M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je crains, monsieur le président Bas, de ne pas pouvoir être beaucoup plus précis que je ne l’ai été, ce matin, en commission des lois.
Jusqu’ici, l’application n’a rien coûté, mis à part les salaires, pris sur le budget de l’État, des quelques dizaines de chercheurs et de fonctionnaires ayant travaillé dessus. Les entreprises françaises que j’ai eu l’occasion de citer et les autres – au total, plus de 100 personnes sont intervenues sur le projet – ont travaillé gracieusement, et je profite de cette intervention pour les en remercier. Point important à souligner, elles n’ont pas non plus de propriété intellectuelle sur l’application.
À partir de la semaine prochaine, nous entrons dans une autre phase, puisque nous passons du développement au fonctionnement normal.
Je ne suis pas capable de répondre précisément à la question du coût de ce fonctionnement, car les négociations avec les entreprises concernées ne sont pas achevées. Mais je puis néanmoins vous rassurer sur le montant global de l’opération : comme je l’ai indiqué, nous parlons de quelques centaines de milliers d’euros, au maximum, par mois. C’est donc extrêmement limité.
Je faisais remarquer ce matin – au sénateur Loïc Hervé, me semble-t-il – que j’aurais pu éluder la question en disant que la santé n’a pas de prix…
M. Loïc Hervé. « Quoi qu’il en coûte ! »
M. Cédric O, secrétaire d’État. Oui, quoi qu’il en coûte ! Mais, si l’on pousse l’intérêt pour cette question jusqu’à chercher à évaluer le rapport coût-efficacité du dispositif, je crois que ce rapport est largement positif au regard du coût des séjours en réanimation évités par l’application. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Corinne Féret. Pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement a décidé de mettre en place un système de traçage des contacts des malades, à l’aide d’une application mobile et, de par sa nature, forcément intrusive dans la vie privée.
Je regrette que l’urgence que nous ressentons tous, collectivement, face à la crise sanitaire actuelle fasse oublier que le numérique doit être au service de chaque citoyen, qu’il ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité de lancer l’application StopCovid, alors même que nous connaissons un début de baisse épidémique et que nous ne pratiquons toujours pas une politique massive de tests. Et c’est sans compter que les Français les plus affectés, les plus fragiles, en l’espèce les plus âgés, sont aussi les moins sensibilisés aux nouvelles technologies et aux applications téléchargeables sur téléphone portable.
De plus, alors que 77 % des Français possèdent un smartphone, il faudrait que plus de 80 % de la population utilisent l’application pour qu’elle soit efficace. Vous reconnaissez vous-même, monsieur le secrétaire d’État, qu’il y a une incertitude technologique à cet égard.
Dans ces conditions, il serait préférable d’admettre que l’application StopCovid présente un intérêt limité dans la lutte contre le Covid-19 et, surtout, qu’elle porte une atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés des citoyens.
Je souhaite aussi insister sur la situation particulière des mineurs équipés de smartphone, qui pourront, demain, télécharger l’application. Comme le rappelle la CNIL dans son avis rendu hier, il conviendra de veiller au contenu de l’information diffusée et de s’assurer que StopCovid soit utilisée à bon escient et que le message d’alerte susceptible d’être adressé à ces adolescents soit adapté et bien interprété.
Ma question est donc la suivante : monsieur le secrétaire d’État, avez-vous prévu que soient intégrés, dans l’information fournie aux utilisateurs, des développements spécifiques, à la fois pour les mineurs adolescents et pour leurs parents ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Effectivement, la CNIL nous a demandé d’intégrer une information aux mineurs, et cela même si, sur un plan juridique, aucune base légale ne nous oblige à le faire.
Par conséquent, au moment de l’initialisation de l’application, apparaîtra une fenêtre concernant les conditions générales d’utilisation, qui seront assez simples, et il sera spécifié, dans ces dernières, la nécessité d’une autorisation parentale pour une utilisation par une personne mineure.
