M. Claude Nougein, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des réflexions engagées depuis le début de la crise sanitaire, qui visent à faire participer les assureurs à l’effort national de soutien de notre tissu économique.
Lors de l’examen des projets de loi de finances rectificative pour 2020 et du projet de loi de finances pour 2021, le Sénat a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de débattre de ce sujet, et de définir sa position.
Le dispositif de la présente proposition de loi ne nous est d’ailleurs pas inconnu, puisqu’il a été présenté, dans une rédaction différente, lors de l’examen du deuxième projet de loi de finances rectificative, puis, dans la rédaction dont nous discutons aujourd’hui, lors de l’examen des troisième et quatrième projets de loi de finances rectificative pour 2020.
Comparé aux autres dispositifs fiscaux visant à taxer le secteur assurantiel que nous avons examinés au cours des derniers mois, celui-ci présente certes une certaine originalité – je le reconnais –, en ce qu’il établit un lien causal entre l’application de l’état d’urgence sanitaire et la taxation du résultat d’exploitation des assureurs.
En effet, l’article unique de cette proposition de loi prévoit que les assurances non-vie opérant en France soient assujetties à une contribution exceptionnelle au titre de tout exercice au cours duquel l’état d’urgence sanitaire est appliqué sur tout ou partie du territoire. Cette contribution est assise sur la hausse du résultat d’exploitation constaté au cours de l’exercice par rapport à la moyenne des trois derniers exercices clos.
L’objectif est clair : il s’agit de taxer les sur-bénéfices réalisés au cours de l’état d’urgence sanitaire. Le taux de cette contribution s’élève à 80 %.
Ainsi ce dispositif est-il établi sur deux présupposés : d’une part, l’idée d’un lien « automatique » entre l’application de l’état d’urgence sanitaire et une variation du résultat d’exploitation des assurances non-vie ; d’autre part, celle d’une évidente profitabilité de la crise sanitaire pour ces compagnies. Or les auditions que j’ai menées ont conforté l’idée d’une très grande fragilité de ces deux postulats – vous me direz qu’un postulat ne se démontre pas ; nous en avons ici une nouvelle preuve… Cela m’a conduit à conclure que le dispositif proposé est peu opérant.
Premièrement, l’idée d’un lien direct entre l’état d’urgence sanitaire et le résultat d’exploitation des assurances non-vie n’apparaît pas fondée.
Certes, en choisissant d’assujettir les assurances à cette taxe en raison de l’application de l’état d’urgence sanitaire, les auteurs de la proposition de loi ont évidemment souhaité instaurer une taxe qui ne serait appliquée qu’en cas de crise sanitaire grave – je l’avais bien compris.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l’état d’urgence sanitaire peut entraîner des conséquences économiques et sociales variables selon l’ampleur et la durée des mesures administratives prises. En effet, l’état d’urgence sanitaire est une « boîte à outils » de nature à permettre au pouvoir exécutif de prendre des mesures face à une catastrophe sanitaire.
Ce constat est renforcé par le fait que le dispositif proposé ne prévoit aucune durée ni ampleur géographique minimales d’application de l’état d’urgence sanitaire – c’est surprenant. Ainsi, un état d’urgence circonscrit localement et pour une durée brève, à l’échelle d’un département et pour deux semaines par exemple, en cas d’accident industriel, entraînerait d’office un assujettissement de l’ensemble des assurances non-vie à cette contribution, alors même que le sur-profit constaté n’aurait rien à voir avec ce phénomène local.
De la même façon, le résultat des assurances non-vie peut se dégrader au cours de l’application de l’état d’urgence sanitaire, sans aucun lien avec celui-ci. Ainsi, en mai et avril derniers, les sinistres payés au titre des catastrophes naturelles ont augmenté de 43 % par rapport à la même période en 2019.
Compte tenu de ces éléments, je ne partage pas l’idée selon laquelle les premières expériences liées à l’application de l’état d’urgence sanitaire puissent fonder une nouvelle « doctrine » fiscale. Je suis très réservé sur le principe d’instaurer une disposition fiscale pérenne, alors que chaque état d’urgence sanitaire a ses propres caractéristiques.
Le dispositif proposé repose sur un second postulat, à savoir l’idée d’une profitabilité de la crise sanitaire pour les assureurs non-vie. La question d’un possible « effet d’aubaine » de cette crise a jalonné nos débats depuis le début de l’épidémie, en raison de la baisse de la sinistralité. Ce contexte a d’ailleurs justifié que le Parlement demande un rapport au Gouvernement, dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative, sur l’évolution de la sinistralité par rapport à 2019.
Ce rapport, qui a été remis en juillet dernier, se fonde sur une enquête statistique partielle pilotée par la direction générale du Trésor. Le constat qui ressort de cette première enquête est très clair : en avril et mai 2020, on observe une baisse de 25 % des sinistres payés, toutes catégories d’assurances non-vie confondues, ce qui correspond à une réduction de 1,9 milliard d’euros du montant des prestations payées – c’est factuel.
Néanmoins, les auditions que j’ai menées m’ont encouragé à la plus grande prudence dans l’interprétation de ces premières données, obtenues sur deux mois.
En effet, lors de son audition, la direction générale du Trésor a souligné que l’appréciation de l’évolution de la sinistralité pour 2020 ne pourra être menée qu’ex post, lorsque les données définitives pour l’ensemble des assurances non-vie seront connues, soit en avril 2021 seulement.
De son côté, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, entité de supervision du secteur assurantiel, a indiqué que, à la fin du troisième trimestre de cette année, il n’était pas observé de décrue substantielle de la charge des sinistres en assurance non-vie, à l’exception de l’assurance santé – cette dernière fait évidemment figure d’exception en raison de l’important report de soins observé ces derniers mois.
Ce constat s’explique notamment par des disparités entre les branches assurantielles. Par exemple, l’ACPR a fait état d’une hausse significative des sinistres couverts par les contrats d’assurance de « pertes pécuniaires diverses », qui enregistrent les sinistres payés en matière d’annulation d’événements.
La Fédération française de l’assurance, quant à elle, évalue la hausse du montant des sinistres payés en 2020 à près de 2 milliards d’euros, nette des économies réalisées sur les sinistres de la branche automobile. Cette estimation doit toutefois être reçue avec prudence, étant donné qu’il s’agit d’une prévision sur l’ensemble de l’année 2020.
Au-delà de la sinistralité au cours de l’année 2020, l’ACPR a souligné que les sinistres en matière d’assurance non-vie pourraient également être en hausse l’année prochaine, en raison d’une augmentation du taux de défaillance des entreprises. En effet, selon le principe dit de « portabilité », les contrats d’assurance santé collectifs font obligation aux assureurs de continuer à honorer la couverture des sinistres durant les douze mois suivant la fin du contrat de travail, alors même qu’ils ne reçoivent plus de cotisations. Cet exemple montre bien la difficulté du dispositif proposé : les conséquences économiques de la crise sanitaire ont un effet bien plus direct sur le résultat des assurances que l’application de l’état d’urgence sanitaire en elle-même.
Aussi suis-je opposé au principe d’une taxation systématique d’un soi-disant effet d’aubaine qui pourrait donner lieu, chaque année, à des revendications sectorielles éparses, au détriment d’une politique fiscale cohérente. On peut varier les plaisirs : allons-nous proposer de taxer les fabricants de crème solaire lorsqu’une année est marquée par un record d’ensoleillement ? Vous pourriez creuser cette idée…
Au-delà de la question du caractère opportun du dispositif proposé, il me semble indispensable d’apprécier toute proposition de contribution au regard des engagements déjà pris par le secteur des assurances.
Par ailleurs, les auditions ont été particulièrement éclairantes quant aux perspectives du secteur assurantiel. En effet, l’année 2020 a été marquée par une dégradation de la solvabilité des assureurs – c’est important ! –, même si celle-ci reste nettement au-dessus des ratios prudentiels exigés, je vous l’accorde.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des finances n’a pas adopté le texte proposé.
Pour l’avenir, il est évident que nous devons tirer les leçons de la crise sanitaire en organisant de façon pragmatique et pérenne la participation des assureurs au soutien de l’économie. Ma conviction est la suivante : cette participation doit reposer sur le cœur de métier des assureurs, à savoir l’indemnisation d’un risque prévue contractuellement.
Dans cette perspective, la proposition de loi adoptée le 2 juin dernier et introduite par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2021 constitue une première réponse adéquate et pertinente.
À court terme, et dans l’attente de l’instauration d’un tel dispositif, il est certain que la question de la participation financière des assureurs n’est pas complètement épuisée, notamment en raison de la seconde vague que nous connaissons et de la prorogation du Fonds de solidarité.
Sur ce point, le Sénat a clairement exprimé sa position lors de l’examen de la première partie du PLF pour 2021, en adoptant une taxe ponctuelle de 2 %, au titre des seules primes perçues au cours de l’année 2020.
Mes chers collègues, au terme de mes travaux en tant que rapporteur, je vous remercie de suivre l’avis de la commission et de ne pas adopter le texte de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le président, monsieur le rapporteur Claude Nougein, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise sanitaire et sa deuxième vague ont, comme vous l’avez rappelé, des impacts sur l’ensemble de notre tissu économique.
L’État a pris ses responsabilités pour soutenir l’activité économique et l’emploi dans notre pays, quoi qu’il en coûte. Dès le mois de mars, nous avons mis en place le Fonds de solidarité, l’activité partielle, le prêt garanti par l’État ou encore le report de charges. Ce soutien inédit s’est poursuivi et intensifié durant la seconde vague, qui a entraîné la fermeture de 200 000 commerces et de près de 160 000 restaurants. Si les commerces ont pu rouvrir, je pense chaque jour aux secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des cafés, de l’événementiel et de la culture, piliers de notre vie sociale, contraints de demeurer fermés face à un virus qui se répand précisément par le contact, l’interaction, bref la vie en société.
Je veux vous dire, je veux leur dire que nous ne les lâcherons pas. L’État a été là ; l’État est là ; l’État sera là jusqu’au bout.
Je mesure leur détresse. Ce n’est pas seulement la secrétaire d’État qui vous le dit ; c’est aussi l’ancienne entrepreneure que je suis qui vous le confirme : quand un travail pour lequel on donne tout se retrouve soumis à des restrictions sanitaires contre lesquelles on ne peut rien, alors on cherche des responsables. Personne ici ne niera que l’État a, en la matière, pris ses responsabilités. Néanmoins, cette crise appelle tous les corps du pays à faire preuve de solidarité.
Les assureurs n’y font évidemment pas exception – nous le disons depuis le début. Certains ont d’ailleurs fait preuve d’un bel esprit civique qu’il faut aussi savoir saluer. J’ai, comme vous, entendu les histoires d’entrepreneurs qui, s’étant naturellement tournés vers leur compagnie d’assurance, n’ont pas obtenu les réponses qu’ils étaient en droit d’attendre.
M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi. Tout à fait.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Je mesure, là encore, l’incompréhension et la colère de ces entreprises. Je rappellerai seulement que le Gouvernement ne s’est pas, à ce propos, contenté d’un constat, et qu’il a cherché à faire bouger les lignes. Bruno Le Maire a pris l’initiative, dès le printemps dernier, de convoquer à plusieurs reprises les assureurs pour composer avec eux une réponse immédiate et opérante aux problématiques auxquelles sont exposés les secteurs les plus sinistrés.
Les assureurs ont pris des engagements financiers : leur effort est au total d’un peu plus de 3,2 milliards d’euros, dont 400 millions d’euros de participation directe au Fonds de solidarité, premier acte de solidarité significatif et bienvenu.
Pour autant – votre proposition de loi en témoigne –, la deuxième vague a rendu nécessaire une nouvelle participation des assureurs pour répondre aux besoins des entreprises les plus touchées. Cette demande a été entendue. Nous avons travaillé, sous l’impulsion de Bruno Le Maire, mais aussi de nombreux parlementaires, à un nouvel accord. Je veux profiter de cette tribune pour remercier la Fédération française de l’assurance pour son implication ; son esprit de solidarité nous a permis, ce lundi – vous le savez –, de conclure ce nouvel accord que je souhaiterais détailler.
Quatre mesures de soutien d’urgence ont été prises. Premièrement, un gel des primes pour l’année 2021 a été décidé à destination de secteurs identifiés et profondément sinistrés par les restrictions économiques. Cette mesure vise les TPE et PME des secteurs de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, du tourisme, de la culture, du sport et de l’événementiel. L’impact de cette mesure destinée aux professionnels est réel sur leur trésorerie, l’objectif étant de soutenir la relance de leur activité.
Deuxièmement, une couverture d’assistance gratuite a été mise en place pour les chefs d’entreprise et salariés hospitalisés à cause de la covid-19 ; cette couverture santé proposera des indemnités de convalescence de 3 000 euros et d’autres indemnisations annexes couvrant notamment la garde d’enfants ou la livraison de repas à domicile.
Troisièmement, les contrats seront conservés en garantie jusqu’à la fin du premier trimestre 2021 pour les entreprises qui connaîtraient des retards de paiement des cotisations.
Quatrièmement, la médiation de l’assurance sera ouverte aux professionnels, qui pourront saisir le médiateur pour tout litige sur leur contrat d’assurance professionnelle. Avec son concours, un accord à l’amiable pourra être proposé pour des litiges portant par exemple sur l’évolution des garanties contractuelles, un refus de renouvellement des couvertures ou la résiliation d’un contrat.
Cette mesure répond directement aux difficultés rencontrées par les entreprises en matière d’indemnisation des pertes d’exploitation liées notamment à la crise sanitaire.
Le Gouvernement croit à la logique du dialogue, qui doit l’emporter sur la logique du conflit, qui plus est en temps de crise. Les assurés et les assureurs ont besoin d’un tel espace de communication pour trouver ensemble des solutions individualisées et pertinentes.
De cette crise, nous avons appris que l’anticipation du risque pandémique devait intégrer notre politique assurantielle. Plusieurs voix se sont élevées pour demander la création d’une assurance pandémique obligatoire. Il ressort aujourd’hui des travaux et des longues concertations organisées depuis le printemps dernier que les entreprises ne sont pas encore prêtes à suivre cette voie, qui impliquerait forcément – vous le savez – de nouvelles cotisations obligatoires.
En revanche, nous continuons de travailler à la mise en œuvre de solutions individuelles et facultatives de gestion du risque, permettant de renforcer la résilience des entreprises, mais aussi leur capacité à affronter des crises de grande ampleur, sans rigidifier leurs charges.
Concrètement, nous donnerons la faculté aux entrepreneurs de se constituer des provisions dans des conditions fiscales avantageuses qui permettront de mettre de l’argent de côté si jamais une nouvelle pandémie devait survenir.
En attendant, je juge plus utile que nous nous en tenions à l’accord obtenu : il s’agit de mesures concrètes, effectives, coconstruites et plutôt constructives, aux effets directs sur le quotidien des entreprises. C’est par l’apaisement que nous trouverons des solutions, là où la confrontation n’a plutôt tendance qu’à créer des problèmes.
Un examen du fond de la présente proposition de loi conforte la position du Gouvernement.
Malgré un niveau de taxation du sur-profit très élevé, il y a en effet de fortes chances que le rendement final de la taxe soit faible, voire nul. Même en retenant les hypothèses les plus optimistes, nous estimons que le rendement de la mesure proposée ne dépasserait pas les 400 millions d’euros ; en outre, plusieurs techniques assurantielles de mise en provision pourraient trop facilement annuler les sur-profits éventuels, et donc anéantir une bonne partie de l’assiette de la taxe. Bref, ce dispositif serait assez facilement contournable ; il ne saurait donc être un bon substitut à des engagements fermes et d’ores et déjà négociés.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable à ce texte. Nous croyons en l’esprit de solidarité existant dans notre pays. L’accord que nous avons trouvé avec les assureurs en témoigne, de même que les efforts redoublés du Gouvernement et des parlementaires pour adapter en permanence nos dispositifs de soutien aux nouvelles situations créées par les pandémies.
Nous sortirons de cette crise ! Mais nous en sortirons en aidant nos victimes, et pas forcément en cherchant des coupables !
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on reconnaît une bonne idée à ce qu’elle se fraie un chemin dans l’opinion publique ; on reconnaît une bonne mesure à ce qu’elle arrive au bon moment dans le débat public.
L’idée de faire contribuer les assureurs à la solidarité nationale peut ainsi être considérée comme une bonne idée.
Alors que nous traversons une crise économique sans précédent, et que nos finances publiques ont été lourdement dégradées par la pandémie, les assurances, elles, dégagent des profits faramineux. Et pour cause : la sinistralité n’a jamais été aussi basse qu’en 2020, du fait des restrictions sanitaires.
La mécanique qui s’en est ensuivie est désormais bien connue : la diminution des sinistres a entraîné une forte diminution des indemnisations, c’est-à-dire une forte baisse des coûts pour les entreprises, sans révision correspondante des polices d’assurance, générant ainsi une profitabilité exceptionnelle en ces temps difficiles.
Car les temps sont difficiles, madame la secrétaire d’État ; nous le savons tous ici, nous qui entretenons des liens forts avec les élus de terrain. Les Français ne comprennent pas que des entreprises tirent profit de cette situation catastrophique. Ils demandent de l’équité.
C’est à cette logique qu’ont répondu les différentes propositions formulées depuis le début de la crise sanitaire. Et je crois utile de préciser qu’elles n’ont pas été l’apanage d’un seul camp, qui détiendrait le monopole du cœur.
Dès le début du confinement, des sénateurs de tous bords ont relayé la sidération des entrepreneurs qui découvraient que leur contrat d’assurance ne couvrait pas le risque pandémique. La prise de conscience fut alors collective : la situation à laquelle nous faisons face n’entre dans aucune case.
Après le temps des questions au Gouvernement est venu celui des initiatives du Parlement. Le Sénat a produit plusieurs propositions de loi, dont celle de mon collègue Jean-Pierre Decool, dont je tiens à saluer le travail, qui visait à créer un mécanisme d’assurance des pertes d’exploitation liées à des menaces ou crises sanitaires graves.
Le Sénat a finalement adopté la proposition du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, qui redéfinit et coordonne le rôle des assureurs dans la solidarité nationale.
Nous avons eu par ailleurs, lors de l’examen de la première partie du budget pour 2021, de longs débats sur l’opportunité d’une contribution exceptionnelle sur les assurances, dont le produit viendrait gonfler les efforts déjà consentis volontairement.
Je veux redire le soutien du groupe Les Indépendants à la proposition de la commission votée par le Sénat. Notre groupe a même soutenu le doublement du taux de cette contribution proposé par Vincent Delahaye.
Je remarque d’ailleurs que le Gouvernement, qui n’avait pas émis d’avis favorable sur la proposition du rapporteur général, a pu utiliser cette contribution dans sa négociation pour obtenir un engagement de la part des assureurs sur le gel des tarifs l’année prochaine. Cette garantie est la bienvenue pour la cohésion du pays, et le crédit en revient en partie au travail du Sénat.
En résumé, mes chers collègues, le Sénat est une force de propositions depuis le début de la crise sanitaire. Nous avons suggéré de réformer le cadre assurantiel afin de l’adapter, de façon stable et pérenne, à l’état d’urgence sanitaire. Nous avons aussi voté une contribution exceptionnelle, bornée dans le temps et calibrée sur la période du premier confinement.
Je crains donc, mes chers collègues, que la proposition du groupe socialiste, qui institue un dispositif pérenne de contribution exceptionnelle – oxymore magnifique (Mme la secrétaire d’État approuve.) –, n’arrive pas au bon moment.
J’ignore si les auteurs de ce texte espèrent vraiment qu’il puisse être adopté d’ici la fin de l’année. Je crains surtout qu’il ne soit pas opportun de doter notre arsenal fiscal d’une nouvelle arme dans cette négociation.
Le groupe Les Indépendants votera donc contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, permettez-moi de remercier mes trois collègues Sophie Taillé-Polian, Teva Rohfritsch et Stéphane Artano d’avoir accepté d’intervertir l’ordre de passage des orateurs.
N’y voyez pas d’acharnement de notre part, madame la secrétaire d’État, mais le ministre Bruno Le Maire n’a décidément que peu d’égards pour le Sénat.
Après avoir ignoré nos travaux, voilà qu’il les brandit fort opportunément pour essayer de se faire entendre – enfin ! – des assureurs. Il leur demande à présent de trouver un arrangement sur le gel des primes contrats pour les commerces les plus touchés. « Et si vous ne le faites pas, leur dit-il, il se trouve que le projet de loi de finances revient en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et que le Sénat a voté un prélèvement obligatoire de 1,2 milliard d’euros sur les assureurs… » Et d’ajouter : « Je considère que c’est vraiment traiter les problèmes à la hache et que ce n’est jamais la bonne solution, mais si les assureurs ne trouvent pas eux-mêmes la porte de sortie, nous n’aurons pas d’autre choix que de maintenir ce prélèvement obligatoire sur les assureurs. La balle est dans leur camp et je parie, comme toujours, sur le sens des responsabilités de chacun. »
Je cite volontairement in extenso les propos du ministre. Le Sénat, qui a voté une contribution exceptionnelle des assureurs à l’effort de crise, sert d’instrument de chantage auprès des professionnels du secteur. Nous sommes accusés de traiter les problèmes « à la hache » ; la commission des finances appréciera…
Ce plaisir sera probablement partagé par nos collègues députés, qui n’ont pas droit à plus d’égards, car c’est bien seul que le ministre de l’économie décidera de retenir ou pas cet article voté par le Sénat.
Pourtant, je le dis d’emblée, toutes les mesures votées par notre assemblée s’avèrent complémentaires, justes et proportionnées : le dispositif proposé dans le cadre de ce texte parachèverait la constitution d’un arsenal pour contraindre les entreprises à participer à l’effort de solidarité nationale.
Les assureurs ont trop longtemps rechigné à faire cet effort essentiel : les 400 millions d’euros versés au Fonds de solidarité constituaient un bon début, mais ce n’est pas suffisant, loin de là. J’ai entendu qu’il était question d’ajouter 1,5 milliard d’euros issus d’un programme d’investissement global, majoritairement en fonds propres, en faveur des ETI et des PME du secteur de la santé. Mais l’on parle ici d’investissements ; il n’y a pas de dons, d’efforts ou quoi que ce soit qui relèverait de la générosité : un investissement a vocation à être rentable.
Nous avions déjà salué les différentes mesures adoptées par le Sénat, à commencer par la taxe de 1 %, habilement sous-amendée par nos collègues centristes pour être portée à 2 %, sur les primes versées au titre de l’année 2020.
Dans un deuxième temps, le rapporteur général a continué le « combat » en instaurant une cotisation obligatoire des assurés permettant aux entreprises ayant perdu au moins 50 % de leur chiffre d’affaires de bénéficier d’une couverture à hauteur des charges d’exploitation lors de la mise en place d’un état d’urgence sanitaire.
Juste avant l’adoption de ce dispositif, M. Bruno Le Maire annonçait un gel des cotisations des contrats multirisques professionnels pour l’année 2021. C’est la moindre des choses !
Un petit rappel des événements s’impose : les assureurs ont envoyé une lettre aux restaurateurs pour les prévenir que leurs contrats pourraient être interrompus et que leurs pertes d’exploitation ne seraient pas couvertes. Un chantage de ce type est-il digne ? D’aucuns affirment qu’il s’agit d’une maladresse. Nous disons, nous, que c’est une offense caractérisée. Le gel était indispensable, mais il n’est pas une condition suffisante pour revenir sur les dispositifs de solidarité adoptés par le Sénat.
Il nous faut donc voter cette proposition de loi sur la taxation des activités non-vie, car la baisse de sinistralité est manifeste. Prenons la branche corporelle de l’assurance automobile : la sinistralité – et c’est heureux – est en chute libre. La comparaison entre les deux mois de mars 2019 et 2020 atteste de cette différence, avec une diminution de 45 % des blessés sur la route.
Toutefois, si nous reconnaissons l’ambition de ce texte, celle-ci est mesurée au regard de la prise en compte des trois derniers exercices clos, qui diminuera mécaniquement l’assiette. Par ailleurs, la notion de compte d’exploitation ne focalise pas cette contribution sur le patrimoine ou le capital des assureurs, qui ne cesse de croître. Enfin, la notion floue des « entreprises de l’assurance non-vie » exclut nombre d’acteurs du secteur de l’assurance.
Cette contribution sur les activités non-vie sera très certainement maigre, mais elle n’en sera pas moins utile. L’idée est bonne, en dépit du faible profit.
Les placements des assureurs représentaient 91 % de leurs bilans agrégés et atteignaient 2 813 milliards d’euros, soit 200 milliards d’euros de plus que l’année précédente.
C’est pourquoi nous souhaitions une taxe sur les réserves de capitalisation. Nous vous l’avons proposée, mais vous l’avez refusée, mes chers collègues, alors qu’il s’agissait également de mettre à contribution ceux qui ont bénéficié de la crise. De la même manière, les établissements bancaires et de crédits sont les grands absents de l’effort de solidarité nationale que nous appelons de nos vœux. Le secteur bancaire tire profit des 120 milliards d’euros de prêts garantis tout en laissant l’État supporter le risque et le coût du dispositif.
Vous l’aurez compris, nous voterons sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)