M. le président. L’amendement n° II-685 rectifié bis, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Coordination du travail gouvernemental dont titre 2 |
100 000 |
100 000 |
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Protection des droits et libertés dont titre 2 |
100 000 |
100 000 |
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Présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 |
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TOTAL |
100 000 |
100 000 |
100 000 |
100 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cette demande est un peu moins budgétivore encore que les deux qui viennent d’être rejetées.
Cet amendement a pour objet d’augmenter le budget du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) d’un montant de 100 000 euros, afin de le doter de 2 ETP supplémentaires.
Certes, le budget du CGLPL est en augmentation, mais, à étudier les chiffres d’un peu plus près, on voit que cette augmentation est essentiellement liée à la reconduction du bail locatif de ses locaux.
Le CGLPL est une autorité administrative indépendante qui a pour mission de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité.
Cette institution est fondamentale, parce qu’elle opère un contrôle de tous les lieux de privation de liberté, des centres de rétention administrative aux hôpitaux psychiatriques en passant par les locaux de garde à vue et les établissements pénitentiaires. Ses recommandations sont essentielles dans ces lieux où les citoyens n’ont aucun droit de regard.
Compte tenu par ailleurs des récentes condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, sanctionnant la densité carcérale des maisons d’arrêt françaises, et à défaut d’une politique pénitentiaire appropriée, nous avons besoin de renforcer le contrôle de ces établissements.
C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande l’augmentation de 100 000 euros des moyens du Contrôleur général des lieux de privation de liberté – ce montant a été fixé après audition des agents du CGLPL.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner le rôle absolument essentiel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Je voudrais rappeler que le montant de sa dotation a été arrêté, dans le PLF pour 2021, à un niveau supérieur à celui de 2020 : 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement, permettant le réengagement de son loyer – vous l’avez dit. La dotation est également légèrement supérieure au niveau de 2020 en crédits de paiement et en crédits de titre 2.
Je voudrais rappeler également que ces moyens ont été déterminés en concertation avec l’institution elle-même – il faut aussi écouter ce que disent les institutions dont nous examinons les crédits. Ils lui permettent de remplir pleinement les missions qui lui sont dévolues, son périmètre n’ayant pas connu d’évolution récente.
Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Je suis plus que réservé sur cette augmentation de crédits. Je crois, au contraire, qu’il faudrait que l’on arrive à rationaliser le système et que l’on envisage de rattacher plutôt le Contrôleur général des lieux de privation de liberté au Défenseur des droits, qui a une vocation générale. Il importe d’introduire un peu de cohérence : à force de multiplier les institutions et les autorités administratives indépendantes, on s’y perd complètement. Il est temps de mettre un peu d’ordre. La logique voudrait que toutes ces institutions soient rassemblées.
Le message concernant les lieux de privation de liberté, dont on sait qu’ils sont surchargés, notamment les prisons, porterait beaucoup plus si le Défenseur des droits était chargé de cette mission. Il existe déjà des sections spécialisées au sein de l’institution du Défenseur des droits. Pourquoi ne pas en ouvrir une supplémentaire, spécialisée dans le contrôle des lieux de privation de liberté ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-685 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Direction de l’action du Gouvernement », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
budget annexe : publications officielles et information administrative
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative », figurant à l’état C.
ÉTAT C
(En euros) |
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Mission / Programme |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Publications officielles et information administrative |
157 131 055 |
152 338 055 |
Édition et diffusion |
49 440 000 |
44 947 000 |
Pilotage et ressources humaines |
107 691 055 |
107 391 055 |
Dont charges de personnel |
62 731 055 |
62 731 055 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits des missions « Pouvoirs publics », « Conseil et contrôle de l’État », « Direction de l’action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Remboursements et dégrèvements
Engagements financiers de l’État
Compte d’affectation spéciale : Participation de la France au désendettement de la Grèce
Compte d’affectation spéciale : Participations financières de l’État
Compte de concours financiers : Accords monétaires internationaux
Compte de concours financiers : Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics
Investissements d’avenir
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits des missions « Remboursements et dégrèvements » et « Engagements financiers de l’État », des comptes d’affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et « Participations financières de l’État », des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics », ainsi que de la mission « Investissements d’avenir » (et article 55).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la commission des finances. J’étais à deux doigts de partir à la manif ! (Sourires.) Nous allons voir passer beaucoup d’argent public en cinq minutes. (Sourires.) La mission « Remboursements et dégrèvements » est composée de deux programmes, le premier est consacré aux remboursements et dégrèvements d’impôts d’État, le second aux impôts locaux.
Les remboursements et dégrèvements d’impôts d’État sont évalués à 119,2 milliards d’euros en 2021– une bagatelle ! Ce montant, déjà prodigieux, est de surcroît en augmentation de 1,5 milliard d’euros par rapport à la prévision pour cette année. Ce nouveau bond s’inscrit dans le prolongement de la hausse quasi ininterrompue de ces crédits depuis 2010. Cela concerne donc au moins deux gouvernements.
D’où provient cette augmentation ? C’est simple, elle provient d’abord des remboursements de crédits de TVA, la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d’impôts avec 56,6 milliards d’euros. En sept ans, la sous-action relative aux restitutions de TVA a augmenté de 14,2 milliards d’euros. Dès lors, madame la ministre, il est inutile de vous préciser que je considère comme absolument nécessaire de fournir aux parlementaires une information approfondie sur les causes de cette trajectoire de hausse !
Puisqu’il est question d’information approfondie, je rappelle que la Cour des comptes a estimé la fraude à la TVA à près de 15 milliards d’euros. Où et comment cette priorité est-elle gérée par le Gouvernement, madame la ministre ? Une action résolue permettrait de dégager de nouvelles ressources publiques, ce qui nous éviterait, par exemple, d’être suspendus à la décision de l’Union européenne de subventionner le plan de relance !
Lors des débats sur ce PLF pour 2021, j’ai aussi largement défendu la baisse des taux de TVA concernant les produits et les services essentiels aux personnes et à leur dignité. Je sais que la législation européenne nous contraint, mais la France doit être précurseur et leader, madame la ministre, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, mais j’y reviendrai.
Un autre élément pèse sérieusement sur les remboursements et dégrèvements, à savoir le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le coût de ce dispositif reste éminemment considérable pour les finances publiques, après avoir atteint quasiment 20 milliards d’euros en 2019. Inutile de mentionner le rapport éloquent de France Stratégie sur le sujet, largement cité dans l’hémicycle.
Par ailleurs, un autre élément abordé par cette mission concerne les coûts des grands contentieux fiscaux de droit de l’Union européenne, qui sont très élevés pour l’État. C’est un sujet qui ne souffre pas non plus d’un excès d’informations et de transparence.
Enfin, le dernier point que j’aborde ici est la question des « règlements d’ensemble ». Vous le savez, ils permettent à l’administration d’accorder au contribuable une minoration du montant des pénalités dues, mais également des droits demandés. Cette pratique est utilisée lors de redressements complexes, notamment en matière de fiscalité internationale.
Sur les 116 règlements d’ensemble opérés en 2019, portant sur une remise totale 1,6 milliard d’euros, les droits ont été minorés de 1,12 milliard d’euros. Si l’État renonce à percevoir autant d’argent au motif que les règles sont complexes, eh bien changeons les règles, cela rapportera plus d’argent à l’État ! Il y a là une problématique qui est posée, et pas n’importe laquelle : celle de l’égalité de traitement entre les contribuables.
Selon un rapport remis au Parlement, le règlement d’ensemble le plus important l’an dernier s’élève à 523 millions d’euros. Je n’entrerai pas dans le détail, mais il s’agit de Google, pour ne pas le citer.
Dans cette affaire, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Paris avaient donné raison à l’entreprise au motif que « la société Google Ireland Limited ne dispose pas en France d’un établissement stable, au sens de la convention franco-irlandaise ». Mais pour solder l’affaire sur le plan pénal, Google avait décidé de transiger avec la justice et l’administration dans le cadre d’un règlement d’ensemble. Cette affaire m’inspire trois réflexions, madame la ministre.
Tout d’abord, nous devons inscrire dans le droit la notion d’établissement stable que, sur l’initiative des sénateurs communistes, le Sénat a adopté – j’en remercie d’ailleurs tous mes collègues.
