compte rendu intégral
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Françoise Gatel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 28 mai 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, je voudrais faire une mise au point concernant le scrutin public n° 105 du 27 mai dernier : mon collègue Sébastien Meurant souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
4
Soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure, présentée par MM. Jean-François Husson, Vincent Segouin, Mme Catherine Dumas et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 402, texte de la commission n° 460, rapport n° 459).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette France du 2 juin 2020 qui retrouve le goût et le plaisir de la liberté, j’ai l’honneur de présenter cet après-midi à notre Haute Assemblée un texte attendu et espéré : une forme de réponse à tous les chefs d’entreprise, qui, dans l’ensemble des territoires de notre République, ont appelé les pouvoirs publics à l’aide.
La crise sanitaire que nous avons connue et que nous connaissons encore a été d’une violence inouïe, sans précédent, par l’ampleur des victimes humaines qu’elle a causées et par le choc économique qu’elle provoque. Face à la vague épidémique, les mesures prises par les pouvoirs publics ont été inédites. Jamais dans notre histoire récente nous n’avions vu un pays si brutalement mis à l’arrêt – d’ailleurs, ce n’était pas seulement le pays ; cela a concerné près de la moitié de la planète –, et l’ensemble des établissements, à l’exception de quelques-uns nécessaires à la vie quotidienne, fermés sur décision administrative.
Cet arrêt brutal de l’économie a fort logiquement entraîné des pertes importantes, voire colossales pour les entreprises, subitement privées de demande alors que l’appareil productif se redressait depuis quelques années. Nos entreprises ont fait face à un effondrement de leurs marges et à une baisse de chiffre d’affaires sans précédent, quand elles n’étaient pas tout simplement privées de chiffre d’affaires, tout en devant honorer leurs charges. Des emplois sont aujourd’hui menacés et la hausse du chômage, rendue publique la semaine passée, est un sujet de préoccupation majeure.
Face à cette situation économique, la réaction logique des entreprises a été de se tourner vers leurs assureurs, pour pouvoir, à côté des mesures de soutien de l’État, bénéficier de leurs garanties. C’est notamment la garantie dite « pertes d’exploitation » qui était recherchée, ce qui était logique au regard des réalités constatées sur le terrain. Mais la garantie pertes d’exploitation ne permet d’indemniser les entreprises que lorsqu’il y a un dommage ; elle n’est que la conséquence attachée au risque garanti.
Cela a évidemment suscité une forme d’incompréhension, voire de colère – la presse s’en est fait l’écho –, créant une polémique.
Les compagnies d’assurance ont-elles bien réagi lorsque le problème a surgi ? Personnellement – mon sentiment est, me semble-t-il, partagé –, je ne le crois pas. Le temps de réaction a été trop long et il y a eu des erreurs de communication, des formes de prudence excessive ou des conservatismes qui ont alimenté des polémiques à mes yeux souvent justifiées. Il n’aurait pas été anormal d’avoir une réactivité plus forte, plus rapide, plus puissante, en allant – c’est ce qui s’est passé plus tard – jusqu’à la responsabilité extracontractuelle. Les assureurs auraient dû manifester immédiatement de l’intérêt et de la compréhension, et expliquer comment ils seraient aux côtés des Français et des entreprises.
Fallait-il pour autant ne rien faire ? Devait-on considérer que l’État devait payer, parce que c’est lui qui, il est vrai, a pris la décision de fermer administrativement un certain nombre d’activités économiques ? Fallait-il rester les bras ballants ? Personnellement, je ne partage pas cette vision défaitiste de l’action publique.
Comme nous avons souhaité le rappeler dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi, des « obligations morales » s’imposent aux compagnies d’assurance, pour intervenir et soutenir les entreprises face à des événements exceptionnels, auxquels nous n’avions jamais été confrontés. Il y avait donc urgence à sortir de l’impasse en se hissant à la hauteur des enjeux : c’était une question de survie économique.
Cette crise a d’ailleurs permis de souligner le rôle et l’importance du politique et de la puissance publique. Nous aurions en effet manqué à nos responsabilités et, d’une certaine manière, à la confiance des Français si nous n’avions pas proposé rapidement de nouvelles solutions.
Une première réponse de court terme a été apportée par l’État, avec l’indemnisation du chômage partiel, extrêmement généreuse, et les reports de charges, bientôt transformés en annulations. Les nombreux chefs d’entreprise que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans mon département m’ont témoigné de l’importance de ces mesures pour la survie de leur activité.
Mais, nous le savons – le débat a eu lieu –, de telles mesures ont un coût particulièrement important pour nos finances publiques et il n’est pas « philosophiquement » souhaitable que la totalité des dispositifs de soutien revienne à l’État. Avec mes collègues parlementaires Catherine Dumas et Vincent Segouin, et soutenus par plus de 150 des nôtres, nous avons jugé nécessaire de faire des propositions rapidement, au plus fort de la crise, pour brosser le contour de solutions nouvelles.
Nous l’avons bien senti, le modèle sur lequel la relation entre les compagnies d’assurance et les entreprises est construite ne pouvait pas fonctionner dans le cadre d’une crise d’une telle ampleur. Nous avons donc pensé qu’il fallait innover, en partant des besoins des entreprises et en instaurant un dialogue nourri avec les assureurs.
La proposition de loi que nous vous présentons a trois objectifs : tirer les leçons du passé en instaurant un nouveau dispositif garantissant un niveau de protection équivalent pour toutes les entreprises ; définir les responsabilités respectives des assurances, de l’État et des assurés pour éviter que ne se reproduisent les querelles actuelles ; présenter un partenariat nouveau et original associant l’État et les assureurs pour assurer conjointement et solidairement dans les faits la protection de nos entreprises contre les événements sanitaires exceptionnels.
En quelque sorte, nous avons cherché à créer un « paratonnerre économique » reposant sur la responsabilité partagée entre l’État et les assureurs.
Quatre principes fondent ce nouveau dispositif.
Premièrement, les assurances couvriront obligatoirement toutes les entreprises contre les événements sanitaires exceptionnels dès lors que ces dernières auront souscrit une assurance contre les garanties dommages. Je crois personnellement que la notion d’obligation est essentielle pour que la solidarité fonctionne ; d’ailleurs, les acteurs économiques de mon département n’ont pas manqué de le rappeler. Sans dimension obligatoire, il y a le risque d’une insuffisance de l’assiette des cotisants. Celles qui pourraient se permettre de s’en passer ne seraient plus dans la communauté d’intérêts des acteurs économiques.
Deuxièmement, le financement du risque est assuré par une cotisation additionnelle au contrat, qui permettrait de constituer des provisions pour les assurances. Elle viendrait abonder un fonds d’État, instaurant une forme de solidarité entre les assurances pour l’indemnisation des entreprises touchées. Notre proposition de loi prévoit pour ce fonds un abondement annuel minimal de 500 millions d’euros.
Troisièmement, l’indemnisation des entreprises est possible dès lors que les mesures prises pour lutter contre une crise sanitaire entraînent des pertes de chiffre d’affaires d’au moins 50 %.
Quatrièmement, pour indemniser les entreprises victimes de la crise, les assurances seraient aidées par le fonds d’État au prorata des indemnités à verser.
Nous avons aussi souhaité insérer des garde-fous.
D’abord, la garantie est réservée aux entreprises les plus en difficulté, avec une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 %.
Ensuite, l’indemnisation ne couvrirait que les charges fixes d’exploitation, l’État prenant à sa charge le chômage partiel. Les impôts et taxes en seraient aussi exclus.
En outre, l’indemnisation sera versée dans les trente jours.
Enfin, nous souhaitons confier à la Caisse centrale de réassurance la charge de gérer le fonds d’État. Instruits par d’autres expériences, nous voulons éviter que l’État ne vienne siphonner ce fonds quand il en ressentira l’envie ou le besoin. Nous souhaitons que les crédits du fonds soient en totalité dédiés à la couverture du risque pour lequel il est institué.
La proposition de loi, qui n’a pas vocation à tout régler, a été déposée le 16 avril, c’est-à-dire avant même que le Gouvernement ne mette en place son groupe de travail sur les risques exceptionnels. Elle vise à poser les fondations. C’est en quelque sorte la préfiguration des grands principes que le Sénat entend établir pour le nouveau dispositif, répondant à une attente forte des entreprises, quelle que soit leur taille ; PME, entreprises de taille moyenne (ETI), grandes entreprises, indépendants, agriculteurs… tout le monde est dans l’attente. Nous avons un rendez-vous à honorer avec les Français.
C’est peut-être la première pierre du grand plan de résilience que la France doit engager avec ses acteurs économiques. Nous n’avons pas le droit de les décevoir. Avec fierté, vigilance et humilité, nous devons donner le meilleur de nous-mêmes pour que ces principes fondateurs recueillent l’assentiment de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Nougein, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, la présente proposition de loi est au cœur d’une actualité brûlante qui fait la une de nos journaux depuis le début de la crise sanitaire. Dès les premières mesures de confinement et de fermeture des lieux publics, la question de la mobilisation des assureurs pour soutenir nos entreprises a déchaîné les passions.
En dépit des engagements pris par le secteur assurantiel, le constat réalisé au début de la crise a été sans appel : les assureurs ne sont pas au rendez-vous. Certes, cette absence s’explique par le caractère difficilement prévisible et « systémique » de l’épidémie, qui en fait un risque inassurable.
Néanmoins, par le passé, le législateur est déjà intervenu pour remédier aux lacunes des garanties offertes par les assurances. Ainsi, en 1982, après les terribles inondations de 1981, la loi a défini un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. C’est pourquoi il nous revient aujourd’hui d’être force de proposition pour répondre aux attentes de nos entreprises, qui se tournent vers l’État mais aussi vers les assureurs, afin de traverser ces moments difficiles.
Aujourd’hui, alors que la crise sanitaire laisse la place à une crise économique profonde et durable, l’examen de cette proposition de loi nous permet de poser les jalons d’une future couverture assurantielle. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a instauré un groupe de travail associant l’État, la Fédération française de l’assurance (FFA), les entreprises, des parlementaires, dont notre collègue Jean-François Husson, pour mener une réflexion sur le sujet.
Avant d’aborder le contenu de la proposition de loi, je tiens tout d’abord à saluer le travail effectué par Jean-François Husson et les coauteurs, qui, en quelques semaines seulement, sont parvenus à élaborer un dispositif complet, nous permettant d’avoir un débat riche aujourd’hui.
La tâche était particulièrement ardue ; les auditions que j’ai menées ont souligné à quel point la conciliation des intérêts de chacun constituait un véritable « château de cartes ». Pour les entreprises, l’enjeu est évidemment de garantir une couverture juste, tout en contenant le montant de la prime. Pour les assureurs, il s’agit de délimiter le dispositif, afin de pouvoir absorber le montant des indemnisations à verser. Pour l’État, l’objectif est de protéger le tissu économique, de préserver la stabilité du secteur assurantiel et de limiter le coût pour les finances publiques.
Pour parvenir à une solution équilibrée, les paramètres à définir sont très nombreux : le fait déclencheur, le champ de l’indemnisation, le périmètre des entreprises bénéficiaires, le montant des primes, le mode de déclaration et de versement de l’indemnisation, la présence d’une franchise, les conditions de mobilisation du fonds et son abondement, ainsi que les conditions de réassurance publique. Chacun de ces facteurs modifie l’équilibre financier du dispositif. Ce n’est pas très simple…
L’appréciation budgétaire de ce mécanisme, en particulier de son coût pour les entreprises, est d’autant plus difficile que le groupe de travail constitué par le ministère commencerait tout juste à réaliser de premières projections financières. Cette absence de recul nous encourage aujourd’hui à une certaine prudence dans la construction de notre jugement.
En tant que rapporteur, j’ai souhaité examiner ces dispositions avec un triple objectif : préparer l’avenir pour éviter les divergences auxquelles nous avons pu assister entre les assureurs ; sécuriser nos entreprises en leur permettant de passer un cap de trésorerie difficile ; garantir un partage équilibré des responsabilités et des coûts entre les assurés, les assureurs et la solidarité nationale.
J’en viens désormais à l’examen des cinq articles de la proposition de loi.
Le premier article prévoyait initialement l’indemnisation des pertes d’exploitation consécutives à l’application de mesures administratives en cas de crise sanitaire. Cette assurance prend la forme d’une garantie obligatoire des contrats d’assurance contre les dommages d’incendie souscrits par les entreprises, ce qui permet une large couverture des assurés et une simplification. Cette garantie est couverte par une cotisation additionnelle.
Le dispositif proposé est très protecteur, à double titre. D’une part, l’ensemble des entreprises sont concernées, sans distinction de statut juridique, de taille ou de chiffres d’affaires. D’autre part, les entreprises bénéficiaires sont à la fois celles dont les pertes d’exploitation résultent directement des mesures administratives en vigueur, comme les restaurants, avec la fermeture des lieux de confinement, et celles dont les pertes sont indirectes. Les fermetures administratives ont concerné les restaurants, pas les hôtels : mais celles des premiers ont entraîné inévitablement, surtout à Paris, celles des seconds.
Toutefois, les travaux que j’ai menés ont souligné plusieurs pistes d’amélioration, qui ont fait l’objet d’amendements adoptés par la commission des finances.
La principale porte sur la notion même de pertes d’exploitation. En effet, il m’a semblé que la philosophie du dispositif était davantage de sauvegarder temporairement une entreprise pour lui permettre de passer ce cap difficile, en la soulageant de ses charges fixes, plutôt que de tout indemniser, y compris les bénéfices qui auraient pu être réalisés en l’absence de mesures extraordinaires. Cela réduit évidemment les indemnités, mais également le coût de la prime.
L’indemnisation des pertes d’exploitation serait colossale en cas de crise systémique comme celle de la Covid-19, ce qui serait de nature à renchérir le coût de la prime pour les entreprises. C’est pourquoi la commission a adopté un amendement visant à indemniser les charges fixes de l’entreprise, plutôt que ses pertes d’exploitation, dès lors qu’elle subit une baisse de chiffre d’affaires, ou d’activité, d’au moins 50 %.
La commission a également adopté deux autres amendements visant à rendre le dispositif efficace pour les entreprises, en permettant un versement rapide à l’entreprise et en encadrant par voie réglementaire le montant de la prime. Elle a aussi précisé le champ des mesures administratives permettant de déclencher cette garantie.
L’article 2 crée un fonds alimenté par un prélèvement obligatoire acquitté par les assureurs et assis sur les primes des contrats d’assurance de biens professionnels. Ce fonds contribue à l’indemnisation des charges fixes.
La commission a adopté un amendement tendant à préciser la vocation de ce fonds. Ainsi, ses ressources ne sont décaissées que dans le cas de crise sanitaire grave. Pour les menaces ou risques sanitaires d’une ampleur contenue, il peut être considéré que les assureurs mutualisent les primes reçues et indemnisent les entreprises sans faire appel au fonds. En d’autres termes, ils font leur métier.
Il s’agit de poser une double exigence envers les assureurs, en leur demandant d’assurer un risque financé par des cotisations additionnelles et, en plus, de participer à un fonds servant de « réserve de précaution » pour les crises sanitaires majeures.
Cette configuration présente un double intérêt. D’une part, elle permet de pérenniser les ressources du fonds, car, s’il avait été sollicité pour l’indemnisation du moindre sinistre, ses ressources disponibles n’auraient pas permis de faire face à une crise d’ampleur nationale, en particulier si son financement ne repose que sur les assureurs. D’autre part, ce schéma permet de garantir une forme de « ticket assureurs », c’est-à-dire qu’il leur revient d’assumer une part du risque. En effet, si les assureurs avaient seulement perçu des primes pour les verser au fonds, leur rôle aurait été réduit à celui d’un « collecteur ».
Ce dispositif à plusieurs vitesses est renforcé par le mécanisme de réassurance publique prévu à l’article 3. Si les assureurs ne peuvent faire face au montant des indemnisations à verser, la Caisse centrale de réassurance peut jouer son rôle de réassureur. Elle bénéficie de la garantie de l’État, permettant à ce dernier d’intervenir en tout dernier ressort si besoin.
Mes chers collègues, comme je l’ai indiqué lors de l’examen en commission, je ne puis que souscrire aux objectifs de cette proposition de loi ; je l’avais d’ailleurs moi-même cosignée. Elle nous donne aujourd’hui l’occasion de nous prononcer en faveur d’une première « architecture assurantielle » et de déterminer les responsabilités de chacun dans la mise en œuvre de ce « paratonnerre économique », pour reprendre la formule des auteurs du texte. Nous avons souhaité jeter les bases d’un schéma de partage des risques entre les entreprises, l’État et le secteur assurantiel.
Nous devons néanmoins garder à l’esprit que le mécanisme a vocation à évoluer au cours de la navette. Il devrait également pouvoir être enrichi à mesure que les services de l’État mais aussi les entreprises du secteur assurantiel parviennent à modéliser plusieurs scénarios et à évaluer le coût de cette nouvelle garantie pour les entreprises.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’épidémie que nous traversons est un événement qui n’a pas d’exemple dans notre histoire récente. Ses conséquences économiques sont encore difficiles à chiffrer précisément, mais nous sommes certains d’une chose : elles sont massives.
Ce que nous montre cette crise, c’est que les solutions traditionnelles ne fonctionnent pas et qu’il faut en inventer de nouvelles.
Ce que nous montre cette crise, c’est qu’il nous faut être « solidaires, fraternels, unis, concitoyens d’un pays qui fait face », comme nous y incitait le Président de la République le 13 avril dernier.
Parce que de telles crises pourront se reproduire à l’avenir, il est nécessaire de créer un régime de type assurantiel destiné à intervenir en cas de future catastrophe sanitaire majeure. Bruno Le Maire et moi-même nous y étions engagés à la fin du mois de mars. Dès le mois d’avril, sous l’égide du ministère de l’économie et des finances, nous avons installé un groupe de travail qui rassemble toutes les parties prenantes, afin de rendre concrète l’idée d’un régime assurantiel spécifique. Je tiens d’ailleurs à remercier les élus, dont les sénateurs Jean-François Husson et Michel Raison, qui participent activement à ce groupe de travail sur l’assurance des risques exceptionnels. Les échanges sont riches en contenu, constructifs dans l’esprit et transparents dans la forme.
Déjà quatre séances ont eu lieu ; elles ont permis de s’interroger sur les principaux paramètres d’un futur dispositif de couverture des risques exceptionnels destiné aux entreprises : la typologie de dispositif et de contrat, le champ des périls à couvrir, la délimitation des événements déclencheurs, les modalités d’indemnisation, les schémas de partage des risques.
Plusieurs options sont à l’étude sur chacun de ces thèmes, et le travail se poursuit.
Un thème fait néanmoins l’unanimité. Les enjeux financiers associés aux risques à couvrir sont colossaux et nécessiteront de trouver des solutions de remplacement à une solution assurantielle habituelle, à moins d’imposer à nos entreprises une charge qui serait démesurée.
En effet, selon des estimations préliminaires, la Fédération française de l’assurance évalue à 120 milliards d’euros le coût théorique des pertes d’exploitation pour une durée de confinement de deux mois, ou environ 50 milliards d’euros hors salaires et bénéfices.
Cette somme est à rapporter aux primes annuelles d’assurance dommages aux biens professionnels collectées, qui s’élèvent à environ 4,5 milliards d’euros. Je crois que la différence parle d’elle-même. Or ce sont ces primes qui permettent de provisionner un risque futur.
De plus, un dispositif associé à une surprime de 12 %, à l’image du régime des catastrophes naturelles, permettrait de récolter annuellement environ 540 millions d’euros de surprimes annuelles, ce qui correspond à peu près au montant de toutes les primes des contrats pertes d’exploitation en France, de l’ordre de 600 millions d’euros aujourd’hui.
Il faudrait donc une période de cotisation de plusieurs décennies pour permettre d’indemniser les effets d’une crise comparable au Covid-19.
Si nous voulons construire le « paratonnerre économique » – je reprends les termes de M. Husson – dont la France a besoin, nous devons donc poursuivre les travaux et trouver ce mécanisme supplémentaire au mécanisme assurantiel classique.
Nous avançons vite : sur la base des discussions qui seront finalisées dans les prochains jours, le groupe de travail rendra ses conclusions à la mi-juin. Il proposera un nombre réduit de scénarios, qui feront ensuite l’objet de plus larges consultations avec toutes les parties prenantes durant l’été. Cela permettra d’aboutir d’ici à la rentrée à un dispositif opérationnel pouvant répondre aux attentes de nos concitoyens.
Je remercie le sénateur Jean-François Husson de cette proposition de loi. C’est une manière de prendre date. Cela pourra constituer la première pierre d’un édifice qui devra être consolidé dans les prochaines semaines. Je souhaite en effet que nous trouvions une traduction législative définitive dans le courant de cette année pour ce mécanisme assurantiel de protection des entreprises face à des crises majeures.
Pour bien faire, il nous reste à finaliser les consultations techniques auprès de toutes les parties prenantes sur la base des scénarios dessinés par le groupe de travail avant que la représentation nationale ne poursuive ses travaux.
Si la présente proposition de loi met en avant des principes auxquels nous souscrivons et qui répondent aux attentes des élus, comme la simplicité, l’accessibilité et l’indemnisation rapide, je n’aurai pas la présomption de dire que nous disposons aujourd’hui de tous les éléments pour cristalliser les contours exacts et précis du dispositif.
Je suis certaine que le groupe de travail saura proposer une ou plusieurs solutions d’assurance offrant une indemnisation satisfaisante aux entreprises pour un coût acceptable tant pour les entreprises assurées que pour l’État.
Le dialogue et le travail vont donc se poursuivre. Notre débat aujourd’hui en est une étape importante. Je sais que nous pouvons compter sur l’entière coopération des élus durant cette période, afin de trouver ensemble un dispositif pertinent, utile et durable. Il y va de la résilience à venir de nos entreprises et de notre capacité à résister collectivement aux chocs futurs. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réjouissons que le déconfinement soit engagé. Concomitamment, le temps nous semble en effet venu de tirer les leçons de cette crise et de commencer à construire les dispositifs nécessaires pour l’avenir.
En cas de nouvelle pandémie, nous devrons être prêts à aider et accompagner plus encore les entreprises et leurs salariés, prêts aussi à éviter différents écueils, notamment ces débats incessants sur la participation des assureurs. De fait, ces derniers ont participé, d’abord un tout petit peu, puis, sous la pression, de plus en plus.
Nous nous réjouissons donc de voir examiner par la Haute Assemblée une proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure.
Quand la majorité sénatoriale, lors du budget rectificatif, n’a pas adopté les amendements du groupe socialiste visant à instituer une contribution exceptionnelle des assureurs affectée au Fonds de solidarité, à hauteur de la totalité des sommes économisées du fait de la diminution importante des sinistres, nous nous sommes dit qu’un texte plus global, incluant cette ambition contributive, était sans doute en préparation, un peu à l’image de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 7 avril dernier par nos collègues députés socialistes, ou de celles de nos collègues Olivier Jacquin et Roland Courteau, qui, cumulées, visent à la fois le court terme, via une contribution exceptionnelle des assureurs, et le moyen terme, avec une garantie « pertes d’exploitation » étendue dans les futurs contrats à un nouveau risque de catastrophe sanitaire.
Malheureusement, nous restons quelque peu sur notre faim. Ce texte se limite en effet à la création d’un nouveau risque, ce qui est positif, et à celle d’un fonds pour le garantir. Ce fonds, garanti par l’État, serait toutefois exclusivement financé par les cotisations des assurés. C’est là que le bât blesse.
Le dispositif de l’article 2 du texte ne s’appuie que sur la solidarité entre les entreprises, au moyen d’une cotisation additionnelle. Il ne faudrait pas qu’une telle mesure entraîne un renchérissement du coût des assurances, supporté par les plus faibles.
Nous attendons toujours la solidarité des assureurs eux-mêmes et leur participation à ce fonds, à la hauteur de leurs capacités financières et des dividendes qu’ils partagent régulièrement.
Depuis le début de la crise, la question de l’engagement des assureurs s’est posée à de multiples reprises dans le débat public. Certes, ne le nions pas, ils ont fini par participer, à hauteur de 3,2 milliards d’euros, si l’on additionne toutes les mesures prises. Mais il a fallu pour cela que les mutuelles donnent l’exemple, et surtout que l’opinion publique exerce une très forte pression.
Tirer les leçons de cette crise, c’est aussi, selon nous, ne plus attendre la pression des opinions publiques et les demandes des élus. Il faut faire en sorte que les contributions des assureurs soient immédiates et organisées. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il est pour nous extrêmement important de parvenir à une solution équilibrée et conforme à notre conception du monde d’après.
Apprenons de cette crise, ne nous plaçons pas dans une situation où nous devrons de nouveau exhorter les assurances à la solidarité, créons le risque pour qu’il soit couvert à l’avenir et pour que nos entreprises, grandes comme petites, sachent qu’elles pourront affronter les futures crises avec davantage de sécurité.
La création de ce nouveau risque nous semble éminemment positive. Comme je le rappelais, nous soutenons les propositions de loi de David Habib à l’Assemblée nationale et de Roland Courteau au Sénat.
Nous interrogeons toutefois l’équilibre global de la présente proposition de loi, sur laquelle, sans préjuger des débats à venir, nous nous abstiendrons très vraisemblablement.