Mme Catherine Procaccia. Cela revient au même !
M. Éric Kerrouche. En effet, entre la position de la commission et celle des autres groupes, il y a bien plus que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette : il y a même beaucoup de tabac ! (Sourires.)
Pour en revenir aux amendements identiques nos 3 et 5 rectifié, le jeu sémantique est certes intéressant, mais les effets que le groupe Les Républicains attribue au verbe « garantir » nous semblent largement exagérés, comme cela a déjà été dit plusieurs fois. Je rappelle que, en droit, certains termes ont leur signification propre. Par exemple, le verbe « garantir » n’a pas le même sens en droit constitutionnel ou en droit pénal.
L’affrontement porte donc uniquement sur un plan sémantique. La proposition du Gouvernement n’était déjà pas très ambitieuse ; la proposition qui nous est soumise ne sert à rien. Elle a même un caractère extrêmement tautologique, notamment dans sa référence à la Charte de l’environnement de 2004.
Nous voterons donc contre ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 5 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 9 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 10, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Elle garantit aux générations présentes et à venir le droit de vivre dans un environnement sain et sûr.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement a pour objet le droit de vivre dans un environnement sain et sûr.
Les liens entre santé, sécurité et environnement ne sont plus à démontrer. Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la consécration au rang constitutionnel du droit des générations actuelles et futures à vivre dans un environnement sain.
Les nombreuses atteintes à la biodiversité et à l’environnement pourraient à terme entraîner la destruction de l’humanité. Ainsi, la France doit mettre en œuvre toutes les politiques environnementales nécessaires, afin de limiter les effets de l’activité humaine à un niveau permettant à l’humanité de disposer des fonctions essentielles de la biosphère.
Cette affirmation découle surtout d’un positionnement intergénérationnel. « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » : cette formule est bien connue. Encore faut-il en tirer les conséquences !
Le 30 octobre 2018, le comité des droits de l’homme des Nations unies a exprimé ses craintes quant aux incidences notables du changement climatique : « La dégradation de l’environnement, le changement climatique et le développement non durable comptent parmi les menaces les plus imminentes et les plus graves qui pèsent sur le droit à la vie des générations actuelles et futures. »
Nous souhaitons ainsi rappeler que nos décisions actuelles ont des conséquences sur la capacité des générations futures à vivre dans de bonnes conditions environnementales.
Ce droit à un environnement sain, dans lequel il faut inclure le droit à l’eau, un air non pollué et les bénéfices de la biodiversité a été reconnu en France et inscrit dans la Charte de l’environnement de 2004. Il convient cependant d’en renforcer la portée juridique en l’érigeant en principe constitutionnel inscrit à l’article 1er de la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Comme vous l’avez indiqué vous-même, ma chère collègue, la Charte de l’environnement satisfait déjà votre amendement, puisqu’elle fait notamment référence au droit des générations futures.
Je répète que cette Charte fait déjà partie du bloc de constitutionnalité et a donc bien valeur constitutionnelle.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
, dans le respect des limites planétaires
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Davantage qu’une notion générale de non-régression ou d’amélioration de l’environnement, il est nécessaire d’introduire dans la Constitution des objectifs environnementaux quantifiables.
Ce concept a été proposé par une équipe internationale de vingt-six chercheurs, dont les travaux ont été publiés dès 2009. Il a d’ores et déjà été utilisé par de grands groupes industriels privés qui cherchent à confronter leur impact environnemental avec la capacité de notre planète à l’absorber.
L’objectif est clair : nous voulons inscrire ce concept dans la Constitution, pour que l’évolution de notre société ne se fasse pas au détriment des capacités de notre planète, de ses ressources naturelles, de sa faculté éventuelle à se renouveler. Toute mesure quantifiée n’a de sens que dans un cadre fini, celui des limites planétaires.
La réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ne fera sens et ne sera acceptée par la population que si elle s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les limites à respecter pour ne pas consommer l’ensemble des ressources de la planète.
L’introduction de ce concept dans la Constitution renforcerait toutes les démarches visant à inscrire dans le droit des objectifs chiffrés en termes d’émissions de CO2, ainsi que des quotas de coupe forestière ou de pêche.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet ajout me paraît superflu. Par définition, je vois mal comment on pourrait préserver l’environnement sans respecter les limites planétaires.
