M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en propos liminaire, je rappellerai le mouvement mondial de durcissement des relations internationales, de retour de la politique du fait accompli et d’émergence de dirigeants imprévisibles, ce contexte n’étant pas sans conséquence sur le climat dans la région dont nous débattons aujourd’hui.
J’en viens à quelques constats.
Vu d’Europe, la longue séquence de guerre au Proche et au Moyen-Orient contre Al-Qaïda, puis l’État islamique, a fait passer au second plan la situation israélo-palestinienne. Pour autant, les tensions ne se sont pas arrêtées. Elles connaissent des hauts et des bas, mais le conflit s’installe dans une exceptionnelle longévité, après l’échec de nombreux sommets et plans de paix placés sous l’égide de puissants parrains.
Israël se sent toujours en insécurité sur son territoire et au pourtour, dans un contexte géopolitique régional dégradé. Quant aux Palestiniens, ils ont le sentiment, à juste titre, que leur cause n’est plus aussi mobilisatrice qu’auparavant, y compris dans l’opinion publique arabe. Désorganisés, ils voient s’éloigner l’espoir d’une solution favorable, en particulier du point de vue territorial.
Dans ce dossier, l’Europe paie, comme sur d’autres sujets internationaux, son manque d’ambition, d’unité et de poids. Elle est présente comme acteur économique ou culturel, voire humanitaire pour les Palestiniens. Elle est appréhendée comme un bailleur de fonds et porteur de projets, mais malheureusement pas comme un décideur politique majeur. Pourtant, dès le début des années 1980, les Neuf estimaient que « les liens traditionnels et les intérêts communs qui unissent l’Europe au Moyen-Orient leur imposent de jouer un rôle particulier et leur commandent d’œuvrer de manière plus concrète en faveur de la paix ». Vous constaterez avec moi que, malgré la bonne volonté, les résultats sont mitigés.
Quant à la France, elle possède une connaissance fine, inscrite dans la durée, de la région et des parties. Nous auditionnions en commission des affaires étrangères, il y a quelques jours, l’ambassadeur de France en Israël, puis le consul général à Jérusalem, qui nous ont livré leur appréciation de la situation.
Forte de son réseau diplomatique et culturel actif, notre pays entretient des relations suivies, tant du côté israélien que du côté palestinien, mais sa voix et sa « voilure » restreinte portent moins qu’à l’époque du général de Gaulle. Si la France conserve sa capacité à parler à tout le monde, ce qui est éminemment souhaitable, c’est surtout sa capacité à être entendue, à peser, qui s’est dégradée, et pas seulement au Proche-Orient. Sans doute aussi notre action internationale manque-t-elle d’une grande vision, d’un nouveau souffle.
De leurs côtés, les États-Unis, et particulièrement le Président Trump, qualifié par le gouvernement israélien de « plus grand ami qu’Israël ait jamais eu à la Maison-Blanche », avancent sans nuance. Le lien indéfectible avec Israël et les intérêts immédiats priment sur tout le reste, sans égard pour l’avis des alliés européens et les conséquences locales. Comment pourrait-il en être autrement ? Au moment où l’avenir des relations transatlantiques n’a jamais été aussi incertain, les désaccords politiques nombreux et le contentieux commercial à vif, l’Amérique suit son propre agenda.
Le « plan Trump » a suscité de fortes inquiétudes, en raison notamment du projet de faire de Jérusalem la capitale d’Israël et du sort qu’il prévoit pour la vallée du Jourdain, propositions contestées par les Palestiniens et une partie de la communauté internationale.
Au cœur de l’« Orient compliqué », les avis divergent sur l’annexion de la vallée du Jourdain. Au-delà des seuls Palestiniens, des milliers d’Israéliens, cela a été rappelé à juste titre, ont manifesté samedi à Tel-Aviv contre le projet du gouvernement d’annexer des pans de Cisjordanie occupée. À l’inverse, pour certains de ceux qui sont installés dans la zone, « la vallée du Jourdain est une merveilleuse région… qui fait partie d’Israël ! », mais ils regrettent que le plan implique des concessions.
