M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe est particulièrement primordial dans le contexte anxiogène que nous connaissons et je tiens tout d’abord à remercier les auteurs de la présente proposition de résolution pour leur vigilance.
En effet, les salaires des entreprises au bord de la faillite doivent continuer à être versés. Or, nous le savons, avec le déphasage des mesures de soutien à l’économie, tandis que s’esquissera la fin de la crise sanitaire, cette question se posera malheureusement avec davantage d’acuité dans les prochains mois.
À ce titre, le Parlement ne peut s’en désintéresser.
Dans un rare élan d’unanimité, syndicats comme représentants du patronat ont dénoncé l’avant-projet d’ordonnance destiné à transposer la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité et à adapter en conséquence le droit des sûretés. Selon eux, ce projet viendrait déstabiliser notre régime de garantie des salaires, lequel permet d’allouer des avances à plus de 100 000 personnes qui travaillent dans des entreprises en difficulté faisant l’objet d’une procédure collective.
Aussi, cette proposition de résolution traduit une réelle inquiétude, réaffirme un véritable attachement à un pilier de notre tradition sociale et renouvelle un objectif commun : maintenir cet amortisseur social.
À cet égard, le rapport issu de la mission de médiation confiée à René Ricol met en évidence que, avec l’avant-projet d’ordonnance, l’AGS peut estimer que sa place dans la récupération est rétrogradée du troisième au sixième rang au profit des frais de justice. Cette rétrogradation pourrait se faire au détriment des salariés et au bénéfice des administrateurs et mandataires judiciaires. Une telle mesure est difficilement acceptable du fait de ses conséquences prévisibles.
Avec cette réforme, une perte de 320 millions d’euros est attendue pour cette année, tandis que la hausse des faillites d’entreprises sollicitera fortement la trésorerie de l’AGS. Les solutions sont simples, connues, mais redoutées : il faudrait soit accroître le taux de cotisation patronale, soit baisser le taux de prise en charge des salaires.
Si le statu quo n’est plus possible et si la garantie des salaires doit être repensée à l’aune de faillites accrues, il convient de renforcer et non pas d’affaiblir l’AGS.
Enfin, je souhaite apporter mon soutien à une orientation de cette proposition de résolution consistant à envisager l’ouverture de la protection aux indépendants, ces derniers manquant cruellement d’un filet de sécurité.
Dès lors, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de résolution.
Il souhaite aussi avoir des précisions de votre part, madame la ministre, sur plusieurs questions. Comment comprendre cette réforme de la garantie des salaires et le message qu’elle envoie dans le contexte actuel ? L’habilitation à légiférer par ordonnance prévue dans la loi Pacte permet-elle véritablement d’inclure une telle réforme ? Dans quelle mesure comptez-vous prendre en compte les recommandations du rapport de René Ricol ?
Cette proposition de résolution a le mérite de mettre en avant un mécanisme de démocratie sociale, dont notre pays peut être fier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays est frappé depuis maintenant plus d’un an par une crise sanitaire, sociale et économique sans précédent. Les mesures de restriction visant à réfréner l’épidémie ont pesé et pèsent encore sur la santé économique de nos entreprises.
À l’heure actuelle, notre économie est sous cloche. Malgré des trous dans la raquette, les mesures d’aide remplissent leur mission. Le nombre de liquidations judiciaires a même reculé de 37 % en 2020.
Cependant, ne nous méprenons pas, les effets de ces mesures ne sont que temporaires et artificiels. Nous repoussons l’inévitable. Une fois la perfusion arrachée, il est vraisemblable que de nombreuses entreprises fermeront ou licencieront des salariés.
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) explique ainsi que 175 000 emplois pourraient disparaître à cause des faillites à venir. Pire, selon une étude conduite avec des économistes du cabinet Asterès, le nombre de faillites pourrait augmenter en 2021 dans une fourchette comprise entre 2,3 % et 12,1 %. On parlerait ainsi de 250 000 emplois menacés.