Nous ne pouvons pas aller plus loin que l’information, pour une raison simple : comme nous ne sollicitons aucune information concernant la personne, nous ne pouvons pas vérifier son âge. La CNIL, avec laquelle nous avons discuté, a jugé cette approche équilibrée et nous a donc seulement demandé d’informer, ce que nous ferons.
Je profite également de cette réponse pour rebondir sur le thème de la fracture numérique – c’est un sujet d’importance.
D’une part, ce n’est pas parce que certaines populations n’ont pas accès à l’application à ce jour – seulement environ 40 % des plus de 70 ans possèdent un smartphone – qu’elles ne seront pas protégées. Les brigades sanitaires vous protègent, sans préjudice de savoir si vous avez l’application ou pas !
D’autre part, la population que nous visons prioritairement est celle des urbains actifs, qui se déplacent en transport en commun, qui vont dans les bars et les restaurants, qui se rendent dans les supermarchés à des heures de forte affluence. Le virus est très dangereux pour les personnes âgées, mais, d’après les travaux épidémiologiques, et on peut facilement le comprendre, ce ne sont pas elles qui font circuler le virus : ce sont les urbains actifs dont je viens de parler.
Nous cherchons donc à couvrir en priorité cette catégorie de personnes, tout en faisant en sorte, à terme, de protéger toute la population. C’est pourquoi nous travaillons pour disposer, à l’horizon de cet été, je l’espère, d’un objet connecté pouvant être distribué ou acquis par nos concitoyens non équipés de smartphone, afin qu’ils ne se retrouvent pas sans solution.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Au détour de la dramatique crise sanitaire du Covid-19, le numérique entre à grands pas dans le monde de la santé.
En particulier, le projet d’une application de traçage des personnes touchées par le virus a suscité de nombreuses réflexions et discussions publiques. Le Gouvernement a finalement décidé de lancer l’outil StopCovid, dont nous parlons ce soir, pour compléter sa politique de lutte contre la propagation de l’épidémie.
Je ne reviendrai pas sur la question de la protection des données, si ce n’est pour rappeler que mon groupe, comme l’a précédemment souligné Françoise Laborde, est bien entendu attaché au respect des libertés individuelles et qu’il prend acte des dernières recommandations de la CNIL, en particulier sur les précautions à renforcer autour du volet concernant les destinataires et les accédants aux données de l’application.
Dans le cadre de ce débat, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous poser, au nom d’Yvon Collin, une question d’ordre technique.
La France a choisi le protocole Robert ; les groupes Apple et Google développent également leurs propres applications, qu’ils considèrent comme étant plus respectueuses de la vie privée que les applications existantes.
Je ne jugerai pas le choix de l’application Robert. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de l’initiative européenne Pan European Privacy-Preserving Proximity Tracing ; c’est donc une bonne chose, d’autant que l’on peut comprendre, et même partager, l’enjeu de souveraineté qui se noue autour de cet outil de traçage.
Néanmoins, Apple ne permettant pas l’accès au Bluetooth en continu en arrière-plan d’une application, l’outil StopCovid ne pourrait pas, semble-t-il, être utilisé sur un iPhone. Il pourrait donc être installé sur peu de téléphones. Or nous savons que l’efficacité d’une application de traçage repose sur son adoption par un nombre critique de nos concitoyens – idéalement au moins 20 % d’entre eux.
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, quelle est votre cible d’utilisateurs ? Par ailleurs, quel impact aura l’application, si elle reste ouverte à l’arrière-plan, sur la batterie du téléphone ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. La question que vous posez, monsieur le sénateur Requier, a été au cœur des tests réalisés au cours des deux dernières semaines. Pour rappel, nous avons testé les 100 portables les plus utilisés par les Français, de 17 marques différentes.
Effectivement, une des complexités à laquelle nous nous heurtions était de faire en sorte que l’application, une fois en arrière-plan sur l’iPhone, ne soit pas éteinte automatiquement.