Alors que l’échéance du 1er juillet approche, Paris appelle toujours les autorités israéliennes « à s’abstenir de toute mesure unilatérale qui conduirait à l’annexion de tout ou partie des Territoires » occupés… pardon, « palestiniens », voulais-je dire. Lapsus révélateur…
De même, le chef de la diplomatie de l’Union européenne souligne que « la solution des deux États, avec Jérusalem comme future capitale pour les deux États, est la seule façon de garantir une paix et une stabilité durables dans la région ». Reste à savoir si les Européens pourront s’entendre – c’est souhaitable – et s’ils sont prêts à prendre des mesures concrètes pour dissuader Israël de poursuivre son plan d’annexion et, dans l’affirmative, lesquelles ? Chacun a pu constater l’effet nul de la menace de sanctions contre la Russie dans la crise ukrainienne, ainsi que les effets souvent contre-productifs des sanctions a posteriori.
Si la France et l’Union européenne échouaient à dissuader les autorités israéliennes, cela jetterait le discrédit sur notre capacité à changer le cours des événements mondiaux, et le risque d’embrasement de la région serait important, au détriment de l’intérêt sécuritaire d’Israël. À moins que la Jordanie, qui a menacé le mois dernier de reconsidérer ses relations avec l’État hébreu si ce dernier menait à bien ses plans d’annexion, ne fasse bouger les lignes, ou la Russie, redevenue une puissance majeure du Proche-Orient à la faveur des atermoiements européens en Syrie. Et quelle sera l’attitude de la Chine ? Dans les prochaines années, un succès diplomatique sur ce dossier brûlant lui conférerait ce statut d’acteur politique global, et plus seulement économique, qu’elle recherche.
Monsieur le ministre, je ferai prochainement, avec plusieurs collègues sénateurs, un déplacement en Israël, lequel avait dû être reporté en raison du Covid-19. Nous souhaitons faire entendre la voix de la France, notamment celle du Sénat. La diplomatie parlementaire est faite pour tisser des liens, bâtir des ponts, favoriser le dialogue, et nous nous y efforcerons. Nous ne pouvons pas laisser faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. Olivier Cigolotti et Mme Agnès Constant applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de conclure ces échanges, que j’ai trouvés utiles et denses, sur la question majeure du conflit israélo-palestinien, lequel en est peut-être à un tournant historique, comme l’a rappelé le président Cambon.
Début mars, à la suite de la publication de la « vision » américaine, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet devant certains d’entre vous. Vous savez, vous l’avez rappelé, que j’y attache beaucoup d’importance.
Comme vous le savez, Benyamin Netanyahou et Benny Gantz, respectivement candidats du Likoud et de Bleu Blanc aux dernières élections législatives israéliennes, ont conclu un accord de coalition fin avril, qui a conduit à l’investiture du nouveau gouvernement israélien le 17 mai dernier. Cet accord prévoit la possibilité d’engager un processus d’annexion partielle de la Cisjordanie à partir du 1er juillet 2020, à travers l’adoption d’une loi par la Knesset.
Si le champ géographique de l’annexion n’a pas été précisé, ni dans l’accord de coalition ni par la suite, en tout cas à ce jour, deux conditions ont été posées : la première, c’est qu’Israël devra obtenir l’assentiment des États-Unis ; la seconde, c’est que, d’une part, les intérêts stratégiques d’Israël devront être pris en compte et que, d’autre part, les accords de paix existants – notamment avec l’Égypte et la Jordanie – devront être préservés.
