M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. À la suite de Mme la sénatrice Sylvie Robert, je souhaite m’exprimer sur ce sujet particulièrement important.
Les moteurs de recherche d’images présentent aux utilisateurs un nombre considérable d’images indexées par leurs soins sur les réseaux numériques. Le partage de la valeur liée à l’utilisation en ligne de ces images couvertes par le droit d’auteur suscite des débats depuis plusieurs années.
Les tentatives de négociation avec les services de référencement n’ont pas abouti, à ce jour, à un accord qui garantirait une juste rémunération des auteurs.
La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine prévoyait de répondre à cette difficulté, en instaurant un système de gestion collective obligatoire des droits. Toutefois, le dispositif, que le Parlement a voté à la quasi-unanimité, n’a pas pu être mis en œuvre en raison des doutes qu’il suscite au regard du droit européen.
Depuis lors, un rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique de 2019 a permis d’établir que la mise en œuvre effective de ce dispositif pouvait être assurée par l’intermédiaire d’une licence collective étendue, ce que prévoit désormais l’article 12 de la directive sur le droit d’auteur. Tel est le sens de l’article 2 A, qui a été introduit dans le projet de loi par la commission de la culture.
Au-delà du mécanisme juridique créé par cet article, c’est le message politique envoyé qui est primordial. Ce message est aussi celui du Gouvernement : des solutions contractuelles garantissant une juste rémunération de l’ensemble des créateurs concernés doivent être trouvées, et ce rapidement. Chacun est appelé à prendre ses responsabilités pour mettre au point des solutions concrètes et ambitieuses.
C’est pourquoi je me félicite du signal que vous adresserez aux acteurs concernés, si vous adoptez l’article 2 A. Le Gouvernement qui fait sien cet engagement en faveur de la juste rémunération des créateurs continuera de suivre attentivement l’évolution de la situation au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2 A.
(L’article 2 A est adopté.)
Article 2
Au premier alinéa de l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, le mot : « télédiffusion » est remplacé par les mots : « radiodiffusion ou télédiffusion, leur mise à disposition du public en ligne ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par MM. Decool, Malhuret, Chasseing, Guerriau, Lagourgue, A. Marc et Médevielle, Mmes Mélot et Paoli-Gagin, M. Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Dumont, MM. Lefèvre, Pellevat, Cigolotti, Moga, Bouchet et Daubresse, Mme Saint-Pé et MM. Laménie et Guiol.
L’amendement n° 84 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin et M. Requier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « autorisation », il est inséré le mot : « préalable » ;
b) Après le mot : « programmes », sont insérés les mots : « sur tout type de support » ;
c) Les mots : « , leur télédiffusion » sont supprimés ;
d) Les mots : « dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée » sont remplacés par les mots : « , notamment par tout procédé de télécommunication, autre que celle mentionnée au 4° de l’article L. 214-1 »
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorisation accordée par l’entreprise de communication audiovisuelle pour la reproduction ou la communication au public de ses programmes fixe les conditions de l’exploitation de ceux-ci sur les plans technique et financier. »
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Decool. Il est défendu.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 84 rectifié bis.
Mme Véronique Guillotin. Cet amendement vise à renforcer les droits voisins des éditeurs audiovisuels, afin que les radios et les télévisions conservent le bénéfice de la valeur de leurs programmes.
L’article 2 améliore la réglementation relative aux créations disponibles sur internet, mais nous pourrions aller plus loin : la révolution numérique à laquelle nous assistons a fait émerger des pratiques qui s’appuient sur les failles de notre droit de la propriété intellectuelle pour se développer et qui conduisent à capter de la valeur, en l’occurrence les contenus des éditeurs, sans que ces derniers en soient informés.
Cet amendement tend à ce que l’autorisation accordée au titre du droit de reproduction soit requise au préalable et pour tous types de supports.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’article 2 vise à clarifier un certain flou juridique sur l’agrégation par des plateformes de programmes d’entreprises de communication audiovisuelle. Je pense notamment aux programmes des radios qui sont conservés sous la forme de podcasts et rendus disponibles, non seulement sur le site ou l’application du média, mais également sur d’autres, comme Apple Podcast.
Cet article précise que l’autorisation de l’éditeur est requise pour l’utilisation de ces programmes, en direct comme en différé. Cette disposition constitue un progrès incontestable.