La solution technique que nous avons trouvée – la même que celle que les Anglais utilisent – est la suivante : quand vous aurez votre iPhone dans la poche et qu’il s’éteindra graduellement, le fait de croiser une personne ayant un Android le réveillera. Je rappelle que la part de marché des iPhone est légèrement inférieure à 20 %, quand celle des Android dépasse 80 % ; vous croiserez donc très régulièrement des gens ayant un Android.
C’est un moyen détourné, qui n’est pas totalement satisfaisant ni ne fonctionne à tous les coups. Mais les tests des derniers jours ont pu montrer, d’une part, qu’il n’y avait pas d’effet dirimant sur la batterie – on constate une petite hausse de la consommation, de l’ordre de quelques pour cent, donc sans que cela vide la batterie du téléphone –, et, d’autre part, que ce mécanisme de contournement fonctionnait bien néanmoins. Pour vous donner une idée globale, nous sommes aujourd’hui en mesure de dire que nous captons entre 75 % et 80 % des gens que nous devons capter.
Évidemment, nous ne pouvons nous en satisfaire et nous allons continuer à améliorer le protocole. D’ailleurs, nous travaillons au niveau européen sur cette question du Bluetooth, avec les Allemands et les Anglais, ainsi qu’avec certains acteurs américains, qui, semble-t-il, ne sont pas forcément si avancés que cela sur le sujet. En tout cas, ils ne le sont pas forcément plus que nous !
Toutefois, nous avons considéré qu’avec 75 % à 80 % de personnes captées, que ce soit dans le métro, à l’air libre ou dans un supermarché, le dispositif était suffisamment solide.
D’ailleurs, nous en avons tiré une conséquence qui n’est pas sans importance : une personne notifiée pourra prendre contact avec son médecin et avoir accès à un test et un arrêt de travail. Si nous acceptons une telle conséquence, c’est bien que nous avons confiance dans la solidité et la fiabilité du système informatique.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez voulu faire de StopCovid un projet français, piloté par l’Inria et avec l’appui de nombreux industriels qui s’investissent dans notre pays. Vous avez fait le choix de recourir à notre savoir-faire national pour le mettre au service de l’intérêt général et du progrès humain, dans un domaine où l’on excelle souvent trop discrètement. Vous avez parlé de panache… Ma moustache en a frémi ! (Sourires.)
À ce jour, les tests ont été menés sur les 100 références de téléphone les plus utilisées par les Français, de 17 marques différentes. Les tests ont démontré que l’application fonctionnait de manière très satisfaisante sur l’ensemble des modèles du parc de référence.
Pour autant, près de 23 % des Français ne disposent pas de smartphone ou ne sont pas à l’aise avec le numérique. Or, le virus n’a pas de frontière et touche toutes les classes sociales. Ce public, dont il n’est pas imaginable qu’il puisse être exclu du processus, désire souvent être acteur dans le combat contre le Covid-19.
C’est pourquoi de nombreuses entreprises françaises se sont investies dans la recherche et le développement de produits innovants, pouvant répondre à cette attente. Je pourrai par exemple citer Sigfox, une société toulousaine spécialiste des réseaux de télécommunication bas débit, qui travaille à un prototype de bracelet connecté indépendant de Google et d’Apple.
La France, comme d’autres pays, d’ailleurs, ne ferme pas la porte à la solution du bracelet connecté pour des tiers dépourvus de smartphone, à l’instar des personnes âgées, bien sûr, ou des personnes modestes. Le Gouvernement doit pouvoir proposer des solutions à ces publics, pour qu’ils soient eux aussi en mesure, sur la base du volontariat, de compléter l’action des médecins et de l’assurance maladie.