La commission est donc défavorable à l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, vous semblez dire qu’il ne nous arrive jamais de ne pas respecter les limites planétaires, mais c’est pourtant ce que nous faisons : vous savez très bien que, chaque année, le « jour du dépassement » intervient de plus en plus tôt !
Il faut faire en sorte que, à l’avenir, ce jour du dépassement ne tombe plus au mois d’août, au mois de juillet ou au mois de juin, mais au mois de décembre, au moment de l’année où il doit avoir lieu.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je ne voterai pas cet amendement, mais je me demande s’il n’est pas inutilement restrictif.
En effet, nous sommes tous conscients des difficultés croissantes que connaît l’espace : nous avons envoyé bien au-delà de l’atmosphère des satellites dont les particules métalliques ont fini par polluer l’espace. Cela justifierait, je crois – peut-être la réflexion pourrait-elle s’engager avec votre groupe, ma chère collègue –, que l’on prenne en compte, non seulement les limites planétaires, mais aussi les limites interstellaires !
M. le président. S’agit-il d’un sous-amendement ? (Rires.)
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est un sous-amendement Pesquet !
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Elle assure un haut niveau de protection de l’environnement selon le principe de non-régression.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement vise le principe de non-régression.
La gestion d’un avenir durable doit permettre de garantir que les acquis environnementaux ne seront pas remis en question. Le principe de non-régression protège les droits des générations futures, en renforçant l’exigence écologique lors des prises de décision.
L’effectivité d’un droit humain à l’environnement ne deviendra réalité qu’à une condition : obtenir la garantie juridique que chaque avancée en faveur de la préservation de l’environnement ne pourra être remise en cause ultérieurement.
Ce principe n’implique pas une impossibilité d’agir de la part des autorités. Il crée au contraire une obligation positive, notamment pour le législateur, de ne pas dégrader les avancées écologiques.
Toutefois, en dépit de l’urgence climatique, certaines décisions législatives ou réglementaires sont moins-disantes au niveau environnemental : ce retour sur la protection de l’environnement et de la biodiversité est insupportable.
Au vu des dernières décisions, qui ont permis au juge de valider un retour en arrière concernant la limitation des néonicotinoïdes, il est essentiel d’inscrire dans la Constitution que, à défaut de faire plus, on ne peut plus se permettre de faire moins.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je rappelle que cet amendement est partiellement satisfait, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel consacre déjà le principe de non-régression.
Dans une décision du 10 décembre dernier, le Conseil a ainsi dégagé de la Charte de l’environnement un principe de non-régression tempéré en matière environnementale.
Il a considéré que le législateur « ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement. »
Il a par ailleurs jugé que « les limitations portées par le législateur à l’exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. »
Enfin, il a estimé que le législateur « doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement. »
Il me paraît déraisonnable, en l’état, d’aller plus loin. Les pouvoirs publics doivent être en mesure de prendre les dispositions rendues nécessaires par l’intérêt général et/ou par toute autre exigence constitutionnelle.
C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article unique, modifié.
(L’article unique est adopté.)
Articles additionnels après l’article unique
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Canévet, Henno, Moga et Delcros, Mmes Vermeillet et Guidez, MM. Louault, Kern et Le Nay, Mmes Sollogoub et Saint-Pé et M. Détraigne, est ainsi libellé :
Après l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article 75-1 de la Constitution, après le mot : « régionales », sont insérés les mots : « , y compris celles enseignées de manière intensive ».
La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Cet amendement est davantage d’inspiration bretonne que ch’tie ou picarde, puisqu’il a été déposé sur l’initiative de Michel Canévet. (Sourires.)
Il vise à inscrire dans notre Constitution l’apprentissage intensif des langues régionales : celles-ci sont une richesse et un patrimoine commun qui participent à la diversité de nos territoires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons, car il ne vise pas l’inscription de la préservation de l’environnement dans notre Constitution.
Je vous demande par conséquent de bien vouloir le retirer, mon cher collègue ; à défaut, j’y serais défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Henno, l’amendement n° 2 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Olivier Henno. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Canévet, Henno, Moga et Delcros, Mmes de La Provôté et Vermeillet, MM. Louault, Kern et Le Nay, Mmes Morin-Desailly, Sollogoub et Saint-Pé et M. Détraigne, est ainsi libellé :
Après l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, après le mot : « élus », sont insérés les mots : « , y compris pour la représentation dans les établissements publics de coopération ».