La combinaison des amendements nos 5 rectifié bis et 84 rectifié bis, ainsi que des amendements nos 6 rectifié ter, 85 rectifié ter, 7 rectifié ter et 86 rectifié ter, nous conduit à aller beaucoup plus loin que ce progrès déjà notable.
Ces amendements visent en effet à ce que les entreprises de communication audiovisuelle puissent négocier, selon des modalités légales et financières nouvelles, l’exploitation de la reprise de leurs programmes, ce qui reviendrait en pratique à créer une très forte complexité pour l’ensemble des usagers et à détruire les agrégateurs de contenus.
Plus important, leur adoption aurait pour effet de conditionner au paiement d’une redevance la diffusion du programme d’une radio ou d’une télévision dans un lieu ouvert au public, comme un salon de coiffure ou un événement retransmis par une collectivité.
Concrètement, la redevance perçue par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), déjà acquittée, serait partagée avec les auteurs, ce qui implique soit son augmentation, si l’on veut maintenir le pouvoir d’achat des artistes, soit la diminution de la part qui revient à ces derniers, si le montant de cette redevance devait rester stable.
On comprend bien l’intérêt de ces mesures pour les entreprises de communication audiovisuelle, mais elles me paraissent un peu dangereuses, car elles transfèrent in fine la charge sur les commerces ou les collectivités.
Dès lors, et sous le bénéfice des explications de Mme la ministre, j’émets un avis défavorable sur les amendements identiques nos 5 rectifié bis et 84 rectifié bis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Votre argumentation avait la pureté du cristal, monsieur le rapporteur. (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.) J’y souscris : avis défavorable ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié bis et 84 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 6 rectifié ter est présenté par MM. Decool, Chasseing, Guerriau, Lagourgue, A. Marc et Médevielle, Mmes Mélot et Paoli-Gagin, M. Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Dumont, MM. Lefèvre, Pellevat, Cigolotti, Moga, Bouchet et Daubresse, Mme Saint-Pé et MM. Laménie et Guiol.
L’amendement n° 85 rectifié ter est présenté par Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Artano, Bilhac, Cabanel, Gold et Guérini, Mme Guillotin et M. Requier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Après le 3° de l’article L. 214-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 4° Pour l’application du 1° du présent article, est également concernée la communication directe dans un lieu public, sans paiement d’un droit d’entrée, des programmes des entreprises de communication audiovisuelle mentionnés à l’article L. 216-1 du présent code. Pour ce type d’exploitation de leurs programmes, les entreprises de communication audiovisuelle bénéficient, à parts égales avec les producteurs et les artistes-interprètes, de la rémunération mentionnée au présent article, et dans les conditions fixées aux articles L. 214-2 à L. 214-5. » ;
2° L’article L. 214-2 est complété par les mots : « et, lorsqu’il y a lieu, les entreprises de communication audiovisuelle » ;
3° L’article L. 214-3 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « des producteurs de phonogrammes », sont insérés les mots : « et des entreprises de communication audiovisuelle » et après les mots : « et les personnes utilisant les phonogrammes », sont insérés les mots : « ou les programmes » ;
b) Au deuxième alinéa, après les mots : « les personnes utilisant les phonogrammes », sont insérés les mots : « ou les programmes » ;
4° Au premier alinéa de l’article L. 214-4, après le mot : « phonogrammes » sont insérés les mots : « ou les programmes » et les mots : « et 3° » sont remplacés par les mots : « 3° et 4° ».
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié ter.
M. Jean-Pierre Decool. Le présent amendement vise à inclure dans le champ de la licence légale, qui couvre d’ores et déjà la diffusion des phonogrammes dans les lieux publics et qui profite aux artistes interprètes et aux producteurs de phonogrammes, la diffusion dans les mêmes lieux des programmes des entreprises de communication audiovisuelle.
Le dispositif serait néanmoins limité aux lieux publics qui sont accessibles sans paiement d’un droit d’entrée, car la diffusion des programmes dans les lieux accessibles au public dont l’accès est conditionné au paiement d’un droit d’entrée relève du droit exclusif des entreprises de communication audiovisuelle selon la directive 2006/115/CE du 12 décembre 2006.
Ce mécanisme de licence légale appliqué aux programmes des entreprises de communication audiovisuelle garantira une rémunération effective des radios et des télévisions en cas de diffusion de leurs contenus dans les lieux publics accessibles sans paiement d’un droit d’entrée. Aujourd’hui, ces éditeurs en sont privés, contrairement aux artistes interprètes et aux producteurs de phonogrammes.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 85 rectifié ter.