Les États-Unis devraient se prononcer en cherchant à s’assurer d’un consensus entre le Likoud et Bleu Blanc sur le périmètre de l’annexion et en prenant en compte les résultats du comité conjoint israélo-américain qui a été mis en place pour cartographier les frontières, après la publication de la « vision » américaine. La position des États-Unis fait toutefois peu de doutes, mon homologue Mike Pompeo ayant déclaré à plusieurs reprises, et encore pas plus tard que cet après-midi, heure française, que, du point de vue américain, la décision d’annexion appartenait en dernier ressort à Israël, ce qui revient à un nihil obstat.
Avant d’évoquer les conséquences préoccupantes qu’aurait l’annexion, je rappellerai la position de la France sur les conditions d’un règlement du conflit. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, cette position repose sur trois éléments : un cadre, celui du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité ; un objectif, à savoir l’établissement de deux États, vivant dans la paix et la sécurité au sein de frontières sûres et reconnues, fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États, étant entendu qu’une solution concertée, réaliste et juste doit être trouvée sur le statut des réfugiés ; enfin, une méthode, celle de la négociation entre les parties et non des décisions unilatérales.
Voilà le prisme à travers lequel nous avons lu le plan proposé le 28 janvier dernier par le Président américain. Ce que nous avons constaté, et je le redis ici avec beaucoup de force, c’est que ce plan s’écarte du droit international, qu’il ne permettra pas la création d’un État palestinien viable et qu’il n’est accepté que par l’une des parties comme une base possible de négociation.
La « vision » américaine, vous l’avez dit, propose qu’Israël exerce sa souveraineté sur la vallée du Jourdain et sur toutes les colonies de Cisjordanie et conserve l’ensemble de la ville de Jérusalem. Le projet d’annexion, que le Premier ministre Netanyahou a endossé dans son discours d’investiture, prévoit de mettre en œuvre cette vision, de manière unilatérale et accélérée. Si cette annonce se concrétisait, ce serait – je pèse mes mots – la décision la plus grave dans le conflit israélo-palestinien depuis 1980 et la loi constitutionnelle israélienne sur Jérusalem.
L’annexion de territoires palestiniens, quel qu’en soit le périmètre – la position de la France est : quel qu’en soit le périmètre –, remettrait donc en cause de façon grave et irrémédiable les paramètres essentiels au règlement du conflit.
Tout d’abord, l’annexion remettrait en cause le cadre du droit international. Elle constituerait une violation en particulier du principe fondamental de non-acquisition de territoire par la force, principe qui est au cœur de l’ordre international que nous avons bâti collectivement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, principe que nous invoquons, par exemple, s’agissant de la Crimée.
L’annexion ne serait pas non plus conforme aux résolutions prises par le Conseil de sécurité de 1967 à nos jours, qu’il s’agisse de la résolution 242 de 1967 ou de la résolution 2334, adoptée en 2016, qui appelle les États à ne pas reconnaître de changement par rapport aux frontières de 1967 sauf s’ils ont été agréés par les parties, c’est-à-dire aux termes d’une négociation.
Ensuite, l’annexion rendrait quasiment impossible d’atteindre l’objectif de la solution des deux États. L’annexion nous éloignerait irréversiblement de l’établissement d’un État palestinien viable, tant sur le plan politique que sur le plan économique.
Du point de vue économique, les Palestiniens souffriraient de restrictions accrues d’accès aux ressources, comme l’eau, cela a été rappelé par l’un d’entre vous. Ils perdraient l’accès à certaines terres agricoles et même à une grande partie d’entre elles si l’annexion de la vallée du Jourdain était comprise totalement dans le processus.
Du point de vue politique et géographique, l’annexion contribuerait à réduire et à morceler encore davantage le territoire palestinien, ce qui remettrait en cause de manière irréversible sa contiguïté et, par là même, la viabilité d’un État palestinien souverain.
Les Palestiniens verraient parallèlement leur liberté de mouvement, déjà limitée, encore davantage entravée, au sein même du territoire palestinien, mais également vers l’étranger, en cas d’annexion de la vallée du Jourdain.
