M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie de cette question intéressante, à laquelle je vais répondre au nom du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui se trouve en ce moment même auprès des policiers de Juvisy.
Comme vous le savez fort bien, l’expression « gens du voyage » regroupe une multiplicité de populations aux origines culturelles et géographiques diverses, mais dont le point commun est d’avoir un mode de vie originellement fondé sur la mobilité. Un tiers d’entre eux conservent un mode de vie nomade, un tiers d’entre eux sont semi-sédentaires, un tiers d’entre eux vivent de manière totalement sédentaire.
La loi de 2018 dont vous avez été l’un des initiateurs, et qui a été travaillée avec Mme Jacqueline Gourault au nom du ministère de l’intérieur, a permis des avancées fortes, dont vous avez rappelé certaines ; je pense en particulier à la procédure d’information préalable du préfet et du conseil départemental par les groupes de plus de 150 caravanes trois mois avant leur arrivée, destinée à faciliter l’organisation des passages.
Vous avez également assoupli les conditions permettant de saisir le préfet pour mettre en demeure les gens du voyage de quitter les terrains occupés illicitement, avec, bien évidemment, l’emploi de la force si nécessaire. Par ailleurs, si le maire dispose d’une aire d’accueil conforme au schéma départemental d’accueil des gens du voyage, il peut désormais interdire le stationnement en dehors des terrains aménagés sur sa commune, même si elle appartient à une intercommunalité.
Surtout, avec cette loi, vous avez aggravé les sanctions pénales en cas d’occupation d’un terrain en réunion et sans titre.
M. Bruno Retailleau. Nous connaissons la loi !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur Retailleau, il me paraît important de rappeler les évolutions déjà réalisées, qui appellent celles qui viendront.
S’agissant de vos propositions, monsieur Pellevat, je rappelle que les préfectures établissent déjà chaque année un bilan des grands passages estivaux des gens du voyage, pour faire état des difficultés qu’elles ont pu rencontrer. Par ailleurs, l’État verse chaque année aux collectivités territoriales divers concours financiers, notamment la dotation globale de fonctionnement. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Ou ce qu’il en reste !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Néanmoins – c’est ici, mesdames, messieurs les sénateurs, que je réponds à l’interpellation qui m’a été adressée –, j’entends votre proposition de circulaire : le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, et moi-même allons étudier immédiatement cette proposition, pour que les décisions d’expulsion prononcées par la justice soient exécutées dans de meilleurs délais lorsque des gens du voyage occupent un terrain illégalement – en prenant en compte, bien évidemment, tous les enjeux d’humanité, liés notamment à la scolarisation.
Monsieur le sénateur, la réponse à votre demande de circulaire est donc : oui !
annulation des stages des élèves au collège
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, les collégiens en classe de troisième sont tenus d’accomplir, durant leur année scolaire, un stage de découverte du monde économique et professionnel d’une durée d’une semaine. Ce stage obligatoire leur permet de se confronter à la réalité concrète du travail, mais aussi, pour certains, de préparer déjà leur projet d’orientation.
Nous connaissons tous le contexte sanitaire actuel : il est inquiétant. Nous saisissons tous la dimension économique de la crise : elle est catastrophique.
Alors que de nombreuses entreprises luttent pour leur survie et qu’associations comme collectivités territoriales se concentrent sur les actions de solidarité en faveur des plus démunis, elles n’ont pas le temps de se pencher sur des demandes de stages aussi brefs – même si quelques initiatives locales, comme celles du conseil régional d’Île-de-France et de mon département, promettent d’en satisfaire quelques centaines.
Il faut répondre au stress des familles dont les enfants ne trouvent pas de stage – ils sont une majorité à ne pas avoir des parents pour les pistonner –, répondre aussi aux préoccupations des entreprises.
Alors que les dossiers de convention de stage sont distribués en ce moment même dans les établissements scolaires, il sera presque trop tard, au retour des vacances d’automne, pour faire machine arrière.
C’est pourquoi je vous demande, avec l’ensemble de mes collègues signataires de la lettre ouverte que nous vous avons adressée hier soir, d’annuler l’obligation de ce stage incombant aux collégiens de troisième. Seriez-vous prêt à répondre favorablement à notre demande ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Laure Darcos, je vous remercie de cette question importante, qui permet de souligner le rôle désormais joué par le stage de troisième dans notre système éducatif et, plus largement, dans la vie de notre pays.
Voilà encore quelques années, ce stage n’existait pas ; aujourd’hui, tout le monde est habitué à voir de jeunes élèves faire dans ce cadre, dans l’immense majorité des cas, leur première expérience du monde du travail. Nous tenons tous à ce dispositif très positif et nous souhaitons qu’il se consolide et dure.
J’ai bien lu votre lettre et je sais à quel point ce que vous écrivez correspond à la réalité. Nous le voyons tous : les entreprises ont des difficultés dans la situation actuelle. Dans ces conditions, il n’est pas facile de répondre au grand nombre de demandes de stage.
Dans un passé récent, nous avons pris des initiatives, comme monstagedetroisieme.fr, conçu avec Julien Denormandie dans ses précédentes fonctions, qui offre plus de 30 000 stages aux élèves qui n’en trouvent pas par leur propre réseau.
Nous allons continuer à agir avec volontarisme, mais il est vrai que le caractère obligatoire de ce stage peut être gênant cette année, du fait des circonstances économiques. Je vais donc très bientôt répondre favorablement à votre demande, qui correspond à notre propre réflexion.
Nous serons volontaristes pour ces stages, sans les rendre obligatoires cette année. Nous travaillerons aussi à renforcer notre politique d’orientation – une compétence qui relève désormais des régions, en liaison avec l’éducation nationale –, pour que nos élèves de troisième soient bien informés sur les choix possibles, via des modules vidéos et des formations sur le monde du travail.
Bref, nous allons faire de ce problème un levier pour une meilleure orientation et une meilleure information des élèves. Nous le ferons avec pragmatisme, en rendant facultatif, mais tout à fait souhaitable, le stage de troisième et, quand celui-ci n’aura pas lieu, en prenant des initiatives complémentaires en matière d’orientation et d’information.
Mme Marie Mercier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Je suis très touchée d’avoir été entendue, et je vous en remercie infiniment, monsieur le ministre.
Vous n’imaginez pas le nombre de familles, d’entrepreneurs et de collègues qui ont répondu très rapidement à ma proposition de lettre ouverte. Une même inquiétude remonte de tous les territoires en ce moment.
Sans doute faut-il donner la priorité aux lycéens en voie professionnelle et aux apprentis, qui ont vraiment besoin de ces stages en entreprise pour valider leur cursus. Je suis donc preneuse des « palliatifs » que vous allez leur proposer cette année.
Par ailleurs, pour ne pas frustrer ces élèves de troisième, peut-être faudra-t-il, à titre exceptionnel, leur donner la possibilité de faire un stage en classe de seconde l’année prochaine. Je vous remercie en tout cas, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 21 octobre 2020, à quinze heures.
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement retire de l’ordre du jour du Sénat le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Il demande en conséquence que l’ordre du jour de cet après-midi reprenne pour l’examen du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure et du projet de loi organique relatif au Conseil économique social et environnemental, et que l’examen de ce dernier se poursuive ce soir et, éventuellement, demain matin.
Acte est donné de cette modification.
J’invite tous les présidents de groupe à bien vouloir me rejoindre au cabinet de départ, afin d’évoquer la suite de l’organisation de nos travaux.
5
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, hier encore, jusque tard dans la soirée, nous avons discuté, ici même, au Sénat, du texte prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Comment pouvez-vous nous annoncer quelques heures plus tard que vous retirez ce texte de l’ordre du jour ?
Ce retrait brutal et soudain illustre le pilotage à vue du Gouvernement sur la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Candidature à une commission spéciale
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement, à la suite des échanges intervenus en conférence des présidents le 7 octobre dernier, demande l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 5 novembre au matin d’une série de questions orales.
En conséquence, les séances de questions orales initialement prévues les mardis 20 octobre et 3 novembre sont supprimées. Nous pourrions inscrire à l’ordre du jour du jeudi 5 novembre, à neuf heures trente, quarante-cinq questions orales, dont la liste sera prochainement diffusée sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
8
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, pour un rappel au règlement.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, nous avons appris, à l’issue des questions d’actualité, que le texte prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire était retiré de l’ordre du jour.
Cela relève – nous le comprenons bien – de la responsabilité du Gouvernement. Nous en avons toutefois été avertis il y a quelques minutes seulement, sans explication aucune, ni de forme ni de fond, alors que nous avons travaillé tardivement hier soir, pour ne pas dire tôt ce matin, si bien que seule une petite vingtaine d’amendements restaient à examiner. Nous voilà privés de ce débat.
Nous souhaiterions donc connaître les raisons de ce retrait.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président de la commission, permettez-moi tout d’abord de saluer votre élection, ainsi que celle des vice-présidents du Sénat, des présidents des autres commissions et de l’ensemble des sénateurs.
J’ai bien pris note, au nom du Gouvernement, de votre question. Je la transmettrai au ministre chargé des relations avec le Parlement et au Premier ministre, qui ne manqueront pas de revenir très rapidement vers le Sénat pour vous indiquer pourquoi vos travaux ont été suspendus.
En effet, bien que mon portefeuille soit important, vous comprendrez qu’il ne m’appartient pas de gérer l’état d’urgence sanitaire en tant que tel devant votre noble assemblée.
9
Code de la sécurité intérieure
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (projet n° 669 [2019-2020], texte de la commission n° 12, rapport n° 11, avis n° 19).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, cher François-Noël Buffet, monsieur le rapporteur, cher Marc-Philippe Daubresse, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous félicite de votre élection et je formule le vœu que, au-delà de nos évidentes différences sur certains sujets – différences qui sont du reste tout à fait respectables –, le ministère de l’intérieur et votre commission puissent travailler de la meilleure façon possible.
Il y a trois ans, le Sénat adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT. Il s’agissait alors de sortir de l’état d’urgence, car, chacun en convenait, cet état d’urgence n’avait pas vocation à être permanent.
Il s’agissait aussi de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, car la menace reste prégnante et la lutte contre le terrorisme demeure bien évidemment une priorité nationale.
Pour cela, la loi SILT a mis en place des outils nouveaux et adaptés, garantissant un équilibre entre la nécessaire efficacité des actions antiterroristes et la préservation des libertés publiques. Nous avons collectivement conscience, je le sais, du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue à peser sur notre pays.
Le 25 septembre dernier, l’attaque terroriste qui a fait deux blessés graves devant les anciens locaux de Charlie Hebdo a montré, si cela était encore nécessaire, que nos efforts ne doivent pas être relâchés et que nous devons collectivement continuer à agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme islamiste.
Depuis le début de l’année, quatre attentats ont ainsi touché nos compatriotes sur le territoire national : le 3 janvier à Villejuif, le 4 avril à Romans-sur-Isère, le 27 avril à Colombes et ce 25 septembre à Paris. Depuis 2017, onze attaques ont abouti sur le territoire national, provoquant la mort de plus de vingt personnes. Permettez-moi d’avoir avec vous une pensée pour ces personnes et pour leurs familles.
Je tiens aussi à dire devant la représentation nationale que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par nos services, c’est-à-dire en moyenne un par mois, dont un encore au tout début de cette année.
Je salue l’ensemble des services de renseignement, singulièrement la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, placée sous mon autorité, ainsi que nos policiers et nos gendarmes, qui, chaque jour, font un travail exceptionnel pour identifier, poursuivre et comprendre les menaces, interpeller les individus dangereux ou les surveiller, et qui parfois mettent leur vie en péril pour éviter les projets meurtriers.
La loi SILT a permis à ces services de continuer à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace, adapté et validé par le Conseil constitutionnel. L’autorité administrative – préfet ou ministre de l’intérieur, selon les cas – s’est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l’état de la menace, s’exerçant toujours sous le contrôle du juge et dans le seul objectif de prévenir des actes de terrorisme.
Il s’agit tout d’abord de la possibilité de mettre en place des périmètres de protection, afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement. Il s’agit ensuite de procéder à la fermeture de lieux de culte dans lesquels se tiennent ou circulent des idées incitant à la commission ou faisant l’apologie d’actes de terrorisme, et d’édicter à l’encontre d’individus présentant un niveau de menace caractérisée pour la sécurité et l’ordre public des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ou Micas. Il s’agit, enfin, de pouvoir solliciter du juge judiciaire l’autorisation de procéder à la visite d’un lieu fréquenté par de tels individus.
L’étude d’impact du projet de loi présente dans le détail un premier bilan de l’application de ces mesures, monsieur le rapporteur. Vous avez longuement échangé sur ce point ; je n’y reviendrai pas, mais je souhaite insister sur l’usage qui a été fait de ces outils nouveaux.
Je dois au Sénat l’évocation des 553 périmètres de protection qui ont été mis en place au 9 octobre 2020, notamment par mes prédécesseurs : sept lieux de culte ont été fermés ; dans le même temps, 334 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées, dont 60 sont encore actives à ce jour ; 175 visites domiciliaires ont été réalisées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée et proportionnée, sous le contrôle du juge.
Conformément à l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure instauré par l’article 5 de la loi dite SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures. Chaque année, l’Assemblée nationale et le Sénat ont été destinataires d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre et de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par M. le Premier ministre, après un avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’un rapport classifié au niveau « confidentiel défense », qui décrit la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés. Ces derniers ont tout à la fois permis de détecter des contacts entre des individus porteurs d’une menace terroriste, d’obtenir des informations sur la localisation d’individus en lien avec cette menace, de mettre à jour des comportements d’individus connus des services de renseignement et nécessitant des investigations plus approfondies, enfin d’améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste.
À peine nommé, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai souhaité rencontrer les services de la DGSI pour qu’ils me présentent ces algorithmes et qu’ils m’expliquent à quel point ces derniers sont nécessaires. Permettez-moi de redire devant vous à quel point j’en suis convaincu.
Les mesures dont il vous est proposé de prolonger l’application par le présent projet de loi présenté par le Gouvernement constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme.
Ils ont été mis en œuvre sous le contrôle attentif du juge judiciaire et administratif et, pour certains d’entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, avis que le Gouvernement a toujours – j’y insiste – suivis. Ils font l’objet d’un échange permanent avec le Parlement, sous la forme d’une information en temps réel et d’une évaluation régulière que le Gouvernement a strictement respectées.
Ces dispositifs ont démontré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste. C’est également ce que conclut la mission de contrôle mise en place par le Sénat dans son rapport de février dernier, après trois années d’expérimentation.
Je relève que la mission sénatoriale estime que la loi a fait l’objet d’une mise en œuvre équilibrée et conforme à l’esprit du législateur. Elle souligne aussi qu’il existe un consensus de l’ensemble des acteurs, judiciaires comme administratifs, sur l’efficacité et l’utilité des quatre mesures introduites dans la loi SILT dans un contexte de menace extrêmement élevée et à un moment où nous savons que le terrorisme peut frapper partout sur le territoire national.
La mission de contrôle, monsieur le rapporteur, s’est en conséquence prononcée en faveur de la pérennisation de ces mesures. Vous-même avez donc logiquement repris les conclusions de la mission dont vous étiez également le rapporteur : sur votre proposition, la commission des lois a adopté la pérennisation des dispositions de la loi.
Le Gouvernement et le Parlement, particulièrement l’Assemblée nationale, souhaitent pérenniser une partie de ces mesures. Je crois toutefois, monsieur le rapporteur, que la discussion des amendements nous montrera que nous avons quelques légères différences d’appréciation d’un certain nombre de dispositifs.
Le Gouvernement a rendu compte au Parlement de la mise en œuvre des mesures de politique administrative à l’occasion de deux rapports annuels. Il lui a également adressé, le 30 juin dernier, un rapport sur l’application sur la technique dite de l’algorithme.
Avant l’émergence de la crise sanitaire, il envisageait par ailleurs, monsieur le rapporteur, de soumettre au Parlement un projet de loi à l’été dernier. Ce projet de loi aurait été l’occasion d’engager, avec le Sénat et avec l’Assemblée nationale, une discussion approfondie sur chacune de ces mesures qui sont nécessaires pour lutter contre le terrorisme mais qui peuvent, nous le savons, susciter des interrogations relatives aux libertés dans l’opinion publique.
Or chaque parlementaire – j’en suis convaincu – a pour vocation de protéger ces libertés, donc de s’assurer que le Gouvernement prend des mesures administratives proportionnées qui permettent leur respect.
Les services de renseignement placés sous mon autorité y étaient prêts. Le ministère de l’intérieur, le ministère des armées et l’ensemble des membres du Gouvernement y étaient prêts. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire a fait obstacle à cette discussion parlementaire. Le contexte n’a pas permis aux débats, dans chacune des deux chambres, de se tenir de manière sereine, argumentée et efficace.
Or les sujets dont nous parlons sont essentiels pour la sécurité des Français. Ils touchent aux libertés fondamentales. Ils méritent d’être discutés avec la sérénité et le temps nécessaires.
Aussi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions en question, il a semblé opportun au Gouvernement de se donner du temps et de reporter d’un an le débat de fond que nous devions avoir cette année.
Pour que ce débat puisse avoir lieu, pour que des dispositions aussi fondamentales ne soient pas entachées de la critique d’un débat démocratique insuffisant, pour qu’elles soient acceptées par l’ensemble de l’opinion, pour que le Conseil constitutionnel puisse les valider, alors qu’elles sont essentielles pour la sécurité du territoire national et pour chacun des Français, j’estime, monsieur le rapporteur, sans vous mettre en difficulté sur le fond, mais en exprimant une légère réserve sur la forme, que la pérennisation ainsi votée serait prématurée.
À ce contexte épidémique est venue s’ajouter, peut-être postérieurement à votre analyse, la décision Tele2 rendue le 6 octobre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications.
Les juridictions nationales tireront toutes les conséquences de cette décision européenne. Il nous faudra pouvoir en éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu’il conviendrait d’en tirer dans la loi. Nous ne sommes donc pas prêts pour les introduire dans le texte que nous présentons aujourd’hui devant le Sénat.
C’est pourquoi le Gouvernement propose un report de l’expérimentation au 31 décembre 2021, échéance plus lointaine que celle du 31 juillet qui a été retenue par l’Assemblée nationale.
En tout état de cause, je l’affirme ici, la prolongation de l’expérimentation permet aux services de travailler comme avant, si j’ose dire. Les préfets, les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement continueront à se servir des outils qu’ils considèrent, de manière unanime, comme nécessaires à leur action.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte, et je sais qu’elle est soutenue par la quasi-intégralité des mouvements politiques représentés au Sénat, singulièrement par la majorité sénatoriale qui a, chaque fois, apporté son soutien aux dispositions proposées par le gouvernement d’Édouard Philippe, puis celui de Jean Castex.
C’est conscient de la prégnance de la menace terroriste que, depuis 2017, à la demande du Président de la République, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs pour lutter contre le terrorisme islamiste.
Nous l’avons fait en continuant – avec le soutien du Parlement et, en particulier, celui du Sénat – à augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont 1 000 postes supplémentaires qui ont été créés depuis deux ans et demi et l’élection d’Emmanuel Macron au sein de la direction générale de la sécurité intérieure et du service central du renseignement territorial.
Les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont également fait l’objet d’efforts sans précédent. Monsieur le président de la commission des lois, vous aurez sans doute à examiner les crédits du ministère de l’intérieur dans le cadre du prochain projet de loi de finances : vous constaterez une hausse, encore une fois, sans précédent de ces crédits. Ceux de la DGSI ont par exemple doublé entre 2015 et aujourd’hui.
La lutte contre le terrorisme exige en effet une mobilisation totale et l’unanimité nationale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui du ministère de la justice, nous mènerons un combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer les ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre identité, notre mode de vie et nos valeurs : la liberté d’expression, la liberté de culte, la liberté de conscience, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes.
Respect de l’équilibre initial, recherche du plus large consensus républicain, principe qui a du reste présidé à l’adoption des lois expérimentales, détermination dans la lutte contre le terrorisme : tel est le sens du projet de loi qui vous est soumis et dont l’adoption, je le souhaite, permettra de continuer à faire vivre cet équilibre, pour tenir compte de la période de crise sanitaire, qui ne nous a pas laissés mener à bien une évaluation pleine, entière et sereine. Je sais que cette discussion ne sera pas la dernière.
Compte tenu de ces considérations d’efficacité, mais également pour que le débat démocratique et l’État de droit, qui contribue à nous donner des armes contre les terroristes, soient respectés, et pour que le débat parlementaire, singulièrement ici au Sénat, puisse se dérouler sereinement, je vous propose que nos débats puissent de nouveau avoir lieu l’été prochain.
C’est pourquoi je vous présente aujourd’hui, au nom du Gouvernement, un projet de loi de prorogation, qui nous permettra de débattre ultérieurement de tous les sujets nouveaux qu’a fait naître cette décision que, pour ma part, je considère regrettable, de la Cour de justice de l’Union européenne.
C’est également pour moi l’occasion de remercier les membres de la commission des lois, quelle que soit leur appartenance politique, mais aussi ceux de la délégation parlementaire au renseignement et de la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi relative au renseignement, de la qualité du travail mené en commun depuis plusieurs mois avec mes prédécesseurs Gérard Collomb et Christophe Castaner, et avec moi-même.
C’est aussi pour moi l’occasion d’exprimer devant vous le souhait que ce travail en commun, ce travail républicain pour la protection de notre sol, de ses habitants et, ce qui est plus important encore, de la France se poursuive dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent. (MM. Alain Richard, Arnaud de Belenet et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)