Mme Véronique Guillotin. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je vous ferai grâce de nouvelles explications, mes chers collègues : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié ter et 85 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 7 rectifié ter est présenté par MM. Decool, Malhuret, Chasseing, Guerriau, Lagourgue, A. Marc et Médevielle, Mmes Mélot et Paoli-Gagin, M. Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Dumont et MM. Lefèvre, Pellevat, Cigolotti, Moga, Bouchet, Daubresse, Laménie et Guiol.
L’amendement n° 86 rectifié ter est présenté par Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin et M. Requier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, après les mots : « les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes », sont insérés les mots : « en ce compris les entreprises de communication audiovisuelle en cette qualité ».
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié ter.
M. Jean-Pierre Decool. En raison de l’évolution technologique, les entreprises de communication audiovisuelle, comme les éditeurs de services de radio et de télévision, effectuent aujourd’hui, de manière quasi systématique, la première fixation sonore ou audiovisuelle de leurs programmes propres avant diffusion et sont, à ce titre, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes au sens des articles L. 213-1 et L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, du fait de la même évolution des technologies et des supports d’enregistrement, on constate une hausse des copies de contenus. De plus en plus, en effet, les utilisateurs consomment, téléchargent et enregistrent les programmes sur leur smartphone, leur tablette ou leur ordinateur.
Afin de compenser la perte subie par les titulaires de droits voisins que sont les éditeurs de radio et de télévision par suite de ces reproductions, le présent amendement vise à confirmer expressément qu’ils bénéficient du dispositif de rémunération pour copie privée, au même titre que les actuels bénéficiaires du système.
Cette modification est conforme à la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 qui permet, voire impose, cette extension de rémunération pour copie privée aux entreprises de communication audiovisuelle.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 86 rectifié ter.
Mme Véronique Guillotin. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je vous ferai une nouvelle fois grâce de mes explications. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié ter et 86 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 2 bis (nouveau)
L’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, les mots : « de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse » sont remplacés par les mots : « d’entamer et de conclure des négociations globales avec les éditeurs de presse et les agences de presse réunis ensemble en vue de fixer le montant de la rémunération prévue au deuxième alinéa et de leur fournir préalablement » ;
2° Après le même troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Tout refus de négociation ou de conclusion de l’accord mentionné au troisième alinéa, par un service de communication au public en ligne reproduisant ou exploitant directement ou indirectement le contenu d’une publication de presse, est porté à la connaissance du ministre chargé de la communication qui mandate un représentant pour conclure l’accord. En cas de refus du service concerné de conclure l’accord, dans un délai et selon des modalités fixés par décret, le ministre ou toute partie y ayant intérêt peut saisir le juge judiciaire qui prononce une sanction pécuniaire qui ne peut excéder 20 millions d’euros ou 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent du service concerné. »
M. le président. L’amendement n° 68, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je vais bien sûr m’adresser à l’ensemble de la Haute Assemblée, mais aussi, plus précisément, s’il me le permet, à M. Assouline.
Monsieur le sénateur, je tiens à saisir l’occasion qui m’est donnée pour saluer votre engagement depuis plusieurs années en faveur de la consécration d’un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse et, plus largement, en faveur de la défense des créateurs. Il fallait que cela soit dit.
La loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse témoigne de ce que la presse n’est pas un secteur économique comme les autres. Les plateformes numériques qui captent la valeur créée par les journalistes, les éditeurs et les agences doivent contribuer au financement de ce secteur.
Nous savons tous que la mise en œuvre de ce droit se heurte malheureusement à des difficultés qui résultent pour l’essentiel de la position de l’un des acteurs dominants, qui refuse de négocier de bonne foi avec l’ensemble des acteurs concernés.
Je comprends donc parfaitement et partage le souhait de la commission de la culture du Sénat, inquiète de cette situation de blocage, de trouver une solution pour que ce droit voisin soit pleinement mis en œuvre. La situation actuelle est néanmoins complexe et invite à la prudence.
J’attire tout d’abord votre attention sur la nécessité d’agir avec précaution sur un plan juridique, compte tenu des risques de fragilisation qu’une telle action pourrait faire peser sur le dispositif au regard du cadre fixé par la directive européenne, qui ne laisse qu’une marge de manœuvre très limitée.
