Mme Nathalie Delattre. Je l’ai indiqué de nombreuses fois lors du débat sur ce projet de loi et je le répète une dernière fois : ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux menés par la commission d’enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, lancé en novembre 2019. Le rapport de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio avait été, je le rappelle, adopté à une large majorité, en juillet 2020.
Parmi ses quarante-quatre propositions, trente ressortissaient au domaine législatif. Parmi celles-ci, près d’une vingtaine sont satisfaites par ce texte. Je pense notamment à l’actualisation et au renforcement de la police des cultes, à l’alignement des statuts légaux et fiscaux découlant des lois de 1901 et de 1905, à l’amélioration des contrôles au sein des établissements hors contrat, à la généralisation du numéro INE, à l’extension du champ des enquêtes administratives pour les emplois sensibles, à la mise en place d’une charte comme prérequis pour bénéficier de subventions des collectivités locales, etc.
Aujourd’hui, nous formalisons la sortie d’un déni collectif : la radicalisation religieuse qui touche notre société ne concerne pas uniquement la question du passage à l’action violente ; elle est le fait de groupes qui prônent un repli identitaire et d’une volonté de faire prévaloir une norme religieuse par rapport aux lois de la République. Nous parlons ici d’un projet politique, la réponse doit donc être politique ; c’est ce que nous venons de faire.
Ce texte permet de clarifier notre droit, par exemple en ce qui concerne la neutralité de notre service public et de ses collaborateurs occasionnels. Il permet d’armer les secteurs devant faire l’objet d’une vigilance particulière pour lutter contre des phénomènes de radicalisation religieuse, comme l’enseignement, le monde associatif ou encore l’univers sportif. Il répond à des dérives actuelles, qui nous ont profondément marqués ; je pense par exemple au respect de la laïcité dans l’enseignement supérieur, à la suite des positions inquiétantes de certaines organisations étudiantes, mais aussi aux mesures de lutte contre la haine en ligne, directement inspirées de l’assassinat de Samuel Paty.
Il s’agit également d’apporter une réponse proportionnée. L’amendement adopté à l’article 21 en est le symbole : l’enseignement à domicile ne représente en rien une véritable menace séparatiste, mais son contrôle et son suivi n’étaient pas adaptés. Ils devaient donc être optimisés ; c’est chose faite.
Pour toutes ces avancées, je voterai ce texte.
Mise au point au sujet d’un vote
Mme Nathalie Delattre. Lors du scrutin n° 108, mes collègues Christian Bilhac, Bernard Fialaire et Jean-Claude Requier souhaitaient non pas s’abstenir, mais voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Vote sur l’ensemble (suite)
M. le président. Dans la suite des explications de vote sur l’ensemble du projet de loi, la parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Nous voici arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi très attendu. Ce texte procède de l’ambition de répondre aux forces de fragmentation exercées par des lois particulières sur la norme commune et s’inscrit dans la continuité de l’esprit libéral de la loi de séparation de 1905, avec des mesures utiles sur la neutralité des services publics, l’école républicaine, la lutte contre la haine en ligne ou la protection de la dignité de la personne humaine. Il comporte également des mesures techniques bienvenues, par exemple sur la transparence des financements étrangers et l’incitation des associations à rejoindre le régime de la loi de 1905 pour leurs activités cultuelles.
Le texte issu de la commission des lois s’efforçait de partager cet esprit. Notre commission n’avait pas laissé passer de mesures ne concourant pas réellement à l’objectif du projet de loi. En particulier, il n’y avait aucune disposition étendant l’obligation de neutralité religieuse aux usagers du service public, à l’espace public ni même – il faut bien le rappeler – aux élus locaux.
Le texte issu de nos débats en séance a, à rebours, introduit plusieurs dispositions sur le sujet des signes religieux. Nous le regrettons, au regard de la conception du principe de laïcité issue de la loi de séparation. La laïcité implique la neutralité de l’État ainsi que la liberté de conscience, mais non la neutralité de tous ni l’éviction du religieux de l’espace public. Il est d’ailleurs un peu paradoxal de retrouver la volonté d’étendre le principe de neutralité chez certains de nos collègues, qui dénonçaient le texte initial comme remettant en cause les équilibres de 1905 et marquant une défiance à l’égard du fait religieux.
Nous nous interrogeons également sur la cohérence des modifications des dispositions relatives à l’éducation. Pourquoi soutenir un mécanisme de suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme répété et, dans le même temps, rejeter l’article 21, qui est justement de nature à affermir le respect de l’instruction obligatoire ? Nous le saisissons mal…
Au regard de ces réserves importantes, mais également des dispositions utilement maintenues par le Sénat et dans la perspective de la commission mixte paritaire, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Je disais, en préambule à ce débat, que ce texte ne nous laisserait pas indemnes. L’examen de ce projet de loi a confirmé cette appréciation, et cela s’explique assez aisément.
Il s’agit d’un texte mal né, en ce sens qu’il vise une seule partie de la population, alors que ses mesures sont générales ; il concernera donc tous les bienfaisants alors que, bien entendu, il ne devrait viser que les malfaisants. Au reste, c’est un texte qui démontre l’existence d’une forme de malaise par rapport au fait religieux.
En outre, je ne suis pas sûr que ce texte ait bien évolué, dans la mesure où nous avons assisté – les votes ont été ce qu’ils ont été – à une forme de législation par surenchère sécuritaire, dont j’ai du mal à percevoir l’issue, notamment en commission mixte paritaire – personne n’a d’illusion à ce sujet –, puisque cette surenchère nous a conduits, chacun le mesure, à adopter des dispositions clairement inconstitutionnelles ; cela reste, s’agissant du législateur, un élément d’étonnement…
Il s’agit également d’une forme de législation par interdiction. Ce texte crée cinq infractions pénales nouvelles – je laisse de côté les aggravations de peines… – et trente-trois interdictions ; rien que cela ! C’est finalement cela le plus étonnant dans ce texte ; celui-ci nous en dit très peu sur ce qui peut faire société et sur ce qui permet à celle-ci d’avancer, et il nous en dit beaucoup sur, au contraire, le manque de confiance dans notre société.
Je ne vois donc pas, monsieur le ministre, mes chers collègues membres de la majorité sénatoriale, en quoi ce texte élève notre société.
Vous aurez donc compris le sens de mon vote, que j’exprime à titre personnel.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Je veux dire pourquoi je voterai contre ce projet de loi, comme tous les membres du groupe CRCE.
Évidemment, il y a toutes les surenchères sécuritaires et racistes, tous les amalgames que l’on a entendus au long du débat et tous les amendements discriminatoires qui vont avec, adoptés sur l’initiative de la droite. Toutefois, cela ne procède pas que des amendements de la droite ; c’est la philosophie politique du projet qui pose problème : ce projet de loi ne conforte pas les principes de la République, contrairement à ce que prétend son titre, il les fragilise dans bien des domaines.
Je me faisais d’ailleurs une réflexion : si nous avions amené dans cet hémicycle, pour écouter nos débats pendant quinze jours, une personne ne connaissant pas la loi de 1905 et si nous lui avions demandé ce qu’était, selon elle, cette loi, cette personne ne nous aurait évidemment pas répondu qu’il s’agissait d’un texte de liberté, d’égalité des droits et de séparation des Églises et de l’État visant à libérer la conscience. Elle nous aurait dit que c’était une loi de contrôle et d’ordre public, que nous étions en train de renforcer, d’où toutes les dispositions visant à contrôler les associations, les fédérations sportives, les libertés, tous les cultes et les musulmans de France.
Ce projet de loi ouvre la porte à l’arbitraire dans beaucoup de domaines, et c’est extrêmement inquiétant ; il manque son objectif énoncé – conforter les principes de la République –, qui relevait d’une tout autre ambition.
Surtout – ce sera mon dernier point –, il est passé à côté de bien des débats que mériterait une lutte efficace contre l’islamisme politique. Je ne prendrai qu’un seul exemple : nous avons beaucoup évoqué la question des États étrangers, mais, en vérité, nous en avons bien peu parlé. En effet, si nous voulions ouvrir ce débat, il y aurait beaucoup de choses à dire sur nos relations internationales, qui constituent des relations de complicité avec nombre d’États organisant l’islamisme politique dans le monde et opprimant leur propre population, souvent musulmane. De tout cela, nous n’avons jamais parlé. Il y a eu beaucoup d’hypocrisie à ce sujet dans le débat. Si nous avions voulu ouvrir une véritable discussion sur cette question, peut-être aurions-nous alors pu parler d’une lutte efficace contre l’islamisme politique.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. À titre personnel, je voterai ce texte, qui comprend les amendements introduits heureusement au Sénat, même si je ne suis pas sûr que le projet de loi atteigne le but indiqué au départ, la lutte contre le séparatisme.
Le rapport intitulé De l’islam en France à un islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés, élaboré voilà cinq ans par une mission sénatoriale d’information, dont j’étais corapporteur, pointait plusieurs mesures fortes à prendre, qui ne figurent pas dans ce texte. Ainsi, les flux financiers opaques opérant dans la sphère religieuse islamique – le halal, le hajj – auraient nécessité que l’on s’en préoccupe sérieusement ; ce n’est pas le cas, alors même que l’on a pris des mesures fortes pour lutter contre l’absence de transparence financière des associations cultuelles, non seulement islamiques mais de tous les cultes.
De même, après l’échec de mon amendement relatif à l’obligation d’une formation pour les ministres du culte, on continuera d’assister, dans certaines mosquées, à des prêches et autres discours prônant un islam radical. Cela me paraît constituer un vrai manque, dont la résolution aurait assurément été essentielle pour un développement harmonieux de l’islam.
En revanche, je me félicite que le texte n’ait pas apporté de modification majeure – je vous l’ai indiqué précédemment, monsieur le ministre – à la situation des cultes en Alsace-Moselle ; je tiens à vous remercier, une nouvelle fois, de votre compréhension à cet égard.
Enfin, je souhaite que ce texte donne lieu à un suivi du Parlement. Certains amendements ont porté sur la nécessité d’établir des rapports. Par conséquent, dès lors que des contrôles auront lieu sur un certain nombre d’obligations pesant sur les associations cultuelles, il serait souhaitable, mes chers collègues, que le Parlement soit tenu au courant de cette question, afin de prendre, le moment venu, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous vous avions dit, juste avant le débat, que les seuls vrais séparatistes siégeaient dans ce canton-ci de l’hémicycle. (L’orateur désigne les travées de gauche.) Les défenseurs de la séparation des Églises et de l’État, qui poursuivent l’œuvre de Jaurès et de Briand ayant abouti à la loi de 1905, sont ici. Le débat l’a bien montré.
Je répète que la loi de 1905 consacre la liberté de conscience, la liberté de culte, la liberté d’association. Nous avons défendu les cultes. Nous regrettons vivement, monsieur le ministre, que vous ayez défendu ici, avec votre projet de loi, un texte néoconcordataire, qui soumettra les cultes à un régime d’autorisation qui n’est absolument pas dans l’esprit de 1905.
Nous regrettons vivement que ce soient les sénateurs de ce canton de l’hémicycle qui aient eu à prendre la défense des Églises.
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. La droite et le Gouvernement ont été muets pour défendre l’essentiel à nos yeux, à savoir la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté des religions.
En 1905, Clemenceau estimait que la séparation n’était pas faite : elle était simplement commencée, in fieri. Nous avons essayé de poursuivre cette œuvre. Vous vous y êtes absolument refusé. Vous avez refusé toute évolution sur la Guyane, sur Saint-Pierre-et-Miquelon, sur l’Alsace-Moselle, etc.
Vous acceptez la loi de 1905, mais vous la figez tout en acceptant toutes les dérogations possibles.
Chers collègues, nous voyons que, dans cet hémicycle, les fondements des oppositions à la loi de 1905 restent les mêmes : vous êtes contre la loi de 1905, quand, à gauche, nous la défendons. Nous sommes les seuls vrais laïques. Votre défense de la laïcité est opportuniste, conjoncturelle et, au fond, très insincère.
Nous reprendrons seuls le flambeau de la laïcité pour donner aux deux premiers articles de la loi de 1905 une valeur constitutionnelle et universelle. Nous demandons à tous les Républicains de nous rejoindre dans ce combat !
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Voilà deux semaines que nous examinons ce texte. Depuis deux semaines, la boîte de Pandore est ouverte et les surenchères identitaires ont fait sauter un certain nombre de digues entre la droite et l’extrême droite. Je pense à l’interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires et pour les mineurs, à l’interdiction des drapeaux étrangers lors des mariages, au contrôle des associations et des sportifs, à la limitation de la liberté d’expression à l’université, à la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire… N’en jetez plus ! La liste est très longue.
Ces deux semaines de dérives identitaires, bien éloignées du sujet du séparatisme, ont contribué à installer un climat de division et de haine dans notre pays. Cette haine a notamment explosé ce week-end, avec des attaques ou des projets d’attaque déjoués contre des mosquées.
Ne nous y trompons pas : c’est bien le Gouvernement qui a ouvert la voie, avec ce projet de loi qui bouleverse les équilibres des grands textes structurant notre République.
Il est intéressant que la droite sénatoriale ait tout de même eu un ou deux moments de lucidité lorsqu’il s’est agi d’attaquer ce texte, qui venait remettre en cause la liberté d’instruction plus que centenaire ou des spécificités locales, pour défendre l’instruction en famille ou le Concordat. Son incidence est mal maîtrisée : un grand nombre de ses articles sont de nature à remettre en cause les grandes libertés républicaines.
Outre son côté stigmatisant, ce projet de loi offre peu d’outils pour lutter efficacement contre le salafisme ou les séparatismes. Il passe à côté des grands dangers de notre République que sont le séparatisme social et le fait que la République ne tienne plus ses promesses de fraternité, d’égalité et de liberté.
Dans son discours des Mureaux, Emmanuel Macron déclarait : « Nous aimons la République quand elle tient ses promesses d’émancipation. » Quel peut être le projet d’une République émancipatrice quand les inégalités sociales et territoriales ne sont pas au cœur de la lutte contre le séparatisme ? Quel peut être le projet d’émancipation quand les principaux acteurs sociaux de la République sont placés sous un régime de contrôle global ou quand on impose la suspicion générale sur les milliers de bénévoles qui font vivre les mondes associatif et sportif ?
Nous sommes radicalement dévoués à une conception ouverte et accueillante de notre nation, dans une vision qui est celle de l’esprit républicain depuis 1789. Les ayatollahs, les fanatiques, ceux qui ont abandonné la République ou qui en font une cible à abattre sont dans le camp de ceux qui dressent les uns contre les autres.
Ce texte impose une vision de la laïcité qui n’est plus une garantie de la liberté républicaine de croire ou de ne pas croire, mais qui devient une arme pointée contre les religions. Nous nous opposerons à ce texte dans son intégralité, car il est le symbole d’une dérive globale qui instrumentalise l’idéal républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Je veux, à l’instant où nous allons voter ce texte, vous faire part de mon histoire personnelle.
Voilà cinq ans, alors que j’étais maire d’une commune de Haute-Savoie de 5 000 habitants, nous avons dû fermer une mosquée et une école coranique. C’est Bernard Cazeneuve qui a eu le courage de prendre cette décision. À la suite de celle-ci, j’ai été menacé de mort et protégé par la gendarmerie pendant près d’un mois. Les élus de ma commune ont dû faire front à ce qu’est l’islamisme radical sur le terrain.
Permettez-moi donc de vous dire que je connais le séparatisme. J’ai éprouvé la dérive sectaire d’une religion, et j’en ai ressenti toutes les conséquences.
Par conséquent, monsieur le ministre, j’ai vu arriver votre texte d’un très bon œil. Je me suis dit qu’il serait l’occasion de parler de sujets de société importants, touchant à la question de la dérive sectaire que l’on connaît dans plusieurs religions, mais dans l’une d’entre elles en particulier.
Quand le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale a été transmis au Sénat, le président de la commission des lois et les deux rapporteures ont essayé de trouver de nouveaux équilibres pour ne pas trop attenter à la liberté de culte dans notre pays. J’ai globalement soutenu leurs efforts, mais, dans nos débats en commission, je sentais déjà que des dérives commençaient à se faire jour.
Puis il y eut ces quinze jours de séance, pendant lesquels le juriste que je suis a cru visiter un véritable musée des horreurs. D’aucuns ont sorti ce qui pouvait exister de pire, dans un objectif médiatique. À plusieurs reprises, j’ai été amené à me positionner contre ces dérives, avec des fortunes diverses.
Je pense qu’un certain nombre des mesures du texte sont trop éloignées de la notion de séparatisme. Quand on parle de Saint-Pierre-et-Miquelon ou des allocations familiales, on est très loin de l’objet du projet de loi.
M. Retailleau a déclaré à plusieurs reprises s’exprimer « en conscience ». En conscience, je ne voterai pas la mouture sénatoriale de ce texte.
M. Didier Marie. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Vous avez raison, madame Rossignol, nous sommes dans l’embarras, bien que, en ce qui me concerne, je ne me sente ni responsable ni coupable, pour avoir fait partie de ceux qui ont sonné le tocsin voilà bien longtemps. Oserais-je dire que j’ai prêché dans le désert, celui du politiquement correct ?
Si nul n’est prophète en son pays, monsieur le ministre, nul ne peut être entendu par ceux qui refusent d’écouter. Vous avez fait preuve d’idéologie et d’angélisme en matière migratoire et avez cru qu’il y avait un islam de France, alors qu’il n’y a qu’un seul et même islam en France, lequel produit, sans doute involontairement, le virus de l’islamisme et ces militants qui, chaque jour, gangrènent notre pays dans tous les corps de la Nation – écoles primaires et secondaires, universités, entreprises, sport, culture – et que servent les idiots utiles de certains hémicycles…
Monsieur Kanner, vous avez eu raison de souligner que la droite n’allait pas jusqu’au bout de sa logique intellectuelle et de son analyse du phénomène et qu’elle ne nommait pas le mal. M. Laurent a dénoncé cette stratégie hypocrite, laquelle s’est matérialisée ici par le refus de voter mes amendements, alors que nos chers collègues de droite ont ensuite présenté exactement les mêmes.
À cette attitude, dictée par l’intérêt partisan, je me suis refusé. J’ai voté tous les amendements qui me paraissaient pertinents et semblaient s’inscrire dans l’intérêt général et l’intérêt national.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous agissez de manière précipitée. Vous avez encore proposé un amendement de dernière minute. En réalité, vous ne faites que réagir à l’actualité. Vous n’avez jamais rien voulu voir venir. Vous êtes également prisonnier du politiquement correct : vous vous sentez obligé de coller à l’actualité, mais n’agissez pas en amont pour stigmatiser les islamistes – je revendique une nouvelle fois cette nécessité. Vous n’utilisez même pas ce mot dans la loi. Pourtant, il y a urgence.
Je ne me fais pas d’illusion…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Stéphane Ravier. … sur l’avenir des mesures que le Sénat vient de voter, parce que l’Assemblée nationale passera à la moulinette ce coup de menton du Gouvernement et ce coup de com’ de la majorité sénatoriale.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Stéphane Ravier. Je conclus, monsieur le président.
Je voterai ce projet de loi, qui, malgré ses imperfections (Marques d’impatience au banc des commissions.), contient quelques avancées, dans l’intérêt général et dans l’intérêt national.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est le vote qui tue !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Ce projet de loi est le premier texte dont j’ai été la rapporteure. Il reprend de nombreuses préconisations qui figuraient dans des rapports sénatoriaux pour essayer de régler le problème des séparatismes – et non pas seulement d’un séparatisme. Il me semble qu’il permet d’avancer.
Je remercie Stéphane Piednoir et Jacqueline Eustache-Brinio. En commission, nous avons travaillé pour essayer de rendre ce texte plus constructif encore, notamment en rétablissant la liberté d’instruction, en préférant le régime déclaratif au régime d’autorisation, en desserrant certains liens du culte et en essayant de favoriser véritablement le passage des associations 1901 au statut de 1905. C’est un point très important du projet de loi, même si l’on sait que l’on ne peut les y obliger. Cela aussi faisait partie des préconisations sénatoriales.
Même si certains de nos collègues qui se sont exprimés ont quelques préventions sur le texte issu des travaux de l’hémicycle, la majorité de notre groupe y a trouvé beaucoup plus de points positifs que de points négatifs. Plutôt que détruire la loi de 1905, le projet de loi marque au contraire une continuité avec celle-ci, en rappelant à tous les cultes, y compris à ceux qui n’étaient pas forcément présents en 1905, qu’existe, en France, une véritable séparation entre la religion et le politique, entre le spirituel et le temporel. Il me semble, en cela, conforter réellement les principes de la République.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. De sa genèse, à l’automne dernier, jusqu’à ce que débute l’examen de ce projet de loi par notre assemblée, le groupe du RDSE s’est positionné presque unanimement en sa faveur. L’équilibre qu’il présentait nous semblait bon. Les solutions projetées paraissaient mesurées, tout en étant fermes sur de nombreux sujets. Je pense, par exemple, aux dispositions sur la dignité des personnes.
Tel qu’il est arrivé au Sénat, ce texte participait bien à renforcer les principes de notre République, sans pour autant venir heurter l’intimité des croyances et des pratiques religieuses de certains de nos concitoyens.
Les travaux de nos commissions ont poursuivi cette ambition d’apporter une réponse ferme à certaines dérives constatées dans l’exercice des cultes, sans stigmatiser nos concitoyens croyants et pratiquants. En effet, comme nous l’avons souvent rappelé, dans la majorité des cas, l’exercice du culte se fait dans le respect des principes républicains.
Toutefois, au cours de ces deux semaines de débats, dont il faut dire combien elles furent particulièrement riches et intenses, cet équilibre nous a parfois échappé. Du moins, certaines de nos décisions ont donné à ce texte une tournure qu’il n’avait pas, lui faisant perdre sa nature consensuelle.
En effet, il y a eu plusieurs temps dans nos débats : d’abord, une intransigeance exacerbée, notamment sur les services publics, puis une parenthèse libérale au sujet de l’instruction à domicile. Avec du recul, cette ambivalence pourrait être délicate à justifier.
Bien évidemment, il ne fallait pas faire le moindre compromis avec ceux qui s’attaquent à notre République et à notre idée du bien commun, mais il fallait aussi rechercher un texte d’unité, une grande loi qui donnerait le sentiment à tous ceux qui pourraient en douter que la République est la voie du vivre ensemble et que les principes républicains n’excluent personne – ni aucune femme ni aucun homme – de notre collectivité nationale. Il est à craindre que nous n’y soyons pas parvenus.
Il est indéniable que ce projet de loi contient énormément de bonnes dispositions, mais il échoue sur l’essentiel : répondre par l’unité à ceux qui voudraient nous séparer. Aussi, même si nous le regrettons, le groupe du RDSE, dans sa majorité, ne votera pas en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je veux revenir quelques instants sur ce que ma collègue a dit précédemment sur le climat particulièrement inquiétant dans notre pays, des lieux de culte musulmans ayant été vandalisés ce week-end. Nous sommes, hélas, bien loin de l’union.
L’un de nos collègues a parlé de « ligne de crête ». Pour ma part, j’ai plutôt l’impression d’une large dérive.
Le projet du Gouvernement était problématique à bien des égards. Le texte qui va sortir des travaux du Sénat est, hélas, bien pire. C’est une dérive totale et totalement décomplexée.
Mes chers collègues, je me demande dans quelle mesure vous réalisez la portée de ce que vous avez voté.
Au-delà du haro sur les mamans voilées, au-delà de l’ignoble suppression des allocations familiales pour les familles d’enfants absentéistes, au-delà de vos lubies anti-drapeau, vous avez tenté d’instaurer une police du vêtement qui s’imposera à toutes les religions, à l’inverse des principes laïques d’équilibre de 1905.
La Constitution ne vous permettant heureusement pas d’édicter la loi pour les seuls musulmans, voici où vous ont menés cette surenchère et cette dérive folle.
Plus de vêtements religieux pour les mineurs dans l’espace public : fini les enfants de chœur en aube sur le parvis des églises ! Même l’uniforme scout est menacé.
Plus de listes communautaires dans les universités : que vont devenir l’Union des étudiants juifs de France ou la Jeunesse étudiante chrétienne ?