu’ils produisent. J’en retiendrai trois principaux, qui recoupent assez largement les préconisations du rapport de la mission Agenda rural.
Ces objectifs sont imbriqués et permettent l’attractivité des territoires ruraux. Il est nécessaire d’agir en faveur des lieux de vie et de services en revitalisant la vie locale par les petits commerces, ainsi que les services publics, en développant l’accès aux soins pour résorber les déserts médicaux et en développant une agriculture diverse, compétitive et à taille humaine.
Ces objectifs permettent aux territoires ruraux d’être moins dépendants des territoires urbains. Pour cela, il est aussi nécessaire d’agir en faveur de l’économie, par exemple en facilitant la formation et l’emploi, notamment par la réindustrialisation, comme cela a déjà été souligné, car les territoires ruraux disposent de nombreux atouts.
Il est enfin nécessaire d’agir spécifiquement en faveur de la population, en particulier de la jeunesse, en agissant sur le logement, en favorisant les moyens des établissements scolaires et en soutenant les jeunes ruraux sur les questions de mobilité ou du numérique, pour que la ruralité ne soit plus une contrainte sur ces sujets.
Enfin, le pragmatisme et la simplification doivent guider l’agenda rural européen et sa mise en œuvre. L’expérience du programme européen de liaison entre actions de développement de l’économie rurale (Leader), outil historique du développement rural européen, doit nous éclairer sur les conditions de mise en œuvre rapide et de la simplification administrative.
L’action publique doit être menée à partir de l’échelle locale, pour permettre à des initiatives d’aboutir rapidement. Il est nécessaire de limiter les critères et les conditions qui entravent la réussite des programmes et des plans.
Cette échelle locale est d’autant plus essentielle que la ruralité est très diversifiée en France, et plus encore à l’échelle européenne. En effet, d’après l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, 88 % des communes françaises sont rurales et 137 millions d’Européens vivent dans des zones rurales.
Les politiques doivent tenir compte de cette réalité. Partir du local permet de mieux prendre en compte la variété des besoins des territoires ruraux, qui ont aussi des urgences différentes selon leurs spécificités. C’est en tenant compte de tous ces paramètres que l’agenda rural européen pourra être un succès.
En saluant cette initiative, notre groupe votera cette résolution, car nous sommes, vous le savez tous, partisans d’une ruralité heureuse en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son ouvrage La Société hyper-industrielle, l’ingénieur, sociologue et économiste Pierre Veltz évoque la nouvelle géographie esquissée par le capitalisme hyper-industriel, qui consiste notamment en une « archipellisation » de pôles connectés entre eux.
Selon l’auteur, un double mouvement s’opère : d’une part, un mouvement de fragmentation en raison d’une division internationale du travail toujours accrue ; d’autre part, un mouvement de polarisation et de hiérarchisation des territoires opposant des hubs concentrant l’essentiel des flux à des places secondaires.
Nous pourrions intégrer les ruralités dans cet arrière-pays secondaire venant alimenter des hubs intégrés dans un système désormais mondialisé.
Toutefois, l’auteur démontre la double conséquence de cette société hyper-industrielle, entre montée des inégalités sociales et croissance des inégalités territoriales. En ce qui concerne ces dernières, il parle de « dégradation des liens centre-périphérie » et voit dans le Brexit un exemple parlant, Londres n’ayant pas voté comme le reste du pays lors du référendum de 2016, ce qui montre un divorce symptomatique entre une métropole, concentrant l’essentiel des activités, et des périphéries abandonnées.
L’Europe n’a toutefois pas été en reste. Dès ses origines, une politique agricole commune (PAC) est mise en place. Mais, très vite, il apparaît qu’une politique rurale ne peut se limiter à la PAC : en 1988, la Commission européenne affirme la nécessité d’une politique européenne de développement rural, se traduisant par la mise en œuvre d’une politique de cohésion économique et sociale, visant notamment à réduire les disparités entre les régions d’Europe.
Surtout, depuis 1991, les programmes Leader préconisent une approche territoriale pour soutenir les initiatives de développement, consacrant, par là même, le développement rural comme second pilier de la PAC.
Il nous faut toutefois aller plus loin pour un rééquilibrage plus juste entre les zones rurales et les zones urbaines, en diversifiant les activités des premières et en assurant leur durabilité et en faisant de ces zones autant de laboratoires de la transition énergétique. En somme, d’un second pilier de la PAC encore trop timide, nous devons passer à une politique rurale volontariste.
En effet, des fragilités persistent dans nos ruralités : les déserts, qu’ils soient médicaux, numériques ou qu’ils concernent les mobilités, sont autant de freins à leur essor et leur pleine participation à la vie économique de nos nations européennes.
Dès lors, le groupe Union Centriste ne peut que soutenir la présente proposition de résolution, tout en insistant sur l’acquis communautaire en la matière et en rappelant que toute politique européenne de la ruralité doit d’autant plus insister sur l’indispensable subsidiarité de sa mise en œuvre que sur son nécessaire cofinancement.
Par ailleurs, la crise sanitaire esquisse un véritable appel d’air, comme l’illustrent les différents baromètres des territoires : tous concluent à l’attractivité croissante des villes moyennes et soulignent les occasions qu’elles offrent en termes de relocalisation d’activités et la revitalisation bienvenue des centres-villes qui en découle.
À cet égard, dans mon département, j’ai rédigé une charte de la ruralité, considérant que les ruralités sont non pas un problème, mais une solution, en ce qu’elles représentent des relais de croissance et de rééquilibrage de la répartition des activités. Dès lors, une action nationale couplée à une initiative européenne en la matière nous semble être une stratégie gagnante.
Bien entendu, nous soutiendrons pleinement une telle proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, trop longtemps oubliés des politiques publiques nationales et européennes, les territoires ruraux connaissent, depuis le début de la pandémie de covid-19, un regain d’intérêt de la part de nos concitoyens, qui viennent s’y installer massivement.
L’expérience que ces campagnes, petites villes ou villes moyennes font de ce nouveau mouvement migratoire, dont l’amplitude ne donne aucun signe d’affaiblissement, a permis de révéler avec éloquence les nombreuses lacunes dont elles souffrent : manque d’infrastructures de transport, manque d’inclusion en termes de structures ou d’usage numérique, manque d’accès à la formation – enseignement supérieur ou formation tout au long de la vie –, manque d’accès aux soins, manque de territorialisation de la réglementation en matière d’urbanisme, pour répondre aux attentes et aux projets des collectivités locales en zone rurale.
Tous ces manques entraînent, avec souvent beaucoup plus d’acuité que dans les zones urbaines, des difficultés à faire se rencontrer offres et demandes d’emploi.
La crise qui dure depuis deux ans est un moment unique : l’attractivité des territoires ruraux n’a jamais été aussi forte, comme en témoignent toutes ces nouvelles installations d’urbains, dans toutes les régions de France, soucieux de bénéficier d’un meilleur cadre de vie et d’une alimentation saine et durable, tout en restant connectés au monde et, surtout, animés par l’envie de participer à la vie locale et de faire revivre ces territoires.
Ce contexte doit servir de tremplin à l’élaboration d’une véritable politique de développement spécifique, coordonnée entre métropoles et territoires purement ruraux, et adaptée à la diversité des situations de nos départements, sur le plan tant économique que social et environnemental.
En tant que représentants de ces territoires, nous sommes tous ici confrontés à cette nécessité de transformer l’essai, afin de favoriser un développement harmonieux tenant compte des réalités de terrain pour répondre à tous les manques que j’ai énoncés. Tous les territoires doivent croiser les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de leur développement, pour réussir une mutation dont ils veulent être acteurs, et non simples spectateurs.
Politique européenne emblématique, la PAC a précisément un rôle majeur à conserver pour favoriser cette dynamique de développement.
Le débat que nous avons eu au printemps dernier sur la répartition du budget de la politique agricole commune nous a permis de rappeler qu’il fallait veiller à favoriser la diversification des pratiques agricoles et lutter contre la spécialisation à outrance de certains territoires.
Tel était notamment l’enjeu de la préservation, à leur niveau actuel, des aides couplées du premier pilier destinées à la polyculture-élevage en zones intermédiaires. Celles-ci contribuent à la survie du modèle agricole que nous voulons pour nos territoires, à savoir une agriculture familiale, extensive, vitale pour l’équilibre économique et environnemental de nombreux territoires ruraux de montagne et de piémont.
C’est cette agriculture-là qui permet les circuits courts et la diffusion de produits de proximité ; c’est celle-là qu’il faut préserver pour l’attractivité de nos départements.
La forêt, enfin, de par son rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique, doit bénéficier d’une gestion durable et cohérente sur le long terme. L’augmentation des exportations et la menace que cela représente pour toute la filière française soulignent l’urgence de doter la forêt d’une véritable politique de protection à l’échelle européenne et d’en faire un pilier du développement rural et de la préservation de la biodiversité de nos territoires, sans négliger pour autant les enjeux économiques qu’elle porte.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il est urgent que la Commission européenne engage la rédaction d’un agenda rural, véritable feuille de route stratégique déclinée dans chaque État membre et tenant compte de leurs caractéristiques et de leurs problématiques propres. L’équilibre urbain-rural, la garantie de l’égalité des droits de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, ainsi que l’équité des moyens entre tous les acteurs et territoires doivent en être la colonne vertébrale.
Il est plus que temps que les territoires ruraux sortent de l’oubli. Poussés par la nécessité ou par l’envie de changement, nos concitoyens se sont vite souvenus de leur existence et, surtout, de leur potentiel. À nous, élus et pouvoirs publics, d’accompagner et d’anticiper ces nouvelles dynamiques, qui ne peuvent être que bénéfiques pour le plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Patrice Joly, permettez-moi d’emblée de vous remercier, au nom du Gouvernement, d’avoir permis l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette proposition de résolution sur la mise en place d’un agenda rural européen, chambre des territoires.
Je suis très heureux d’y représenter le Gouvernement et vous prie de bien vouloir excuser l’absence du secrétaire d’État chargé de la ruralité, Joël Giraud, qui ne peut être devant vous aujourd’hui – croyez bien qu’il le regrette. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.)
Inventé par le Comité des régions et inspiré par l’Association internationale pour une politique européenne et de développement rural, sur la base de la déclaration de Cork 2.0 pour une vie meilleure en milieu rural, le concept d’agenda rural européen s’est pleinement inscrit dans le débat public.
Dans son prolongement, le Parlement européen a voté, le 2 octobre 2018, une résolution appelant à la mise en place d’un agenda rural.
La France a été le premier des États membres à répondre à cet appel européen, à soutenir, puis à élaborer un agenda rural. Le Président de la République, avec l’appui de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, s’est en effet engagé sans attendre à déployer un agenda rural à l’échelle nationale, sur la base du rapport Ruralités : une ambition à partager, 200 propositions pour un agenda rural, élaboré par cinq élus de terrain. Vous y avez d’ailleurs grandement contribué, monsieur Joly, non seulement en tant que sénateur, mais aussi en votre qualité de président de l’Association nationale Nouvelles ruralités.
Il n’est pas nécessaire ici de rappeler que les territoires ruraux, dans toute leur diversité, abritent un tiers de la population française. Au-delà de ces chiffres, ces territoires disposent de nombreux atouts. Leur dynamisme, associé à la qualité de vie que l’on y trouve, attire les Françaises et les Français : 92 % de nos concitoyens considèrent qu’il est agréable de vivre dans les territoires ruraux.
Cependant, ces territoires sont confrontés à de nombreux défis : accès aux services publics ; fracture numérique ; accès aux soins, à l’emploi, à l’éducation et, bien évidemment, à l’égalité des chances… Pour améliorer la vie quotidienne de leurs habitants, le Gouvernement a présenté, le 20 septembre 2019, conformément à l’engagement présidentiel, l’agenda rural français comportant 181 mesures visant à conforter la redynamisation des campagnes et à soutenir les initiatives locales.
Ce plan interministériel, qui fait écho à l’idée d’un agenda rural européen, illustre l’enjeu et la nécessité d’une prise en compte, dans les politiques publiques, de la valeur ajoutée singulière des territoires ruraux, notamment pour relever les défis que leurs habitants affrontent.
Depuis sa mise en place en 2019, quelque 92 mesures portées par l’agenda rural ont été réalisées et 77 autres sont en cours de réalisation. Nous en sommes donc à près de 90 % de mise en œuvre totale ou partielle.
De réelles avancées sont particulièrement visibles dans quatre domaines structurants : la transition numérique, la jeunesse et l’égalité des chances, le soutien aux projets des collectivités locales et l’accès aux services publics.
Sur le fond de la transition numérique – un sujet sur lequel, vous le savez, je suis mobilisé au quotidien –, la fibre optique et la 4G accompagnent désormais la vie quotidienne de nombreux Français grâce au déploiement massif des infrastructures numériques, en particulier dans les territoires ruraux. Cette connectivité est une priorité du Gouvernement, qui déploie deux ambitieux programmes à un rythme soutenu : le plan France Très haut débit et le « New Deal mobile ».
L’objectif de couverture intégrale du territoire métropolitain en 4G en 2022 et en fibre optique en 2025, afin de résorber la fracture numérique des territoires ruraux, est aujourd’hui pleinement à notre portée.
Vous soulignez, dans votre proposition de résolution, l’importance de garantir à tous une réelle égalité des chances. À cet égard, je souhaiterais m’arrêter sur le dispositif très structurant du volontariat territorial en administration (VTA), à destination des jeunes et des territoires.
Nous avons mis en place ce volontariat pour aider les territoires ruraux à faire émerger leurs projets de développement, mais aussi pour permettre à de jeunes diplômés de s’engager en faveur de la ruralité, voire de s’y installer plus durablement.
Compte tenu de la réussite de ce dispositif, nous avons annoncé son élargissement, afin d’atteindre 350 volontaires d’ici à la fin de cette année et 800 en 2022. Cette mesure contribue, avec les campus connectés, les cordées de la réussite, les services civiques ou encore les territoires éducatifs ruraux, à répondre aux besoins de la jeunesse dans les territoires ruraux et à promouvoir l’égalité des chances dans tous les territoires.
Dans le même temps, de nombreuses autres mesures de l’agenda rural produisent très concrètement leurs effets dans les territoires ruraux, au bénéfice d’une amélioration de la qualité de vie au quotidien des habitants : 1 745 espaces France Services ont été labellisés à date, dont 80 bus France Services. Je pense aussi aux 1 600 Petites Villes de demain sélectionnées, aux 1 900 maisons de santé soutenues, aux 66 campus connectés installés en milieu rural ou encore aux 281 fabriques de territoires financées.
Pour s’assurer de son déploiement, une attention particulière a également été portée sur la gouvernance de l’agenda rural avec la tenue de trois comités interministériels aux ruralités, la nomination d’un référent ruralité dans chaque cabinet ministériel, dans chaque administration centrale et dans chaque préfecture de département, ainsi que la mise en place, en lien avec les élus ruraux, de 85 feuilles de route départementales pour la ruralité.
Pour toutes ces raisons, si la France est pionnière en la matière, elle doit aussi être un moteur pour poursuivre cette dynamique, à l’échelle européenne, en faveur des territoires ruraux.
À ce titre, la présidence française de l’Union européenne, qui commencera en janvier 2022, comme vous le savez, est une occasion unique pour sensibiliser les autres pays membres à l’établissement d’agendas ruraux nationaux ou de pactes ruraux, pour reprendre la terminologie de la Commission européenne.
Dans ce cadre, le Parlement rural français, porté par un collectif d’associations et d’acteurs de la ruralité et dont vous vous êtes le président, monsieur le sénateur, participera à la promotion de l’agenda rural européen par l’organisation d’un événement en février 2022, appelé « Ruralisons l’Europe ! ».
Vous le savez, le Gouvernement et le secrétariat général de la PFUE, la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, soutiennent pleinement cette démarche, qui s’inscrit désormais officiellement dans le cadre de la présidence française, laquelle, je le répète, commencera le 1er janvier prochain.
Aussi, lors de la réunion informelle ministérielle qui se tiendra au début de mars 2022 sur l’avenir de la politique de cohésion des territoires, dans le cadre de la PFUE et à l’aune du huitième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale, le Gouvernement portera la question de la vision à long terme pour ces territoires, en particulier pour les territoires ruraux, afin d’améliorer les conditions de vie des populations rurales et de traiter plus efficacement les défis qui alimentent aujourd’hui la géographie du mécontentement.
Cette discussion permettra tout particulièrement de mettre en avant, au niveau de l’Union, la question de l’agenda rural et des pactes ruraux.
Il s’agit de construire dans ce cadre une ambition commune au niveau européen en faveur des territoires ruraux, sans imposer pour autant aux États membres une réalité et des solutions qui ne sont pas forcément adaptées au contexte de chacun, du fait de la grande diversité de territoires, de cultures, de gouvernances, d’organisations des services publics des zones rurales au sein de l’Union européenne.
Cette vision est aujourd’hui portée par la Commission européenne dans une communication intitulée Vision à long terme pour les territoires ruraux à 2040, qui plaide pour la mise en place d’un pacte rural, accompagné d’un plan d’action rural et d’initiatives phares visant à encourager de meilleures synergies entre fonds et acteurs au niveau européen, national, régional et local.
Il s’agit, pour la Commission européenne, de rendre les zones rurales plus connectées et plus dynamiques, d’offrir de nouvelles chances d’emplois et de diversifier l’activité économique des territoires.
Cette communication est un premier pas traduisant une véritable prise en compte, au niveau européen, de la nécessité d’inciter les États membres à prendre en compte la dimension rurale dans la mise en œuvre des politiques communautaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’y a ici que des convaincus. La prise en compte, à toutes les échelles, des besoins spécifiques des zones rurales montagneuses ou isolées est une nécessité. La perspective d’un agenda rural européen permettrait effectivement d’apporter, au-delà d’un signal fort en direction de nos territoires ruraux, une réelle réponse à cette demande sur mesure.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement salue très favorablement cette proposition de résolution en faveur de la mise en place d’un agenda rural européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution demandant la mise en place d’un agenda rural européen
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la déclaration de Cork 2.0 « Pour une vie meilleure en milieu rural » de 2016,
Vu la résolution du Parlement européen du 13 juin 2017 sur les éléments fondamentaux d’une politique de cohésion de l’Union pour l’après-2020,
Vu la déclaration de Venhorst du 21 octobre 2017 publiée par le Parlement rural européen 2017, qui vise à promouvoir la coopération dans des domaines tels que la connectivité, les infrastructures, les services, le renforcement des économies locales ainsi qu’à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale,
Vu la résolution du Parlement européen du 17 avril 2018 sur le renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l’Union européenne : le 7e rapport de la Commission européenne,
Vu la résolution du Parlement européen du 3 octobre 2018 sur la prise en compte des besoins spécifiques des zones rurales, montagneuses et isolées,
Vu la communication du 30 juin 2021 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur une vision à long terme pour les zones rurales de l’Union européenne intitulée : « Vers des zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l’horizon 2040 »,
Considérant que les zones rurales constituent l’espace de vie de 137 millions d’Européens, soit 30 % de la population, répartis sur 80 % du territoire de l’Union ;
Considérant que l’économie de l’Europe, ses villes, son industrie (y compris touristique) et ses citoyens dépendent dans une large mesure de ces zones pour l’alimentation, les sols, l’énergie, l’eau, l’air qu’ils respirent et les matières premières ;
Considérant que les zones rurales seront indispensables pour réaliser de manière ambitieuse toutes les transitions auxquelles feront face les membres : transition énergétique, climatique, environnementale, sanitaire et alimentaire ;
Considérant que les zones rurales jouent un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs du Pacte vert de l’Union européenne ;
Considérant que les confinements successifs ont réanimé un vif désir de campagne chez les citoyens européens, qui privilégient de plus en plus la qualité de vie sur toute autre préoccupation ;
Considérant les difficultés importantes des territoires ruraux et les inégalités qui perdurent entre les campagnes et les zones urbanisées, notamment en matière d’accès aux mobilités, aux soins, à l’emploi, aux services et au numérique ;
Considérant qu’il y a des écarts importants entre les hommes et les femmes dans le taux d’emploi dans les zones rurales et que les femmes se retrouvent très souvent plongées dans des situations de grandes précarités accentuant leur vulnérabilité ;
Considérant que la jeunesse représente l’avenir des territoires ruraux, elle doit avoir les mêmes opportunités et chances dans leur développement personnel et professionnel ;
Considérant qu’il est important de soutenir les zones rurales afin que les nombreux citoyens vivant en dehors des zones urbaines puissent avoir l’assurance de se voir offrir les mêmes possibilités que ceux vivant dans les zones urbaines ;
Considérant que la Commission européenne entend investir cette problématique en proposant une vision à long terme pour les zones rurales de l’Union européenne ;
Considérant la volonté de la Commission de faire de ces campagnes des zones « fortes, connectées, résilientes et prospères » ;
Considérant les interdépendances entre espaces ruraux et urbains justifiant des coopérations nécessaires à la résolution des enjeux communs (logements, déplacements, transition…) ;
Considérant que, dans la stratégie que dessine la Commission, aucun moyen financier supplémentaire n’est prévu pour atteindre les ambitions affichées et qu’elle n’est composée que de dispositifs financiers déjà existants ;
Considérant qu’une vision à long terme ne peut se limiter à l’installation de groupes de travail ni à l’échange de bonnes pratiques ;
Considérant qu’un sentiment d’abandon se fait toujours plus prononcé chez les citoyens ruraux et qu’il est nourri par les réorganisations réduisant l’accessibilité des services d’État ou d’opérateurs ;
Considérant l’intérêt réciproque à l’instauration d’une véritable dimension territoriale dans les champs de l’action publique européenne, notamment au regard des effets directs qu’elle produirait sur la vie quotidienne des habitants de ces territoires fragiles et isolés, et de la légitimité de l’Union qui s’en trouverait ainsi renforcée ;
Considérant qu’il y a une urgence impérieuse à agir pour les zones rurales, en investissant dans ces territoires au travers d’actions concrètes, perceptibles par les citoyens, dans un contexte où les sentiments d’isolement, d’exclusion et d’abandon des habitants grandissent ;
Regrette que la Commission européenne n’ait pas pu profiter des opportunités nouvelles post-pandémie pour dessiner sa vision. La crise de la covid-19 a montré un désir de campagne de la part de la population qui a bien compris que, sur ces territoires, se trouve une partie des réponses à la crise que nous vivons. Cette crise sanitaire a souligné également les possibilités offertes par les territoires ruraux grâce au télétravail ;
Estime que l’établissement d’un Agenda rural européen constitue un préalable indispensable à la réalisation des objectifs de cohésion de l’Union européenne à l’horizon 2040 ;
Considère que la promotion du développement local est essentielle pour stabiliser et compenser les pressions sur le marché immobilier, sur les ressources naturelles et pour accompagner ou compenser les dynamiques démographiques ;
Appelle en outre à la coordination renforcée des politiques de l’Union et de ses pays membres pour assurer le développement des territoires ruraux à ces fins ;
Demande que l’Agenda rural européen stimule le développement socio-économique, la croissance et la diversification de leur économie, le bien-être social, la protection de la nature et la préservation de la qualité de vie ainsi que la coopération et l’interconnexion avec les zones urbaines afin de favoriser la cohésion et d’éviter le risque de fragmentation territoriale ;
Soutient la Commission européenne dans son souhait d’aider les femmes à participer à la prise de décision, à développer leur esprit d’entreprise et à investir dans les services permettant de concilier vie professionnelle et vie privée, et, enfin, d’accroître l’intégration des femmes sur le marché du travail ;
Invite la Commission européenne à proposer des solutions innovantes pour créer davantage d’opportunités pour la jeunesse dans les zones rurales et éloignées en s’appuyant sur les bonnes pratiques existantes et en organisant une consultation avec les jeunes ;
Encourage les organisations institutionnelles publiques ou privées et associatives rurales à développer des projets en tirant parti de leurs atouts et de leurs forces et en offrant de nouvelles perspectives telles que des services décentralisés, des solutions énergétiques et des technologies et innovations numériques, territoriales et sociales ;
Appelle instamment à garantir une meilleure efficacité ainsi qu’une intégration plus poussée des politiques de développement rural de l’Union européenne, en y associant tous les niveaux de pouvoir au sein des États membres ;
Demande, en outre, que cet Agenda rural européen pour les régions rurales soit assorti d’un cadre stratégique pour le développement des zones rurales, coordonné avec les stratégies en faveur des régions défavorisées et des régions périphériques ;
Insiste sur la mise en place de mesures concrètes qui prennent en compte l’interdépendance entre zones rurales et urbaines et de leurs influences réciproques ;
Considère notamment qu’il devient nécessaire d’appréhender la valeur des services rendus écosystémiques apportés à la société par les territoires ruraux et de les traduire par une valorisation financière de ses aménités ;
Insiste sur la nécessité de soutenir la poursuite du développement du tourisme rural et de l’agrotourisme de montagne, tout en préservant les spécificités de ces zones, par exemple leurs traditions et leurs produits locaux traditionnels, étant donné que le tourisme y joue un rôle social, économique et culturel important ;
Plaide pour mettre en place un cadre concret d’évaluation avec des mesures chiffrées précises et des indicateurs définis pour évaluer l’impact des grandes politiques européennes sur les zones rurales dans le cadre de la mise en place d’un mécanisme « rural proofing » (évaluation de l’impact rural de chaque dispositif européen) ;
Appelle la Commission à prendre en compte de manière renforcée le rôle essentiel et à leur juste place respective des différents niveaux de collectivités locales et des opportunités de développement des synergies qu’offre l’économie sociale et solidaire pour ce qu’elle représente comme potentiel de coopération publique-privée ;
Souligne que les investissements visant à intégrer les zones rurales dans toutes les politiques sont nécessaires pour réaliser les priorités de l’Union notamment, mais pas exclusivement, pour une croissance durable, pour la création d’emplois, la transition numérique et l’efficacité du marché intérieur ;
Invite la Commission à inclure, dans ses futures propositions législatives, des dispositions visant à mieux prendre en compte les spécificités de ces zones et à leur octroyer un financement suffisant, en particulier au titre des Fonds structurels et d’investissement européens, dans le cadre de la politique de cohésion pour l’après-2020, élaborés en concertation avec les protagonistes ;
Demande à la Commission qu’elle s’assure que la ruralité bénéficie d’une part de crédit correspondant à son poids démographique et spatial dans l’Union européenne ;
Demande à la Commission que chaque État membre soit en situation de se doter d’un agenda rural national ;
Invite le Gouvernement français à porter l’Agenda rural européen à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne qui débutera en janvier 2022.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole pour un rappel au règlement fondé sur l’article 26 de notre règlement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous étiez déjà dans cet hémicycle pour débattre du Pacte européen de stabilité. Malgré la solidarité du Gouvernement et votre capacité multiple à le représenter, je regrette que la ministre de la cohésion des territoires, le ministre de l’agriculture ou encore le secrétaire d’État chargé de la ruralité ne soient pas présents ce matin pour nous répondre.
Votre présence nous encourage à continuer de travailler dans nos départements, où nous manquons de haut débit et où la fibre ne passe pas partout. Vous nous avez fait des déclarations sur ce sujet, qui est le vôtre. Nous les acceptons bien volontiers au comptant. Néanmoins, sur ces sujets, en matière de haut débit et de téléphonie mobile, le compte n’y est pas ; mes collègues seront probablement d’accord avec moi.
On a beaucoup parlé d’un équilibre entre les territoires. Il aurait été intéressant d’entendre le ministre directement en charge de ces questions qui nous posent à tous énormément de problèmes notamment en matière d’urbanisme.
Je souhaitais donc signaler, monsieur le président, ce que je considère, sinon comme un dysfonctionnement, du moins comme une marque de mépris envers le Sénat,…
M. Laurent Burgoa. Tout à fait !
Mme Nathalie Goulet. … sur un sujet aussi important que l’agenda rural, auquel nous sommes évidemment tous attachés. (MM. Laurent Burgoa, Jean-Claude Anglars et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Madame Goulet, je ne réagirai pas pour ce qui concerne la continuité de l’exercice de l’État. Il reviendra, le cas échéant, à Joël Giraud d’expliquer les raisons de son absence d’aujourd’hui.
Sur la question de la fibre et du mobile, je vous entends avec beaucoup d’humilité et je conçois que, pour les Français, les choses soient toujours trop longues. Toutefois, comme le disait Talleyrand, « quand je me compare, je me console ».
Il n’y a pas un pays qui soit mieux couvert en fibre que la France ! Il arrive parfois aux parlementaires de comparer la situation de notre pays avec celle des autres grands pays européens. En France, deux Français sur trois peuvent demander la fibre. C’est le cas d’un Anglais sur dix et d’un Allemand sur dix. La France est aujourd’hui, par habitant, le pays le mieux couvert en fibre de l’Union européenne. Probablement n’allons-nous pas assez vite et sommes-nous très mauvais. Considérez toutefois que nous sommes un peu moins mauvais que les vingt-six autres pays de l’Union européenne.
Mieux encore, alors même que nous sommes déjà les premiers, nous continuons d’aller plus vite que les autres. La moitié de la fibre installée en Europe est installée en France. Si vous étiez au pouvoir, vous feriez sans doute beaucoup mieux ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.) Mais pouvez-vous expliquer comment, non contents d’être déjà les premiers dans l’Union européenne, nous pourrions être encore meilleurs ?
S’agissant du mobile, à peu près 600 pylônes ont été financés par l’État en quinze ans, sous les majorités précédentes.
Mme Nathalie Goulet. Et par les régions et les départements !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous pourrons examiner les chiffres ensemble, madame la sénatrice ! Et ce gouvernement, qui ne serait pas au rendez-vous, en a déjà construit 1 100 en trois ans et demi et en aura installé 12 000 d’ici à 2026…
Encore une fois, comme le dirait Talleyrand, « quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, demandant la mise en place d’un agenda rural européen.
La conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à midi cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Respect des principes de la démocratie représentative
Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (proposition n° 795 [2020-2021], texte de la commission n° 108, rapport n° 107).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter ce matin porte sur les droits du Parlement et, par conséquent, sur la séparation des pouvoirs, sur l’équilibre entre ces derniers et sur l’esprit républicain.
Je me réjouis d’emblée, monsieur le garde des sceaux, que vous soyez venu pour défendre, je n’en doute pas, les droits du Parlement, la séparation des pouvoirs et l’esprit républicain. (Sourires.)
Mes chers collègues, vous savez tous que, le 28 mai et le 3 juillet 2020, par deux décisions, le Conseil constitutionnel a considéré que des ordonnances non ratifiées, dès lors que la date prévue dans la loi d’habilitation était passée, se trouvaient mécaniquement dans la situation d’avoir valeur législative.
Cela pose un problème considérable. En effet, vous le savez tous, mes chers collègues, le Congrès a décidé en 2008 de changer la Constitution, notamment son article 38, pour écrire noir sur blanc que la ratification des ordonnances ne pouvait qu’être expresse, c’est-à-dire qu’elle nécessitait une décision du Parlement.
Je n’ignore rien des considérants du Conseil constitutionnel, qui a fait valoir que, de ce fait, il serait possible que des concitoyens saisissent au titre d’une QPC, c’est-à-dire d’une question préalable de constitutionnalité, une ordonnance non ratifiée.
Une telle hypothèse ne résiste vraiment pas à l’examen. Le Conseil constitutionnel étant, chacun le sait, le gardien de la Constitution, il ne peut ignorer la règle manifeste et évidente que je viens de rappeler, inscrite noir sur blanc : la ratification des ordonnances est expresse.
Dès lors, il nous a paru nécessaire de présenter une proposition de loi constitutionnelle rappelant tout simplement, au sein de la Constitution, cette réalité. Je vois mal comment l’on pourrait s’y opposer, puisque cela correspond à la volonté du constituant.
Le rapport de M. Philippe Bas, que je tiens à saluer et à remercier, évoque, chiffres à l’appui, l’abus du recours aux ordonnances auquel nous assistons.
Monsieur le garde des sceaux, vous ne pouvez l’ignorer, 318 ordonnances ont été prises depuis le début du quinquennat. C’est un record absolu si l’on remonte jusqu’aux origines de la Ve République. Sur ces 318 ordonnances, 21 % ont donné lieu à ratification, j’ai vérifié ce chiffre ce matin.
Ainsi, l’on assiste subrepticement – encore ai-je tort d’employer cet adverbe, car, finalement, c’est manifeste –…
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. … à un changement : nous allons vers un régime des ordonnances, parce que les dispositions législatives « adoptées », si l’on peut dire, par voie d’ordonnance sont plus nombreuses que celles qui le sont au sein de nos enceintes.
Le rapport de M. Bas est extrêmement clair. Je remercie mon collègue d’avoir proposé d’aller plus loin. En effet, sous l’égide de M. Gérard Larcher, président du Sénat, un groupe de travail pluraliste s’est mis en place, qui a formulé des propositions concrètes pour la réforme de l’article 38 de la Constitution.
Ces réformes portent sur la référence au programme du Gouvernement et sur la définition des conditions dans lesquelles il est légitime d’avoir recours aux ordonnances : urgence, transposition, codification ou dispositions relatives à l’outre-mer. M. Philippe Bas nous propose, avec mon total accord, car cela va exactement dans le sens de la proposition de loi constitutionnelle que j’ai rédigée avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de fixer également des délais pour la ratification. Tout cela est extrêmement clair et précis.
Mes chers collègues, nous avons assisté à la mise en place d’une ordonnance réformant la haute fonction publique, l’École nationale d’administration (ENA), le corps des préfets, ce qui n’est tout de même pas rien dans la République française, et le corps des inspections générales. Tout cela est très important.
Or, monsieur le garde des sceaux, quand j’ai eu l’occasion de demander à votre collègue du Gouvernement chargée de la fonction publique si elle estimait normal que ni l’Assemblée nationale ni le Sénat ne fussent saisis de ces questions lors d’un débat, elle m’a répondu que cela relevait d’une ordonnance, dispositif prévu par la Constitution. Nous connaissons le discours, mais tout de même !
Si bien que nous avons pris l’initiative de déposer une proposition de loi, signée par quatre présidents de groupe, qui a été adoptée à une large majorité ici, tout simplement pour pouvoir aborder ce sujet. Ce n’est tout de même pas exorbitant !
Bien sûr, à une grande majorité, nous n’avons pas accepté de ratifier ce texte. J’ai demandé à votre collègue du Gouvernement quelle conclusion elle tirait de tout cela. J’attends toujours sa réponse…
Ensuite, je remercie nos collègues et amis du groupe du RDSE, qui ont présenté une proposition de loi visant à préciser, ce qui est recevable, que les parlementaires avaient le droit, en tant que tels, et non seulement en tant qu’usagers de la télévision ou de La Poste (Sourires.), de saisir le Conseil d’État sur une ordonnance non ratifiée et ayant donc valeur administrative. Je tiens à saluer le vote qui a eu lieu à ce sujet.
Nous espérons que le Gouvernement comprendra notre message. Cette présente proposition de loi traite de l’équilibre des pouvoirs et des droits du Parlement. Aujourd’hui, la quasi-généralisation du recours à la procédure accélérée est désastreuse, car elle ne nous permet pas de rédiger la loi comme il le faudrait ; les navettes permettent de peaufiner l’écriture.
Nous sommes donc soumis à la précipitation constante qui nous est dictée par la procédure accélérée. J’ajoute que nous sommes dépités de constater que tant d’amendements sont refusés, alors même que l’article 45 de la Constitution, dont il est beaucoup question ces temps-ci, dispose que « tout amendement est recevable […] dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte ».
J’ai entendu les propos de M. le Président de la République à ce sujet, et ils ont pu nous inquiéter par rapport au droit d’amendement. Mes chers collègues, tout cela va dans le même sens, celui de la verticalité du pouvoir. (M. le garde des sceaux s’esclaffe.)
Monsieur le garde des sceaux, je suis sûr que vous serez à nos côtés pour défendre l’équilibre et la séparation des pouvoirs, ainsi que les droits du Parlement ! (Applaudissements sur l’ensemble des travées, à l’exception de celles des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux – je vous salue très respectueusement –, mes chers collègues, c’est une très bonne initiative qui a été prise par notre collègue Jean-Pierre Sueur : elle nous ouvre la possibilité de refondre intégralement l’article 38 de la Constitution pour rétablir dans son application l’esprit de la Constitution de la Ve République.
Ce faisant, nous nous inscrivons dans la continuité des travaux du Sénat. En effet, je rappelle que, en janvier 2018, à la demande du Président de la République, le président du Sénat, après avoir réuni un groupe de travail pluraliste au sein de notre assemblée, a présenté quarante propositions de réformes constitutionnelles, parmi lesquelles, justement, celle qui est relative à l’article 38 de la Constitution.