Non seulement l’annexion rendrait irréversible la présence des colonies existantes, mais elle accélérerait la construction de nouveaux logements dans les emprises, où le droit israélien deviendrait pleinement applicable. Je rappelle ici les chiffres, même s’ils ont déjà été cités dans le débat : le nombre de colons a été multiplié par trois depuis les accords d’Oslo. Ils sont aujourd’hui 650 000, dont 220 000 à Jérusalem et 430 000 en Cisjordanie.
L’annexion, décision par définition unilatérale, remettrait également en cause la méthode qui a été privilégiée jusqu’à présent par les deux parties et l’ensemble de la communauté internationale, celle des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens.
Les mesures unilatérales et les faits accomplis ne sont pas compatibles avec une logique de négociation. Or seule une logique de négociation permettrait d’aboutir à une solution viable parce qu’acceptée par les deux parties.
L’annexion remettrait bien sûr en cause les aspirations nationales des Palestiniens, qui ont vocation à disposer d’un État viable, mais elle remettrait tout autant en cause le projet national des Israéliens, qui est de vivre dans un État qui soit à la fois juif et démocratique. Je suis très heureux que vous en ayez fait la remarque, madame Prunaud, monsieur Cambon, monsieur Cazeau, car on ne le dit pas suffisamment.
En ancrant dans le droit israélien la réalité de l’État unique, l’annexion forcerait à terme les Israéliens à faire un choix impossible entre le caractère juif de leur pays et le caractère démocratique de leur État. Ils seraient face à cette contradiction permanente et de longue durée.
M. Christian Cambon. C’est vrai !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Enfin, l’annexion aurait des conséquences négatives pour la stabilité régionale et pour la sécurité même d’Israël, à laquelle la France est extrêmement attachée et sur laquelle elle ne transigera jamais. Nos amis Israéliens le savent.
Les relations qu’Israël entretient avec ses voisins égyptien et jordanien font partie des rares progrès enregistrés au cours de plusieurs décennies de conflit israélo-arabe. Cet acquis est fragile. Le sujet est d’une grande sensibilité en Jordanie comme en Égypte. Une décision d’annexion viendrait fragiliser la relation d’Israël avec ses voisins.
Les autorités jordaniennes ont formulé, au plus haut niveau, des mises en garde contre les risques qu’emporterait l’annexion sur la relation des deux pays. Le Roi de Jordanie a évoqué la possibilité d’un « conflit massif ».
L’accord de paix de Wadi Araba, signé en 1994, avec Israël comme le traité de paix israélo-égyptien de 1979 reposent sur la perspective de la création d’un État palestinien souverain et indépendant. Même si cette perspective est restée théorique jusqu’à présent, y mettre un terme par l’annexion fragiliserait l’équilibre de ces accords et leur perception par les populations concernées.
Une décision d’annexion pourrait également provoquer des réactions déstabilisatrices dans les camps de réfugiés palestiniens, en particulier en Jordanie et au Liban.
J’ajoute qu’une telle décision ne manquerait pas d’être instrumentalisée par les groupes terroristes, dans les territoires palestiniens et, au-delà, dans la région. Elle aura aussi un effet d’aubaine politique pour les États les plus hostiles à Israël, en nourrissant, par exemple, la rhétorique anti-israélienne de l’Iran, au détriment des voix modérées dans la région.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’annexion ne serait, en somme, dans l’intérêt de personne : ni dans celui des Palestiniens, qui en subiraient les conséquences immédiates ; ni dans celui des Israéliens, dont la sécurité passera, à terme, par un accord avec les Palestiniens et par une pleine intégration régionale ; ni dans celui d’une région dont la stabilité est déjà menacée par les tensions et les conflits ; ni dans celui des Européens et de la communauté internationale, qui ont investi des efforts diplomatiques et financiers massifs dans la perspective des deux États.
Pour toutes ces raisons, et à quelques jours de l’échéance du 1er juillet, la France est pleinement mobilisée. À défaut de pouvoir relancer immédiatement des discussions de paix, notre objectif est de préserver les conditions d’une négociation future et la possibilité d’une solution négociée. Nous nous coordonnons avec nos partenaires européens et arabes pour envoyer des messages préventifs et des messages dissuasifs pour que l’annexion, quel qu’en soit le périmètre – je le répète –, ne se produise pas.
Dans l’hypothèse où nos efforts n’aboutiraient pas, nous nous préparons à réagir. Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, une décision d’une telle gravité ne peut pas rester sans réponse. Je ne déclinerai pas la totalité des réponses : elles interviennent lorsque les actes sont posés ; chacun l’a bien compris. Mais il importe tout de même d’essayer de clarifier.
Le premier axe de notre action est préventif. Pour dissuader les Israéliens de procéder à tout acte unilatéral qui conduirait à l’annexion de territoires palestiniens, nous leur faisons passer des messages clairs, aussi bien publiquement qu’en privé, aussi bien à titre national qu’en coordination avec nos partenaires, notamment européens.
Nous faisons d’abord valoir les avantages que les Israéliens pourraient retirer d’une coopération accrue avec l’Union européenne s’ils renonçaient à l’annexion et s’ils s’engageaient dans un véritable processus politique négocié sur la base du droit international et des paramètres agréés. Dans cette configuration, on pourrait envisager, si c’était le cas, le rehaussement de nos relations bilatérales. Ce serait dans l’intérêt de tous.
Mais, à l’inverse, nous indiquons aux Israéliens que nous ne reconnaîtrons aucun changement aux lignes de juin 1967 qui ne serait pas agréé entre les parties et que nous ne reconnaîtrons donc pas la souveraineté israélienne sur les territoires annexés. Tout cela, j’ai moi-même eu l’occasion de l’exprimer à plusieurs reprises depuis l’investiture du nouveau gouvernement israélien. Je l’ai dit à la fois publiquement et lors d’entretiens récents que j’ai eus avec mon homologue M. Ashkenazi.
Mme Prunaud affirmait que la France n’était pas reconnue comme un acteur du processus de paix. Mon homologue palestinien, M. al-Malki, ne dit pas du tout cela lorsque je le rencontre. Au contraire ! À chaque entretien, y compris entre Mahmoud Abbas et le Président Macron, il est répété régulièrement que les Palestiniens savent pouvoir compter sur nous pour être à leurs côtés et pour agir en faveur d’une solution négociée.
Parallèlement à cela, nous continuons à assurer les Palestiniens de notre engagement en faveur de l’établissement d’un État palestinien souverain, viable, contigu et démocratique. Nous avons mobilisé des aides spécifiques. Par exemple, dans le contexte de la Covid, nous avons débloqué de manière anticipée notre aide budgétaire annuelle de 16 millions d’euros pour permettre à l’Autorité palestinienne de fonctionner. Nous avons doublé l’année dernière et maintenu cette année notre aide à l’UNRWA, après le départ financier des États-Unis d’Amérique. Tout cela vise à donner aux Palestiniens des raisons de ne pas se détourner du cadre d’Oslo au moment même où celui-ci est remis en cause par Israël.
Nous incitons aussi les Palestiniens à inscrire leur action dans le cadre d’un processus politique négocié. Il nous revient de les alerter sur le risque d’effritement progressif de l’Autorité palestinienne si elle venait à renoncer à ses propres prérogatives.
Le second axe de notre action est dissuasif. Il s’agit de dire dès à présent que, si les Israéliens décidaient d’aller de l’avant dans le processus d’annexion, nous serions contraints d’y opposer des mesures affectant les relations de l’Union européenne et de ses États membres avec Israël. Les relations entre l’Union européenne et Israël sont régies par de nombreux accords, à commencer par l’accord d’association UE-Israël, mais aussi par beaucoup d’accords de coopération. La participation d’Israël à différents programmes de coopération, en particulier pour la partie qui est en préparation dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, devrait être réexaminée à la lumière du contexte nouveau que créerait une annexion partielle de la Cisjordanie. Cela devrait être aussi le cas en matière commerciale pour veiller à renforcer le contrôle de l’origine des produits importés au sein de l’Union européenne.
Il est vrai – je l’ai entendu – qu’il est difficile de réunir un consensus au sein de l’Union européenne sur la question israélo-palestinienne. J’ai moi-même plusieurs fois appelé à l’unité sur ce sujet essentiel, notamment lors du Conseil des ministres des affaires étrangères récent, le 15 mai dernier. Mais nous ne pouvons décider seuls de suspendre tel ou tel accord entre l’Union européenne et Israël. Pour autant, cela n’empêche pas une coordination étroite avec nos plus grands partenaires européens : l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le haut représentant Josep Borrell, ainsi que plusieurs États membres proches de nos vues.
Je relève que, même si quelques États européens se distinguent sur le sujet, la règle de l’unanimité ne s’applique pas à tous les programmes européens auxquels participe Israël. Une série de mesures peuvent être prises à titre national et de manière coordonnée avec nos principaux partenaires européens. Il s’agit d’introduire dans tous les accords bilatéraux avec Israël des clauses territoriales, afin de matérialiser la distinction juridique – M. Collin rappelait ce problème – entre le territoire d’Israël et les territoires occupés. Cela ne signifie pas du tout que nous mettons fin à tous les accords qui nous lient avec Israël. Nous avons évidemment des intérêts communs avec ce pays, y compris en matière de sécurité dans la région. Il s’agit non pas de suspendre toute coopération, mais de marquer clairement et systématiquement une distinction juridique qui traduise nos positions politiques.
Il nous appartiendra aussi d’instituer de manière systématique des mesures de contrôle de la mise en œuvre de l’étiquetage différencié des produits des colonies. C’est désormais une obligation au titre du droit à l’information du consommateur européen. Elle a été confirmée cette année par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans le même mouvement, nous nous coordonnons avec nos partenaires arabes, à commencer par l’Égypte et la Jordanie. Je l’ai souligné, ces pays sont directement concernés par les conséquences d’une décision d’annexion. Cela induit des enjeux de sécurité ; M. Cazeau les a bien évoqués. D’ailleurs, le vice-Premier ministre Benny Gantz et mon homologue M. Ashkenazi sont tous deux d’anciens chefs d’état-major des armées qui connaissent l’importance du maintien des accords de paix d’Israël avec l’Égypte et la Jordanie. Nous essayons de coordonner vis-à-vis d’eux nos messages avec les partenaires arabes.
À cet égard, nous avons établi – l’un d’entre vous a évoqué la relation avec l’Allemagne – un format de concertation avec nos homologues jordaniens, égyptiens et allemands. Nous nous réunissons pour coordonner nos actions et nos ripostes en cas d’annexion.
Dans le même esprit, nous incitons l’Arabie saoudite, qui est à l’origine – il faut le rappeler – de l’initiative de paix arabe de 2002 à se mobiliser. Nous avons relevé, comme vous, que les Émirats arabes unis ont récemment mis en garde contre une décision d’annexion.
Une éventuelle décision d’annexion ne modifierait en rien – au contraire ! – notre détermination ancienne à reconnaître, le moment venu, l’État palestinien dans le cadre et le format appropriés et lorsque cette décision sera utile à la paix.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faute de pouvoir relancer dans l’immédiat un processus politique crédible de négociations, nous avons la responsabilité de tout faire pour en préserver la possibilité dans le futur. La situation est préoccupante ; nous en avons parfaitement conscience. C’est pourquoi nous agissons de manière déterminée et résolue, et non uniquement déclaratoire, afin de préserver la solution des deux États dans le cadre du droit international, seul moyen d’aboutir à la paix après des années et des années de conflictualité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d’annexion de la vallée du Jourdain par l’État d’Israël ? »