Voilà le drame humain que nous devons anticiper, si nous voulons mieux accompagner et protéger ces Français qui perdront leur travail. Au lieu de cela, le ministère de la justice a d’autres projets en tête. Sûrement l’art du timing…
Dans ce contexte si singulier, le Gouvernement a trouvé judicieux de mettre sur la table un projet d’ordonnance, qui prévoit de modifier l’ordre des créanciers privilégiés en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise, faisant passer les salariés après les administrateurs et les mandataires judiciaires.
Quel sens des priorités ! Aberrant, mais cohérent pour un exécutif qui compte faire appliquer son inacceptable réforme de l’assurance chômage en pleine crise économique.
Avec ce projet d’ordonnance, le Gouvernement réussit l’exploit de réunir l’ensemble des syndicats contre lui : salariés et patronat sont résolument contre. Pour reprendre leurs mots, l’AGS « remplit un rôle d’amortisseur social » ; ils estiment qu’une rétrogradation de rang mettrait le régime en difficulté, alors qu’il est aujourd’hui équilibré, et conduirait des milliers de salariés dans des situations de détresse financière.
C’est d’une seule voix qu’ils demandent le retrait de ce projet d’ordonnance, inopportun et inapproprié dans cette période.
Notre régime de garantie des salaires est parmi les plus protecteurs en Europe. Depuis 2010, plus de 2,4 millions de salariés en ont bénéficié, selon le dernier rapport annuel d’activité de l’AGS. Nous avons le devoir de conserver ce régime, et même de l’améliorer.
Le superprivilège dont bénéficie le paiement des salaires est plus que jamais nécessaire. Le supprimer reviendrait à amputer les ressources de l’AGS d’environ 35 %, chiffre de l’année 2019. Or le régime est financé par les cotisations patronales et par la réalisation des actifs des sociétés en liquidation.
Sa rétrogradation entraînera donc nécessairement un déséquilibre qui ne pourra être résolu que par deux moyens : la dégradation de la prise en charge des salaires par l’AGS et/ou l’augmentation des cotisations versées par les entreprises. En temps de covid, ces deux options ne sont pas envisageables !
D’un côté, nos entreprises sont aujourd’hui fragiles et il ne semble pas raisonnable de leur demander un effort supplémentaire. Pour compenser, les cotisations patronales devraient augmenter d’environ 300 % !
De l’autre, il serait inadmissible de toucher à la prise en charge des rémunérations des salariés licenciés en ces temps de crise qui rendent la recherche d’emploi particulièrement difficile.
Enfin, selon les syndicats, rien dans la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité ne fonde cette modification de la hiérarchie des créanciers.
Le rapport commandé par Matignon le 8 mars dernier et remis le 21 avril confirme nos craintes. René Ricol y conclut que le projet d’ordonnance rétrograderait l’AGS derrière les frais de justice en cas de liquidation judiciaire. Il appelle d’ailleurs à clarifier les règles existantes concernant l’ordre de priorité des créanciers. Il appelle aussi à conserver l’état actuel du droit en cas de liquidation judiciaire, à savoir des créances salariales superprivilégiées, puis le paiement des frais de justice postérieurs au jugement d’ouverture.
C’est tout l’objet de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.
Parce qu’il partage les craintes des salariés et des chefs d’entreprise et qu’il est conscient des réalités de terrain et des difficultés que subissent salariés et entrepreneurs, le groupe socialiste est en accord avec cette proposition de résolution et il la votera.
Ce texte va plus loin, en envisageant l’ouverture d’une protection spécifique de garantie des rémunérations pour les indépendants, durement éprouvés par la crise.
Nous espérons que l’ordonnance qui sera promulguée cet été s’appuiera, comme promis dans le communiqué de Matignon, sur les recommandations du rapport et qu’elle permettra d’engager des travaux sur les pistes de réforme proposées à plus ou moins long terme.