À cet égard, le Sénat s’est attaché à ce que la loi du 24 juillet 2019 soit aussi précise que possible, mais dans le strict respect du droit européen. En revanche, je ne suis pas convaincue que l’article 2 bis présente les mêmes garanties. Le vote d’une telle disposition pourrait susciter de nouveaux recours dilatoires de la part des plateformes et retarder encore la mise en œuvre de ce droit voisin, auquel nous sommes très attachés.
Par ailleurs, toutes les familles de presse, rejointes par l’Agence France Presse, ont déposé plainte contre Google – c’est de cette société qu’il s’agit… – auprès de l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante. La décision rendue par cette autorité le 9 avril 2020 conforte le bien-fondé de la demande des acteurs de la presse.
L’Autorité de la concurrence devrait se prononcer très prochainement sur le respect par la société Google de l’injonction de négocier de bonne foi que l’Autorité lui avait adressée. Une nouvelle condamnation aurait nécessairement un effet décisif sur les négociations avec les éditeurs et les agences de presse.
L’article 2 bis me paraît prématuré, dès lors que toutes ces voies de droit ne sont pas épuisées. Compte tenu du contexte que je viens d’exposer, mon amendement vise donc à supprimer l’article 2 bis. Je veux cependant vous assurer, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de l’engagement sans faille du Gouvernement à prendre toutes ses responsabilités dans les combats qu’il reste à mener sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cet amendement revient sur un dispositif adopté par la commission à l’unanimité.
Depuis bientôt deux ans, après le vote également à l’unanimité de la loi du 24 juillet 2019, dont l’auteur et rapporteur était notre collègue David Assouline, les droits voisins n’ont donné lieu à aucun versement de la part des grandes plateformes. Pire, les négociations qui traînent en longueur ont contribué à fissurer le front des éditeurs et des agences, comme en a témoigné la table ronde édifiante organisée ici même par la commission le 14 avril dernier.
Dans ce contexte, j’entends les réserves juridiques exprimées par Mme la ministre sur le dispositif de l’article 2 bis. J’observe cependant que d’autres pays, comme l’Australie, ont obtenu des résultats prometteurs sous la pression des pouvoirs publics.
Dès lors, il me semble qu’il convient de bien marquer notre volonté de contraindre les grandes plateformes, non pas à recourir à des tactiques dilatoires, mais à négocier en toute bonne foi et avec la conscience aiguë qu’elles doivent respecter la volonté clairement exprimée des législateurs européens et nationaux.
Nous attendons également, dans peu de temps, une décision de l’Autorité de la concurrence. La commission a entendu sa présidente, Mme de Silva, le 7 avril dernier : nous pensons qu’une prise de position ferme de sa part serait susceptible de faire bouger les lignes.
Cependant, dans l’attente d’avancées très significatives, je crois qu’il est primordial de maintenir cet article. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je partage la volonté du rapporteur de maintenir un dispositif voté à l’unanimité par la commission de la culture, sur l’initiative de notre collègue David Assouline.
J’ai entendu les arguments juridiques que vous avez présentés, madame la ministre, et vous avez eu raison de nous rappeler ce que doit être la procédure. Cependant, durant toutes ces années, nous avons appris que, face aux plateformes, seuls le rapport de force et l’e-réputation – si je puis dire – fonctionnent, si l’on veut faire avancer les choses.
Souvenez-vous, mes chers collègues, que, lorsque nous avons défendu la nécessité d’un alignement du taux de TVA pour le livre numérique sur celui du livre papier, on nous a expliqué que nous tentions de légiférer avant que l’Europe ne se soit prononcée. Finalement, bien nous en a pris, puisque nous avons contribué à faire avancer les choses.
Il nous faut marteler la nécessité que les plateformes rentrent dans le rang, si je puis m’exprimer ainsi, et montrer constamment notre détermination de faire avancer la cause de la régulation du numérique.
Aujourd’hui, les plateformes contestent même le contenu du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA). J’ai auditionné plusieurs de leurs représentants dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes : je n’ai rien pu en tirer, ils se refusent d’ores et déjà à appliquer le futur droit européen !
C’est pourquoi je soutiens l’amendement de notre collègue David Assouline, devenu l’article 2 bis du présent texte.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Madame la ministre, tout d’abord, je vous remercie pour vos propos.
