M. le président. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke.
M. Mikaele Kulimoetoke. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est humblement, en tant que sénateur des îles Wallis et Futuna, connaissant à ce titre le tiraillement entre deux cultures, que je me tiens devant vous aujourd’hui. C’est également en tant qu’Océanien français, profondément ancré dans les traditions et les coutumes de mes îles, que je prends la parole pour témoigner comme voisin et spectateur privilégié de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, surnommée « le Caillou ». À cette occasion, je salue chaleureusement la communauté wallisienne et futunienne de Nouvelle-Calédonie.
Celle-ci entre dans la dernière phase d’un processus inédit, qui a été une source exceptionnelle d’optimisme. Il a démontré la capacité des femmes et des hommes à trouver, au sein de la République française, des solutions novatrices pour répondre aux défis qui s’imposent à eux. Toutefois, cette source se tarit à mesure que se rapproche le prochain référendum.
Mes chers collègues, ne nous voilons pas la face sur la situation de la Nouvelle-Calédonie ! Ce territoire reste divisé entre deux communautés. Si elles s’acceptent et se respectent désormais, elles continuent toutefois de nourrir des ambitions antagonistes pour leur avenir. Les inégalités y sont encore trop fortes, d’autant qu’elles s’inscrivent dans une réalité ethnique qui les rend révoltantes et insoutenables.
D’un côté, les indépendantistes militent pour que la communauté kanake, dont chacun sait ici les souffrances et les humiliations qu’elle a subies dans son histoire, recouvre une dignité et une légitimité existentielles qui lui sont dues, avec comme horizon l’accession de la Nouvelle-Calédonie à son indépendance.
De l’autre, les loyalistes, attachés aux valeurs françaises et à l’accompagnement de l’État, aspirent à évoluer en restant au sein de la République.
Cette division est partagée de manière proportionnelle par l’ensemble des différentes communautés vivant sur le Caillou ; les deux premiers référendums en sont le reflet.
Par deux fois déjà, les Calédoniens et les Calédoniennes ont prouvé leur capacité à se réinventer en faisant le pari de l’intelligence collective, au détriment de l’affrontement. Cela a été symbolisé par la poignée de main historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.
Les Calédoniens seront donc bientôt amenés, une fois encore, à décider de leur avenir institutionnel. Au nom des Français que nous représentons, je veux leur dire combien nous souhaitons qu’ils fassent le choix du dialogue et de la sagesse. Mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie est à l’orée d’une nouvelle période de son histoire. Elle fait cependant face à d’importants défis.
En tant qu’île du Pacifique, elle sera aux premières loges des conséquences du réchauffement climatique, comme l’ensemble des terres d’outre-mer menacées par la montée des eaux.
Elle doit également composer avec des perspectives économiques moroses. L’économie calédonienne reste dépendante d’un or vert et d’usines non rentables, qui n’ont pas tenu leurs promesses de diversification, malgré l’intervention de l’État.
Nichée au cœur de l’axe indopacifique, sur lequel le président Emmanuel Macron a eu raison de porter un regard attentif, la Nouvelle-Calédonie attise les convoitises. Ses ressources minières et halieutiques aiguisent l’appétit d’influences dont l’intérêt pour les droits humains et écologiques est bien moins marqué que celui de la France.
Comment la Nouvelle-Calédonie compte-t-elle répondre à tous ces défis ? Comment compte-t-elle financer la diversification de son économie ? Comment compte-t-elle assurer le rééquilibrage économique et social ? Comment compte-t-elle résister à la présence croissante d’influences étrangères ? Enfin, quelle sera la stratégie géopolitique de la France dans la région ?
Voilà autant de problématiques qui seront au centre des discussions dans les semaines à venir, grâce à l’implication du ministre Sébastien Lecornu, que je salue. Il est urgent d’échanger sur les conséquences du oui et du non. C’est un impératif absolu.
Mais la principale question, mes chers collègues, est la suivante : quelle est la position de l’État français dans ce débat ?
Si l’avenir de la Nouvelle-Calédonie n’a pas vocation à se dessiner dans les hémicycles métropolitains, il est néanmoins indispensable que l’État et la représentation nationale prennent toute leur place dans ce débat. En engageant l’avenir des Calédoniens, le Gouvernement engage également celui des Français. Je saisis donc l’occasion qui m’est donnée ici pour remercier le président Larcher d’avoir pris l’initiative de cet échange porteur d’espoir. Je salue aussi à cette occasion mes collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie, MM. Pierre Frogier et Gérard Poadja.
Monsieur le ministre, les Calédoniens sont inquiets. À quelques mois du prochain référendum, aucun accord n’a été trouvé. Aucune assurance n’est donnée aux Calédoniens, qu’ils soient pour ou contre l’indépendance.
Pour ma part, j’invite les leaders et dirigeants calédoniens à une concertation collective, je les invite à penser de nouvelles perspectives et des garanties susceptibles de rassurer la population dans son ensemble.
Le débat calédonien interroge tous les Ultramarins, mais également chaque Français. Il soumet à notre réflexion l’évolution des rapports que nous, collectivités ultramarines, pouvons entretenir avec la métropole.
Cette relation se doit d’être apaisée, la place et les coutumes de chacun doivent y être respectées. Elle doit aussi être pérenne, pour lever le voile de l’incertitude et permettre à tous de se projeter vers un destin commun. Enfin, elle doit offrir à notre jeunesse les moyens de réussir à relever les nombreux défis qu’elle devra affronter.
Cette jeunesse nous écoute, que ce soit à Nouméa, à Koné, à Wé, mais aussi à Mata-Utu, à Saint-Denis, à Pointe-à-Pitre ou à Papeete. Elle porte nos espoirs, même dans des situations compliquées, comme quand elle doit venir étudier en métropole. Mais cette jeunesse n’abandonne pas : elle nous regarde avec insistance. Aujourd’hui, elle attend, comme tous les Calédoniens, que ses représentants et l’État soient clairs sur l’avenir que nous lui préparons. Pour cela, nous devons dire les choses.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement doit rassurer les Calédoniens et les Français. Les silences de cet horizon incertain poussent chacun dans ses derniers retranchements et creusent le lit d’une inquiétude et d’une colère dont on sait qu’elles seront à l’origine de tragiques événements. Il est de notre responsabilité de faire maintenir le dialogue entre les différentes composantes calédoniennes, afin que la dernière consultation aboutisse à un avenir radieux et prometteur pour l’ensemble des Calédoniens.
Malo, oleti, mauruuru : merci à vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 septembre 1953, à l’occasion du centenaire de la présence de la France en Nouvelle-Calédonie, si Louis Jacquinot, ministre de la France d’outre-mer, soulignait que, un siècle plus tôt, la France adoptait la Nouvelle-Calédonie en affirmant des droits sur cette terre, il savait aussi que ces droits comportaient des devoirs. C’est à l’un de ces devoirs que nous sommes d’autant plus confrontés que, pour notre part, nous estimons que la Nouvelle-Calédonie a pleinement sa place dans la République.
Car, aujourd’hui, l’espoir d’un régime qui se pérennise est de plus en plus proche, qu’il se poursuive avec la France ou qu’il se dirige vers l’indépendance. C’est la continuation de ce qu’avaient engagé, il y a trente ans, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur : ce projet doit aller à son terme.
Le lien entre la France et la Nouvelle-Calédonie est le fruit d’une histoire coloniale souvent pesante et d’un processus de décolonisation laborieux.
Depuis les accords de Nouméa jusqu’au troisième référendum, qui pourrait avoir lieu d’ici à 2022, nous demeurons à la recherche d’un équilibre avec ce territoire aux antipodes de la métropole.
Les enjeux politiques et sociaux y sont particulièrement complexes et justifient pleinement qu’un débat soit consacré à ces questions, pour lesquelles chacun doit savoir faire preuve de prudence et de tempérance.
D’autant que la recherche d’équilibre se traduit également par des aspects précis et délicats, notamment d’un point de vue juridique.
Je souhaite évoquer en particulier l’équilibre de l’application, en Nouvelle-Calédonie, de deux régimes de droit inhérents, si l’on schématise, à l’existence de deux populations : celle des autochtones kanaks et celle qui résulte du processus colonial.
Comme nous le savons, une partie du droit kanak originel continue d’être appliqué, notamment par le truchement du statut civil coutumier. De ce point de vue, la coexistence des systèmes juridiques et normatifs pose des difficultés concrètes.
Bien entendu, la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, qui a suivi les accords de Nouméa, est venue organiser l’articulation des droits coutumiers et du droit commun.
Il n’en reste pas moins que les dispositions de cette loi ne résolvent pas pleinement les questions pratiques qui se posent aux autorités coutumières. Leur complexité est telle que les quelques articles de notre législation permettent mal aux juridictions de faire face à ce que l’on peut qualifier d’une crise de juridicité de la coutume.
Voilà donc l’une des problématiques fondamentales à laquelle se confronte la sortie des accords de Nouméa. En plus des enjeux politiques et institutionnels, le choix de l’indépendance ou du maintien devra aussi tenir compte de cette dimension juridiquement concrète.
Quelle que soit la solution retenue, qu’adviendra-t-il du droit commun, du droit coutumier et de ce qui a déjà été acquis dans leur articulation ?
Certaines avancées ont déjà eu lieu. Ainsi, le Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie a adopté, en 2011, une délibération sur un cadre de résolution des conflits en milieu coutumier, qui vise à s’appliquer avant que le conflit ne dépasse le terrain coutumier pour gagner le terrain judiciaire et pénal.
Il reste néanmoins du chemin à parcourir pour aboutir à un système pérenne, que soit choisie la voie du maintien ou celle de l’indépendance.
Par ailleurs, si essentielle soit-elle, cette question de l’indépendance tend parfois à mettre un voile sur d’autres difficultés que rencontre la Nouvelle-Calédonie. Je pense, par exemple, à certaines problématiques matérielles liées aux infrastructures du réseau routier, qui ont souffert et souffrent toujours du passage de la dépression tropicale Lucas au mois de février dernier.
Durant plusieurs mois, des routes furent barrées ou endommagées, compliquant significativement la vie quotidienne de nos concitoyens. Les services techniques sont débordés et peinent encore à répondre à toutes les demandes.
Je n’évoque pas ces questions par goût de l’anecdote, mais parce qu’elles sont susceptibles d’affecter la qualité du débat démocratique engagé depuis plusieurs années et qui devrait se poursuivre encore. Je veux souligner d’ailleurs que le Sénat doit prendre toute sa place dans le processus. Nous devrons rester mobilisés pour nous prononcer sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie après les échéances que nous connaissons.
Au fond, le choix de l’indépendance ou du maintien dans la France ne suffira pas à résoudre certaines difficultés structurelles et économiques. Les référendums ne réparent pas les routes et les ponts ; se rendre aux urnes ne suffit pas à éteindre les difficultés…
Aussi, je conclurai mon intervention en formulant le souhait que la France, tout en respectant l’expression démocratique dans laquelle le Gouvernement est pleinement investi – je m’en félicite –, poursuive son soutien à la Nouvelle-Calédonie afin que cette dernière accède à davantage de sérénité tant politique, qu’économique et sociale.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est marquée par des épisodes douloureux, par des tensions qui ont abouti aux « événements » des années 1980, cette quasi-guerre civile qui a fait couler le sang entre partisans et opposants à l’indépendance.
C’est dans ce contexte de violence qu’ont été signés les accords de Matignon en 1988, puis l’accord de Nouméa en 1998. À strictement parler, nous arrivons au terme du processus référendaire, puisque les indépendantistes du Congrès ont demandé la tenue du troisième référendum.
D’ici à octobre 2022, la préparation du dernier référendum ne peut se limiter à la seule réponse binaire d’un oui ou d’un non à l’indépendance. Nous respecterons le résultat du référendum, car nous sommes particulièrement attachés au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; mais, quel qu’il soit, il ne mettra pas fin aux tensions.
Le précédent référendum a été la scène d’une campagne très violente entre indépendantistes et loyalistes. Ces derniers ont récemment perdu le contrôle du Gouvernement, alors qu’ils y étaient majoritaires depuis 1998.
Le dialogue engagé par l’État entre l’ensemble des interlocuteurs est essentiel, car, quoi qu’il arrive, ils doivent faire société. Les conflits politiques créent des situations de blocage institutionnel, comme nous le voyons avec la difficulté pour le nouveau Gouvernement calédonien d’élire son président.
L’avant-référendum implique donc une large campagne d’informations et de concertations. D’une part, il s’agit d’expliciter à chaque citoyenne et citoyen calédonien les enjeux liés à ce référendum en matière fiscale, agricole et industrielle, sur la citoyenneté et sur les questions régaliennes ; d’autre part, il est nécessaire de recueillir leur avis. Tout en conservant sa neutralité, l’État a ici un rôle à jouer pour mettre ces informations à disposition.
Monsieur le ministre, où en est-on dans les consultations lancées à l’échelon local ?
Selon l’économiste Olivier Sudrie, si la Nouvelle-Calédonie était un pays indépendant, elle serait la deuxième nation la plus inégalitaire de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE).
L’héritage colonial structure encore la société calédonienne avec des disparités ethniques importantes, malgré la division par deux des inégalités entre Kanaks et Caldoches en vingt ans.
Le taux de pauvreté de la province Nord demeure de 35 %, contre 9 % au Sud. Il s’élève à 52 % dans les îles Loyauté, où les Kanaks sont encore plus présents que dans le Nord. Les 10 % les plus aisés ont un niveau de vie huit fois plus élevé que les 10 % les plus modestes.
Ces clivages nourrissent la volonté d’indépendance, mais on ne peut affirmer que celle-ci permettrait une réduction des inégalités.
Si le oui l’emporte, il nous faudra accompagner les Calédoniens dans leur transition vers l’indépendance et développer la coopération, afin de nous assurer que la dépendance actuelle vis-à-vis de la métropole ne creuse davantage les inégalités.
Si le non l’emporte, de nouveaux outils devront permettre de favoriser un développement égalitaire de l’archipel. L’État n’a pas su préserver les identités des différentes populations qui le composent ni faire cesser les discriminations raciales ou reconnaître à leur juste hauteur la place des populations kanakes.
Ces lacunes ont créé des incompréhensions ; elles nourrissent les distensions – le prochain référendum n’y mettra pas fin. La démocratie parlera ; nous écouterons le choix des Calédoniens.
Mais comment imaginer une destinée commune avec de telles inégalités économiques et sociales ? Le statut juridique n’est pas l’alpha et l’oméga, contrairement à l’objectif de faire fonctionner une société pluriethnique et pluriculturelle.
L’Hexagone et la Nouvelle-Calédonie sont liés par une douloureuse histoire. Que l’archipel demeure dans notre République ou à ses côtés, l’État ne peut s’en déresponsabiliser. À cela s’ajoutent des enjeux d’autonomie économique, l’archipel bénéficiant de ressources qui ne sont aujourd’hui pas mises à profit, comme sa faune et sa flore marines.
La dépendance à l’industrie du nickel, qui emploie un salarié du privé sur quatre, dont 60 % d’ouvriers, a montré ses limites, comme l’a prouvé la vente de l’entreprise Vale. Des impératifs non seulement économiques mais aussi environnementaux impliquent une diversification de l’économie calédonienne. Enfin, des aspects géopolitiques viennent se lier à ces questions puisque l’archipel est convoité à l’international.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais non pas clore, mais ouvrir mon intervention par ces mots de Louise Michel, envoyée au bagne en Nouvelle-Calédonie en 1873 pour avoir été communarde : « Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que, le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux ». (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Poadja. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Gérard Poadja. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ils étaient 111 : 111 Kanaks exhibés lors de l’exposition universelle de 1931 au parc de Vincennes.
On les avait exposés, à côté des crocodiles, parce que les « sauvages » devaient être aux côtés des bêtes sauvages. La brochure disait : « Venez voir les Kanaks, car c’est une race qui va bientôt disparaître. »
Seul. Il a pris une balle seul, sur la propriété de ses parents. C’était une belle journée de janvier 1985. Il avait 17 ans et la mort a frappé, de manière aveugle. Il s’appelait Yves. James, aussi, fut tué, et tant d’autres encore.
Ils étaient 4 : 4 sous le soleil de Fayaoué, loin de leur terre natale, dans leur brigade, quand le temps s’arrêta. C’était deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 1988.
Ils étaient 2. Ils venaient pour la levée de deuil, un an après : 2 à serrer les mains, à saluer les autorités coutumières et les familles, quand ils ont été abattus par l’un des leurs. Ils s’appelaient Jean-Marie et Yéyé. C’était un 4 mai.
Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est la mienne. Celle d’un Kanak originaire de la tribu de Poindah, dans l’aire coutumière Paici-Camûki, en province Nord.
Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est celle de mon peuple, le peuple calédonien.
Si je raconte cette histoire, c’est parce que c’est la nôtre, celle de la France. C’est 170 ans d’une histoire dont nous sommes les héritiers.
Je prononce ces mots avec gravité, à la veille d’un double anniversaire hautement symbolique, celui de l’assaut de la grotte de Gossanah à Ouvéa et de la signature de l’accord de Nouméa.
Mes chers collègues, nous n’écrirons pas sur une page blanche au moment où le peuple calédonien sera appelé à décider, pour la troisième fois en quatre ans, si la Nouvelle-Calédonie doit devenir indépendante ou si elle doit demeurer au sein de la République française.
Pourtant, je crois plus que jamais au destin commun entre la France et la Nouvelle-Calédonie, un destin commun nourri par une histoire, une langue, une école et des valeurs, mais aussi par trente ans de souveraineté partagée.
Je crois plus que jamais au destin commun du peuple calédonien, lié par des sangs mêlés, une culture métissée et des mémoires entrelacées, ainsi que par une gouvernance partagée des institutions du pays, entre indépendantistes et non-indépendantistes.
C’est parce que ces destins communs sont au cœur de notre histoire que je ne veux pas d’un troisième référendum binaire : comment la moitié de la population du pays pourrait-elle imposer son choix à l’autre moitié, quand on connaît notre histoire ?
C’est pourquoi nous proposons de substituer à cette troisième consultation un référendum de rassemblement.
Construire un référendum de rassemblement, c’est admettre, pour les indépendantistes, que l’indépendance n’est pas une baguette magique face aux inégalités, à l’échec scolaire et à la délinquance qui mine notre société.
Construire un référendum de rassemblement, c’est accepter, pour les non-indépendantistes, de revisiter notre lien à la France.
Un référendum de rassemblement, c’est conjuguer ce qui nous a jusqu’alors opposés : la souveraineté et la République.
Ce sont ces deux essences que nous devrons fusionner pour poser le nouveau poteau central de la grande case du pays.
La souveraineté, parce qu’elle est nécessaire en termes de reconnaissance et de dignité pour les indépendantistes, après 170 ans d’histoire.
La République, parce qu’elle assure le lien entre toutes les communautés du pays, parce qu’elle nous protège en garantissant notre sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, parce qu’elle nous permet de bénéficier de l’un des niveaux de vie les plus élevés de la région Pacifique.
Construire un référendum de rassemblement, c’est conjuguer le oui et le non pour tisser un nouveau consensus sur un avenir partagé, comme lors des accords de Matignon et de Nouméa.
Construire un référendum de rassemblement, c’est poursuivre la trajectoire de notre émancipation, tout en restant protégé par la France.
Le dialogue prochain, sous l’autorité du Président de la République, pourrait nous offrir cette opportunité.
Soit nous sommes capables de poser les bases de ce référendum de rassemblement et son organisation en septembre 2022 fait sens, car elle nous donne le temps de finaliser un projet d’avenir partagé, soit nos échanges sont infructueux et, dans ce cas, autant organiser le troisième référendum dès la fin de l’année 2021, afin d’ouvrir le plus rapidement possible les discussions sur l’après-accord de Nouméa.
Mais attention : les discussions après le troisième référendum seront compliquées, car il y a aura alors un vainqueur électoral et un vaincu.
Les concessions réciproques pour construire un consensus sont possibles avant le troisième référendum. Après, elles seront très difficiles, voire impossibles. En cas de non, le droit à l’autodétermination devra, de toute façon, continuer à s’exercer.
Jusqu’à quand ? Avec quelles conséquences ?
Sur ce chemin, certains brandissent désormais comme solution la « partition » du pays ou ses déclinaisons – l ’hyper-provincialisation et la différenciation.
Cet apartheid géographique nous conduirait à effacer 150 ans d’histoire commune : les Kanaks avec les Kanaks, les autres avec les autres.
Croyez-moi, beaucoup de ceux qui aujourd’hui vivent en province Nord, d’où je suis originaire, sont radicalement opposés à cette perspective !
Notre réalité, c’est un pays un et indivisible, dont l’accord de Nouméa a exclu, dès l’origine, toute partition en fonction des résultats du référendum.
Notre réalité, c’est un pays qui n’a pas de frontières. Le découper, c’est l’amputer, c’est le ghettoïser.
Notre avenir, c’est de continuer à conjuguer nos deux rêves pour une même terre, et non d’affecter chaque rêve à une terre.
C’est, selon moi, le seul chemin possible pour favoriser l’émergence d’un pays rassemblé, en paix avec lui-même et confiant en sa destinée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vive un référendum de rassemblement avec tous les Calédoniens, vive le peuple calédonien, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Mikaele Kulimoetoke applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà eu l’occasion de débattre du devenir de la Nouvelle-Calédonie dans des circonstances autrement plus dramatiques. Nous pouvons nous féliciter de ce que ce débat se déroule aujourd’hui dans un contexte de paix civile.
Il constitue l’occasion – j’en remercie le groupe LR – d’évoquer le passé, mais surtout l’avenir, à l’aube du troisième référendum sur l’indépendance.
Le passé, c’est la colonisation, qui a entraîné un traumatisme durable pour la population d’origine. C’est une histoire qui a vu les Kanaks devenir minoritaires dans leur propre pays. La Nouvelle-Calédonie charrie encore la mémoire de révoltes écrasées dans le sang et de luttes, parfois instrumentalisées, entre les tribus.
Malgré ces souffrances indicibles, les Kanaks ont accepté de reconnaître que les femmes et les hommes qui se sont installés en Nouvelle-Calédonie, qui ont contribué à son développement et à l’effort collectif, ont sans nul doute vocation à participer à la détermination d’un destin commun.
C’est ce constat qui figure dans le préambule de l’accord de Nouméa de 1998, accord dans lequel nous nous inscrivons : « Ni nous sans vous, ni vous sans nous »… Dans le prolongement et la fidélité aux accords de Matignon de 1988, nous sommes tous là dans le même bateau.
Ces accords ont durablement instauré un esprit de dialogue entre les signataires. On a beaucoup parlé à l’époque de « miracle » à leur propos, mais ils sont surtout le résultat de la générosité, de l’intelligence, de la détermination d’hommes et de femmes dans un contexte où la violence avait atteint son paroxysme lors de la prise d’otages d’Ouvéa et de son issue sanglante.
Ce fut l’honneur des gouvernements Rocard et Jospin, mais aussi de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ainsi que de celles et ceux qui s’inscrivirent dans leur sillage, d’avoir su entendre les revendications du peuple kanak et les doutes des autres composantes de la société calédonienne. Ils ont prouvé que l’État n’est pas seulement autoritaire et répressif, mais qu’il joue d’abord un rôle de pacification.
Tout ce qui a été entrepris depuis en Nouvelle-Calédonie repose sur un idéal de tolérance et de respect de l’autre, qui permet d’envisager le passage d’un destin communautaire et parcellaire à la construction d’un destin commun et partagé. Il s’agit maintenant de rester fidèle à ces principes, de garantir le maintien des conditions de la concorde et de la paix.
Mais l’accord de Nouméa est temporaire. C’est ainsi qu’il a été voulu.
L’avenir, c’est le choix des liens nouveaux entre la Nouvelle-Calédonie et la République française.
La perspective de l’ultime référendum durcit les relations entre les forces politiques. Quel qu’en soit le résultat – nous savons d’ores et déjà qu’il sera serré –, l’État ne pourra pas se dérober.
Il nous revient d’appréhender les conséquences concrètes de tous les scénarios. L’État, sans se départir de son impartialité, laquelle est d’ailleurs garantie par les accords de Matignon, doit s’engager sur la Nouvelle-Calédonie d’après.
Ce qui doit primer, c’est d’avoir un processus, un cheminement, qui puisse rassembler. L’État devra proposer une solution, il devra dire comment il accompagnera la Nouvelle-Calédonie dans les voies qu’elle pourra choisir.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, la voix du Gouvernement doit être plus ferme.
Dans ce cadre, nous ne partageons pas ce que suggère notre collègue Pierre Frogier, lui qui fut pourtant l’homme des deux drapeaux côte à côte. Comment peut-il raisonnablement penser que la solution soit le « chacun chez soi », un drapeau au Nord, un autre au Sud. La différenciation politique qu’il propose rime avec confédération.
Monsieur Frogier, puisque les résultats électoraux confirment scrutin après scrutin que la Nouvelle-Calédonie est une addition de particularismes géographiques et ethniques, vous pourriez nous dire : « Respectons ces différences et organisons la partition politique ! »
Ce que vous suggérez n’est rien d’autre qu’une partition territoriale à laquelle nous ne pouvons pas adhérer.
Cette idée de provincialisation consiste en réalité à accroître les prérogatives des provinces. Ce qui est présenté comme une décentralisation est en fait une division stricte du territoire avec des fortunes économiques particulièrement déséquilibrées.
Un tel projet est insoutenable, impraticable. Il aiguisera inexorablement l’acrimonie entre les deux camps.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’a aucune certitude, mais il a des convictions. Il se pose en garant de l’esprit de Nouméa, en refusant fermement la partition et en rappelant que l’héritage Rocard-Jospin est celui d’hommes et de femmes qui ont compris que tout était à redouter si chacun persistait à s’isoler.
Faisons place, mes chers collègues, à une nouvelle imagination. Pourquoi ne pas imaginer une solution de dialogue et de compromis, qui pourrait être acceptable en préconisant la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’un partenariat institutionnel avec la France ?
Elle impliquerait l’inscription d’un partenariat dans les constitutions respectives de chaque pays. Il s’agit en quelque sorte d’une formule d’États associés, qui a déjà fait ses preuves ailleurs dans le monde.
L’État est un arbitre, mais aussi un partenaire : un arbitre, parce qu’il doit veiller à l’application des engagements pris ; un partenaire, parce qu’il ne peut pas rester spectateur indifférent, et qu’il doit accompagner.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je laisserai le dernier mot à Jean-Marie Tjibaou, homme de paix, qui déclarait tranquillement : « L’indépendance, c’est la faculté de choisir ses interdépendances. » Cette phrase pourrait devenir prophétique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)