Monsieur le secrétaire d’État, à ce jour, l’option d’un bracelet connecté est-elle toujours envisagée ? D’autres choix de ce type sont-ils à l’étude pour favoriser la participation bénévole de ces Français, éloignés des objets connectés ? Si oui, l’État entend-il contribuer à la distribution de ces outils ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je crois avoir commencé à répondre à cette question, mais je souhaite ajouter quelques éléments d’information.
Tout d’abord, nous avons fait travailler sur cette application, depuis plusieurs semaines, des spécialistes de l’inclusion numérique et de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap. L’application sera donc simple – je crains même qu’elle ne déçoive ceux d’entre vous qui accepteraient de la télécharger, du fait de sa grande simplicité –, mais, du coup, elle est très compréhensible. Elle est, par ailleurs, accessible aux personnes en situation de handicap, ce qui me semble extrêmement important.
Ensuite, au-delà des éléments que j’évoquais précédemment, nous allons tout faire pour encourager l’adoption de cette application par les populations que nous avons plus de mal à contacter. Nous souhaitons ainsi travailler avec les associations de collectivités territoriales – nous avons d’ailleurs commencé à le faire avec certaines d’entre elles. Je m’entretiendrai demain, par visioconférence, avec les associations caritatives, car nous tenons aussi à pouvoir protéger les populations dont elles s’occupent.
S’agissant de l’objet connecté que vous évoquez, monsieur le sénateur Lévrier, il est développé par une société française, Withings. Nous travaillons avec elle sur la création d’une montre, cet objet présentant l’intérêt de ne pas pouvoir être perdu dans diverses circonstances, y compris par les personnes âgées.
Les premiers tests sont bons. Ils montrent que nous réussissons à incorporer le protocole Robert dans la montre. Reste un certain nombre de questions s’agissant du déploiement ou de l’industrialisation massive, si jamais nous devions le faire.
Il faudra aussi que nous discutions avec les collectivités territoriales et avec vous, parlementaires, des efforts que nous sommes prêts à faire pour protéger les Français, sachant que le coût devrait avoisiner les 50 euros par objet.
Toutes ces questions sont encore devant nous et donneront lieu, j’imagine, à des discussions nourries.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Je tiens tout d’abord à remercier toutes celles et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet : les rapporteurs, mais aussi les orateurs, qui nous ont parfaitement expliqué les enjeux du débat.
Après avoir écouté les uns les autres, ce n’est pas tant le danger de l’application StopCovid qui m’inquiète le plus ; c’est son efficacité ! Il faut considérer cette application à sa juste mesure. Il serait paradoxal, à mon sens, d’être plus exigeant en termes de données personnelles avec StopCovid qu’avec les Gafam.
J’entends bien sûr les réactions des uns et des autres – nous sommes peut-être même, ici, au cœur d’un débat portant plus sur l’équilibre à trouver entre protections collectives et libertés publiques que sur la lutte contre le Covid-19.
Toutefois, mes chers collègues, même si certains indicateurs peuvent sembler rassurants, la maladie rôde toujours ! Elle menace encore les plus fragiles, ceux d’entre nous qui risquent leur vie. Rappelons que nous ne disposons, pour l’heure, ni d’un vaccin ni d’un traitement, et nous n’avons pas non plus l’assurance d’en disposer très prochainement.
Faudrait-il rester passifs et ne compter que sur le confinement, avec son cortège de drames économiques et sociaux, pour lutter contre la maladie ou son éventuel retour ? Je m’étais exprimé en ce sens lors du débat sur les brigades anti-Covid. Je persiste et signe : nous n’avons pas d’autres moyens de lutter contre la maladie que de tester, tracer et isoler. Si l’application StopCovid y participe, tant mieux !
Soyons clairs, le recours à la technologie n’est pas, par essence, liberticide. C’est l’usage que l’on en fait qui l’est ! Ce qui tue, c’est le bras, non l’épée ! En tant que parlementaires, nous devrons donc être vigilants sur ce point.
En attendant, notre devoir est de tout faire pour protéger les populations et relancer l’activité de notre pays.
