M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la gravité des propos des collègues qui m’ont précédé le démontre : nous sommes peut-être à un tournant historique dans cette région du monde. Si le gouvernement israélien persiste dans le projet d’annexion de la vallée du Jourdain et de relance de la colonisation, nous assisterons sans doute à la fin de la séquence ouverte en 1993 avec les accords d’Oslo. En effet, ce processus reposait sur l’idée d’une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, reposant sur deux États ayant chacun Jérusalem comme capitale.
Certes, la perspective de l’annexion inscrite dans le contrat de coalition de l’actuel gouvernement israélien découle évidemment du plan Trump, qui prévoit un « État » palestinien fait d’une étonnante constellation de parcelles plus ou moins reliées entre elles. Disons les choses franchement : personne ne peut en vérité croire à la viabilité d’une pareille entité. Par conséquent, l’annexion de la vallée du Jourdain, si elle devait se produire, marquerait l’ouverture d’une nouvelle séquence dans ce long et douloureux conflit. J’emploie le conditionnel, car il peut y avoir encore un espoir que le gouvernement israélien entende la voix de ses amis et, surtout, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent contre ce projet en Israël même, où deux tiers des Israéliens y seraient opposés, et dans la diaspora, notamment américaine.
La France est l’amie d’Israël, elle l’a toujours été. Les liens entre nos deux pays sont forts, profonds, sincères. C’est pourquoi, fidèle à sa tradition politique et à sa culture, notre pays ne peut pas laisser sans rien dire un pays ami plonger dans l’inconnu. Ce qui paraît acquis, et cela inquiète vivement les responsables militaires et sécuritaires israéliens, c’est que ce tournant débouchera sur une relance du cycle de la violence, amplifiée par l’arrêt inévitable de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne. Ni les Israéliens ni les Palestiniens n’avaient besoin de cela !
Au-delà de la réaction des Palestiniens, dont nul ne peut aujourd’hui estimer l’ampleur et la forme, il y a bien d’autres conséquences négatives prévisibles pour Israël. On pense d’abord aux pays qui ont conclu des traités de paix avec Israël : l’Égypte et la Jordanie. La Jordanie, en particulier, a prévenu que l’annexion de la vallée du Jourdain et l’éventuelle remise en cause du statut de l’esplanade des mosquées étaient inacceptables et auraient de lourdes conséquences. C’est aussi le rapprochement d’Israël des pays du Golfe, favorisé par une crainte commune de l’activisme iranien sur tous les fronts de la région, qui serait bien évidemment compromis, sans doute irrémédiablement. C’est enfin le lien entre Israël et la diaspora qui serait mis en tension.
Reste la question de fond, la question centrale à laquelle on est toujours ramené lorsque l’on se soucie, comme nous tous, de l’avenir de ce pays qui nous est proche : si Israël ferme la possibilité de deux États, quel avenir entend-il dessiner pour tous ceux qui auraient pu être un jour les citoyens d’un État palestinien ? C’est notamment pour tâcher d’éclairer cette question que j’avais décidé, avec le bureau de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d’organiser une mission d’information en Israël et dans les Territoires palestiniens. Celle-ci a été temporairement différée par la crise du Covid-19, mais la question reste posée, brûlante et inquiétante, tant elle semble mener à une impasse.
En effet, de deux choses l’une : soit les Palestiniens seront des citoyens à part entière de cet État unique, et cela posera la question de l’identité de l’État d’Israël, car l’ensemble des Arabes israéliens et des Palestiniens représenteraient déjà la moitié de la population de ce large ensemble ; soit les Palestiniens ne seraient pas des citoyens à part entière, ce qui serait en contradiction avec la nature démocratique de l’État d’Israël affirmée lors de sa création et sans cesse démontrée depuis.
Il y a là une équation politique insoluble. C’est pourtant dans cette voie périlleuse que le gouvernement israélien pourrait s’engager dans quelques jours.
Nous devons alerter nos amis israéliens sur le danger que ce projet d’annexion ferait peser sur l’État d’Israël, sur sa sécurité, sur son image et même sur son identité. Il est utile de rappeler les mots de Theodor Herzl : « S’il se trouve parmi nous des fidèles appartenant à d’autres religions ou à d’autres nationalités, nous leur garantirons une protection honorable et l’égalité des droits. » Et Herzl de jeter le pont intellectuel et culturel entre le sionisme et la culture européenne en ajoutant : « L’Europe nous a enseigné la tolérance. »
Voilà qui me conduit, monsieur le ministre, à vous demander ce que l’Europe est aujourd’hui en situation d’apporter dans ce conflit. Le haut représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, a déclaré le mois dernier : « Nous sommes prêts à utiliser toutes nos capacités diplomatiques afin de prévenir toute forme d’action unilatérale. » Vous-même avez déclaré devant notre commission qu’une annexion par Israël de la vallée du Jourdain ne pourrait rester sans réponse. Mais quelle réponse ? C’est ce que nous attendons, ce soir. De quoi parlons-nous concrètement ?
Nous comprenons bien que certains canaux diplomatiques fonctionnent mieux dans une certaine discrétion, mais, si nous ne pesons plus sur le cours des choses, notre discrétion ne confine-t-elle pas à l’effacement ? Nous voyons – ce n’est malheureusement un secret pour personne – que les Européens peinent à parler d’une seule voix dans ce dossier, ce qui, évidemment, affaiblit leurs positions.
Alors, à défaut d’avoir une voix claire et forte à l’échelon européen, du moins pourrions-nous espérer faire entendre haut la voix de la France, ce qui serait déjà un début pour structurer une réponse européenne. Malheureusement – nous le ressentons ainsi –, nos positions semblent figées, alors que la situation, elle, évolue et pourrait même dégénérer rapidement.
Monsieur le ministre, personne ne remet ici en cause votre implication personnelle – en ce qui me concerne, je la connais – dans ce dossier extrêmement complexe et sensible, et vous n’avez pas ménagé votre peine. Pour autant, quelle est la vision de la France, au-delà de la répétition de la nécessité de respecter le droit international ? N’est-il pas temps d’aller au fond du débat, puisque celui-ci a déjà commencé en Israël ? La solution à deux États a-t-elle encore une consistance sur le terrain ? Voilà les vraies questions qu’il convient de se poser. Nous savons même que certains Palestiniens se posent désormais la question, se disant peut-être que la dernière carte qu’il leur reste est la lutte pour un État binational et l’égalité des droits.
Comment la France se positionnera-t-elle dans ce contexte ? Si Israël annexe 30 % de la Cisjordanie, si les États-Unis reconnaissent cet état de fait, quel langage tiendra la France ? Continuerons-nous à nous accrocher à l’idée de deux États, lorsque plus personne dans l’ancienne Palestine mandataire n’y croira ?
Ce sont ces questions difficiles et douloureuses que nous devons aborder avec lucidité. Ce genre de débat sert à cela. Si les choses n’évoluent pas comme nous l’aurions souhaité, il ne suffira pas de se lamenter : il faudra aussi en tirer les leçons pour la suite.
Il ne reste que quelques jours pour dissuader le gouvernement israélien de poursuivre dans cette voie porteuse de tant d’incertitudes et de dangers. Si le gouvernement israélien persiste, n’écoutant ni les Européens, ni les démocrates américains, ni les pays arabes qui lui sont le moins hostiles, ni même son propre appareil sécuritaire, la France et l’Europe ne devront-elles pas revoir entièrement les principes qu’avec constance et courage elles ont toujours défendus pour la paix dans cette région du monde ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et CRCE. – Mme Claudine Kauffmann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le gouvernement israélien doit se prononcer à partir du 1er juillet sur la mise en œuvre du plan Tramp pour le Proche-Orient, qui prévoit l’annexion formelle et unilatérale par Israël de la vallée du Jourdain, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. Si cette décision d’imposer ses lois en Cisjordanie occupée était mise à exécution, au mépris du droit international, elle serait non seulement dévastatrice pour une potentielle relance des négociations et pour la paix régionale, mais elle remettrait également en cause le projet même d’un État palestinien, qui est jusqu’ici au cœur du processus de paix.
En réaction, le mois dernier, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé qu’il romprait les accords sécuritaires et économiques conclus avec Israël dans le cadre du processus de paix engagé à Oslo si le projet d’annexion était mené à bien. La Jordanie, seul pays arabe avec l’Égypte à avoir conclu un accord de paix avec Israël, a fait savoir qu’elle reconsidérerait également ses relations avec l’État hébreu en cas d’annexion.
Ce projet est contesté au sein même de la société israélienne. Plusieurs experts israéliens ont en effet publié une tribune pour faire part de leur inquiétude quant à la menace que ferait peser cette annexion sur la sécurité nationale d’Israël.
