M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à répondre, à la suite de l’accord national interprofessionnel du 9 décembre dernier, à un enjeu majeur : la promotion de la prévention primaire, au moment même où nous sortons à peine d’une culture de la réparation.
Selon la dernière enquête du ministère du travail, moins de 40 % des entreprises employant moins de dix salariés ont élaboré ou actualisé au cours de l’année leur document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, qui est pourtant obligatoire.
Pis encore, cette proportion est en baisse par rapport à la précédente enquête, qui portait sur l’année 2013. La proportion de TPE ayant mis en œuvre des actions de prévention contre les risques physiques aurait ainsi diminué d’au moins 10 % entre 2013 et 2016.
Le constat est donc sans appel : la culture de la prévention est très insuffisamment répandue au sein des TPE et PME, qui vivent encore la santé au travail comme un ensemble de contraintes administratives, et non comme un levier d’amélioration de leur performance.
L’ambition de cette proposition de loi est précisément de systématiser la démarche d’évaluation des risques professionnels dans toutes les entreprises, indépendamment de leur taille, et de garantir sa traduction opérationnelle dans la mise en œuvre d’actions de prévention et de protection.
À cet effet, les services de santé au travail, renommés « services de prévention et de santé au travail », devront jouer un rôle pivot dans l’accompagnement des employeurs, tout particulièrement auprès des TPE et PME.
Or, en la matière, les partenaires sociaux se sont rejoints, dans le cadre de l’ANI, sur le diagnostic de la grande hétérogénéité des prestations des services de prévention et de santé au travail interentreprises. Nous en avions déjà fait le constat, mon collègue Stéphane Artano et moi-même, dans notre rapport de 2019 sur la santé au travail.
Dans cette perspective, la première réponse apportée par la proposition de loi est de prévoir que chaque SPSTI fournira obligatoirement un ensemble socle de services, ainsi que, de manière facultative, une offre de services complémentaires qu’il déterminera.
Soucieuse de garantir que les SPSTI proposeront à l’ensemble des entreprises adhérentes les prestations les plus homogènes possible, la commission a précisé la définition de cette offre socle.
La proposition de loi revoit en conséquence, à l’article 9, les modalités de tarification des SPSTI. Le texte issu de l’Assemblée nationale confirme implicitement le principe jurisprudentiel du calcul de la cotisation en équivalents temps plein, ou ETP, qui est source de contentieux, peu respecté en pratique et ne correspond pas à la réalité des missions des SPSTI – en matière de prévention et de santé au travail, on ne peut effectuer un suivi partiel des salariés. La commission propose donc de consacrer un mode de calcul per capita, et non proratisé en ETP.
Par ailleurs, suivant le souhait des partenaires sociaux affirmé dans l’ANI, elle a inscrit dans le texte le principe d’un « tunnel » pour encadrer la fixation de la cotisation par référence au coût moyen national de l’ensemble socle de services.
Le deuxième apport de la proposition de loi au sujet de la qualité et de l’effectivité des services rendus, également issu de l’ANI, est la mise en place d’une procédure de certification des SPSTI par un organisme indépendant et accrédité. Favorable à ce dispositif, la commission a souhaité que les partenaires sociaux aient l’initiative dans la définition du cahier des charges, via le Comité national de prévention et de santé au travail, le CNPST.
L’Assemblée nationale a par ailleurs élevé au niveau législatif la procédure d’agrément administratif à laquelle sont soumis tous les SPST, sans toutefois renforcer sa portée.
La commission a introduit, en complément de cette procédure, un régime d’administration provisoire qui doit permettre, sans interrompre le service, de lui donner les moyens de se réorganiser lorsque sa gouvernance est défaillante.
La proposition de loi franchit une première étape dans l’amélioration du suivi de l’état de santé de certaines catégories de travailleurs, suivi aujourd’hui insatisfaisant. Sont concernés, en particulier, les indépendants ou encore les intérimaires.
Nous souscrivons à cet objectif, et la commission a enrichi le texte sur ce point, en ouvrant au chef d’entreprise la possibilité de bénéficier du suivi délivré par le SPST auquel adhère son entreprise et en proposant des modalités spécifiques de suivi des salariés du particulier employeur.
Des améliorations pourront encore être apportées au texte lors de nos débats, avec l’objectif partagé de renforcer la prévention et le suivi de l’ensemble des travailleurs.
La commission des affaires sociales vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, lors de la préparation de mon intervention, j’ai retrouvé une citation de Pierre Dac qui m’a semblé fort à propos pour notre débat de ce jour : « Le travail, c’est la santé… mais à quoi sert alors la médecine du travail ? » (Sourires.)
Évidemment, cette citation est à prendre avec recul et humour ; cela étant, elle nous interroge tout de même sur le lien entre travail et santé.
Comme nombre d’entre nous sur ces travées, je suis issu d’une génération qui ne s’est jamais posé la question du travail. Celui-ci donne un socle et, d’une certaine façon, un sens à la vie. Comme mes parents, je n’ai jamais imaginé une vie sans travail.
Cependant, le monde évolue et d’autres questions s’imposent, dont celles qui sont liées à la pénibilité, aux troubles musculo-squelettiques, à l’exposition à des matières ou substances dangereuses ou encore aux risques psychosociaux. Longtemps passées sous silence, elles ont été identifiées, puis considérées progressivement.
Le rôle de la médecine du travail est donc fondamental, notamment pour la détection, la prévention et la protection face à ces risques.
Toutefois, la baisse du nombre de médecins du travail ne peut qu’affaiblir l’accompagnement que les travailleurs sont en droit d’exiger. De plus, notre paradigme se devait d’être réévalué, et le concept One Health invite à un rapprochement entre le suivi dans le cadre du travail et la médecine de ville. Cela correspond à une évolution de nos sociétés vers une vie plus équilibrée et sans doute, nous l’espérons, plus heureuse.
Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail d’échanges avec les syndicats et les partenaires sociaux, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État. Je m’en réjouis à mon tour. Depuis mon élection en tant que parlementaire, je milite pour une démocratie plus apaisée, qui écoute et sollicite les corps intermédiaires.
Ces corps sont une source de propositions et d’informations essentielles pour le législateur. En étant au plus proche du terrain, dans les entreprises, ils nous communiquent régulièrement l’état des demandes, l’ambiance, les ressentis, mais aussi les difficultés vécues par les salariés, pour que nous puissions y répondre le plus rapidement possible.
Quand je vois que cet accord national interprofessionnel a été signé par l’ensemble des organisations patronales et syndicales, à l’exception de la Confédération générale du travail, la CGT, et que nous sommes capables de le transformer en un texte ambitieux pour la santé des travailleurs, mon attachement au paritarisme et au dialogue social en sort renforcé.
Le paritarisme n’est pas le concurrent de la démocratie parlementaire ; il est son indispensable complément !
Je tiens par ailleurs à féliciter nos rapporteurs Pascale Gruny et Stéphane Artano de la qualité du texte obtenu.
J’en viens à quelques-unes de ses principales avancées, celles qui tiennent particulièrement au groupe Union Centriste. La première d’entre elles est le renforcement de la prévention et la fin du cloisonnement entre les notions de santé au travail et de santé publique.
Je suis intimement persuadé que la prévention doit être au cœur de notre action pour toutes nos politiques publiques. Mais cela vaut encore plus pour les questions de santé, car un mal traité en amont coûtera moins à l’État. Si nous sommes capables de le voir venir, de le prévenir, alors nous pourrons le maîtriser. C’est vrai pour le tabac ou l’alcool, mais pas seulement : savoir déceler les premiers signaux d’un mal-être au travail peut sauver une carrière et permettre à un salarié de se remettre sur les rails.
Cette prévention doit être la même partout, et je me réjouis que ce texte mette fin aux inégalités que l’on peut observer entre les entreprises en fonction de leur taille ou de l’engagement de leurs dirigeants sur ces questions essentielles.
Cette prévention s’accompagne d’une simplification bienvenue des procédures. J’entends effectivement les patrons de nos TPE et PME qui, loin de ne pas être sensibilisés à la santé de leurs salariés, se plaignent régulièrement de procédures trop complexes, trop techniques ou trop nombreuses, d’autant plus que la prévention est le talon d’Achille du système de santé français.
Un autre point essentiel de ce texte est la reconnaissance de la contribution de la santé au travail à la santé publique. « Enfin ! », ai-je envie de dire…
Je ne sais pas pourquoi, mes chers collègues, nous avons si longtemps mis une barrière entre la santé publique et la santé au travail. Comme si nous revenions chez nous dans un autre corps que le nôtre ou que nous étions capables de laisser sur le pas de notre porte tous nos tracas professionnels. C’est évidemment faux, chacun le sait ici.
C’est pourquoi je salue pleinement la dynamique engagée par nos rapporteurs. La santé au travail, au même titre que la santé maternelle ou infantile, la santé environnementale, la santé par le sport, etc. a toute sa place dans la réalisation des objectifs de notre politique nationale de santé publique.
C’est sans doute évident pour certains, mais cela va mieux en le disant : la santé publique peut et doit concerner tous les domaines de la santé.
Un deuxième sujet de cette proposition de loi qui me semble important à relever et à saluer est l’homogénéisation de l’offre des services de prévention et de santé au travail, ainsi que la garantie de leur haut niveau de qualité.
Quand je lis dans l’accord national interprofessionnel que les partenaires sociaux se sont accordés sur le diagnostic d’une « grande hétérogénéité » des prestations rendues par les SPST, notamment en matière de prévention, je trouve cela tout simplement insupportable. Or c’est dans ce domaine que l’attente est la plus forte de la part des employeurs et des salariés.
Nous devons nous engager pour que chaque salarié dispose de la prévention en santé au travail dont il a besoin. Ce texte permettra, je l’espère, et nous devrons y veiller particulièrement, de combler les trous dans la raquette et de s’assurer que les salariés disposent d’un socle minimal ambitieux.
Un troisième axe développé dans cette proposition de loi m’a aussi particulièrement interpellé. Il met en lumière la désinsertion professionnelle – le terme est peut-être mal choisi, mais il correspond à un mal profond de notre société – et propose des solutions pour mieux la prévenir.
Je tiens donc à saluer, au nom des membres de mon groupe, toutes les mesures de la proposition de loi qui permettront de lutter contre ce phénomène : création d’une cellule pluridisciplinaire dédiée ; systématisation des échanges d’informations entre les organismes d’assurance maladie et les services concernés ; mise en place d’une visite à mi-carrière ; organisation de visite de préreprise et reprise, ainsi que de rendez-vous de liaison avec l’employeur. Ces mesures vont dans le bon sens.
Enfin, le quatrième et dernier sujet important aux yeux de mon groupe est la revalorisation de l’engagement des professionnels de santé au travail.
Les inégalités d’accès aux ressources médicales en santé sur notre territoire sont un véritable problème. Face à la pénurie médicale à laquelle nous sommes confrontés, ce texte va évidemment dans le bon sens.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. Nous nous félicitons que le Parlement, main dans la main avec les syndicats, porte une proposition ambitieuse pour les travailleurs de notre pays et pour leur santé.
J’espère qu’elle est la première d’un cycle de propositions de loi importantes, coconstruites et pragmatiques, que nous pourrons nous féliciter d’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, chaque année, on ne déplore pas moins de 50 à 600 morts au travail, plus de 30 000 incapacités permanentes et plus de 600 000 arrêts de travail. L’ampleur de ces chiffres révèle l’importance du sujet de la santé et du bien-être au travail de nos concitoyens.
La crise du covid-19 et les périodes de confinement successives ont entraîné une dégradation de la santé des travailleurs, avec une hausse importante des troubles psychosociaux. Cette crise a également montré toute l’importance du médecin du travail, relais des pouvoirs publics dans la lutte contre la pandémie au sein de l’entreprise et interlocuteur privilégié des salariés en télétravail.
D’après une enquête menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares, au début de l’année 2021, l’état de santé psychique des travailleurs s’est fortement dégradé, avec un doublement du risque de dépression et une forte détérioration de la santé perçue, et cela d’autant plus que leurs conditions de travail ont été affectées par la crise sanitaire. Les actifs sont également plus nombreux à déclarer des troubles du sommeil, des douleurs plus fréquentes ou plus fortes.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de réformer l’offre de services et la gouvernance des services de santé, ainsi qu’à améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle ; il reprend en grande partie les dispositions de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, sur la santé au travail, signé le 10 décembre 2020 après plus de deux années de négociations par les partenaires sociaux – nous déplorons d’ailleurs que les professionnels du secteur de la santé au travail n’aient pas été consultés à cette occasion !
Si ce texte a un objectif louable, il est loin de répondre aux attentes des acteurs concernés ; il passe à côté d’enjeux essentiels en matière de santé au travail, surtout en ce qui concerne la prévention primaire des risques professionnels ; il provoque même une confusion entre la santé au travail au regard de l’organisation du travail – les critères de pénibilité ont par exemple disparu – et la santé du travailleur en entreprise, en faisant la promotion individuelle de la santé – consommation de tabac ou d’alcool, pratique sportive, etc.
De même, le texte ne contient aucun apport concernant la reconnaissance des maladies professionnelles, en particulier celles qui sont liées aux risques psychosociaux. Ces derniers constituent pourtant le deuxième groupe de pathologies les plus fréquentes dans le monde du travail, après les troubles musculo-squelettiques.
Au-delà de ces insuffisances, ce texte comporte certains risques pour les travailleurs, en ce qu’il organise une certaine déresponsabilisation de l’employeur en matière de sécurité et de protection de la santé des salariés. De nombreuses mesures tendent à transférer cette responsabilité vers les salariés eux-mêmes ou vers les services de prévention et de santé au travail.
L’instauration d’un passeport prévention à l’article 3 en est la parfaite illustration. Ce passeport semble être un blanc-seing permettant aux employeurs de se dégager de leur responsabilité en matière de sécurité, au motif qu’un travailleur a été préalablement formé.
Un autre point doit retenir notre attention : la possibilité pour le médecin du travail d’accéder au dossier médical partagé, le DMP. Si donner accès à ce dossier au médecin du travail pour y verser des éléments présente un intérêt indéniable, l’inverse n’est pas vrai : les données personnelles de santé des salariés ne doivent pas être visibles par le médecin du travail !
En effet, la possibilité pour le médecin du travail d’accéder à ces données, même avec l’accord du patient, risque d’être préjudiciable aux salariés, en particulier lors des visites d’embauche et de reprise du travail, surtout lorsqu’il y a une nécessité d’adaptation à l’emploi.
Enfin, ce texte ne répond pas au problème concret de la pénurie de médecins du travail. Nous comptons aujourd’hui 1 médecin pour 4 000 salariés : c’est deux fois moins qu’il y a quinze ans ! Pour faire face à cette pénurie, vous proposez de recourir à des médecins correspondants. C’est pour le moins surprenant, compte tenu du contexte de désertification médicale que connaît actuellement notre pays.
En outre, ces médecins correspondants, même avec deux années de formation complémentaires, ne pourront pas faire de la prévention en entreprise – c’est pourtant le rôle essentiel du médecin du travail.
En somme, la crise sanitaire, comme dans un grand nombre d’autres domaines, a mis en lumière d’importants dysfonctionnements : pénurie de médecins du travail, systèmes illisibles et difficiles d’accès, inégalités territoriales.
Cette proposition de loi, porteuse de grands espoirs, n’apporte en réalité aucune solution concrète, et nous le regrettons.
Ainsi, en l’absence d’amélioration significative du texte à l’issue de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il y a quelques mois, les partenaires sociaux ont signé l’ANI sur la santé au travail, dont la présente proposition de loi est la transcription. Celle-ci prévoit une réforme de la santé au travail visant à harmoniser et à renforcer les actions de prévention des risques professionnels.
L’article 1er formalise ce changement de paradigme en renommant les services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail ; il s’agit de structures financées par les cotisations des entreprises.
Les consultations d’un médecin du travail sont très variées, allant des conseils de prévention à la reconnaissance d’inaptitudes médicales au travail, ce qui entraîne de nombreux mécontentements de la part des salariés ou de l’entreprise, donc des contentieux. Je pense que la protection du médecin du travail vis-à-vis des services qui l’emploient est un sujet fondamental et mérite d’être renforcée.
Le médecin du travail partage son temps entre les visites médicales, les tâches administratives et les actions en milieu de travail. Il consacre un temps essentiel à l’étude des postes et à l’analyse des risques au sein des entreprises qu’il visite.
Ainsi, il apporte ses conseils sur l’amélioration des conditions de travail, sur l’adaptation des postes de travail – pour des personnes handicapées, par exemple – ou sur la surveillance et le suivi d’agents chimiques par l’intermédiaire d’un toxicologue, notamment en cas de réactions allergiques.
Il est également compétent en matière de rangement des produits nocifs et dispense ses conseils sur la structure et l’organisation même de l’entreprise. Il a donc, par nature, un rôle de prévention fondamental concernant aussi bien les risques chimiques et physiques que le suivi à long terme des personnes exposées.
Sous la responsabilité de l’employeur, il participe à l’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels identifiés dans l’entreprise.
Véritable carte d’identité de l’entreprise, ce document est le point de départ des actions de prévention nécessitant une mise à jour annuelle. Un amendement adopté par l’Assemblée nationale vise à étendre la durée de conservation du document à quarante ans au minimum, ce qui permet de tenir compte d’effets nocifs sur la santé à très long terme.
La médecine du travail est essentielle au bon fonctionnement de la société et doit nécessairement s’adapter à l’évolution de celle-ci. En cela, le texte que nous examinons prévoit certaines avancées, comme le fait pour les intérimaires, les salariés d’entreprises prestataires ou sous-traitantes et les travailleurs indépendants de bénéficier du suivi des services de prévention et de santé au travail. La commission des affaires sociales du Sénat a d’ailleurs étendu ce suivi aux chefs d’entreprise.
La création d’un médecin praticien correspondant, formé en médecine du travail, contribuera à pallier la pénurie de médecins du travail dans les territoires concernés. Certaines missions pourront en outre être déléguées aux infirmiers qualifiés, sous la responsabilité du médecin du travail.
Monsieur le rapporteur, vous avez insisté pour y mettre beaucoup de limites ; je partage votre avis. Nous sommes favorables à l’expérimentation que vous proposez, qui vise à étendre le pouvoir de prescription du médecin du travail à des fins de prévention. Son rôle en sera ainsi valorisé.
La médecine du travail et la médecine de ville sont actuellement très cloisonnées, au détriment du suivi des patients et de la prévention des maladies professionnelles. La complémentarité de leurs activités doit être renforcée.
Le médecin du travail n’est pas l’acteur du suivi personnalisé d’un traitement – aux bêtabloquants, par exemple –, ni de l’adaptation de ce traitement. C’est en ce sens que ses prescriptions sont d’ordre préventif : l’acte de soin n’est pas du ressort du médecin du travail.
Quant aux vaccinations, je tiens à souligner que le médecin du travail a déjà la possibilité de les réaliser dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19. C’est une belle évolution, qui correspond parfaitement à l’objectif de prévention auquel tend cette proposition de loi.
Concernant l’accès au DMP, la commission des affaires sociales du Sénat a renforcé les garanties de sécurité et de protection des données personnelles de santé des travailleurs et a encadré la transmission des données entre les organismes de sécurité sociale et les services de prévention et de santé au travail.
L’accord du patient est essentiel, c’est un point sur lequel nous devons rester extrêmement vigilants. Pour autant, c’est aussi une évolution que l’on peut espérer dans un certain nombre de situations.
En résumé, ce texte conforte certaines avancées ; la commission des affaires sociales du Sénat a largement contribué à améliorer et à sécuriser les dispositifs proposés. Notre groupe est favorable à cette réforme, partagée par les partenaires sociaux. Aussi voterons-nous en sa faveur. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Mme Annie Le Houerou applaudit.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur la prévention en santé au travail, vous auriez dû, monsieur le secrétaire d’État, nous proposer un projet de loi ambitieux, dépassant l’ANI signé en 2020 et prenant la mesure des responsabilités régaliennes sur la prévention de la santé des travailleurs.
C’est d’autant plus vrai que, en France, un écart de presque dix ans d’espérance de vie en bonne santé sépare l’ouvrier du cadre, et cela en grande partie du fait du travail.
Vous auriez dû inviter les parlementaires à un véritable travail et à un débat de fond. Mais vous les en avez privés par vos ordonnances de 2017, dont je veux rappeler ici une mesure inique : la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Alors que ces instances de proximité accomplissaient leurs missions au plus près des unités de travail et des salariés, lesdites ordonnances ont porté un coup inédit à la prévention en santé au travail, à l’analyse des risques professionnels et à leur réduction.
Monsieur le secrétaire d’État, nous aurions dû vous entendre sur les raisons de la non-signature par la France de multiples conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, relatives à la santé au travail, en particulier les conventions nos 161 et 170.
À la place, nous avons une proposition de loi qui se contente d’une transcription incomplète de l’ANI. Le présent texte n’est pas à la hauteur des enjeux et, loin de marquer un coup d’arrêt à la dégradation des SST par les réformes antérieures, il prend prétexte de la pénurie annoncée des médecins du travail pour poursuivre, par de nombreux dispositifs, la démédicalisation de la santé au travail. En outre, à cause de lui, l’employeur risque d’échapper à sa responsabilité personnelle en matière de santé et de sécurité.
Pour contraindre le travail législatif, cette proposition de loi se présente comme une simple nécessité de transcription de l’ANI, tout en enjoignant de respecter l’équilibre auquel ce dernier est parvenu.
Pourtant, elle est loin de toujours en honorer l’esprit ; elle ne s’interdit pas de soustraire des points d’équilibre que les organisations syndicales, y compris les organisations signataires, nous invitent à réintroduire par voie d’amendements.
Respecter l’équilibre : cela rappelle douloureusement que les facteurs de pénibilité des expositions professionnelles ont été compromis en contrepartie de l’allongement de l’âge de la retraite… En 2017, six facteurs de pénibilité à l’origine de 90 % des expositions altérant la santé ont ainsi été retirés !
De plus, c’est dénier au législateur le principe que, en matière de santé et de sécurité au travail, tout ne se négocie pas. Derrière les statistiques, il y a des accidents du travail – plus de 500 morts sont comptabilisées chaque année dans le secteur privé –, des maladies professionnelles et des inaptitudes.
Nous ne pouvons être totalement tenus par l’accord de compromis signé dans le cas d’un équilibre des forces sociales ; vous conviendrez en effet que celui-ci reste en défaveur des salariés. Le législateur est légitime à avoir une expression propre en matière de santé en général et de santé au travail en particulier.
Aussi, notre groupe présentera plusieurs amendements, dont certains visent à supprimer les dispositifs actant l’effacement du médecin du travail. C’est une tendance ancienne, car, malgré les alertes, rien n’a été entrepris pour lutter contre les sous-effectifs ou pour renforcer l’attractivité, y compris pour les médecins collaborateurs.
Force est de constater l’inaction pour contrer la baisse des seuls professionnels protégés. Nous nous élevons notamment contre l’introduction des médecins praticiens correspondants. Rarement les médecins du travail, dont la spécialisation dure quatre ans, n’ont fait l’objet d’une telle dépréciation, voire d’un tel mépris. Cela explique que l’attractivité soit en berne.
Au-delà, c’est bien le lien entre santé et travail, pour prévenir à la source toute altération de la santé par le travail, qui est nié. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’une majorité de professionnels de toutes disciplines – médecins, infirmiers au travail, ergonomes – contestent un grand nombre de dispositifs et estiment que la prévention primaire n’est en rien confortée.
Cette proposition de loi a véritablement été élaborée contre l’avis de ces professionnels ; vent debout, ils dénoncent la plupart de ses dispositions.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires regrette, une fois de plus, une occasion manquée et appelle à une grande loi sur la santé au travail. Faute d’adoption des amendements que les membres de notre groupe ou d’autres collègues défendront, nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)