La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Cet amendement tend à donner davantage de liberté aux exécutifs locaux pour la représentation des établissements publics de coopération, au nom de la liberté fondamentale des collectivités territoriales reconnue par le Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. On ne comprend pas bien le lien entre le texte et cet amendement. Ce dernier vise à compléter l’article 72 de la Constitution, qui, je le rappelle, dispose que les « collectivités s’administrent librement par des conseils élus », en précisant « y compris pour la représentation dans les établissements publics de coopération ».
Sur le fond, cette disposition fait débat et, en plus, elle n’a pas de lien direct avec le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Je dirai quelques mots pour expliquer la position du groupe Les Républicains, même si je suis sûre que vous l’avez aisément comprise.
Monsieur le garde des Sceaux, nous ne croyons guère ni à la main tendue du Gouvernement (M. le garde des sceaux lève les bras au ciel.), ni au pas que l’Assemblée nationale aurait fait en direction du Sénat. Après tout, le choix des termes « agit pour » n’est jamais qu’un ralliement aux recommandations du Conseil d’État, et non la manifestation d’une forme de bienveillance à notre égard de la part de l’Assemblée nationale.
Nous sommes bien sûr inquiets de l’utilisation du terme « garanti », qui est considéré tantôt comme une quasi-obligation de résultat, tantôt comme une obligation de moyens renforcée, et dont en réalité personne n’est capable de dire quelle est la portée juridique.
Ce que nous souhaitons, vous l’aurez compris, c’est que la préservation de l’environnement ne se fasse au détriment ni du progrès social ni du développement économique, c’est-à-dire qu’elle s’inscrive dans le cadre des principes du développement durable qui sont prévus par l’article 6 de la Charte de l’environnement.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains, dans son immense majorité, suivra la position du rapporteur François-Noël Buffet, que nous remercions (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble du projet de loi constitutionnelle.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 156 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 210 |
Contre | 127 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Renforcement de la prévention en santé au travail
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour renforcer la prévention en santé au travail (proposition n° 378, texte de la commission n° 707, rapport n° 706).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance publique de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, afin de franchir, ensemble, une nouvelle étape dans la transformation et la réforme de notre dispositif de santé au travail.
Je souhaite rappeler le choix réalisé par le Gouvernement, au début du mois de mars 2020, de proposer aux partenaires sociaux d’engager une négociation sur cet enjeu essentiel d’amélioration de la santé au travail.
Les partenaires sociaux, après six mois de négociation, ont conclu un accord solide et équilibré au début du mois de décembre 2020.
La signature de cet accord national interprofessionnel (ANI) par le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l’Union des entreprises de proximité (U2P), la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Force ouvrière (FO), la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) nous prouve la capacité des partenaires sociaux à construire une vision convergente en matière d’évolution de la santé au travail, après un travail approfondi, rendu encore plus essentiel en cette période de crise sanitaire.
Le contenu de ces négociations est riche : développement de la prévention primaire, promotion de la qualité de vie au travail ou encore développement d’une offre de services en santé au travail efficace et adaptée auprès des entreprises et de leurs salariés. Nous aurons, je le sais, largement l’occasion d’y revenir dans les débats.
Je me réjouis de la vitalité de notre dialogue social, qui, en cette période de crise, prend encore plus pleinement son sens. Nos partenaires sociaux ont su dépasser leurs antagonismes pour se faire force de proposition et concrétiser l’ambition d’une santé au travail résolument orientée vers la prévention.
La démocratie parlementaire a ensuite pris très rapidement le relais, avec le dépôt, dès le 23 décembre 2020, de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, portée par les députés Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, et son adoption par l’Assemblée nationale en février dernier.
Ce texte est désormais soumis à l’examen de votre assemblée. Cette nouvelle étape doit conforter l’existence d’une vision, partagée le plus largement possible, de la santé au travail dans notre pays.
Je souhaite à cet égard souligner l’engagement et le travail de fond de chacun d’entre vous sur les questions de santé au travail, tout particulièrement celui de la commission des affaires sociales du Sénat, notamment des rapporteurs Pascale Gruny et Stéphane Artano, au travers de leur rapport d’information réalisé dès 2019 et des échanges nourris qu’ils ont eu avec les deux députés rapporteurs du texte à l’Assemblée nationale.
D’ailleurs, ces échanges montrent aussi, je crois, notre capacité à mener un travail efficace entre les deux chambres. C’est un autre bon indicateur au moment où nous abordons l’examen de ce texte, qui a donc été largement partagé. Cette forte implication doit permettre de donner corps à la négociation fructueuse des partenaires sociaux, en construisant le socle de sa traduction législative.
Le Gouvernement se félicite de cette méthode de transposition – inédite, il est vrai – et veillera jusqu’à l’issue de la navette parlementaire à assurer le respect des équilibres obtenus par les organisations patronales et syndicales.
Évidemment, la traduction de l’ANI du 10 décembre dernier ne se limite pas à un ensemble de mesures législatives. Un important chantier réglementaire, mais également organisationnel, est engagé, et les partenaires sociaux en sont bien logiquement des acteurs majeurs.
Je souhaite d’ores et déjà valoriser certaines avancées inscrites dans cette proposition de loi, qui accélère la modernisation de notre système de santé au travail.
Je n’en citerai que quelques-unes, puisque nous allons débattre du texte, à commencer par le renforcement de l’approche préventive de la santé au travail et de la traçabilité collective de l’exposition aux risques professionnels, notamment chimiques.
Par ailleurs, la qualité des prestations des services de prévention et de santé au travail, les SPST, sera améliorée par la définition d’une offre de services socle. Cette dernière, qui sera déployée auprès de l’ensemble des entreprises, y compris de petite taille, par les SPST, constitue une avancée très importante.
Je pense aussi à la création d’une procédure de certification de ces services, qui, associée à la tarification en plus complète transparence, permettra de soutenir leurs efforts de qualité sur l’ensemble du territoire.
Je pourrais citer d’autres points, comme la lutte contre la désinsertion professionnelle par la constitution de cellules dédiées dans les services de prévention et de santé au travail interentreprises, les SPSTI, pour favoriser le maintien en emploi, ou encore le renforcement des équipes des services de prévention et de santé au travail au travers d’une formation plus homogène des infirmiers et de la possibilité donnée, pour les infirmiers qualifiés, d’exercer en pratique avancée, ainsi que du développement des délégations de tâche.
Votre commission, mesdames, messieurs les sénateurs, a effectué un travail important sur le texte adopté par l’Assemblée nationale, sans le dénaturer ni trahir les intentions de ses auteurs ou modifier les équilibres parfois délicats auxquels étaient parvenus les partenaires sociaux.
Je souhaite souligner un point sur lequel la proposition de loi a subi une nette évolution lors de son passage en commission des affaires sociales au Sénat : tenant compte des réalités de fonctionnement des petites entreprises, la commission a retenu que celles-ci pourraient définir leurs actions de prévention sans se voir imposer le formalisme d’un programme annuel de prévention.
D’autres évolutions significatives, apportées par ses soins, semblent aussi devoir être mentionnées : l’ouverture aux travailleurs indépendants de l’offre socle des services de prévention et de santé au travail ; les ajustements apportés sur le rendez-vous de liaison, pour permettre d’anticiper la reprise d’activité du salarié ; la définition d’un cadre pour la santé au travail des salariés des particuliers employeurs et des assistants maternels, qui, avec des ajustements que je serai amené à proposer au cours du débat, me semble permettre d’instaurer, dans le cadre d’un dialogue social de branche, une prise en charge effective de ces publics.
Parmi vos amendements de séance, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai noté de nombreuses propositions visant à préciser les missions des services de prévention et de santé au travail sur certaines thématiques ou certains publics spécifiques, parfois en les priorisant.
Je comprends parfaitement les enjeux ainsi portés. Il me semble toutefois inapproprié, voire contre-productif, d’entrer dans ce niveau de précision au stade où nous en sommes. Mais nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet au cours de la discussion.
Me fondant sur les déplacements que j’ai réalisés depuis plus d’un an, je veux enfin témoigner de la forte attente des salariés et des entreprises pour que les services de prévention et de santé au travail les accompagnent au quotidien.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire au cours de mon audition par votre commission des affaires sociales, j’ai également pu constater la forte mobilisation de ces services au cours de la crise sanitaire, mobilisation centrée actuellement sur la vaccination et l’accompagnement à la reprise et au retour progressif en entreprise.
Le retour d’expérience de la pandémie doit permettre de construire, ensemble, un modèle de santé au travail plus proche de l’entreprise et des salariés, plus orienté vers l’accompagnement et le conseil pour la mise en place de mesures de prévention collective.
Les acteurs, me semble-t-il, sont prêts aux évolutions portées dans la proposition de loi. Il est en effet essentiel de moderniser notre système de santé au travail, pour qu’il puisse s’adapter et répondre aux enjeux des parcours professionnels du XXIe siècle. Pour cette raison, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutiendra résolument cette proposition de loi. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite à un long processus de démocratie sociale, ayant abouti à la conclusion de l’accord national interprofessionnel « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail » du 9 décembre 2020.
Le champ de la proposition de loi, dans sa version initiale, s’aligne en quelque sorte sur le périmètre de cet ANI.
Cet accord a lui-même été précédé par la publication de plusieurs rapports proposant de faire évoluer notre système de santé au travail, dont celui que j’ai porté avec ma collègue Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires sociales, en 2019.
Le diagnostic, largement partagé, est celui d’une grande hétérogénéité dans le contenu et la qualité de l’offre des services de santé au travail, qui sont confrontés à de multiples défis, dont celui de la démographie médicale, et d’une prévention primaire encore insuffisamment développée en entreprise. La proposition de loi se fixe ainsi pour premier objectif de consacrer le document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, comme l’outil central dans la démarche de prévention et de traçabilité des expositions.
Cette évolution est conforme aux orientations du rapport que Pascale Gruny et moi-même avons élaboré en 2019. Nous y appelions à faire du DUERP un « document stratégique permettant de démontrer l’implication de l’employeur dans la mise en œuvre de son obligation de sécurité ».
Nous concevons en effet le DUERP comme une protection, non seulement pour les travailleurs, mais également pour l’employeur. C’est notamment ce document qui lui permettra d’établir qu’il s’est bien engagé dans une véritable démarche de prévention.
Soucieuse de tenir compte de la réalité des entreprises, notre commission a réservé l’élaboration d’un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail aux seules entreprises de plus de 50 salariés, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État.
Les entreprises aux effectifs plus réduits, tout particulièrement les très petites entreprises, les TPE, ne disposent pas des ressources internes leur permettant d’établir un programme d’une telle complexité. L’évaluation des risques qu’elles conduiront débouchera alors sur la définition d’actions de prévention et de protection, dont la liste pourra être consignée dans le document unique.
Afin de faire véritablement du DUERP un instrument de traçabilité des expositions collectives, objectif confirmé par l’ANI, notre commission a également veillé à réunir les conditions d’une conservation pérenne du document. Suivant un calendrier échelonné selon la taille des entreprises, le DUERP et ses mises à jour devront faire l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique centralisé et administré par les organisations patronales.
Convaincue que l’établissement d’une frontière étanche entre la santé au travail et le reste du parcours de soins du travailleur n’a plus de sens à l’heure du concept One Health ou « une seule santé », la commission a adopté plusieurs dispositions participant du décloisonnement de la santé au travail et de la santé publique.
En complément de ses missions principales dans la prévention de l’altération de l’état de santé du travailleur du fait de son travail, elle a ainsi reconnu la contribution de la médecine du travail à l’atteinte d’objectifs de santé publique qui permettent, au cours de la vie professionnelle, de préserver un état de santé compatible avec le maintien en emploi.
Si le dispositif du médecin praticien correspondant, préconisé par l’ANI, doit permettre aux SPST de faire appel aux médecins de ville pour renforcer leurs ressources médicales, nous considérons qu’il ne peut constituer une solution durable au problème de la démographie médicale.
Afin de ne pas dénaturer la spécialité de la médecine du travail, dont la fine connaissance du milieu de l’entreprise est déterminante pour un suivi de qualité, la commission a donc encadré le recours au médecin praticien correspondant. Celui-ci sera limité aux situations dans lesquelles les ressources du SPST ne lui permettent pas d’assurer ses missions dans le respect des délais réglementaires.
Pour répondre au défi de la démographie médicale, nous misons plutôt sur un renforcement de l’attractivité de la santé au travail, tant par la valorisation des compétences complémentaires acquises par les médecins du travail en prévention que par une montée en compétences cliniques et paracliniques des infirmiers, dont la contribution à la prévention mérite d’être reconnue et soutenue.
Tel est, mes chers collègues, l’esprit dans lequel la commission des affaires sociales a abordé l’examen de ce texte. Elle vous demande en conséquence d’adopter cette proposition de loi, sous réserve de l’adoption de quelques amendements qui contribueront encore à l’enrichir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)