Pour les signataires de ce texte, elle remettrait en cause le traité de paix avec l’Égypte, mais également celui avec la Jordanie. Avec une communauté palestinienne très nombreuse, le Royaume de Jordanie pourrait connaître des troubles en cas d’annexion israélienne de l’autre côté du fleuve Jourdain. Or la Jordanie offre à Israël une profondeur stratégique en direction de la Syrie, l’Irak et, surtout, l’Iran. Ces troubles pourraient donc lui être fortement dommageables.
Toujours selon les signataires de ce texte, les pays arabes du Golfe favorables à Israël, notamment l’Arabie saoudite, pourraient eux aussi faire entendre leur voix face à une colère populaire attisée par la baisse des prix du pétrole.
Enfin, les signataires n’excluent pas un effondrement de l’Autorité palestinienne en cas d’annexion. Or Israël a besoin de la collaboration avec l’Autorité palestinienne dans la lutte qu’elle mène contre le terrorisme.
Le chef de file centriste de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, a déclaré avec le parti démocrate et une majorité des juifs américains que cette annexion unilatérale provoquerait des dommages irréparables. Quant à Amit Gilutz, porte-parole de l’ONG israélienne B’Tselem, que nous connaissons bien ici, qui lutte pour la défense des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés et qui milite pour une solution à deux États équilibrée, il a rappelé à juste titre que cette annexion existait déjà de fait et qu’elle ne constituait qu’une volonté de légitimer une situation déjà existante et dramatique pour le peuple palestinien. Il a appelé la communauté internationale « à ne plus se taire ».
La France, qui est depuis le Brexit le seul pays de l’Union européenne membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ne peut rester silencieuse à cet appel et doit agir pour préserver la solution à deux États, en n’abandonnant ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de la justice pour les Palestiniens.
Depuis l’adoption par les deux chambres du parlement français au mois de décembre 2014 de deux propositions de résolution invitant le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine, force est de constater que le processus de paix est au point mort. La France a certes accueilli, en 2017, soixante-dix pays et organisations internationales pour une conférence internationale pour la paix au Proche-Orient, mais, soyons réalistes, rien n’en est ressorti.
Depuis la tenue de cette conférence, qu’il faut tout de même saluer, s’est ouverte une période d’incertitudes au Proche-Orient. Le 6 février 2017, la Knesset adoptait une loi légalisant les colonies sauvages de Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies au mois de décembre 2016. Cette loi était déjà un pas vers l’annexion formelle de la Cisjordanie. Le 19 juillet 2018, le Parlement israélien adoptait une loi fondamentale disposant qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif » avec Jérusalem pour capitale et l’hébreu comme seule langue officielle. Le texte va à l’encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.
Si le projet d’annexion de la vallée du Jourdain était formellement mis en œuvre, sans susciter de lourdes sanctions de la part de l’Europe et de la France, ce serait la fin de tout espoir de voir naître un État de Palestine.
Dans ce contexte, la France ne peut pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur la méthode d’accompagnement international du processus de paix. Elle ne doit pas se résoudre à abandonner l’objectif d’un État de Palestine, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés de l’État d’Israël, au sein de frontières internationalement reconnues et avec Jérusalem pour capitale des deux États.
Aussi, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Palestine de la Haute Assemblée, j’appelle une nouvelle fois, solennellement, le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. Reconnaître la Palestine comme un État, ce serait se conformer au droit international et, lorsque l’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit.
La France doit également enclencher une dynamique à l’échelon européen sur la question des sanctions. L’Union européenne doit absolument s’accorder rapidement sur des sanctions économiques à l’encontre d’Israël, si ce projet d’annexion de la vallée du Jourdain allait à son terme, comme elle a réussi à le faire à l’encontre de la Russie après l’annexion de la Crimée. Compte tenu de l’importance de leurs échanges commerciaux avec l’État hébreu, les Européens, s’ils en ont la volonté politique, ont tous les outils nécessaires pour condamner Israël.
La France devrait également manifester son soutien à l’Autorité palestinienne dans les poursuites qu’elle a entamées à l’encontre d’Israël auprès de la Cour pénale internationale en saisissant à son tour la CPI, alors que cette dernière, après un examen préliminaire de cinq ans, vient d’autoriser la Palestine à attaquer Israël pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la France ne peut plus attendre, les enjeux sont trop importants pour se contenter de grandes déclarations et de très petites sanctions. Le gouvernement français a l’obligation d’agir, et il doit le faire maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe LaREM. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. « Pourquoi ce besoin de nous mettre le monde entier à dos ? […] Ils pensent que c’est une chance unique qui ne se représentera jamais. C’est sûrement vrai. Mais toutes les chances ne sont pas bonnes à saisir. » Cette déclaration de Chuck Freilich, ancien conseiller israélien à la sécurité, résume l’ampleur du défi posé par le projet d’annexion de la vallée du Jourdain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le 1er juillet prochain, selon les termes d’un accord relatif à la formation d’un gouvernement d’union avec son ex-rival Benny Gantz, le Premier ministre Benjamin Netanyahou pourrait traduire dans les faits le plan de l’administration Trump qui prévoit l’annexion de près de 30 % de la Cisjordanie.
Alors que les accords de 1993 devaient ouvrir la voie à un État palestinien, le plan de paix de Trump – une proposition unilatérale – fonde Israël à agir. Certes, depuis plusieurs années, une forme d’annexion est de facto déjà visible dans cette région. La colonisation s’y accélère : 200 000 colons au moment des accords d’Oslo, 430 000 aujourd’hui. En outre, que dire de l’incorporation progressive du droit israélien en territoires occupés ?
Allant de toute évidence à l’encontre du droit international, l’annexion de la Cisjordanie par l’État israélien représenterait une grave violation de la Charte des Nations unies et des conventions de Genève. Elle serait contraire à la règle fondamentale affirmée à maintes reprises par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, selon laquelle l’acquisition de territoires par la guerre ou la force est inadmissible.
Clairement, au sein de la communauté internationale, la condamnation est unanime, si je mets bien entendu de côté les États-Unis.
Dans ces conditions, que va devenir la recherche d’un axe d’entente israélo-palestinien ? Cette annexion enterrerait en effet le droit palestinien à l’autodétermination des peuples par des moyens non violents.
De l’autre côté, la diaspora, attachée au respect des droits de l’homme, pourrait ne pas reconnaître le projet sioniste visant à l’établissement d’un État juif et démocratique.
Alors que la situation humanitaire et sécuritaire est déjà difficile dans les territoires palestiniens, l’annexion pourrait provoquer une troisième intifada.
Quoi qu’il en soit, l’État israélien devra assumer le sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant en Cisjordanie ; sort que l’on peut présumer difficile, le Premier ministre Netanyahou n’envisageant pas, selon ses propos, d’accorder aux Palestiniens résidant dans les territoires cisjordaniens annexés les mêmes droits civiques et politiques que ceux qui sont dévolus aux Israéliens. Comment accepter l’institution de citoyens de seconde zone, de deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux ? Pourtant, sans sourciller, le Premier ministre a déclaré que cette annexion les « rapprocherait de la paix ».
La question israélo-palestinienne, c’est aussi un enjeu régional déterminant. Naturellement, on sait que les pays du monde arabe sont attentifs à cette phase critique.
Que vont devenir les accords de paix notamment conclus avec l’Égypte et la Jordanie ? Le chef de la diplomatie jordanienne a annoncé que l’annexion de la Cisjordanie par l’Israël serait une « menace sans précédent pour le processus de paix » et pourrait plonger le Proche-Orient dans un « long et douloureux » conflit. Je crains aussi que toutes les dernières manœuvres de rapprochement avec les pays arabes sunnites tels que l’Arabie saoudite soient définitivement enterrées…
Face à tout cela, quelle peut-être la réaction de la communauté internationale ?
La solution à deux États, que la France et l’Union européenne appellent de leurs vœux, serait réduite en poussière en cas d’annexion. Pourtant, c’est cette voie que nous devons défendre, car elle constitue le meilleur équilibre entre les aspirations des deux parties. Sur le plan géopolitique, Israël aurait plus à perdre qu’à gagner en annexant la vallée du Jourdain. Par conséquent, tout doit être mis en œuvre pour éviter cela et faire perdurer les promesses d’Oslo. C’est d’ailleurs votre position, monsieur le ministre, et mon groupe est également sur cette ligne.
Oui, il faut préserver la référence au droit international et condamner ce qui s’apparente à un passage en force ! C’est une décision unilatérale échappant complètement aux codes de la diplomatie, qui exigent au moins des négociations avec tous les acteurs concernés.
Comme vous avez déjà eu l’occasion de le rappeler, il est important de distinguer dans nos accords bilatéraux avec Israël la distinction juridique entre le territoire d’Israël et les Territoires palestiniens occupés depuis 1967. Certains y voient une sanction déguisée, mais avons-nous d’autres leviers ? En outre, cette distinction est conforme aux décisions internationales, en particulier la résolution 2334.
Mes chers collègues, aujourd’hui, de nombreuses manifestations ont lieu contre l’annexion et le plan de l’administration Trump, comme lundi dernier à Jéricho. Des milliers de Palestiniens manifestent pour leurs droits. Légitimement, ils attendent une réponse diplomatique à la hauteur des enjeux.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, la France a toujours un rôle important à jouer. Aussi, nous comptons sur votre action bienveillante et, surtout, énergique. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, LaREM, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tenue de ce débat arrive à point nommé, à l’aube d’une date qui pourrait porter le coup de grâce à deux promesses que nous avons d’ailleurs de la peine à tenir depuis soixante-dix ans de négociations internationales. Ces promesses, ce sont celles d’une paix durable au Proche-Orient et d’une issue positive au conflit israélo-palestinien, qui permettrait à Israéliens et Palestiniens de vivre côte à côte, en paix et sécurité. Cette date, c’est celle du 1er juillet, qui a été actionnée par un compte à rebours en deux temps.
Le 28 janvier a marqué le premier temps de ce compte à rebours, lorsque le Président américain Donald Trump a présenté son plan de paix pour le Proche-Orient. Ce plan américain a été préparé sans les Palestiniens. Il met en cause le droit international en s’inscrivant en contradiction avec les accords d’Oslo de 1993 et les résolutions du Conseil de sécurité.
Ce plan peut difficilement être une base pour une solution de paix viable au moins sur deux points : d’une part, il ouvre la voie à une annexion en reconnaissant sans délai la souveraineté israélienne sur la vallée du Jourdain et sur les colonies dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie, ce qui sortirait Israël du régime de l’occupation en vigueur depuis 1967 ; d’autre part, il nie le statut de Jérusalem comme capitale des deux États, en admettant qu’il devienne la capitale indivisible d’Israël.
Le 13 mai a marqué le second temps de ce compte à rebours, avec la prestation de serment devant la Knesset du gouvernement d’union et d’urgence de Benjamin Netanyahou et de son rival électoral Benny Gantz.
Sur la base de l’accord de coalition, Benjamin Netanyahou a solennellement affirmé le projet d’annexion d’une partie de la Cisjordanie occupée à partir du 1er juillet prochain, conformément au plan de paix américain et en coordination avec Washington. Présenté comme un « exercice de souveraineté », son caractère illégal au regard du droit international ne fait pourtant aucun doute. Peu importe que cette annexion forcée soit majeure ou ne concerne que quelques bribes de la Cisjordanie, elle serait une acquisition de territoires par la force, contraire au droit international.
Dans la société israélienne, une telle annonce ne fait pas l’unanimité, car elle fait prendre un risque aux intérêts israéliens. Un sondage du 9 juin a fait ressortir que près des deux tiers des Israéliens ne la soutiennent pas, car ils ne veulent ni trouble supplémentaire ni se retrouver au ban de la scène internationale, alors qu’ils auront assez de soucis avec les conséquences économiques de la pandémie. Le chômage s’est d’ailleurs envolé pour atteindre le taux très élevé de 29 %.
Dans une tribune publiée au début du mois d’avril, des experts et anciens hauts gradés des milieux militaires israéliens ont considéré que l’annexion de la vallée du Jourdain constituerait une menace pour la sécurité nationale d’Israël. Elle remettrait en cause le traité de paix avec l’Égypte, intermédiaire incontournable dans le dialogue avec le Hamas à Gaza et, de plus, partenaire dans la lutte contre le terrorisme dans le nord du Sinaï. Le traité de paix avec la Jordanie pourrait aussi en sortir fragilisé, la stabilité du pays se trouvant clairement remise en cause en raison de sa proximité géographique et de son rôle de garant de l’accès à l’esplanade des mosquées. Enfin, selon eux, une telle annexion anéantirait tout espoir d’une coopération renforcée entre Israël et les monarchies du Golfe. La réaction récente de l’ambassadeur des Émirats arabes unis à Washington est un premier avertissement.
Loin de nous l’idée de nier le droit souverain d’Israël à assurer sa sécurité nationale. Au contraire, c’est plutôt par souci de sa sécurité et de la stabilité de la région : cette décision risquerait de l’enfermer dans une dangereuse impasse et dans une fuite en avant qui pourraient être regrettables pour tous.
Monsieur le ministre, notre groupe soutient l’action que vous menez, sous la conduite du Président de la République, laquelle consiste à ramener toutes les parties à la table des négociations afin de préserver la solution juste à deux États viables, vivant en paix et en sécurité, au sein de frontières sûres et reconnues et ayant Jérusalem pour capitale. Nous vous soutenons dans la tâche ardue d’empêcher que le 1er juillet ne soit le point de départ d’un bouleversement historique, regrettable, pour le Proche-Orient. Nous le faisons en accord avec plus d’un millier de parlementaires européens, qui viennent de signer une pétition contre ce projet d’annexion. Il faut que nous portions un message ferme, cohérent et uni.
Ce même 1er juillet, l’Allemagne prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne, tandis que le 19 juin, vous aviez tenu une conférence de presse conjointe avec votre homologue allemand, Heiko Maas, au cours de laquelle ce sujet a été évoqué. Nous savons la force de votre travail à deux. Peut-on espérer un format nouveau, avec un moteur franco-allemand, de relance du processus de paix au Proche-Orient ?
Jean-Paul Sartre disait : « Chaque parole a une conséquence. Chaque silence aussi. » Oublions les paroles et les silences ! Adoptons les actes concrets qui s’imposent, au nom des intérêts des Israéliens et des Palestiniens, au nom de la paix et de la sécurité au Proche-Orient ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai tenu à intervenir à la suite d’un courrier adressé aux parlementaires par Avraham Burg, ancien président de la Knesset.
La question qui nous est soumise aujourd’hui – quelle réponse de la France au projet d’annexion de la vallée du Jourdain par l’État d’Israël ? – appelle une seule réponse, toute de bon sens, de discernement et de retenue, afin de renforcer la paix dans une région trop souvent déchirée : la France doit s’opposer à cette annexion inique ! Je rappelle à dessein que le territoire qui fait l’objet des convoitises d’Israël constitue une partie essentielle d’un futur État palestinien viable.
Que l’on ne se méprenne pas, mon propos n’est pas de donner dans l’antisionisme, bien au contraire ! Israël a pris depuis longtemps sa juste place dans le concert des nations. Cependant, la France, qui porte haut depuis des siècles le flambeau de la liberté, ne saurait s’accommoder de cette annexion. Car ne nous y trompons pas : tous les Israéliens ne sont pas favorables à ce vol territorial, beaucoup souhaitent préserver la paix et œuvrent à sa pérennité.
Trop de larmes et trop de sang ont été répandus en cette région du monde. Il est temps que les armes se taisent enfin.
Notre devoir est de faire respecter le droit international qu’Israël s’apprête à fouler aux pieds. Notre responsabilité est de soutenir les valeurs démocratiques, sans lesquelles ne peut exister une quelconque stabilité régionale au Proche-Orient.
Si Israël en venait à annexer la vallée du Jourdain, la perspective de résoudre pacifiquement ce conflit, dans le cadre d’une solution à deux États, basée sur les frontières d’avant 1967, s’évanouirait aussitôt.
Mères juives et arabes ne mettent pas leurs enfants au monde pour les voir tomber sous les balles. Toutes aspirent à une paix qu’elles n’ont jamais connue.
La France se doit donc d’adopter une position extrêmement ferme afin de dissuader les bellicistes israéliens de passer à l’acte. À défaut, le pire est envisageable : un embrasement total du Proche-Orient, avec les conséquences dramatiques à tous égards que chacun peut imaginer.
« La paix est un rêve suspendu », avait déclaré Kofi Annan. Il nous appartient de faire que ce rêve devienne enfin réalité pour les Israéliens et les Palestiniens. Nous, parlementaires français, pouvons y prendre toute notre part. Soyons les indéfectibles soutiens des pacifistes israéliens. Soyons les boucliers protégeant le peuple palestinien. Souvenons-nous, enfin, qu’une guerre n’engendre pas de vainqueurs, seulement des orphelins et des veuves !