Ma question est double, monsieur le secrétaire d’État. Quels moyens allez-vous consacrer pour promouvoir l’application et atteindre l’objectif de 56 % à 60 % d’usage que vous avez fixé ? D’autres pays, notamment en Europe, sont-ils susceptibles de faire le même choix que nous, le choix de la souveraineté numérique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. J’ai peur de vous décevoir, monsieur le sénateur Henno, mais je n’espère pas atteindre 56 % de la population couverte. Je n’y crois pas, pour tout dire ! Je n’ai pas eu l’occasion de vérifier ce point, mais il me semble qu’une seule application est possédée par plus de 60 % de la population française. Une seule ! Mon objectif n’est certainement pas d’atteindre ce niveau.
Par ailleurs, une couverture de 60 % de la population française n’aurait pas beaucoup de sens, puisque nous réfléchissons en termes de bassin de vie. Donc, si une ville est couverte, c’est une très bonne chose. Or – je ne reviens pas sur la question des urbains actifs, qui ont le meilleur taux d’équipement en smartphone –, c’est cela que nous ciblons.
Encore une fois, les travaux épidémiologiques, dont la dernière livraison, en provenance de l’université d’Oxford et de l’Imperial College, date d’hier, montrent que, dès les premiers téléchargements, on évite des contaminations. On peut estimer, si j’en crois les discussions que j’ai eues avec le scientifique en charge de ces recherches, que l’atteinte d’un peu moins de 10 % d’un bassin de vie suscite un effet systémique de protection. Au-delà, l’efficacité augmente de manière linéaire. Et, il l’écrit lui-même, dès les premiers téléchargements, des contaminations sont évitées.
En ce qui concerne la question de la souveraineté, à ce jour, les Anglais sont alignés sur notre position ; les Italiens, les Allemands, les Autrichiens et les Suisses ont fait un autre choix ; les Espagnols réservent encore leur avis.
Ce qui doit mobiliser notre énergie, c’est la recherche d’un compromis. Le protocole Désiré, qui peut être déployé de façon centralisée ou décentralisée, pose encore des questions techniques, compte tenu de sa complexité, mais il est plus protecteur de la vie privée.
J’espère que nous allons tirer le fil et faire en sorte de trouver un chemin européen. Malheureusement, celui-ci reste encore incertain.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Pendant plusieurs semaines, la vie de notre pays s’est pratiquement arrêtée. Pendant plusieurs semaines, les Français ont été enfermés chez eux, privés de leur liberté fondamentale d’aller et de venir. Pendant plusieurs semaines, notre pays a lutté, à l’aveugle, contre l’épidémie de Covid-19.
Voilà un mois, le triptyque « protéger, tester, isoler » a guidé les conditions de notre liberté, pour partie retrouvée. Il consiste à passer de la lutte à l’aveugle à la lutte informée.
Notre stratégie a été largement guidée par les capacités disponibles en équipements de protection, en tests, en applications. Aucune de ces capacités ne suffit à elle seule, mais toutes sont nécessaires, je le crois, et, vu la connaissance que nous avons actuellement du virus, peut-être encore insuffisantes.
D’autres pays ont procédé autrement. Je pense à la Corée du Sud, qui, instruite par des épidémies précédentes, a misé sur la connaissance la plus fine possible de la propagation du virus et sur l’information de la population.
Si nous n’avons pas été prêts, monsieur le secrétaire d’État, pour cette épidémie, il n’est pas interdit de l’être pour la prochaine ! L’application StopCovid testée en grandeur nature pourrait servir à nouveau face à une maladie encore plus insidieuse et à la létalité encore plus élevée.
Si nous n’avons pas été prêts pour cette épidémie, d’autres le seront, avec moins de garanties pour nos données de santé, nos libertés et notre souveraineté, comme l’ont souligné Philippe Bas et Bruno Retailleau. Pour informer plutôt que d’enfermer, je suis favorable à l’usage d’une application raisonnée, maîtrisée, avec des garanties publiques et individuelles.