Il s’agit pour nous de préserver cette faculté donnée au Parlement d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi, et, dans le même mouvement, de nous assurer que ce dernier n’a pas fait un usage abusif de ces dispositions.
Or que constatons-nous aujourd’hui sinon un développement presque exponentiel du recours aux lois d’habilitation ? Ce mouvement n’est certes pas le fait de cette seule mandature, mais il s’est encore amplifié sous celle-ci.
Chaque année, 14 ordonnances ont été publiées entre 1984 et 2007 ; quelque 30 entre 2012 et 2017 ; et 64 depuis 2017. Au cours de la seule session 2019-2020, quelque 100 ordonnances ont été publiées, contre 59 lors de la session précédente.
Il est vrai que, parmi ces 100 ordonnances, 67 étaient dédiées au traitement de la crise sanitaire. Il me semble qu’il est juste de permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnances quand il s’agit de répondre à des situations urgentes d’intérêt national.
Dans le même temps où le Parlement était sollicité pour déléguer son pouvoir législatif de plus en plus massivement, le Gouvernement renonçait de plus en plus systématiquement à faire ratifier par le Parlement ces ordonnances. Au cours du présent quinquennat, quelque 55 ordonnances ont été publiées et ratifiées, soit 21 % des ordonnances publiées. La ratification devient donc assurément l’exception !
Non seulement le Parlement abandonne son droit de légiférer en faveur du Gouvernement, mais il renonce aussi, forcé par la maîtrise de l’ordre du jour prioritaire qui est la prérogative du Gouvernement, à légiférer pour ratifier les ordonnances. C’est grave !
Durant la même période, le taux de ratification des ordonnances s’élevait à 62 % pour le quinquennat 2007-2012 et à 30 % pour le quinquennat 2012-2017. La situation ne cesse donc malheureusement de se dégrader. D’ailleurs, on constate que, simultanément, le nombre des ordonnances publiées est devenu supérieur au nombre des lois promulguées. Quand j’ai découvert les chiffres, mes chers collègues, je n’en revenais pas !
Figurez-vous que, au début des années 2000, la proportion de textes intervenus dans le domaine de la loi correspondant à des ordonnances se situait autour de 25 %. Les ordonnances représentaient en moyenne 51 % des textes intervenus dans le domaine de la loi sur la période comprise entre 2007 et 2020 ; et ce taux a été supérieur au nombre de lois à six reprises depuis 2007, avec une proportion inégalée de 73 % en 2020.
La hausse du nombre d’ordonnances ne se traduit pas, comme on aurait pu l’espérer, par des textes plus concis. L’inflation législative continuait à galoper pendant la même période. Les lois comptaient 1 584 articles en 2019, contre 1 312 en 2002. Il y a donc à la fois plus d’ordonnances et plus de dispositions législatives adoptées par le Parlement. L’espace juridique est de plus en plus saturé par la multiplication des dispositions législatives, quelle qu’en soit l’origine.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, la proposition de notre collègue Jean-Pierre Sueur vise tout d’abord à ce que les dispositions prises par voie d’ordonnance ne reçoivent pas un statut législatif sans que soit intervenu un vote du Parlement. C’est le bon sens, et c’est aussi pour nous une question très importante de principe.
Avec l’accord de M. Sueur, la commission des lois a adopté d’autres dispositions. Elles concernent soit la loi d’habilitation, soit la loi de ratification.
S’agissant de la loi d’habilitation, il nous paraît convenable de déterminer la durée de cette habilitation au travers d’une disposition constitutionnelle, afin qu’elle ne dépasse pas douze mois. Il s’agit aussi de préciser les finalités et l’objet des ordonnances qui seront prises, le Conseil constitutionnel ayant l’habitude d’exercer un contrôle peu précis en matière d’habilitation. Il importe que ce contrôle soit plus rigoureux et précis.
Pour autant, il s’agit surtout, comme je l’ai souligné tout à l’heure, de rétablir l’esprit de la Constitution de la Ve République et de redonner vie à la notion de programme, qu’il convient de préciser.
Le programme n’est-il pas l’essentiel de l’action gouvernementale ? Il doit donc être clairement affiché par le Gouvernement au moment de son entrée en fonctions, par exemple dans sa déclaration de politique générale. Les mesures n’étant pas présentées comme essentielles ne devraient pas pouvoir faire l’objet d’une ordonnance. C’est ce qui a été voulu en 1958 et c’est ce que nous devons rétablir aujourd’hui.
J’ajoute que nous devons également tenir compte de certaines situations particulières pouvant justifier un recours aux ordonnances. J’ai cité tout à l’heure l’urgence ou l’intérêt national, mais on peut aussi penser à la codification et aux mesures d’adaptation aux outre-mer de certaines dispositions.
Reconnaissons cette faculté au Parlement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, mais à la condition qu’il exerce un contrôle régulier de ce travail législatif délégué au Gouvernement.
Quant à la ratification, réalisons une avancée importante pour les droits du Parlement en exigeant qu’elle soit expresse et ait lieu dix-huit mois après la fin du délai d’habilitation. Je tiens à rassurer le Gouvernement, qui pourrait s’inquiéter qu’un segment trop important de l’ordre du jour soit occupé à la discussion parlementaire d’ordonnances déjà publiées : le Sénat a su innover au cours des dernières années – l’Assemblée nationale, d’ailleurs, l’a rejoint –, et nous pouvons fort bien, quand il s’agit de dispositifs très techniques, adopter la procédure de délibération en commission de certaines lois de ratification.
Voilà, mes chers collègues, l’économie générale du texte qui a été adopté par la commission des lois, sur une initiative de Jean-Pierre Sueur, avec lequel j’ai réalisé un travail très approfondi.
Je dois vous dire que, étant un partisan actif, convaincu et engagé des institutions de la Ve République, je n’en suis pas moins partisan de corriger certains excès de la pratique, qui ont donné au Gouvernement des pouvoirs excessifs, lesquels ne sont nullement nécessaires pour lui permettre d’assumer sa mission exécutive et qui viennent réduire la capacité d’action de la représentation nationale.
Il existe une grande différence entre l’exécutif et la représentation nationale : l’exécutif représente une majorité, alors que la représentation nationale, elle, représente tous les Français !
Le dialogue entre le Gouvernement et la représentation nationale dans le cadre de la séparation des pouvoirs est donc une nécessité absolue, que notre constitution doit désormais mieux reconnaître. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, INDEP et SER.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission les lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Jean-Pierre Sueur.
Son objet est, selon son intitulé, de « garantir le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance ». Il s’agit, indiscutablement, d’un objectif louable, et je partage vos propos sur les excès de verticalité, monsieur Sueur. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Toutefois, je tiens à dire d’emblée, au risque de gâcher un insupportable suspense (Sourires.), que je ne crois pas que le contenu de cette proposition soit nécessaire pour atteindre un tel objectif.
Dans sa version modifiée par le rapporteur de votre commission, M. Philippe Bas, cette proposition de loi vise, dans un premier temps, à écraser la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de deux décisions des 28 mai et 3 juillet 2020, par lesquelles ce dernier s’est reconnu compétent pour examiner la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des ordonnances non ratifiées dès lors que le délai d’habilitation a expiré.
Votre proposition vise, dans un second temps, à restreindre le recours aux ordonnances par différents moyens, que je détaillerai plus loin et auxquels je répondrai précisément.
Vous proposez tout d’abord de réaffirmer plus explicitement à l’article 38 que seule une ratification expresse permet à une ordonnance d’acquérir valeur législative et que ce texte n’a jusqu’alors qu’une valeur réglementaire.
Cette modification ne semble pas utile : comme vous le savez, la révision constitutionnelle de 2008 a déjà prévu que seule la ratification expresse d’une ordonnance permet de lui conférer valeur législative.
Le Conseil constitutionnel l’a lui-même précisé avec clarté dans les deux décisions évoquées précédemment. C’est donc seulement au sens et pour l’application de l’article 61-1 de la Constitution, c’est-à-dire pour déterminer si une QPC est recevable devant lui, que le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions d’une ordonnance relevant du domaine de la loi doivent être regardées, dès l’expiration du délai d’habilitation, « comme des dispositions législatives ».
Il est donc excessif d’y voir une remise en cause de la hiérarchie des normes ou des prérogatives du Parlement. En effet, cette jurisprudence a eu pour principal effet de modifier la répartition des compétences entre le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité des ordonnances non ratifiées.
Auparavant, c’était le Conseil d’État, cour administrative suprême, qui contrôlait la conformité des ordonnances non ratifiées aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Désormais, c’est le Conseil constitutionnel qui le fait, et il paraît cohérent qu’un seul et même juge, a fortiori le juge constitutionnel, soit compétent à cet égard.
Vous l’avez vous-même souligné, monsieur le sénateur Sueur, puisque, dans votre exposé des motifs, vous indiquez que cette évolution pouvait être présentée comme « une pierre supplémentaire à l’édifice d’un État de droit en constante construction ».
J’observe d’ailleurs que le Conseil d’État a tiré les conséquences de l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel par une décision d’assemblée du 16 décembre 2020, dans laquelle il acte la nouvelle organisation du contentieux relatif aux ordonnances. La répartition des compétences entre ces deux hautes juridictions, désormais modifiée, est donc harmonieuse.
Les critiques et craintes selon lesquelles cette jurisprudence porterait atteinte au débat démocratique, à la sécurité juridique, à la répartition du domaine de la loi et du règlement, aux prérogatives du Parlement ou à la séparation des pouvoirs ne me semblent donc pas fondées.
Pour le Parlement, cette nouvelle jurisprudence ne change rien, puisque le Conseil constitutionnel a pris soin de rappeler très précisément, dans sa décision du 3 juillet 2020, les deux principes qui résultent de l’article 38 de la Constitution et qui ne sont pas modifiés.
Premièrement, passé le délai d’habilitation, les dispositions d’une ordonnance qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent être modifiées que par le législateur.
Deuxièmement, une ordonnance n’acquiert une valeur législative qu’à compter de sa ratification, laquelle doit être expresse, conformément à la volonté du constituant.
C’est pourquoi votre proposition de modification ne nous paraît pas nécessaire. En somme, vous ne faites que revenir à l’état du droit précédent, en écrasant purement et simplement les deux jurisprudences du Conseil constitutionnel évoquées précédemment.
Je note avec étonnement, monsieur le sénateur Sueur, que vous vous êtes rallié à la position du rapporteur Bas, alors même que vous indiquiez dans l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale ne pas vouloir « un retour pur et simple au statu quo ante ».
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut lire l’ensemble de l’exposé des motifs, monsieur le garde des sceaux, et ne pas se contenter de certains passages !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sur ce point, c’est donc finalement un retour à la case départ, ou presque.
Dans un second temps, cette proposition envisage de restreindre drastiquement certaines conditions du recours aux ordonnances.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par cette proposition de loi, vous entendez rappeler la prééminence du Parlement dans le vote de la loi et, encore une fois, cet objectif est parfaitement louable.
M. Christian Redon-Sarrazy. Pas louable, constitutionnel !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement, je le rappelle, est soucieux que chaque institution tienne la place qui est la sienne, dans le respect de notre Constitution.
En revanche, le chemin emprunté pour « rappeler cette prééminence » soulève de sérieuses difficultés.
En premier lieu, comme vous le savez, la Constitution impose déjà que la loi d’habilitation fixe le délai d’adoption de l’ordonnance. Votre proposition prévoit de graver dans le marbre de la Constitution un délai maximal de douze mois.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Or je ne vois aucune raison d’imposer un délai couperet strict, impératif et uniforme, qui ne prendrait pas en compte la particulière difficulté de certaines missions de codification ou de transposition.
Il est préférable de laisser au Parlement le choix, plein et entier, d’adapter aux circonstances de complexité ou d’urgence le délai laissé au Gouvernement pour prendre l’ordonnance.
En deuxième lieu, vous proposez que, en matière de codification, les ordonnances ne soient possibles qu’à droit constant.
Une telle orientation ne me semble pas souhaitable, car elle conduirait en fait à arrêter net le travail de recodification par ordonnance qui, vous le concéderez, contribue grandement à l’amélioration de la qualité du droit. En effet, les recodifications ne se font quasiment jamais entièrement à droit constant. Il faut toujours adapter et moderniser les règles que l’on codifie de nouveau.
En troisième lieu, et enfin, je ne puis qu’être défavorable à l’idée de prévoir que les ordonnances deviennent caduques faute de ratification dans un délai déterminé.
Vous le savez, la Constitution prévoit un tel dispositif en son article 74-1 pour adapter la législation dans les collectivités d’outre-mer. Or l’expérience a révélé que cela présente un risque élevé pour la sécurité juridique, compte tenu des incertitudes sur le calendrier parlementaire et de l’adoption définitive de la loi de ratification.
Je suis particulièrement sensible à votre volonté de veiller à la qualité des textes adoptés, de préserver les prérogatives du Parlement dans le travail législatif et donc le bon fonctionnement démocratique, dans le respect de l’état de droit et des libertés qu’il garantit.
Toutefois, vous l’aurez compris, la méthode proposée par cette initiative de réforme constitutionnelle ne me semble ni nécessaire ni de nature à renforcer les prérogatives du Parlement, qui doivent en tout temps et en tout lieu être respectées. Je ne puis donc être favorable à ces modifications de la Constitution.
Enfin, et c’est peut-être par là que j’aurais dû commencer, s’il s’agit aujourd’hui d’interroger l’usage fait par le Gouvernement de l’article 38.
Je tiens à rappeler quelques faits. Le recours aux ordonnances n’est pas nouveau – ces murs ont des oreilles, mais aussi une mémoire… C’est une pratique ancienne, qui obéit à un cadre juridique bien établi.
Messieurs les sénateurs Bas et Sueur, je ne voudrais pas être malicieux, car vous m’en feriez grief (Sourires.), mais…
M. Philippe Bas, rapporteur. Mais ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais certains membres de cette assemblée, sur ma gauche, ont eu largement recours aux ordonnances, notamment lors du quinquennat précédent.
M. Jean-Pierre Sueur. Dans une proportion bien moindre !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. « C’est celui qui dit qui y est »… Voilà qui est un peu court, comme argument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. D’autres, sur ma droite, ont soutenu un candidat qui avait prévu de gouverner par ordonnances pour « certains aspects » de son programme. Vous vous en souviendrez sans doute, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est ce que je propose !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si la question est de souligner le recours croissant aux ordonnances dans les derniers mois, je veux rappeler – vous l’avez également souligné, monsieur le rapporteur, et je vous remercie de vos propos –…
M. Philippe Bas, rapporteur. Il faut être équitable et impartial !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … que nous avons traversé une crise sans précédent. Malgré la crise, le Parlement n’a pas chômé, dans l’urgence, afin de s’assurer, sur proposition du Gouvernement, que tous les moyens nécessaires soient donnés aux pouvoirs publics pour y faire face.
Certes, nous ne sommes pas encore sortis de cette période, mais nous commençons à entrevoir des signes positifs.
Le Parlement a-t-il eu tort de faire confiance au Gouvernement en l’habilitant à prendre des ordonnances pour répondre à l’urgence ? Je ne le pense pas, mais je veux aussi et surtout rappeler les chiffres, a fortiori quand ils émanent du dernier rapport, de grande qualité, de la direction de la séance du Sénat sur le recours aux ordonnances.
Ce document indique que, hors covid – j’insiste sur ce point –, la moyenne annuelle du nombre d’ordonnances prises par le gouvernement actuel est de 51, soit, à une unité près, monsieur Sueur, la moyenne du précédent de quinquennat, qui était d’environ 50 ordonnances par an.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a eu le terrorisme ! Il faut analyser les chiffres sur plusieurs législatures.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il serait donc faux de dire que ce gouvernement, hors situation de crise, a eu plus largement recours aux ordonnances que les autres.
Je comprends, bien sûr, que chacun souhaite voir ses prérogatives respectées, mais, de grâce, ne faisons pas de mauvais procès. Le Gouvernement respecte scrupuleusement toutes les institutions de la République, au premier rang desquelles le Parlement, et chacune de ses prérogatives.
Je reste convaincu que, dans le cadre constitutionnel actuel, il est possible d’améliorer la qualité du travail de coconstruction normatif entre le Parlement et le Gouvernement.
Mon expérience est certes très modeste, mais j’ai eu la chance, quelques mois à peine après mon arrivée, de travailler avec la sénatrice Agnès Canayer sur un texte absolument majeur, puisqu’il s’agissait de la loi de ratification de l’ordonnance portant code de justice pénale des mineurs, qui est désormais bel et bien entrée en vigueur. Je tenais à le rappeler.
M. Alain Richard. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Morituri te salutant… (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pratique des ordonnances dans notre République est devenue problématique, et cela pour deux raisons.
La première, c’est que nous voyons le recours aux ordonnances s’intensifier depuis plusieurs décennies. De 1984 à 2007, on dénombrait 14 ordonnances par an. De 2007 à 2012, la moyenne annuelle a grimpé à 30, avant de presque doubler, atteignant 54 sous le dernier quinquennat. Entre 2017 et 2020, on en compte environ 64 chaque année, la pandémie étant passée par là. La tendance s’affiche clairement : le pouvoir exécutif recourt de plus en plus aux ordonnances.
La seconde raison, c’est que la ratification des ordonnances n’est pas systématique, loin de là. Sous ce gouvernement, comme sous les précédents, beaucoup ne sont pas ratifiées, et la tendance à cet égard est à la baisse.
Le Conseil constitutionnel a rendu deux décisions en 2020, dans lesquelles il juge que les ordonnances doivent être regardées comme des dispositions législatives à l’expiration du délai d’habilitation. Le seul dépôt du projet de loi de ratification suffit à leur validité.
Cette jurisprudence ne nous paraît pas conforme à l’esprit de la procédure d’habilitation à légiférer par ordonnance. Elle n’est évidemment pas de nature à inciter le Gouvernement à davantage de ratifications.
Notre collègue questeur Jean-Pierre Sueur et le groupe socialiste nous proposent de modifier la Constitution, afin d’imposer une ratification expresse des ordonnances à peine de caducité. Cette proposition renoue avec l’esprit de la procédure des ordonnances.
Le Parlement a la faculté d’habiliter le Gouvernement à légiférer dans des matières déterminées et pour une durée limitée. Il est en effet nécessaire que le Parlement puisse ratifier l’ordonnance ainsi prise avant que celle-ci n’acquière les qualités de la loi. Cette étape renforce la légitimité du texte et donne également la possibilité à la représentation nationale de parfaire et d’enrichir si nécessaire les dispositions de l’ordonnance.
Cette proposition de loi a reçu le soutien de la commission des lois et de son rapporteur, Philippe Bas. Quelques ajustements ont été apportés au texte, afin de permettre le recours aux ordonnances pour les cas d’urgence, pour la codification à droit constant des dispositions ou encore pour l’adaptation du droit aux outre-mer.
Le texte encadre par ailleurs les délais. Le délai d’habilitation ne pourra dépasser douze mois et celui de ratification dix-huit mois, sous peine de caducité des dispositions concernées.
Les dispositions de cette proposition de loi constitutionnelle fixent un cadre clair à la procédure d’habilitation et replacent le Parlement dans son rôle. Les ordonnances font partie des outils législatifs, mais elles doivent être utilisées avec précaution. Nous soutenons donc ce texte, qui affermit les prérogatives du Parlement dans cette Ve République faisant la part belle à l’exécutif.
En tant que parlementaires, nous devons continuer à être vigilants lorsque nous autorisons les gouvernements à prendre des mesures qui relèvent du domaine de la loi. (MM. Daniel Chasseing et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Je ne crois pas une seule seconde à la réforme par ordonnances… » Voici ce qu’affirmait, en novembre 2016, dans une interview donnée au journal Le Monde, un certain Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle. Force est de reconnaître que cette conviction profonde du candidat devenu président s’est quelque peu étiolée au fur et à mesure de l’exercice du pouvoir, pour ne pas dire qu’elle a été totalement démentie… (Sourires.)
En effet, l’usage que fait l’exécutif des ordonnances depuis maintenant quatre ans et demi interpelle, interroge et même inquiète.
C’est d’autant plus manifeste que nous assistons depuis ce quinquennat à un double phénomène : d’une part, une prolifération excessive du nombre d’ordonnances – jamais sous la Ve République un président n’y aura tant recouru ! –, et, d’autre part, une raréfaction des procédures de ratification. Ce double phénomène touche au fonctionnement même de la démocratie parlementaire et au respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution.
Monsieur le garde des sceaux, si l’on peut comprendre, pour une majorité présidentielle, l’impératif d’aller vite, surtout lorsqu’elle voit poindre un nouveau cycle électoral, il n’en reste pas moins que, en contournant de manière répétée la délibération parlementaire, le Gouvernement prend le risque d’accentuer le déséquilibre de nos institutions par l’affaiblissement du pouvoir législatif, qui amène à verser progressivement dans une forme excessive de présidentialisation du régime.
La question sous-jacente posée est somme toute assez simple : peut-on réformer notre pays sans débat parlementaire ? La réponse paraît assez évidente : même sous la Ve République, dans le cadre d’un parlementarisme rationalisé, nous atteignons les limites de l’exercice.
L’argument le plus souvent avancé, celui de la nécessité d’agir de manière rapide et efficace – sous-entendu, sans les allers-retours de la navette parlementaire, en s’épargnant la multitude d’amendements sujets à de trop longues discussions en commission, voire en séance publique – n’est en aucun cas recevable au regard des chiffres.
Au 31 mars 2021, si l’on excepte les ordonnances prises dans le cadre de la crise sanitaire, le délai moyen entre la date de dépôt de l’habilitation et la date de publication des ordonnances était de 570 jours : c’est bien loin du délai moyen d’adoption d’une loi, qui s’élève à 235 jours !
M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement ! C’est un point important.
M. Stéphane Le Rudulier. Non, monsieur le ministre, ce faux argument ne masquera pas un fait connu de tous dans cette assemblée : le Gouvernement n’a rien à craindre d’une majorité en défaut de solidarité ou tentée par le désir d’obstruction. Il s’agit donc bel et bien d’une volonté de mettre hors-jeu le Parlement.
De surcroît, la nature des ordonnances a profondément évolué depuis le début des années 2000 : les domaines visés sont de plus en plus divers et le champ d’application de plus en plus large, permettant de procéder à de véritables réformes de fond qui intéressent la société dans son ensemble. Cela m’amène à penser que nous sommes aujourd’hui très loin du caractère technique que les ordonnances revêtaient initialement, où l’on visait la simplification du droit pour permettre la codification.
Toutefois, ce qui m’inquiète plus encore, c’est l’intention de l’exécutif de restreindre en parallèle le droit d’amendement, idée développée depuis deux ans par le Président de la République lui-même et qui consisterait, au travers d’une réforme constitutionnelle, à limiter le nombre d’amendements en fonction du poids politique de chaque groupe parlementaire.
Cela ne va pas malheureusement dans le sens d’un rééquilibre de nos institutions.
Pis, que penser de cette proposition d’un contrôle automatique des amendements avant l’examen du texte en séance ? Même Michel Debré ne l’avait pas imaginé !
M. Jean-Pierre Sueur. Et pourtant…
M. Stéphane Le Rudulier. J’aime à me souvenir du fameux discours de Bayeux de 1946, quand le général de Gaulle s’interrogeait légitimement sur l’équilibre entre présidentialisation du régime et parlementarisme exacerbé de la IIIe République. Sa réflexion s’est arrêtée sur un consensus simple : si le Parlement doit cesser « d’être la source d’où procèdent la politique et le gouvernement », il doit se concentrer sur la délibération, le vote des lois et le contrôle du ministère.
Je vous le demande, monsieur le garde des sceaux : en est-il encore ainsi aujourd’hui, avec cette pratique excessive des ordonnances ? En d’autres termes, peut-on gouverner sans s’appliquer une double obligation, celle de convaincre sa majorité et celle de respecter l’opposition ? Fondamentalement, s’affranchir de cela, c’est manquer à un impératif premier, celui d’expliquer la conduite de l’action publique devant la représentation nationale.
Au-delà de cette pratique abusive des ordonnances, comme l’a très bien souligné M. Sueur, la décision rendue le 28 mai 2020 par le Conseil constitutionnel, affinée par celle du 3 juillet de la même année, s’est inscrite à rebours de la volonté du constituant de 2008.
Ces deux décisions octroient un véritable pouvoir législatif à l’exécutif, qui conduit inévitablement à un affaissement considérable du rôle du Parlement, en l’amputant de l’une de ses prérogatives essentielles et majeures, la prérogative de contrôle.
Ces décisions posent également une problématique de fond – sur ce point, je suis en désaccord avec M. le garde des sceaux –, puisqu’elles introduisent une dualité de compétences entre le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Elles pourraient entraîner la limitation des recours possibles pour excès de pouvoir devant le juge administratif de la part de tout citoyen souhaitant contester la légalité ou la proportionnalité d’une disposition prise par ordonnance.
Ainsi une même disposition, qui est formellement réglementaire puisqu’elle n’a pas encore été ratifiée par le Parlement, est-elle substantiellement contestable par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel, qui la considère comme substantiellement législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution, tandis qu’elle demeure justiciable du seul Conseil d’État, sur le plan formel et au titre du contrôle de conventionalité.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Alain Richard. Mais non !
M. Stéphane Le Rudulier. Cela ne sera donc pas sans conséquence pour les requérants.
À cet égard, je doute fort que la tentative du Conseil d’État d’établir, dans le nouveau cadre fixé par le Conseil constitutionnel, une règle de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge constitutionnel, soit suffisante.
Pour conclure, si nul ne peut nier que la procédure des ordonnances procure des avantages de rapidité et de technicité, si nul ne peut nier qu’elle est utile sous la Ve République, notamment en cas d’urgence, son utilisation doit demeurer exceptionnelle : il ne s’agit pas du mode normal pour fabriquer la loi.
C’est la raison pour laquelle la modification de l’article 38 de la Constitution, que prévoit la proposition de loi constitutionnelle, complétée par les apports inestimables du rapporteur, semble plus que nécessaire pour rétablir l’équilibre des pouvoirs, notamment afin de distinguer le mécanisme des ordonnances techniques ou d’urgence de celui des ordonnances dites programmes. Ces dernières nécessitent obligatoirement, pour revêtir force de loi, une ratification expresse du Parlement.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur. Merci !
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le garde des sceaux, lorsque l’opposition et la majorité sénatoriale travaillent main dans la main sur un sujet aussi sensible que notre loi fondamentale, afin de trouver le consensus le plus large possible autour du rééquilibre des pouvoirs – question ô combien primordiale pour la pérennité de nos institutions –, c’est véritablement qu’il y a urgence pour la sauvegarde de l’esprit de la Ve République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le sujet assez technique des ordonnances, des habilitations données au Gouvernement pour les prendre – parfois, du manque de loyauté de ce dernier au regard des habilitations qui lui ont été délivrées – ou encore de l’intégration des ordonnances dans notre hiérarchie normative est essentiel pour le bon fonctionnement de notre démocratie, cela a été rappelé.
Le Sénat s’est emparé de la question en mettant en place une instance de suivi des ordonnances prises après habilitation. Cependant, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, si elle pose de nouveaux problèmes en matière de hiérarchie des normes, d’application réelle de l’article 38 de la Constitution, remet surtout en cause le rôle du Parlement en tant que législateur.
Aussi, je remercie sincèrement M. Jean-Pierre Sueur d’avoir pris le temps de travailler sur le sujet et de nous avoir présenté cette proposition de loi constitutionnelle. Je remercie également M. le rapporteur Philippe Bas, dont la rigueur a permis de nourrir des échanges pointus en commission.
Le nœud du problème est l’augmentation plus qu’importante du recours aux ordonnances depuis maintenant deux quinquennats. On dénombre ainsi au moins 1,5 fois plus d’ordonnances pour les deux derniers quinquennats que pour le quinquennat 2007-2012.
Pourtant, les travaux récents de la direction de la séance du Sénat démontrent que ce recours n’est en rien la garantie d’une rapidité, quand bien même celle-ci est souvent mise en avant. Bien au contraire, le délai moyen d’adoption d’une loi au cours de la dernière session s’établit à huit mois, soit bien moins que les vingt mois souvent nécessaires entre le dépôt d’une habilitation et la publication des ordonnances, en tout cas pour plus d’un quart d’entre elles.
Le véritable problème pour l’équilibre de notre démocratie, c’est la ratification de ces ordonnances qui, aux termes de l’article 38 de la Constitution, « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ». Cette ratification est en voie de disparition, puisque moins du cinquième des ordonnances prises sous ce quinquennat ont fait l’objet d’une ratification.
Cette baisse est inquiétante. Le Parlement n’est censé se dessaisir temporairement et volontairement de son pouvoir de modifier la loi qu’à cette condition de revoyure ou de validation.
La valeur réglementaire des ordonnances garantissait bien cette prérogative du Parlement dans la construction de la loi. Toutefois, au travers de plusieurs décisions prises l’an dernier, le Conseil constitutionnel a affirmé que, au regard du contrôle élaboré dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ces ordonnances devaient « être regardées comme des dispositions législatives ».
L’auteur de cette proposition de loi constitutionnelle soutient, à juste titre, que ces décisions soulèvent « le risque d’une substitution de fait de l’exécutif au législatif » et qu’elles « complexifient sensiblement le régime contentieux des ordonnances non ratifiées ».
C’est la raison pour laquelle notre groupe s’associe à ce texte visant à rétablir l’équilibre constitutionnel originel et salue les simplifications rédactionnelles suggérées par le rapporteur. Cet équilibre démocratique répond aussi à un équilibre politique : l’excuse du temps ne doit pas perdurer. Nous soutenons donc l’introduction dans la loi constitutionnelle d’une limitation du délai de ratification, et non plus seulement du délai de dépôt d’une demande de ratification.
Cette modification est essentielle, les gouvernements justifiant l’accomplissement de leurs obligations constitutionnelles en se cachant trop souvent derrière le simple dépôt d’une demande d’habilitation, sans jamais pour autant mettre à l’ordre du jour de telles lois de ratification, malgré leur maîtrise de l’agenda parlementaire.
Mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle répond à une problématique majeure. Elle corrige un déséquilibre contraire à l’esprit de la Constitution dans la répartition des rôles entre l’exécutif et le législatif.
C’est pourquoi les sénateurs du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, tout en saluant l’initiative de M. Sueur et le travail de la commission des lois, voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – MM. Jean-Pierre Sueur et Stéphane Le Rudulier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 1958 et plus particulièrement à l’occasion des deux dernières révisions constitutionnelles de 1995 et 2008, ma sensibilité politique a dénoncé l’impact négatif de la pratique des ordonnances sur le pouvoir du Parlement. Nous n’avons eu de cesse de demander l’abrogation de l’article 38 de la Constitution, qui organise ce transfert du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif.
Aujourd’hui, peut-être trop tardivement, chacun l’admet : les ordonnances posent problème et mettent en cause le fonctionnement démocratique, équilibré, de nos institutions. Cette prise de conscience provient, bien entendu, de l’utilisation croissante par le pouvoir exécutif de ce moyen d’action, comme l’a détaillé M. le rapporteur.
En 2008, nous avons approuvé l’idée visant à exiger une ratification expresse, c’est-à-dire un véritable examen du texte de l’ordonnance par les assemblées, comme préalable à ce que la valeur législative soit accordée aux dispositions concernées.
Malheureusement, le maintien de l’ancien régime de ratification implicite par le seul dépôt du projet de ratification sur le Bureau d’une assemblée – procédure ne conférant certes qu’une valeur réglementaire à l’ordonnance, mais une valeur juridique tout de même – a créé une incertitude juridique.
En effet, alors que ces dispositions, tant qu’elles ne sont pas ratifiées, doivent être considérées comme de simples actes administratifs pouvant relever de près ou de loin du domaine législatif, le Conseil constitutionnel, en autorisant, par ses décisions du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020, les questions prioritaires de constitutionnalité à leur égard, leur a de fait conféré une valeur législative.
Ce revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel met à mal la prérogative première du Parlement, celle de faire la loi. Le Conseil constitutionnel a pris une lourde responsabilité : conférer une valeur législative à des textes qui n’ont jamais été examinés ni votés expressément par le Parlement. Ses juges, qui, rappelons-le, sont des décideurs politiques, ont pris, seuls, l’initiative de revenir sur l’esprit et sur la lettre de la révision constitutionnelle de 2008 et, ainsi, d’abaisser le rôle du Parlement.
Accepter cela serait un rude coup porté à ce qu’il reste de pouvoir à un Parlement déjà bien affaibli par l’inflation législative et par la réduction des droits d’expression.
Comment ne pas constater que la multiplication des ordonnances, c’est-à-dire l’élaboration de la loi en dehors du Parlement, est une étape dangereuse vers un changement progressif de régime, vers une présidentialisation totale de nos institutions ?
Nous avons évoqué une véritable monarchie présidentielle, que le mode de gestion solitaire de la crise sanitaire a confirmée. L’utilisation à l’excès des ordonnances, héritières des ordonnances royales ou des décrets-lois de la IIIe République, confirme cette dangereuse tentation.
La proposition de loi constitutionnelle de M. Sueur et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, revisitée avec son accord par le rapporteur, va dans le bon sens.
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !
Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le rapporteur, il fallait limiter le délai d’habilitation et vous l’avez fixé à douze mois. Il fallait établir la caducité totale d’une ratification expresse au bout de dix-huit mois ; c’est un élément très important et vous l’avez fait.
Oui, il fallait raccrocher la pratique des ordonnances à la déclaration de politique générale originelle, mais le maintien de la référence floue au programme et l’accord d’exception, au nom de l’urgence, limitent tout de même un peu la volonté que vous affichez.
Vous êtes bien placé, monsieur le rapporteur, pour savoir qu’au nom de l’urgence – l’état d’urgence actuel le montre – beaucoup de décisions peuvent être prises et introduites dans le droit commun.
Le travail commun de M. Sueur et de la commission des lois a permis des avancées importantes, qui sont de nature à limiter la frénésie ordonnancière du Gouvernement.
C’est pourquoi nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, malgré le réquisitoire sévère que vous avez dressé, notre groupe votera la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui.
M. Philippe Bas, rapporteur. Satisfaction !
Mme Nathalie Goulet. Enthousiasme ! (Nouveaux sourires.)
Le Parlement se trouva évidemment fort dépourvu quand l’ordonnance fut venue : pas un seul petit morceau de contrôle – ou presque !– ou de vérification. Les parlementaires peuvent toujours aller crier famine devant le Conseil constitutionnel, il n’en demeure pas moins que le résultat est là.
Jamais trop prudent, le Sénat a, dans le cadre de la modification de son règlement, adopté une sorte de dôme de fer anti-ordonnances. Par une disposition validée le 1er juillet dernier par le Conseil constitutionnel, il interdit en effet désormais aux sénateurs de déposer par voie d’amendement une demande d’homologation qui aurait été supprimée.
À cet égard, il n’est pas inintéressant d’examiner le parcours parlementaire du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire : le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a déposé, par amendement, une demande d’habilitation que le Sénat avait supprimée. Je ne préjuge pas la décision du Conseil constitutionnel sur ce point. Toujours est-il que le règlement du Sénat s’oppose à ce type de pratique et je crois que nous avons bien fait de faire figurer cette disposition dans notre règlement.
À ce stade, j’illustrerai mon propos, comme je l’ai fait en commission, en reprenant les dispositions de l’ordonnance du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19, lesquelles autorisaient, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, les débiteurs ou les dirigeants de droit ou de fait d’une personne morale, à reprendre l’entreprise liquidée.
Ces dispositions venaient absolument contredire le droit applicable. Grâce à la vigilance de Sophie Taillé-Polian, nous avons supprimé les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance en question à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi. En effet, laisser la porte ouverte à une reprise par un débiteur de sa propre entreprise posait un certain nombre de difficultés au regard du droit applicable.
Les exemples sont nombreux de sociétés, comme Phildar ou autres, qui ont bénéficié de ce dispositif totalement dérogatoire et contraire au droit. Un débiteur ne saurait en effet reprendre l’entreprise qu’il vient lui-même de mettre en grande difficulté, voire de placer en liquidation judiciaire !
Aussi, à force d’assouplir un certain nombre de dispositions par ordonnance et sans contrôle, on remet en cause le droit commun. Par ailleurs, on ne saura jamais – pas vu, pas pris ! – si la fin de la validité des dispositions de l’article 7 vient de la volonté du Gouvernement d’y mettre un terme ou de la vigilance du Parlement. Il est donc souhaitable que le Parlement puisse contrôler le contenu des ordonnances dans le cadre d’une procédure de ratification.
Comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédée, je salue le travail de M. Jean-Pierre Sueur et de notre commission.
Certes, la procédure des ordonnances n’est pas nouvelle, c’est même une procédure classique. Les chiffres, notamment les taux de ratification, ont été rappelés.
Monsieur le garde des sceaux, personne ne nie l’utilité des ordonnances, notamment au cours de la période particulièrement difficile et inédite que nous avons connue lors de la crise sanitaire. Je ne vois pas très bien, d’ailleurs, qui aurait pu faire autrement, voire qui aurait pu faire mieux dans ces circonstances tout à fait exceptionnelles. Sur ce sujet, il n’y a, me semble-t-il, pas de débat.
Néanmoins, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, nous pensons que le texte qui nous est proposé est utile pour rétablir un tant soit peu les droits du Parlement, somme toute un peu écornés ces derniers temps. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et GEST. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 9 octobre 1962, dans ces murs, le président du Sénat Gaston Monnerville fustigeait « la confusion des pouvoirs […] au profit d’un seul » à propos du projet de loi relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Il regrettait « la réunion en une seule main, sur une seule tête » de tous les pouvoirs.
Le temps ne lui a-t-il pas donné raison ? On peut légitimement se poser cette question. Le parlementarisme, que le constituant de 1958 a voulu rationaliser, le sera d’autant plus après cette réforme et avec la pratique de la Constitution qu’auront les successeurs du général de Gaulle.
Nous, parlementaires, en sommes les premiers témoins, pour ne pas dire les premières victimes.
Conscients de ce constat, les membres du RDSE ont déposé voilà quelques semaines la proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, devenue proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l’application des lois, après son adoption en première lecture par le Sénat. En permettant aux présidents des deux assemblées, ainsi qu’à ceux des commissions permanentes et aux présidents de groupe de saisir le Conseil d’État pour obtenir la publication d’instruments d’application manquants, ce texte contribue à ouvrir un droit nouveau en matière de suivi d’application des lois.
La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans sa continuité, en ce qu’elle vise à redonner au Parlement des prérogatives dans le contrôle de la loi et de sa mise en œuvre. Ce sont le même esprit et la même volonté de toujours renforcer les droits du Parlement qui ont guidé Jean-Pierre Sueur. Qu’il en soit remercié. Je salue son travail tout comme celui du rapporteur, Philippe Bas, qui ont permis d’aboutir à un texte équilibré et consensuel.
Cette proposition de loi constitutionnelle fait suite aux décisions des 28 mai et 3 juillet 2020 du Conseil constitutionnel jugeant qu’une ordonnance non ratifiée pouvait acquérir rétroactivement valeur législative à compter de la fin du délai d’habilitation, à condition que le projet de loi de ratification ait été déposé dans le délai imparti. En conséquence, le dépôt d’un projet de ratification donnerait automatiquement valeur législative à une ordonnance, laquelle, de fait, ne pourrait donc plus faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
L’inscription à l’article 38 de la Constitution du principe selon lequel seule la ratification expresse des ordonnances de ce type est susceptible de leur conférer une valeur législative est donc bienvenue. Elle intervient dans un contexte où le recours aux ordonnances est toujours plus important, le nombre d’ordonnances prises en quinze ans ayant été multiplié par sept, preuve, s’il en fallait, de la volonté des exécutifs de tous bords de s’affranchir du débat parlementaire.
Aussi, les garde-fous apportés par la commission sont très utiles. Je pense au fait d’imposer que le domaine d’habilitation soit défini avec précision afin que le Conseil constitutionnel puisse mieux le contrôler, à la limitation à douze mois du délai d’habilitation ou encore au fait de prévoir la caducité de l’ordonnance en cas de non-ratification dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de celle-ci.
Je l’ai souligné récemment : sous la présente législature, les ordonnances sont davantage ratifiées que sous les gouvernements précédents. Reste que ce ne sera peut-être pas toujours le cas.
Gouverner, c’est prévoir : il importe donc d’inscrire dans notre loi fondamentale la nécessité d’une ratification expresse. Certes, cela ouvre une voie au recours, mais, au fond, cela permet au Parlement de faire ce pour quoi il est élu, c’est-à-dire contrôler l’action du Gouvernement et la mise en œuvre de la loi.
Vous l’aurez compris, pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera à l’unanimité cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte revêt le caractère d’un rappel à l’ordre, puisqu’il réaffirme les bases de notre État de droit, bâti sur la séparation des pouvoirs.
Par un revirement de jurisprudence tout à fait incompréhensible, le Conseil constitutionnel s’arroge la compétence pour examiner par voie de QPC les dispositions des ordonnances non ratifiées intervenant dans le domaine de la loi, une fois expiré le délai d’habilitation.
Il est donc nécessaire d’encadrer plus strictement le régime du recours aux ordonnances.
Selon un rapport de la direction de la séance du Sénat, le Gouvernement a largement recouru à l’article 38 de la Constitution ces dernières années. À la date du 30 juin 2021, le Parlement lui a accordé 309 habilitations à légiférer par ordonnances. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, la ratification de ces dernières doit être expresse. Cette exigence est primordiale. L’inscription à l’ordre du jour du Parlement et un vote du législateur écartent alors toute ratification implicite. Toutefois, seules 55 ordonnances publiées au cours du mandat actuel ont été ratifiées.
Tant qu’une ordonnance n’était pas ratifiée, ses dispositions intervenant dans le domaine législatif avaient valeur réglementaire (M. Alain Richard fait un geste de dénégation.) et le Conseil constitutionnel, conformément à l’article 61-1 de la Constitution, ne pouvait exercer de contrôle. Celui-ci vient toutefois de rompre avec cette tradition juridique : sa décision présente un fort risque de substitution de fait du pouvoir exécutif au pouvoir législatif, elle vient amoindrir le rôle du Parlement, qui, je le rappelle, est élu par le peuple souverain. Une telle décision contrevient au principe même de la séparation des pouvoirs.
Je remercie la commission d’avoir mené un véritable travail de réflexion, ainsi que M. Sueur, qui est l’auteur de cette proposition de loi constitutionnelle. Ce texte est essentiel pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Le recours excessif aux ordonnances fragilise le Parlement. Ce qui est censé être exceptionnel ne doit pas devenir la norme. Nous devons à tout prix rappeler à l’exécutif à qui appartient le domaine législatif pour ne pas laisser de place au doute.
Je voterai ce texte. (Mme Martine Filleul ainsi que MM. Benarroche, Sueur et Wattebled applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette discussion s’inscrit parfaitement dans le débat politique du moment, marqué par le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire et par le refus de l’exécutif de laisser au Parlement la place que lui reconnaît l’esprit de la Constitution.
Je le rappelle, deux décisions du Conseil constitutionnel des 28 mai et 3 juillet 2020 sont venues percuter le bon fonctionnement de notre démocratie, non seulement selon le groupe SER, mais aussi, visiblement, selon la plupart des membres du Sénat. Avec ces décisions, les ordonnances acquièrent de fait automatiquement valeur législative, dès lors que serait écoulé le délai de ratification inscrit dans la loi d’habilitation.
Rappelons que, jusqu’à présent, les dispositions d’une ordonnance n’étaient considérées comme législatives qu’à compter de l’adoption par le législateur d’une loi de ratification.
Rappelons également que les termes de l’article 38 de la Constitution sont clairs : les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ». C’est bien cette formulation que nous voulons aujourd’hui réaffirmer avec cette proposition de loi constitutionnelle, non pas au nom d’un « c’était mieux avant », mais au nom des droits du Parlement, au nom de la séparation des pouvoirs, au nom des principes de notre République.
Ce revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel est d’autant plus inquiétant au regard de l’utilisation abusive que fait votre gouvernement des ordonnances, monsieur le garde des sceaux. Bien sûr, il y a toujours eu des ordonnances, mais jamais dans ces proportions, jamais de manière aussi systématique !
La crise sanitaire ne saurait seule servir de prétexte. Le rapporteur l’a rappelé, 318 ordonnances – je dis bien 318 ! – ont été prises depuis le début du quinquennat, soit une hausse de 89 % par rapport au quinquennat Sarkozy au même stade.
C’est incontestable, nous assistons à une banalisation du recours aux ordonnances : entre 1984 et 2007, 14 ordonnances ont été publiées chaque année, 30 entre 2007 et 2012, 54 entre 2012 et 2017, 64 depuis 2017.
Aujourd’hui, le Gouvernement ne se préoccupe même plus de savoir si ces ordonnances sont ou seront ratifiées par le Parlement. Il a été rappelé que 21 % des ordonnances publiées avaient été ratifiées depuis le début de la législature, contre 62 % lors du précédent quinquennat. Il faut être honnête, dans l’immense majorité des cas, elles ne le seront pas.
Or il ne s’agit pas de textes mineurs. Nous parlons de la destruction de la haute fonction publique d’État (M. le rapporteur s’exclame.) – je savais que j’allais éveiller l’intérêt de Philippe Bas… (Sourires.) –, de la privatisation de la SNCF ou de la transformation de nos entreprises.
Le Gouvernement ne s’en cache même plus, puisque, comme l’a rappelé Jean-Pierre Sueur, la ministre de la transformation et de la fonction publiques, le 6 octobre dernier, nous répondait sans sourciller que l’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État ne méritait pas une ratification parlementaire, donc un débat.
Dans les faits, la substitution du pouvoir exécutif au pouvoir législatif devient la conception de l’équilibre des pouvoirs du gouvernement actuel.
L’examen du projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, dont le Sénat aura ce soir de nouveau à connaître avec bonheur, en est l’exemple le plus caricatural. Non seulement les députés de la majorité se sont contentés, en séance publique comme en commission mixte paritaire, d’être les porte-voix du Gouvernement, mais ils sont allés – j’appelle sur ce point l’attention du Sénat, en particulier celle du rapporteur – jusqu’à étendre par amendement, encore cette nuit, l’habilitation à légiférer par ordonnances. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) On peut d’ailleurs questionner la constitutionnalité de cet amendement qui aurait dû être présenté par le Gouvernement, mais nous aurons la réponse, puisque des saisines du Conseil constitutionnel sont prévues.
Sur un texte qui porte autant atteinte aux droits du Parlement, cette énième traduction de la volonté des députés de la majorité de se dessaisir au profit de l’exécutif est inquiétante. L’utilisation sans commune mesure des ordonnances par ce gouvernement, le refus même d’en débattre lors de leur ratification – il n’est qu’à rappeler l’attitude de Mme de Montchalin – ne sont pas des éléments isolés dans sa façon de prendre des décisions.
Selon nous, cela s’inscrit totalement dans un mode de gouvernance qui a vocation à décider sans les représentants du peuple. Cela s’est encore traduit quand le Président de la République a annoncé, le 18 octobre dernier, vouloir réformer le droit d’amendement pour le limiter et l’encadrer. Il en va également ainsi avec la généralisation de la procédure d’urgence, dite « accélérée », qui prive systématiquement nos assemblées d’une lecture qui serait bénéfique pour la fabrique de la loi.
Devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République avait souhaité que les relations entre le Gouvernement et le Parlement soient marquées par « un esprit de dialogue et d’écoute ». Il y a loin de la coupe aux lèvres : désormais, les intentions du Président de la République sont tout autres !
Je cite souvent à cette tribune cet extrait tiré de De l’esprit des lois de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Jamais cette citation n’aura autant résonné avec l’actualité.
Montesquieu disait également que « les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures ». C’est bien ce contre quoi nous essayons de lutter aujourd’hui avec cette proposition de loi constitutionnelle, qui vise tout simplement à restaurer le cœur même du fonctionnement démocratique.
Rien ne justifie que le Parlement soit privé de sa capacité d’agir. Nous refusons cette conception du rôle des parlementaires ; ce texte a vocation à l’exprimer.
C’est à l’exécutif que la question est désormais posée, mais votre intervention, monsieur le garde des sceaux, nous confirme que vous n’avez pas l’intention de nous suivre dans cette voie. C’est grave ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes dans un débat sur la critique de l’usage des ordonnances. C’est un grand classique des alternances politiques !
Tous ceux qui ont fait usage des ordonnances et qui ont à ce titre essuyé des critiqués se révèlent de valeureux défenseurs des droits du Parlement une fois qu’ils sont dans une autre position institutionnelle.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’inverse est également vrai !
M. Alain Richard. Selon moi, cette proposition de loi constitutionnelle part d’une analyse erronée des décisions du Conseil constitutionnel. La place des ordonnances dans la hiérarchie des normes a dès l’origine été au niveau législatif. La Constitution prévoit expressément que, dès l’instant où le délai d’habilitation est expiré, ces textes ne peuvent plus être modifiés que par une loi. Cela signifie que n’importe quelle disposition réglementaire prise par la suite doit respecter le contenu de ces textes – ils sont donc bien législatifs.
La seule modification intervenue avec cette jurisprudence du Conseil constitutionnel concerne le contentieux de ces actes, qui sera dorénavant partagé entre le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, ce dernier pouvant, dès la fin de l’habilitation, se prononcer sur la conformité des ordonnances aux droits et libertés garantis par la Constitution dans le cadre d’une QPC.
Cette analyse erronée est de surcroît appuyée par des chiffres sur le « volume » des ordonnances que je souhaite discuter. Pour rendre compte de l’importance du recours à ces actes délégués, il n’est à mon sens pas pertinent de compter texte par texte. On ne peut pas comparer une ordonnance de 3 articles avec une loi de 200 articles.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner ici, sans aucun impact malheureusement, Légifrance organise désormais un décompte des textes législatifs et réglementaires par nombre de mots, ce qui permet d’en mesurer l’importance réelle. Je trouve regrettable que nous continuions à recenser le nombre de textes, alors qu’ils sont d’importance très différente.
M. Jean-Pierre Sueur. La SNCF, c’était important !
M. Alain Richard. Il résulte deux conséquences fâcheuses de ces erreurs dans l’analyse initiale.
Tout d’abord, il est préconisé une modification du mécanisme de l’habilitation et de son délai, alors qu’ils ne posent aucun problème. Les habilitations sont déjà délibérées très en détail et de manière très encadrée par le Parlement. Nous y prenons les uns et les autres toute notre part. De surcroît, comme l’a à juste titre indiqué M. le garde des sceaux, les délais nécessaires, notamment pour la codification – j’en parle directement, puisque j’y participe –, peuvent être très différents selon que l’on part de rien ou de textes déjà constitués.
Ensuite, cette proposition de loi constitutionnelle méconnaît les principes de la ratification. Vous faites erreur, mes chers collègues : la réforme de 2008 de la Constitution n’a jamais prévu que la ratification était obligatoire. Jamais !
M. Jean-Pierre Sueur. Elle parle de ratification expresse !
M. Alain Richard. Elle a seulement précisé qu’elle ne pouvait pas être implicite. Cela veut dire que, même sans ratification, les ordonnances entrent en vigueur et qu’elles peuvent être ensuite modifiées de différentes façons.
Cette proposition de loi constitutionnelle est pour moi totalement artificielle. S’il n’y a pas beaucoup de ratifications, nous savons tous pourquoi : le calendrier parlementaire est trop chargé !
M. Alain Richard. Nous avons cependant bien d’autres moyens de revenir sur le contenu d’une ordonnance et de la faire évoluer : amendements, propositions de loi. Pourtant, chacun peut constater le très faible nombre d’occasions où ces voies ont été utilisées. Mme Goulet en a rappelé une tout à l’heure ; j’ajouterai la proposition de loi socialiste relative à l’ordonnance de réforme de la haute administration, que je trouve tout à fait justifiée, visant à appeler à la ratification si le Gouvernement n’a pas inscrit un projet de loi en ce sens à l’ordre du jour. Ces moyens existent, et le fait que nous les utilisions si rarement montre que le contenu des ordonnances ne pose pas de problèmes de fond aux parlementaires. Si tel était le cas, ils agiraient en conséquence.
Pour conclure, je dirai que nous avons là un débat certes stimulant, mais mal orienté. Je pense donc qu’il vaut mieux en rester là. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’état de droit en cas de législation par ordonnance
Article 1er
L’article 38 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « , pour l’exécution de son programme, » sont supprimés ;
b) Après le mot : « limité », sont insérés les mots : « qui ne peut excéder douze mois à compter de la promulgation de la loi d’habilitation » ;
2° Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La loi d’habilitation se rattache à l’exécution du programme ou de la déclaration de politique générale mentionnés à l’article 49. L’habilitation peut aussi intervenir en cas d’urgence caractérisée, ainsi que pour codifier à droit constant des dispositions législatives ou adapter des lois dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73.
« La loi d’habilitation définit avec précision le domaine d’intervention, l’objet et la finalité des mesures que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances. » ;
3° À la deuxième phrase du deuxième alinéa, après le mot : « caduques », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « en l’absence de ratification expresse par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication. » ;
4° Le début du dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Les ordonnances n’acquièrent valeur législative qu’à compter de leur ratification expresse. Jusqu’à cette ratification, elles conservent valeur réglementaire et ne peuvent être regardées comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1. Toutefois, à l’expiration… (le reste sans changement). »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° Après le mot : « caduques », la fin de la deuxième phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « en l’absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication. » ;
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’est pas dans mes intentions de prolonger nos travaux, mais je tiens à signaler à M. le garde des sceaux que j’ai relevé dans son propos quelques problèmes relatifs à ce que j’appelle l’« éthique de la citation ».
Voyez-vous, monsieur le garde des sceaux, dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi constitutionnelle, qui compte une dizaine de pages, j’ai pris soin de rappeler la position du Conseil constitutionnel, puis d’y répondre. Or voici que vous introduisez par les mots « Vous l’aviez vous-même souligné, monsieur Sueur » la citation que j’ai faite des arguments du Conseil constitutionnel, laissant entendre qu’ils étaient miens. À l’évidence, on peut très bien faire dire à un texte le contraire de ce qu’il énonce !
Je tenais à apporter cette précision pour la bonne interprétation du débat. Je me suis efforcé de construire une argumentation ; naturellement, monsieur le garde des sceaux, en extraire un morceau ne saurait recouper l’ensemble…
Cela étant, au nom de mon groupe et en mon nom personnel, je remercie très chaleureusement tous les membres de notre assemblée qui ont pris part à l’examen de ce texte. La plupart d’entre eux – certes, ils n’ont pas été unanimes –…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Presque !
M. Jean-Pierre Sueur. … ont approuvé cette démarche.
Alors que, voilà quelques semaines, Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques n’a rien répondu à nos arguments en la matière, je veux croire, monsieur le garde des sceaux, qu’il sera cette fois difficile pour le Gouvernement de ne pas entendre ce que dit le Sénat et de ne pas en tirer de conclusions.
Toujours est-il que, à la suite de M. le rapporteur, de M. Le Rudulier et d’autres de nos collègues, je considère qu’il est important que nous sachions nous unir au sein de la Haute Assemblée, au-delà des divergences légitimes qui nous séparent, dès lors qu’il s’agit de défendre une certaine idée des institutions, des droits du Parlement et, par conséquent, de l’esprit républicain.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
(Supprimés)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 21 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 322 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur toutes les travées, sauf sur celles du groupe RDPI.)
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures trente-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à réformer l’adoption n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
En conséquence, l’examen de ses conclusions, initialement inscrites, sous réserve de leur dépôt, jeudi 16 décembre prochain, est retiré de l’ordre du jour du Sénat.
5
Présence parentale auprès d’un enfant
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu (proposition n° 157 [2020-2021], texte de la commission n° 113, rapport n° 112).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour étudier, ou plutôt entériner, un texte attendu de longue date.
Un texte attendu par les familles, les professionnels et les associations qui traitent ce sujet avec force, au quotidien. J’ai une pensée particulière pour la fédération Grandir sans cancer et pour les associations Eva pour la vie, Empreintes, ou encore Le Sourire de Lucie.
Un texte attendu aussi par les députés, notamment par Paul Christophe, dont je salue la présence aujourd’hui dans vos tribunes et que je remercie de son implication. Il est à l’origine de cette proposition de loi et de son adoption, au mois de novembre 2020, par l’Assemblée nationale.
Un texte attendu enfin, je le sais, par beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui avez voté la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli et qui souhaitez, comme le Gouvernement, aller plus loin dans l’accompagnement des parents d’enfants malades.
Le dispositif de cette proposition de loi viendra utilement compléter des mesures fortes d’ores et déjà adoptées et appliquées.
On peut ainsi citer la mise en œuvre, dans les situations les plus tragiques, celles où des familles sont endeuillées par la perte d’un enfant, d’un « congé de deuil » – il faudrait trouver une autre dénomination – de huit jours financé par la sécurité sociale. Ce congé, issu de la loi du 8 juin 2020 visant à améliorer les droits des travailleurs et l’accompagnement des familles après le décès d’un enfant, dite loi Bricout, est venu s’ajouter au congé employeur, qui a été porté concomitamment de cinq à sept jours. Ce texte prévoyait également un accompagnement global – financier, mais aussi psychologique – des parents endeuillés ainsi que des fratries.
Parmi ces mesures, on compte aussi le dispositif qui nous intéresse aujourd’hui, l’allocation journalière de présence parentale (AJPP). Cette prestation peut être versée aux parents bénéficiant de jours de congé de présence parentale (CPP), c’est-à-dire à ceux qui s’occupent d’un enfant malade, victime d’un accident ou en situation de handicap.
Le nombre maximum de jours de CPP et d’AJPP dont peuvent bénéficier des parents pour un enfant est fixé à 310 jours dans la limite d’une durée de trois ans ; ce droit à 310 jours de CPP et d’AJPP peut être renouvelé en cas de rechute ou de récidive de la maladie, après que la période de trois ans est écoulée. Dans les faits, 95 % des situations sont traitées par ce dispositif.
Un approfondissement était cependant nécessaire. C’est bien l’objet de ce texte, que le Gouvernement soutient pleinement.
Un trou dans la raquette de la loi du 8 mars 2019 faisait que le droit au renouvellement de l’AJPP ne pouvait être rouvert qu’après l’expiration du délai de trois ans. Cela ne permettait pas de répondre aux situations caractérisées par des traitements longs, nécessitant un arrêt total d’activité de la part de l’un des parents, et ce sur une période très prolongée.
Cela ne concerne que les 5 % des bénéficiaires de l’AJPP qui vont jusqu’au bout des 310 jours, soit environ 560 foyers sur les 10 300 foyers bénéficiaires recensés au mois de février 2020.
Ces situations extrêmement difficiles, marquées par des maladies longues, nécessitent bien une présence continue du parent auprès de l’enfant.
Ce texte apportera une résolution aux problèmes identifiés, en disposant que l’AJPP pourra être versée plus longtemps que 310 jours lorsque la situation le justifie.
Il est également prévu de permettre, à titre exceptionnel et par dérogation au dispositif actuel, de renouveler une fois la période de trois ans sans attendre la fin du terme de la première période de trois ans et d’ouvrir ainsi droit à un nouveau compteur maximal de 310 jours de CPP et d’AJPP, dans la limite des trois années à venir, sous réserve d’un nouveau certificat détaillé établi par le médecin qui suit l’enfant et d’un accord explicite du service du contrôle médical. Les parents confrontés aux situations les plus dramatiques bénéficieront ainsi de deux fois 310 jours d’AJPP. Ce nouveau cadre donnera de la visibilité à des familles qui, jusqu’à présent, en manquaient trop souvent.
Au-delà même de ce dispositif, dont je crois savoir qu’il reçoit l’approbation de l’ensemble des groupes politiques, je tiens à revenir sur quelques points afférents qui, eux aussi, ont un impact sur le quotidien des parents d’enfants malades.
Il y a tout d’abord la question, souvent relevée, des complexités administratives entourant ces situations. Il est indéniable que le circuit de traitement des demandes de CPP et d’AJPP n’est pas encore optimal. Sachez à ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il est prévu de mieux croiser les fichiers et d’aller vers une récupération automatique de la plupart des ressources des bénéficiaires, afin de simplifier les démarches des allocataires et de favoriser le juste recours aux prestations.
Ainsi seront utilisées les données issues des flux de la déclaration sociale nominative liées à la déclaration de la suspension du contrat de travail pour le motif d’octroi d’un congé de présence parentale. La comptabilisation du nombre de jours de congé pris par le salarié permettra aux organismes de suivre directement les situations et d’effectuer les versements dans des délais beaucoup plus courts.
Ce chantier informatique lourd, développé par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), sera opérationnel courant 2022. Cela améliorera véritablement la situation des familles concernées par un dispositif qui reste peu connu des gestionnaires de ressources humaines.
Faire connaître ce type de dispositif est un autre enjeu. La lutte contre le non-recours est une question cruciale ; je lui accorde une grande importance, car il faut que toute personne concernée ait conscience qu’elle peut être soutenue et accompagnée. Les associations jouent évidemment à cet égard un rôle crucial et je les en remercie une fois encore.
Cette réflexion sous-tend aussi la politique des mille premiers jours que nous mettons en place pour les trois premières années de l’enfant. Celle-ci s’appuie désormais sur certaines ressources spécifiques, telles qu’un site internet, des brochures, ou encore une application.
Il nous faut poursuivre ce travail visant à regrouper l’information et à la rendre plus accessible, plus lisible et plus fiable. Plutôt que multiplier des dispositifs qui risqueraient de ne pas être visibles, ce qui leur ferait malheureusement perdre toute leur utilité, il faut renforcer les messages, les cibler et les adapter aux parents et aux enfants, en particulier à ceux qui vivent des situations difficiles.
J’évoque ce point, car il s’agit justement de l’un des attendus de la mission que le Gouvernement vient de confier au député Paul Christophe.
Vous le savez sans doute, le travail collectif engagé sur l’accompagnement des parents d’enfants malades ne s’arrêtera pas avec la promulgation du texte dont nous discutons aujourd’hui – bien au contraire ! M. Christophe aura pour mission, au cours des prochains mois, de dresser le panorama le plus large possible de ces questions, d’identifier précisément les publics concernés, de cibler les manques et les faiblesses des dispositifs existants et de proposer le cas échéant des améliorations de notre système.
L’un des objectifs assignés à Paul Christophe, aux termes de sa lettre de mission, est de rendre compte des difficultés d’accès à l’information, d’objectiver les limites supposées des démarches d’« aller vers » et de proposer des améliorations, notamment en matière d’attribution des aides, de formation des travailleurs sociaux et d’accompagnement psychologique.
C’est véritablement un sujet auquel le Gouvernement attache beaucoup d’importance. Les travaux de M. Christophe permettront, j’en suis convaincu, d’améliorer le traitement des dossiers et, par conséquent, l’accompagnement des parents au quotidien.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes mobilisés ; je sais que vous l’êtes aussi. Il reste en effet à faire pour soutenir les familles traversant ces situations douloureuses, dont nous sommes nombreux à avoir été saisis. Je serai très heureux de continuer à y réfléchir et à y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)
Mme la présidente. Je souhaite la bienvenue dans nos tribunes à M. Paul Christophe, député.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Colette Mélot, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence dans nos tribunes du député Paul Christophe, rapporteur à l’Assemblée nationale du texte qui nous est aujourd’hui soumis. La proposition de loi que nous examinons vise à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu. Adoptée par l’Assemblée nationale voilà près d’un an, elle est très attendue des associations, qui espèrent une entrée en vigueur rapide de ses dispositions.
Créés en 2001, le congé de présence parentale (CPP) et l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) sont des dispositifs précieux pour soulager des situations familiales complexes et douloureuses. Ils permettent en effet aux parents d’interrompre leur activité professionnelle tout en bénéficiant d’un revenu afin d’accompagner un enfant dont la dégradation de l’état de santé justifie un accompagnement soutenu. Il peut s’agir d’une pathologie telle qu’un cancer pédiatrique, d’un handicap ou d’un accident particulièrement grave.
Pour bénéficier de ces dispositifs, un certificat médical doit attester de la particulière gravité de l’affection et définir la durée prévisible du traitement. Cette durée est censée déterminer celle des droits au CPP et à l’AJPP, dans la limite de trois ans.
Force est de constater que les conditions de renouvellement de ces dispositifs sont quelque peu déconnectées de la situation médicale de l’enfant. La durée du CPP est ainsi limitée à 310 jours ouvrés de congés, mobilisables sur la période initiale de trois ans, le nombre d’allocations journalières étant également limité à 310.
Des ajustements ont été apportés à ces dispositifs dans la période récente afin d’en renforcer la flexibilité.
Ainsi, la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli a complété les motifs justifiant le renouvellement du CPP et de l’AJPP après la première période de trois ans. Au-delà des cas de rechute ou de récidive, ce renouvellement est de droit en cas de perpétuation de la gravité de l’état de santé. Toutefois, c’est seulement à l’issue de la période initiale de trois ans, et non au sein de cette période, que le renouvellement peut avoir lieu.
En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a ouvert la possibilité pour le salarié, avec l’accord de son employeur, de fractionner le CPP ou de le transformer en période d’activité à temps partiel, afin de mieux concilier l’accompagnement de l’enfant et le maintien d’une activité professionnelle.
Le recours au CPP et à l’AJPP est dynamique : le nombre de bénéficiaires a augmenté de 70 % sur la période allant de 2013 à 2020. Un peu moins de 10 000 familles en ont ainsi bénéficié en 2020. Alors que le montant de l’AJPP était jusqu’ici revalorisé en fonction de l’inflation, il sera désormais revalorisé chaque année en référence au SMIC. Cette disposition, que je salue, résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Je me félicite également du projet de dématérialisation des attestations mensuelles de l’employeur que le bénéficiaire doit produire tous les mois pour renouveler ses droits à l’AJPP. Ce mode de transmission des informations nécessaires aux caisses d’allocations familiales, prévu d’ici à la fin de l’année 2022, devrait faciliter grandement la vie des allocataires.
J’en viens au contenu de la proposition de loi déposée par le député Paul Christophe. Son article unique ouvre la possibilité de renouveler le CPP et le crédit d’AJPP au-delà de 310 jours sur la période de référence initiale de trois ans. Cette évolution est pleinement justifiée par le souci de mieux tenir compte de la réalité de la pathologie ou du handicap de l’enfant et des soins qu’il requiert.
La possibilité de renouvellement après la période initiale de trois ans, que nous avons votée dans la loi du 8 mars 2019, présente en pratique un intérêt limité. En effet, au bout de trois ans, la plupart des enfants sont généralement soit guéris, soit, malheureusement, décédés. Les dispositions actuelles ne répondent donc pas aux besoins des quelque 600 foyers qui, au cours de la période de référence de trois ans, épuisent leur crédit de 310 jours d’AJPP. Dans le cas de cancers pédiatriques, selon les estimations les plus pessimistes, 30 % des parents bénéficiaires de l’AJPP auraient besoin d’une prolongation du nombre de jours d’allocation.
Le renouvellement des droits au CPP et à l’AJPP envisagé dans la proposition de loi permet ainsi aux parents concernés de mobiliser un crédit maximal de 620 jours sur la période de référence de trois ans, si la santé de leur enfant le requiert.
Une amélioration, capitale au titre du principe d’égalité, aurait néanmoins pu être apportée à la proposition de loi. Il semble en effet indispensable d’étendre aux agents publics le bénéfice de ces nouvelles dispositions. Toutefois, cette extension nécessite une modification des lois statutaires des trois fonctions publiques et du code de la défense. Cette extension constituant une dépense supplémentaire, seul un amendement gouvernemental peut y procéder.
Pour réparer cet oubli, j’ai exposé à la commission une solution de nature à ne pas compromettre l’adoption rapide de la proposition de loi, dans un contexte d’encombrement de l’ordre du jour parlementaire. Ce texte a en effet été adopté voilà déjà près d’un an par l’Assemblée nationale et nombre de foyers ont épuisé leur crédit de 310 jours et ne peuvent le renouveler. Plus l’adoption de la proposition de loi sera retardée, plus nombreux seront les foyers se trouvant dans cette situation.
Dans un premier temps, une adoption conforme de ce texte par notre assemblée garantirait aux familles qui arriveraient en fin de droits dans les semaines prochaines la possibilité de renouveler aussi sereinement que possible leur accès au CPP et à l’AJPP.
Dans un second temps, le Gouvernement pourrait procéder à l’extension du dispositif aux agents publics par amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, dont la discussion s’engage au Sénat dès lundi prochain.
Mes échanges tant avec le rapporteur de l’Assemblée nationale qu’avec le cabinet du secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles me font penser qu’il s’agit de la solution la plus efficace dans l’intérêt des familles concernées. N’oublions pas en effet qu’une commission mixte paritaire sur cette proposition de loi pourrait en reporter l’adoption définitive à la mi-décembre.
Au-delà de cette mesure, des efforts supplémentaires seront nécessaires dans les années à venir afin de permettre au dispositif de mieux répondre aux besoins d’accompagnement de l’enfant. J’identifie, à cet égard, deux enjeux principaux.
Le premier enjeu concerne l’équité parentale : il nous faut réfléchir aux moyens de garantir aux deux parents la possibilité d’accompagner leur enfant. Le parent dont l’emploi est le plus rémunérateur a en effet tendance à maintenir son activité, laissant l’autre parent, bien souvent la mère, interrompre la sienne afin de se consacrer à l’accompagnement de l’enfant. La situation familiale peut s’en trouver durablement affectée, du fait de la dégradation de l’employabilité du parent accompagnant et du sentiment de culpabilité de l’autre parent n’ayant pu accompagner son enfant autant qu’il l’aurait souhaité.
Nous devons ainsi nous interroger sur l’évolution possible des conditions de cumul de l’AJPP entre les deux parents, en les alignant sur celles qui sont aujourd’hui prévues pour l’allocation journalière du proche aidant (AJPA). En effet, deux parents peuvent cumuler, à eux deux, 44 jours d’AJPA par mois. Je forme le vœu qu’il en soit de même à l’avenir pour l’AJPP, dont le bénéfice est aujourd’hui limité à 22 jours par mois pour les deux parents.
Le second enjeu concerne la suppression du plafonnement de l’AJPP. Cette question reste ouverte, dès lors que la prise en charge de certaines pathologies, comme les leucémies ou les tumeurs cérébrales, peut justifier un accompagnement parental dépassant les 620 jours.
En attendant, il nous faut agir dans l’intérêt immédiat des familles. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification ce texte, qui répond aux attentes des familles et dont nous devons garantir une entrée en vigueur dans les plus brefs délais. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, créés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le CPP et l’AJPP permettent aux parents d’accompagner un enfant à charge atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité, lorsqu’ils sont contraints d’interrompre leur activité professionnelle afin d’assurer une présence soutenue auprès de leur enfant. Un salarié peut ainsi bénéficier, au titre du CPP, d’un maximum de 310 jours ouvrés de congé.
Ces dispositifs ont été modifiés à deux reprises afin d’en renforcer la flexibilité et de mieux répondre aux besoins d’accompagnement de l’enfant.
Ainsi, la loi du 8 mars 2019 a permis d’assouplir les conditions de bénéfice du CPP et de l’AJPP en tenant compte de la durée et des conséquences des traitements.
Depuis, ces deux dispositifs permettent d’apporter un soutien aux parents actifs ayant un enfant à charge dont la dégradation de l’état de santé rend indispensables une présence soutenue et des soins contraignants.
L’AJPP s’élève actuellement à 52 euros pour une personne seule et à 44 euros pour une personne en couple. Cette allocation ne peut être versée que 22 jours par mois, ce qui correspond au nombre de jours ouvrés. Ainsi, un bénéficiaire de l’AJPP reçoit en moyenne 780 euros par mois. L’arrêt de l’activité professionnelle peut donc représenter un sacrifice financier non négligeable, en particulier pour les familles monoparentales.
En 2020, un peu moins de 10 000 familles ont bénéficié de l’AJPP, pour un coût total de 97 millions d’euros. Ce nombre est en constante progression – il a augmenté de 6 % en 2019 –, ce qui traduit sans doute une meilleure information des personnes concernées.
La possibilité de renouveler les droits au CPP et à l’AJPP est déjà ouverte aux cas de rechute ou de récidive.
À l’issue des trois premières années, une nouvelle période de trois ans peut être ouverte, le nombre de jours de CPP et d’AJPP pouvant atteindre un maximum de 310 dans ces deux hypothèses. Par ailleurs, la durée du congé de présence parentale est prise en compte en totalité, et non plus pour moitié, dans la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté dans l’entreprise.
