M. Roger Karoutchi. Et il a bien raison !
M. Rémi Féraud. … mais il aimerait que la solidarité soit bien plus centrale dans la réponse de notre pays à la crise.
M. Vincent Éblé. Très bien !
M. Rémi Féraud. Il en va de même en matière de transition écologique. En cette Journée mondiale du climat, à quelques jours des cinq ans de la signature de l’accord de Paris, sommes-nous à la hauteur ? Pourquoi avoir convoqué la Convention citoyenne sur le climat, si c’est pour refuser ensuite de mettre en œuvre la plupart de ses recommandations ?
Cette crise est une occasion manquée de préparer une reprise plus sobre et de changer notre modèle de développement en mettant la lutte contre le réchauffement climatique au cœur de la relance. Malheureusement, le Gouvernement a refusé de faire de la conditionnalité écologique un impératif. Et je ne parle pas de la majorité sénatoriale, qui a considéré qu’un malus tout à fait symbolique sur les 2 % de véhicules les plus lourds était déjà une contrainte insupportable pour notre industrie automobile !
Sur la transition énergétique comme sur la solidarité, nous sommes donc en profond désaccord avec ce projet de loi de finances.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, tout au long de l’examen du budget, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a fait des propositions pour plus d’équité fiscale et de justice sociale. Chaque dépense supplémentaire que nous proposions dans le cadre du plan de relance était compensée par des recettes nouvelles.
J’ai entendu tout au long de nos débats la droite sénatoriale réclamer des réductions d’impôts sans jamais adopter la moindre baisse de dépenses tout en se désolant du déficit et de la dette publique. Pour notre part, nous avons le souci de la cohérence et de la responsabilité. C’est pourquoi nous avons voté pour une contribution exceptionnelle sur les assurances.
M. Vincent Éblé. Très bien !
M. Rémi Féraud. Le choix de creuser le déficit plutôt que de mettre à contribution ceux qui en ont les moyens n’est pas le nôtre. Nous entendons maintenant la petite musique des déclarations ministérielles : le « quoi qu’il en coûte » aurait vécu, et la réforme des retraites redeviendrait d’actualité. Faute de faire contribuer les plus riches et les acteurs économiques, aujourd’hui, il faudrait faire payer tous les Français, même les plus modestes, demain. Quelle perspective injuste !
Par conséquent, et malgré quelques ajouts positifs du Sénat, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce projet de budget. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Le Sénat va maintenant procéder au vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2021, modifié.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Mes chers collègues, je vous remercie d’être aussi nombreux dans l’hémicycle ; nous sommes à la limite de la jauge sanitaire. Je salue nos collègues qui ont accepté de prendre place dans les tribunes : leur présence manifeste tout l’intérêt qu’ils portent à nos travaux. (Applaudissements sur diverses travées.)
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 41 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l’adoption | 211 |
Contre | 96 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de 145 heures de séance sur le projet de loi de finances pour 2021, je souhaite remercier le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, qui a démontré sa qualité d’écoute et de conviction pour son premier rapport général. (Applaudissements.)
Je tiens également à saluer le président de la commission des finances, Claude Raynal (Applaudissements.), qui a su mener à bon port nos débats en rappelant régulièrement en toute bienveillance le calendrier de la discussion budgétaire. À en juger par l’heure à laquelle nous avons terminé hier soir, il a particulièrement réussi.
Je veux saluer aussi les quarante-sept rapporteurs spéciaux de la commission des finances, les quatre-vingts rapporteurs pour avis des autres commissions et les chefs de file des huit groupes politiques, qui ont contribué au débat tout au long de ces semaines.