Ensuite, je ne doute absolument pas que nous soyons d’accord sur ce sujet. Simplement, étant donné nos fonctions respectives, nous ne sommes pas d’accord sur la manière de faire avancer rapidement le dossier.
Cet article est une sorte d’appel au Gouvernement pour qu’il s’engage à prendre la main, une fois la décision de l’Autorité de la concurrence connue, s’il constate que la situation est bloquée.
La France n’est pas n’importe quel pays : si, à un moment donné, la France ne dit pas – car c’est de cela qu’il s’agit – qu’elle n’accepte pas qu’un géant de l’internet contourne et empêche l’application de la loi française sur son territoire, alors qui le fera ?
Chacun contribue à faire avancer ce combat comme il le peut. Pour ma part, j’ai veillé à ce que le dispositif de mon amendement ne fragilise pas la portée de la décision que rendra l’Autorité de la concurrence. Cet article est d’abord un message politique envoyé aux plateformes, qui se réfugient actuellement derrière des pratiques inacceptables, pour les contraindre à respecter notre droit.
Je pense d’ailleurs que ces plateformes sont en train d’évoluer. Il y a peu, notre commission a auditionné, à leur demande, des représentants de Google : ils nous ont dit avoir évolué grâce à notre loi et à nos efforts, tout en avançant certaines difficultés d’application.
À l’origine, souvenez-vous, ils considéraient que les droits voisins n’existaient pas, que la seule chose qu’ils pouvaient faire était de verser à la presse, de manière volontaire, de quoi vivre, parce que ce sont de grands mécènes ! C’est tout juste s’ils ne demandaient pas à être payés pour référencer les titres… Ils ont changé : désormais, ils reconnaissent l’existence des droits voisins, même s’ils insistent sur les difficultés pour répartir ces droits.
Nos combats font bouger les choses : il faut avoir conscience du poids que nous avons. Nos efforts sont suivis avec intérêt partout en Europe – nous étions les premiers à légiférer sur le sujet –,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. … mais aussi ailleurs dans le monde, puisque l’Australie s’est également référée à nos travaux.
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. David Assouline. J’espère que les travaux de l’Assemblée nationale…
M. Arnaud Bazin. C’est fini !
M. David Assouline. … nous permettront d’aller encore plus loin.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Ce sujet est, de longue date, important pour notre commission (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.) ; je pense notamment au travail mené par notre collègue David Assouline, en rappelant que sa proposition de loi, ainsi que l’amendement qui est devenu l’article 2 bis de ce projet de loi ont été votés à l’unanimité.
Je ferai deux remarques.
Première remarque, je ne crois pas, madame la ministre, que nous nous opposions sur le fond. Nous avons peut-être une vision différente sur la manière de parvenir à un même résultat. Si l’on en reste au texte en vigueur, je pense que la presse, dans son organisation actuelle, ne s’en sortira pas et, compte tenu du rapport de force, perdra son combat contre Google – je cite le nom de cette entreprise, puisque vous l’avez fait vous-même, madame la ministre. On le voit au travers de l’accord conclu avec l’Alliance de la presse d’information générale : le résultat obtenu n’est pas totalement satisfaisant.
C’est la raison pour laquelle – c’est ma seconde remarque – il va falloir rééquilibrer ce rapport de force. Deux moyens sont envisageables pour y parvenir.
On peut simplement attendre que l’Autorité de la concurrence rende son avis. Je dois avouer que cela nous aurait simplifié la tâche si cette décision avait été publiée avant l’examen de ce texte.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Mais c’est ainsi : l’agenda de l’Autorité n’est pas celui du Parlement. Dont acte !
On peut aussi renforcer le dispositif législatif. Or le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue un véhicule législatif adéquat et nous n’en aurons sans doute pas d’autre avant un moment. De surcroît, le parcours de ce texte va durer plusieurs semaines et la rédaction de cet article pourra être revue soit lors de son examen par l’Assemblée nationale, soit lors de la réunion de la commission mixte paritaire. C’est pourquoi il nous semble primordial d’y introduire, dès l’examen du texte en première lecture au Sénat, un dispositif qui diffère de l’état actuel du droit.
En réalité, sauf à ce que l’avis de l’Autorité de la concurrence soit suffisamment solide et argumenté, et montre à la société Google qu’il faut aller bien au-delà de ce qu’elle a mis en place dans le cadre de la première convention, nous pensons qu’il est nécessaire de renforcer le dispositif législatif actuel.