Les organismes débiteurs des prestations familiales ont des obligations d’information sur les critères et les conditions d’attribution de l’AJPP, ainsi que sur les modalités de demande de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), dont la prestation de base est cumulable avec l’AJPP, et de la prestation de compensation du handicap (PCH).
Enfin, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a prévu la possibilité de fractionner le CPP et de le rendre compatible avec une activité professionnelle à temps partiel.
Actuellement, le CPP et l’AJPP permettent de répondre à la plupart des besoins, puisque le taux de consommation moyen de l’AJPP est de 173 jours, soit un niveau nettement inférieur au plafond en vigueur.
Cependant, 6 % des bénéficiaires de l’AJPP, soit environ 600 personnes, utilisent entièrement leurs droits, ce qui laisse à penser que le dispositif n’est pas suffisant pour eux. Il est donc proposé d’apporter une réponse appropriée à ces familles, qui ont besoin de plus de 310 jours sur les trois premières années.
Dans le texte initial de la proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli de Mme Nathalie Elimas, il était déjà prévu d’apporter une réponse à ce problème en supprimant le plafond de 310 jours en cas de cancer pédiatrique. Malheureusement, l’amendement gouvernemental adopté lors de la discussion à l’Assemblée nationale a simplement permis d’étendre les possibilités de réouverture des droits au CPP et à l’AJPP à l’issue de la période initiale des trois ans, non pas d’allonger la durée des droits au cours de la période initiale de trois ans.
Aussi le droit actuel n’est-il pas pleinement satisfaisant, car il existe des situations nécessitant un accompagnement long et continu de l’enfant au-delà de 310 jours au cours des trois premières années de la maladie, comme dans le cas des cancers pédiatriques.
L’article unique de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ces situations. Il prévoit la possibilité de renouveler une fois la durée maximale du CPP et de l’AJPP avant la fin de la troisième année suivant l’ouverture des droits.
Ce renouvellement sera possible avant la fin du terme initialement fixé et conditionné à la délivrance d’un nouveau certificat médical établi par le médecin qui suit l’enfant, qui attestera le caractère indispensable de la poursuite des soins contraignants et d’une présence soutenue au regard de la pathologie ou du besoin d’accompagnement de l’enfant.
Cette mesure sera soumise à un accord explicite du service du contrôle médical. Par conséquent, un parent ayant utilisé les 310 jours de son CPP et de l’AJPP pourra bénéficier de manière continue de deux fois plus de jours pour poursuivre l’accompagnement de son enfant, soit un total de 620 jours.
Le coût de ce dispositif devrait s’élever à 6,2 millions d’euros par an. Il permettra de faire passer de quatorze à vingt-huit mois la durée continue maximale du CPP et de l’AJPP à temps plein. Un parent pourra ainsi bénéficier en continu de 620 jours de CPP et d’AJPP. Ces nouveaux droits pourront être consommés au cours d’une nouvelle période de trois ans.
Le groupe Les Républicains est favorable à cette mesure, qui renforce le soutien aux familles qui traversent une épreuve si difficile. Il soutiendra ce texte, dont je salue l’initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires accueille favorablement ce texte, qui permettra de mieux répondre aux besoins des familles confrontées à des situations exigeant un accompagnement soutenu d’un enfant malade et ayant épuisé les droits aux allocations journalières et aux jours de congés afférents.
Notre groupe n’a pas déposé d’amendement afin que ce texte soit adopté conforme et qu’il entre en vigueur le plus rapidement possible.
Cette proposition de loi fait suite à un processus d’évaluation rigoureux de la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli, qui a mis en lumière les limites du dispositif. Elle a pour objectif de mieux couvrir les besoins non satisfaits de parents en souffrance, auxquels on a quelquefois tenté de répondre par la solidarité entre salariés, ce qui ne pouvait raisonnablement se substituer à une majoration du dispositif.
Actuellement, cela a été rappelé, les parents peuvent bénéficier au maximum de 310 jours de congé de présence parentale et d’allocations journalières de présence parentale, dans la limite d’une durée de trois ans.
Le texte permet de renouveler le versement de l’allocation durant un maximum de 310 jours au cours d’une nouvelle période de trois ans, sans attendre la fin du terme de la première période de trois ans, ce qui ouvre le droit à un congé de présence parentale et à l’allocation journalière de présence parentale correspondante pour une durée portée à 620 jours.
Même si nous n’avons pas déposé d’amendement, nous tenons à soulever quelques points qui méritent vigilance.
Tout d’abord, les parents ne doivent pas être contraints de recourir à la prolongation du dispositif faute de réponses institutionnelles de qualité.
Ensuite, vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, un effort d’information devra accompagner la loi pour éviter le non-recours, faute de connaissance du dispositif. Il semble qu’une partie de l’augmentation du nombre d’allocataires ces dernières années résulte d’une meilleure connaissance de ces droits.
Enfin, et peut-être surtout, nous devons nous interroger sur les effets de ces dispositifs sur l’égalité entre les femmes et les hommes, plutôt sur l’inégalité constatée ici encore. En effet, comme le souligne la commission, si les congés peuvent être pris par les deux parents, dans les faits, c’est le parent dont l’emploi est le plus rémunérateur qui se maintient en général en activité, laissant l’autre parent – bien souvent la mère – interrompre son activité afin de se consacrer à l’accompagnement de l’enfant : 92 % des CPP sont pris par des femmes !
Nous devons nous interroger sur ce fort déséquilibre, à l’origine d’un cercle vicieux. Ces longs congés – 620 jours – ont en effet des conséquences sur le parcours professionnel. À l’instar des congés parentaux, ils présentent le risque sensible d’éloigner du maintien dans l’emploi celles qui le prennent et de peser sur leur retraite plus tard.
Ici encore ce partage inégal est l’une des conséquences des inégalités salariales et professionnelles entre les femmes et les hommes. Rappelons que depuis hier, le 3 novembre, les femmes ont en quelque sorte cessé d’être rémunérées et qu’elles ne le seront plus jusqu’au 31 décembre prochain. Cette date matérialise l’écart salarial entre les hommes et les femmes, elle est en quelque sorte le jour du dépassement de l’égalité.
Pour améliorer le dispositif, il faudrait mettre fin à l’allocation forfaitaire et instaurer un véritable revenu de remplacement permettant d’ouvrir le choix aux deux parents – le père est aussi volontaire – d’accompagner leur enfant.
Cette loi fait avancer la société, mais nous devons parallèlement rendre effective l’égalité salariale, si nous voulons dépasser l’impuissance devant le constat d’un congé pris uniquement par les mères, renforçant la persistance de rôles parentaux différenciés. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires, à l’origine de l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
Si le congé de présence parentale et l’allocation journalière de présence parentale permettent de soulager des situations familiales complexes et douloureuses, ces dispositifs comportent des limites.
Actuellement, les quelque 600 foyers qui épuiseront bientôt leur crédit de 310 jours d’indemnisation perdront le droit à l’allocation journalière de présence parentale.
Cette proposition de loi apporte donc une réponse en ouvrant la possibilité de renouveler le congé de présence parentale et l’allocation journalière correspondante au-delà des 310 jours sur une période de trois ans.
Cette mesure est positive, car elle permet de mieux tenir compte de la réalité de la pathologie ou du handicap de l’enfant et des soins qu’il requiert.
Nous aurons peut-être l’occasion d’aller plus loin lors de l’examen, au mois de décembre prochain, de la proposition de loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer, en créant un congé spécifique.
La proposition de loi que nous discutons aujourd’hui m’offre la possibilité d’évoquer le montant insuffisant de l’indemnisation journalière. Nous nous félicitons de la revalorisation au niveau du SMIC du montant de l’allocation journalière du proche aidant et de l’allocation journalière de présence parentale. Toutefois, plus globalement – nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 la semaine prochaine –, nous militons pour le rétablissement des cotisations patronales à la branche famille, pour garantir une indemnisation à 100 % des congés parentaux.
Au-delà du niveau de l’indemnisation des congés parentaux, ce sont les conséquences de la suspension du contrat de travail qui posent problème à de nombreuses personnes qui nous interpellent dans nos territoires, comme l’a souligné Cathy Apourceau-Poly en commission.
Actuellement, lorsqu’un salarié décide de prendre un congé de proche aidant, il perd non seulement son salaire, mais également le bénéfice des cotisations associées, ce qui signifie une perte de droit pour sa retraite future. Il n’est pas inutile ici de rappeler qu’il s’agit en majorité de femmes.
Pour pallier cet inconvénient, la loi prévoit une affiliation gratuite à l’assurance vieillesse. Cette affiliation n’étant toutefois pas automatique, nombreux sont ceux qui n’entreprennent pas les démarches auprès de la caisse d’allocations familiales et qui perdent ainsi leurs droits à la retraite future, ce qui est une forme de double peine.
Je tiens, monsieur le secrétaire d’État, à appeler votre attention sur ce sujet, afin que le Gouvernement puisse s’en saisir.
En outre, il me semble que cette proposition de loi concernant les enfants et les cancers pédiatriques fait écho à l’actualité de la saturation des urgences pédiatriques.
Je pense par exemple aux urgences pédiatriques de Douai, qui avaient annoncé leur fermeture partielle les jours fériés, les week-ends et les soirs de semaine, en raison du manque de pédiatres pour assurer les gardes. Depuis le 15 septembre dernier, ces urgences ont réussi à rouvrir le soir, mais seulement jusqu’à 21 heures.
Comment améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant qui souffre d’une pathologie nécessitant un accompagnement, mais qui ne bénéficie pas d’un accès aux soins suffisant ?
Cette proposition de loi préfigure pour une part nos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, mais c’est parce que le système craque et que nos réponses ne peuvent pas être partielles qu’il est nécessaire de mettre un œuvre un plan pluriannuel d’investissement massif dans la santé, qui repose sur des recrutements et une revalorisation salariale, pour rendre ces filières attractives.
Il faut également poursuivre les efforts en matière de recherche contre ces cancers. En ce sens, l’amendement de 20 millions d’euros, adopté à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 contre l’avis du Gouvernement, est indispensable.
Cette proposition de loi apportant une amélioration indispensable pour les familles, notre groupe la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux et je salue la clarté du rapport remis par Colette Mélot.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale – l’unanimité, pour une proposition de loi d’humanité.
Je salue également l’auteur de cette proposition de loi, le député Paul Christophe, présent dans les tribunes. Ce texte offre la possibilité d’une meilleure prise en charge de la maladie, d’un soutien supplémentaire aux parents. Nous espérons qu’il sera une contribution à l’épanouissement de l’enfant.
Les débats dans notre société autour de la place des proches aidants, du temps qu’ils peuvent consacrer aux plus vulnérables et du soutien que l’État peut leur apporter sont de plus en plus prégnants.
Cela commence d’abord par la reconnaissance des besoins, puis par la mise en place de dispositifs adaptés, notamment financiers.
Modifier le droit en vigueur pour augmenter le nombre maximum de jours de congé de présence parentale et adapter les conditions d’octroi de l’allocation journalière de présence parentale sont des mesures pragmatiques pour permettre aux parents d’accompagner de manière soutenue leur enfant, frappé par la maladie ou un accident grave et nécessitant un accompagnement soutenu.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui témoigne d’une avancée significative, qui s’inscrit dans la lignée l’une histoire récente.
Au commencement, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a instauré le congé de présence parentale et l’allocation journalière de présence parentale. La loi de 2017 a créé le congé de proche aidant. Puis, la loi du 22 mai 2019, dont Jocelyne Guidez a été à l’initiative, a favorisé la reconnaissance des proches aidants. La loi du 8 mars 2019 a simplifié la vie des parents, en permettant la prise en charge des cancers pédiatriques et le réexamen de la durée prévisible de traitement de l’enfant.
Le nombre de bénéficiaires d’un congé de présence parentale et de l’allocation journalière de présence parentale a augmenté de 70 % entre 2013 et 2020. Un peu plus de 10 000 familles en ont bénéficié en 2019, pour une dépense de 96 millions d’euros.
Nous ne pouvons que saluer enfin, monsieur le secrétaire d’État, la volonté du Gouvernement de revaloriser l’allocation journalière de présence parentale à hauteur du SMIC grâce à l’article 32 sexies du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 que nous examinerons la semaine prochaine.
Toutefois, pour soutenir encore davantage les proches aidants, le groupe Union Centriste présentera un dispositif qui permettra de renforcer encore leur accompagnement financier. Je laisserai à Jocelyne Guidez le soin de présenter cette mesure à cette occasion.
La disposition prévue par cette proposition de loi est parfaitement justifiée et s’applique dans le cas où la santé de l’enfant le requiert et que le bilan médical l’approuve. Le renouvellement du congé de présence parentale et du crédit d’allocation journalière de présence parentale au-delà de 310 jours sur la période de référence initiale de trois ans permet aux parents concernés de mobiliser 620 jours sur la période de référence de trois ans. C’est une avancée considérable.
En revanche, même si nous voterons ces dispositions afin qu’elles puissent entrer en vigueur dans les plus brefs délais, nous regrettons, comme l’a souligné notre rapporteure, plusieurs limites du dispositif transmis par l’Assemblée nationale.
D’abord, ce texte pose un problème d’équité. Les agents publics sont exclus du dispositif de renouvellement du droit au congé de présence parentale et à l’allocation journalière de présence parentale, qui ne s’applique qu’aux salariés du secteur privé.
Mes chers collègues, la détresse des parents face à un enfant touché par la maladie, la pathologie, le handicap ou un accident particulièrement grave ne devrait pas faire de distinction entre le secteur public et le secteur privé.
À titre personnel, je considère qu’une réflexion devra aussi être menée sur l’accompagnement des deux parents, et non de l’un ou de l’autre.
Ensuite, les délais de traitement de l’allocation journalière de présence parentale posent aussi problème. Le délai maximal de trois mois n’est pas toujours respecté. Si ce délai est théorique, dans ce genre de situations, le temps presse et peut entraîner des conséquences lourdes. Or 6 % des bénéficiaires de l’allocation journalière de présence parentale, soit environ 600 foyers – ce n’est pas rien ! –, ne renouvellent pas leurs crédits, soit parce que l’enfant est guéri, soit, parce qu’il est malheureusement décédé au cours de cette période de moins de trois ans. Le temps presse donc. Avec la technologie actuelle, plus de trois mois pour traiter un dossier, c’est trop long, c’est inadmissible.
Enfin, l’information sur les droits devra aussi être plus efficiente, ce qui nécessitera des améliorations dans la diffusion d’informations au sein des services des caisses d’allocations familiales, mais aussi des services des ressources humaines dans l’entreprise.
Par conséquent, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer ce texte, qui ouvre de nouveaux droits aux parents d’enfants gravement malades, et à remercier le député qui l’a défendu à l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi emplie d’humanité et de solidarité va dans le bon sens, dans la mesure où elle tend à permettre à la puissance publique d’ajuster des dispositifs qui améliorent les conditions d’accompagnement de familles dans des situations de détresse tout à fait particulières.
Pour mémoire, les dispositifs en question, le congé de présence parentale et l’allocation journalière de présence parentale, constituent un soutien pertinent aux actifs ayant un enfant dont l’état de santé implique une présence soutenue et des soins contraignants.
Cela a été rappelé : le droit à l’allocation journalière de présence parentale et au congé de présence parentale est actuellement ouvert pour une période de trois ans.
Durant cette période, les bénéficiaires peuvent prétendre à 22 jours par mois maximum d’allocations journalières, soit un total annuel de 310 jours. Dans le cas où la gravité de la pathologie de l’enfant nécessite un allongement de ces dispositifs, les parents ont la possibilité de renouveler leurs droits à l’issue de ces trois années, sous réserve de l’accord des équipes médicales concernées.
En l’état actuel de la situation, 10 000 personnes bénéficient de ces dispositifs, avec un taux de consommation moyen de 173 jours. Je rappelle néanmoins que 6 % d’entre eux utilisent entièrement leurs droits, ce qui laisse supposer au législateur que ces dispositifs ne seraient pas suffisants pour eux.
Ce texte leur apporte une réponse appropriée en permettant, par dérogation au dispositif actuel, d’enclencher le renouvellement de leurs droits avant l’expiration du délai de trois ans. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se réjouit de voir passer de quatorze à vingt-huit mois la durée maximale du congé de présence parentale et de l’allocation journalière de présence parentale à temps plein : cela comble un vide juridique en matière d’aide apportée aux parents.
Je tiens néanmoins à soulever deux points à mes yeux essentiels, quoiqu’ils ne remettent évidemment pas en cause le bien-fondé de ce texte.
D’une part, monsieur le secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur l’importance de bien, ou de mieux informer les familles de l’existence des dispositifs que nous examinons aujourd’hui. Il serait intéressant de systématiser la redirection des familles par les assistantes sociales, le corps médical ou les psychologues vers des sources telles que le site www.monenfant.fr, qui rassemble de nombreuses informations claires et utiles aux parents.
D’autre part, je souligne les silences du texte quant aux droits des fonctionnaires, qui ne sont pas concernés par cette proposition de loi. J’appelle donc le Gouvernement à rectifier ce point dans les plus brefs délais, dans un souci évident d’égalité et d’efficacité à l’égard de nos concitoyens.
Quoi qu’il en soit, notre groupe soutient pleinement cette proposition de loi qui est nécessaire et, naturellement, la votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souligne d’emblée l’importance de l’examen par notre assemblée de cette proposition de loi qui a trait au congé de présence parentale et à l’allocation journalière de présence parentale.
Ces dispositifs sont en effet essentiels pour permettre aux parents d’interrompre leur activité professionnelle lorsque leur enfant est atteint d’une maladie, d’un handicap ou est victime d’un grave accident rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants.
Le congé de présence parentale bénéficie ainsi à quelque 10 000 personnes chaque année et l’allocation journalière de présence parentale, qui s’élève actuellement à 52 euros pour une personne seule et à 44 euros pour une personne en couple, est versée 22 jours ouvrés par mois.
Cette allocation, bien qu’elle soit précieuse pour les familles, ne suffit évidemment pas à compenser la perte financière que représente l’arrêt ou la diminution de l’activité professionnelle de l’un des parents.
Je me félicite donc que, à la suite de l’adoption d’un amendement du Gouvernement, l’article 32 sexies du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 que nous examinerons la semaine prochaine prévoie de revaloriser chaque année l’allocation journalière de présence parentale en référence au salaire minimum. Assurément, il nous faudra aller plus loin, mais cela constitue déjà une revalorisation souhaitable, en particulier en direction des familles monoparentales.
La loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli a d’ores et déjà introduit des améliorations concernant le recours au congé de présence parentale et à l’allocation journalière de présence parentale. La fréquence du renouvellement du certificat médical, qui conditionne leur octroi, a ainsi été portée de six mois à un an afin de simplifier les démarches des familles.
Les cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l’enfant ont également été pris en compte et la loi a instauré une obligation d’information des organismes débiteurs des prestations familiales quant aux critères et conditions d’attribution de l’allocation journalière de présence parentale, aux modalités de demande de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, dont la prestation de base est cumulable avec l’allocation journalière de présence parentale, et de la prestation de compensation du handicap.
La durée du congé de présence parentale est en outre désormais prise en compte en totalité, et non plus pour moitié, dans la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté dans l’entreprise.
Le recours à ce dispositif pourrait par ailleurs s’accroître du fait de la possibilité instaurée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 de fractionner le congé de présence parentale et de le rendre compatible avec une activité professionnelle à temps partiel.
Face à la dégradation de l’état de santé d’un enfant, qui conduit bien souvent l’un des parents à arrêter totalement son activité professionnelle, cette mesure permettra de favoriser, autant que possible, le maintien de cette activité et ainsi de préserver le niveau de vie des foyers concernés, déjà durement éprouvés.
Ces mesures semblent aujourd’hui satisfaire la majorité des situations individuelles, puisque le taux de recours moyen à l’allocation journalière de présence parentale est de 173 jours, soit un niveau inférieur au plafond de 310 jours en vigueur.
Une carence du dispositif a cependant été mise en exergue concernant les 6 % des bénéficiaires qui utilisent entièrement ces 310 jours et qui doivent attendre l’expiration d’un délai avant de pouvoir prétendre à leur renouvellement. Cette contrainte temporelle n’est pas en phase avec la réalité vécue par des parents confrontés à une longue pathologie de leur enfant et dont le besoin d’accompagnement est requis de manière immédiate et continue.
L’article unique de cette proposition de loi prévoit donc d’ouvrir la possibilité, lorsqu’est atteint le nombre maximal de jours de congé de présence parentale et d’allocation journalière de présence parentale, de renouveler ces derniers avant la fin de la première période de trois ans, sous réserve de la transmission d’un nouveau certificat établi par le médecin qui suit l’enfant et d’un accord explicite du service du contrôle médical.
Un parent ayant épuisé les 310 jours octroyés pourra donc bénéficier sans délai d’un nouveau contingent de 310 jours, afin de poursuivre l’accompagnement de son enfant. Cela permettra de faire passer de quatorze à vingt-huit mois la durée continue maximale du congé de présence parentale et de l’allocation journalière de présence parentale à temps plein.
Cette mesure est hautement souhaitable. Notre groupe soutiendra pleinement cette proposition de loi, qui permettra d’assouplir efficacement le dispositif existant.
Si nous partageons le souhait d’une adoption conforme de ce texte en vue d’une mise en œuvre rapide en direction des familles concernées, je souhaite néanmoins insister sur la nécessité de respecter, dans le même temps, les engagements pris sur plusieurs sujets : d’abord, la réduction des délais d’instruction des dossiers et la dématérialisation de la transmission aux caisses d’allocations familiales des informations nécessaires au versement de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) ; ensuite, la nécessité d’étendre cette possibilité de renouvellement du congé de présence parentale aux agents publics, via le dépôt par le Gouvernement d’un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ; enfin, l’importance de renforcer l’information des familles quant à l’existence de ces dispositifs qui restent encore trop souvent méconnus, même si le recours au congé de présence parentale et à l’AJPP tend aujourd’hui, fort heureusement, à s’améliorer.
Nous renouvelons donc notre plein soutien à ce texte qui est accueilli très favorablement par les familles, les aidants et les associations qui leur viennent en aide dans ce combat au long cours. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, améliorer la situation des familles dont les enfants sont atteints de cancer et celle des familles dont les enfants souffrent d’autres pathologies nécessitant des soins lourds et de très longue durée, tel est l’objectif de la proposition de loi que notre assemblée examine aujourd’hui.
Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale il y a presqu’un an jour pour jour, ce texte traite d’une problématique qui est au cœur du quotidien de milliers de familles. Je salue la présence dans nos tribunes du député Paul Christophe, auteur de cette proposition de loi.
Chaque année, en France, un cancer est diagnostiqué chez 2 500 enfants et adolescents. Pour ces enfants, la présence parentale est essentielle, indispensable, voire vitale. Nous sommes nombreux à avoir en mémoire un ami, un membre de notre famille ou un collègue de travail touché par cette situation. En tant que parents, nous ne pouvons qu’imaginer leur souffrance, leur dévouement, leur ténacité pour soutenir et accompagner leur enfant.
Il appartient donc au législateur de permettre une présence renforcée des parents auprès de leur enfant atteint d’une pathologie et de faire en sorte que cette situation, déjà d’une extrême difficulté, puisse être surmontée dans les meilleures conditions possible.
En l’état actuel du droit, le nombre maximum de jours de congé de présence parentale et d’AJPP dont les parents d’un enfant malade peuvent bénéficier est fixé à 310 jours, dans la limite d’une durée de trois ans.
Ce droit à 310 jours peut être renouvelé en cas de rechute ou de récidive de la maladie de l’enfant, seulement une fois que la période de trois ans est écoulée. Or, dans certains cas – je pense tout particulièrement aux enfants atteints d’un cancer –, le droit actuel ne semble pas suffisamment adapté à la présence et à l’accompagnement nécessaires dans le cadre de ces pathologies. Comment expliquer à un parent dont l’enfant est toujours malade qu’il doit attendre plusieurs mois avant de pouvoir obtenir de nouveaux jours et de nouveaux droits ?
Partant de ce constat et guidés par la volonté de sécuriser la situation des familles, les auteurs de cette proposition de loi entendent ouvrir la possibilité, sous certaines conditions, de renouveler le versement de l’allocation pour une durée maximum de 310 jours et pour trois ans supplémentaires, sans attendre le terme de la première période de trois ans. Nous partageons pleinement cet objectif.
Les maladies telles que le cancer ou d’autres pathologies nécessitant des soins lourds et de très longue durée demandent un accompagnement soutenu, essentiel pour surmonter la maladie de l’enfant. Les difficultés qu’une famille rencontre face à la maladie ne doivent pas être aggravées par des problèmes financiers. Le soutien à ceux qui en ont le plus besoin est au cœur de nos valeurs de solidarité et de fraternité. Cette double peine induite par le dispositif en vigueur se devait d’être corrigée.
Je salue le travail des nombreuses associations qui œuvrent chaque jour aux côtés des enfants atteints de pathologies graves et de leurs parents, lesquels ont besoin d’un accompagnement tout particulier.
Je salue également la position de la rapporteure, qui, souhaitant que ce texte entre en vigueur le plus rapidement possible, nous propose d’adopter ce texte dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, ce qui permettra son adoption définitive dès aujourd’hui.
Je salue ensuite le travail réalisé par le passé, qui a déjà permis de répondre en grande partie aux besoins des patients et de leurs parents. Je citerai ainsi la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli.
Je tiens à souligner l’attention qu’a portée le Gouvernement à cette proposition de loi, par la voix du secrétaire d’État Adrien Taquet, qui en a immédiatement partagé les objectifs en levant le gage.
Je salue enfin tous ces parents qui livrent ce combat pour leurs enfants, luttant à leurs côtés face à la maladie et ne déposant jamais les armes. Je pense notamment à nos concitoyens ultramarins contraints de rejoindre l’Hexagone, loin de leurs proches, pour que leurs enfants bénéficient de soins pendant des durées souvent longues.
Si nous ne pouvons évidemment pas atténuer les difficultés des familles confrontées à la maladie de leur enfant, ce texte permettra de mieux prendre en compte l’exigence d’une présence parentale renforcée pour répondre aux besoins de ces enfants. Nous nous en réjouissons.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera donc avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDSE et SER. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer amicalement la présence dans nos tribunes du député Paul Christophe, auteur de cette proposition de loi.
J’ai encore en mémoire la situation d’une famille de Flandres qui avait adopté un enfant guatémaltèque en bonne santé. À l’âge de 9 ans, cet enfant a déclaré une maladie orpheline qui se révélera mortelle. Le père était agriculteur, la mère enseignante.
Pour accompagner son enfant dans les derniers moments de sa vie, la mère a fait une demande de quelques jours de disponibilité à l’éducation nationale : ce n’était pas dans les usages et cette demande lui a été refusée. Les règles étaient alors trop rigides et aucun dispositif de congé n’existait à l’époque pour permettre à un père ou à une mère de quitter son travail quelques jours, voire quelques semaines, pour rester auprès d’un enfant gravement malade.
Cette tragédie familiale et bien d’autres situations similaires montrent l’importance de la proposition de loi déposée par le député du Nord Paul Christophe. Ce texte est le fruit d’une expérience personnelle et d’un parcours politique marqué par un engagement continu, dans le dessein de bâtir une société plus juste, plus humaine et plus solidaire.
Présentée au Sénat par le groupe Les Indépendants – République et Territoires, dont je me fais le porte-parole, et défendue par Colette Mélot, rapporteure, cette initiative est un rouage supplémentaire dans la révolution culturelle, amorcée ces dernières années avec la création du congé de proche aidant.
Cette proposition de loi améliore le dispositif de congé pour présence parentale, en permettant au salarié dont l’enfant est atteint d’une grave maladie de se rendre disponible pour l’accompagner. Ce congé est associé à une allocation journalière versée au maximum 310 fois sur une période de trois ans, allocation qui verra son montant revalorisé au niveau du SMIC dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, tout comme le montant de l’allocation journalière du proche aidant.
La question de la suppression du plafonnement a été évoquée lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli, défendue par Nathalie Elimas, alors députée. Le gouvernement avait alors proposé d’assouplir les conditions de renouvellement de ce congé, dans deux cas de figure – après trois ans ou avant trois ans –, à condition que le plafond des 310 jours de congé n’ait pas été atteint. En complément, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a autorisé l’utilisation fractionnée de ces congés, contribuant à une meilleure souplesse du dispositif.
Cependant, le congé de présence parentale reste imparfait pour une partie des bénéficiaires, lorsque la maladie de l’enfant nécessite une présence soutenue de l’un de ses parents plus de 310 jours en trois ans. En effet, le renouvellement de ce congé est actuellement impossible lorsque l’ensemble des jours de congé a été consommé sur cette période. Cette situation concerne environ 6 % des bénéficiaires, soit 600 familles chaque année.
La proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu s’adresse à ces familles, lesquelles sont parmi les plus vulnérables. Je salue la pugnacité du député Paul Christophe et remercie la rapporteure Colette Mélot de son travail remarquable, ainsi que l’ensemble des parlementaires favorables à ce texte. Le Gouvernement s’est engagé à étendre ce dispositif aux fonctionnaires, notamment aux enseignants de l’éducation nationale, dans le cadre de l’examen au Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Je suis très heureux de ces avancées qui vont dans le sens de l’intérêt des familles concernées. Naturellement, les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte.
Mes chers collègues, cette démarche honore le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le congé de présence parentale et l’AJPP sont des dispositifs essentiels permettant aux parents d’être aux côtés d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou d’un accident grave.
Leur enfant ayant besoin d’une présence soutenue et de soins contraignants, ces parents n’ont parfois pas d’autre choix que d’interrompre leur activité professionnelle. Il est alors indispensable que la solidarité nationale vienne compenser la perte de revenus qui en découle. La question centrale qui les préoccupe est celle de la durée du congé et du versement de l’allocation : elle est actuellement de 310 jours sur une période de trois ans après le début de la maladie, ce qui reste insuffisant.
Bien que la loi du 8 mars 2019 ait permis de renouveler les droits du congé et de l’allocation au-delà de trois ans, le dispositif en vigueur n’est toujours pas en phase avec les réalités que connaissent certaines familles.
Prenons le cas des 2 500 cas de cancers pédiatriques dénombrés chaque année. Après deux ou trois années de traitement, l’enfant est souvent soit guéri, soit malheureusement décédé – cela représente 20 % des cas –, ce qui rend sans effet la possibilité existante de renouvellement.
La possibilité de réouverture des droits en cas de rechute ou de récidive de l’enfant n’est pas toujours garantie aux familles, qui se heurtent parfois au refus des CAF, le versement de la prestation étant soumis à l’avis favorable du service du contrôle médical. Les formalités sont également trop lourdes, la prestation étant, de l’avis même de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), complexe à mettre en œuvre.
Devant la détresse de ces familles, nous ne pouvons que saluer et soutenir la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car elle vise à leur permettre de renouveler une fois la durée maximale du congé et de l’allocation avant la fin de la période de trois ans, et non plus seulement au terme de celle-ci. Par cette mesure de justice sociale, le législateur prend mieux en compte la réalité de la pathologie ou du handicap de l’enfant et des soins qu’il requiert.
À cette avancée importante viendra bientôt – je l’espère – s’ajouter une autre mesure de bon sens, via un amendement du Gouvernement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 : la revalorisation au niveau du SMIC du montant de l’allocation journalière de présence parentale et son extension aux conjoints collaborateurs d’une entreprise artisanale, commerciale, libérale ou agricole.
Un bémol toutefois : l’éparpillement de ces mesures portant sur un même sujet dans des textes différents nuit considérablement à la lisibilité de la réforme.
Regrettons également que le nouveau dispositif de la proposition de loi ne s’applique pas aux agents publics, alors même que chacune des lois relatives aux trois fonctions publiques prévoit le bénéfice du congé parental et aurait donc également mérité d’être modifiée en ce sens. Nous attendons là encore du Gouvernement qu’il rectifie cet oubli lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Restera ouverte la question de l’équité entre les parents.
Malgré la possibilité de partage des jours de congé, c’est souvent le parent dont l’emploi est le moins rémunérateur qui décide d’interrompre son activité afin de se consacrer à son enfant. Cette situation contribue à dégrader l’employabilité du parent accompagnant et à aggraver le sentiment de culpabilité de l’autre parent, qui ne peut pas participer à l’accompagnement autant qu’il l’aurait souhaité. Or un enfant malade a besoin du soutien quotidien de ses deux parents.
Mes chers collègues, nous discutons d’un sujet complexe et douloureux pour les familles. Je ne peux m’empêcher de souligner le manque d’attention dont sont parfois victimes les parents d’enfants malades dans leur environnement professionnel.
Permettez-moi de citer l’exemple vécu par l’une de mes proches, interne en médecine, qui s’est vu refuser un transfert de stage dans l’hôpital où était soigné son bébé de deux mois, atteint d’un cancer, au motif que cela créerait un précédent et pourrait entraîner des demandes multiples d’autres internes… Espérons qu’il n’y ait pas de nombreux internes ayant des enfants atteints de cancer !
Ce genre de réponse n’est pas acceptable. La situation de l’enfant doit primer sur toute autre considération. La bienveillance doit l’emporter sur l’indifférence.
Malgré les imperfections qu’il contient, la commission des affaires sociales a voté le texte sans modification afin de répondre aux situations d’urgence de certains foyers fragilisés par la crise sanitaire.
De nombreuses familles ayant déjà épuisé leur crédit de 310 jours, il est en effet indispensable d’adopter rapidement ce nouveau dispositif, via un vote conforme du Sénat, même si ce vote ne doit pas exonérer le Gouvernement d’intervenir dans les meilleurs délais pour en corriger les failles.
Le groupe Les Républicains votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je remercie l’ensemble des groupes présents dans l’hémicycle de leur soutien à cette proposition de loi présentée par le député Paul Christophe. Je remercie également ceux d’entre vous qui ont souligné la revalorisation de l’AJPP au niveau du SMIC, présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Madame la rapporteure, je vous confirme que l’alignement du régime pour les trois fonctions publiques et les militaires fera l’objet d’un amendement du Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, la semaine prochaine au Sénat.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu
Article unique
(Non modifié)
I. – Après le premier alinéa de l’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À titre exceptionnel et par dérogation au premier alinéa, lorsque le nombre maximal d’allocations journalières est atteint au cours de la période mentionnée au même premier alinéa et qu’un nouveau certificat médical établi par le médecin qui suit l’enfant et attestant le caractère indispensable, au regard du traitement de la pathologie ou du besoin d’accompagnement de l’enfant, de la poursuite des soins contraignants et d’une présence soutenue est confirmé par un accord explicite du service du contrôle médical prévu à l’article L. 315-1 ou du régime spécial de sécurité sociale, la durée maximale mentionnée au premier alinéa du présent article peut être renouvelée une fois au titre de la même maladie, du même handicap ou du fait de l’accident dont l’enfant a été victime et, ce avant la fin du terme initialement fixé. »
II. – L’article L. 1225-62 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À titre exceptionnel et par dérogation aux deux premiers alinéas du présent article, lorsque le nombre maximal de jours de congés mentionné au deuxième alinéa est atteint au cours de la période mentionnée au premier alinéa et qu’un nouveau certificat médical établi par le médecin qui suit l’enfant attestant le caractère indispensable, au regard du traitement de la pathologie ou du besoin d’accompagnement de l’enfant, de la poursuite des soins contraignants et d’une présence soutenue est confirmé par un accord explicite du service du contrôle médical prévu à l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale ou du régime spécial de sécurité sociale, la période mentionnée au premier alinéa du présent article peut être renouvelée une fois au titre de la même maladie, du même handicap ou du fait de l’accident dont l’enfant a été victime, et, ce avant la fin du terme initialement fixé. »
II bis. – Au premier alinéa de l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale, la référence : « L. 122-28-9 » est remplacée par la référence : « L. 1225-62 ».
III et IV. – (Supprimés)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue le travail qui a été accompli et remercie les députés d’avoir présenté ce texte.
Même si, statistiquement, dans cette maison, nous sommes davantage grands-parents que jeunes parents,… (Protestations amusées.)
Mme Cécile Cukierman. Il y a quelques jeunes parents tout de même ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. … nous devons constater que la question reste entière : le désarroi que font naître ces situations va bien au-delà des seuls parents et affecte toute la famille.
Nous votons un grand nombre de textes sur l’utilité desquels nous nous interrogeons parfois. Lorsqu’à l’occasion d’un texte faisant l’unanimité nous pouvons apporter une valeur ajoutée à la vie de nos concitoyens, surtout si ceux-ci se trouvent dans un désarroi que l’on a peine à imaginer, nous vivons alors l’un de ces moments de bienveillance si importants pour le Parlement, qu’il s’agisse du Sénat ou de l’Assemblée nationale. C’est le cas du texte que nous nous apprêtons à voter : il nous réconcilie avec la fonction parlementaire. C’est un moment de grâce dans une atmosphère nationale difficile.