Enfin, je voudrais vous remercier, monsieur le ministre, de votre présence assidue au cours de l’examen des articles de la première partie, des crédits de la mission « Plan de relance » et des articles non rattachés de la deuxième partie, ainsi que de vos réponses toujours précises et courtoises ; elles sont, je le sais, appréciées au sein de l’hémicycle. (Applaudissements.) Votre solitude a parfois suscité notre sollicitude (Rires et applaudissements.), que j’ai exprimée au Premier ministre. J’aurai aussi l’occasion de le rappeler directement de nouveau aux ministres concernés. Il y va de la qualité de la relation entre l’exécutif et le Parlement. Pour reprendre une formule qui était mon bulletin paroissial : « Il faut nous parler. » C’est, me semble-t-il, extrêmement important.
La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année, nous avons battu un nouveau record d’amendements sur un projet de loi de finances, avec près de 2 750 amendements déposés, contre 2 465 amendements l’année dernière, ce qui était déjà sans précédent. C’est donc une hausse de 11 % sur un an. Pour mémoire, voilà dix ans – à l’époque, je ne siégeais pas encore au Sénat –, 1 104 amendements avaient été examinés…
Malgré cette augmentation, nous ne disposons toujours que d’un délai constitutionnel de vingt jours pour examiner l’ensemble du projet de loi de finances, de surcroît en étant saisis à la même période du projet de loi de finances rectificative de fin de gestion. Cette année, le PLFR 4 contenait aussi des mesures importantes.
Nous verrons ce qu’il en sera l’année prochaine. Espérons en tout cas que ce soit plus calme et que nous n’ayons pas à examiner un PLFR 1 dès le premier trimestre de l’année 2021.
Malgré ces contraintes et l’introduction d’une nouvelle mission « Plan de relance », qui a suscité – et c’est bien normal – de longs et légitimes débats, nous avons pu respecter les délais, mais en siégeant trois samedis sur les trois qui étaient disponibles, et chaque fois jusqu’à minuit ou minuit et demi.
Une conclusion s’impose : nos marges de manœuvre se réduisent d’année en année. Nous devrons nécessairement réfléchir à notre organisation. D’ailleurs, cela tombe bien : l’an prochain, nous célébrerons le vingtième anniversaire de la LOLF. Ce sera l’occasion, en particulier pour la commission des finances, de faire des propositions pour améliorer nos modalités d’examen du projet de loi de finances.
Nous n’en avons pas fini avec l’examen de ce PLF, sur lequel le Sénat vient de se prononcer. Le Gouvernement a annoncé que de nouveaux amendements de crédits seraient déposés à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture ; c’est pour le moins inédit…
Nous veillerons à ce que le Sénat puisse – c’est la moindre des choses – prendre connaissance dans des conditions correctes de ce qui sera présenté aux députés en nouvelle lecture. Il faudra ensuite que le texte nous soit transmis dans les temps par l’Assemblée nationale, et non pas, comme cela a pu arriver, quelques minutes avant le début de notre séance publique.
À l’instar de M. le président du Sénat, je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce travail collectif. Je pense aux différents membres du Gouvernement qui se sont succédé en séance, en particulier à M. Dussopt, qui a été très présent, de même que ses collaborateurs ; nous avons tous beaucoup de plaisir à travailler avec lui. À dire vrai, nous aurions aussi apprécié la présence du ministre chargé de la relance a minima lors de l’examen des crédits de la mission « Plan de relance »…
Je tiens aussi à remercier M. le président du Sénat, ainsi que les vice-présidents et les vice-présidentes de notre assemblée, qui ont été très sollicités pendant la période.
Enfin, je me joins aux nombreux remerciements adressés à M. le rapporteur général, avec lequel j’ai travaillé en confiance – j’espère ne pas le mettre dans l’embarras en le disant (Sourires.) – et qui a été le plus mobilisé d’entre nous pendant tout l’examen du PLF.
Je salue également les rapporteurs spéciaux, les rapporteurs pour avis et l’ensemble de mes collègues sénateurs, ainsi que nos collaborateurs et les services du Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que cela a été souligné, nous voici parvenus au terme de l’examen du projet de loi de finances par le Sénat en première lecture.
Le texte adopté par votre assemblée présente des différences avec celui qui résultait des travaux de l’Assemblée nationale. Certaines sont surmontables. D’autres découlent de divergences politiques. C’est simplement le fruit du débat démocratique : les positions des uns sont aussi légitimes que celles des autres dès lors que toutes se fondent sur la conviction de défendre l’intérêt général.
La commission mixte paritaire se saisira du texte, qui continuera son parcours législatif. M. le président de la commission des finances l’a rappelé, nous travaillons actuellement, comme nous l’avions annoncé à l’ouverture de vos travaux, à l’intégration de crédits consacrés à l’urgence et à la protection dans le texte que l’Assemblée nationale examinera en nouvelle lecture. Je veillerai à ce que la version adoptée par les députés soit transmise dans les meilleurs délais au Sénat. D’ailleurs, les amendements du Gouvernement vous seront adressés en même temps qu’à l’Assemblée nationale, afin que vous puissiez en prendre connaissance.
Nous nous retrouverons dans les prochains jours pour la nouvelle lecture – je n’ose dire l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire –, mais je souhaite d’ores et déjà vous adresser mes remerciements.
Je vous remercie, monsieur le président, de votre sollicitude – je vous le dis sincèrement. Je remercie l’ensemble des vice-présidents, qui nous ont permis, je le crois, de débattre dans de bonnes conditions.
Je remercie aussi tout particulièrement M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général. Le premier déclarait voilà quelques instants craindre de mettre le second dans l’embarras en soulignant la relation de confiance qui avait pu caractériser leur travail en commun. Pour ma part, je peux vous mettre tous les deux dans l’embarras, puisque j’ai travaillé en confiance avec chacun d’entre vous. (Sourires.) D’ailleurs, ce fut un véritable plaisir.
Je voudrais enfin remercier l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont participé au débat. Nous avons eu, je le crois, des débats de qualité, des échanges courtois. J’ai toujours beaucoup de plaisir à travailler avec vous. Nous nous reverrons sans doute bientôt – n’y voyez pas l’annonce d’un projet de loi de finances rectificative qui serait par trop précoce ; personne ne le souhaite ! –, sur des textes financiers ou liés aux comptes publics. Merci à tous ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Gouvernance et performance des ports maritimes français
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, présentée par M. Michel Vaspart et plusieurs de ses collègues (proposition n° 723, [2019-2020] texte de la commission n° 154, rapport n° 153)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, coauteur de la proposition de loi.
M. Hervé Maurey, coauteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que deuxième cosignataire de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français, déposée par notre ancien collègue Michel Vaspart et de nombreux collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste, il me revient d’ouvrir aujourd’hui nos débats.
Avant toute chose, je souhaite saluer le travail de Michel Vaspart, son engagement et ses compétences reconnues sur les enjeux maritimes et portuaires, qui ont permis à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable d’approfondir ce sujet et de formuler des propositions concrètes. À sa demande, nous avons constitué en novembre 2019 la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, dont il a été tout naturellement le rapporteur. Cette mission a été présidée par Martine Filleul, dont je salue également le travail et l’implication.
L’ensemble de la mission a effectué un travail de grande qualité qui a, comme très souvent dans notre assemblée, transcendé les clivages politiques. Le rapport a été adopté à l’unanimité le ler juillet dernier par la commission. Il est le fruit d’un important travail : une trentaine d’auditions et une dizaine de déplacements dans des ports maritimes, en France mais aussi à l’étranger, notamment à Anvers et Rotterdam, ont été organisés. Seule la situation sanitaire a empêché un déplacement à Gênes.
La mission a travaillé dans un contexte particulier, celui des grèves liées à la réforme des retraites, qui ont particulièrement touché nos ports, puis de la crise sanitaire. Toutefois, cette crise a mis en exergue le caractère stratégique des infrastructures portuaires et des chaînes logistiques pour l’approvisionnement de la Nation.
Ainsi, après une période difficile, les professionnels se sont mobilisés, et je salue leur engagement. Cette mobilisation a été prolongée par la signature de la charte d’engagement des acteurs des chaînes logistiques françaises, le 7 octobre dernier, sous l’égide du ministre des transports, que je salue, et de la ministre de la mer. Je tiens à mentionner l’implication des professionnels pour assurer un transport fiable et compétitif des marchandises et privilégier le passage des marchandises par les ports français, en encourageant le recours aux modes massifiés. Il faut maintenant que cela se traduise dans les faits.
Le travail de contrôle de la mission d’information a donné lieu au dépôt de deux propositions de loi : celle déposée par Michel Vaspart, que nous examinons aujourd’hui, et celle déposée par Martine Filleul et plusieurs collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces initiatives complémentaires démontrent l’importance du sujet et l’intérêt du travail mené. Grâce à ces initiatives législatives, nous pouvons débattre concrètement des solutions à mettre en œuvre pour nos ports.
La proposition de loi dont nous allons débattre traduit les dix propositions formulées dans le rapport de la mission et les quatre recommandations adressées au Gouvernement. En outre, le travail effectué en commission sur l’initiative du rapporteur Didier Mandelli, que je salue, et qui connaît bien ces sujets pour avoir été le rapporteur de la loi pour l’économie bleue et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) –, ainsi que le travail de Martine Filleul ont permis d’enrichir ce texte, qui contient des mesures importantes en faveur de l’attractivité de la place portuaire française et du nécessaire verdissement dans lequel notre économie s’engage.
Les dix-sept articles de la proposition de loi ont vocation à couvrir tous les enjeux auxquels nos ports sont confrontés. Ils doivent permettre d’avancer concrètement sur des questions essentielles et de répondre aux demandes formulées de longue date par de nombreux acteurs.
Je souhaiterais insister sur trois points, qui rejoignent les constats de la mission d’information.
Tout d’abord, nous manquons d’une stratégie de long terme et d’une définition claire de la vision de l’État sur nos ports maritimes.
Malgré le caractère stratégique de nos ports et la place de la France, deuxième puissance maritime mondiale, qui dispose de trois façades maritimes, nous attendons encore et toujours la stratégie nationale portuaire du Gouvernement, annoncée en novembre 2017. En février 2019, nous avions d’ailleurs publié avec Michel Vaspart un rapport intitulé La compétitivité des ports français à l’horizon 2020 : l’urgence d’une stratégie.
Dans ce rapport, nous nous inquiétions déjà des faibles performances des ports français, au regard des objectifs qui avaient présidé aux différentes réformes portuaires et en comparaison avec les autres ports européens. Près de deux ans plus tard, nous en sommes malheureusement au même point.
Dans son adresse aux Français prononcée le 14 juin dernier, le Président de la République a évoqué la nécessité « [d’accélérer] notre stratégie maritime, nous qui sommes la deuxième puissance océanique mondiale ». Malheureusement, si les annonces présidentielles et gouvernementales vont dans le bon sens, elles ne sont suivies d’aucun effet.
Il est donc grand temps, monsieur le ministre, que le Gouvernement dévoile sa stratégie et la mette en œuvre. Cela est d’autant plus nécessaire que les Chinois sont de plus en plus présents, dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Leurs participations dans les ports européens concernent désormais seize terminaux dans treize ports, et 10 % du volume des échanges. Je partage les inquiétudes de Michel Vaspart, qui nous a souvent alertés sur ce sujet et nous a appelés à faire preuve de plus de clairvoyance et de moins de naïveté.
Le second point sur lequel je souhaite insister porte sur la problématique du sous-investissement chronique des infrastructures d’accès aux grands ports maritimes. Michel Vaspart s’était alarmé de la situation d’un grand nombre de lignes capillaires fret : certaines voies empruntées pour l’acheminement des récoltes depuis les silos céréaliers sont dans un tel état qu’il est aujourd’hui envisagé d’abandonner le rail au profit de la route. Nous constatons d’ailleurs une baisse tendancielle de la part du transport ferroviaire dans le transport intérieur de céréales, qui est passée de 10 % pour la campagne 2012-2013 à 6 % pour la campagne 2017-2018.
À Rouen, premier port céréalier d’Europe de l’Ouest, la part modale du fer ne représente que 6,8 %. Cette situation n’est pas acceptable. L’augmentation de la trajectoire de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), fixée par la LOM, est aujourd’hui indispensable pour enrayer cette tendance.
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget des transports, je continuerai à être vigilant sur le soutien apporté par l’État à ses grands ports maritimes.
Je constate que l’État, dans le projet de loi de finances pour 2021, a respecté ses engagements pour compenser l’intégralité des charges de dragage. Voilà qui constitue un signal positif, même s’il faudrait aller plus loin et parvenir à une prise en charge substantielle et pérenne de l’ensemble des dépenses non commerciales des grands ports maritimes. Tel est l’objet de l’article 7 de cette proposition de loi.
Par ailleurs, le rapport de la mission d’information a déjà produit des effets, puisque le Gouvernement a prévu un soutien au développement du fret ferroviaire, ainsi que des crédits spécifiques dédiés au verdissement des ports dans le cadre du plan de relance.
Toutefois, quand nous examinons dans le détail le plan de relance, les 175 millions d’euros prévus sur deux ans semblent insuffisants, d’autant plus qu’ils sont destinés à financer de très nombreuses mesures, comme le développement des infrastructures de report modal, l’électrification des quais et la création de points d’avitaillement. Certes, des cofinancements sont prévus, mais l’effort de l’État aurait pu être plus important pour donner un véritable avantage comparatif à nos ports en matière de transition écologique.
Une augmentation de l’aide à la pince est également prévue, mais elle reste insuffisante par rapport aux 80 millions d’euros proposés par la mission qui, seuls, pourront permettre de restaurer la compétitivité du transport combiné intérieur.
Le plan de relance n’est donc pas aussi ambitieux que les propositions de la mission d’information. Il constitue un premier pas positif, qui nécessite cependant d’aller plus loin.
Avant de conclure, je forme le vœu que la vie de cette proposition de loi se poursuive au-delà de son examen par le Sénat, et qu’elle puisse également être discutée à l’Assemblée nationale. Encore une fois, notre assemblée est force de proposition, et le Gouvernement serait bien inspiré de reprendre nos recommandations. J’attends d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous puissiez nous indiquer quand et comment vous comptez vous emparer des propositions de la mission d’information, qui seront formulées tout au long du débat de cet après-midi. (MM. Jean-François Longeot et Jean-Pierre Grand applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a été déposée le 24 septembre dernier par notre ancien collègue Michel Vaspart et de nombreux autres sénateurs.
Les dix-sept articles de ce texte et son rapport annexé renvoient fidèlement aux propositions de la mission d’information présidée par Martine Filleul, que je salue, et dont le rapporteur était Michel Vaspart. Cette mission avait été mise en place par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable en novembre 2019.
Je souhaite, à mon tour, rendre un hommage particulier à notre ancien collègue et mon ami Michel Vaspart pour son implication et son travail sur ces sujets. Le rapport de la mission d’information a été adopté à l’unanimité en commission le 1er juillet dernier ; cette unanimité témoigne de l’importance du travail réalisé et de l’attention portée à ce sujet par tous les groupes politiques de notre assemblée.
Je ne reviendrai pas sur les constats, qui sont connus. Près de vingt rapports ont été écrits sur nos ports depuis dix ans, soit deux par an en moyenne, dont la plupart à la demande du Gouvernement.
Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? S’il est vrai que le secteur portuaire a fait l’objet de réformes de grande ampleur depuis le début des années 1990, qui ont permis à nos ports, en particulier aux grands ports maritimes relevant de l’État, de redresser leurs finances et leur compétitivité, leurs performances demeurent décevantes.
Les faits en attestent. Au total, en 2020, le trafic des sept grands ports maritimes métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam, par lequel transite également un tonnage trois fois plus important de conteneurs. Plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent encore aujourd’hui par des ports étrangers. Le retard accumulé par la France est tel que nous estimons qu’entre 30 000 et 70 000 emplois seraient perdus.
Dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2021, le Gouvernement a révisé la prévision de part de marché des grands ports maritimes de 13 % à 12,5 % pour 2020, par rapport aux trente-deux ports européens pris pour référence, avec une part de marché de la filière des conteneurs qui pourrait s’établir à 6,1 % au lieu de 6,5 % pour 2020.
La situation ne s’améliore pas, même si cette année est particulière, au regard des grèves liées à la réforme des retraites – Hervé Maurey l’a expliqué – et de la crise sanitaire. Nous connaissons nos faiblesses, qui résultent en particulier d’un sous-investissement dans les infrastructures de desserte de nos ports, au sens strict, et, plus largement, dans le transport massifié de marchandises, ainsi que d’une image de fiabilité encore écornée auprès des grands chargeurs et armateurs.
La proposition de loi prévoit d’ailleurs de dégager davantage de moyens en faveur de la massification des acheminements portuaires. Sans politique ambitieuse de massification du transport de marchandises, il est illusoire d’imaginer que nos ports gagnent durablement des parts de marché, alors que, dans le même temps, 50 % du fret en conteneurs du port d’Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale. Il s’agit non seulement d’un problème de compétitivité, mais aussi d’un problème environnemental.
Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des avancées en la matière, mais les montants paraissent insuffisants. Une augmentation conséquente de la trajectoire d’investissement de l’Afitf, fixée par la LOM, est indispensable pour parvenir véritablement à renforcer la compétitivité de nos ports.
À ces éléments de compétitivité hors prix s’ajoute le principal constat de notre commission, à savoir une absence de vision stratégique à long terme de l’État sur nos ports, à cette date. Vous nous indiquerez sans doute, monsieur le ministre, à quel moment sera présentée la stratégie nationale portuaire.
La création d’un Conseil national portuaire et logistique (CNPL) et l’inscription dans le code des transports de la stratégie nationale portuaire, prévues par l’article 1er de la proposition de loi, répondent à ce besoin qui a d’ailleurs été relevé par la quasi-totalité des acteurs que j’ai consultés, ainsi que par Michel Vaspart et la mission.
Certes, monsieur le ministre, un Comité France maritime (CFM) étoffé existe déjà, mais aucune des instances existantes ne présente un caractère transversal, permettant d’associer à la fois le côté mer et le côté terre, en prenant en compte l’ensemble des acteurs de la chaîne portuaire et logistique.
En outre, le CNPL n’a pas été conçu comme un arbre de plus dans la forêt des instances placées auprès du Gouvernement. Il a vocation à intégrer des structures existantes, dont certaines sont pour l’heure peu dynamiques, comme l’Observatoire des coûts de passage portuaire ou encore le comité interministériel de la logistique (Cilog), même si ce dernier s’est réuni hier avec des ambitions affichées. C’est une logique de rationalisation et non de complexification qui répond à cette volonté de création du CNPL.
Nos concurrents européens et internationaux sont mieux organisés que nous. La stratégie portuaire et logistique allemande fait l’objet d’un débat au Bundestag et figure dans le contrat de coalition du gouvernement actuel. Les Britanniques, malgré la privatisation de leurs ports en 1986, ont maintenu un travail de prospective. Surtout, la République populaire de Chine a lancé une initiative d’une ampleur peu commune, avec les nouvelles routes de la soie, qui incluent évidemment une dimension maritime.
Michel Vaspart était et reste particulièrement préoccupé par ce sujet, comme nous tous. Il a alerté plusieurs ministres depuis deux ans. Quand nous interrogeons les administrations de l’État sur les évolutions apportées pour la protection de nos actifs stratégiques et le contrôle des investissements étrangers, c’est tout juste si l’on ne nous répond qu’il n’y a pas de problème et que tout est sous contrôle. Les seuils de contrôle des investissements étrangers ont été temporairement abaissés jusqu’au 31 décembre 2020. Dont acte. Je doute que cela soit suffisant.
Vous nous parlerez sans doute des discussions que vous menez à l’échelle de l’Union européenne. Je constate que l’information du Parlement et des élus nationaux sur ces sujets est trop faible, alors que nous pourrions un jour être amenés à voter des dispositions en la matière si la situation évoluait défavorablement pour certaines de nos entreprises.
Le rapport de notre commission a également mis en lumière des frustrations et des incompréhensions issues des réformes de 2008 et 2016, qui ont conduit à l’exclusion des acteurs économiques des instances décisionnaires des ports, au nom de la prévention des conflits d’intérêts. Pourtant, des outils de prévention et de gestion des conflits d’intérêts existent, y compris dans le code des transports. Il serait bon de les utiliser de manière pragmatique, plutôt que de refuser par principe toute association ou implication du secteur privé.
Le Gouvernement souhaite disposer de « ports entrepreneurs ». Cet état d’esprit me semble être le bon pour relever le défi de la reconquête de parts de marché, et nous y souscrivons. Toutefois, pour aller au bout de cette logique, il est nécessaire d’accepter les règles du jeu de l’entreprise, et donc des instances de gouvernance fortes, représentatives de la diversité des parties prenantes et placées en situation d’exercer un réel contrôle de la direction de l’établissement.
Au-delà, l’avenir de nos ports est étroitement lié à celui du modèle économique du transport de marchandises, et plus largement à la structure de notre économie, fortement importatrice – nous pouvons évidemment le regretter.
Nos ports se retrouvent pris en étau entre la baisse de leurs recettes, liées en particulier au trafic d’hydrocarbures, et la hausse de leurs charges non commerciales et fiscales – Hervé Maurey l’a également évoqué. Je resterai donc attentif à la mise en œuvre des mesures votées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
Avant de conclure, je rappellerai les trois principaux axes de travail retenus en commission sur ce texte.
Le premier axe est de renforcer l’intégration des collectivités territoriales à la politique portuaire, pour favoriser la coordination entre l’ensemble des ports, associer avec discernement et mesure les acteurs privés à la gouvernance des établissements portuaires, et ainsi améliorer à la marge le cadre issu des lois de 2008 et 2016. J’ai mené le travail préparatoire à l’examen de cette proposition de loi dans le souci de préserver les propositions de Michel Vaspart, mais en y apportant des ajustements et des compléments sur des sujets ponctuels.
Certains points font l’objet de débats, ce qui est naturel. Cela est notamment le cas pour l’article 6 – je pourrais ajouter l’article 8 –, qui prévoit de décentraliser les grands ports maritimes à la demande des régions, et sous réserve de l’accord de l’État.
Le deuxième axe est d’améliorer l’attractivité et la compétitivité de nos grands ports maritimes et des ports des collectivités territoriales. La commission a notamment adopté deux amendements visant à créer des zones de relance économique temporaires et un dispositif de suramortissement, pour favoriser les investissements concourant à la fluidité du passage portuaire, avec une double conditionnalité sectorielle et environnementale.
Enfin, le troisième axe est de soutenir le verdissement de ce secteur, en offrant des outils supplémentaires aux acteurs pour les accompagner activement dans la transition écologique.
Vous le voyez, monsieur le ministre, nous sommes mobilisés pour soutenir nos ports et la relance de l’économie. Nous sommes prêts à y travailler avec vous et avec nos collègues députés.
Je terminerai par une question très simple, qui rejoint celle posée par Hervé Maurey en conclusion de son propos : le Gouvernement va-t-il se décider à saisir cette proposition que nous lui faisons ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)