Ensuite, l’administration fiscale espérait un redressement de 1,1 milliard d’euros, mais elle n’obtient finalement que la moitié de cette somme. C’est pour le moins un accord a minima.
Enfin, ce règlement débouche sur une convention fiscale dérogatoire dont nous ne connaissons pas les termes.
En ce qui concerne à présent les dégrèvements et remboursements d’impôts locaux, en 2021, les crédits du programme s’effondrent, puisqu’ils passent de 23 milliards d’euros à 7 milliards d’euros.
Deux événements expliquent cette contraction. D’abord, la réforme de la taxe d’habitation et, ensuite, la réforme des impôts de production.
S’agissant de la réforme de la taxe d’habitation, il est utile de se rappeler que nous arrivons, en 2021, dans la deuxième phase de la réforme. Jusqu’ici, l’allégement introduit en loi de finances pour 2018 avait pris la forme d’un dégrèvement et, par voie de conséquence, son coût était retracé par la mission dont je rapporte les crédits.
La mise en œuvre progressive de ce dégrèvement s’était ainsi traduite par une hausse importante des crédits de la mission : 3 milliards d’euros supplémentaires en 2018, 6 milliards d’euros supplémentaires en 2019 et 14 milliards d’euros supplémentaires en 2020.
À compter de 2021, ce dégrèvement est transformé en exonération et le produit de la taxe d’habitation est perçu par l’État.
Au bilan, le Gouvernement s’attend à une diminution de l’ordre de 10 milliards d’euros de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) acquittée par les entreprises.
Me voilà confronté à une contradiction, mais soyez rassurée, madame la ministre, cela n’effraie pas le dialecticien que je suis : la commission des finesses (Rires.)…, pardon, des finances…
M. le président. Un peu de sérieux ! (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. … a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat, mais le rapporteur que je suis donne un avis défavorable ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par citer Marx : « La politique, c’est l’art de chercher les problèmes, de les trouver, de les sous-évaluer et ensuite d’appliquer de manière inadéquate les mauvais remèdes. » Il s’agit, bien évidemment, de Groucho Marx et non de Karl Marx ! (Sourires.)
Ces quelques mots résument parfaitement la politique financière menée par le Gouvernement, particulièrement la trajectoire des finances publiques depuis le début de ce quinquennat.
Je ne vais pas dire du mal de la gestion de la dette, madame la ministre, car les crédits sont en légère diminution en raison des effets de taux. Par ailleurs, l’Agence France Trésor gère particulièrement bien la dette de la France. Heureusement, car sans une agence aussi performante nous serions dans une panade financière bien pire !
J’en veux pour preuve la gestion des billets de trésorerie. Au moment où la France allait un petit peu mieux, elle a su diminuer son stock de billets de trésorerie pour, le moment venu, pouvoir émettre beaucoup de dette à court terme et à taux négatif, ce qui rapporte à notre pays.
Mais le sujet n’est pas la gestion, c’est la trajectoire des finances publiques – nous l’avons largement souligné lors de la discussion générale et de nos premières discussions sur le plan de relance. Au début de 2020, la France avait une trajectoire de dette inverse de celle de ses grands partenaires européens et des autres pays du monde : c’était un problème. Le temps était à la stabilisation, on était content, on était presque à 100 % du PIB, on était heureux, ça ne bougeait plus ! La dérive, je le dis en toute objectivité, a eu lieu en 2011.
En 2011, la France n’a pas infléchi sa trajectoire de dette. Depuis, elle n’a fait qu’augmenter toute seule, négligemment. Ce n’était pas important parce que les taux baissaient. Nous avons connu ce paradoxe incroyable qui a consisté à multiplier par deux notre dette par rapport au PIB tout en payant moins de charges d’intérêts. Voilà le vrai sujet, mes chers collègues, ne nous y trompons pas !
On nous dit que la dette au Japon atteint 240 % du PIB. Oui, mais le problème n’est pas la dette, ce sont les charges d’intérêts. Au Japon, les taux d’intérêt sont à zéro : ils paient donc zéro intérêt, contre 35 milliards pour la France. Voilà le problème !
Pour autant, le Japon est-il le modèle à suivre ? Eh bien non, car le Japon a une croissance également de zéro : si les taux d’intérêt y sont nuls, c’est que la croyance et l’espérance en l’avenir sont proches de zéro. Ce phénomène est lié à la transition démographique. Nous sommes dans le même cas de figure. Notre croissance potentielle est mauvaise. Je l’ai souligné dans la discussion générale, ce budget fait complètement l’impasse de la croissance potentielle : pas de politique familiale, pas de politique de recherche. Ce sont pourtant deux éléments fondamentaux.
J’ai entendu Bruno Le Maire, qui n’est toujours pas parmi nous (Sourires.), affirmer que la croissance nous permettra d’effacer la dette. Or nous ne faisons aucun effort en termes de croissance potentielle.
Selon un avis récent du Haut Conseil des finances publiques, la France sera moins riche en 2022 qu’en 2017, le PIB nominal aura baissé, voilà le bilan ! Et pendant ce temps, nous aurons augmenté notre dette et notre charge d’intérêts. C’est une vraie grande difficulté qui reste devant nous.
Quoi qu’il en soit, nous sommes sauvés : vous avez trouvé la martingale, à savoir un nouveau comité Théodule, comme pour l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, que j’évoquais dans ma précédente intervention, après Jean-Pierre Sueur. Vous proposez donc de créer un nouveau comité, composé de grands experts, qui sont tous très bons – je les connais personnellement.
M. Vincent Capo-Canellas. Quelle chance !
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. Mais à quoi bon puisque, comme d’habitude, comme pour la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, vous ne tiendrez pas compte de leur avis ?
Vous votez une très belle trajectoire et vous l’abandonnez dès le lendemain de son vote ! Vous ferez ici la même chose !
Ils vous diront de baisser la dépense publique, ce que vous n’avez jamais fait, et de stimuler la croissance potentielle, ce que vous avez oublié de faire. Voilà, madame la ministre, et pour pas cher, les conclusions de votre comité Théodule, mais vous ne les verrez pas, car ce sera pour 2022, quand vous ne serez plus là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Murmures désapprobateurs sur les travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le temps m’étant compté, je retiendrai trois points principaux de mon exposé.
Pour commencer, je citerai un élément de contexte. En 2020, la donne a sensiblement changé pour l’État actionnaire et sa doctrine. Telle la marée, l’ambition de 2017 a reflué.
En prenant les commandes, le Gouvernement a redéfini les contours de sa doctrine : les participations de l’État étaient conçues comme un placement « à la papa », lequel ne saurait échapper à la disruption en vogue à l’époque. Pour cela, un mouvement de « respiration » du portefeuille a été engagé, ce qui s’est concrétisé par la cession de la Française des jeux. La privatisation d’Aéroports de Paris devait suivre.
Trois ans plus tard, le « nouveau monde » accuse ses premières rides : à l’aune des événements exceptionnels que nous traversons, le Gouvernement a infléchi sa doctrine. Derrière cet élément de langage, c’est en réalité au retour de la conception qui prévalait jusqu’alors que nous assistons, avec la mobilisation de la prise de participation publique comme levier de politique économique.
Je ne peux qu’approuver ce retour à la raison : je suis convaincu que l’intervention en capital de l’État – je dis bien en capital – permet d’apporter une réponse, en soutien de nos entreprises, de nos savoir-faire et de nos emplois.
Toutefois, je m’étonne de constater la très faible consommation des 20 milliards d’euros de crédits exceptionnels ouverts dans le deuxième collectif budgétaire, puisque seulement 20 % d’entre eux ont été consommés. Malheureusement, la sincérité budgétaire semble faire partie des « victimes collatérales » de la crise sanitaire.
Lors de mes travaux, M. Martin Vial, commissaire aux participations de l’État, m’a indiqué qu’une recapitalisation de la SNCF devait intervenir avant la fin de l’année, pour pas moins de 4 milliards d’euros. Quelle ne fut pas ma surprise, quelques jours plus tard, de lire dans la presse que, pour le président de cette entreprise, cette opération « n’était pas à l’ordre du jour » !
Madame la ministre, comment expliquer cette situation ? Vous parlez d’une doctrine « infléchie », mais c’est plutôt le constat d’un État actionnaire « à genou » qui s’impose.
Deuxième point de mon exposé, ce constat ne peut qu’être renforcé par le dossier de la rentrée, qui continue de faire grand bruit et nous inquiète sur toutes les travées.
Je parle, bien évidemment, de l’acquisition de Suez par Veolia. S’il s’agit d’une affaire entre entreprises à capitaux privés, l’État actionnaire est indirectement concerné au titre de la participation qu’il détient dans Engie. Or, lors du conseil d’administration du 5 octobre dernier, l’État a été mis en minorité sur le vote de la résolution concernant l’offre d’acquisition par Veolia des 29,9 % du capital de Suez détenus par Engie.
Dans cette affaire, au-delà des appréciations personnelles que nous pouvons avoir sur l’opportunité de la fusion, c’est bien la façon dont l’État actionnaire a appréhendé le dossier qui suscite mes interrogations. En effet, l’État a, sinon suggéré, du moins avalisé dès le premier semestre la décision d’Engie de recentrer ses activités et, partant, de mettre en vente sa participation au capital de Suez.
C’est pourquoi, madame la ministre, la surprise invoquée ne saurait justifier l’attentisme de l’État actionnaire face à l’offre de Veolia.
Mes chers collègues, sachez que le Gouvernement s’est montré, jusqu’à présent, peu coopératif. Non seulement Bruno Le Maire a perdu le chemin du Sénat, mais figurez-vous que son cabinet a décliné ma demande d’audition, jugeant que tel n’était pas « l’usage ». J’espère, madame la ministre, que vous jugerez que des interpellations en séance publique peuvent relever de « l’usage » !
Face au désengagement d’Engie, pourquoi l’État actionnaire n’a-t-il pas anticipé le besoin de recomposition de l’actionnariat de Suez ?
De deux choses l’une : si l’Agence des participations de l’État, prise de court par les turbulences de la crise sanitaire, n’a pas pu mener à bien cette recomposition, il faut le reconnaître.
Sinon, il vous faut assumer le sens de la stratégie consistant à « jouer la montre » qui, faute d’entente entre les parties, était vouée à l’échec. Quand deux des trois acteurs – Veolia et Engie – ont tout intérêt à aller vite, ce n’est pas, à mon sens, une position de neutralité.
Le troisième et dernier point de mon intervention concerne le débat sur les conditionnalités.
Le Gouvernement entend privilégier autant que possible une intervention directe en fonds propres et non en instruments de dette, assimilables à des fonds propres. L’objectif est clair : en contrepartie de son investissement, l’État veut être en mesure d’exercer une capacité d’influence sur la marche de l’entreprise.
Pourquoi, en ce cas, ne pas aller jusqu’au bout de la logique ? Dès lors que l’État entend exercer une capacité d’influence sur la marche de l’entreprise, les conditionnalités se justifient plus que pour tout autre type de soutien public.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. Or le mécanisme en vigueur en la matière me semble bien trop timide : comment parler d’« engagements » alors que rien ne vient sanctionner leur non-respect ?
Laissez-moi vous faire part de ma conviction. Compte tenu de l’effort massif consenti par la puissance publique, je considère que ce soutien doit être assorti d’exigences.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances n’a pas adopté les crédits du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jean Bizet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget pour 2021 concernant les investissements d’avenir est caractérisé par deux éléments saillants : la poursuite du PIA 3 dans le contexte de la crise sanitaire, et le lancement d’un PIA 4 en soutien au plan de relance.
Je ne m’étendrai pas sur le PIA 3, si ce n’est pour saluer la souplesse dont cet outil a fait montre cette année. En effet, le secrétariat général pour l’investissement, le SGPI, a mobilisé plus de 1,5 milliard d’euros pour soutenir financièrement les entreprises en difficulté ou encore renforcer les moyens dévolus à la recherche en santé.
Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) ont permis d’apporter des réponses concrètes, ciblées et rapides aux défis posés par la crise sanitaire. La capacité de réaction du SGPI et des opérateurs mérite donc d’être saluée.
En 2021, certaines de ces initiatives devraient se poursuivre. Je pense, notamment, à la création d’une enveloppe d’investissement consacrée à la souveraineté technologique, intitulée « French Tech Souveraineté », et dotée de 100 millions d’euros dans le PLF pour 2021.
La crise a en effet souligné l’importance d’un renforcement de l’autonomie de notre pays dans le domaine des technologies d’avenir, ce qui m’amène à mon second point, à savoir le lancement d’un quatrième PIA.
Je tiens à rappeler, en préambule, qu’il avait été décidé de lancer ce programme avant l’émergence de la covid-19. Il va de soi, cependant, que la crise que nous traversons a fait émerger de nouvelles priorités.
Le PIA 4 est doté de 20 milliards d’euros et structuré en deux volets, qui répondent à des finalités distinctes.
Un premier volet, dit « dirigé », vise à financer des investissements exceptionnels, à hauteur de 12,5 milliards d’euros.
Un second volet, dit « structurel », doit garantir, grâce à des dotations en capital, un financement pérenne aux écosystèmes d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation mis en place par le PIA, à hauteur de 7,5 milliards d’euros.
Je ne m’étendrai pas sur les modalités de budgétisation et de gouvernance de ce PIA, qui sont sensiblement identiques à celles du PIA 3 et dérogent tout autant aux grands principes budgétaires.
Plusieurs aménagements sont néanmoins apportés à cette gouvernance, pour mettre en œuvre les recommandations du comité de surveillance des investissements d’avenir.
L’article 55, rattaché à la mission, détaille ces modifications : il s’agit, notamment, de la création d’un conseil interministériel de l’innovation pour décider des priorités de la politique d’innovation, du renforcement du rôle du comité de surveillance des investissements d’avenir et de la formalisation d’une doctrine d’investissement pour les investissements d’avenir.
Ces évolutions sont bienvenues ; elles contribueront à renforcer la cohérence et l’efficacité des investissements d’avenir.
Je voudrais enfin relever l’existence de plusieurs pierres d’achoppement dans ce quatrième programme.
Le lancement d’un nouveau programme semble augurer d’une pérennisation des investissements d’avenir. La prorogation de ces dispositifs dérogatoires aux règles budgétaires n’est pas problématique en tant que telle, tant que le Parlement demeure à même de suivre et de contrôler l’emploi des crédits qui sont votés.
Or il me semble que la maquette budgétaire qui nous est présentée risque d’aggraver le déficit de lisibilité dont souffrent les PIA, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, la liste des secteurs stratégiques qui bénéficieront d’un soutien dans le cadre du volet dirigé du PIA n’est pas encore arrêtée. Nous sommes donc appelés à voter des crédits sans savoir à quels secteurs ou filières ils seront destinés. Madame la ministre, si je comprends pleinement la logique qui sous-tend cette présentation, j’espère que vous nous exposerez dans les mois qui viennent les stratégies d’accélération qui seront retenues.
Je regrette, en parallèle, que deux programmes d’investissement d’avenir coexistent au sein de la mission.
Le suivi des montants inscrits dans le PIA 3 se révélait déjà particulièrement complexe, avec la double comptabilité induite par le circuit de la dépense, la dispersion des crédits, l’ampleur des redéploiements en cours de gestion… Avec ce nouveau PIA 4, qui financera les mêmes structures que le PIA, notre tâche risque de devenir encore plus ardue.
Pour terminer, je souhaiterais évoquer l’articulation entre les PIA et le plan de relance. En effet, le PIA 4 doit abonder le plan de relance à hauteur de 11 milliards d’euros sur les trois ans à venir.
À mes yeux, une clarification s’impose : les PIA constituent non pas un outil de relance, mais d’investissements à long terme afin de renforcer la croissance potentielle.
En pratique, le décaissement des crédits du PIA peut être particulièrement long : trois ans après le lancement du PIA 3, si 4,7 milliards d’euros de crédits de paiement ont été consommés, seuls 750 millions d’euros ont été décaissés.
Par conséquent, madame la ministre, il me semble très ambitieux de considérer que les 11 milliards d’euros du PIA 4 pourront irriguer à très court terme le tissu économique français.
En dépit de ces quelques réserves, je vous propose d’adopter sans modification, mes chers collègues, les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)