Nous souhaitons que les compléments qui ont été annoncés soient introduits et que nous puissions véritablement apporter tout le soutien possible aux familles qui connaissent ces situations douloureuses.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée l’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Administration au service des usagers
Adoption d’une proposition de loi modifiée
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers, présentée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues (proposition n° 76 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 106, rapport n° 105).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi.
M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’administration assure la stabilité et la continuité de l’État. C’est dire si elle est essentielle à la bonne marche d’un pays, particulièrement en France, où la Nation s’est construite grâce à l’État. L’administration d’un pays fait partie de son identité.
Toute tentative visant à moderniser l’administration laisse un goût d’inachevé, d’abord parce que l’administration vit avec son temps et en partage autant les nouveautés que les archaïsmes, ensuite, parce que l’administration est à l’image du pays et en partage autant les qualités que les défauts. En revanche, il est sain que le législateur cherche toujours à rendre son fonctionnement aussi intelligible que possible, du point de vue des administrés et non de celui des administrateurs.
Il est important de faire en sorte qu’il ne revienne pas à certains Français seulement de connaître les petites ficelles de l’administration, mais que tous puissent bien comprendre son fonctionnement. Ce point est essentiel pour que la confiance des usagers en ces institutions soit renforcée.
Là réside à mes yeux tout l’intérêt du principe selon lequel « silence gardé par l’administration vaut acceptation », qui constitue un moyen simple et efficace de s’assurer que la puissance publique réponde effectivement aux attentes des citoyens. En clair, c’est à l’administration que revient la responsabilité de mener à bien les procédures, et non aux usagers.
Ce principe a été introduit en 2013 par une loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens. Cette loi posait le principe général du « silence vaut acceptation », dit SVA, et fixait les conditions selon lesquelles il est possible d’y déroger, notamment par voie réglementaire. Elle permettait donc aussi d’établir des procédures pour lesquelles « silence vaut rejet ».
En 2015, un rapport d’information cosigné par Jean-Pierre Sueur au nom de la commission des lois a porté sur l’application de ce principe. Il rappelait que la loi de 2013 revenait sur la pratique du « silence vaut rejet », ancrée dans la culture administrative depuis le milieu du XIXe siècle. Il pointait déjà une dérive problématique : dès le début, il y avait deux fois plus de procédures administratives dérogatoires que de procédures relevant du principe général.
En d’autres termes, dès le début, l’exception était la norme et le principe général de la loi était largement dévoyé. Parmi ces possibilités de dérogation, certaines répondent à des critères déterminés par la loi et sont parfaitement fondées. D’autres, en revanche, le sont « eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration ». Ces exceptions laissent les coudées franches au Gouvernement pour déroger au « silence vaut acceptation », ce qui nuit à la force de ce principe établi par le législateur.
Il s’agit précisément du sujet dont nous allons débattre aujourd’hui. Mes chers collègues, je vous propose de redonner sa vigueur au principe général, en limitant la possibilité d’y déroger par voie réglementaire et en harmonisant les délais dérogatoires.
L’idée est de rendre le système plus lisible pour les usagers. Le dispositif de la proposition de loi se fonde sur un constat réalisé sur le terrain auprès des acteurs qui entreprennent et sont à l’initiative – bref, de tous ceux qui veulent faire changer les choses.
Ceux qui se heurtent à une administration tatillonne ou à un fonctionnaire excessivement zélé représentent sans doute une minorité, car, dans son ensemble, notre administration accomplit un travail remarquable. Malgré cela, nous connaissons des exemples où les retards demeurent aussi inexplicables qu’inexpliqués.
J’insiste : je ne fais ni mauvais procès ni mauvaises généralisations. Nous connaissons tous des serviteurs de l’État qui exercent avec beaucoup de professionnalisme et qui font preuve d’une grande réactivité. Ils font honneur à la fonction publique, et je tiens à les remercier.
M. Dany Wattebled. Je tiens tout de même à vous raconter une anecdote qui en dit long sur les effets néfastes du « silence vaut rejet ».
Dans mon territoire, un entrepreneur engage une démarche auprès d’une administration pour réaliser un projet. Plusieurs mois passent et cette demande demeure sans réponse. L’entreprise relance l’administration. Là encore, pendant plusieurs mois, l’administration reste aux abonnés absents. Une troisième tentative demeure vaine. La situation dure pendant deux ans. L’entrepreneur choisit donc d’engager son projet et de prendre les devants pour faire bouger les choses. Là, ni une ni deux, l’administration se réveille et sanctionne l’entreprise.
Malheureusement, un tel scénario n’a rien d’exceptionnel. Si les entrepreneurs bloqués par l’administration ne représentent qu’une minorité des usagers, ils demeurent trop nombreux pour que nous ne fassions rien.
Bien évidemment, la situation est encore pire pour les usagers qui se retrouvent démunis face à la complexité administrative et qui ne disposent d’aucune aide juridique pour s’y retrouver. Nous devons leur simplifier la vie.
Au cours de ce quinquennat, plusieurs textes ont été défendus par le Gouvernement et votés par le Sénat, afin de simplifier les relations entre les citoyens et l’administration.
Je pense notamment à la loi de 2018 pour un État au service d’une société de confiance (Essoc). Sans modifier le régime du « silence vaut acceptation », cette loi identifiait bien le dévoiement de ce principe par la multiplication des exceptions réglementaires.
L’article 72 de la loi Essoc prévoyait que le Gouvernement remettrait un rapport au Parlement pour faire le point sur l’application du principe « silence vaut acceptation ». Dans ce rapport, le constat demeure sans appel : seulement un tiers des procédures administratives respecte le principe général. En d’autres termes, l’exception demeure la norme et le pouvoir législatif n’a plus la main pour faire appliquer le principe général.
L’examen de la loi Essoc a été une occasion manquée d’adopter des propositions concrètes et nous avons dû nous contenter d’un rapport remis par le Gouvernement. Ce rapport indique également que la majorité des procédures dérogatoires relève du domaine environnemental : la multiplication des études d’impact change la donne pour les entrepreneurs de nos territoires.
Je tiens à alerter l’opinion sur ce point, car tout porte à croire que la situation en la matière risque de se détériorer dans les prochaines années. La prise en compte des enjeux écologiques ne doit pas entraver les initiatives individuelles. Je crois sincèrement que nous devons fonder la relation entre les usagers et l’administration sur la confiance mutuelle plutôt que sur la défiance réciproque.
Le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), examiné par le Sénat au début de l’année 2020, était l’occasion de passer à l’action. J’ai donc déposé lors de sa discussion deux amendements qui visaient à réduire la possibilité laissée au Gouvernement de déroger au principe établi par le Parlement. Malgré le double avis défavorable de la commission et du Gouvernement, ces amendements ont tous deux été adoptés par notre assemblée.
En émettant leurs avis sur ces amendements, la commission et le Gouvernement m’avaient suggéré de retravailler le dispositif. Je m’y suis donc attelé en rédigeant le texte de cette proposition de loi et j’ai aujourd’hui le plaisir de vous présenter un texte charpenté, qui reprend également des mesures proposées à l’Assemblée nationale, en particulier certaines qui figuraient dans la proposition de loi relative à l’effectivité et à l’efficacité du principe du « silence de l’administration vaut accord », déposée au mois de mai 2016 par le député Lionel Tardy, membre du groupe Les Républicains ; malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale.
En conclusion, je tiens à remercier chaleureusement Mme le rapporteur Brigitte Lherbier, qui a tenu à amender le texte afin de permettre son adoption par le Sénat. Les propositions qu’elle défend au nom de la commission des lois vont dans le sens de notre texte, et je m’en réjouis.
Je suis heureux que nous en débattions avec l’ensemble des groupes de façon constructive, pour trouver une solution de consensus. Plusieurs amendements visent à mieux cadrer le dispositif du texte, donc à limiter sa portée. Nous les abordons avec bienveillance et je m’en remets à la sagesse du Sénat pour élaborer un texte réaliste et pragmatique.
Mes chers collègues, si elle était adoptée, je suis convaincu que cette proposition de loi pourrait améliorer le quotidien de nombre de Français. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de 1864 à 2013, le droit administratif établissait que le silence de l’administration valait rejet d’une demande, sous réserve d’exceptions ciblées, par exemple pour l’attribution des autorisations d’urbanisme.
Or, comme vous le savez, une réforme menée sur l’initiative du président Hollande en 2013 a renversé ce principe. Depuis lors, le silence de l’administration vaut en principe acceptation, sous réserve de très nombreuses exceptions prévues par le droit.
Si l’objectif de cette réforme de multiplier les procédures de SVA a été rempli – elles ont été multipliées par quatre –, force est de constater que ce résultat a été obtenu en sacrifiant la lisibilité du régime du silence de l’administration prévu par le code des relations entre le public et l’administration.
En effet, l’inversion du principe s’est accompagnée de la création d’une multitude d’exceptions qui rendent la compréhension du droit positif assez chaotique. L’affaire de la ferme des mille vaches en est une preuve, puisqu’il a fallu un pourvoi en cassation et une décision du Conseil d’État pour déterminer si, en l’espèce, le silence de l’administration valait acceptation ou rejet.
Autre preuve, même l’administration en charge de la publication de la liste des procédures de SVA a du mal à s’y retrouver… Alors, mettez-vous à la place de l’usager lambda !
Ces très nombreuses exceptions étaient malheureusement prévisibles, tant le système SVA souffre de faiblesses intrinsèques.
La plus importante de ces faiblesses réside dans le fait que le « silence vaut acceptation » ne s’applique qu’à propos des demandes auxquelles l’administration peut répondre par oui ou par non. Si vous demandez à une administration d’effectuer un choix parmi plusieurs possibilités, son silence ne permettra pas de répondre à la question posée. De la même manière, si vous demandez à une administration de vous verser une indemnité, son silence n’entraînera pas le versement de la somme demandée. Il s’agit là d’un état de fait auquel le législateur ne peut rien.
L’autre faiblesse du système SVA concerne les droits des tiers. Avec le « silence vaut acceptation », la perte d’un courrier ou une erreur de traitement aboutit à l’acceptation tacite d’une demande par l’administration, même si l’usager ne remplit pas les critères d’attribution. Ce dernier se retrouve donc dans une situation plus favorable qu’une personne présentant le même dossier et ayant été déboutée à juste titre. Il y a donc un problème de rupture d’égalité.
Le SVA peut également conduire à une perte de chance pour les tiers. Ceux-ci peuvent plus difficilement prendre connaissance de l’acceptation en l’absence de décision expresse favorable au pétitionnaire et formuler un recours le cas échéant.
C’est dans ce contexte particulièrement compliqué qu’intervient la proposition de loi que nous examinons. Son auteur Dany Wattebled a eu le courage de se pencher sur ce problème en ayant la volonté – que je partage – de rendre le système plus efficace et moins compliqué.
Si nous partageons l’objectif, nous ne sommes pas d’accord sur les moyens choisis pour les mettre en œuvre. De trop nombreuses divergences nous ont conduits à ne pas adopter de texte en commission, en application du gentlemen’s agreement d’usage pour les propositions de loi de niche.
Les amendements de la commission modifient profondément la proposition de loi, mais en conservent l’esprit initial. Notre démarche a été guidée par deux principes.
Le premier principe directeur réside dans le respect des fonctions et de l’identité de l’administration. Les relations entre le public et l’administration sont perçues comme des relations purement bilatérales, souvent conflictuelles. Or l’activité de régulation confiée aux administrations a in fine pour objet de préserver l’ordre public, l’environnement et les droits des tiers.
L’instruction d’une autorisation d’urbanisme peut, par exemple, révéler une atteinte possible à une servitude établie au bénéfice d’un tiers. L’administration n’est pas l’ennemie de l’usager, il est important de le rappeler.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Partant de ce constat, notre second principe directeur réside dans le maintien d’un équilibre entre les conditions d’une bonne administration et les droits du public. C’est précisément le sens de la réécriture de l’article 1er que nous vous présenterons lors de la discussion des articles.
Alors que la proposition de loi initiale supprime purement et simplement la possibilité laissée au pouvoir réglementaire de déroger au principe SVA, nous avons préféré conserver cette faculté tout en précisant les cas dans lesquels une telle dérogation demeurait possible.
En revanche, nous émettrons un avis favorable sur l’amendement déposé par Jean-Pierre Sueur qui a pour objet de réécrire l’article 4 afin de plafonner les délais dérogatoires fixés par le pouvoir réglementaire pour établir les décisions implicites de l’administration. Ce plafonnement semble nécessaire pour sauvegarder l’intérêt des usagers et éviter que des délais exagérés ne vident de son sens le principe SVA.
La recherche d’équité dans les rapports entre l’administration et le public a également orienté la réécriture de l’article 5 que nous vous proposerons. Cette rédaction prévoit que les appels de pièces complémentaires suspendront simplement les délais laissés à l’administration pour instruire les demandes, ne permettant plus de remettre les compteurs à zéro.
En effet, certaines administrations détournent les demandes de pièces complémentaires, dans le cadre d’une manœuvre dilatoire visant à allonger significativement le délai dont elles disposent avant qu’une décision implicite d’acceptation soit rendue.
Outre ces trois modifications importantes, nous vous proposerons la suppression totale ou partielle d’articles présentant certaines malfaçons et pour lesquels des modifications ne nous ont pas semblé possibles ni souhaitables.
Par conséquent, mes chers collègues, sous réserve de l’adoption de ces différents amendements, nous vous engageons à adopter cette proposition de loi. Ainsi modifiée, elle nous semble constituer la garantie d’un meilleur équilibre entre les intérêts de l’administration et ceux de l’usager. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Cécile Cukierman et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame le rapporteur, monsieur Wattebled, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fixé à chacun de ses ministres un objectif très clair : garantir la culture de la bienveillance et de l’efficacité dans l’administration au service des usagers, simplifier les démarches administratives, réduire les délais de réponse aux administrés et instaurer une relation de confiance entre les citoyens et leurs services publics.
C’est aussi ma feuille de route, en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques.
En préambule, monsieur Wattebled, je tiens à saluer le travail que vous avez mené avec votre groupe et avec Mme la rapporteure sur ce sujet essentiel. Je me réjouis que nous ayons ce débat aujourd’hui pour aborder un point de la vie quotidienne de nos concitoyens : la nature de leurs relations avec l’administration.
Dans votre exposé des motifs, vous appelez de vos vœux des relations entre les citoyens et la puissance publique fondées sur la confiance et le dialogue. Vous insistez sur l’importance d’une inversion de la logique de l’action publique, en partant des besoins du citoyen et non de ceux de l’administration.
Ces objectifs, le Gouvernement les partage pleinement.
Depuis la création de mon ministère, j’ai souhaité que les administrations et leurs agents soient davantage tournés vers les usagers et arrêtent de piloter leur action en vase clos.
Il nous appartient d’apporter des réponses concrètes aux complications précises – vous en avez cité une – rencontrées par les usagers dans l’accomplissement de leurs démarches administratives quotidiennes, quand celles-ci perdurent. Nous ne pouvons pas nous résoudre aux inégalités existant, dans l’accès aux droits, entre nos concitoyens et qui résultent de ces complications.
Cela passe d’abord par la restauration d’un lien de confiance entre l’usager et l’administration, une confiance qui, je pense, a été largement améliorée par l’instauration du droit à l’erreur.
Ce droit pose le cadre d’une relation de confiance entre les usagers et l’administration, puisque, désormais, la charge de la preuve est inversée ; vous le savez, depuis la promulgation de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), il revient à l’administration de démontrer la mauvaise foi de l’usager. Elle ne part plus du principe que celui-ci a fait preuve de mauvaise foi.
Par conséquent, depuis 2018, près de 335 000 droits à l’erreur ont été accordés à des usagers et 2 millions d’erreurs administratives détectées de manière proactive par l’administration n’ont pas conduit à des pénalités, mais ont été simplement résorbées, clarifiées.
Par ailleurs, si des erreurs de bonne foi peuvent intervenir, c’est bien souvent parce que notre réglementation et nos procédures sont complexes. Si le droit à l’erreur en atténue les effets, la simplification – autre bataille que je mène – en traite les causes.
Pour concrétiser cette confiance, je me suis engagée dans une simplification pragmatique du quotidien des démarches administratives, que celles-ci soient numériques ou physiques. Ainsi, au début de l’année 2021, nous nous sommes engagés à simplifier 10 démarches et 100 formulaires administratifs d’ici à 2022, sur le fondement des remontées des agents et des usagers. C’est essentiel pour que les démarches administratives soient accessibles à tous et pour simplifier les parcours des usagers, particuliers comme entreprises.
Prenons quelques exemples concrets de simplifications menées depuis le début de l’année.
Les demandes de MaPrimeRénov’ sont désormais traitées dans un délai inférieur à quinze jours. Nous travaillons également à la numérisation complète de la procédure de dépôt et de traitement des demandes de permis de construire et d’autorisations d’urbanisme dans les communes de plus de 3 500 habitants ; cette numérisation, qui interviendra au 1er janvier 2022, sera majeure dans la vie quotidienne.
Nous avons en outre rendu possible, depuis le 6 avril 2021, l’établissement d’une procuration en ligne, sur le site www.maprocuration.gouv.fr, qui est simplement suivi d’une confirmation prenant quelques minutes, au commissariat ou à la gendarmerie, sans avoir à faire la démarche sur place. Nous avons aussi simplifié fortement le formulaire de demande d’allocation de solidarité aux personnes âgées, ancien minimum vieillesse, afin qu’il soit le plus simple possible.
Ce chantier de la confiance, je le conduis, je l’indiquais, sur le fondement des remontées des usagers et des agents, car ce sont les principaux concernés et nous ne pouvons faire sans eux. En effet, la confiance repose aussi sur l’écoute des usagers et sur la prise en compte accrue de leurs besoins.
Nous avons ainsi mis en place la plateforme Services Publics +, qui permet à chaque usager de partager son expérience dans ses relations avec l’administration, de donner son avis, donc de guider l’amélioration du service public. En un an, nous avons reçu 3 millions d’avis d’usagers et 3 000 personnes ont pris le temps de raconter précisément leur expérience et de proposer des améliorations concrètes de démarches administratives ou de souligner la qualité d’un service et des liens tissés avec l’administration.
Je veille à ce que les administrations tirent de ces retours directs des améliorations très concrètes des services publics. Il est indispensable que les agents appréhendent avec davantage de bienveillance et d’écoute ces demandes, qui convergent d’ailleurs souvent avec leurs expériences et leurs difficultés.
L’ensemble de ces actions portent leurs fruits. Le taux de satisfaction des usagers à l’égard des services publics est ainsi passé de 72 % en 2017 à 76 % aujourd’hui. Au mois de mai 2021, 76 % des chefs d’entreprise indiquaient faire confiance à l’administration pour recevoir d’elle conseils et solutions en cas de difficulté ou d’erreur commise, soit une augmentation de 10 points par rapport à 2019.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, nous partageons pleinement l’objectif d’une administration en phase avec ses usagers, dans une relation de confiance.
Toutefois je suis convaincue – c’est là un point de divergence entre nous, monsieur Wattebled – que ce ne sont pas de nouvelles lois ou de nouvelles dérogations réglementaires qui mettront véritablement notre administration au service des usagers.
Cela passera plutôt par la « réhumanisation » des services publics. En effet, je tiens à le dire clairement, mon objectif n’est pas que l’administration ne réponde pas, qu’elle soit silencieuse. Il est au contraire indispensable qu’elle réponde à chacun de nos concitoyens, par tous les canaux possibles – physiques, téléphoniques ou numériques –, en particulier qu’elle réponde dans les cas les plus compliqués avec un accompagnement humain indispensable.
L’objectif du Gouvernement est donc qu’il y ait des lieux et des gens qui accompagnent les usagers ; c’est ce que font les espaces France Services, que Jacqueline Gourault soutient résolument, afin que, partout en France, tous les usagers puissent avoir un contact quotidien, direct, avec un visage humain pour traiter leurs difficultés.
Monsieur le sénateur, dans le département dont vous êtes élu, le Nord, que Mme le rapporteur et vous connaissez évidemment bien, on dénombre 35 espaces France Services. J’ai étudié en particulier le territoire que vous connaissez le mieux, là où vous avez des attaches, et, à Loos, Seclin, Libercourt, Roubaix, Raimbeaucourt, les Français sont accueillis par des personnes formées et polyvalentes.
Notre but est qu’il y ait, d’ici à la fin de l’année, 2 000 lieux de ce type sur tout le territoire, où les cas les plus complexes que vous venez de citer pourront être résolus non par le silence, mais par une réponse et un accompagnement individualisés.
À mon sens, chambouler l’équilibre du dispositif « le silence vaut acceptation » risquerait d’ajouter plus de complexité que de simplicité. Ce dispositif, certes complexe et imparfait, a représenté une véritable révolution dans la relation entre l’administration et l’usager et il est aujourd’hui bien appliqué par l’administration. Surtout, je le répète, ma priorité est que les administrations répondent et le fassent vite, afin de sortir du débat : le silence vaut-il refus ou acceptation ?
Je souhaite que les administrations s’approprient pleinement leur devoir de réponse et non que l’on procède à une refonte prématurée de cette procédure. Par exemple, la notion de décision implicite d’acceptation doit désormais être toujours couplée, pour répondre aux attentes des usagers, à l’envoi systématique d’un accusé de réception, afin que l’administration soit proche des usagers et les accompagne dans leur vie quotidienne.
C’est l’un des engagements du programme Services Publics +, même si, je le reconnais, celui-ci n’est actuellement pas mis en place dans l’ensemble des administrations et des collectivités. Toutefois, je m’engage à ce que ces accusés de réception soient systématiquement reçus en cas d’accord implicite.
Je le répète, rigidifier ce système pourrait avoir d’importantes conséquences, négatives à mes yeux, sur le fonctionnement concret de nos administrations.
Monsieur Wattebled, madame le rapporteur, je tiens à vous remercier de votre travail, car il s’agit d’un sujet d’importance. Vous m’avez donné l’occasion de rappeler que nos objectifs et les vôtres convergent. Vous le voyez, je m’efforce de les atteindre au quotidien, dans un souci de cohérence de l’action publique, en lien avec les agents publics, qui sont les premiers acteurs de cette action, que nous cherchons à rendre plus efficace et plus proche des Français.
Nous avons encore beaucoup à faire en la matière et je sais que nous pourrons travailler ensemble à l’amélioration du quotidien de nos concitoyens, mais, à l’heure où tous nous disent, souvent avec raison, que les choses sont parfois trop compliquées, ne rajoutons pas une loi. Aidons plutôt les agents publics et les administrations à répondre aux Français, à être proches d’eux, là où ils vivent, et à leur donner des réponses concrètes et rapides. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis toujours ébahi par les instantanés pris par tous les ministres qui nous font l’honneur de venir nous voir. Je me dis chaque fois que nous vivons dans un pays merveilleux, que tout se passe extraordinairement bien et que les chiffres n’ont jamais été aussi bons. Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir remonté le moral ; c’est toujours ça de pris… (Sourires.)
Après nos échanges en commission, qui ont confirmé l’intérêt de la question soulevée par ce texte, nous étudions la proposition de loi de Dany Wattebled relative à la lisibilité du principe « le silence vaut accord ».
Ce concept, quoique récent, est familier à tous. Il s’est imposé au fur et à mesure comme une solution d’équilibre entre l’administration et les usagers, comme une simplification nécessaire et bienvenue. Selon ce principe, encadré depuis 2013, passé un certain délai, une absence de réponse de la part de l’administration doit être considérée comme un accord.
Toutefois, ce principe reste très limité dans sa mise en œuvre et, comme notre rapporteur a pu le rappeler, il ne présente pas que des avantages.
L’un des inconvénients intrinsèques mis en avant est celui de la publication des décisions, permettant notamment d’ouvrir droit à des recours par des personnes tierces. En effet, la publicité dans l’action de l’administration, comme d’ailleurs dans notre action de législateur, qui contribue à ce que certains appellent désormais la transparence, est essentielle. L’équilibre nouveau recherché entre l’administration et l’administré ne saurait se faire aux dépens de l’équilibre général et de l’ordre public ni mener à la privation de droits de certains.
Une autre faiblesse réside aussi évidemment dans les inévitables problèmes matériels des demandes, comme un courrier perdu.
Une difficulté majeure engendrée par la mise en œuvre de ce principe est finalement relative à sa lisibilité : délais variant d’une administration à l’autre, nombreuses exceptions possibles ou encore interprétation variable des tribunaux lors d’un recours sur l’applicabilité ou non de ce principe.
Sur ce dernier point, les travaux de qualité de notre rapporteur ont mis en relief les difficultés liées à « la distinction entre acte réglementaire et décision individuelle[, qui] n’est pas toujours parfaitement claire pour certains actes ». Toutefois, ce principe oblige l’administration ; il l’oblige à instruire ou non des demandes légitimes des citoyens et il crée une sorte de sanction en cas de manquement dans cette instruction. Il permet aussi de ne pas pénaliser l’usager, que celui-ci soit une personne privée ou une entreprise, pour les retards de l’administration, lorsque son action dépend de cette décision.
Clairement, cette proposition de loi est motivée par une ambition sérieuse et louable de simplification et d’efficacité dans les relations entre usagers et administration, mais la rédaction parfois trop large de certains articles nous appelle à quelque prudence.
Vous connaissez l’attention que nous portons au pouvoir local des maires, comme nous l’avons défendu lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, ou 3DS. Pour autant, nous sommes bien conscients de leur besoin d’accompagnement, d’ingénierie ou de conseil dans certains domaines. Il reste important de développer l’aide et l’appui technique de l’administration centrale et des services déconcentrés auprès des plus petites communes, afin que celles-ci puissent faire face aux demandes nombreuses et variées.
Si je regrette sincèrement que Mme le rapporteur n’ait pas proposé d’amendements en commission, le cas échéant en se mettant d’accord avec l’auteur, ce qui rend nos échanges et notre discussion quelque peu précipitée, je salue les amendements que nous avons étudiés en commission. Le nouvel équilibre trouvé par Mme le rapporteur et par M. Jean-Pierre Sueur, en particulier au travers de la réécriture de l’article 1er, est bénéfique pour le texte.
Aussi, en fonction des résultats de nos échanges et sous réserve de l’adoption des améliorations contenues dans ces amendements, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nul n’est censé ignorer la loi. Cet adage simple cache une réalité complexe, puisque les citoyens sont en permanence confrontés à l’opacité de procédures administratives. Or, pour connaître la loi, il est nécessaire de pouvoir la comprendre, il faut qu’elle soit accessible à tous et non réservée aux initiés. Il y va de l’égalité républicaine.
C’est dans cette logique que, en 2013, le principe selon lequel le silence de l’administration vaut rejet a été renversé, pour laisser la place au principe « le silence vaut acceptation ». L’action ou l’inaction de l’administration devait alors être plus favorable au citoyen et s’inscrire dans la logique d’un autre adage : qui ne dit mot consent.
Tout principe a des exceptions ; celui-ci en a de nombreuses, parfois très vastes, Mme le rapporteur et l’auteur de la proposition de loi l’ont rappelé. Dès l’entrée en vigueur de la loi de 2013, pas moins de 42 décrets d’application ont été publiés, afin de dresser la liste des cas dérogeant au principe « le silence vaut acceptation ». Aujourd’hui, les exceptions sont finalement plus nombreuses que les cas où le principe s’applique…
Quelle lisibilité pour les administrés que de se retrouver face à un principe général, qui souffre tellement d’exceptions que celles-ci finissent par devenir la règle ?
C’est cette problématique qui motive l’objet de cette proposition de loi, laquelle vise à restreindre ces dérogations, notamment en les limitant à des cas prévus par la loi ou en uniformisant les régimes.
Nous abondons dans le sens des auteurs de ce texte, qui cherchent à redonner une signification au principe selon lequel le silence vaut acceptation, afin que celui-ci conduise bien à une simplification du droit. Les citoyens peuvent à juste titre être perdus, parfois énervés, voire fatigués, pour ne pas dire plus, de la complexité des procédures. Un travail doit donc être mené pour aller vers plus de lisibilité et pour faciliter l’interprétation du silence de l’administration.
Néanmoins, cela a été souligné en commission, les conséquences pratiques de telles dispositions pourraient finalement conduire à plus de complexité ; il n’y a qu’à imaginer, par exemple, les précisions et détails qui devraient être inscrits dans la loi pour traduire l’ensemble des dérogations.
C’est pourquoi nous défendons, à l’instar de nos collègues, une solution d’équilibre qui laisse de la place au domaine réglementaire, afin de ne pas contribuer à « surdétailler » la loi, tout en bornant les possibilités de dérogation.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera donc en faveur du compromis résultant des amendements de séance.
Cela étant, nous ne pouvons appréhender la complexification des rapports entre l’administration et les citoyens au travers de cette seule approche, sans en évoquer les raisons structurantes.
Depuis plusieurs mandats présidentiels, les administrés subissent des privatisations, mutualisations et fermetures de services publics. J’ai apprécié, madame la ministre, le joli tableau que vous avez dépeint, en décrivant la présence des maisons France Services et la volonté du Gouvernement d’améliorer la relation entre l’administration et les administrés, mais force est de constater que la réalité est parfois quelque peu différente.
Les objectifs régulièrement affichés de dématérialisation, de rationalisation, pour réduire les coûts ont une incidence réelle sur la qualité du service rendu aux citoyens, sur le fonctionnement même de nos administrations et sur la capacité de celles-ci à répondre et à expliquer.
Le recul, voire l’absence de l’État, l’abandon de pans entiers du territoire (Mme la ministre hoche la tête en signe de dénégation.), notamment dans les collectivités les plus rurales mais également dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : voilà la réalité actuelle.
Mme Cécile Cukierman. Les citoyens peinent à trouver un interlocuteur, alors que leur quotidien exige des démarches administratives constantes. En déléguant les services publics, les différents gouvernements ont mis ces derniers au service du profit et non plus de l’intérêt général.
A contrario, la proximité et le temps sont des gages d’efficacité, qui impliquent inévitablement des moyens humains et financiers. Investir dans les services publics en rendant ceux-ci plus accessibles permet de réduire les inégalités entre citoyens, mais aussi entre collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on l’a dit et répété, cette proposition de loi vise à renforcer le principe législatif selon lequel le silence gardé par l’administration vaut acceptation.
Ce principe général, établi par la loi du 12 novembre 2013, s’applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif.
Le constat est simple : le principe général posé par la loi est affaibli par de très nombreuses exceptions d’origine réglementaire. Le rapport remis le 1er avril 2019 par le Gouvernement au Parlement en témoigne : « si l’on prend en compte l’ensemble des procédures recensées par les ministères, le taux “brut” de SVA […] s’établit à 34 % ».
Ce diagnostic, déjà établi par le Parlement, a généré plusieurs propositions afin de renforcer un principe finalement devenu exception. Ainsi, en 2020, lors de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), le Sénat a proposé des amendements allant dans ce sens, mais ces dispositions ne figurent pas dans le texte final.
Nous tenons donc, en préambule, à remercier l’auteur de cette proposition de loi, qui reprend ces dispositifs et qui les complète, et à saluer également Mme le rapporteur pour le travail qu’elle a effectué.
Madame la ministre, je reprendrai les propos de Cécile Cukierman : la description de l’administration que vous nous avez brossée – présente, à l’écoute, disponible… – ne correspond pas exactement à ce que nous connaissons dans nos territoires. Le monde entier nous envie notre administration, mais elle est aussi capable du meilleur comme du pire, révélant parfois des divergences de jurisprudence d’un département à l’autre, comme s’il s’agissait de deux États ne parlant pas la même langue.
De même, la numérisation n’est pas forcément la bonne solution, sachant que l’illettrisme numérique est encore très important dans certains départements, notamment ruraux.
Cette proposition de loi vise à améliorer l’ensemble des dispositifs tout en veillant à une certaine stabilité. L’administration, qui manque parfois de personnel et qui a beaucoup recours à la messagerie, croule déjà sous les normes : n’en rajoutons pas !
L’objectif de l’auteur de la proposition de loi est d’améliorer la réactivité des services administratifs. Nous ne pouvons que cautionner cette démarche : la confiance doit être la pierre angulaire des relations entre l’administration et les administrés.
Si nous en partageons entièrement l’esprit, les dispositifs initialement mis en place pour le satisfaire nous semblent, en revanche, non efficients. C’est la raison pour laquelle nous suivrons les modifications apportées par notre commission et par Jean-Pierre Sueur.
La nouvelle rédaction de l’article 1er, proposée par voie d’amendement par Mme le rapporteur, encadre plus étroitement les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut exclure l’application du silence vaut acceptation. Cette rédaction de compromis nous semble excellente.
À l’article 2, qui prévoit la publication de deux listes distinctes, nous soutiendrons également les amendements identiques de suppression.
L’objectif de cette proposition de loi ne peut qu’être salué. Les dispositifs proposés dans sa version initiale n’étaient encore qu’en devenir. Le travail mené en commission a permis d’améliorer ces dispositions et le groupe Union Centriste votera ce texte dans la version issue de nos discussions en séance.
Madame la ministre, vous avez parlé de l’administration dans son ensemble et de votre action. Il est vrai que la loi pour un État au service d’une société de confiance et le droit à l’erreur qu’elle instaure ont facilité les relations entre administration et administrés.
Cela étant, il reste des pans entiers qui ne fonctionnent pas. Je pense notamment à l’urbanisme, domaine où tout est de plus en plus compliqué. Je ne pense pas que la dématérialisation permettra de résoudre ces problèmes. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la faute de l’administration, mais aussi celle des normes produites, toujours plus nombreuses – et je ne parle pas des collectivités territoriales, certaines intercommunalités et communes étant amenées à mettre en place des services extrêmement importants pour pouvoir répondre aux besoins de ce millefeuille, dont nous débattons sans cesse sans jamais parvenir à trouver une solution. Vous connaissez parfaitement ces questions, madame la ministre, notamment en ce qui concerne les normes nationales et européennes.
Tous ces sujets sont éminemment irritants, surtout dans nos territoires les plus ruraux. Il faut apporter toutes les modifications possibles pour améliorer ces relations. Nos administrés, nos concitoyens ont besoin de proximité. Or les centres de décision s’éloignent, les préfectures ferment, les services se font plus lointains… (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)
Vous faites signe que non, mais c’est bien ce que nous vivons au quotidien, madame la ministre. Votre gouvernement ne fait d’ailleurs que suivre une pente déjà amorcée par d’autres…
Le groupe Union Centriste votera ce texte dans la rédaction résultant de nos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au début du XXe siècle, une série de travaux sur la question du silence de l’administration a mobilisé les plus éminents juristes de l’époque, comme Maurice Hauriou ou Gaston Jèze, mais aussi d’autres, moins remarqués, comme Jacques Parrical de Chammard, qui a soutenu, en 1911, une thèse intitulée Le Recours contre le déni d’administration – chacun appréciera la formule… (Sourires.)
La doctrine aboutissait à une conclusion similaire sur cette question : la manifestation de volonté est l’élément indispensable de l’acte administratif. Le silence ne saurait donc constituer l’expression d’une volonté positive, de sorte que l’inertie de l’administration révélait alors l’absence de décision et le refus d’exercer la fonction.
Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, dans une décision du 26 juin 1969, le jeune Conseil constitutionnel énonçait encore « que d’après un principe général de notre droit le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet et, qu’en l’espèce, il ne peut y être dérogé que par une décision législative ».
Cette mise en perspective nous dit bien le bouleversement qu’a représenté la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, qui a marqué une rupture symbolique : le silence de l’administration devrait désormais valoir acceptation.
Deux ans plus tard, ce principe fut inscrit dans le code des relations entre le public et l’administration. Toutefois, s’engager dans une telle mutation du droit de l’administration ne fut simple qu’en apparence.
Comme cela a été exposé, dès l’écriture du texte, une fois le nouveau principe posé, le code des relations entre le public et l’administration a admis la possibilité d’exceptions nombreuses dans ses articles L. 231-4 à L. 231-6, en renvoyant notamment au pouvoir réglementaire le soin de dresser la liste des procédures auxquelles la nouvelle règle ne s’appliquerait pas. En définitive, moins de la moitié des procédures administratives ont fini par être concernées.
