M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 78, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 25
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. L’article 9 du texte prévoit la libération sous contrainte de plein droit pour les personnes condamnées à une peine inférieure à deux ans de prison dont il ne reste plus que trois mois à purger, sauf en cas d’absence d’hébergement et hors certaines peines.
Ces exceptions remettent en cause le principe de la libération sous contrainte, aménagement de peine réservé aux détenus ayant purgé les deux tiers de leur peine, pour l’exécution de peines inférieures à cinq ans, en la ramenant à une simple mesure de gestion de la population carcérale.
Nous nous opposons à ce dispositif qui multipliera les sorties sèches, alors qu’il est au contraire indispensable que la sortie de détention puisse être préparée et accompagnée afin de réduire les risques de récidive.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 20 rectifié ter est présenté par Mme Borchio Fontimp, M. Babary, Mmes Belrhiti et Bonfanti-Dossat, MM. Bonne et Bouchet, Mme Bourrat, MM. Burgoa, Cadec et Charon, Mme Chauvin et MM. B. Fournier, Grosperrin, H. Leroy, Panunzi, Saury et Gremillet.
L’amendement n° 56 rectifié ter est présenté par Mmes V. Boyer, Bellurot et Thomas, M. Courtial, Mme Noël et MM. Pellevat, Calvet, D. Laurent, Bonhomme, Somon et Frassa.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 16 à 25
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié ter.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Le présent amendement tend à supprimer le bénéfice de plein droit de la libération sous contrainte au profit des détenus exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée totale inférieure ou égale à deux ans et dont le reliquat de peine à exécuter est inférieur ou égal à trois mois.
Donner des avantages supplémentaires aux condamnés ne saurait être une mesure qui rassure nos concitoyens. Les Français réclament une justice forte, capable de les protéger du danger que représentent certains individus. Dès lors, afin que la peine prononcée soit réellement appliquée, il convient de supprimer ces aménagements automatiques de peine.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 56 rectifié ter.
Mme Valérie Boyer. Je souscris bien évidemment à ce que vient de dire ma collègue Alexandra Borchio Fontimp.
Moins d’un Français sur deux fait encore confiance à la justice. Pis, seulement un tiers des Français estiment que les peines prononcées sont adaptées. C’est d’ailleurs ce qui est ressorti des débats que nous avons eus lors de l’excellente Agora de la justice qui s’est tenue au Sénat, lundi dernier.
La suppression des remises automatiques de peine est une bonne nouvelle, dont il convient de se féliciter. En effet, on se targue, au travers de ce projet de loi, de supprimer les remises de peine qui ne seraient pas individualisées, car ces aménagements minent la confiance des Français dans l’institution judiciaire et notre système carcéral.
Pourtant, dans les faits, ce projet de loi va maintenir des remises de peine uniformes pour les condamnés détenus pour des peines de moins de deux ans, en leur octroyant, de droit, des aménagements de peine lorsque le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois. Cela s’apparente à une remise de peine déguisée !
Dès lors, afin que les peines prononcées soient réellement appliquées, il convient de supprimer ces aménagements automatiques de peine. C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer la libération sous contrainte de plein droit pour les condamnés à moins de deux ans de prison dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois. Il a déjà été présenté par notre collègue députée Brigitte Kuster à l’Assemblée nationale ; il est donc issu de travaux fouillés de notre famille politique. J’espère que nous aurons satisfaction lors du vote.
M. le président. L’amendement n° 94 rectifié, présenté par MM. Canévet, Le Nay, Duffourg, Delcros et Hingray, Mmes Herzog et Vermeillet, MM. Cigolotti, Kern et Moga, Mme Billon et MM. S. Demilly et J.M. Arnaud, est ainsi libellé :
Alinéa 17, première phrase
Remplacer les mots :
, sauf en cas d’impossibilité matérielle résultant de l’absence d’hébergement
par les mots :
à tous, sauf en cas de recherches infructueuses d’hébergement amical, familial ou associatif
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Le présent amendement vise à adapter les conditions de la libération sous contrainte, en modifiant quelque peu l’alinéa 17, selon lequel ce dispositif peut être activé « sauf en cas d’impossibilité matérielle résultant de l’absence d’hébergement ».
Il est ainsi proposé de remplacer cette expression par celle de « recherches infructueuses d’hébergement amical, familial ou associatif ». Il est en effet normal que tous les condamnés bénéficient des mêmes conditions de libération sous contrainte.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 93 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 177 rectifié est présenté par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 209 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 17, première phrase
Supprimer les mots :
ou si le risque de récidive paraît avéré au vu de la personnalité du condamné
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 93.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes opposés à cet ajout de la commission puisque cette faculté est déjà du ressort du juge d’application des peines, qui peut s’opposer à la libération sous contrainte dans le cas visé à cet alinéa. Il est donc inutile de le repréciser dans la loi et de le rendre automatique.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 177 rectifié.
M. Guy Benarroche. Un ancien ministre de l’intérieur nous avait gratifiés de la notion de « soupçon avéré » ; j’avoue être également surpris par la formulation, proposée par notre rapporteure, de « risque de récidive qui paraît avéré ».
« Risque de récidive », je saisis très bien le concept et je vois comment on peut en juger – les juges aussi, d’ailleurs. Mais que voulez-vous dire par « risque de récidive qui paraît avéré » ? Je suis vraiment très dubitatif face à cette formulation… Quelle précision cela apporte-t-il à la loi ? Vous êtes-vous inspirés de la lecture de Philip K. Dick ou du film Minority Report, tiré de l’un de ses livres ?
L’évaluation du potentiel de récidive est toujours faite par le juge d’application des peines, y compris avant une libération sous condition. Avec une telle rédaction, on souhaite, me semble-t-il, faire perdurer l’idée que les juges doivent être contraints par la loi à refuser une telle libération en cas de risque de récidive qui paraît avéré, sans se soucier du déroulement de la peine au moment où ils jugent.
Sans vouloir faire de philosophie, mais en gardant en tête les principes qui ont nourri et régi les peines depuis Cesare Beccaria, on peut se poser la question : la prison est-elle un lieu de prévention de la récidive ou un lieu de réinsertion ?
La notion de dangerosité – si chère à certains présidents de groupe de la majorité sénatoriale –, qui sous-tend le risque de récidive ici mentionné, me paraît toujours aussi floue et d’une productivité non « avérée », si j’ose dire, ou du moins non démontrée. Quels seront les tests pour évaluer ce risque avéré de récidive ? À une époque où les sciences sociales perdent du terrain, ne devrions-nous pas procéder dans l’ordre en nous assurant d’abord de la qualité des tests d’évaluation, avant de prétendre y attacher des conséquences aussi importantes que le maintien en détention ?
C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet ajout, ni nécessaire ni équilibré, de la commission.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 209.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mon amendement vise à retirer le critère du risque de récidive au vu de la personnalité du condamné.
Il s’agit, en réalité, d’une mesure d’affichage de votre commission des lois. Celle que je propose n’est pas une faveur ; elle a pour but unique de lutter contre la récidive. Tel est son objet, son but ! Ce n’est d’ailleurs pas une création nouvelle, cela existe depuis 2019.
Il s’agit, au fond, d’une espèce de tour de passe-passe sémantique qui est assez curieux. Vous parlez de risque de récidive « avéré ». Je ne sais pas ce qu’est un risque de récidive avéré ou non ! D’ailleurs, si l’on ne connaît pas bien les termes de la première proposition, on ne peut pas connaître ceux de la seconde. Or le but est justement d’éviter les sorties sèches ; il n’y a pas plus « récidivant » que les sorties sèches ! Je ne comprends pas ; cette mesure est vidée de son sens si l’on y ajoute les mots que vous avez retenus.
En outre, comment les juges feront-ils pour analyser le caractère avéré ou non du risque de récidive ? Je ne sais pas ! On leur demande, au fond, d’avoir un don de médiumnité…
Par le passé, on a déjà reproché à des juges d’avoir ordonné des libérations. Je me souviens ainsi de l’affaire Crémel, dans le cadre de laquelle on reprochait au juge de ne pas avoir vu l’avenir. Mais qui pourrait exiger cela d’un magistrat ?
En revanche, même s’il y a un risque, je préfère une sortie accompagnée à une sortie sèche. Ce n’est pas une faveur, cela concerne un délai court et non pas une réduction de peine de cinq ans ! Il s’agit d’une période de quelques mois, visant à permettre une transition.
C’est pourquoi, je le redis franchement et sans esprit de polémique, le choix de ces mots relève davantage de l’affichage que de l’efficacité. Encore une fois, le but de la mesure est d’accompagner les personnes en fin de peine. Quand il reste peu de temps – trois mois –, il faut préparer les détenus sortants à autre chose qu’à l’ouverture et à la fermeture de la porte et à « au revoir, débrouillez-vous ! »
L’accompagnement est essentiel. On le sait, les sorties sèches sont les pires situations, tandis que les sorties accompagnées permettent d’éviter la récidive. Par conséquent, ne fermons pas la porte à cette possibilité.
M. le président. L’amendement n° 178 rectifié, présenté par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. L’article 9 suscite beaucoup d’interrogations et de contrariété au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Au travers de cet amendement, nous souhaitons donc mettre le doigt sur un flou, un manque de précision relatif aux conditions de restriction de l’accès à la libération sous contrainte.
Je l’ai dit, je le répète : la prison et la peine en général ne sont pas, en matière pénale, seulement des sanctions ; ce sont aussi des modalités de réinsertion. La liberté sous contrainte est une modalité majeure permettant de désengorger les prisons et de préparer le retour des délinquants au sein de la société.
L’instauration d’un critère de restriction à une telle libération en cas de sanction disciplinaire, si le détenu a participé ou tenté de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement ou à en perturber l’ordre, nous paraît absurde ; cela se rapproche dangereusement d’un délit d’opinion, voire d’une interdiction syndicale, même s’il s’agit de détenus.
En effet, un détenu qui, constatant des manquements au sein de son centre de détention, par exemple en matière de propreté, chercherait à se concerter avec d’autres pour appeler l’attention sur de telles conditions de détention – dois-je rappeler les multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le sujet ? – pourrait pour ce simple fait, si l’administration y voit un début de mutinerie, subir une sanction disciplinaire qui le priverait d’une libération sous contrainte. Cela n’a pas de sens !
Là encore, il s’agit d’une mesure de pur affichage et d’une volonté de plus grande fermeté à l’égard de juges qui – c’est le sous-entendu – ne sauraient pas tenir compte des sanctions administratives des détenus dans l’appréciation de leur cas pour la décision de libération sous contrainte.
Au tennis, cet alinéa constituerait une double faute…
M. le président. L’amendement n° 44 rectifié, présenté par Mme Bonfanti-Dossat, MM. Panunzi et Cadec, Mmes Gosselin et Puissat, M. Bascher, Mme Belrhiti, MM. Burgoa, Brisson, Calvet, Bonhomme, Belin, Bouchet et Gremillet, Mme Delmont-Koropoulis, M. Milon, Mmes Drexler, Bourrat et Lherbier et M. H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 25
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …°Aux personnes détenues présentant des signes de radicalisation religieuse. »
La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Le projet de loi prévoit qu’un détenu condamné à une courte peine d’emprisonnement bénéficie, trois mois avant la fin de l’exécution de sa peine, d’une libération sous contrainte.
La suite de l’article 9 dresse la liste de tous les cas permettant d’exclure un détenu du bénéfice de cette disposition. Y figurent ainsi les personnes condamnées pour des faits de délinquance sur mineurs ou sur personne dépositaire de l’autorité publique, ainsi que tous ceux qui ont fait montre d’un comportement violent à l’occasion de leur détention.
Mes chers collègues, je vous propose d’ajouter une catégorie de détenus ne pouvant bénéficier d’une libération sous contrainte : ceux qui présentent des signes de radicalisation religieuse. La lutte contre l’islam radical est l’un des défis de notre siècle, elle doit nous engager au quotidien dans notre action d’élus.
M. le président. L’amendement n° 57 rectifié bis, présenté par Mmes V. Boyer, Bellurot et Thomas, M. Courtial, Mme Noël, MM. Pellevat, Panunzi et Calvet, Mmes Belrhiti et Garnier, MM. D. Laurent, Bouchet et Bonhomme, Mme Lavarde, MM. Somon, Charon, H. Leroy, Cadec et Grosperrin, Mme Bourrat, M. Frassa et Mme Borchio Fontimp, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 25
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …°Aux individus détenus présentant des signes de radicalisation religieuse, dans des conditions déterminées par décret pris en Conseil d’État. » ;
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que le précédent.
L’article 9 prévoit une série de cas dans lesquels la libération sous contrainte de plein droit ne pourrait s’appliquer.
Je souhaite, comme ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, que soient intégrés à cette liste les individus présentant des signes de radicalisation, religieuse ou non. C’est l’un des drames de notre époque et l’une des difficultés que nous rencontrons. Le dispositif de cet amendement correspond à nos attentes en matière de lutte contre le terrorisme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je vais donner quelques explications rapides sur ce sujet de la libération sous contrainte des personnes condamnées à une courte peine – deux ans au maximum –, trois mois avant la fin de leur peine, sauf s’ils n’ont pas d’hébergement à leur sortie de prison.
Nous ne sommes pas favorables à la suppression de la libération sous contrainte car, M. le garde des sceaux l’a indiqué, les sorties sèches n’ont jamais été souhaitables.
À l’inverse, nous ne sommes pas favorables à l’intégration de critères supplémentaires comme l’hébergement familial ou associatif. Il faut laisser le juge d’application des peines traiter de cette question d’hébergement, sans entrer dans le détail.
En ce qui concerne la radicalisation religieuse, s’agissant de courtes peines, il faut relativiser le risque : il ne peut pas du tout s’agir de dossiers en lien avec le terrorisme. En outre, nous pensons avoir garanti une forme de sécurité au travers de la notion de risque de récidive avéré.
Nous proposons également, monsieur Benarroche, de ne pas remettre en cause la rédaction retenue, qui permet d’écarter la libération sous contrainte pour des personnes liées à des situations de mutinerie. Je pense que les dispositions sont assez claires en l’état et vouloir y assimiler des mouvements de type syndical me paraît quelque peu excessif.
Enfin, vous êtes plusieurs à faire grief à la commission du recours à la réserve relative au risque de récidive avéré.
Cette notion pose-t-elle un problème particulier ? Non. C’est une formule que l’on retrouve en divers endroits du code de procédure pénale, elle n’a rien d’innovant et ne pose aucun problème particulier.
Est-ce une mesure d’affichage, au travers de laquelle nous prêterions à nos magistrats un pouvoir médiumnique ? Ce n’est pas du tout notre intention et je pense qu’il y a une incompréhension de notre proposition, monsieur le garde des sceaux. En effet, notre idée est de protéger l’institution judiciaire.
Je m’explique. Quand une personne fait l’objet d’une libération sous contrainte, la vie est ainsi faite que, même si les risques de récidive, s’agissant de dossiers ayant donné lieu à de courtes peines, ne sont pas trop importants – je vous l’accorde –, il peut survenir un problème, un drame. Dans ce cas, la société fait immédiatement grief à la justice d’avoir libéré quelqu’un qui a ensuite commis une infraction dramatique.
Souhaitons-nous, de cette manière, prêter aux magistrats un pouvoir médiumnique ? Non ! Notre propos est beaucoup plus limité. Nous souhaitons que la réponse à ces reproches ne soit pas la suivante : « Mesdames, messieurs les journalistes, nous savions qu’il existait un risque avec cette personne, mais nous n’avons pas nous opposer à sa libération puisque le droit ne prévoit pas l’hypothèse dans laquelle le risque de récidive permet d’empêcher la libération. »
Pour parler encore plus simplement, s’il y a un drame après une libération de ce type, nous voulons éviter que les magistrats – et d’une certaine manière l’institution dont vous avez la responsabilité, monsieur le garde des sceaux – ne soient mis en cause. Il s’agit donc non pas d’une disposition d’affichage ou de la recherche d’une quelconque vertu médiumnique des magistrats, mais simplement d’une mesure de prudence.
La commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis défavorable à l’ensemble des amendements, à l’exception, bien sûr, de l’amendement n° 209 que j’ai défendu et des amendements identiques nos 93 et 177 rectifié.
Je ne suis absolument pas convaincu par ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur. De quoi, au fond, ces journalistes feraient-ils grief aux magistrats ? D’avoir appliqué la loi ? Nous devrions donc modifier la loi pour que des journalistes ne puissent pas, de façon fallacieuse, reprocher à des magistrats d’avoir respecté la loi ? C’est cela, votre raisonnement ?
Si l’on fait maintenant la loi en pensant à ce pourraient en dire des journalistes qui ne connaissent pas son application, et qui risquent de reprocher à des magistrats d’avoir fait leur travail, cela va devenir compliqué !
Vous l’avez rappelé, on parle de peines de moins de deux ans et d’une période de trois mois, et d’un objectif qui est d’éviter les sorties sèches. Encore une fois, la loi pénale, ou celle de procédure pénale, ne saurait être faite pour protéger les magistrats d’éventuelles critiques émanant de journalistes qui ne l’auraient pas comprise.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Ou de la société !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ou alors, ne faisons plus rien !
Vous dites aussi, monsieur le rapporteur, que l’on ne peut pas tout éviter ; je vous en sais gré parce que ce n’est pas le discours que l’on entend habituellement. Il y a toujours des gens qui promettent la lune, ou de raser gratis, et qui ont toutes les solutions pour qu’il n’y ait plus d’infractions dans ce pays. D’autres, en revanche, reconnaissent qu’il n’y a pas de baguette magique. Et puis il y a ceux qui considèrent que l’enjeu est d’éviter au maximum la récidive ; en l’occurrence, quand la sortie n’est pas sèche, cela fonctionne bien.
Le risque existera toujours, il est inhérent à toute activité humaine. Le crime est consubstantiel à notre humanité.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Il faut le limiter !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Certes. Mais écarter un amendement pour éviter qu’un jour l’institution judiciaire, qui n’aura fait que son travail en appliquant la loi, ne fasse l’objet de critiques, philosophiquement, j’ai du mal à entendre ce raisonnement !
Le but du législateur n’est pas de protéger, par anticipation, les magistrats de critiques injustes. En l’espèce, il s’agit de savoir si l’on veut, oui ou non, lutter efficacement contre la récidive, un objectif qui est au cœur de notre réflexion.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je m’associe totalement aux propos de M. le garde des sceaux. Comme lui, j’ai été extrêmement surpris par l’argument selon lequel il faudrait protéger les magistrats contre les erreurs ou commentaires qui pourraient être émis par les médias. Je ne vois pas en quoi cela peut interférer dans la confection de la loi !
Je demande derechef à la commission ce qui justifie, sur le fond, son opposition à nos amendements ; personnellement, je ne le sais pas.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 rectifié ter et 56 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 94 rectifié.
M. Michel Canévet. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 94 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 93, 177 rectifié et 209.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 126, présenté par MM. Sueur et Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mme Briquet, M. Cardon, Mmes Carlotti, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Dagbert, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda, Le Houerou et Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner et Mérillou, Mme Meunier, M. Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mmes Poumirol et Préville, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…°Après le même premier alinéa de l’article 712-4-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La personne détenue et son avocat peuvent faire parvenir des observations écrites au juge de l’application des peines. Dans le cas où la personne détenue le demande, elle est entendue par la commission de l’application des peines. La personne détenue peut être assistée par un avocat choisi ou commis d’office, en bénéficiant le cas échéant de l’aide de l’État pour l’intervention de cet avocat. Le dossier relatif à son passage en commission de l’application des peines est mis à sa disposition. L’avocat, ou l’intéressé s’il n’est pas assisté d’un avocat, peut prendre connaissance de tout élément utile à l’exercice des droits de la défense, sous réserve d’un risque d’atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à consacrer le droit pour la personne condamnée à être entendue par la commission de l’application des peines (CAP), afin de défendre son dossier.
Actuellement, la CAP est chargée d’assister le juge de l’application des peines lorsque celui-ci doit décider de réductions de peine, de permissions de sortie et de demandes de libération sous contrainte. Ses avis sont consultatifs.
Le présent amendement, suggéré, comme d’autres amendements à venir, par l’Observatoire international des prisons, tend à prévoir, pour la procédure attachée à la réunion de cette commission, les garanties essentielles relevant du contradictoire et des droits de la défense.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Il y a deux temps : d’abord, la réunion de la commission, qui émet un avis, puis le débat contradictoire auquel participe, ainsi que vous le souhaitez, le conseil de l’intéressé, devant le juge d’application des peines qui va prendre la décision.
Introduire le débat contradictoire dès la réunion de la commission changerait le sens de cette procédure : un débat contradictoire aurait lieu devant la commission, puis, de nouveau, devant le juge d’application des peines.
Les modalités proposées me semblent au contraire convenables, puisque le juge de l’application des peines entendra, dans le cadre de la commission, le conseiller pénitentiaire, le procureur de la République et – M. le garde des sceaux vous le dira sans doute – les surveillants, qui prennent dans ce cadre une responsabilité plus importante.