Pour conclure, nous souhaitons attirer l’attention du Gouvernement sur la gestion de l’AGS. Cette dernière est qualifiée par les syndicats de salariés de « boîte noire » dont le patronat fait ce qu’il veut. L’opacité qui l’entoure pose question. Les administrateurs de l’AGS doivent mieux rendre compte de son activité devant le conseil d’administration de l’Unédic. En d’autres termes, il faut plus de transparence et une meilleure prise en considération des syndicats de salariés.
Madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la colère sociale se lève contre la calamiteuse réforme de l’assurance chômage, envoyer le signal d’une telle rétrogradation serait une faute politique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de résolution portée par notre collègue Bruno Retailleau et le groupe Les Républicains relative à l’avenir du régime de garantie des salaires, dit AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés).
Créée en 1973 sur l’initiative du Président Georges Pompidou, l’AGS est un dispositif unique en Europe : elle intervient lorsqu’une entreprise, placée en procédure collective, n’a plus les ressources suffisantes pour verser aux employés leurs salaires ; l’AGS se substitue alors à l’entreprise pour avancer et verser les rémunérations des salariés.
L’AGS bénéficie aujourd’hui d’un superprivilège, lui permettant de figurer en haut de la liste des créanciers de l’entreprise et d’obtenir ainsi une garantie sur le remboursement de ses créances, ensuite reversées aux salariés.
Or ce système vertueux est aujourd’hui menacé par un projet d’ordonnance, en cours d’élaboration au ministère de la justice, visant à transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité de 2019. Ce projet prévoit de rétrograder le superprivilège du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers, en faisant passer l’AGS après les banques et les mandataires de justice.
C’est inacceptable ! Quand on est élu de la République, on ne s’en prend pas aux plus fragiles ; au contraire, on les protège ! Or, avec cette réforme, le Gouvernement fait exactement l’inverse, en plaçant les banquiers et les mandataires avant les salariés.
Le risque à moyen terme est que l’AGS ne soit plus en mesure de récupérer l’intégralité de ses créances et ne soit donc plus en capacité de verser aux salariés l’intégralité des salaires. Pour remédier à cela, elle serait contrainte de réduire le taux de couverture des salariés ou d’augmenter le taux de cotisation.
Rappelons que l’AGS est financée, d’une part, par une cotisation patronale, d’autre part, par la créance que l’AGS prend sur l’entreprise à la place des salariés, provenant notamment de la trésorerie ou de la vente des actifs.
Finalement, le Gouvernement prétend qu’il diminue les impôts et les taxes des entreprises, mais, au détour d’une réforme, il augmente leurs charges sans être directement concerné, puisqu’il s’agit de cotisations qui n’entrent pas dans les caisses de l’État…
C’est la raison pour laquelle la proposition de résolution que nous défendons aujourd’hui s’oppose vigoureusement à l’évolution envisagée par le Gouvernement et propose de préserver le régime actuel de l’AGS.
Tout d’abord, la période critique que nous traversons, liée à la pandémie de covid-19, va inévitablement conduire à des faillites d’entreprises, d’autant que le Gouvernement a annoncé, ce qui est logique, la fin progressive des aides pour soutenir l’économie et la fin du fameux « quoi qu’il en coûte ».
L’ampleur du « mur des faillites » reste encore incertaine, mais elle pourrait être d’autant plus importante que les aides publiques ont aussi favorisé la survie artificielle de certaines structures qui étaient déjà en mauvaise posture avant la pandémie.
À Saint-Quentin, dans l’Aisne, le tribunal de commerce connaît une forte baisse d’activité depuis un an, mais, lorsque l’on interroge les agents et les juges, on ressent leur inquiétude : tous redoutent le moment où les entreprises cesseront d’être sous perfusion.
En 2008, avec la crise des subprimes, l’avalanche de défaillances avait mis à mal le régime de l’AGS, qui avait dû doubler le taux de cotisation des entreprises pour le porter à 0,4 %. La situation pourrait être bien pire avec la pandémie de covid-19, car, malgré une baisse de 33 % du nombre d’affaires ouvertes en 2020, les comptes se sont dégradés du fait d’une baisse des cotisations de 9 %, liée principalement au chômage partiel.
Pour faire face au pic de faillites, que tout le monde anticipe, sans avoir à augmenter le taux de cotisation, l’AGS a d’ailleurs déjà contracté trois emprunts représentant un droit de tirage total de 1,5 milliard d’euros à rembourser en 2023.
C’est pour cela qu’il est nécessaire de ne pas fragiliser davantage un système qui joue pleinement son rôle d’amortisseur social et de soutien aux salariés en difficulté.
Le calendrier choisi par le Gouvernement est incompréhensible : il était peu opportun de s’atteler à ce dossier en pleine crise sanitaire et économique. Vous nous dites que la loi Pacte impose un délai pour l’ordonnance, mais, une fois de plus, vous auriez dû laisser la main au débat parlementaire !
Les différents interlocuteurs semblent avoir été peu écoutés et tout le monde s’accorde à dire que rétrograder le privilège de l’AGS est un mauvais coup porté aux salariés et à la garantie de leurs droits.
La situation d’un salarié qui gagne le SMIC n’est pas du tout comparable à celle d’une banque. Ce salarié a fourni un travail, pour lequel il doit être rémunéré à tout prix. C’est pourquoi l’AGS doit rester superprivilégiée.
La proposition de résolution réaffirme justement le caractère fondamental et inamovible du superprivilège de l’AGS. Elle prévoit un élargissement de son champ d’intervention à des mesures de reclassement des salariés et invite le Gouvernement à envisager l’ouverture d’une protection spécifique pour les indépendants.
Notre proposition de résolution veut aussi en appeler au bon sens. Pourquoi, alors que le système est ingénieux, protecteur et utile, a-t-on besoin de le changer ? On n’entend jamais parler de l’AGS ; c’est donc qu’il fonctionne bien ! En outre, c’est un dispositif privé qui n’impacte pas les finances publiques. Le président de l’AGS a bien résumé la situation, en regrettant que « l’on déstabilise un régime socialement généreux et financièrement vertueux ».
Pour tenter d’apaiser la situation, le Premier ministre a commandé un rapport à René Ricol. Il vient d’être rendu public : il confirme que la réforme envisagée rétrograde l’AGS derrière les frais de justice et les banques, et il recommande de maintenir le superprivilège des salariés et de maintenir leur protection en cas de faillite.
Vous avez indiqué, madame la ministre, que le projet d’ordonnance serait promulgué d’ici à l’été, sur la base des recommandations du rapport. Je veux croire que vous suivrez sa proposition concernant le maintien du superprivilège des salariés.
En conclusion mes chers collègues, avec cette proposition de résolution, nous souhaitons envoyer un signal fort de soutien aux salariés de notre pays, touchés durement par la crise sanitaire et ses conséquences économiques, dont nous ne connaissons pas encore toute l’ampleur.
Nous souhaitons également adresser un signal d’alerte au Gouvernement, pour qu’il ne dénature pas le régime actuel et garantisse le droit des salariés à bénéficier du paiement de leurs salaires jusqu’à la fin des procédures collectives.
C’est pourquoi, avec la quasi-totalité de nos collègues, nous voterons cette proposition de résolution et nous invitons le Gouvernement à nous entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier le groupe Les Républicains d’avoir organisé ce débat autour de la proposition de résolution relative au régime de garantie des salariés, notamment Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises – nous connaissons tous son attachement pour ce qui concerne la vie des entreprises.
Comme le disait Jean-Pierre Moga, nous souhaitons, grâce à cette proposition de résolution, interpeller le Gouvernement sur l’avenir de l’AGS et sur les conséquences de l’ordonnance, prévue dans le cadre de la loi Pacte, qu’il prépare à son sujet.
Nous estimons que l’AGS est un régime vertueux. Instauré il y a près de cinquante ans, il ne fait pas appel aux finances publiques, puisqu’il est abondé par les cotisations des entreprises – et nous souhaitons que celles-ci soient le plus modique possible – et, pour pratiquement la moitié de ses besoins, par les récupérations opérées sur les entreprises au moment où elles déposent le bilan. Nous souhaitons que cet aspect vertueux du régime soit préservé le plus longtemps possible.
J’ajoute qu’un tel régime est particulièrement important pour les salariés des petites entreprises : si ma mémoire est bonne, environ 86 % des 140 000 salariés pris en charge par le régime appartiennent à des entreprises de moins de dix salariés, la moitié des prises en charge concernant même des entreprises d’un ou deux salariés.
Il nous semble important de concrétiser l’engagement de la loi Pacte en faveur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Celle-ci doit se traduire par un attachement envers les salariés et par une prise en compte de leur situation. Or il n’existe rien de plus compliqué pour un salarié que de voir son entreprise arrêter son activité, déposer le bilan et ne pas pouvoir lui verser le salaire qui lui est dû.
Le régime mis en place en France est également vertueux, parce qu’il est particulièrement opérationnel : il permet de verser les salaires dans un délai extrêmement court, le plus souvent moins de cinq jours.
En outre, il permet de prendre en charge des niveaux de salaire allant jusqu’à 80 000 euros, contre 30 000 euros au maximum dans les autres pays européens qui ont mis en place un dispositif équivalent.
Le régime français est donc particulièrement solide et nous ne voudrions pas, madame la ministre, qu’il soit remis en cause. Il faut à la fois le maintenir et ne pas alourdir les cotisations sociales dues par les entreprises, mais il faut aussi l’améliorer, notamment par la prise en charge des rémunérations des indépendants – Jean-Pierre Moga l’a évoqué.
J’ajoute qu’il faut aussi améliorer les procédures de liquidation judiciaire. Aujourd’hui, trop d’entreprises sont directement mises en liquidation au moment où leur dossier est examiné par le tribunal de commerce. Nous devons beaucoup progresser dans ce domaine : l’objectif principal doit être de maintenir une entreprise en activité, pas de la liquider. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour l’initiative de notre président de groupe, Bruno Retailleau, visant à faire inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée cette proposition de résolution, qui a pour objet la préservation du régime actuel de garantie des salaires. Notre collègue Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, l’a fort bien expliquée en début de séance.
La situation économique de notre pays est très préoccupante : le déficit public a dépassé les 9 % en 2020 ; la dette devrait atteindre 120 % du PIB ; la « valse des milliards », ainsi que nous l’avons observée à la commission des finances, avoisine les 100 milliards d’euros.
Les conséquences sociales de cette crise sont encore ténues, voire paradoxales. Les dispositifs mis en place par l’État ont été massifs : chômage partiel ; prêts garantis par l’État ; annulation de charges ; fonds de solidarité. Ces aides ont permis à nos entreprises de tenir durant les mois de confinement, qui, pour certains secteurs, malheureusement, dure encore. Vous connaissez tous, mes chers collègues, les difficultés du monde économique.
Certaines analyses ont révélé que les procédures collectives avaient reculé, en 2020, de 32 %. Nous ne devons pas nous arrêter à ces chiffres, car il est certain que, sur le front social, le plus difficile est devant nous. Le ministre délégué chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, a annoncé dans la presse, mi-avril, la fin progressive du « quoi qu’il en coûte », avec des conséquences inéluctables sur un certain nombre d’entreprises, et donc de salariés.
Le taux de liquidation directe des entreprises après jugement est passé de 66 % avant crise à près de 80 % aujourd’hui. Parmi les entreprises touchées, on dénombre une majorité de très petites entreprises, souvent avec moins de cinq salariés.
Face à cette situation, qui risque d’empirer dans les prochains mois, il nous faut préserver au maximum le tissu d’emplois. Certaines entreprises ne pourront pas s’en remettre, nous le savons. Malgré les aides de l’État, malgré la mobilisation des chefs d’entreprise, des salariés, il y aura malheureusement de la casse sociale. C’est pourquoi tout doit être fait pour faciliter au maximum la reconversion professionnelle des salariés et leur assurer les meilleures garanties possible.
La France s’est dotée en 1973 d’un système intelligent, unique en Europe, qui permet aux employés victimes d’une procédure collective dans leur entreprise de continuer de bénéficier du versement de leur salaire, malgré les menaces de liquidation judiciaire. Ce régime de garantie est aujourd’hui menacé par la transposition de la directive Restructuration et insolvabilité de 2019, que la loi Pacte prévoit.
Le projet d’ordonnance soumis à consultation par la Chancellerie nous fait craindre le pire, avec le risque de rétrogradation de l’AGS du troisième au sixième rang dans l’ordre des créanciers. La perte du surprivilège aurait des conséquences directes pour les salariés, ceux-ci étant menacés de ne plus bénéficier du versement de leur salaire jusqu’à la fin de la procédure collective.
Le président de l’AGS a fait part de ses doutes quant au bien-fondé de cette réforme, dénonçant notamment un coût pour le régime de près de 300 millions d’euros par an, soit les trois cinquièmes des sommes récupérées en 2020.
Cette réforme intervient, par ailleurs, dans un contexte extrêmement complexe pour l’AGS, qui va devoir affronter un nombre de faillites d’entreprises que tous s’accordent à considérer comme élevé. Le régime évalue ainsi à 2,5 milliards d’euros le montant des aides à débloquer en 2021, soit près du double de l’an passé. Les conséquences pour l’ensemble de nos territoires ne sont pas minces, puisque près de 98 000 salariés pourraient en bénéficier.
Mes chers collègues, certains dispositifs fonctionnent bien dans notre pays. Ne les détruisons pas ! Le régime de garantie des salaires, voulu par le président Pompidou, vient en renfort des aides que la puissance publique peut mettre en place grâce aux cotisations des employeurs et aux créances prises sur la trésorerie ou la vente des actifs de l’entreprise.
Dans ce contexte, la proposition de résolution que porte aujourd’hui le groupe Les Républicains est un appel.
Appel à ce que soit préservé le régime actuel, qui a fait ses preuves et qui ne coûte pas un centime d’argent public.
Appel à ce que soit maintenu le surprivilège dont bénéficie aujourd’hui l’AGS dans l’ordre des créanciers, qui lui permet de remplir à bien ses missions.
Appel à ce qu’il soit mis fin, dans la période de difficultés économiques et sociales actuelles, à des réformes hâtives et aux conséquences mal évaluées.
Je soutiens pleinement cette proposition de résolution, que je voterai en pensant à l’ensemble des salariés, des employés de notre pays qui paient au prix fort cette crise. Aux risques de licenciements et de faillites, ne rajoutons pas l’impossibilité pour les entreprises de verser à leurs salariés méritants la juste rémunération de leurs efforts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à ouvrir mon propos avec ce rappel historique : « L’affaire Lip a démontré qu’en cas de faillite, notre législation sacrifiait les travailleurs […]. C’est pourquoi le Gouvernement, avec le concours des partenaires sociaux, a l’intention de […] faire en sorte que les travailleurs soient mieux défendus en pareil cas et qu’ils soient une priorité sur l’actif des sociétés. »
Ces mots, prononcés par le président Georges Pompidou en septembre 1973, annonçaient la création de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui intervient quand une entreprise se trouve en procédure collective et n’a pas les fonds disponibles pour payer les salaires. Elle se substitue alors à l’entreprise défaillante et prend en charge le versement des rémunérations ou des indemnités de licenciement.
L’AGS remplit ainsi le rôle d’un véritable amortisseur social, et nul doute que, dans le contexte actuel de crise sanitaire, cette mission est essentielle. C’est ce que rappelle avec justesse la proposition de résolution de Bruno Retailleau.
En contrepartie, l’AGS bénéficie d’un superprivilège et figure parmi les premiers créanciers. Ce mécanisme, unique en Europe, est particulièrement efficace, rapide et ne coûte rien à la collectivité.
Vous comprendrez, madame la ministre, que, dans ces conditions, l’avant-projet d’ordonnance préparé par le ministère de la justice ait suscité quelques inquiétudes.
Les syndicats et le patronat sont d’ailleurs unanimes – fait exceptionnel ! – pour dénoncer cette réforme, qui menace de rétrograder le remboursement des créances salariales de l’AGS. Certes, les services du ministère avaient réfuté les critiques des partenaires sociaux, mais René Ricol, dans le rapport qu’il vient de rendre à la demande du Premier ministre, confirme leurs craintes. Même si la portée du déclassement doit être relativisée, l’avant-projet rétrograde bien l’AGS dans le classement des créanciers privilégiés, en dépouillant l’institution du superprivilège des salariés.
Comme l’a rappelé le président du conseil d’administration de l’AGS, l’équilibre du mécanisme repose sur une cotisation patronale de 0,15 % et la capacité de récupération des avances consenties aux salariés, soit 400 millions à 500 millions d’euros par an. La rétrogradation entraînerait une perte de 200 millions à 300 millions d’euros en année pleine. Les conséquences, dans une période où le nombre de liquidations risque d’exploser, seraient particulièrement néfastes.
Certes, les défaillances sont pour l’instant contenues grâce aux aides publiques pour faire face à l’épidémie de covid. On peut toutefois craindre une augmentation du nombre de faillites en sortie de crise et, partant, une sollicitation encore plus importante de l’AGS, qui a d’ores et déjà contracté trois emprunts pour pouvoir verser les salaires de 2021 et 2022. Divers instituts économiques estiment ainsi à 45 000 le nombre de défaillances d’entreprises en 2021 et à plus de 60 000 leur nombre pour l’année prochaine.
Madame la ministre, pourquoi vouloir ainsi déstabiliser un régime socialement généreux ? Pourquoi organiser la rétrogradation de l’AGS dans l’ordre des créanciers au nom d’une directive européenne qui ne traite pas de cette question ? Pourquoi, surtout, choisir de le faire dans le contexte économique actuel ?
Ce projet de réforme va déstabiliser le régime de garantie des salaires en réduisant fortement ses possibilités de récupération des sommes avancées. Ce sont finalement les salariés qui en pâtiront, avec une dégradation de la prise en charge des salaires et des indemnités. La proposition de résolution de Bruno Retailleau et de ses collègues rappelle avec justesse qu’il est plus que jamais nécessaire de préserver notre modèle de protection des salariés.
J’y insiste, la crise nous impose de demeurer vigilants pour protéger cet outil, qui a versé 1,5 milliard d’euros à plus de 180 000 salariés en 2019. Je me félicite d’ailleurs des conclusions de René Ricol, qui préconise notamment le maintien du remboursement prioritaire de l’AGS.
Ce texte met également en lumière la nécessité de prévoir un mécanisme spécifique de garantie des salaires des indépendants, qui ont été durement éprouvés par la crise. Les difficultés ne cessent de s’accumuler pour ces 3,6 millions de professionnels. Je sais que le ministre délégué aux PME doit, dans les prochaines semaines, préparer un plan visant à renforcer leur protection. Espérons qu’il sera à la hauteur des enjeux.
Madame la ministre, je ne peux qu’encourager le Gouvernement à préserver le régime actuel de garantie des salaires, voire à l’améliorer, comme l’y encourage cette proposition de résolution en faveur de laquelle, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.)