Très tôt, les commentateurs du nouveau code, à l’instar du professeur de droit public Paul Cassia, ont souligné qu’en réalité il n’y avait plus, s’agissant du sens du silence de l’administration, ni principe ni exception. Chaque procédure administrative est dans une catégorie particulière.
Dans ces circonstances, le nouveau principe, certes bienvenu, a posé de réelles difficultés : du point de vue des usagers, d’une part, qui peinent à savoir quel régime juridique s’applique à leur demande, du point de vue des administrations, d’autre part – je pense plus particulièrement aux collectivités territoriales, qui doivent également faire face à la multiplication des exceptions et des complications induites.
Avec quelques années de recul, il faut admettre que ce nouveau régime peine toujours à être satisfaisant. Il a trop perdu de vue l’esprit de simplification qui était le sien dans les rapports entre administration et usagers.
Aussi, je salue l’initiative de Dany Wattebled, dont la proposition de loi a vocation, comme il l’a très bien souligné dans son exposé des motifs, à « fluidifier » les rapports de nos concitoyens avec leur administration.
Bien sûr, chercher à résoudre les difficultés que pose l’application du principe « silence vaut acceptation » est une tâche ardue – cela a été souligné lors de l’examen du texte en commission. Toutefois, notre assemblée n’a pas renoncé, comme en témoignent les amendements dont nous aurons à discuter dans quelques instants. Si ceux-ci venaient à être adoptés, le groupe RDSE serait très favorable à cette proposition de loi. (MM. Dany Wattebled et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, vous êtes donc revenue nous voir… et vous êtes revenue nous voir pour nous dire que vous vouliez « réhumaniser le service public ». (Mme la ministre acquiesce.) Peut-être pourriez-vous commencer par réhumaniser vos relations avec les sénateurs !
La dernière fois que vous êtes venue, nous avons, à une très large majorité, refusé de ratifier une ordonnance, dont les conséquences sont très importantes pour l’organisation de l’État républicain. Je vous ai alors demandé quelles conclusions vous entendiez tirer de ce vote massif du Sénat – pas de réponse de votre part, alors. Je vous repose aujourd’hui cette question. Peut-être allez-vous enfin trouver quelque chose à dire.
Ce matin, par 322 voix pour et 22 contre, nous nous sommes prononcés contre l’abus des ordonnances et avons exprimé notre volonté d’en revenir à des ratifications explicites, expresses, par le Parlement.
Madame la ministre, dans le cadre de la réhumanisation de vos rapports avec nous, quelles conséquences allez-vous en tirer ? Sur ces deux textes, allez-vous saisir l’Assemblée nationale pour que le débat se poursuive ou allez-vous considérer, de manière inflexible, que ce que nous disons n’a aucune importance ? (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)
Vous faites un signe de dénégation… Si cela a de l’importance à vos yeux, indiquez-nous quelles conséquences concrètes vous comptez tirer de nos votes. La dernière fois, vous n’avez rien trouvé à répondre : ce n’est pas une façon de réhumaniser les rapports.
Mme Pascale Gruny. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Le Gouvernement va-t-il continuer ses charrettes d’ordonnances ? Nous en sommes à 318 depuis le début du quinquennat. Allons-nous continuer de voter autant de lois dont nous attendons pendant des mois, voire des années, la publication des décrets d’application ?
Mme Pascale Gruny. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, ce n’est pas le fait de ce seul gouvernement, mais, puisque vous voulez réhumaniser le service public, madame la ministre, il y a de quoi faire…
J’ai bien noté le constat du conseil scientifique : 20 % des lits dans les hôpitaux sont fermés, non seulement parce que médecins et infirmières sont absolument exténués, mais aussi parce que les moyens manquent. Bien évidemment, cette question est tout sauf facile à traiter : nous savons les difficultés, nous savons que celles-ci sont accrues par la crise sanitaire. Pour autant, madame la ministre, qu’allez-vous faire pour réhumaniser l’hôpital ?
La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui est un service du ministère des solidarités et de la santé, que vous connaissez bien, nous apprend que 5 700 lits supplémentaires ont été fermés cette année, en plus de ceux qui l’ont été l’année dernière. Madame la ministre, il ne suffit pas de venir ici et de dire que vous comptez réhumaniser : il y a beaucoup à faire !
Je salue M. Wattebled et Mme Lherbier d’avoir remis d’actualité la loi de 2013, sur laquelle, en 2015, avec Hugues Portelli, j’ai rédigé un rapport d’information évaluant cette loi. Nous avions bien compris que cette loi, qui partait d’un excellent principe, aboutissait à deux listes : une grande liste de cas auxquels le principe selon lequel le silence vaut acceptation s’applique et une autre grande liste de cas auxquels il ne s’applique pas.
Nos concitoyens n’ont évidemment pas le loisir de consulter ces listes à chaque procédure qu’ils engagent. Il faut donc préciser et simplifier.
Je ne prétendrai pas, mes chers collègues, que ce texte nous permet de tout résoudre. Reste que, grâce à votre travail, monsieur Wattebled, au vôtre, madame la rapporteure, ainsi qu’au dialogue que nous avons pu avoir au sein de notre commission, mes chers collègues, nous avons rédigé des amendements dont l’adoption nous permettra de préciser davantage ces deux listes.
Madame la ministre, moi, je ne fais pas de grands discours sur la réhumanisation ; je suis et reste un socialiste réformiste, un rocardien. Je pense que l’on ne peut avancer que pas à pas, réforme après réforme. Sur la question du service public, sur celle de la haute fonction publique et de votre ordonnance dont vous savez qu’elle ne passe pas ici, la moindre des choses serait de nous apporter des réponses !
Je sais bien que le « en même temps » est à la mode, mais on ne peut conjuguer la verticalité perpétuelle avec la réhumanisation dont vous parlez. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDSE, INDEP et Les Républicains – M. Michel Canévet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail constant de Dany Wattebled sur le sujet de l’optimisation de la relation des services de l’État avec les usagers.
Les objectifs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sont honorables et personne, à la lecture de l’exposé des motifs, ne pourrait s’inscrire en sa défaveur. Cependant, il existe un écart entre cet exposé et la réalité technique du dispositif législatif prévu.
En effet, le texte prévoit de « redonner vigueur et effectivité au principe d’ordre législatif selon lequel le silence gardé par l’administration vaut acceptation de la demande formulée par le citoyen », principe introduit par la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.
Or, depuis 2013, la réforme menée sur l’initiative de François Hollande a multiplié les exceptions, en sacrifiant la lisibilité du droit pour les usagers. Les faiblesses intrinsèques à ce principe n’ont jamais été surmontées et posent aujourd’hui difficulté.
Comme l’a souligné Mme le rapporteur, que je salue pour la qualité du travail réalisé, les sept articles proposés par notre collègue posent quelques difficultés d’ordre technique.
Ainsi, l’existence de deux listes distinctes prévue à l’article 2 pourrait pénaliser certaines administrations, notamment celles des collectivités territoriales, alors même qu’elles n’ont pas la charge de leur publication, ce qui engendre une insécurité juridique.
Dans l’ensemble, les dérogations proposées ne sont pas toutes pertinentes et l’administration demeure la mieux placée pour adapter ses réponses à chaque cas d’espèce.
En conséquence, certains membres du groupe RDPI voteront contre cette proposition de loi et d’autres s’abstiendront.
En tant que parlementaires, nous appelons toutefois à poursuivre les réflexions sur le sujet.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler les nombreuses démarches que le Gouvernement a entreprises depuis le début de ce quinquennat, avec un objectif clair et précis : renforcer l’accessibilité, l’efficacité et la qualité du service rendu, la confiance, la réactivité des services administratifs.
Je pense à la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite Essoc, qui consacre et met en œuvre le droit à l’erreur.
Je pense aussi à la simplification des démarches administratives. À titre d’exemple, depuis le début du quinquennat, la part des services publics disponibles en ligne est passée de 63 % à 85 % s’agissant des 250 démarches du quotidien.
De nombreuses démarches en ligne sont plébiscitées par les Français. Je pense notamment à la réalisation d’une pré-plainte.
Cette simplification des démarches administratives est complétée par le programme Services Publics +, qui permet à chaque usager de partager son expérience dans ses relations avec l’administration, de donner son avis après avoir réalisé une démarche en ligne ou de partager de manière plus qualitative une expérience vécue.
En un an, ce sont près de 3 millions d’usagers qui ont donné leur avis sur une démarche en ligne.
Par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, le Gouvernement a également apporté de nombreuses améliorations. Je pense notamment à la dispense de justificatif de domicile pour l’obtention des cartes d’identité, passeports et permis de conduire, avec la généralisation prochaine du dispositif Justif’Adresse.
Mes chers collègues, plusieurs chantiers ont été menés pour réformer l’administration dans plusieurs domaines, mais il reste beaucoup à accomplir. Par exemple, Samantha Cazebonne, récemment élue sénatrice des Français de l’étranger, m’a rapporté que ces derniers faisaient face à certaines difficultés pour le renouvellement de leur titre d’identité auprès des services consulaires.
C’est un travail de long terme que le Gouvernement a engagé. Il se poursuit avec un objectif : avoir des services publics de proximité plus simples et toujours au service des usagers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour le travail mené par Dany Wattebled. La proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à notre examen s’attaque à un sujet qui concerne le quotidien des Français.
La relation entre l’administration et les Français est une histoire longue et compliquée. On pense à Georges Pompidou, en 1966 – il était alors Premier ministre –, s’exclamant, lorsque ses conseillers lui apportaient des décrets : « Cessez d’emmerder les Français ! » (Sourires.)
Pourtant, on le sait, l’administration a un rôle extrêmement important en France, pour structurer et organiser le pays, pour faire vivre l’égalité, en tout cas une forme d’égalité.
En 2013, sous le quinquennat de François Hollande, il y a eu une volonté – c’est un élément à mettre à son actif – de simplifier. Malheureusement, ce fut Le Cid, mais à l’envers : nous partîmes pleins de bonne volonté, soutenus par un prompt renfort de nos structures ; quand nous arrivâmes, il n’y avait plus grand-chose et le choc de simplification était devenu un choc de complexité. (Sourires.)
D’aucuns l’ont souligné, les Français ne s’y retrouvent plus, qu’il s’agisse d’autorisation pour des travaux, d’autorisation pour une entreprise qui souhaite mener un projet, ou du curage d’un fossé ! Plus personne ne sait où nous en sommes depuis ce fameux choc.
Cela soulève la grande question, plus générale – le sujet que nous examinons aujourd’hui n’en est que le symptôme –, du fossé entre la volonté politique exprimée par les parlementaires et la réalité observée in fine. Entre-temps, c’est la technostructure qui a repris la main.
Finalement, on l’entend souvent, cela crée un État lourd, lent, complexe et difficilement accessible aux Français.
Le problème, c’est que l’État a trop de travail. Pour produire décret sur décret et norme sur norme, il faut des gens pour les concevoir, les appliquer, les organiser, les contrôler et, le cas échéant, pour sanctionner.
Ce système, beaucoup trop lourd, ankylose le pays. Tout en avançant modestement sur ce sujet, j’estime que la notion de simplification est devenue urgente.
Selon moi, madame la ministre, si l’on essaie de réformer ce qui existe, on ne pourra que complexifier – la proposition de loi que nous examinons ce soir le montre d’ailleurs. À un moment donné, il faudra certainement avoir le courage de la page blanche, pour tout reprendre sans pour autant repartir de zéro. Je conçois que ce n’est pas simple.
Sans surprise, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront la proposition de loi de Dany Wattebled. C’est un premier pas dans la porte, en vue d’un effort de simplification visant à une meilleure compréhension entre les Français et leur administration. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en déposant cette proposition de loi, Dany Wattebled nourrit, sur le fond, l’intention partagée de redonner tout son sens et toute son efficacité au principe législatif selon lequel le silence gardé par l’administration vaut acceptation de la demande formulée par le citoyen, dans le but, louable, de simplifier son rapport à l’administration.
Sur la forme cependant, les moyens développés dans cette proposition de loi restent à discuter et doivent surtout évoluer, comme l’a indiqué à juste titre Mme le rapporteur, Brigitte Lherbier, au nom de la commission des lois.
Aussi, je m’attacherai plutôt à pointer les difficultés liées à l’application du principe selon lequel le silence vaut acceptation et à commenter l’intitulé du texte, qui nous porte vers un sujet au rayonnement bien plus large, puisqu’il s’agit bel et bien d’aborder le rapport des Français à leur administration.
En 2013, le principe selon lequel le silence de l’administration signifie décision implicite de rejet de la demande, qui prévalait depuis 1864, est inversé. Désormais, le silence gardé par l’administration vaut acceptation. Au fond, il s’agit de deux cas de figure tirant les conséquences d’une lenteur et d’une complexité administratives.
La mise en œuvre de cette « révolution juridique », ainsi que la qualifiait le gouvernement d’alors – le terme paraît rétrospectivement un peu fort –, se révéla bien compliquée. Le secrétariat d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification dut réaliser une revue exhaustive des quelque 3 600 procédures prévues par les textes législatifs ou réglementaires et relevant de l’ensemble des ministères : 1 900 procédures seraient encore éligibles à ce dispositif. On aurait pu se dire que cela aurait été l’occasion d’identifier celles qui pourraient être supprimées, tout au moins allégées. On ignore si tel a été réellement le cas : peut-être est-il temps de répondre à cette question.
Nous le savons, le principe général posé par la loi est affaibli par trop d’exceptions. L’administration elle-même a du mal à s’y retrouver.
La crise sanitaire a d’ailleurs éclairé d’une lumière particulière le sujet. Ainsi, la gestion de dossiers communaux par les services de l’État a pu prendre du retard durant les confinements. Selon la direction de l’information légale et administrative, certains d’entre eux, restés lettre morte après plus de deux mois d’instruction, se voient rejetés, sans que leur contenu ait été examiné, alors même que le sujet n’entre pas dans les exceptions.
Le Gouvernement ne devrait-il pas s’alarmer d’une telle situation ? Le citoyen doit-il souffrir des défaillances de l’administration ?
Un exemple supplémentaire en matière de couacs administratifs vient de nous être donné avec l’affaire de la ferme des mille vaches, portée jusque devant le Conseil d’État. Les juristes y trouveront matière à réflexion, les pragmatiques, un exemple des subtilités paralysantes de notre droit ; les pétitionnaires nourriront quant à eux, on le devine, incompréhension et sentiment d’injustice.
Mettre l’administration au service de l’usager, c’est aussi faciliter l’accès aux services publics, en maintenant ces derniers dans les villages et en simplifiant et facilitant les démarches désormais dématérialisées.
Alors que la pandémie continue de produire ses effets, la déclinaison sur internet de 250 démarches administratives est annoncée pour 2022. Le Secours populaire et bien d’autres s’inquiètent de cette bascule, qu’ils jugent trop brusque. Elle risque de laisser les personnes fragiles encore un peu plus démunies.
La numérisation des services publics en France va-t-elle trop vite ou trop loin ? Elle laisse, en tout cas, trop de monde sur le carreau. Que dire alors du rapport de l’administration avec les usagers ? Que dire encore de cette transition trop souvent mal vécue, qui vide nos territoires ruraux de leurs services publics ?
Au fond, cette proposition de loi exprime notre volonté de bénéficier d’un système plus efficace, moins compliqué, plus attentif, plus proche du citoyen et, finalement, plus humain.
L’administration au service des usagers doit faire preuve de pragmatisme, être l’expression du bon sens. Le couple renforcé préfet-maire, s’il se voyait confier plus de pouvoirs, pourrait apporter ce souffle attendu, grâce à l’attribution de nouveaux pouvoirs. Il est en effet au cœur du terrain et de notre actualité, y compris législative.
Sans cela, je crains que les rapports de nos concitoyens avec leur administration ne se durcissent et éloignent les plus fragiles des politiques publiques et, plus grave encore, de leurs droits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les auteurs de la proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers, à savoir Dany Wattebled et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Il s’agit d’un sujet très important, mais très compliqué.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, il faut améliorer le quotidien des Français. Nous avons trois fonctions publiques : la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. La crise sanitaire a mis en évidence de nombreuses problématiques majeures, sources de dysfonctionnements, de difficultés et d’inquiétudes, liées à la réglementation ou touchant la santé.
Dans chaque département, le représentant de l’État est le préfet. Nous avons évoqué ces questions en commission des finances dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, notamment de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Madame la ministre, vous vous êtes rendue dans le département des Ardennes le 15 janvier 2021 (Mme la ministre le confirme.), ce dont je vous remercie, pour visiter, dans la matinée, une maison de santé et, dans l’après-midi, un centre de formation des jeunes, avant de participer à une rencontre avec le représentant de l’État et les acteurs de votre ministère de la transformation et de la fonction publiques. Je garde en mémoire cette journée fort utile, à laquelle de nombreux représentants des grands services publics étaient associés.
Prenons l’exemple de l’éducation nationale. Alors que nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 et, les semaines suivantes, le projet de loi de finances pour 2022, nous constatons que de nombreux problèmes se posent. Les usagers ont du mal à trouver à qui s’adresser ; certes, la situation diffère suivant les départements, car il s’agit bien souvent d’une question de personnes. Reste qu’il est important d’identifier les interlocuteurs.
C’est la raison pour laquelle je souligne votre déplacement dans les Ardennes, au cours duquel de nombreuses problématiques ont été abordées. Ces dernières se retrouvent dans la proposition de loi de Dany Wattebled, car ce texte part des observations de terrain.
Madame la ministre, vous avez cité les espaces France Services. Malheureusement, on constate que les administrations sont de moins en moins présentes sur le terrain. Je pense aux trésoreries ou à tout ce qui relève du secteur social.
Tout cela altère le lien de proximité avec les élus. Comme de nombreux autres collègues, j’ai été maire d’une petite commune. J’avais alors des interlocuteurs de proximité, qui jouaient un rôle important. Il est crucial de les identifier clairement.
On le sait, la tâche reste immense. Notre groupe suivra la position de la commission et votera ce texte après l’adoption des amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux me faire bien comprendre des uns et des autres.
Il est bien évident que les enjeux liés à la relation de confiance entre les administrations et les usagers et à la simplification ne sont en rien épuisés. De notre côté, nous ne faisons preuve d’aucune autosatisfaction. Pour autant, nous avons mené des chantiers qui ont débouché sur des résultats et il m’a paru utile de vous les faire connaître.
Par ailleurs, nous sommes tout à fait lucides sur les progrès que nous avons encore à réaliser dans de nombreux champs de la politique publique des territoires, afin de relever les enjeux relatifs aux relations quotidiennes des usagers et de leur administration que vous avez évoqués.
Je souhaite néanmoins revenir sur certains points, car il me semble que vous n’avez pas décrit la réalité de notre pays. Non, ce gouvernement n’a pas fait le choix d’abandonner des pans entiers du territoire, pour livrer les citoyens à eux-mêmes face à l’administration. Nous sommes le premier gouvernement depuis vingt ans à avoir décidé non pas de fermer des services publics, mais de rouvrir 2 000 lieux d’accueil partout en France, pour que les Français, dans chaque canton, soit à quinze minutes ou vingt minutes de chez eux, disposent d’un lieu où ils peuvent rencontrer des personnes formées et polyvalentes susceptibles de les accompagner dans leurs démarches. Cela s’appelle France Services.
Dans la Loire, madame la sénatrice, il existe 14 espaces France Services.
Mme Cécile Cukierman. Et donc ? Je n’ai pas dit le contraire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. On ne peut pas considérer que de tels espaces n’existent pas et que les Français sont complètement livrés à eux-mêmes, sans aucun accompagnement, confrontés à l’abandon des territoires.
Mme Cécile Cukierman. Je n’ai jamais dit cela !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame Goulet, nous avons fait le choix résolu de créer une inflexion, une rupture, par rapport à ce qui avait été la pente des gouvernements entre 2007 et 2012, puis entre 2012 et 2017.
Conformément à l’engagement de Jean Castex dans le cadre de sa déclaration de politique générale, nous agissons pour réarmer l’État territorial. Ainsi, en 2021 et 2022, nous sommes le premier gouvernement depuis 2008 à assumer le choix de remettre des agents dans les départements, sur le terrain.
Aujourd’hui encore, un point a été fait entre le Premier ministre et l’ensemble des ministères sur le déploiement de cette dynamique.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre dire, nous n’avons fermé aucune préfecture ou sous-préfecture pendant ce quinquennat. En revanche, nous avons remis le couple maire-préfet au cœur du dispositif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre d’entre vous ont soutenu le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution. Nous avons mis en place des dérogations. Nous croyons donc à cette proximité et nous croyons résolument à la déconcentration. Nous ne pouvons pas faire tenir ni tourner notre pays uniquement avec des circulaires et des normes parisiennes. Cela correspond d’autant moins à l’état du pays après la crise sanitaire : la France est hétérogène.
Qu’il s’agisse du plan de relance, des enjeux sociaux ou de la jeunesse, il est nécessaire de traiter les sujets au plus près du terrain. Une attention particulière doit donc être accordée à l’échelon départemental.
Monsieur Sueur, puisque ni la réforme de la haute fonction publique ni celle de l’hôpital, secteur qui, comme l’a encore rappelé Olivier Véran récemment, présente des besoins importants en termes de recrutements, ne semblent vous convenir, je vous propose que nous ayons une discussion à part, en dehors de cet hémicycle, sur les questions que vous soulevez. Je me tiens évidemment à votre disposition pour y répondre.
Oui, notre objectif est bien de réhumaniser le service public et il n’est pas question de numériser pour numériser, madame Demas. Une immense majorité de Français accomplissent aujourd’hui l’intégralité de leurs démarches en ligne et se félicitent de pouvoir le faire sans se déplacer, aux horaires qui leur conviennent.
Il serait objectivement étrange que la ministre de la transformation et de la fonction publiques que je suis déclare ne pas souhaiter accélérer la numérisation au motif que celle-ci ne serait pas un choix pour certains. Au contraire, mon intention est de faire du « bon » numérique pour tous ceux qui veulent du numérique, tout en mettant en place du « très bon » accompagnement dans des lieux comme France Services. Nous déploierons à cet effet 4 000 conseillers numériques dans le pays, notamment au travers de lieux d’accueil personnalisé.
La semaine dernière, j’ai reçu au ministère les représentants de toutes les associations qui accompagnent les plus fragiles et plus vulnérables de nos concitoyens. Mon ambition est que nous puissions travailler tous ensemble, non pas pour imposer une numérisation à marche forcée, comme je l’entends parfois dire, mais pour déployer, à côté d’un très bon numérique, un accompagnement humanisé de très grande qualité.
D’ailleurs, toutes les associations sont prêtes et travaillent sur le terrain, territoire par territoire, pour faire vivre le maillage de proximité et pour faire de France Services, je le redis, le nouveau réseau de proximité pour nos concitoyens. Certains d’entre eux ne se mettront jamais au numérique, d’autres y viendront d’eux-mêmes, mais d’autres finiront peut-être par opter pour le numérique parce qu’ils auront été accompagnés et formés.
Je tenais à apporter toutes ces précisions, en préambule, afin que ce débat ne soit pas éloigné et déconnecté de l’action que nous menons.
Je suis tout à fait réaliste sur le chemin qu’il nous reste encore à parcourir. Quoi qu’il en soit, ce gouvernement a bel et bien fait le choix, notamment depuis 2018, de réimplanter au cœur de nos territoires des lieux d’accueil et d’accompagnement.
Je salue d’ailleurs l’investissement des élus locaux en ce sens. Le financement des maisons France Services repose en effet en partie sur les collectivités et en partie sur l’État, ainsi parfois que sur des dépenses associatives.
C’est un travail collectif que nous menons et que je tiens ici à valoriser. Jacqueline Gourault y prend également toute sa part, en lien avec les élus. C’est cet effort que je place au cœur de la stratégie de service public qui est la nôtre aujourd’hui.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers
Article 1er
I. – L’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration est abrogé.
II. – Les dérogations au principe selon lequel silence vaut acceptation ne peuvent être autorisées que par la loi.
III. – Le I et le II du présent article entrent en vigueur deux ans après la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :
1° L’article L. 231-5 est ainsi rédigé :
« Art L. 231-5. – Par dérogation à l’article L. 231-1, le principe du silence vaut acceptation peut être écarté par décret en conseil des ministres, après avis du Conseil d’État :
« 1° Lorsque l’accord implique un acte positif de l’administration ;
« 2° Lorsque la demande impose à l’administration un choix entre des options concurrentes ;
« 3° Lorsque l’accord implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la sauvegarde de l’ordre public et la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle ;
« 4° Lorsque l’accord implicite aurait des conséquences négatives pour la sécurité sanitaire ou la protection de l’environnement ;
« 5° Lorsque la demande est liée à une profession réglementée. »
2° Le 4° de l’article L. 231-4 est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, j’ai bien noté que vous étiez prête à me rencontrer « à part », pour reprendre votre expression. Très bien. Je suis toujours ouvert au dialogue. Cependant, je vous ai posé une question précise à laquelle vous n’avez pas répondu : quelles conséquences tirez-vous du vote massif du Sénat contre la ratification de votre ordonnance sur la réforme de la haute fonction publique ?
Je vous ai posé cette question au Sénat, à l’issue d’un débat. Vous n’avez rien répondu. Je suis prêt à tous les dialogues, mais je pense que vous devez répondre à cette question devant notre assemblée, sauf à considérer que notre vote n’a aucune importance !
Je ne comprends pas votre mutisme. Vous devez nous dire les conséquences que vous tirez de notre vote, à tout le moins nous expliquer que vous n’en tirez aucune, si tel est le cas. On reviendrait alors à la verticalité du pouvoir, qui est incompatible avec tous vos appels à la réhumanisation et au dialogue.
L’amendement n° 1 est proche de celui de Mme le rapporteur. Si nous avons maintenu le nôtre, c’est que les dérogations que nous avons prévues, c’est-à-dire les cas où le principe selon lequel le silence vaut acceptation ne s’applique pas, nous paraissent plus claires et plus précises. Toutefois, pour ne pas dépasser le temps de parole qui m’est imparti, puisque ce sont désormais deux minutes qui sont accordées, j’en dirai davantage au moment des explications de vote sur cet amendement. (Sourires.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, aux termes de l’article 36 alinéa 8 de notre règlement intérieur, « l’orateur ne doit pas s’écarter de la question, sinon le président l’y rappelle ».
Je dois donc vous rappeler que vous étiez hors sujet pendant la première minute de votre intervention.
M. Jean-Pierre Sueur. La loi principale, c’est que la parole est libre ici ! Je maintiens ce que j’ai dit.
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi rédigé :
« Art. L. 231-5. – L’application de l’article L. 231-1 peut être écartée par décret en Conseil d’État et en conseil des ministres dans les cas suivants :
« – lorsque la nature d’une demande ne permet pas à l’administration d’y faire droit par sa seule approbation ;
« – lorsqu’une décision implicite d’acceptation de l’administration serait susceptible de porter manifestement atteinte à l’intérêt public ;
« – lorsqu’une demande porte sur l’accès ou l’exercice d’une profession réglementée ;
« – lorsque l’application de l’article L. 231-1 augmenterait significativement le coût de traitement des demandes par l’administration ou porterait spécialement atteinte aux droits des tiers ;
« – lorsqu’une demande n’est pas détachable d’une demande principale pour laquelle l’application de l’article L. 231-1 est exclue. »
La parole est à Mme le rapporteur pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Nous partageons la volonté de l’auteur de la proposition de loi de limiter la marge de manœuvre laissée au pouvoir réglementaire dans l’aménagement du principe selon lequel le silence vaut acceptation, ou SVA.
L’amendement n° 7 vise à substituer à la suppression pure et simple des exceptions un encadrement.
Les critères proposés sont essentiellement inspirés de la jurisprudence administrative et des motifs légitimes invoqués par l’administration pour écarter l’application du SVA sur le fondement de l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration dans sa rédaction actuelle.
L’amendement n° 1 est très proche de celui de la commission. Là où la proposition de loi supprimait purement et simplement les exceptions réglementaires au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation, nos deux amendements tendent à conserver cette possibilité dans un accompagnement et un encadrement plus précis.
Cependant, l’amendement de M. Sueur vise à refondre totalement les exceptions réglementaires prévues par le code des relations entre le public et l’administration. Or, devant la complexité du droit applicable, nous considérons que cette réforme n’est pas opportune : l’administration, comme le public, y perdrait tout repère.
C’est la raison pour laquelle nous nous limitons à expliciter et à objectiver les critères prévus à l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration. En outre, nous avons souhaité fixer de manière plus précise et plus détaillée les critères qui devront être respectés par le pouvoir réglementaire pour écarter le principe du SVA.
C’est la raison pour laquelle la commission souhaite voir adopter l’amendement n° 7 et émet un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Voici ma position globale sur ce texte et sur l’ensemble des amendements qui ont été déposés.
La loi n’est pas à mon sens le meilleur vecteur pour atteindre l’objectif visé, à savoir améliorer la relation entre l’administration et les usagers, et il me semble que nous devrions nous garder de faire des lois sur des questions de nature opérationnelle. Il importe surtout, je le redis, que les administrations répondent. Je pense qu’il faut non pas statuer sur le silence, mais plutôt sur la nature et la rapidité des réponses.
C’est pourquoi, sur ce texte, comme sur l’ensemble des amendements, je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée.
C’est par des actions opérationnelles, avec les agents publics, sur le terrain, en proximité, que nous donnerons des réponses aux citoyens. C’est pour cela que je me bats et c’est pour cela que les agents publics aujourd’hui innovent et transforment leurs méthodes de travail.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. L’amendement n° 7 vise à revenir sur l’article le plus important de cette proposition de loi et à en proposer une réécriture complète.
Comme vous en doutez, je regrette que la commission n’ait pas souhaité donner suite à notre proposition de supprimer purement et simplement l’article L. 231-5, qui ouvre la voie à toutes les dérogations d’ordre réglementaire.
Cependant, comme la réécriture de l’article 1er va dans le sens d’un encadrement plus fort du champ dérogatoire au principe de SVA, nous voterons cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, nonobstant votre intervention, je maintiens mes propos ! (Sourires.)
Nous examinons un texte sur les rapports entre l’administration et les citoyens. L’administration est ici représentée par Mme la ministre et je suis un citoyen-sénateur. Lorsque j’évoque la manière dont Mme la représentante de l’administration répond aux citoyens-sénateurs ici présents, à savoir le mutisme, je suis en plein dans le sujet !
La parole est libre et, même si vous m’admonestez de nouveau pour me signifier que je ne suis pas dans les clous, madame la présidente, je persisterai. Je vous remercie d’ailleurs de votre compréhension, que je sais sincère…
Madame la rapporteure, certes, nos deux amendements convergent. Nous maintenons toutefois le nôtre, mais, s’il n’est pas adopté, nous voterons le vôtre.
Je précise néanmoins avant la mise aux voix de ces amendements qu’au moins deux formulations me paraissent poser problème dans l’amendement n° 7.
D’une part, l’application de l’article L. 231-1 peut être écartée « lorsqu’une décision implicite d’acceptation de l’administration serait susceptible de porter manifestement atteinte à l’intérêt public ». Cette rédaction me semble extrêmement vague. Que signifie « serait susceptible » ?
D’autre part, l’application de cet article est écartée « lorsqu[’elle] augmenterait significativement le coût de traitement des demandes ». Que signifie « significativement » ? S’agit-il de 10 %, 30 %, 70 % ? C’est un terme que je n’aime pas beaucoup dans la loi, tout comme je n’aime pas le terme « déterminant » que l’on a inscrit dans la Constitution, alors que personne ne sait ce que cela veut dire !
En tout état de cause, pour des raisons rédactionnelles, nous préférons notre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je remercie Mme la ministre d’avoir décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat sur l’ensemble des amendements.
C’est tout d’abord une marque de considération que de reconnaître la sagesse du Sénat.
Cela nous permettra ensuite d’aller plus vite, ce qui devrait, madame la ministre, libérer un peu de votre temps de parole pour répondre aux questions qui vous sont posées, notamment à l’excellente question soulevée par M. Sueur.
Cette question ne nous est pas indifférente. Puisque vous n’y avez pas répondu, je la reformule. Madame la ministre, que compte faire le Gouvernement après le vote du Sénat sur l’ordonnance de réforme de la haute fonction publique ?
M. Martin Lévrier. C’est hors sujet !
M. Philippe Bas. Vous n’êtes pas séquestrée au Sénat, madame la ministre, et votre parole est libre. Ne serait-il pas plus simple, dans le même souci de courtoisie que celui qui vous a fait vous en remettre à notre sagesse, que vous répondiez aux questions qui vous sont posées, sans qu’il soit besoin de durcir le propos pour obtenir enfin une réponse ? (Mme la ministre s’impatiente. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme la présidente. Par souci d’égalité, je rappelle de nouveau le règlement. (Sourires.)
Je mets aux voix l’amendement n° 1.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.
Article 2
Après l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 231-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 231-2. – L’information du public est assurée au moyen de la publication de deux listes : la liste des procédures pour lesquelles le silence gardé pendant un délai dérogatoire en vertu de l’article L. 231-6 sur une demande vaut décision d’acceptation et la liste des procédures pour lesquelles le silence gardé pendant deux mois sur une demande vaut décision de rejet.
« Les listes mentionnent l’autorité à laquelle doit être adressée la demande ainsi que, le cas échéant, le délai au terme duquel l’acceptation est acquise.
« Ces listes sont opposables à l’administration et sont mises à jour sans délai. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 8 est présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 2.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 8.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
L’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration est complété par une phrase ainsi rédigée : « Si le requérant en formule la demande auprès de l’administration après l’expiration du délai de deux mois valant rejet, l’administration doit motiver sa décision de refus. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 9 est présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 3 de la proposition de loi est déjà satisfait par l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration, qui dispose que, « à la demande à l’intéressé […] les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ». Cet amendement a donc pour objet sa suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 9.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Article 4
L’article L. 231-6 du code des relations entre le public et l’administration est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce délai est de quatre mois. »
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 231-6 du code des relations entre le public et l’administration est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce délai ne peut être supérieur à six mois. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 4 de la proposition de loi concerne la dérogation non pas au principe du silence vaut acceptation, mais au délai de deux mois du SVA. Ce faisant, il s’agit de substituer, dans tous les cas où ne serait pas appliqué le délai de droit commun de deux mois, un délai unique de quatre mois.
Si nous comprenons l’intention, qui est d’éviter une multiplication de délais différents, nous pensons que l’idée de ce délai unique n’est pas totalement réaliste. Il existe en effet des cas d’urgence qui nécessitent un délai inférieur à deux mois. C’est déjà actuellement le cas pour 10 % des procédures.
Plutôt que de chercher à déterminer un délai unique, nous proposons de fixer un plafond maximal de six mois pour les délais dérogatoires. Pourquoi six mois ? Notre idée est que la procédure du silence vaut acceptation doit apporter une réponse aux usagers dans un délai raisonnable. Une procédure de réponse implicite qui serait encadrée par un délai de silence supérieur à six mois n’aurait pas de sens, mais aller jusqu’à six mois préserve la diversité des situations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé.
Article 5
L’article L. 114-3 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « rejet », sont insérés les mots : « ou d’acceptation » ;
2° La première phrase du second alinéa est supprimée ;
3° À la seconde phrase du même second alinéa, les mots : « cette administration » sont remplacés par les mots : « l’administration compétente ».
Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il est retiré au profit de l’amendement n° 10, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 est retiré.
L’amendement n° 10, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du second alinéa de l’article L. 114-3 est supprimée ;
2° L’article L. 114-5 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est supprimé ;
b) Au troisième alinéa, les mots : « Le délai mentionné au même article au terme duquel » sont remplacés par les mots : « Les délais mentionnés à l’article L. 114-3 aux termes desquels » et les mots : « est suspendu » sont remplacés par les mots : « ou acceptée sont suspendus » ;
c) Au dernier alinéa, les mots : « , selon les cas, » et les mots : « ou au troisième » sont supprimés.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. L’article 5 prévoit que le délai permettant l’acceptation tacite d’une demande commence, le cas échéant, à courir au moment de sa réception par une administration incompétente, comme c’est actuellement le cas pour les demandes pour lesquelles le silence vaut rejet. Or une telle modification pourrait conduire à une administration à recevoir des demandes pour lesquelles une décision implicite d’acceptation serait déjà acquise en l’absence de toute instruction.
En conséquence, cet amendement a pour objet de réécrire l’article 5 afin d’y substituer un nouveau dispositif relatif à la computation des délais conduisant à une décision tacite en cas de demande de pièces complémentaires, en alignant le régime du silence vaut accord (SVA) sur celui du silence vaut rejet (SVR).
