Mme la présidente. L’amendement n° 31, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3, 4, 8 à 15
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Nous souhaitons rappeler ce qui relève, d’une part, de la loi et, d’autre part, du domaine réglementaire. Votre commission des lois a adopté, s’agissant des procurations, des dispositions visant à redessiner le contour de la compétence du Gouvernement. Or le sujet est essentiellement réglementaire.
Le Gouvernement propose donc de supprimer de l’article 1er bis, relatif aux procurations, les alinéas qui relèvent du pouvoir réglementaire. Qui plus est, ces alinéas posent deux difficultés.
Premièrement, il serait contre-productif d’intégrer les préfectures au circuit des procurations.
Intégrer ce nouvel acteur dans ledit circuit aurait pour conséquence de rallonger les délais. Nous connaissons tous, au vu de notre expérience locale, le problème que pose la réception de procurations le lundi, ce qui empêche de les prendre en compte. C’est le premier fondement, en cas d’écart réduit entre les candidats, d’un recours contre l’élection, et c’est aussi l’élément que le juge de l’élection considère en premier lieu.
Il s’agit, à la fois, d’un problème de temps, de responsabilité et de mobilisation supplémentaires des services des préfectures, lesquels sont engagés sur le terrain pour régler mille autres choses. Il faut aussi avoir en tête que ce sont les magistrats et officiers de police judiciaire qui transmettent directement les procurations aux communes concernées.
Deuxièmement, lorsqu’un mandant confie son vote à un autre électeur, ce dernier est forcément informé a minima de la manière dont le mandant souhaite exprimer son suffrage ; tel est du moins, selon moi, le sens d’une procuration. Il n’est donc pas forcément nécessaire d’intégrer cette dimension d’information dans le processus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, nous avons tout de même progressé depuis la semaine dernière. Par la voix de votre secrétaire d’État, la semaine dernière, et par la vôtre aujourd’hui, le Gouvernement accepte désormais qu’il y ait deux procurations. C’est un premier pas, très important, et je vous en remercie.
Nous souhaitons cependant conserver les autres dispositions que nous avons adoptées la semaine dernière. Nous n’allons pas nous contredire en huit jours !
Ces dispositions, que vous voulez supprimer, sont tout de même importantes. Je rappelle à mes collègues qu’il s’agit, d’abord, de créer un droit pour les électeurs, en prévoyant que les autorités compétentes se déplacent pour établir une procuration au domicile. Cette mesure bénéficierait à des personnes souffrant d’une vulnérabilité physique, ou ayant été contaminées par le Covid-19, ou encore ayant été exposées au risque d’infection.
Notre texte prévoit que les électeurs peuvent saisir les autorités compétentes, les agents assermentés qui viendront à domicile, par tous moyens. Ils ne seront donc plus obligés, comme c’est le cas actuellement – et cela perdurera si nous ne changeons rien ! –, d’écrire une lettre accompagnée d’un certificat médical. Nous leur faisons confiance ! C’est un moyen d’inciter les mandants à voter par procuration, ce qui nous paraît positif.
Nous prévoyons par ailleurs, pour la sécurité des bureaux de vote, du matériel de protection. Nous avons besoin d’en passer par la loi pour prévoir que ce matériel sera payé par l’État, et non par la commune, ce qui me paraît tout de même être la moindre des choses.
Enfin, pour ce qui concerne le dépouillement, nous proposons que le président du bureau de vote fixe le nombre maximal de personnes autorisées à participer ou à assister au dépouillement, tout en prévoyant que chaque candidat ou représentant des candidats doit désigner une personne qui sera présente. Cela me paraît bien !
Je vous recommande donc, mes chers collègues, de ne pas suivre le Gouvernement, qui veut vider d’une partie de sa substance notre texte, tout en ayant fait un grand pas en avant depuis la semaine dernière. Il a sans doute été aidé en cela par l’attente qui s’est manifestée à l’Assemblée nationale, laquelle avait repris une partie de notre texte.
Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par M. Capus, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les procurations peuvent être établies au moyen de l’un des formulaires administratifs prévus à cet effet, présenté par le mandant ou le mandataire aux autorités compétentes.
La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Il est vrai que l’abstention a été très forte au premier tour, mais je pense que le second tour de ces élections doit avoir lieu le plus rapidement possible – le 28 juin est une bonne date. Les maires, dans leur très grande majorité, et tous les candidats le souhaitent aussi, afin que les nouveaux conseils municipaux disposent d’une légitimité forte.
Pour que cette légitimité existe, il faut une participation maximale. Or nous sortons d’une période de confinement extrêmement pesante, et nous serons lors du second tour à la veille des vacances scolaires qui, pour beaucoup, sont presque entamées. Il y a donc une forte probabilité de départs d’un certain nombre d’électeurs à la date du 28 juin. Par ailleurs, de nombreuses personnes âgées ne souhaitent pas se déplacer dans les bureaux de vote.
Il convient donc de favoriser les procurations. De nombreuses avancées sont prévues dans le texte, notamment grâce aux apports de la commission.
Il demeure un point de blocage, qui me semble délicat à régler : le mandant doit se déplacer au commissariat, à la brigade de gendarmerie ou au tribunal judiciaire. C’est un frein, car la personne qui souhaite donner procuration n’a pas toujours le courage, l’envie, l’opportunité ou la possibilité physique d’aller établir elle-même sa procuration.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement, qui tend à prévoir que le mandant peut faire lui-même les démarches ou demander à son mandataire, en lui donnant un pouvoir, d’établir la procuration au commissariat, à la brigade de gendarmerie ou au tribunal judiciaire.
J’entends que cela représente sans doute, pour certains – peut-être dans certaines régions plus que dans d’autres –, une source éventuelle de fraude, mais je rappelle que le faux et l’usage de faux sont sanctionnés pénalement. De nombreuses sanctions pénales extrêmement lourdes sont prévues lorsque l’on usurpe l’identité de quelqu’un ou que l’on produit un faux. Il me semble donc qu’il y a des garde-fous suffisants pour faire sauter ce dernier verrou.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous avons fait le même diagnostic et nous voulons traiter cette situation, mais nous préférons imposer à un agent assermenté le déplacement au domicile de la personne vulnérable, plutôt que permettre à un mandataire putatif de faire les démarches et d’aller ensuite au domicile du mandant. Pourquoi ? Parce qu’il semble que cette option-ci présente moins de garanties que celle-là du point de vue du risque de fraude. Je le sais bien, on doit partir d’un postulat de confiance à l’égard des Français qui vont se dévouer pour un proche ou pour un membre de leur famille, mais il n’y a pas que des gens de confiance…
C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, en vous indiquant que ce que nous avons prévu me paraît régler le problème de la sortie du domicile d’une personne âgée ou malade, puisque l’agent assermenté viendra au domicile de celle-ci, sans qu’il soit nécessaire de produire un certificat médical.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Sans vouloir rouvrir le débat sur l’amendement précédent, puisque le Gouvernement a été battu, je veux tout de même rassurer le Sénat pour le cas où vous auriez des discussions à ce sujet avec l’Assemblée nationale.
Un décret en Conseil d’État a été préparé – il sera soumis au Conseil d’État et publié avant même l’adoption du présent texte –, qui supprime, monsieur le président de la commission, la nécessité du certificat médical et qui permet d’ouvrir des lieux de recueil de procurations par les délégués en dehors des lieux habituels. Il supprime même toute mention de la cause de la procuration, spécifiquement pour ces élections ; d’habitude, vous le savez, il faut indiquer la cause en cochant une case. Nous avons donc prévu cet élargissement ; je vous le précise simplement pour vous éclairer, dans l’hypothèse où il y aurait des discussions à ce sujet.
