M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de lemploi et de linsertion. Monsieur le président, monsieur le président Serge Babary, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté attentivement les observations et inquiétudes des différents orateurs. Je souhaite y apporter quelques éléments de réponse.

Avant d’aborder l’avenir du régime de garantie des salaires, je voudrais rappeler les principales mesures de protection des entreprises et des salariés face à la crise. Depuis plus d’un an, la priorité du Gouvernement est et restera de prévenir les défaillances d’entreprises et les destructions d’emplois face au choc économique induit par la crise sanitaire. Prêts garantis par l’État, fonds de solidarité, activité partielle : ces dispositifs exceptionnels sont autant de mesures de soutien économique et de protection des emplois. Le « quoi qu’il en coûte », toutes les travées pourront en convenir, est plus qu’une formule : c’est une réalité !

S’agissant de l’activité partielle, elle bénéficiait encore, au mois de mars, à 2,3 millions de salariés, et sans doute à plus de 3 millions au cours du mois d’avril. Voilà un an, c’est-à-dire au plus fort du premier confinement, ce dispositif de prise en charge des salaires par l’État et l’Unédic concernait 9 millions de salariés. Cette protection bénéficie tout particulièrement à certains secteurs plus touchés que d’autres par les restrictions sanitaires : l’hébergement-restauration, le commerce et le service aux entreprises. Je rappelle que nous avons consacré près de 30 milliards d’euros à ce dispositif l’an dernier, et que nous fléchons plus de 10 milliards d’euros supplémentaires cette année. Ce sont plusieurs centaines de milliers d’emplois qui sont ainsi préservés au sein des entreprises. De ce point de vue, le Gouvernement a pleinement tiré les leçons de la crise financière de 2008-2009.

Dans la perspective d’une levée progressive des restrictions sanitaires, nous menons, en compagnie de Bruno Le Maire, des concertations avec les secteurs professionnels et les partenaires sociaux sur l’évolution de ces mesures de soutien.

À cela s’ajoute l’activité partielle de longue durée, qui concerne les secteurs dont l’activité est durablement ralentie du fait de la crise. À ce jour, 52 accords de branche ont été conclus, concernant près de 5 millions de salariés. Là encore, le taux de prise en charge des salaires par l’État est élevé pour permettre aux entreprises concernées de rebondir en conservant en leur sein les compétences dont elles auront besoin pour la reprise.

Sachez que le Gouvernement prend pleinement la mesure de la situation économique, mais, malgré les mesures exceptionnelles de soutien, nous savons qu’il y aura des mauvaises nouvelles. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution examinée cet après-midi.

Beaucoup a déjà été dit par les orateurs des groupes. Comme il a été rappelé, le régime de garantie des salaires permet, depuis près de cinquante ans, d’assurer à tous les salariés le maintien de leur rémunération pendant les procédures collectives, sans délai d’attente ni période de carence. C’est un régime innovant et socialement protecteur, auquel le Gouvernement est fortement attaché. Il s’agit en effet d’un véritable amortisseur des soubresauts de l’activité économique et de leur impact sur les salariés. Il est financé exclusivement par des cotisations patronales et trouve son équilibre dans la possibilité de récupérer ces avances de salaires en priorité sur les actifs de l’entreprise. Ainsi, il dispose d’un superprivilège par rapport aux autres créanciers de l’entreprise.

La réforme du droit des sûretés et la transposition par voie d’ordonnance de la directive Restructuration et insolvabilité de 2019 ont suscité de fortes inquiétudes de l’AGS et des partenaires sociaux. En effet, certains ont pu craindre que le superprivilège disparaisse au profit d’autres créanciers, comme les acteurs mobilisés dans le cadre des procédures collectives : mandataires de justice, avocats, experts.

Le projet initial soumis à consultation publique prévoyait d’instituer formellement un rang de classement de priorité des créanciers, faisant redouter une rétrogradation du superprivilège de l’AGS.

Or, comme vous le savez, le régime est fragilisé financièrement, puisqu’il a dû emprunter 200 millions d’euros en 2020, du fait d’un montant d’avances net des récupérations supérieur aux cotisations en 2019, c’est-à-dire avant la crise.

Par ailleurs, l’AGS pourrait être fortement sollicitée du fait des faillites d’entreprises, qui auraient dû être en cessation de paiements en 2020 ou en 2021, mais qui, grâce aux aides, ont été préservées pendant la crise.

La question du rôle et de la survie du régime a donc légitimement été soulevée. Certains se sont émus de la priorité qui serait accordée aux frais de justice, c’est-à-dire au paiement, avant l’AGS, des administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que de leurs conseils, avec un risque de diminution des récupérations.

Le sujet n’est pas simple, car, si nous savons que le paiement des salaires est une priorité à l’occasion d’une procédure collective, la survie de l’entreprise en est également une. Or cela nécessite de rétribuer ceux qui travaillent pour la remettre à flot.

Dans ce contexte, le Gouvernement a tenu à répondre à l’inquiétude liée à l’évolution du régime de garantie des salaires. Début mars, le Premier ministre a confié à M. René Ricol une mission sur l’articulation de ce régime avec la rémunération des administrateurs et mandataires judiciaires dans le cadre des procédures collectives. Le 15 avril, ses conclusions étaient remises au Gouvernement. Toutes les personnes concernées ont été auditionnées, rappelant l’importance de l’AGS et de son rôle social dans les procédures collectives.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement suivra largement les recommandations de M. Ricol.

Tout d’abord, il convient clairement de réaffirmer le superprivilège de l’AGS et de maintenir son rang de créance. Si la directive a, notamment, pour objectif de simplifier et de clarifier les procédures, elle ne nous interdit pas d’exclure de la liste des créanciers certains d’entre eux, qui, de fait, n’entrent pas en concurrence avec le superprivilège. C’est le cas des administrateurs et mandataires, qui gèrent les procédures et font l’interface avec l’AGS. Pour éviter des frais de justice trop importants, notamment en raison du recours à des experts ou à des avocats, nous mettrons en place, avec le garde des sceaux, des mesures visant à rendre plus transparents lesdits frais et à mieux les contrôler, sous l’autorité des juges.

Cet encadrement, qui, de fait, est dans l’intérêt de tous, permettra à l’AGS de bénéficier d’un droit de récupération plus large. C’est pourquoi nous soutenons votre proposition de résolution sur le volet de la préservation du régime. Les partenaires sociaux devront, par ailleurs, réfléchir à l’évolution des taux de cotisation pour favoriser le retour à l’équilibre du régime.

S’agissant des deux autres pistes évoquées, à savoir donner un rôle plus important à l’AGS dans le reclassement des salariés touchés par les procédures collectives et ouvrir le régime aux indépendants, ma position est plus réservée.

Certains outils existent déjà pour faciliter le reclassement, comme le contrat de sécurisation professionnelle, qui permet aux salariés dont l’entreprise est placée en redressement ou en liquidation judiciaire de disposer d’un accompagnement renforcé en cas de licenciement pendant douze mois, avec un maintien de 75 % de la rémunération.

L’AGS peut déjà intervenir sur la base du 4° de l’article L. 3253-8 du code du travail, lequel prévoit qu’elle couvre les mesures légales du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Si, dans la pratique, l’intervention de l’AGS porte uniquement sur des mesures annexes aux formations prévues dans les PSE, par exemple les frais de déplacement pour les formations, il est actuellement possible d’aller au-delà sans qu’il soit nécessaire de modifier son champ de compétences.

J’attire toutefois votre attention sur le fait que, si de nouvelles mesures d’accompagnement devaient être financées par le régime, cela pourrait avoir des répercussions financières, et donc impliquer une augmentation des cotisations.

S’agissant de l’ouverture du régime aux indépendants, cela conduirait à changer radicalement sa nature. L’AGS garantit une créance salariale et agit en substitution des salariés. Elle dispose en ce sens d’un superprivilège sur les actifs de l’entreprise. Si je comprends parfaitement la détresse de certains indépendants, qui, face aux difficultés de leur activité, se retrouvent sans ressources, le choix d’élargir le régime à cette catégorie de travailleurs conduirait à transformer la garantie salariale en une garantie pécuniaire, et donc changerait la nature du régime.

Les pertes de revenus auxquelles doivent faire face les travailleurs indépendants en cas de défaillance de leur entreprise relèvent d’autres mécanismes assurantiels. Pour autant, Alain Griset et moi-même sommes particulièrement attentifs à leur situation économique et sociale et ouverts aux propositions du Sénat pour leur permettre d’accéder à une meilleure protection.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement ne peut pas être favorable à cette proposition de résolution. Monsieur le président Babary, je vous le redis, je reste disponible pour venir présenter les dispositifs de protection de l’emploi et des compétences que nous mettons en œuvre devant la délégation sénatoriale aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution relative à l’avenir du régime de garantie des salaires

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu les articles 46, 54, 57 et 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances,

Considérant le risque de défaillances d’entreprises, voire de faillites en cascade à venir, avec des conséquences très préjudiciables pour l’emploi ;

Considérant le rôle d’amortisseur social que joue l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui se substitue à l’entreprise placée en procédure collective lorsqu’elle n’a pas les fonds pour verser les salaires ;

Considérant que l’efficacité de ce système de garantie des salaires tient au surprivilège dont jouit l’AGS actuellement au troisième rang dans l’ordre des créanciers d’une entreprise en procédure collective ;

Considérant que la rétrogradation de ce surprivilège à un rang inferieur dans l’ordre des créanciers aurait pour effet de réduire mécaniquement les remboursements de créance que l’AGS parvient à récupérer ;

Considérant qu’une telle déstabilisation du régime de garantie des salaires pourrait conduire demain à ce que les salariés des entreprises sous le coup d’une procédure de sauvegarde ne puissent plus être payés ;

Considérant l’impératif de préserver notre modèle de protection des salariés, dans un contexte de crise économique violente ;

Invite le Gouvernement à réaffirmer le caractère fondamental et inamovible du surprivilège de l’AGS ;

Invite le Gouvernement à défendre la singularité du régime actuel de garantie des créances des salariés, qui a fait la preuve de son efficacité, en concourant à la solidarité vis-à-vis des salariés dont l’emploi est menacé ;

Invite le Gouvernement à préserver le régime actuel de garantie des créances des salariés en envisageant un élargissement du champ d’intervention de l’AGS à des mesures de reclassement des salariés ainsi que dans les procédures préventives ;

Invite le Gouvernement à envisager l’ouverture d’une protection spécifique de garantie des salaires des indépendants durement éprouvés par la crise.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires
 

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Avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie, dans la perspective du terme du processus défini par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre Frogier, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)

M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’ouvre ce débat, je pense à mes compatriotes qui nous écoutent sur cette terre de Nouvelle-Calédonie, perdue dans le Pacifique et si lointaine vue de Paris.

Les uns sont à la recherche d’un chemin vers l’indépendance, les autres ont choisi depuis longtemps celui de la France, mais tous poursuivent leur marche dans les ténèbres, en se cognant contre les murs.

Et maintenant, que fait-on ?

C’est la question que j’entends vous poser, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues. Malheureusement, je ne suis pas certain que les réponses abondent. Alors que l’accord de Nouméa est désormais un accord ancien, dont l’esprit est moribond et la lettre sans espoir, personne ne sait comment en sortir, personne ne sait ce qui va se passer.

Vous comprendrez donc que cette situation génère une profonde et légitime inquiétude au sein d’une population qui ressent l’impasse dans laquelle elle a été menée. Cette angoisse se double d’une incompréhension dans la partie de la population qui a déjà exprimé, à deux reprises et sans ambiguïté, sa volonté de rester française : elle ne comprend pas la désinvolture, voire l’indifférence, des plus hautes autorités de l’État, comme si la revendication d’indépendance avait plus de légitimité que le combat qu’elle mène pour rester française.

Pourtant, depuis trente ans, la Nouvelle-Calédonie est engagée dans un processus exemplaire. Après les violents affrontements des années 1980, qui nous ont conduits à une quasi-guerre civile, nous avons choisi le chemin de la paix et de la réconciliation.

En 1988, la signature des accords de Matignon, scellés par la poignée de main de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, a mis un terme à l’escalade de la violence.

Dix ans plus tard, ces accords ont trouvé leur prolongement dans l’élaboration d’une solution consensuelle, qui s’est traduite par la signature de l’accord de Nouméa. Mais celui-ci, que nous avons signé dans l’urgence, était inachevé, incomplet et imparfait. Peut-être le problème était-il plutôt que nous n’étions pas suffisamment conscients du fait que ce processus était fragile et délicat, et qu’il nécessitait, pour s’épanouir, de la confiance, de la sérénité et une vraie sincérité, en dehors de toute arrière-pensée, notamment, électoraliste.

Je fais le constat aujourd’hui, devant vous, que l’accord de Nouméa a été un acte manqué.

Il a été dénaturé dès 2007, avec le gel du corps électoral pour les élections provinciales, qui a justifié par la suite toutes les revendications et toutes les surenchères des indépendantistes. Cet accord a été géré de manière partisane par tous ceux qui y trouvaient leur intérêt. Il a été confisqué quand on a voulu faire prévaloir son texte sur son esprit. Au lieu de le faire vivre, de le laisser s’épanouir et se transformer, on l’a enfermé, monsieur le ministre, dans une formule coupable, « l’accord, tout l’accord, rien que l’accord », qui empêchait toute évolution.

Pendant des années, j’ai proposé de rechercher cette sortie harmonieuse de l’accord, cette nouvelle solution consensuelle, ce nouveau compromis qui aurait constitué la suite logique et cohérente de ce que nous vivons depuis trente ans et serait venu compléter cet accord imparfait. Mais je n’ai été entendu ni de ma famille politique, ni des indépendantistes, ni de l’État, et aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une impasse ! Faute d’être parvenus à un nouvel accord, nous en sommes réduits à l’affrontement sans fin de convictions inconciliables.

J’avais aussi la conviction que nous devions faire l’économie de ces référendums mortifères, qui ne pouvaient que raviver les tensions, les divisions et les affrontements.

À deux reprises déjà, en 2018 et en 2020, nous nous sommes retrouvés face à face. C’est un exercice inutile puisqu’aucun des deux camps ne se soumettra jamais aux convictions de l’autre et que, quel que soit le résultat, nos convictions et celles des indépendantistes ne varieront pas.

C’est aussi un exercice dangereux. Nous qui étions des partenaires, nous sommes redevenus des adversaires, comme si nous n’avions pas travaillé et géré la Nouvelle-Calédonie ensemble, comme si nous n’avions pas porté une ambition commune. Ces référendums à répétition sont devenus un engrenage infernal, qui anéantit toute capacité de dialogue.

Je retiens néanmoins deux enseignements de ces consultations. Le premier est qu’il n’y a pas de majorité pour l’indépendance. Le second est qu’une triple fracture – politique, identitaire et géographique – scinde notre société. Les électeurs du Sud sont massivement favorables au maintien de la Calédonie dans la France. Les électeurs du Nord et des îles sont massivement favorables à l’indépendance.

Nous devons, sans concession, regarder cette réalité en face, même si elle bouscule nos certitudes et nos ambitions.

Malgré les efforts de rééquilibrage financiers et les initiatives économiques, culturelles et sociales, nous n’avons pas progressé dans la construction d’une communauté de destin. Les indépendantistes sont et resteront farouchement indépendantistes ; quant à nous, nous sommes et nous resterons indéfectiblement attachés au maintien de la Calédonie dans la France, parce que chacun de nous reste et restera intimement attaché à son identité.

Ces référendums auront malheureusement enfermé la vie politique locale dans une logique d’affrontements identitaires.

À l’évidence, ce que nous avions imaginé il y a vingt ans est dépassé. La réalité est que la Nouvelle-Calédonie est une terre aux identités multiples, où chacun doit pouvoir développer ses atouts dans une relation saine, stable et pérenne.

En effet, la recherche à tout prix de convergences factices nous a conduits à des confusions néfastes. La réalité est que nous avons un défi à relever : apprendre à savoir vivre ensemble, assumer nos différences pour rendre notre collectivité humaine plus forte, et nous entendre sur nos divergences pour en limiter les effets. Je crois que nous en sommes capables.

Alors, voici ce que je vous propose : après avoir négocié deux accords, il nous faut être capables, aujourd’hui comme demain, de négocier un désaccord !

Au-delà de la formule, qui peut sembler un bel oxymore, négocier un désaccord, c’est l’assurance d’une coexistence apaisée, dans le respect de nos identités et de nos différences.

Il s’agit non pas de nous séparer ni de nous tourner le dos, mais de nous entendre sur nos divergences afin d’en limiter les effets, de reconnaître ce que nous partageons, d’accepter ce qui nous sépare et, sur cette base, d’organiser notre avenir.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de tracer devant vous les grandes lignes de cette solution ; j’espère qu’elle permettra à la Calédonie d’inventer son avenir et à ses populations de vivre durablement réconciliées.

Cette solution repose sur deux principes. Le premier consiste à reconnaître la nécessité d’avoir cette terre en partage ; le second, à réaffirmer la prééminence de la collectivité provinciale.

Quand je dis qu’il faut avoir cette terre de Calédonie en partage, je pense à cette nuit interminable de juin 1988, alors que nous posions les principes fondateurs des accords de Matignon, lesquels, en partageant le territoire en trois provinces, ont permis le retour à la paix civile. Personne, jusqu’à aujourd’hui, n’a engagé de procès en partition de la Nouvelle-Calédonie contre ses signataires : ni contre Michel Rocard, ni contre Jean-Marie Tjibaou, ni contre Jacques Lafleur.

C’est donc sur cette base retrouvée que je propose d’unifier en harmonisant les contraires, au lieu d’uniformiser en écrasant les différences.

Le cœur de cette proposition, c’est de redonner toute sa place à la collectivité provinciale.

En conséquence, la collectivité de la Nouvelle-Calédonie sera composée de trois provinces dotées de la compétence de principe et garantissant les différentes identités de la Nouvelle-Calédonie. Les communes seront des collectivités des provinces et certaines compétences pourront leur être déléguées. Chaque province sera dotée de son conseil coutumier kanak, composé de représentants des chefferies des aires coutumières de son ressort. Surtout, chaque assemblée de province sera élue selon son propre régime électoral afin que nul ne soit exclu.

L’État continuera à assurer toutes les compétences régaliennes – défense, justice, ordre public, monnaie, affaires étrangères –, mais les provinces pourront partager certaines de ses prérogatives, en accord avec lui.

Pour assurer la gouvernance de la collectivité de Nouvelle-Calédonie, et pour éviter de tomber dans les travers et les lourdeurs du gouvernement collégial mis en place par l’accord de Nouméa, je propose la constitution d’un collège médiateur, composé du représentant de l’État, évidemment, et de représentants des assemblées de province. Son président représentera la Nouvelle-Calédonie en toutes circonstances.

Cette gouvernance est un processus de coordination des provinces et de l’État en vue d’atteindre des objectifs définis et discutés collectivement, mais c’est aussi un mode d’organisation qui impliquera des négociations permanentes, sur un pied d’égalité, entre les provinces. Il s’agira non plus de dicter des priorités d’en haut, mais de se contenter de réguler et d’arbitrer, afin d’assurer le libre épanouissement des provinces. Il s’agira d’une répartition plus horizontale du pouvoir.

Le savoir vivre ensemble nécessitera des règles communes, mais, au lieu d’être imposées d’en haut, les mesures prises résulteront d’un processus d’élaboration collective guidée par la recherche de réponses aux défis communs, conformément à des valeurs contenues dans une charte. Celle-ci définira un engagement de valeurs partagées, de droits et de libertés garantis par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel de la République. Elle exprimera par ailleurs l’adaptation du droit civil aux identités plurielles de la Nouvelle-Calédonie concernant les personnes, la famille, les rapports entre les personnes et leurs rapports au groupe social.

Cette solution institutionnelle sera bien sûr soumise à l’approbation des populations intéressées.

Monsieur le ministre, j’entamais mon propos en évoquant le sort de mes compatriotes qui continuent de cheminer dans les ténèbres.

Il est vrai que cela est dû, en grande partie, à cet État que vous incarnez aujourd’hui, à cet État qui hésite encore, qui hésite toujours : doit-il se débarrasser de la question calédonienne ou la traiter ?

Se débarrasser de la question calédonienne, c’est laisser entendre qu’une indépendance en association ou en partenariat reste possible, à la condition, bien sûr, que les intérêts économiques et militaires de l’État soient garantis.

Se débarrasser de la question calédonienne, c’est malheureusement abandonner toute cette population à son sort et alimenter les tensions.

Traiter la question calédonienne, en revanche, c’est apporter une solution d’aujourd’hui à un vieux problème ; ce n’est pas réparer le passé !

C’est réussir à conjuguer respect de la démocratie locale, respect des identités, respect des différences et intérêt de la France.

Monsieur le président, mes chers collègues, je m’adresse à vous car la Nouvelle-Calédonie ne peut plus attendre. Elle a besoin de développer un autre visage. Elle a besoin que, sans attendre, une main lui soit tendue.

En incarnant la bonne volonté de la République à l’endroit de tous les Calédoniens, en employant sa culture de la sagesse à résoudre une question territoriale qui peut avoir des conséquences importantes, y compris dans d’autres territoires ultramarins, notre Haute Assemblée pourrait incarner cet espoir et permettre à la Nouvelle-Calédonie de devenir un laboratoire de l’adaptation républicaine aux réalités des territoires et de vivre les différences sereinement.

En favorisant par l’intelligence collective la coconstruction d’une solution d’aujourd’hui, nous passerions d’une logique de centralisation, puis de décentralisation, à une logique de regroupement des territoires.

Monsieur le président, je veux conclure en vous priant d’avoir en tête le sort du jeune indépendantiste par solidarité identitaire et celui de son ami loyaliste à l’identité culturelle si différente. Je vous demande, pour eux, de vous engager afin de les libérer de la peur de l’autre, afin de leur permettre d’être français ensemble, en valorisant et en respectant leurs différences et en inscrivant leur avenir dans une appartenance commune. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP. – M. Mikaele Kulimoetoke applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier nos collègues du groupe LR d’avoir proposé ce débat, mais aussi le président Larcher d’avoir pris l’initiative d’un groupe de travail sénatorial transpartisan sur la question calédonienne, qui est d’une brûlante actualité et continuera à l’être ces prochaines années.

Alors que nous arrivons au terme du processus de Nouméa, le Caillou a occupé, occupe et occupera votre gouvernement, monsieur le ministre, comme aucun autre au XXIe siècle. Il sera également l’un des premiers gros dossiers du gouvernement qui sortira des urnes en 2022.

La demande d’un troisième référendum d’autodétermination intervient dans une situation économique dégradée, dans une situation politique fragmentée et dans une situation sociale toujours plus conflictuelle. Cela n’a rien d’étonnant, alors que l’on s’approche de la fin d’un processus qui a été entamé il y a plus de trente ans et dont l’issue représente un vide politique, une feuille presque blanche qui reste à écrire.

La situation particulièrement tendue et bloquée de l’hiver dernier a néanmoins connu une légère accalmie. Je salue à ce propos l’intervention bienvenue de l’État, qui a favorisé une solution de reprise du complexe minier Vale. Cette solution est plutôt intéressante : le capital sera majoritairement détenu par les collectivités calédoniennes et un partenariat conclu avec Tesla pour stabiliser les débouchés économiques. Elle s’accompagne d’un projet ambitieux, sur le papier du moins, de préservation de l’environnement. Rappelons que ce site accueille la plus grosse usine mondiale d’acide sulfurique, dans une zone riche d’une biodiversité exceptionnelle. Vous vous doutez bien que les écologistes seront particulièrement exigeants sur ce dernier point.

Ce week-end, c’est la paralysie politique qui durait depuis la mi-février qui semble trouver une issue, avec le compromis qui s’esquisse entre les formations indépendantistes à la tête du gouvernement de l’île.

Entre-temps, la demande d’un troisième référendum, à l’automne 2022, a été effectuée. Vous avez invité toutes les formations politiques calédoniennes à Paris à la fin du mois, monsieur le ministre, pour envisager ce référendum et les conséquences des deux scénarii dans lesquels la Nouvelle-Calédonie pourrait s’engager à l’issue de ce scrutin.

Votre démarche nous semble la bonne. Néanmoins, elle ne sera utile que si toutes les forces politiques sont effectivement présentes. Aussi, il nous paraît essentiel de convaincre les partis indépendantistes de faire le déplacement, en affinant rapidement votre programme de travail et, au besoin, en envoyant un émissaire gouvernemental sur l’île pour caler les choses.

Sans cela, vous ne parviendrez pas à tenir votre promesse d’un travail consistant sur les conséquences du oui et celles du non, un travail à même d’éclairer le débat référendaire, les électrices et les électeurs, mais aussi tout le pays. Le calendrier étant ce qu’il est, vous ne pourrez pas vous engager sur une gestion de l’après-référendum, qui ne sera peut-être pas du ressort de l’exécutif actuel. Nous vous demandons donc de construire en amont, avec toutes les forces politiques nationales, le compromis politique le plus large possible sur ce que sera l’attitude de la France.

Ainsi, on pourra soutenir et favoriser, en cas de victoire du non, l’émancipation du peuple kanak, seule à même d’apaiser les tensions, ou bien accompagner l’indépendance, en cas de victoire du oui, autant qu’il le faudra et dans les meilleures conditions possible.

C’est la seule manière d’apporter des perspectives relativement stables aux Calédoniens, pour un débat transparent qui ne courre par le risque d’une spectaculaire volte-face à la fin du printemps 2022.

Quel que soit le choix du peuple calédonien, il n’effacera pas l’héritage colonial de l’île ni son corollaire de divisions, d’inégalités socioéconomiques inacceptables et de conflictualité.

Quel que soit ce choix, il ne réglera pas la trop forte dépendance de l’île envers l’extraction du nickel, aux très graves conséquences écologiques et sociales.

Quel que soit ce choix, il ne fera pas disparaître l’intérêt, parfois presque prédateur, de la France pour l’île, qu’il s’agisse de ses ressources minières où de l’intérêt géostratégique de sa présence dans le Pacifique.

La dépendance envers la métropole qui s’est construite depuis plus d’un siècle est de toute façon beaucoup trop forte pour permettre au peuple calédonien de disposer librement de lui-même. Les destins de la France et de la Nouvelle-Calédonie resteront liés, quel que soit le choix des urnes.

Mais pour favoriser autant que possible un choix autonome, la France doit apporter des garanties sur le devenir politique de l’île, quel que soit le scénario choisi démocratiquement dans dix-huit mois.

Monsieur le ministre, c’est une tâche exaltante à laquelle vous vous attelez : contribuer à inventer le devenir d’un territoire et de ses populations pour se libérer enfin du poids de l’héritage colonial et pour engager une transition sociale, économique et écologique à même de réduire les inégalités, de construire le vivre-ensemble et de préserver un environnement et une biodiversité incomparables. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)