Cet amendement tend à ce que, dans les deux cas, ces délais soient suspendus dans l’attente des pièces demandées. Dans le cadre d’une procédure SVA, une demande de pièces de la part de l’administration n’aurait plus pour conséquence de remettre le compteur à zéro, mais suspendrait simplement le délai qui a déjà commencé à courir à la réception de la demande par l’administration compétente.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Si cet amendement tend à remanier assez substantiellement le dispositif de l’article 5, il en partage néanmoins les objectifs, en clarifiant et simplifiant les procédures du point de vue non de l’administration, mais des usagers. Cette démarche est salutaire.
J’en profite pour saluer le travail mené par Mme le rapporteur. Il a permis de faire émerger cette proposition complémentaire, à laquelle nous n’avions pas pensé, mais qui correspond exactement à l’esprit de la proposition initiale.
Nous voterons donc cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 5 est ainsi rédigé.
Article 6
Le code des relations avec le public et l’administration est ainsi modifié :
1° À l’article L. 232-2, après le mot : « administration », sont insérés les mots : « dans un délai de quinze jours à compter de sa réception » ;
2° L’article L. 232-3 est complété par les mots : « dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande » ;
3° Le second alinéa de l’article L. 232-4 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « , formulée dans les délais du recours contentieux » sont supprimés ;
b) Au début de la seconde phrase, les mots : « Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision » sont remplacés par les mots : « Si cette demande est formulée dans le délai du recours contentieux, celui-ci ».
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur la suppression de l’obligation faite à l’usager de formuler une demande de motivation d’une décision implicite de rejet avant le terme du délai de recours contentieux.
En effet, la suppression de cette condition de forclusion pourrait être particulièrement dommageable pour l’administration, qui s’exposerait à des demandes de motivation tardives.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix l’amendement n° 11.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
I. – La dixième ligne du tableau constituant le second alinéa des articles L. 552-3, L. 562-3 et L. 572-1 du code des relations avec le public et l’administration est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
articles L. 114-1 et L. 114-2 |
Résultant de l’ordonnance n° 2015-1341 |
|
article L. 114-3 |
Résultant de la loi n° … du … visant à mettre l’administration au service des usagers |
||
articles L. 114-4 et L. 114-5 |
Résultant de l’ordonnance n° 2015-1341 |
» |
II. – Le tableau constituant le second alinéa des articles L. 552-6, L. 562-6 et L. 573-2 du même code est ainsi modifié :
1° Après la seizième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
article L. 231-2 |
Résultant de la loi n° … du … visant à mettre l’administration au service des usagers |
» ; |
2° Les dix-septième et dix-huitième lignes sont remplacées par quatre lignes ainsi rédigées :
« |
article L. 231-4 |
Résultant de l’ordonnance n° 2015-1341 |
|
articles L. 231-5 et L. 231-6 |
Résultant de la loi n° … du … visant à mettre l’administration au service des usagers |
||
article L. 232-1 |
Résultant de l’ordonnance n° 2015-1341 |
||
articles L. 232-2 à L. 232-4 |
Résultant de la loi n° … du … visant à mettre l’administration au service des usagers |
» |
Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par Mme Lherbier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, tableau
1° Dernière ligne
Supprimer les mots :
et L. 114-5
2° Compléter ce tableau par une ligne ainsi rédigée :
L. 114-5 |
Résultant de la loi n° … du … visant à mettre l’administration au service des usagers |
II. – Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
III. – Alinéa 7, tableau
1° Dernière ligne
Remplacer la référence :
L. 232-4
par la référence :
L. 232-3
2° Compléter ce tableau par une ligne ainsi rédigée :
L. 232-4 |
Résultant de l’ordonnance n° 2015-1341 |
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix l’amendement n° 12.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Après l’article 7
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi entre en vigueur deux ans après sa promulgation.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à préciser que cette proposition de loi entre en vigueur deux ans après sa promulgation. Dans la version initiale de ce texte, le délai de deux ans s’appliquait à l’article 1er, avec pour effet de faire tomber l’ensemble du dispositif pendant cette durée.
En reprenant cette formulation à la fin de ce texte, nous ne remettons nullement en cause tous les cas où le silence vaut acceptation, mais nous laissons du temps à l’administration pour qu’elle s’adapte aux nouvelles dispositions et en prépare la mise en œuvre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je mets aux voix l’amendement n° 6.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très heureux du débat que nous avons eu cet après-midi sur ce texte.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je suis convaincu de la nécessité de renforcer le principe selon lequel le silence vaut acceptation. C’est une attente forte des Français, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises.
Nous sommes nombreux dans cette enceinte à vouloir simplifier le fonctionnement de notre administration. Nous avons aujourd’hui une occasion de proposer des avancées concrètes. Le texte que j’ai déposé avançait des solutions assez radicales. La commission, dans sa grande sagesse, a choisi de modérer le dispositif de façon pragmatique et réaliste.
Je salue de nouveau le travail de Mme le rapporteur, qui a tenu à élaborer un texte équilibré et raisonnable, susceptible de rassembler mes collègues de la commission des lois et de réunir au-delà des clivages.
Le Sénat envoie ainsi un message fort. La balle est désormais dans le camp du Gouvernement. Je suis très heureux que ce dernier s’en soit remis à la sagesse de la Haute Assemblée.
J’espère que nous pourrons saisir cette opportunité pour travailler dans les prochains mois. Bien évidemment, nous voterons favorablement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à mettre l’administration au service des usagers.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
8
Vigilance sanitaire
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire (projet n° 131, résultat des travaux de la commission n° 136, rapport n° 135).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui en nouvelle lecture le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, après avoir constaté mardi en commission mixte paritaire qu’un accord ne pouvait être trouvé.
Les deux assemblées ont pourtant considéré, l’une comme l’autre, que la situation sanitaire justifiait de prolonger les outils donnés au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de covid-19.
Les divergences ont principalement porté sur l’échéance à retenir pour la prochaine période de gestion de la crise sanitaire, ainsi que sur les modifications à apporter aux prérogatives accordées au pouvoir réglementaire.
Dans la mesure où une motion visant à opposer la question préalable au projet de loi a été déposée, nos débats seront brefs, mais permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit ce texte, et ce qu’il permet.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’exprimer devant vous en première lecture, nous n’en avons pas terminé avec l’épidémie de covid. Pour s’en convaincre, il suffit malheureusement d’examiner la situation sanitaire en Europe.
À l’heure où je vous parle, nous sommes confrontés à un risque de rebond épidémique, à l’approche de la période hivernale, propice à une accélération de la circulation virale.
Pratiquement tous les pays européens font face à une hausse des cas, avec une situation préoccupante en Europe de l’Est.
Dans notre pays, on observe depuis plusieurs jours une tendance moins favorable, avec une reprise de la circulation épidémique et, plus récemment, une hausse des hospitalisations et des admissions en soins critiques dans plusieurs territoires. Sans évoquer à ce stade une cinquième vague, nous devons rester vigilants.
C’est particulièrement important alors que nous entrons dans une nouvelle période de mise sous tension de notre système de santé par la circulation simultanée de la covid-19 et d’autres maladies saisonnières comme la bronchiolite, la grippe ou la gastro-entérite.
Dans les prochains mois, nous devrons donc continuer à lutter contre cette épidémie, en poursuivant toutes les actions nécessaires pour protéger la santé des Français.
Ainsi de la vaccination, pour laquelle nous devons convaincre et accompagner nos concitoyens qui ne sont pas encore protégés, en particulier les plus vulnérables. Nous ne devons pas non plus relâcher nos efforts pour la campagne de rappel, qui progresse, mais qui devra progresser encore plus vite. Je m’y emploie avec Olivier Véran.
En complément de la vaccination, nous devons conserver la faculté de prendre les mesures de freinage nécessaires pour limiter la circulation du virus. Tel est bien l’objet du présent projet de loi, qui se projette à une échéance adaptée à l’évolution prévisible de l’épidémie.
De ce point de vue, le choix du 31 juillet prochain est pertinent. Nous savons très bien dès à présent qu’il nous faudra vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été, et la période hivernale amplifiera sa circulation dans les prochains mois.
Je rappelle en outre que la date du 31 juillet a été soumise respectivement au conseil scientifique et au Conseil d’État, qui ont pleinement validé cette orientation, chacun dans son office.
Cette prorogation avait comme corollaire un renforcement de l’information du Parlement. Le rapport d’étape qui sera remis par le Gouvernement d’ici la mi-février permettra ainsi de disposer d’une clause de revoyure, qui pourra bien entendu donner lieu à un débat en commission ou en séance, en présence du Gouvernement.
La remise d’un second rapport d’ici la mi-mai et la production de synthèses mensuelles sur les mesures prises et leur impact sur la situation sanitaire compléteront l’ensemble des initiatives déjà prises par ailleurs pour assurer une information pleine et entière du Parlement.
Quant aux outils de gestion de l’épidémie, le projet de loi permet de les conforter et de les améliorer sur la base du retour d’expérience acquis ces derniers mois, sans en bouleverser l’économie générale. Il permettra ainsi de mieux contrôler le respect de l’obligation vaccinale pour les publics concernés, de lutter avec davantage de rigueur contre les fraudes au passe sanitaire, et de renforcer la campagne de dépistage et de vaccination dans les établissements scolaires.
Les modalités de recours au passe sanitaire ont par ailleurs été précisées, en prévoyant que sa mise en œuvre sera justifiée par la circulation virale ou ses conséquences sur le système de santé, selon des indicateurs que le pouvoir réglementaire devra prendre en compte.
Sans imposer une logique de territorialisation du passe selon un critère sanitaire unique et une valeur de référence directement fixée dans la loi, ces précisions réaffirment le principe d’une mise en œuvre du passe strictement adaptée et proportionnée aux risques sanitaires encourus. Comme le Gouvernement l’a déjà indiqué, l’application du passe sanitaire tel que nous le connaissons depuis l’été sera réexaminée dans les prochaines semaines, et ajustée si la situation le justifie.
Le projet de loi comprend enfin un nombre ciblé de mesures d’accompagnement, qui permettront de faire face aux conséquences de la crise sanitaire, en matière d’activité partielle, de fonctionnement des organes délibérants des collectivités territoriales ou de durée de validité de certaines décisions administratives.
Malgré l’absence d’accord entre les deux assemblées, le projet de loi qui vous a été transmis reprend plusieurs dispositions importantes adoptées par le Sénat en première lecture.
Je pense en particulier à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire en Martinique, adoptée en concertation avec votre commission des lois. La situation dans ce territoire le justifie pleinement, avec une circulation virale qui se maintient à un niveau élevé, un taux d’occupation des lits de réanimation supérieur à 100 % et une couverture vaccinale encore insuffisante.
Je pense également aux dispositions précisant le périmètre de l’obligation vaccinale dans les établissements d’accueil des jeunes enfants, insérées sur l’initiative de Mme Gruny, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Elles permettront de sécuriser juridiquement les orientations retenues depuis le mois d’août pour tenir compte des spécificités de ce secteur.
Je pense enfin à l’article permettant d’accompagner la création de systèmes d’information analogues à SI-DEP en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. C’était une demande forte des élus de ces territoires, et je me félicite que nous puissions directement y répondre dans ce projet de loi pour renforcer localement la gestion et le suivi de l’épidémie.
Enrichi par ces compléments, le projet de loi qui vous a été transmis est un texte équilibré et adapté à la situation sanitaire des prochains mois.
Les prérogatives qu’il permettra de mobiliser s’inscrivent en effet dans un régime juridique précis et exigeant, qui a pleinement fait ses preuves pour concilier l’objectif de protection de la santé publique avec le respect des droits et libertés. Le Sénat a d’ailleurs largement contribué à définir et à préciser ce cadre d’action lors des différents rendez-vous législatifs que nous avons eus depuis mars 2020.
Les différentes mesures prises en application de ce régime devront toujours répondre aux exigences essentielles de nécessité et de proportionnalité, dont le respect sera placé sous le contrôle du juge administratif, y compris par des procédures de référé d’urgence.
J’ajoute également que, si le Gouvernement était amené, compte tenu de la situation sanitaire, à déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire national, le Parlement devrait être impérativement saisi pour autoriser sa mise en œuvre au-delà d’un mois.
M. Philippe Bas, rapporteur. Encore heureux !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous l’aurez compris, ce projet de loi, à l’image des précédents, permettra de protéger la santé des Français en limitant au mieux l’impact des mesures prises sur leur vie quotidienne.
C’est un équilibre difficile, sans cesse renouvelé face à l’évolution de la circulation du virus, à l’irruption de nouveaux variants et à l’état des connaissances. Cet équilibre, le Gouvernement s’emploie chaque jour à le maintenir et à anticiper, car gouverner, c’est prévoir.
Le projet de loi permettra de poursuivre dans cette voie, en disposant des moyens nécessaires pour gérer la suite de la crise sanitaire, avec toutes les garanties requises en termes de libertés publiques.
Permettez-moi de conclure en rappelant que le désaccord entre les deux assemblées sur ce texte n’ôte rien à l’importante mobilisation du Parlement depuis le début de la gestion de cette crise. À cet égard, permettez-moi de saluer une fois encore la participation du Sénat à chacun des rendez-vous législatifs que nous avons eus depuis bientôt deux ans sur ce sujet, souvent dans des conditions de travail difficiles, imposées par les circonstances.
Le Gouvernement restera fidèle à l’approche retenue depuis le début de la crise, en prenant les mesures nécessaires et proportionnées à l’évolution de la situation pour protéger la santé de nos concitoyens dans les meilleures conditions. Je ne doute pas que le Sénat restera fidèle à la sienne, en portant un regard sévère, mais constructif sur notre action. (M. Martin Lévrier et M. le rapporteur applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l’épidémie de covid-19 a fait son apparition en France au début de l’année 2020, notre pays s’est trouvé pris au dépourvu : pas de masques, pas de tests de dépistage, pas de gel hydroalcoolique, pas de pratique des gestes barrières, pas de pratique massive du télétravail, pas de médicaments, pas de vaccins.
À cet égard, notre pays n’a été logé ni à pire ni à meilleure enseigne que beaucoup d’autres. Sauf peut-être, en ce qui concerne la disponibilité des masques et des tests de dépistage : pour les masques, en raison d’une gestion non satisfaisante, du point de vue de l’intérêt national, des stocks constitués plusieurs années auparavant et parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 n’avait pris la mesure du danger ; pour les tests de dépistage, parce que, alors même qu’ils étaient disponibles dans beaucoup de pays d’Asie, il a fallu attendre encore longtemps pour qu’ils le soient en France.
C’est parce que l’ensemble de ces dispositifs concrets et pratiques, aussi bien d’ordre médical que relevant de l’organisation de la société, ne pouvaient être mis en œuvre qu’il a fallu procéder d’une autre manière pour enrayer l’épidémie.
Ce fut le premier confinement et, convenez-en, madame la ministre, le Sénat a répondu présent. Il l’a fait sans porter de jugement sur les responsabilités de la situation à laquelle nous étions confrontés, mais parce qu’il lui est apparu alors que c’était le seul moyen de se donner une chance de limiter la propagation d’une épidémie qui saturait déjà les services hospitaliers et, en particulier, les services de réanimation.
Cette épidémie a connu de nombreux rebondissements. L’expérience acquise depuis mars 2020 doit nous conduire à considérer aujourd’hui que la restriction des libertés individuelles n’est ni le moyen unique ni même le moyen principal qu’il faut mettre en œuvre pour juguler l’épidémie.
La situation est tout de même bien différente, sur tous les points que je viens d’évoquer, par rapport à ce qu’elle était il y a dix-huit mois. Même en matière de médicaments, préventifs ou curatifs, de très grands progrès ont été accomplis. On en annonce d’autres, les premiers pour les prochaines semaines, certains pour les mois qui viennent.
Cela signifie que, à certains égards, les restrictions aux libertés d’aller et venir des Français constituent aujourd’hui des solutions de facilité, alors qu’elles étaient incontournables il y a seulement quelques mois.
Non seulement le Sénat de la République a accepté, en mars 2020, en contradiction avec ce qui fait son identité profonde, des restrictions inévitables à nos libertés, mais il a continué à accorder au Gouvernement, chaque fois qu’il les lui demandait, les moyens d’action qui lui paraissaient proportionnés – après l’avoir vérifié, bien sûr – à la situation sanitaire qu’il s’agissait de maîtriser du mieux que l’exécutif pouvait le faire, avec l’aval du Parlement.
Il l’a fait, encore, quand il s’est agi d’imposer l’utilisation du passe sanitaire à l’entrée des cafés, restaurants, salles de spectacles et lieux rassemblant de nombreux concitoyens, tels les foires, marchés et salons.
On ne pourra pas dire que le Sénat n’a pas répondu présent. On ne pourra pas dire que le Sénat n’a pas assumé ses responsabilités.
Toutefois, pour notre assemblée, la contrepartie de cet engagement aux côtés des autorités sanitaires, c’est l’exigence d’un contrôle parlementaire qui permet d’adapter, pas à pas, les instruments de la lutte contre le covid-19 à la réalité de la situation sanitaire.
Si le régime de l’état d’urgence sanitaire est un régime temporaire qui, dans l’esprit du législateur, peut être activé à tout moment en fonction de l’évolution de l’épidémie, c’est aussi un régime dans lequel les mesures les plus restrictives de nos libertés prises par le Gouvernement – vous l’avez loyalement rappelé, madame la ministre –, ne peuvent être prolongées au-delà d’un mois sans le vote du Parlement. Je me permets de signaler qu’il s’agissait là d’une exigence du Sénat et qu’elle a été, bien sûr, respectée.
Madame la ministre, aujourd’hui encore, le Sénat ne s’oppose pas à ce que les instruments de la lutte contre l’épidémie soient prolongés. Mais de la même façon qu’il l’a toujours fait, il veut que ce soit sous son contrôle et sous le contrôle de l’Assemblée nationale.
Ces droits du Parlement, nous ne pouvons les laisser prescrire, pour une raison très simple, c’est qu’ils ne nous appartiennent pas. Ils ont été institués dans l’intérêt de nos concitoyens. La représentation nationale représente non pas seulement une majorité, mais toutes les sensibilités des Français. C’est pourquoi le rôle du Sénat est particulièrement important dans la lutte contre cette pandémie.
En effet, la majorité sénatoriale et, plus largement, l’ensemble des sénateurs peuvent apporter au débat une voix originale. Chaque fois que nous disons « oui », notre « oui » est celui d’une assemblée indépendante et non alignée. Cela peut contribuer à l’acceptabilité des mesures qui sont prises.
Je dois vous dire, madame la ministre, à la fois ma tristesse et mon étonnement de voir que ce que le Gouvernement a accepté, par exemple il y a trois mois et demi bientôt pour la durée de vie du passe sanitaire, il le refuse pour les mois à venir.
Qu’est-ce qui a donc changé dans les déterminants de la position du Gouvernement ? Je ne parviens pas à croire que la perspective de l’élection présidentielle puisse vous arrêter. Puisque nous avons ici démontré notre esprit de responsabilité, puisque nous avons affiché une certaine cohérence et une certaine continuité dans nos positions sénatoriales, nous n’avons aucune raison de changer d’attitude et nous n’en changerons pas.
En revanche, vous, vous avez changé de position et cela pose une question essentielle : votre intransigeance, la fin de non-recevoir que vous nous opposez, fait nécessairement émerger dans notre esprit le soupçon que des intentions politiques soient à l’origine de cette position qui n’est plus la même qu’à la fin du mois de juillet 2021.
À la tristesse s’ajoutent donc l’incompréhension et le mécontentement face au non-respect de principes fondamentaux de nos institutions démocratiques.
C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, nous réitérons nos positions. Nous ne pouvons admettre l’absence de discussion, dans la mesure où cette discussion – les députés nous l’ont dit –, c’est le Gouvernement qui l’a en réalité interdite. Cela est déplorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise est toujours là et la menace d’une nouvelle vague de l’épidémie se fait sentir.
Nous l’avons dit et répété, et nous le ferons encore et toujours, malgré la lassitude qui pourrait nous gagner : l’urgence n’est plus là. Rien ne peut plus justifier aujourd’hui la perpétuation d’un état d’exception qui met à l’écart le Parlement et porte atteinte, dans un même mouvement, à des libertés essentielles de nos concitoyens. Comment accepter, par exemple, le nouveau rôle dévolu aux directeurs d’école, désormais habilités à exercer une forme de police sanitaire ?
Nous l’avons dit et répété, la conviction démocratique devrait exiger que le Parlement décide et que le Parlement prenne le temps de décider.
Prenons ce débat. Pourquoi une telle précipitation ? Madame la ministre, la France n’est plus à l’arrêt, l’épidémie a reculé grâce à la vaccination, même si la vigilance doit rester de mise. Pourquoi, dans ces conditions, continuer à pratiquer l’oukase, en ne laissant aux sénateurs que quelques jours – quelques heures aujourd’hui – pour examiner des dispositions engageant la vie quotidienne et les libertés de notre peuple pour les mois à venir ?
Nous l’avons dit et répété, le Parlement doit reprendre le pouvoir. Les assemblées peuvent être saisies à tout instant, de nuit comme de jour, y compris pendant l’interruption des travaux liée aux prochains scrutins électoraux, pour débattre, proposer, voter.
La gestion solitaire de la crise sanitaire par Emmanuel Macron n’est plus acceptable. Il ne faut pas s’habituer à ces conseils de défense opaques, dépourvus de fondement constitutionnel, où les décisions sanitaires se prennent. Dois-je rappeler, une fois encore, que la santé ne fait pas partie du domaine réservé du Président de la République ?
Il revient maintenant au Parlement de décider, par la loi, de chaque étape de l’action sanitaire, de manière régulière. Les libertés et la santé de notre peuple ne doivent plus être une affaire de décret ou d’ordonnance, mais bien une affaire reprise en main par ses représentants, par la démocratie.
La question de l’hôpital public est à ce titre symbolique. Le Gouvernement nous promène dans les méandres du passe sanitaire, de cette société de vigilance chère au Président de la République, alors que, dans le même temps, l’hôpital public connaît une crise sans précédent, faisant courir le risque d’un effondrement de notre système de santé en cas de nouvelle vague.
Oui, le Gouvernement fait courir de graves risques à notre pays en ne prenant pas les mesures d’urgence. Or là, il y a urgence, pour redresser l’hôpital public et rouvrir, ici et maintenant, les milliers de lits qui ont été fermés.
La suppression, par la majorité En Marche, de la demande de rapport votée par le Sénat sur l’initiative de notre groupe est, à cet égard, assez éclairante. L’Assemblée nationale a balayé les propositions du Sénat. Nous avions, pour notre part, alerté sur le danger d’essayer d’aménager un dispositif de restriction des libertés aussi fort que cet état d’urgence et son excroissance, le passe sanitaire. Si, dans le dispositif proposé, le cadre juridique de l’état d’urgence était supprimé, l’état d’esprit demeurait et permettait, de fait, le retour de la copie à l’original, jugé plus efficace.
C’est pourquoi nous avons voté contre le texte du Sénat. Certes, ce dernier améliorait fortement le dispositif gouvernemental, mais il ne s’opposait pas frontalement à la logique autoritaire et infantilisante qui est celle du Gouvernement.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE se prononcent clairement contre la prorogation de l’état d’urgence et du passe sanitaire. Ils rappellent que les nécessités de l’heure sont le redressement de l’hôpital public, la prise en compte du devenir des personnels souvent démissionnaires ou suspendus du fait de la non-vaccination, mais certainement pas cette captation du pouvoir par l’exécutif, qui accélère le passage à ce que nous appellerons non pas une société de vigilance, mais une société de surveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa et M. Guy Benarroche applaudissent également.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapporteur Philippe Bas nous ayant longuement exposé la situation, mon intervention sera brève.
Profitons néanmoins de ce moment, mes chers collègues, parce que nous n’allons plus parler de ce sujet avant le mois de juillet ! (Sourires.)
Le Sénat avait exprimé, dans ce débat, une position claire : l’échéance fixée à l’été 2022 n’est pas raisonnable. Cela reviendrait à enjamber deux élections, dans des conditions qui nous semblent inacceptables et d’autant moins justifiées que le Sénat comme l’Assemblée nationale – cela a été dit et répété – peuvent se réunir en période électorale sur simple convocation. Il n’y avait donc pas de difficultés et vraiment pas d’urgence.
Nous continuons à penser qu’il aurait été plus démocratique de ne prolonger le régime très largement dérogatoire au droit commun que nous propose le Gouvernement que pour trois mois ; plus démocratique d’en débattre à l’issue de cette période et, le cas échéant, de voter de nouveau. La vraie raison, Philippe Bas l’a suggéré, est peut-être politique…
Le Sénat proposait, comme horizon de sortie du passe sanitaire, de s’appuyer sur le taux de vaccination par département. Le Gouvernement n’a rien voulu entendre. Je dois dire que, à titre personnel, j’étais un peu réservée sur cette départementalisation, compte tenu du fait, notamment, qu’elle compliquerait le passage d’un département à l’autre. Quoi qu’il en soit, des propositions ont été faites.
Je ne parle même pas de l’article 4, madame la ministre, et des graves atteintes au secret médical dans les écoles, qui sont quand même très problématiques.
Éliane Assassi a évoqué le rapport sur l’hôpital. Force est de reconnaître qu’il existe un lien de connexité entre la situation sanitaire de notre pays et la situation de l’hôpital. On ne peut disjoindre les deux sujets.
Certes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 sera examiné prochainement. Vous nous apporterez peut-être à cette occasion les indications que nous attendons sur la situation de l’hôpital. En attendant, la demande de rapport adoptée par le Sénat était loin d’être injustifiée. Il est vraiment dommage que cette disposition ait été supprimée du texte de l’Assemblée nationale.
Toutes les conditions d’un dialogue constructif n’ont pas été réunies. Nous soutiendrons donc la motion tendant à opposer la question préalable qui sera proposée par notre commission des lois.
Quelques mots enfin, madame la ministre, pour vous dire que j’attends avec gourmandise la décision éventuelle du Conseil constitutionnel sur l’amendement n° 90 du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale rétablissant l’habilitation à procéder par ordonnance que le Sénat avait supprimée.
En la matière, la Constitution et la jurisprudence sont très claires : aucun parlementaire ne peut se défaire lui-même de ses propres compétences au profit du Gouvernement. Pour ce faire, il eût fallu que cet amendement fût déposé par le Gouvernement, et sûrement pas par un parlementaire.
J’ignore si un recours sera déposé. En tout état de cause, cette habilitation à légiférer par ordonnance introduite par l’adoption d’un amendement, fût-il du rapporteur, me semble vouée à un échec cuisant.
En attendant cette décision du Conseil constitutionnel qui ne manquera pas de retenir notre attention, je vous confirme que l’ensemble du groupe Union Centriste votera évidemment la motion proposée.
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des commissions mixtes paritaires qui, lorsqu’elles échouent, nourrissent de profonds regrets.
Mon groupe s’était prononcé majoritairement contre ce projet de loi, y compris dans sa version sénatoriale, et cette commission mixte paritaire nous laisse indifférents.
Bien sûr, nous avions vu l’effort du Sénat visant à ramener la fin des dispositifs exceptionnels à la date du 28 février 2022. Certains de mes collègues avaient d’ailleurs déposé des amendements en commission, afin que la date choisie soit celle du 15 février. Nous avions vu également le travail fastidieux de notre hémicycle au sujet de l’encadrement du passe sanitaire. La territorialisation du dispositif était le minimum attendu.
Seulement, même en l’état, le projet de loi resterait encore peu satisfaisant à mes yeux. Aussi, vous imaginez bien que ce nouveau texte, qui reprend l’essentiel des positions initiales de l’Assemblée nationale, n’arrange rien.
D’abord, le choix de la date représente un obstacle presque insurmontable. Il va de soi que j’entends les arguments du Gouvernement en faveur du 31 juillet 2022 dans la gestion de cette crise : simplicité, efficacité, performance, optimisation. Tout le champ sémantique de la modernité managériale pourrait s’y trouver associé. Pourquoi alors s’embarrasser de vieux outils, ceux du contrôle parlementaire et de l’équilibre institutionnel ?
Il ne faut cependant pas s’y tromper, l’État n’est pas une entreprise, et le Parlement n’a pas à externaliser ses compétences au profit d’autres conseils, sans doute érudits, mais dépourvus de toute légitimité démocratique. Madame la ministre, cette légitimité n’est pas encore tombée en désuétude !
Aussi, je crois que c’est à tort que sera retenue la date du 31 juillet 2022.
Bien entendu, le chemin choisi par le Sénat était le bon, avec l’avancement de la date au 28 février pour la fin des dispositifs, mais il m’est apparu encore insuffisant.
Il ne s’agit pas de nier la situation sanitaire ni de critiquer aveuglément la gestion de la crise. Toutefois, face à ces régimes d’exception qui perdurent, il faut savoir garder un cap. Le nôtre a toujours été le même : tout état d’exception ne peut être envisagé que comme une mesure provisoire et extraordinaire. Il ne saurait nullement s’installer comme un paradigme normal de gouvernement. Or c’est ce qui est en train d’advenir avec ce projet de loi.
Ensuite, il y a ce très controversé passe sanitaire, qui devait demeurer un dispositif exceptionnel en vue d’inciter nos concitoyens à se vacciner.
Je n’y étais déjà pas favorable en juillet dernier, mais force est d’admettre qu’il a pu contribuer à éviter un rebond épidémique estival. Mais alors, pourquoi ne pas profiter du succès du dispositif pour y mettre fin ? La population française est désormais largement vaccinée, et nous ne sommes plus à la traîne comme on pouvait l’entendre voilà encore quelques mois.
Pourquoi donc maintenir ce dispositif si attentatoire aux libertés individuelles ? Pourquoi vouloir pérenniser un outil source d’incompréhension et de frustration ?
Faut-il encore le rappeler, en matière de libertés publiques, la liberté est la règle et la mesure de police doit à tout prix demeurer l’exception. Nous avons su, en responsabilité, admettre l’exception pour un temps, mais revenons désormais au principe : celui de la liberté, qui fait l’essence de notre nation !
Enfin, il y a la question de l’accès aux données virologiques des élèves dans les établissements scolaires. Nous y sommes farouchement opposés. Là également, il faut trouver d’autres moyens. La position du Sénat était la bonne à mes yeux.
Il reste, pour conclure, que nous aurions aimé qu’un débat puisse de nouveau avoir lieu sur ces sujets si graves afin que chacun ait la possibilité de réaffirmer ses positions. Le groupe du RDSE, fidèle à son habitude, se prononcera donc contre la motion déposée.
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, insensible aux arguments du Sénat et au mécontentement croissant de la population, n’a pas infléchi sa position à l’égard de sa stratégie de sortie de crise. Il fait le choix, encore, de l’autorité et de la concentration du pouvoir au détriment de notre bon fonctionnement démocratique, de nos libertés et de la préservation du secret médical.
J’ai déjà exprimé ici ma ferme opposition aux dispositifs proposés dans ce projet de loi. Je réaffirme ce désaccord.
Tout porte à penser que ce virus ne disparaîtra pas totalement de nos vies. Le Gouvernement nous condamne-t-il donc à vivre sous le joug d’infinies prorogations de l’état d’urgence en espérant une éventuelle disparition du virus ? Ce risque, je refuse de l’accepter.
Le seul choix possible est d’apprendre à vivre avec le virus. Il nous faut pour cela mettre en place des solutions pérennes qui nous permettront de sortir du cercle vicieux des prorogations successives d’états d’exception.
Vivre avec le virus implique de posséder un système hospitalier fonctionnel. Or le conseil scientifique estime que 20 % des lits d’hôpitaux sont actuellement indisponibles. Les personnels soignants sont exténués, au bord de la rupture. Les chiffres relatifs à l’absentéisme et aux nombreux départs le prouvent.
Cette situation est la conséquence directe de la politique de santé menée par le Gouvernement, qui est inefficace.
Vivre avec le virus, c’est aussi optimiser l’utilisation des armes que nous possédons. Le vaccin a fait ses preuves. Pourtant, certains de nos concitoyens sont toujours réticents à son utilisation. D’autres, souvent précaires, sont exclus du système de vaccination. La pédagogie envers ces publics doit être développée, tout comme l’information sur la possibilité de recourir à une troisième dose de vaccin. J’appelle aussi le Gouvernement à agir pour faire lever les brevets sur les vaccins. Je le rappelle, la lutte est globale.
Ce débat va se clore par le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable à la suite de notre discussion. Je le déplore. Je voterai pourtant la motion, cette issue étant la seule envisageable face à un gouvernement qui persiste à refuser la tenue d’un débat digne de ce nom. (M. Guy Benarroche applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est le onzième texte relatif aux outils de gestion de la crise sanitaire que nous examinons. Le plus souvent, nous nous sommes accordés en commission mixte paritaire. Il n’en est rien en l’espèce, car les positions de l’Assemblée nationale nous inquiètent.
Les dispositions proposées dans ce texte, et que l’Assemblée nationale souhaite voir mises en œuvre jusqu’au 31 juillet 2022, nous posent un problème sérieux : neuf mois, c’est comme si nous en étions encore à lutter contre la crise sanitaire avec des outils votés en février 2021 – autant dire à une autre époque ! Ces neuf mois sans avoir besoin de revenir devant le Parlement auront deux conséquences : le Président de la République s’évitera un débat pendant la campagne présidentielle et le Gouvernement nommé après l’élection présidentielle, qui aura la responsabilité de la fin de la campagne législative, n’aura pas obtenu la confiance du Parlement. Pourtant, il sera titulaire des pouvoirs que l’Assemblée nationale s’apprête à conférer à votre gouvernement, madame la ministre, sans qu’il y ait de contrôle parlementaire possible pendant cette période.
Nous ne pouvons pas accepter que l’Assemblée nationale nous renvoie un texte qui organise l’abandon de ses propres missions constitutionnelles de contrôle de l’action du Gouvernement pendant de nombreux mois, alors qu’un certain nombre de mesures restreignent les libertés. Nous refusons cette situation.
De surcroît, depuis février 2020 et les cafouillages qu’a rappelés notre rapporteur sur les masques et les tests, qui ont été particulièrement criants en France, nous avons la conviction que, si la gestion de la crise sanitaire s’est améliorée, c’est aussi grâce à la vigilance du Parlement.
Il faut l’adhésion de la population pour que les dispositions proposées et mises en œuvre soient efficaces. Or on obtient cette acceptation par la discussion. Quand le Parlement est porteur d’exigences, et le Sénat en a montré l’exemple de nombreuses fois, cela entraîne l’approbation. C’est ainsi que les libertés individuelles sont protégées.
Nous avons aussi la conviction que débattre et redébattre de ces sujets, c’est non seulement renforcer l’adhésion, mais aussi empêcher la diffusion de fake news, lesquelles se développent quand on évite les débats officiels, notamment au Parlement.
Madame la ministre, nous avons la conviction que mettre le Parlement dans le congélateur pendant neuf mois, c’est affaiblir la lutte contre la crise sanitaire. Or ce n’est pas le moment, car, vous l’avez indiqué, les chiffres, à l’est de l’Europe en particulier, montrent que rien n’est terminé. Ils montrent aussi que, là où la vaccination est questionnée, les contaminations galopent et multiplient les risques de mutation. Rien n’est donc gagné et rien ne saurait être mis en pilotage automatique.
Nous avons trois grands désaccords avec l’Assemblée nationale.
Il y a d’abord la question de la date du 31 juillet 2022. Nous ne pouvons pas croire qu’il soit impossible de se revoir avant le 28 février 2022 pour actualiser les outils et débattre des politiques à mettre en œuvre.
Ensuite, nous n’acceptons pas la communication des données médicales aux directeurs d’école. Cela n’est pas leur rôle. Il n’est pas correct de participer à la violation du secret médical simplement parce que nous n’avons en France que 900 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves. Justifier les atteintes au secret médical par un défaut de moyens n’est pas acceptable.
Enfin, nous regrettons que l’Assemblée nationale refuse une territorialisation du passe sanitaire, qui, faute d’un principe général d’obligation vaccinale, que le groupe socialiste a défendu, permettrait de s’affranchir de cette contrainte dans les territoires où la vaccination est suffisamment généralisée.
Sur aucun de ces points majeurs, la majorité présidentielle n’accepte de discuter, n’accepte d’évoluer. La seule chose qui peut me satisfaire, avec mes collègues représentant les Français de l’étranger, c’est la reprise par l’Assemblée nationale des dispositions portant sur les procurations pour les prochaines élections, le 5 décembre 2021, à l’Assemblée des Français de l’étranger.
Nous considérons enfin que, sans définition sur ce que sera, dans quelques semaines, un parcours vaccinal complet, tout cela est prématuré. Le Gouvernement n’a pas été en mesure de nous indiquer sa position sur la troisième dose et la validité du passe sanitaire. Est-ce qu’à un moment elle sera exigée pour tous ? Pour le vaccin Janssen, après deux mois sans piqûre ? Pour les plus de 65 ans et ceux qui souffrent de comorbidités ? Nous n’en savons rien ! Tout est gardé dans le secret du conseil de défense et réservé aux arbitrages présidentiels.
Madame la ministre, est-ce, selon vous, la meilleure manière de faire accepter les évolutions de ces parcours vaccinaux, qui seront pourtant nécessaires ?
À nos yeux, la vaccination est un devoir civique, qui réduit radicalement les risques de subir une forme grave de la maladie et qui limite le potentiel de contamination.
Nous pensons aussi qu’il est indispensable que le passe sanitaire évolue en conformité avec le règlement européen sur le certificat covid-UE dans les prochaines semaines, afin de faire converger les parcours vaccinaux.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, parce que nous n’avons pas aujourd’hui de réponses du Gouvernement sur ces sujets, nous ne pouvons pas accepter les propositions qui viennent de l’Assemblée nationale. Nous souhaitons pouvoir continuer le débat sur ce texte, sur la base de nos principes et de nos inquiétudes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’échec de la commission mixte paritaire a mis en exergue les profondes divergences entre les textes issus de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le vote émis hier soir par nos collègues députés ne pouvait que confirmer les désaccords entre nos deux chambres.
J’en reprends ici les trois principaux.
Tout d’abord, l’Assemblée nationale a rétabli sa refonte de l’architecture actuelle très complexe, avec ses deux régimes de gestion de la crise sanitaire – état d’urgence sanitaire et régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire –, qui avaient été précédemment approuvés par les deux chambres et validés par le Conseil constitutionnel.
Ensuite, le Sénat souhaite limiter au 28 février 2022 la prorogation de la faculté pour le Gouvernement de mettre en œuvre des mesures de freinage de la pandémie, malgré la reprise épidémique.
Enfin, le troisième désaccord porte sur la territorialisation et la gradation du passe sanitaire.
Quelques réserves sur ce dernier point : l’intérêt du passe sanitaire a été compris par les Français, mais, malheureusement, ils sont encore trop nombreux à ne pas être vaccinés. Le virus circule entre les départements. Les connaissances sur l’épidémie sont évolutives et l’apparition d’un nouveau variant encore plus contagieux reste une hypothèse crédible. Une circulation accrue du virus au cours de la période hivernale n’est plus une probabilité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même s’alarme aujourd’hui du rythme « très préoccupant » de la transmission du virus en Europe.
L’efficacité de la protection du vaccin semble baisser au cours du temps, d’où l’importance de la campagne de rappel. Le variant delta, identifié désormais dans 100 % des séquences analysées, présente une contagiosité plus élevée. « Nous n’avons pas atteint le seuil d’immunité collective », selon le Conseil d’État et l’OMS.
Comment imaginer que le texte dénaturé qui est sorti de notre assemblée après la première lecture, avec l’assouplissement des mesures qu’il aurait engendré, aurait pu répondre à une nouvelle vague déjà forte à nos frontières et perceptible en France ?
Dire que la volonté du Gouvernement était de dessaisir le Parlement de ses prérogatives ou encore qu’il voulait enjamber les élections à venir est, de la part de la majorité des membres du Sénat, une figure de style.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est pourtant la réalité !
M. Martin Lévrier. Nous le savons tous ici : en cas de réenclenchement du régime de l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement fera toujours appel à la validation du Parlement au bout de quatre semaines pour les mesures les plus lourdes.
Enfin, comment peut-on limiter ce débat à une problématique franco-française ? En Europe, les hospitalisations liées au covid-19 ont plus que doublé en une semaine. Le nombre de nouveaux cas par jour est en hausse depuis près de six semaines. Le nombre de nouveaux morts par jour est lui aussi en hausse depuis un peu plus de sept semaines, avec environ 250 000 cas et 3 600 décès quotidiens. Et nous aurions dû baisser la garde ?
Le personnel soignant, sur le pont depuis l’origine de cette crise, n’aurait pas supporté le changement de cap que vous proposiez à l’aube de la période hivernale.
L’expérience acquise depuis dix-huit mois doit nous conforter dans l’utilisation d’une méthodologie et d’outils éprouvés et compris par l’ensemble de nos concitoyens.
Le « en même temps », qui allie sécurité sanitaire et liberté individuelle, a largement fait ses preuves et continue à les faire. Le contretemps que proposait le Sénat en modifiant toute l’architecture du système mettait, quant à lui, en péril les bons résultats déjà obtenus et, surtout, fragilisait la protection que nous devons à nos concitoyens. Aussi, je me réjouis du vote des députés hier soir.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous avons toujours été contre les débats tronqués, nous nous opposerons à la motion qui sera proposée tout à l’heure.
Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le temps presse, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à s’accorder sur un texte commun. Il nous faut cependant décider des moyens dont le Gouvernement pourra disposer afin de gérer la pandémie en cours.
Bien sûr, la situation est bien meilleure qu’il y a quelques mois. Les Français ont fait maintes fois la preuve de leur sens des responsabilités en respectant, depuis plus d’une année maintenant, les mesures barrières. Ils ont également largement plébiscité la vaccination, avant même que le passe sanitaire ne les y incite plus fortement.
L’amélioration de la situation sanitaire dans notre pays, qui compte parmi les mieux vaccinés au monde, ne doit pas nous faire baisser la garde : la pandémie est toujours en cours. La Russie peut en témoigner : le pays est à l’arrêt jusqu’au 7 novembre prochain ; lors de la semaine passée, plus de 1 000 personnes sont décédées du covid chaque jour, ce qui constitue un record depuis le début de la pandémie.
Plus près de nous, plusieurs pays européens connaissent une reprise épidémique qui nous appelle à rester vigilants. Près de 40 000 contaminations quotidiennes ont ainsi été recensées au Royaume-Uni sur les sept derniers jours. L’Allemagne a vu les hospitalisations liées à la covid-19 grimper de 40 % en une semaine.
Nos propres services de santé enregistrent déjà une hausse des hospitalisations, même si la vaccination permet à notre pays de mieux résister. En effet, le vaccin réduit de 92 % le risque d’hospitalisation chez les plus de 50 ans.
Je le répète, nous devons maintenir notre vigilance dans les prochains mois.
Le projet de loi que nous examinons de nouveau aujourd’hui détaille les mesures dont l’exécutif estime avoir besoin pour faire face à la crise.
Le passe sanitaire, et c’est normal, concentre toutes les attentions. Sa mise en place ayant permis d’accélérer significativement le taux de vaccination de la population, certains souhaitent le voir disparaître en considérant qu’il a rempli sa mission.
Nous savons cependant que les anticorps contre la covid-19 ne sont pas éternels. Une troisième dose sera sans doute nécessaire. Si tel est le cas et que nous ne souhaitons pas recourir à la vaccination obligatoire, il faudra sans doute maintenir le passe sanitaire.
Reste la délicate question de la durée des pouvoirs consentis au Gouvernement. C’est sur ce point que porte le plus grand désaccord. Le Sénat aurait voulu un nouveau débat à la fin du mois de février prochain, juste avant la suspension des travaux parlementaires.
Le Gouvernement et les députés souhaitent, quant à eux, que les mesures envisagées durent jusqu’à la fin du mois de juillet prochain, c’est-à-dire lorsque le Président de la République aura été élu et le gouvernement formé.
Lors des prochains mois, la gestion de la crise sanitaire devra s’accommoder de la campagne pour l’élection présidentielle. Si la situation l’exige, le Parlement peut effectivement siéger durant la suspension de ses travaux, mais le contexte de la campagne n’offre pas nécessairement les meilleures conditions pour la tenue sereine d’un tel débat.
Il n’en reste pas moins que les pouvoirs en cause sont exceptionnels, et qu’il est délicat de les confier à l’exécutif jusqu’à la fin juillet – un exécutif que nul ne connaît encore, je vous le rappelle.
Il n’y a pas de réponses simples à toutes ces questions. Beaucoup de doutes planent sur les prochains mois, mais nous avons néanmoins une certitude : la pandémie ne va pas disparaître immédiatement, et notre pays, comme le reste du monde, va devoir continuer à lutter contre le virus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux jours après l’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire que nous soumet le Gouvernement, nous nous retrouvons pour une nouvelle lecture de ce texte.
Que de regrets ! Que d’amertume !
Le Sénat, une fois encore, avait fait preuve en première lecture d’un réel esprit de responsabilité, notamment au travers du travail remarquable de son rapporteur, Philippe Bas, dont la logique constructive et rationnelle a été animée par une même exigence depuis le début de la crise : autoriser l’exécutif à agir, sous le contrôle régulier du Parlement et sous réserve de la proportionnalité et de la stricte nécessité des mesures restrictives de libertés.
Le Sénat, une fois encore, s’était posé en défenseur d’un double équilibre : entre la préservation de la santé des Français et le respect des principes de l’État de droit, d’une part ; entre un régime d’exception portant en lui-même des moyens exceptionnels de gestion de crise et les libertés fondamentales inscrites dans notre Constitution, d’autre part. C’est pour maintenir ces équilibres que notre assemblée a accepté à de multiples reprises, depuis mars 2020, de confier au Gouvernement des pouvoirs inédits sous la Ve République – à de multiples reprises, certes, mais chaque fois pour des périodes n’excédant pas deux à quatre mois.
Mais, une fois encore, le Gouvernement et sa majorité ont balayé d’un revers de main les principales propositions de la Haute Assemblée, propositions qui n’avaient pourtant rien d’irrationnel.
L’Assemblée nationale a choisi de rétablir largement son texte initial, en particulier sur ses mesures centrales : la prorogation jusqu’au 31 juillet de la plupart des régimes dérogatoires et mesures afférentes, y compris le passe sanitaire, l’absence de territorialisation de son application, ou encore l’accès des directeurs d’établissements scolaires aux données virologiques de leurs élèves ; voilà, pour nous, autant de lignes rouges franchies.
L’argument du rapporteur de l’Assemblée nationale suivant lequel la sortie des régimes actuels d’urgence sanitaire serait source d’instabilité et d’imprévisibilité apparaît quelque peu douteux.
En effet, les mesures proposées par le Sénat, au travers de deux nouveaux dispositifs, comprenaient pour l’essentiel des outils déjà existants, sous des formes et des modalités adaptées à la situation sanitaire actuelle.
Le texte voté la semaine dernière par notre assemblée prévoyait ainsi de maintenir à la disposition du Gouvernement des pouvoirs exceptionnels de régulation des déplacements et des rassemblements, ou encore de mise en œuvre du passe sanitaire.
En contrepartie, il fixait un rendez-vous parlementaire en février prochain, afin d’amener l’exécutif à rendre compte formellement devant le Parlement de son usage de ces pouvoirs, mais aussi afin d’évaluer la proportionnalité des mesures exceptionnelles à l’aune de l’évolution de la situation épidémique.
Aucun argument sérieux ne nous a été opposé sur la question de la date de fin du dispositif sanitaire, date qui n’est in fine qu’un nouveau rendez-vous du débat parlementaire, permettant une reconduite des dispositifs si la situation épidémique l’exige. Les diverses solutions de remplacement qui ont pu être promises – débat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution ou remise de rapports – ne sauraient nullement remplacer la discussion en bonne et due forme d’un projet de loi aux termes duquel le Parlement autorise le Gouvernement à continuer d’assumer ses pouvoirs.
Je vois dans l’attitude de l’Assemblée nationale un nouvel affaissement de la mission législative du Parlement, une volonté affichée de s’affranchir de sa mission de contrôle, sous prétexte que la gestion de crise exige une prise de décision rapide.
Toutefois, les parlementaires ont déjà démontré leur réactivité en siégeant la nuit, voire le week-end, quand la situation l’exigeait.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Stéphane Le Rudulier. En outre, si cet impératif de rapidité était réel et sérieux au mois de mars 2020, il n’en demeure pas moins que nous ne sommes plus aujourd’hui dans la même situation, que nous ne subissons plus la même urgence. Comme M. le rapporteur l’a rappelé, en mars 2020, nous étions démunis : pas de masques, pas de tests, pas de gel hydroalcoolique, pas de vaccin, pas de traitement ! Aujourd’hui, nous avons progressé dans tous ces domaines, y compris sur la connaissance même du virus.
Alors, est-il légitime de réduire ainsi le contrôle parlementaire exercé sur des pouvoirs dérogatoires accordés à l’exécutif, sous prétexte de l’approche de grandes échéances électorales ? La réponse est évidemment « non » ! Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris en quoi ce contrôle empêcherait tout débat serein au sein de nos deux assemblées parlementaires.
Enfin, la disposition permettant aux directeurs d’école de prendre connaissance du statut virologique des élèves semble véritablement porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Il reviendra d’ailleurs au Conseil constitutionnel d’en juger, à l’aune notamment de sa décision du 11 juin dernier portant sur le secret médical, qui laisse présager une inconstitutionnalité de la mesure en question.
Face à l’opposition intransigeante du Gouvernement et de sa majorité, notre rapporteur nous invite à maintenir notre position historique et nous proposera tout à l’heure d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
Convaincus du fait que nous ne pouvons pas vivre indéfiniment dans un régime d’exception et fermement opposés à la méthode disproportionnée employée par le Gouvernement, les élus de notre groupe voteront cette motion. Plus encore, nous déposerons, dès les prochaines heures sans doute, un recours devant le Conseil constitutionnel,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier. … afin qu’il vérifie la constitutionnalité de certaines dispositions qui nous paraissent problématiques et hautement sensibles du point de vue des droits et des libertés fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas de nouveau ouvrir mon propos en relevant l’absence dans notre hémicycle de M. le ministre de la santé. Peut-être est-il encore à Blois ?…
M. Guy Benarroche. Au regard des discussions ayant eu lieu hier à l’Assemblée nationale et des références permanentes aux propositions équilibrées que le Sénat a faites sur ce texte, mais qui ont malheureusement été rejetées en commission mixte paritaire et en commission à l’Assemblée nationale, il me semble que, si le ministre de la santé ne souhaite pas venir au Sénat, le Sénat est pour sa part parvenu jusqu’à lui, même s’il n’a pas été entendu !
Je veux vous répéter, madame la ministre, combien notre pays a subi en spectateur les décisions solitaires et tardives d’un président qui n’écoutait que lui-même pour faire le choix entre confinements, couvre-feux et limitations des déplacements, d’un président qui se cachait derrière les recommandations d’un conseil ad hoc monté de toutes pièces, d’un président qui ignorait les compétences des institutions existantes, comme le Haut Conseil de la santé publique ou même Santé publique France, et les outrepassait même, quand cela l’arrangeait.
Malgré la réticence des deux tiers des parlementaires à vous laisser les mains libres pendant huit mois, malgré le mauvais signal envoyé d’un désir tout politique d’enjamber la consultation légitime du Parlement en cas de reprise épidémique à une période peut être trop proche des échéances électorales aux yeux du président, vous persistez !
Après avoir réfléchi trop tard, vous voulez désormais décider trop tôt !
Nous refusons pour notre part de nous prêter à cet exercice déviant du pouvoir ; nous ne pouvons vous accorder – ni à ce gouvernement-ci ni à celui qui, encore inconnu, lui succédera – un blanc-seing jusqu’à la fin du mois de juillet.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Guy Benarroche. Rappelons que notre groupe a régulièrement lancé l’alerte, dès le début du débat, sur le risque d’une généralisation trop importante du passe sanitaire, à la fois dans le temps, dans son périmètre, dans les activités et les lieux qu’il toucherait, ou même dans les maladies ou causes diverses qui justifieraient sa mise en œuvre.
L’efficacité du passe sanitaire en tant que tel, c’est-à-dire son simple pouvoir de limiter l’accès des personnes non vaccinées ou non testées à certains lieux de vie a été très peu étudiée et encore moins quantifiée sur le moyen terme.
Ces derniers mois, il nous est apparu que son efficacité était surtout liée à l’incitation à la vaccination qu’il a suscitée ; notre groupe reconnaît à cet égard la force de l’outil vaccinal dans la lutte contre la pandémie. C’est d’ailleurs pourquoi nous souhaitons en priorité, avant que l’on ne parle de mettre en place des mesures restrictives pour lutter contre le virus, un déploiement efficace de l’outil vaccinal.
Les plus fragiles, les plus précaires, les plus éloignés de l’épicentre de notre vie sociale ne sont pas suffisamment vaccinés. Le passe sanitaire aura-t-il un effet protecteur sur ces populations ?
À ce jour, moins de la moitié des personnes éligibles à la troisième dose, c’est-à-dire les plus vulnérables, celles qui en ont particulièrement besoin, y ont eu recours.
Or, madame la ministre, vous avez depuis le début des débats refusé de parler de la troisième dose, de son intégration éventuelle au passe sanitaire, de sa généralisation et même de l’échec de la campagne actuelle pour le public cible. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)
La moitié des personnes complètement vaccinées aujourd’hui ont reçu leurs deux doses avant le 1er juillet 2021. Comment pouvez-vous présenter un texte permettant des mesures extraordinaires jusqu’en juillet 2022 sans discuter de cette baisse annoncée de l’immunité de la population générale vaccinée ? Ce projet de loi est-il le cache-nez d’annonces à venir sur une campagne de généralisation de la troisième dose ?
Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe La République en Marche à l’Assemblée nationale, était interrogée ce matin sur la possibilité d’associer cette troisième dose au passe sanitaire ; à la remarque : « Vous dites que c’est une nécessité, mais pour autant, pour l’instant, ce n’est pas inscrit sur le passe sanitaire, contrairement aux deux autres doses », voici ce qu’elle a répondu : « Pour l’instant, non : ce rappel vaccinal n’est pas encore en population générale ». Pourquoi ne voulez-vous pas en discuter maintenant ? Pourquoi ne répondez-vous jamais aux questions qui vous sont posées par les parlementaires du Sénat, madame la ministre ?
M. Guy Benarroche. Je le répète : ce projet de loi va trop loin en créant un état d’urgence de précaution contre un risque non quantifié.
Je le redis : le passe sanitaire a un effet pervers ; c’est une illusion de croire en la protection qu’il offrirait alors que le virus circule activement et que l’immunité décline. Cette illusion, accompagnée du relâchement flagrant des gestes barrières, est un danger plus grand que vous ne voulez l’admettre.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. C’est pourquoi nous voterons de nouveau contre ce texte, contre les pouvoirs concentrés dans les mains de l’exécutif, y compris après les élections du printemps,…
Mme le président. Allons, monsieur Benarroche, vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Guy Benarroche. … contre un passe sanitaire qui présenterait à ce stade, avec seulement deux doses, une protection individuelle notoirement trop faible. (Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias applaudissent.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par M. Bas, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire n° 131 (2021-2022).
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Philippe Bas, rapporteur. Madame la ministre, j’ai le plaisir de vous saluer de nouveau, ainsi que tous nos collègues qui participent à ce débat important.
Oui, j’ai déposé sur ce texte une motion tendant à opposer la question préalable. À vrai dire, madame la ministre, si je l’ai fait, ce n’est pas de gaieté de cœur, mais parce que l’obstination avec laquelle le Gouvernement a refusé tout dialogue avec le Sénat et la fin de non-recevoir qu’il a opposée à nos amendements, que nous estimions pourtant constructifs et raisonnables, nous ont laissé sans espoir de parvenir à vous convaincre de faire encore évoluer le texte après l’échec de la commission mixte paritaire.
Le travail parlementaire ne peut ressembler à une sorte de théâtre d’ombres. Nous n’allons donc pas faire semblant, ce soir, de penser qu’il y a encore une chance que vous accédiez à nos raisons. Évidemment, ce ne sont que nos raisons ; il faut que nous ayons, nous aussi, l’humilité d’admettre que d’autres points de vue que le nôtre peuvent être entendus. Mais pour qu’ils le soient, encore faudrait-il que l’on perçoive un minimum de recherche d’un accord ; encore faudrait-il, pour parvenir à une telle entente, que des arguments soient véritablement échangés !
Or nous n’avons pas entendu d’arguments en défense de cette demande, qui me paraît pour le moins extravagante, que vous nous faites de prolonger un passe sanitaire créé pour trois mois et demi jusqu’en juillet de l’année prochaine, c’est-à-dire pour encore huit mois et demi.
Bien sûr, rien ne vous impose d’utiliser ce passe sanitaire. D’ailleurs, le comité scientifique vous a recommandé de préparer la sortie de ce dispositif. Il a raison : nous l’avons pris au mot et nous avons organisé cette sortie. Je suis d’ailleurs convaincu, madame la ministre, que le Gouvernement va la réaliser tout seul, car la raison va bien finir par l’emporter.
La proposition que nous avons faite ménage la possibilité d’imposer le passe sanitaire là où l’immunisation de la population par le vaccin n’est pas suffisante, tout en délivrant de cette contrainte les habitants des territoires qui ont été massivement vaccinés. Je ne comprends pas comment il peut se faire que vous vous opposiez à une telle proposition de bon sens. Si vous deviez l’appliquer par la suite, sans avoir accepté la proposition du Sénat et de votre propre initiative, j’y verrais naturellement une reconnaissance de la qualité de notre travail, mais j’aurais préféré que cette reconnaissance s’exprime au moment du vote de la loi !
Donner des moyens d’action au présent gouvernement, que nous connaissons, nous l’avons fait sans hésiter, après avoir vérifié que ces moyens étaient appropriés à la situation, à chaque fois que vous nous l’avez demandé. Mais aujourd’hui, ce que vous demandez à l’Assemblée nationale, car nous refusons de le faire, c’est d’offrir au Président de la République qui sera élu en mai 2022, à son Premier ministre et à son gouvernement – ni vous ni nous ne savons qui ils seront – une sorte de lettre de crédit leur permettant de prendre des mesures restrictives des libertés à un moment crucial de la vie de la Nation.
Une seule chose est sûre, du point de vue de l’épidémie : c’est que les paramètres auront alors profondément changé par rapport à aujourd’hui. Car nous savons bien, si nous nous reportons trois mois et demi, six mois, huit mois, ou un an en arrière, à quel point les choses vont vite, à quel point elles évoluent !
Or nous avons, vous comme nous, de bonnes raisons de penser que, s’il y a des signes préoccupants de reprise de l’épidémie, il y a aussi de nombreux signes – je n’y reviens pas, je les ai énumérés tout à l’heure – qui montrent que la manière dont nous devons affronter cette épidémie a profondément changé de nature.
Ce n’est pas aux Français vaccinés qu’il faut aujourd’hui demander la protection des réfractaires ; c’est à ces derniers d’assurer eux-mêmes leur propre protection, car ils ont eu, grâce à notre travail collectif, tous les moyens de se protéger et ils les ont toujours.
Je crois donc tout simplement que cette chape qui pèse sur nos libertés est aujourd’hui très largement périmée et qu’il faut se concentrer sur les autres moyens de lutte contre le covid-19, tout en nous réservant la possibilité, jusqu’au 28 février prochain, de prendre des mesures plus énergiques si nous ne pouvions pas affronter l’épidémie autrement.
Voilà à nos yeux, madame la ministre, un motif de vous dire que, puisque vous ne voulez pas entendre nos raisons – je n’irai pas jusqu’à dire « entendre raison » –, nous ne pouvons pas continuer à animer un débat qui est devenu stérile compte tenu de l’intransigeance dont vous avez fait preuve.
D’autres motifs encore justifient que nous ne puissions pas accepter la position du Gouvernement ; je veux principalement en citer deux.
Premièrement, nous considérons que l’adaptation des instruments de lutte contre le covid-19 doit se faire en prenant en compte l’évolution de la situation, je l’ai rappelé.
Deuxièmement, nous jugeons tout simplement stupéfiant cet amendement, que nous avions déjà rejeté au mois de juillet, visant à permettre aux chefs d’établissement scolaire de procéder à des discriminations entre les élèves en fonction de leur statut viral ou vaccinal. Ainsi, on distinguerait les enfants de plus de 12 ans en fonction de la décision de leurs parents de les faire vacciner ou non. S’il s’agissait seulement de faciliter les campagnes de vaccination, les chefs d’établissements n’auraient nul besoin d’accéder aux informations médicales relatives à leurs élèves, mais il s’agit en fait, et le Gouvernement en fait l’aveu, d’organiser un accès différent aux cours !
Pourquoi traiterions-nous les enfants d’une manière différente des adultes ? Quand un adulte est susceptible d’avoir été contaminé, lorsqu’il est cas contact, son employeur est-il prévenu ? Sait-il que M. Untel est une source de contamination ? Bien sûr que non !
Si l’on appliquait aux salariés une mesure symétrique à celle que vous voulez mettre en œuvre pour les enfants des écoles, il faudrait donner aux employeurs le même genre d’informations médicales, qu’ils conserveraient et dont ils feraient ce qu’ils voudraient. Or on procède tout différemment : on demande à la personne positive ou cas contact de prendre des mesures en lien avec son médecin, son laboratoire d’analyses biologiques, la plateforme de l’assurance maladie, puis de s’isoler, de respecter un certain nombre de recommandations qui lui sont faites, mais l’employeur n’est pas saisi.
De la même façon, un élève ayant entre 12 ans et 18 ans, scolarisé dans nos collèges, nos lycées, exposé à un risque de contamination ou testé positif, appliquera les mêmes règles d’isolement, sans qu’il soit nécessaire de donner aux principaux des collèges et aux proviseurs des pouvoirs de police sanitaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles, madame la ministre, nous considérons que le Gouvernement est en train de larguer les amarres du respect de l’État de droit, de s’affranchir de tout contrôle parlementaire effectif. Seul le vote d’une loi autorisant l’exercice de pouvoirs exceptionnels permet en effet au Parlement d’exercer un véritable contrôle.
Pour ces raisons, nous ne pouvons que rejeter les propositions que vous nous faites, non sans avoir essayé de les amender pour parvenir à un texte qui, je le pense, aurait suscité un large consensus chez nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, contre la motion.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons les inquiétudes de M. le rapporteur. Nous désapprouvons les positions de l’Assemblée nationale qui ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire. Je pense à la durée des dispositions qui sont en discussion, à la communication du statut vaccinal des élèves aux directeurs d’établissement scolaire et au refus de territorialiser le passe sanitaire. Sur ces sujets, nous sommes d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, et nous regrettons que l’Assemblée nationale ait refusé d’en débattre en commission mixte paritaire.
Comme vous, monsieur le rapporteur, nous sommes dépités que le Gouvernement n’ait pas répondu aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale, sur ces sujets, mais aussi sur la dose de rappel, ou troisième dose, et sur ses effets sur le passe sanitaire.
Sur ces questions, nous sommes en attente d’un arbitrage présidentiel. Nous le savons, Mme la ministre, comme les autres ministres du reste, n’en sait pas plus que nous ! C’est assez terrifiant, sachant que, pour que la vaccination progresse et soit efficace, il faut l’adhésion de l’ensemble de la population.
Comme vous, monsieur le rapporteur, nous sommes attachés au rôle du Parlement, mais c’est justement parce que nous pensons qu’il a joué un rôle positif dans la gestion de cette crise sanitaire et qu’il a contribué à l’acceptation par une majorité de la population des mesures qui ont été adoptées, que nous refusons qu’il ne soit pas associé aux décisions qui seront prises au cours des prochains mois et qu’il ne puisse pas contrôler l’action du Gouvernement.
Il est paradoxal d’être attaché au rôle du Parlement, mais de refuser que le Sénat puisse jouer son rôle en nouvelle lecture. Il ne faut pas céder à la désespérance. La base de la pédagogie, c’est la répétition. L’Assemblée nationale refuse notre texte. La Constitution nous donne la possibilité de le proposer de nouveau. Pourquoi n’utilisons-nous pas ce droit ce soir ? Pourquoi n’élaborons-nous pas un texte contenant l’ensemble des dispositions que nous souhaitons et que nous considérons comme importantes pour faire face à la crise sanitaire ?
Il ne faut pas désespérer, il faut s’efforcer de convaincre et aller jusqu’au bout du processus. Le rôle du Sénat en nouvelle lecture est de réaffirmer ses positions, non de faire preuve d’un mouvement d’humeur, au motif que l’Assemblée nationale ne veut rien écouter. Essayons de nouveau !
Pour ces raisons, les membres du groupe socialiste ne sont pas favorables à la motion tendant à opposer la question préalable. Nous considérons qu’il est de notre responsabilité, parce que nous croyons au rôle du Parlement, parce que nous croyons aux nouvelles lectures, de continuer à expliquer pourquoi, sur les principaux points du texte, sur lesquels, je le répète, nous sommes d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, il est indispensable de proposer un texte, quitte à ce que l’Assemblée nationale prenne ensuite la responsabilité de le modifier. Allons au bout des choses !
Il faut que les députés prennent leurs responsabilités, surtout en ce moment politique particulièrement important. La crise sanitaire, qui n’est pas terminée, exige que la population continue d’adhérer au cours des prochains mois aux mesures qui seront prises. Or ces mesures ne pourront pas être prises par un seul camp.
C’est pour cela qu’il est important que les commissions mixtes paritaires puissent aboutir sur ces sujets. C’est aussi pour cela que nous ne devons pas désespérer de convaincre la majorité à laquelle vous appartenez, madame la ministre, de faire évoluer les choses et de parvenir à un texte et à des dispositions susceptibles de recueillir l’assentiment d’une majorité au sein du pays.
Nous constatons d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que vous ne résistez pas au besoin et à l’envie de continuer à convaincre. En défendant la motion, vous n’avez pas simplement fait un geste d’humeur, vous êtes revenu sur les termes du débat. Alors, il n’est pas trop tard : retirez votre motion et remettons-nous à l’ouvrage ! (M. le rapporteur s’exclame.) Proposons un texte acceptable pour une majorité et tentons de convaincre l’Assemblée nationale. Je pense que ce serait utile.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable. Le rôle du Sénat – et du Parlement –, je le répète, est aussi d’aller au bout d’une nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Notre groupe le dit avec clarté : nous sommes opposés à ce onzième projet de loi, qui va imposer des mesures sanitaires draconiennes à nos concitoyens et faire disparaître le Parlement des radars durant plusieurs mois, en particulier le Sénat.
Le texte tel qu’il avait été réécrit par le Sénat en première lecture ne nous avait pas convaincus, car, sur le fond et sur bien des points, il ne remettait pas en cause la logique gouvernementale, en particulier sur le passe sanitaire.
Lors de la discussion générale en première lecture, j’avais alerté sur les risques d’effet cliquet de ce genre de mesures, lesquelles peuvent être utilisées pour atteindre d’autres objectifs que ceux qui sont liés à la gestion de la crise sanitaire.
Par exemple, on apprend aujourd’hui, dans un tout autre domaine, qu’un dispositif introduit dans le code de procédure pénale par la loi antiterroriste de 2016 sera utilisé pour lutter contre les violences conjugales. Comprenez que cela puisse susciter des interrogations, même s’il n’est évidemment pas question pour nous d’en rabattre pour combattre les violences conjugales. Voilà, c’est cela l’effet cliquet ! C’est pourquoi le passe sanitaire nous inquiète.
J’en reviens à la motion tendant à opposer la question préalable. Nous la voterons pour affirmer notre totale opposition aux deux versions du texte, celle du Sénat en première lecture – nous avions voté contre – et celle du Gouvernement, à laquelle nous sommes opposés. Il s’agit aussi pour nous de dire ici que nous ne sommes pas dupes. Au regard du contexte politique et à l’approche des prochains scrutins électoraux, j’ose le dire : la vérité est ailleurs !
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Une fois de plus, le Gouvernement entend faire cavalier seul. Comme le Président de la République, il fonctionne de manière bien particulière : sans concertation.
Dès la discussion générale en première lecture au Sénat, la semaine dernière, madame la ministre, vous nous avez annoncé la détermination du Gouvernement à retenir comme horizon le mois de juillet 2022 – selon nous, il convient davantage de parler d’obstination, que rien ne justifie.
Depuis le début des débats, vous affichez votre volonté de ne pas modifier votre position d’un iota, alors qu’une majorité de parlementaires s’opposent à ce texte et proposent des solutions. Votre décision de n’en tenir aucunement compte a naturellement conduit le rapporteur Philippe Bas à déposer une motion. Quand bien même elle aurait été déposée par n’importe lequel d’entre nous, nous l’aurions considérée de la même façon, avant autant d’attention.
Le Sénat a assumé ses responsabilités pour faire face à l’épidémie qui sévit depuis bientôt deux ans. Nous ne nous sommes jamais dérobés, madame la ministre, lorsqu’il a fallu avaliser ou proposer des mesures, y compris lorsqu’elles étaient difficiles, pour gérer cette crise, mais notre groupe pense qu’il est désormais de son devoir de dire « stop » au mode de fonctionnement du Gouvernement.
Vous connaissez la position majoritaire des parlementaires, madame la ministre, mais vous n’en tenez aucun compte. Votre message est clair : vous ne voulez pas de discussion, vous ne souffrez pas l’idée que des solutions puissent émerger en coconstruction avec nous. Dont acte. Prenez vos responsabilités : à défaut de nous écouter, passez en force.
C’est pourquoi, même s’il n’est plus à démontrer que nous sommes force de proposition, même si nous n’approuvons pas le texte présenté par la droite sénatoriale et voté par le Sénat, nous voterons la motion du rapporteur Philippe Bas.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Le groupe Union Centriste votera évidemment la motion tendant à opposer la question préalable. Je souhaite d’abord, madame la ministre, vous remercier d’être présente en séance, ce qui n’est pas toujours le cas de certains de vos collègues – pour ce texte comme pour d’autres, d’ailleurs.
Pour cette onzième version, comme pour d’autres textes que nous avons examinés sur d’autres sujets, nous avons toujours l’impression, au Sénat, d’argumenter face à un mur et, finalement, de ne jamais être entendus.
Vous le savez, nous aimons débattre. Ne pas débattre jusqu’au bout – et l’on ne sait pas ce que l’examen des textes budgétaires risque de nous réserver –, ce n’est pas un constat d’échec pour le Sénat, c’est le moyen d’essayer de vous expliquer que nous n’arrivons pas à être entendus, que nous sommes, à cet égard, à court d’arguments, et qu’il ne reste plus que des arguments de procédure pour faire prospérer nos positions qui n’ont aucune capacité à vous convaincre, ne serait-ce qu’à la marge.
D’où cette question préalable. Pour des parlementaires, ce n’est jamais une situation facile. Nous préférons débattre, nous préférons convaincre, et c’est ce qui fait d’ailleurs la force du Sénat chaque fois que l’on parvient à ce que les commissions mixtes paritaires soient conclusives. Il est toujours plus agréable de convaincre et d’apporter notre pierre à l’édifice législatif : nous sommes là pour cela. Je regrette que cela ne soit pas le cas cette fois-ci.
Mme le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Madame la ministre, comme Mme le sénateur Goulet, je vous remercie d’être présente. J’ajoute, en ce qui me concerne, que votre nom me rappelle ma région, la Bourgogne !
J’ai entendu, de l’autre côté de l’hémicycle, l’expression « mouvement d’humeur du Sénat ». Non, ce n’est pas un mouvement d’humeur du Sénat ! C’est à l’Assemblée nationale qu’il y a eu un mouvement d’humeur, puisque la majorité présidentielle n’a emporté le vote qu’à 20 voix près.
Sur les plus de 900 sénateurs et députés qui constituent l’ensemble du Parlement, ce projet de loi sera donc adopté grâce à une minorité de 20 parlementaires, qui vont imposer ce texte à 67 millions d’habitants.
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 222 |
Contre | 116 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire est rejeté.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Merci pour la qualité des débats et l’atmosphère respectueuse qui les entoure. Au sein de cette Haute Assemblée, l’on peut débattre dans la sobriété et le calme. Ce n’est pas partout comme cela ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
9
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 8 novembre 2021 :
À seize heures :
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 118, 2021-2022) : discussion générale.
Le soir et la nuit :
Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 118, 2021-2022) : discussion des articles.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Laurent Lafon, Julien Bargeton, Max Brisson, Jacques Grosperrin, Cédric Vial, Mmes Marie-Pierre Monier et Sylvie Robert ;
Suppléants : Mmes Else Joseph, Toine Bourrat, Anne Ventalon, M. Yan Chantrel, Mme Sonia de La Provôté, M. Bernard Fialaire et Mme Céline Brulin.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER