M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe est à l’aise vis-à-vis de ce projet de loi et des conclusions issues du débat devant la commission des lois.
La menace terroriste est toujours là ! Vous avez eu la pertinence, monsieur le ministre, de mettre les choses en perspective : vous avez rappelé les 11 attaques et 20 morts depuis 2017, tout en mettant en balance les 32 attaques qui auraient été déjouées. Nous comprenons donc bien les difficultés et le niveau du péril.
Pour une fois, nous avons pu, sur ce sujet, travailler sinon en anticipation, du moins largement en amont. La loi de 2017, qui prévoyait la durée d’expérimentation, prévoyait également un suivi tout particulier par le Parlement et vous avez rappelé la communication régulière par vos services des éléments relatifs à la mise en œuvre de ces mesures sur l’ensemble du territoire.
Travailler en amont est toujours une bonne méthode. Sous l’égide de notre collègue M. Marc-Philippe Daubresse, une mission de contrôle a pu être mise en place ; elle nous a permis de mesurer la pertinence, ou non, des quatre mesures adoptées – dans le cas précis, la pertinence est clairement avérée.
C’est donc une bonne méthode de travail pour le Parlement, et c’est ce qui nous permet, au moment où vous revenez devant nous pour nous proposer une prorogation de l’expérience, de vous suggérer, plutôt, une pérennisation.
Celle-ci nous paraît souhaitable pour les quatre mesures, qui, par ailleurs, donnent aujourd’hui lieu à une utilisation tout à fait homéopathique. Quand, par exemple, vous avez fait référence à un volume de quelque 330 Micas, monsieur le ministre, il s’agit pour l’essentiel de mesures intervenues dans la foulée de la loi de 2017. Aujourd’hui, l’utilisation est très raisonnable, puisque vous avez mentionné 60 mesures encore en cours.
Nous pensons par conséquent souhaitable pour ces quatre dispositions, correspondant à des besoins de la pratique, très contrôlées sur le plan juridique et ayant reçu l’aval du Conseil constitutionnel, d’en assurer la pérennisation.
Mon groupe n’est pas opposé aux mesures très précises, et qui ont été ajustées, figurant dans les propositions de la mission de contrôle, notamment l’extension de la fermeture aux lieux connexes lorsque l’on a la preuve d’éléments de radicalisation au niveau d’un lieu de culte. Le renforcement de l’information des parquets sur les autorisations prises par les préfets nous paraît plutôt une bonne méthode. Quant à l’élargissement de la possibilité de saisir les moyens informatiques lors des perquisitions, nous savons que c’est un sujet.
Reste donc, en définitive, la question soulevée préalablement, monsieur le ministre, à savoir votre souhait de maintenir une prorogation de cette expérience au 31 décembre 2021 et de ne pas retenir notre proposition d’inscrire les mesures concernées dans le droit commun.
J’aurais tendance à rester sur la logique adoptée par la commission des lois et à défendre, encore, l’idée d’une consolidation du droit.
D’abord, voilà trois ans que l’expérience est menée. En quoi quatre années seraient-elles de nature à changer notre regard sur ces mesures ? Je suis un peu dubitatif… Le délai actuel me paraît convenable.
Par ailleurs, le bilan est robuste. Je ne vois pas très bien, sur l’une ou l’autre de ces mesures, où se situeraient les points de débat.
Enfin, deux motifs de fond conduisent mon groupe à privilégier la pérennisation à la prorogation sèche.
Premièrement, notre préférence pour le recours au droit commun. Nous sommes en général très réticents à des mesures d’exception. La loi de 2017 avait fait l’objet d’amples débats ; dès lors que nous disposons aujourd’hui d’éléments stabilisés, nous préférons voir ces mesures fixées dans le droit commun plutôt que traitées de manière dérogatoire.
Deuxièmement, la sérénité du débat public, que vous-même, monsieur le ministre, appelez de vos vœux. Nous partageons, bien sûr, cet objectif. Nous nous permettons simplement d’observer qu’une prorogation au 31 décembre 2021 impliquerait la tenue du débat à l’automne prochain. Or une élection majeure dans notre pays sera alors dans tous les esprits. Pour le coup, nous pourrions craindre un manque de sérénité et une possible instrumentalisation du sujet.
S’agissant des algorithmes, nous avons en revanche suivi votre proposition de nouveau délai, car un travail d’évaluation reste à faire.
J’ai pris la peine de lire le rapport dit d’évaluation au 30 juin 2020, très récent, mais antérieur à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit d’un document extrêmement technique, expliquant comment ont été sélectionnés les trois algorithmes et exprimant un certain nombre de demandes, notamment sur les données IP et URL.
Il est clair que, sur ces sujets, les choses ne sont pas du tout stabilisées juridiquement et que les conséquences de l’arrêt de la CJUE, notamment au regard des demandes d’extension des données émanant de vos services – c’était bien le sens des demandes formulées dans le rapport d’évaluation… – exigent une poursuite des travaux. À l’évidence, ces dispositions trouveront assez aisément leur place dans le texte relatif au renseignement auquel le président Christian Cambon faisait référence.
S’agissant des libertés publiques, mon groupe y est, bien sûr, extrêmement attaché. Mais nous avons tout de même le sentiment qu’en matière de terrorisme tout est maintenant bordé : il s’agit – heureusement – d’un segment tout à fait particulier, et non d’atteintes générales auxdites libertés.
Autant, donc, nous sommes extrêmement attentifs à la problématique des libertés publiques, autant, sur ce point-là, nous n’avons pas le sentiment que le texte soit critiquable.
C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué, en préambule, que mon groupe était à l’aise sur ces sujets. S’il restait pour le ministère de l’intérieur, ou pour le Gouvernement au sens large, des points de discussion, comme l’a suggéré Alain Richard, il me semble que les jours dont nous disposons avant la réunion de la commission mixte paritaire permettront de lever les dernières difficultés et de pouvoir, ainsi, nous orienter directement vers une pérennisation, dans les conditions de sérénité que vous avez appelées de vos vœux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Que ce soit 2015 ou 2016, nous avons tous vécu, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces années dans la douleur, dans la colère aussi, tant le terrorisme nous a frappés dans nos cœurs et dans nos chairs. Ce n’était pas les premiers attentats que nous avions à connaître et la France, cette année-là, ne fut pas la seule touchée. Mais nous fûmes, toutes et tous, stupéfaits par cette violence et par cette haine.
Au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes fiers de l’action que menèrent, alors, François Hollande et Bernard Cazeneuve. Jamais ils n’ont dévié d’une ligne de fermeté républicaine dans le cadre de l’État de droit. Car la victoire du terrorisme, mes chers collègues, serait que nous changions, que nous ne chérissions plus notre liberté par peur pour notre sécurité, que nous renoncions à « être Charlie », que nous renoncions à être nous-mêmes.
Au nom de mon groupe, je souhaite d’abord rendre hommage à celles et ceux qui se sont engagés et qui s’engagent dans cette lutte contre le terrorisme, dans les services de police et de renseignement, dans nos armées hors de nos frontières, mais également au sein de notre justice, celle-ci constituant, dans un État de droit, un axe fondamental de cette lutte.
En 2014, nous avons créé de nouvelles infractions, qui permettaient de judiciariser de manière plus précoce des actes susceptibles d’amener à la violence, tout en assurant dans les meilleurs délais un contrôle réel, par le juge judiciaire, des atteintes aux libertés que cela pouvait entraîner.
En 2015, avec la loi relative au renseignement et la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous avons encadré les actions des services de renseignement, en leur donnant des moyens et en adoptant la possibilité de faire des expérimentations par algorithme des données de connexion.
En 2016, enfin, une proposition d’introduction de l’état d’urgence dans la Constitution aurait pu permettre d’inscrire dans une loi organique les dispositions dont celui-ci permettait la mise en œuvre. Mal introduite, cette proposition n’a malheureusement pas prospéré, et c’est un regret que nous avons encore aujourd’hui, au vu de la situation.
Les mesures de la loi SILT ont été adoptées en 2017, au sortir de l’état d’urgence. En fait, nous avons procédé à une inscription dans le droit commun et à un changement de nom : nous avons remplacé « perquisitions » par « visites domiciliaires » et « assignations à résidence » par « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », les Micas. Nous avons en outre mis en place des possibilités administratives de fermeture de lieux de culte et des périmètres de protection.
Compte tenu de la nature de ces mesures administratives, c’est le Sénat, sur l’initiative du président de la commission des lois de l’époque, Philippe Bas, qui a émis le souhait d’une application expérimentale pour trois ans, et le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans ce cadre de mesures strictement contrôlées par le Parlement et provisoires.
Par le présent projet de loi, tel qu’il nous parvient de l’Assemblée nationale, il nous est proposé de proroger ces mesures de sept mois, tout comme l’expérimentation d’algorithmes, qui, après avoir été autorisée, en 2015, jusqu’en 2018, a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2020, sous le contrôle de la CNCTR.
Les mesures de la loi SILT et les mesures concernant les algorithmes s’éteignent effectivement au 31 décembre 2020 et, faute d’avoir pu débattre cette année d’un texte législatif plus large, compte tenu des circonstances sanitaires, mais aussi de la nouveauté créée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données de connexion, il aurait pu sembler raisonnable d’en rester à la proposition du Gouvernement.
En effet, monsieur le rapporteur, on trouve tout de même, dans le texte issu des travaux de la commission des lois, deux contradictions.
D’une part, alors que le Sénat, voilà trois ans, a demandé un renforcement des outils de contrôle parlementaire et imaginé un dispositif s’éteignant au bout de trois ans, eu égard à la menace que pouvait représenter l’usage de telles mesures administratives, c’est en son sein, aujourd’hui, que l’on propose de pérenniser ces mêmes mesures, et ce sans conserver à l’identique les outils de contrôle parlementaire.
D’autre part, monsieur le rapporteur, vous acceptez de changer la première partie du texte pour aller vers une pérennisation, mais, dès lors que l’on vous fait des propositions de simplification de la saisine de la CNCTR ou de conservation des données entre la voix et l’image, vous n’en voulez pas dans la deuxième partie. C’est un peu paradoxal !
Sur la question, déjà évoquée, des personnes sortant de prison, les mesures que nous envisageons d’adopter, les Micas, sont plus fortes que celles qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, après avoir été votées, dans cette enceinte et à l’Assemblée nationale, pendant l’été.
Dans ce contexte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain défendra la suppression de l’article 1er, au motif que la commission des lois nous propose une inscription définitive dans la loi, sans conserver les mêmes outils de contrôle parlementaire.
Nous proposerons, par amendement, de préciser certaines mesures portant sur les périmètres de protection et de renforcer les exigences relatives aux motivations de mise en œuvre d’une visite domiciliaire.
Enfin, nous refuserons la suppression des mesures permettant un contrôle parlementaire effectif.
S’agissant de la deuxième partie du texte, nous proposerons d’autoriser la CNCTR à accéder aux fichiers de souveraineté dans le cadre de sa mission de contrôle et de simplifier des dispositions relatives à la conservation des données et aux décisions de la CNCTR, propositions qui sont inspirées des récents rapports d’activité de cette Commission.
L’article 2, même non modifié par nos propositions, ne nous poserait en définitive pas trop de problèmes – c’est la suite logique de la loi relative au renseignement – et nous pourrions être prêts à accepter une pérennisation des mesures évoquées à l’article 1er, qui sont et restent néanmoins exorbitantes du droit commun tant elles constituent des mesures administratives susceptibles de porter atteinte aux libertés, si nous avions toutes les garanties d’une mise en œuvre correcte et d’un contrôle parlementaire très pointilleux. Mais il est probable, malheureusement, que nos propositions ne soient pas retenues…
Ainsi, sauf bonne surprise – c’est toujours possible dans un débat parlementaire –, il est également probable que mon groupe soit contraint de voter contre ce texte, à l’issue de nos débats. Mais… espérons une bonne nouvelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le niveau de la menace à laquelle la France a été confrontée, en particulier depuis 2015, n’a malheureusement pas faibli. Oui, le risque terroriste est toujours là ! Oui, le danger islamiste est toujours présent !
Le terrorisme islamiste est susceptible de frapper n’importe quand et n’importe où sur notre sol. Le virus n’a pas amoindri la menace, laquelle demeure élevée. La plus grande vigilance reste donc de mise.
Bien au contraire, nous constatons les avancées des islamistes dans nos quartiers, des attentats terroristes à bas bruit. On n’en parle presque plus, mais ils rappellent que la menace reste présente partout.
En témoigne l’acte de l’assaillant terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, voilà quelques jours. Cette attaque était la quatrième perpétrée sur le sol français depuis le début de l’année. Cette menace va se renforcer encore avec des sorties de prison inquiétantes : d’ici à la fin de l’année, 45 détenus condamnés pour terrorisme seront libérés. Au total, on compte encore 5 050 individus condamnés pour terrorisme dans les geôles françaises.
Plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure introduites au cours des dernières années pour renforcer l’arsenal de lutte contre le terrorisme ont reçu, compte tenu de leur sensibilité au regard des libertés publiques et individuelles, un caractère temporaire et arriveront à échéance, sauf intervention du législateur, le 31 décembre prochain.
Sont tout d’abord concernées quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, à savoir les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les visites domiciliaires et saisies, telles que les perquisitions administratives.
Est également visée la technique de l’algorithme, consistant à imposer la mise en œuvre sur les équipements d’opérateurs de communications électroniques et de fournisseurs de services d’accès à internet de programmes informatiques analysant les flux de données, en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.
Au regard des craintes qu’elle a suscitées à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au renseignement au Parlement, cette technique a été strictement encadrée par le législateur et n’a été autorisée qu’à titre expérimental. Initialement fixée au 31 décembre 2018, l’échéance de cette expérimentation a été repoussée de deux ans, en raison des difficultés techniques rencontrées par les services de renseignement pour définir l’architecture et le paramétrage du dispositif. Sauf prorogation ou pérennisation par le législateur, cette mesure prendra donc fin le 31 décembre prochain.
La menace terroriste étant toujours prégnante, l’État a besoin de ces outils pour assurer la sécurité des Français.
L’objet de ce projet de loi, composé de trois articles, est simple : prolonger d’une année la durée de validité de ces différentes dispositions expérimentales, qui prennent fin simultanément le 31 décembre prochain.
Les articles 1er et 2 procèdent, respectivement, à la prorogation des dispositions de la loi SILT et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure relatif à l’algorithme. L’article 3, quant à lui, vise à rendre cette prorogation applicable dans certaines collectivités d’outre-mer.
Initialement fixée à un an, la durée de ces prorogations a été ramenée à sept mois par l’Assemblée nationale, afin de ne pas retarder excessivement la tenue d’un débat de fond sur les mesures concernées.
Je me réjouis que la commission des lois du Sénat ait souhaité pérenniser, sous réserve de certains ajustements destinés à en renforcer l’opérationnalité, plutôt que prolonger les dispositions de la loi SILT, déjà évaluées et à l’efficacité prouvée.
Je me félicite également que la commission ait accepté la prorogation simple de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, proposée par le Gouvernement, jugeant qu’il était préférable de reporter le débat sur l’algorithme à une discussion plus large sur la loi relative au renseignement.
Avant de conclure, je souhaite rendre hommage aux services de renseignement – cela a déjà été fait –, aux policiers, aux gendarmes, qui font chaque jour un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et faire échouer leurs projets meurtriers.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, mon groupe votera ce texte dans la version issue des travaux de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tâche qui est aujourd’hui la nôtre est loin d’être aisée, puisqu’il nous est demandé de trouver un précaire équilibre entre la liberté et la sécurité de nos citoyens.
Malheureusement, derrière l’objectif affiché de donner à ceux-ci un cadre de vie serein et apaisé, à l’abri de toute menace terroriste, ce projet de loi ne parvient pas suffisamment à concilier ces deux enjeux essentiels à l’existence d’une société libre et éclairée.
En 2017, la loi SILT avait incorporé dans le droit commun des mesures de l’état d’urgence. Pour la première fois, des dispositions d’exception avaient revêtu un caractère général, banalisant au sein de notre législation des mesures de police administrative qui sont loin d’être anodines.
Le législateur d’alors ne s’y était pas trompé. Il avait donné à ces mesures un caractère temporaire et avait souhaité limiter leur durée d’application au 31 décembre 2020.
Cette échéance arrivant à son terme, l’exécutif s’est tout naturellement saisi de cette question. Mais, alors qu’un débat sérieux aurait dû être mené sur l’abrogation ou la pérennisation de ces mesures, le Gouvernement a préféré prolonger l’expérimentation conduite depuis 2017, estimant que la crise sanitaire pourrait être de nature à biaiser les discussions parlementaires.
Ainsi était-il proposé, à l’article 1er, de proroger de sept mois des dispositions de la loi SILT conférant à la police administrative des pouvoirs trop importants : pouvoirs, notamment, de définir des périmètres de protection, de déclarer la fermeture temporaire de lieux de culte, d’ordonner des mesures individuelles de contrôle et de surveillance, de réaliser des visites domiciliaires. Le projet de loi prévoit également, en son article 2, une prorogation similaire pour les algorithmes votés en 2015 et prolongés en 2017. Ceux-ci permettent notamment de détecter les menaces terroristes via les réseaux internet et de téléphonie mobile.
Il est à déplorer que les travaux conduits en commission des lois n’aient pas été de nature à améliorer ce texte, M. le rapporteur ayant jugé utile de faire voter un amendement qui vise à pérenniser les mesures prévues à l’article 1er.
Il va sans dire que nous ne pouvons pas considérer positivement cette modification, tant elle fait la part belle au soupçon, à l’arbitraire, aux dérives, à la stigmatisation par l’administration, au détriment de tout contrôle du juge judiciaire.
La question de l’efficacité des algorithmes doit également être posée. Entre 2017 et 2018, ceux-ci ont permis d’identifier moins de dix personnes à risque, et aucune d’elles ne présentait un danger immédiat ou sérieux pour la sécurité nationale. Sans une amélioration drastique de ces dispositifs numériques que vous qualifiez vous-même, monsieur le rapporteur, de « trop peu sophistiqués », et à défaut de résultats plus probants, il n’est pour l’heure pas pertinent de continuer à investir dans ces moyens d’espionnage informatique, ne serait-ce que temporairement, jusqu’au 31 juillet 2021.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, personne dans cette enceinte ne nie la menace terroriste qui plane et pèse sur notre nation. Il est évident que nous devons doter massivement nos services de renseignement de moyens humains, techniques et financiers.
En ce sens, tout doit être fait pour préserver la sécurité de nos concitoyens, mais non à tout prix. Je crains, hélas, qu’en l’état l’exécutif ne fasse fausse route.
Sans débat démocratique réel, sans bilans sérieux de ces mesures, celles-ci ne sauraient être prorogées ni pérennisées. Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rappelait le garde des sceaux, ministre de la justice, au mois de juillet dernier, à l’occasion de nos débats sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, dont j’étais rapporteure, les chiffres sont connus et ils sont inquiétants : 260 personnes sont actuellement détenues après une condamnation pour une infraction terroriste en lien avec la mouvance islamiste. Outre ces détenus condamnés, 252 personnes sont en détention provisoire après mise en examen pour des faits de terrorisme. Elles seront jugées dans les mois ou années à venir : 49 procès devraient se dérouler d’ici à 2021.
Parmi les condamnés – n’oublions pas ces chiffres –, 31 seront libérés en 2020, 62 en 2021, 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.
J’aimerais attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues : nous faisons face à un phénomène qui était jusqu’à présent inconnu, et dont il est encore très difficile de prendre la pleine mesure.
Pourquoi, alors, tarder encore, comme le suggère le Gouvernement, en se bornant à proroger des dispositions dont notre mission sénatoriale de contrôle et de suivi de la mise en œuvre de la loi SILT a dit toute la pertinence et l’efficacité en février dernier ?
Pourquoi attendre un nouveau projet de loi, alors que le texte que nous examinons aujourd’hui tient déjà compte des « évolutions induites par les besoins opérationnels », pour reprendre les termes employés en conseil des ministres le 17 juin 2020 ?
Notre rapporteur l’a préconisé, et nous l’avons suivi en commission : les quatre dispositions de la loi SILT doivent être pérennisées, et non seulement prolongées !
Bien sûr, il existe un point d’équilibre entre sécurité et liberté, vers lequel nous devons tendre en permanence.
Mais ne détournons pas le regard : notre obligation première est celle d’assurer la sécurité des Français. Si nous ne nous donnons pas les moyens de protéger nos concitoyens, nous aurons en effet beau jeu de leur dire que nous faisons tout notre possible pour garantir leur liberté.
L’une des dernières études du Centre d’analyse du terrorisme communiquée au Sénat atteste une fois de plus la gravité de cette question. Elle révèle en effet que le taux de récidive des djihadistes se situe, selon les situations, au-delà de 50 % : il est souvent probable qu’un islamiste engagé dans une action violente se maintienne dans cette mouvance et récidive.
Mes chers collègues, nous avons pris du retard. La lourde censure par le Conseil constitutionnel de la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, que nous déplorons – nous avions pourtant apporté à ce texte un certain nombre de garanties –, nous oblige aujourd’hui à faire preuve de pragmatisme.
« Pragmatisme » : j’emploie ce mot à juste titre. Sur d’autres travées, certains nous reprochent parfois de poursuivre une quête illusoire de sécurité absolue, au détriment d’autres libertés. Il n’en est rien. En effet, mes chers collègues, sans sécurité, l’exercice de nos libertés fondamentales est-il possible ?
Aussi est-il urgent que nous dotions notre arsenal législatif de suivi des auteurs d’actes terroristes de toutes les mesures qui ont d’ores et déjà démontré leur caractère opérationnel.
Pour conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, cher Marc-Philippe Daubresse, de la qualité de son travail.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi tel qu’amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la prorogation des chapitres vi à x du titre ii du livre ii et de l’article l. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Article 1er
I. – Le chapitre X du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est abrogé.
II. – Le II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est abrogé.
III. – À la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « responsabilité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif ».
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, après le mot : « culte », sont insérés les mots : « ainsi que des lieux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire d’un lieu de culte qui accueillent habituellement des réunions publiques, ».
V. – L’article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions du ministre de l’intérieur mentionnées au premier alinéa sont précédées d’une information du procureur de la République antiterroriste et du procureur de la République territorialement compétent, qui sont destinataires des éléments permettant de la motiver. Elles sont communiquées, ainsi que les décisions de renouvellement prises sur le fondement du cinquième alinéa, au procureur de la République antiterroriste et au procureur de la République territorialement compétent. »
VI. – Après le I de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Lorsque les personnes mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 229-2 font obstacle à l’accès aux données présentes sur un support informatique ou sur un équipement terminal présent sur les lieux de la visite, à leur lecture ou à leur saisie, mention est faite au procès-verbal mentionné au même article L. 229-2.
« Il peut alors être procédé à la saisie de ces données, dans les conditions prévues au I du présent article. »