Monsieur le sénateur Capus, je reprendrai à mon compte l’argument sur la source éventuelle de fraude que cela représente. Le fait de prévoir que le mandataire lui-même prenne en charge toute la procédure paraît risqué. Je ne sais pas à quelle région vous pensiez ; quelqu’un me prêtait tout à l’heure un lien avec Marseille, alors que je suis un élu des Alpes-de-Haute-Provence et de la charmante commune de Forcalquier. Peut-être était-ce une allusion au risque que vous évoquez… Cela dit, même à Forcalquier, pour avoir été quelquefois élu avec peu de voix, cela aurait pu être tentant à certains moments… (Sourires.)
Ainsi, je crains que, malgré les conséquences pénales de ces fraudes, que vous avez eu raison de rappeler, il soit risqué de proposer que le mandataire fasse lui-même toutes les démarches, surtout pour un second tour, dans de petites communes où le maire connaît parfaitement la situation de chacun.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Capus, l’amendement n° 10 est-il maintenu ?
M. Emmanuel Capus. J’entends les arguments du Gouvernement et de la commission. Nous avons exactement le même objectif : faire sauter ce verrou, débloquer. J’avais déposé l’amendement avant d’avoir connaissance des amendements de la commission.
C’est un maire de ma circonscription qui m’a posé cette question et qui m’a alerté sur cette difficulté. Je crois beaucoup à la confiance, à la responsabilité, et faire un faux me paraît extrêmement grave. En Maine-et-Loire, je n’imagine même pas que l’on puisse le faire ! (Sourires.) En outre, ma crainte concerne aussi la disponibilité, en ce moment, des forces de l’ordre – gendarmes, policiers – pour aller chez chacun recueillir les procurations.
Toutefois, j’entends les arguments soulevés. On n’aura sans doute pas une majorité en faveur de cet amendement, donc je le retire bien volontiers, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 10 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 30, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. J’observe que certains sénateurs, qui sentent qu’ils risquent d’être battus, retirent leurs amendements ; j’ai peur que le Gouvernement puisse retirer le sien tout de suite, mais je vais quand même le présenter pour qu’il soit soumis au vote. (Sourires.)
Il vous est demandé, au travers de cet amendement, de supprimer l’alinéa 7 de l’article 1er bis.
Je comprends parfaitement les ressorts de cette disposition, issue d’un amendement adopté en commission, qui vise à faciliter l’établissement des procurations au profit des membres de sa famille. Néanmoins, comme vous l’a indiqué Laurent Nunez, lors de la discussion d’une proposition de loi – je n’avais pas pu être présent, parce que j’étais, au même moment, à l’Assemblée nationale pour l’examen du présent texte, sans quoi j’aurais évidemment été présent aux côtés du secrétaire d’État –, nous sommes aujourd’hui confrontés à une difficulté. En effet, les outils dont nous disposons ne permettent pas, à l’heure actuelle – nous avons demandé à l’Insee si l’on était en capacité d’accélérer le processus afin d’avoir cet outil pour les procurations relatives à l’élection du 28 juin –, de contrôler que le mandataire n’est porteur que de deux procurations – si l’élargissement est adopté – et éventuellement d’une troisième pour un électeur qui serait à l’étranger.
Par conséquent, on se retrouverait dans la situation où un mandataire pourrait porter une dizaine de procurations, sans compter le fait que, si l’amendement précédent avait été adopté, il aurait pu faire lui-même les démarches. Or le maire, qui est justement chargé de vérifier qu’il n’y a pas de double, de triple ou de quadruple procuration, serait dans l’incapacité de le faire.
C’est donc simplement une raison technique qui fait que nous considérons, aujourd’hui, que cela présente un risque de fraude. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de supprimer l’alinéa 7 que vous avez introduit, en raison, je le répète, non de la philosophie du dispositif, mais des modalités de contrôle opérationnel.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre et Costes, MM. Requier, Dantec, Gabouty et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Gold, Guérini et Jeansannetas, Mme Jouve, M. Labbé, Mmes Laborde et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer les mots :
, sauf lorsqu’il dispose de la procuration de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de son concubin, d’un ascendant, d’un descendant, d’un frère ou d’une sœur
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Je présente cet amendement au nom de Nathalie Delattre.
Il est très similaire, sur le fond, à celui du Gouvernement. Il vise à supprimer les dispositions permettant qu’une procuration soit établie dans une autre commune que celle du mandant, non pour des raisons de fond, mais pour des raisons d’applicabilité, de contrôle, comme M. le ministre l’a dit, et de difficulté à éviter les fraudes au cours du scrutin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. J’entends bien ce que vous nous dites, monsieur le ministre. En matière de procurations et de vote par correspondance, on peut imposer des règles aussi exigeantes que possible, mais on s’expose toujours à un risque : l’électeur ne se déplace pas au bureau de vote, on ne vérifie pas sa carte d’identité et il ne passe pas par l’isoloir. Donc, évidemment, c’est un système moins sûr que le vote à l’urne…
Cela dit, quelle part de risque acceptons-nous ? Une part très faible. Quand il s’agit d’un membre de la famille – le fils, la fille, le frère, la sœur –, il est facile de prouver, avec une fiche familiale d’état civil et sa carte d’identité, l’existence de ce lien de parenté.
Il reste tout de même une préoccupation ; vous me dites que l’on aura du mal à vérifier si quelqu’un n’a pas dix procurations familiales. Je crois que c’est vrai, on aura du mal à le vérifier, mais je pense que cette hypothèse, que vous avez énoncée, a une probabilité très faible de survenir. En outre, il appartient tout de même aux présidents des bureaux de vote de s’assurer des choses du mieux qu’ils le pourront.
Empêcher, au nom de déviations marginales possibles, le fils d’une vieille dame de voter pour celle-ci, alors qu’il n’habite pas dans la même commune et n’y est pas électeur, me paraît là aussi excessif. Il faut trouver un bon équilibre. Je ne dis pas que notre solution est parfaite, mais je la préfère à la vôtre.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 9 rectifié ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Ceux qui étaient présents la semaine dernière comprendront mon intervention, puisque je m’étais exprimé sur ce sujet, pour le groupe CRCE.
Nous allons voter ces amendements puisque cette disposition a déjà fait l’objet d’un débat entre nous la semaine dernière. Ces deux amendements sont argumentés ; il y a une vraie difficulté pour assurer le contrôle de procurations établies en faveur d’un mandataire résidant dans une autre commune que celle du mandant. Franchement, avec les délais qui s’imposent à nous aujourd’hui, c’est infaisable ; cela me semble donc être une décision de sagesse.
Il y a un deuxième problème, évoqué dans l’objet de l’amendement gouvernemental : nous sommes, pour notre part, favorables à ce que l’on continue de territorialiser la citoyenneté. Je vous le dis, il faut continuer dans ce sens. Personne ne remet en cause la famille ni la filialité, mais nous avons une histoire extraordinaire avec nos communes et le vivre-ensemble se traduit aussi au moment du vote. Il faut garder cet élément. Il ne faut pas trouver des artifices ou d’autres chemins pour encourager la participation citoyenne. Il faut renforcer la citoyenneté et territorialiser celle-ci ; c’est important.
Dernière chose – vous me direz si je me trompe, monsieur le ministre de l’intérieur –, j’ai fait observer, la semaine dernière, que, dans ce monde où tout va bien et où l’on a tout prévu, il y avait 2 828 recours devant le juge de l’élection au 19 avril dernier, contre 1 513 en 2014. Vous voyez, il s’est passé quelque chose, quand même…
Donc, essayons de ne pas instaurer des dispositifs qui risquent, pour un deuxième tour d’élection, de provoquer une « embellie » du nombre de recours. Je ne suis pas sûr que ce soit positif. Certains recours sont tout à fait légitimes, je ne dis pas le contraire, mais on a créé une sorte d’usine à gaz, je le disais en discussion générale, qui va amener tout et son contraire, du point de vue de la défense de la démocratie.
Notre groupe votera donc pour ces amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er bis
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Kerrouche, Kanner, Sueur, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, M. Marie, Mme Guillemot, M. Gillé, Mme Blondin et MM. M. Bourquin, Daudigny, P. Joly et Tissot, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.- Après la section 3 du chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral, est insérée une section ainsi rédigée :
« Section …
« Vote par correspondance
« Art. L. …. – Lorsque l’état d’urgence sanitaire prévu à l’article L. 3131-12 du code de la santé publique est déclaré, par dérogation à l’article L. 54 du présent code, les électeurs votent soit dans les bureaux ouverts, soit par correspondance sous pli fermé, dans des conditions permettant d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du vote par correspondance. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur à partir du 2 janvier 2021.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a été préparé par notre collègue Éric Kerrouche, qui avait présenté deux amendements lors de l’examen d’une précédente proposition de loi. Il n’en a déposé qu’un, puisque le vote par correspondance, dont il est question ici, ne pourrait pas matériellement être mis en œuvre pour le 28 juin prochain.
En revanche, il propose une disposition selon laquelle ce vote serait possible à l’avenir, lorsque l’urgence sanitaire est déclarée. Ainsi, des personnes qui rechigneraient à se déplacer, compte tenu des risques, pourraient émettre leur vote par correspondance, dans des conditions sécurisées, bien entendu, pour éviter un certain nombre d’inconvénients que l’on a largement connus dans le passé. La position défendue par les auteurs de cet amendement, notamment par M. Kerrouche, est que ce dispositif ne s’appliquerait que dans une situation exceptionnelle de risque sanitaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. J’aurais vraiment été très heureux que le vote par correspondance pût être, à condition d’être très strictement encadré, appliqué au second tour des élections municipales du 28 juin prochain.
Pour cela, il fallait simplement que la proposition de loi du Sénat fasse l’objet d’une procédure accélérée, soit adoptée par l’Assemblée nationale et qu’une commission mixte paritaire soit réunie ; alors, nous aurions eu le vote par correspondance !
Le Gouvernement est cohérent, il n’en veut pas et, par conséquent, il n’a pas facilité l’adoption de ce texte sénatorial. Pourtant, nous avons eu quelque espoir parce que vous avez déclaré, le 27 mai dernier, monsieur le ministre : « C’est lourd, c’est difficile, ça implique une modification législative, mais rien n’est impossible. » Cela nous a fait plaisir de vous entendre le dire, mais, malheureusement, cette déclaration n’a pas eu de suite.
Vous avez donc eu une idée, mon cher collègue : si, plus tard, on redéclenche l’état d’urgence, alors on aura eu le temps de se préparer au vote par correspondance et, au travers de votre amendement, vous voulez que l’on ne puisse plus nous opposer notre impréparation.
Simplement, vous indiquez, dans la rédaction du dispositif, que c’est pour l’hypothèse où l’état d’urgence serait de nouveau déclaré, mais, je dois vous le rappeler, dans la loi du 23 mars dernier, nous avons décidé que cet état d’urgence ne pourrait être mis en œuvre par le Gouvernement que jusqu’au 30 mars de l’année 2021. Par conséquent, puisque nous pensons que les élections municipales vont se terminer le 28 juin prochain, le dispositif que vous proposez ne pourra pas fonctionner.
Cela ne nous dispense pas de réfléchir aux conditions d’une réhabilitation du vote par correspondance pour l’avenir.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. L’avis est défavorable, même si je ne retiens pas l’argument du président Philippe Bas, parce que l’on pourrait imaginer que la disposition prévue par l’auteur de cet amendement puisse être utilisée au moment des élections départementales et régionales qui devraient, logiquement, avoir lieu avant la fin du mois de mars 2021.
Surtout, je pense que le risque sanitaire serait le mauvais exemple d’utilisation de cette procédure, pour une raison simple. Nous avons travaillé sur cette hypothèse et, outre l’évaluation de son coût à 80 millions d’euros pour une application lors de l’élection du 28 juin, nous sommes confrontés à une difficulté de calendrier pour mettre tout cela en œuvre. Cela aurait, par exemple, impliqué que les professions de foi des candidats soient déjà remises en préfecture, parce que cela nécessite d’envoyer trois enveloppes par électeur et d’attendre le retour.
On a en outre un problème physique : pour assurer le suivi du courrier adressé à la mairie avec le bulletin de vote, il faut que l’électeur se rende au bureau de poste. Or nous nous sommes rapprochés de La Poste qui ne dispose pas de moyen dématérialisé pour envoyer une lettre recommandée ou suivie. Ainsi, le fait d’inviter quelqu’un à, non pas faire la queue – je ne voudrais pas sous-entendre qu’il arrive que l’on fasse la queue à la poste –, mais enregistrer son courrier au bureau de poste ne permet pas, d’un point de vue sanitaire, d’éviter à la personne de sortir de chez elle et d’être en contact avec d’autres personnes. Or l’objectif est d’éviter les contacts.
Ainsi, c’est principalement cet argument qui m’a conforté dans ce choix et que j’ai présenté aux responsables des partis politiques et aux associations d’élus. Du reste, nous n’avons pas senti une très forte mobilisation pour aboutir à cette procédure pour le 28 juin.
Cela dit, je rejoins volontiers le président Philippe Bas pour « réhabiliter » – je reprends vos mots – le vote par correspondance. Nous ne sommes plus en 1975, à l’époque où le législateur a décidé de supprimer cette procédure de vote. Nous pourrions parfaitement y travailler, d’un point de vue juridique et technique ; il faut en étudier les conditions.
J’ai proposé à la commission des lois de l’Assemblée nationale, au cours de l’audition à laquelle j’étais invité, de constituer un groupe de travail sur ce sujet. Je sais l’attachement du président Philippe Bas à la séparation stricte entre le législatif et l’exécutif, sauf peut-être lorsqu’il s’agit d’empiéter sur le domaine réglementaire (Sourires.), mais j’organiserai volontiers un temps de travail sur ce sujet avec les présidents de commission ou avec leurs représentants et je m’engage à mobiliser tous les moyens techniques et juridiques du ministère pour éclairer les travaux qui pourraient être conduits.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Cette proposition me semble intéressante, parce que nul ne sait ce qui se passera à l’avenir, par définition. On peut très bien se retrouver dans un cas de figure identique, qui trouble le cycle électoral, comme cela a été le cas.
En effet, rappelons les circonstances : dans son discours du 12 mars, trois jours avant le scrutin, le Président de la République a demandé explicitement aux personnes de plus de 70 ans de rester chez elles. Puis, coup de grâce, le Premier ministre a déclaré, dans son discours du 14 mars, la veille du scrutin, qu’il fallait fermer, de toute urgence, le soir même, les cafés et les restaurants.
On ne peut pas dire que les circonstances aient été favorables et que le Gouvernement ait fait preuve d’une cohérence dans les mesures qu’il a prises pour limiter les effets de l’épidémie. Cela a eu une conséquence claire, que M. Sueur n’a pas rappelée, mais qui est précisée dans l’objet de son amendement : selon le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui va étudier plus en profondeur cette situation, deux tiers des personnes de plus de 65 ans ne sont pas allés voter en raison, explicitement, du risque sanitaire.
On constate bien là les conséquences du télescopage malheureux des déclarations et leur effet de parasitage sur le vote. On devrait donc se pencher très longuement sur cette question.
Par ailleurs, monsieur le ministre, l’argument tiré des 80 millions d’euros ne pèse pas par rapport à l’enjeu, à savoir que le scrutin municipal, très important pour les Français, se déroule dans de bonnes conditions.
Enfin, les questions de calendrier, d’anticipation et de déplacement au bureau de poste ne sont pas des obstacles dirimants au point de nous interdire d’envisager, à terme, le vote par correspondance, qui permettra de remédier à toutes les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés.