M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marta de Cidrac. Modifier la Constitution pour la verdir, tout en encadrant des libertés fondamentales, n’est pas notre méthode.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne pourra pas soutenir cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle, à construire le monde d’après fondé sur la préservation des biens communs
Article 1er
Le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement, de la biodiversité, du climat, de l’eau, de la santé, des communs informationnels et de la connaissance et des autres biens communs mondiaux. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous devons nous prononcer nous invite à nous questionner sur le type de société que nous souhaitons créer à l’aube de ce nouveau millénaire. Elle interroge, car elle appelle à la connaissance de notre passé économique et industriel, à la compréhension des grands principes qui l’ont accompagné, au premier rang desquels le droit de propriété privée.
Surtout, elle suscite une réflexion sur notre avenir commun, avec la conscience des nouveaux enjeux sociaux et environnementaux auxquels nous devons nécessairement faire face.
De l’émancipation des serfs à l’abolition des tenures, le droit à la propriété privée est un acquis indéniablement cher aux Français, inscrit dans notre bloc de constitutionnalité à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
À cette époque préindustrielle, l’économie et les modes de production et de propriété étaient principalement agraires et ne heurtaient ni la terre ni la planète. Si l’ère industrielle a ouvert la voie à plusieurs siècles de prospérité économique et de droits sociaux, elle a également, hélas, eu un impact considérable sur notre environnement, allant de la détérioration de nos sols et de la qualité de l’air à une pollution de masse engendrée par un productivisme à outrance.
Selon l’ONG WWF, nous aurons consommé l’équivalent des ressources de deux planètes Terre d’ici à 2030. Il faut cesser cette spirale infernale et mettre un terme à ce système de production stakhanoviste qui détruit notre écosystème.
Nous entrons dans une ère postindustrielle. Il est grand temps que nous adaptions notre rapport à la propriété et à la production à ces réalités, pour la préservation de nos biens communs.
Tel est le sens de cette proposition de loi, dont nous soutenons les objectifs. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, sur l’article.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai bien compris, au détour des différentes interventions, la difficulté de certains orateurs à appréhender la notion de « biens communs », thématique émergente pour le moins polymorphe et d’une plasticité qui fait la valeur de nos grands principes constitutionnels.
Pourriez-vous me définir précisément, mes chers collègues, ce que recouvre l’horizon de principes comme la liberté d’entreprendre ou la fraternité ? « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », selon l’article 1er de la Charte de l’environnement. Mais qu’entend-on précisément par ces termes ? C’est là que le bien commun, entendu comme ressource commune culturelle ou naturelle, prend tout son sens et apporte sa pierre à l’édifice constitutionnel.
Vous dites, monsieur le rapporteur, que la rédaction proposée ne renforce en rien les exigences constitutionnelles en matière de protection de l’environnement et de la santé.
Je crois au contraire, mes chers collègues, que nous avons ici l’embryon juridique d’une révolution très explicite, d’une exigence qui s’affirme, et, en creux, d’une réappropriation collective de notre contrat social au service de l’environnement et de l’humain. Il s’agit d’affirmer le primat de l’humain, du vivant et de la biodiversité sur la puissance privée.
À l’heure où la crise climatique est une réalité concrète que plus personne ne peut nier, où des plateformes numériques sont capables de déstabiliser nos modèles sociaux, où notre environnement se dépeuple de sa faune, où des entreprises privatisent et dérégulent jusqu’au ciel, il s’agit de donner des outils démocratiques de réappropriation de ces communs et de poser avec sagesse des limites à la captation des ressources.
En votant pour cette proposition de loi, le Sénat s’honorerait à poser un jalon essentiel pour la préservation de notre environnement et le bien-être des générations futures. En tant que législateurs, nous avons un rôle historique à jouer pour ouvrir la voie de la réinvention des communs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est temps que nous inscrivions en priorité dans notre Constitution, à l’article 1er, la préservation de l’environnement et de la biodiversité. Je pense notamment à l’eau. Il est temps de concrétiser nos engagements, car le drame absolu que représente la baisse drastique de la biodiversité nous oblige. Nous n’avons pas encore commencé à endiguer cette catastrophe irrémédiable. Nous nous devons de maîtriser notre puissance. L’eau et l’air sont nos biens communs, ceux de tout le vivant sur Terre, nous devons les préserver pour notre survie. Sans eau, pas de vie !
Parce qu’elle est inédite, la menace appelle des mesures inédites, et donc radicales. Nous en sommes là ! Les petites mesures sont improductives, c’est un constat. La Charte de l’environnement n’a rien empêché. Tout ne va pas bien, mes chers collègues !
Bien sûr, l’inscription de la préservation de l’environnement et de la biodiversité à l’article 1er de notre Constitution aura des conséquences, puisque c’est son but ! Mais ne rien faire, où cela nous mène-t-il ? Le monde est durablement abîmé. Il est temps de le réparer, en inscrivant sa préservation en priorité dans notre Constitution.
Le drame serait de s’habituer à cette dérive, comme si nous étions frappés par une cécité progressive, délétère et inquiétante, signe, peut-être, du vieillissement inexorable de notre civilisation.
Nous avons pourtant des outils. Je pense en particulier aux dix-sept objectifs de développement durable élaborés par la communauté internationale, auxquels nous avons souscrit voilà déjà plusieurs années. Mais jamais je ne vois nos lois être passées au scan de ces objectifs de développement durable. Jamais un article de loi n’est présenté comme répondant à tel ou tel objectif de développement durable.
Nous pourrions pourtant le faire ! Pour avoir participé à divers ateliers lors de différentes COP, je sais que d’autres pays font ce travail. Une telle évolution constituerait une marge de progression particulièrement intéressante pour l’examen des lois.
Cette proposition de loi est une bouteille à la mer dont je vous demande, mes chers collègues, de mesurer la portée symbolique.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. L’une des questions posées concerne la place de cette évolution du droit interne dans l’ordre juridique international.
Permettez-moi de rebondir sur les débats que nous avons eus concernant le devoir de vigilance des sociétés mères et l’écocide. On nous a dit alors que la France n’avait pas à être le gendarme du monde, que son droit national était bien aimable, mais que sa prétention à vouloir changer l’ordre mondial était exagérée.
Je citais l’exemple du Bangladesh et de ses usines textiles, qui, sous le poids des injonctions venues de l’extérieur et des législations adoptées, notamment ce texte relatif au devoir de vigilance des sociétés mères, ont commencé à faire des progrès et à s’adapter aux normes sociales et environnementales qui sont les nôtres.
Quelles sont les conséquences extraterritoriales de l’action interne des pouvoirs publics ? Le rapport d’Arnaud de Belenet s’efforce de répondre à cette question, en faisant référence à la décision du 31 janvier 2020 du Conseil constitutionnel, selon laquelle le législateur peut faire obstacle à l’exportation de produits jugés dangereux pour l’environnement, quand bien même les mesures prises dans l’ordre interne ne suffiraient pas à empêcher la commercialisation de ces produits à l’étranger.
Nous n’acceptons pas, en tant que membres d’une communauté humaine planétaire, de laisser se dérouler sous nos yeux la dégradation des biens communs informationnels, naturels, écologiques, de santé ou de biodiversité.
La question de l’opposabilité à d’autres pays ou continents de ce que nous souhaitons se posera très vite. Voir la forêt amazonienne brûler, comme le disait Mme la ministre, doit nous interroger sur notre capacité à ériger en biens communs un certain nombre d’espaces de droit. Nous ne le faisons pas seulement pour nos concitoyens ; nous le faisons pour tous les habitants de cette planète et pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Tout à l’heure, en conclusion de mon intervention, j’évoquais des interrogations.
À titre personnel, je considère qu’il s’agit plus de pistes de travail et de reformulations permettant, me semble-t-il, de régler un certain nombre de problématiques juridiques réelles évoquées dans ce débat.
Nous pouvons avoir une ambition plus grande que celle d’inscrire la notion de « biens communs » dans l’article 1er de la Constitution. Selon moi – c’est un avis personnel –, elle mérite, si le législateur décide de la retenir, de figurer dans le Préambule de la Constitution.
Il appartient au seul législateur de déclarer quels sont les biens communs, après les avoir définis. Ces dispositions méritent donc de figurer à l’article 34 de la Constitution. Je vous le rappelle, en Italie, la commission Rodotà, qui a d’ailleurs fait « pschitt », puisque rien ne s’est passé ensuite, a esquissé un certain nombre d’éléments dont nous pouvons nous inspirer.
On l’a bien vu lors des travaux de commission, derrière une écriture plus ou moins adroite, chacun met ce qu’il veut sous le vocable de « biens communs ». Il nous faudra être précis le jour, que j’espère prochain, où nous réécrirons un certain nombre d’éléments pour répondre à l’intention de cette proposition de loi.
Dans le texte qui nous est présenté, le droit à la santé fait partie des biens communs. Or ce droit est déjà constitutionnellement garanti.
D’autres ont proposé que la relation à la mort ou la préservation de notre civilisation figurent parmi les biens communs.
Nous sommes responsables de l’État de droit et de sa préservation au travers de l’écriture de la Constitution. Nous devons anticiper ce que d’autres, moins soucieux des libertés publiques, pourraient faire d’une notion constitutionnelle non explicitée.
Je répète ce que j’ai dit au cours de la discussion générale, le législateur est tout à fait habilité, comme le Conseil constitutionnel l’y invite, à s’approprier les conséquences internationales des règles posées en interne. Il n’existe donc aucune incompatibilité entre nos travaux et la prétention, non pas à établir l’ordre mondial, mais à contribuer à son amélioration.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution est complété par les mots : «, de la protection du sol et de la garantie de la sécurité et de l’autonomie alimentaires ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 2 a pour objet d’inscrire dans la Constitution la protection du sol, ainsi que la garantie de la sécurité et de l’autonomie alimentaires parmi les grands domaines dont la loi détermine les principes fondamentaux.
Ces dernières années, la jurisprudence tend certes à évoluer vers un rééquilibrage entre la liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement. Toutefois, avec cette proposition de loi, nous ne souhaitons pas simplement donner un coup d’accélérateur, bien nécessaire à cette évolution ; nous proposons un réel changement de paradigme.
Voilà quelques mois, dans cet hémicycle, à la sortie du premier confinement, nous évoquions tous la nécessité de préparer le monde d’après. Nous étions sonnés par cette crise inédite et par ce qu’elle avait révélé de l’état de dépendance de notre pays dans toute une série de productions, non seulement stratégiques, mais aussi vitales, dont, bien évidemment, l’agriculture.
En juin, le débat sur le rapport d’information Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France ? avait notamment fait ressortir l’urgence pour notre pays d’être plus résilient sur le plan alimentaire, afin de ne pas être aussi démuni face aux prochaines catastrophes. Mais les réponses concrètes qui ont émergé depuis sont loin d’être à la hauteur de cette exigence essentielle.
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus être dans une posture défensive et nous contenter de corriger, rustine après rustine, les conséquences les plus visibles des excès ou des dérives de l’économie de marché. C’est pourquoi, avec ce texte, nous ne voulons pas simplement autoriser le législateur à porter plus largement atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Nous proposons de définir positivement ce qui doit exister en dehors du marché, ce qui doit être régi par des principes fondamentaux propres.
Ainsi que le disait déjà en 1944 Charles de Gaulle, « les grandes sources de la richesse commune doivent être dirigées et exploitées non point pour le profit de quelques-uns, mais pour l’avantage de tous ». S’il n’a pas inscrit ces mots dans la Constitution de 1958, rien ne nous empêche aujourd’hui de donner corps à cette idée au travers de la notion de « biens communs ».
Les biens communs se définissent comme une approche alternative de la gestion de biens et de services qui bouscule le modèle économique dominant basé sur la propriété, mais aussi comme un imaginaire politique renouvelé. Les inscrire dans la Constitution permettra d’ouvrir la porte de cet imaginaire, pour que le législateur puisse penser des solutions qui permettront non seulement de préserver l’existant, mais aussi de bâtir véritablement ce monde d’après dont nous avons tant besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La loi détermine les mesures garantissant le respect des biens communs par l’encadrement du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. » – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 48 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
7
Contribution exceptionnelle sur les assurances
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à instaurer une contribution exceptionnelle sur les assurances pour concourir à la solidarité nationale face aux conséquences économiques et sociales d’une crise sanitaire majeure, présentée par MM. Olivier Jacquin, Claude Raynal, Mme Sophie Taillé-Polian, MM. Thierry Carcenac et Rémi Féraud (proposition n° 477, 2019-2020, résultat des travaux de la commission n° 167, rapport n° 166).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à instaurer une contribution exceptionnelle sur les assurances en cas de crise sanitaire majeure. C’est un dispositif juste et proportionné, à l’inverse d’une taxe aveugle.
« Nous sommes en guerre. » Vous vous souvenez certainement de ces paroles prononcées par le président Macron en mars. L’État revient au cœur des politiques de solidarité. Tous, cette année, nous appelons à plus d’État, à tel point que le Fonds de solidarité pour les entreprises se monte déjà à plus de 20 milliards d’euros.
Parallèlement, on nous a répété, tout au long de l’année, qu’il n’y aurait pas d’« argent magique ». Effectivement, l’argent, c’est des maths. Mais aider les entreprises qui souffrent et risquent de mourir, c’est une nécessité. Je ne vous parlerai pas de l’hôtellerie, de la restauration, de nos fameux « petits commerces » ou des secteurs de l’aérien et du tourisme. Vous connaissez leurs difficultés, mes chers collègues.
Comme dans une économie de guerre, certains secteurs profitent de la situation. Dans les guerres, ce sont les marchands d’armes qui prospèrent. Dans la guerre contre le covid, nous pouvons citer les GAFA, les supermarchés, les plateformes numériques et certains secteurs de la santé. Dans toutes les crises majeures, des mesures d’exception sont prises, puisque les règles habituelles, notamment en matière budgétaire, ne tiennent plus. Ainsi avons-nous voté plusieurs projets de loi de finances rectificative (PLFR).
Début avril, un débat public naissait sur l’impact du confinement, cette interdiction incroyable de circuler, cette assignation à résidence qui laissait nos automobiles immobiles. Et chacun de s’inquiéter des sur-profits à venir des assureurs, la baisse de sinistralité dans ce secteur étant évidente. Le chiffre de 1,4 milliard d’euros fut évoqué, alors que les primes étaient payées.
Taxer ou ne pas taxer ? That is the question. Permettez-moi d’expliquer très simplement le mécanisme que je propose pour les assurances non-vie. Mes propos seront simples, car j’ai entendu dire : « C’est lui, le socialiste, qui veut taxer les assurances à 80 % ! » Non ! La taxe que nous proposons n’est pas aveugle, mais particulièrement nuancée, puisqu’elle s’applique non pas sur le chiffre d’affaires, mais sur le résultat d’exploitation. Nous savons faire la différence entre les deux : il s’agit bien de cibler l’économie exceptionnelle réalisée.
Ce prélèvement exceptionnel de 80 % porte sur la seule augmentation, en 2020, du résultat d’exploitation, comparée à sa moyenne des trois dernières années. Prenons un exemple simple, celui d’une entreprise d’assurances réalisant un résultat d’exploitation de 1 milliard d’euros en moyenne sur trois ans. Si, en 2020, son résultat d’exploitation est de 1,2 milliard d’euros, le prélèvement s’appliquera à ces 200 millions d’euros supplémentaires et s’élèvera donc à 160 millions d’euros. En aucun cas il ne s’agit d’appliquer le taux de 80 % aux 1,2 milliard d’euros.
Vous l’avez compris, si cette entreprise réalise un résultat d’exploitation moindre que les trois années précédentes, elle ne paiera rien. Ce n’est pas, monsieur le rapporteur, un dispositif aveugle.
Ce n’est pas non plus une usine à gaz. En effet, il suffit de considérer la déclaration d’impôt sur les sociétés d’avril 2021 pour l’appliquer, sans même avoir à remplir une croix sur un formulaire administratif.
Ce prélèvement est juste et proportionné, à l’inverse de la taxe Husson, que vous avez votée dans le cadre du PLF et qui s’applique aveuglément sur le chiffre d’affaires de toutes les sociétés, qu’elles aient profité de la crise ou en aient été pénalisées. Nous sommes pour la justice.
Seconde particularité de ce mécanisme : il n’est pas systématique ; il ne se déclenche qu’en cas d’état d’urgence sanitaire. Il n’est donc pas récurrent, mais exceptionnel, comme ce séisme covid – de mémoire d’ancien, nous n’avions rien vu d’équivalent depuis la guerre ; rien à voir avec les crises cycliques de l’économie, lesquelles, précisément, ne déclencheront pas ce dispositif.
Quelques observations sur votre rapport, monsieur Nougein : premièrement, vous critiquez le fait que le dispositif proposé se déclenche systématiquement en cas d’état d’urgence sanitaire et ne prévoie aucun critère ni de durée ni d’ampleur géographique de la crise. Par exemple, dites-vous, si une ville ou un département seulement sont concernés, le mécanisme s’appliquera sur toute la France.
Mais cela ne pose aucun problème, puisque le dispositif que nous proposons a pour objet de capter les sur-profits ! Si la crise ne touchait qu’une ville, les sur-profits seraient nuls au niveau national ; il n’y aurait donc pas de déclaration particulière à faire. Et nous espérons tous que l’état d’urgence sanitaire restera une rareté, même si les biologistes nous annoncent davantage de pandémies à l’avenir.
Deuxième point : dans l’état des lieux de votre rapport, vous affirmez, en bon connaisseur, que cette PPL serait fondée sur le postulat socialiste et dogmatique de la profitabilité systématique des compagnies d’assurances. Mais pas du tout !
M. Claude Nougein, rapporteur de la commission des finances. Je n’ai jamais dit ça…
M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi. Si ! Vous l’avez écrit et affirmé en commission des finances.
Nous avons au moins appris que le chiffre allégué d’environ 2 milliards d’euros de sur-profits était proche de la réalité, avec toutefois une grande variété de situations. Ainsi, dans le domaine des catastrophes naturelles, en mars et avril derniers, les sinistres ont augmenté – vous citez ce chiffre – de 43 %. Dans le domaine des assurances professionnelles, on constate également une augmentation des sinistres. Sur les sinistres de la branche automobile, en revanche, les économies ont été importantes. Quant au domaine de la protection santé, les sinistres y seraient, à ce jour, en légère hausse.
Mais l’inquiétude des assureurs est énorme pour 2021, puisque les contrats collectifs prévoyance et santé s’appliquent même après le dépôt de bilan d’une entreprise, pendant douze mois ; le cas échéant, il n’y aurait pas de cotisations en 2021, mais bien des droits à payer.
La variété est donc immense. Je voudrais vous parler, de ce point de vue, d’une grosse mutuelle spécialisée dans le domaine du spectacle – elle n’a pas souhaité être citée. Elle perd près de 100 millions d’euros de cotisations professionnelles à cause de l’arrêt des activités. Son activité d’assurance annulation d’événements culturels essuie d’énormes pertes cette année. Notre dispositif permettrait d’aller dans la nuance et de ne pas taxer cette société d’assurances, qui est victime de la crise. En revanche, une autre société d’assurances disposant d’un portefeuille spécialisé dans l’automobile serait, elle, contributrice.
Troisième point : vous évoquiez la participation généreuse des assureurs – souvenez-vous : ils avaient mis 200 millions d’euros dans le panier du Fonds de solidarité ; moins d’une semaine plus tard, devant le tollé provoqué par le ridicule de cette somme, ils annonçaient 400 millions d’euros ! Aujourd’hui, on entend des déclarations de générosité incroyables : ils donneraient près de 4 milliards d’euros ! Les chiffres sont très variables ; comme pour le Téléthon, comme pour l’incendie de Notre-Dame de Paris, il faudra, le moment venu, les comparer à la réalité.
Quatrième point : comme il est signalé dans les rapports de l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, et de la direction générale du Trésor, ce n’est qu’en avril 2021 que nous connaîtrons effectivement l’impact réel pour les assurances non-vie. D’où l’intérêt de ce dispositif ! Il ne sera pas aveugle et ira taxer à l’endroit précis où des sur-profits sont réalisés.
Un mot sur un point qui vous inquiète, monsieur le rapporteur, et qui inquiète la partie droite de l’hémicycle : vous évoquez une « nouvelle doctrine fiscale » et les risques attachés à sa pérennisation, qui reviendrait à taxer opportunément ou conjoncturellement tel ou tel secteur quand ça va bien pour lui : les marchands de glace pendant une canicule, les marchands de parapluies en cas de mauvais temps. C’est ce que feraient les socialistes, selon vous.
Vous avez raison, le risque économique, pour une entreprise donnée, ne s’appréhende pas à l’année, mais sur un cycle plus long. L’agriculteur que je suis sait très bien que les bonnes récoltes viennent effacer les mauvaises, et que l’on compte en permanence sur les premières.
Notre dispositif est exceptionnel et fondé sur l’état d’urgence sanitaire. Mais son caractère pérenne vous gêne et vous inquiète. Nous avons bien vu comment vous réagissiez à nos demandes d’un taux majoré exceptionnel d’impôt sur les sociétés cette année. Une telle majoration exceptionnelle aurait pourtant été vraiment juste, et préférable à ce dispositif, que je ne présente que par défaut !
Mais vous n’en avez pas voulu : vous votez en applaudissant la baisse de l’IS et des impôts de production pour 10 milliards d’euros. Ça, c’est dogmatique et aveugle !
Quant à vous, madame la secrétaire d’État, votre gouvernement augmente discrètement la taxe de solidarité additionnelle (TSA) de 1,5 milliard d’euros – les assurés ne verront pas directement que c’est vous qui en avez décidé ainsi par décret…
Le groupe Les Républicains du Sénat, lui, a voté la taxe Husson sur les primes d’assurance, taxe aveugle et injuste, au taux de 2 %. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Vincent Éblé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)