Je m’interroge toutefois sur un point – ce n’est pas tout à fait celui qu’Olivier Henno a évoqué : sur quels éléments se fondent les évaluations à 10 %, 50 % ou 60 % de diffusion de l’application au sein de la population pour conclure à son efficacité ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Une étude principale traite de ce sujet : c’est celle de l’université d’Oxford et de l’Imperial College que je citais précédemment, dont le premier opus est paru le 13 mars dernier.
Cette équipe, composée de spécialistes du virus Ebola, du coronavirus lié au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et du coronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), a travaillé sur la problématique du contact tracing et imaginé très tôt le déploiement d’outils numériques.
Le principal problème avec cette épidémie, c’est effectivement, comme vous le savez, qu’elle est propagée par des personnes n’ayant pas conscience d’être porteuses du virus, qu’elles soient en période d’incubation ou qu’elles soient asymptomatiques de manière définitive.
Cette étude, qui, par ailleurs, a le soutien de l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et de l’Institut Pasteur, confirme d’autres travaux menés ici et là. Elle est donc tout à fait centrale et devrait être encore précisée dans les jours à venir ; pour la petite histoire, les précisions étaient attendues plus tôt, mais certains des chercheurs sont tombés malades.
C’est la plus complète qui existe, ne serait-ce que parce que la prochaine livraison intégrera, entre autres éléments, des éléments de dynamique comportementale. Ces derniers, améliorant encore les modélisations, me permettent aujourd’hui de vous apporter le taux de 10 %, tiré des discussions que j’ai eues avec cette équipe de recherche.
Ces scientifiques sont à la pointe de la connaissance. D’ailleurs, les épidémiologistes comme Simon Cauchemez et Arnaud Fontanet, de l’institut Pasteur, ou encore Vittoria Colizza, de l’Inserm, considèrent cette équipe comme extrêmement solide ; ce sont d’ailleurs ses travaux qui les ont conduits à prendre officiellement position en faveur des outils de protection des contacts.
Je tiens à votre disposition les résultats obtenus. Il est extrêmement intéressant d’examiner l’impact en termes de morts et de contaminations d’un jour gagné dans la prévenance des contacts. C’est exponentiel ! Au bout d’une dizaine de jours, les écarts se comptent en dizaines de milliers de morts, ce qui, évidemment, est la caractéristique d’une courbe exponentielle.
Monsieur le sénateur Milon, je serais ravi d’évoquer tous ces sujets avec vous, en un peu plus de deux minutes, en dehors de cet hémicycle.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (M. Patrick Kanner applaudit.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, limiter la propagation de l’épidémie en cassant les chaînes de transmission est un impératif auquel nous souscrivons. En revanche, recourir à une application de suivi des contacts rapprochés est un choix très discutable.
Sur le plan de l’efficacité, tout d’abord, la théorie pure et parfaite sur laquelle se fonde application est, indépendamment même de la question du volontariat, difficilement transposable à la réalité des Français : elle nie l’exclusion numérique, résultant soit de la couverture inégale de notre territoire, soit de l’équipement en smartphones de la population, qui est loin d’être de 100 % – pour cette dernière raison, plus de 20 % des Français sont d’office exclus du dispositif, en majorité des populations à risque. Bref, vous vous apprêtez à mettre en place un système qui, d’avance, est très difficilement opérationnel.
Ensuite, la génération de données de santé en transit dans le cloud comporte un risque important de vol de ces données. Ce sont la vie privée des utilisateurs et leurs données personnelles et de santé qui sont en jeu ! Le piratage n’est pas une vue de l’esprit : à n’en pas douter, toutes ces données suscitent d’ores et déjà des convoitises, que vous semblez ignorer. Rien de ce qui est sur nos smartphones n’est anonyme ou secret…
Le risque pesant sur la sécurité informatique d’une telle application me conduit à cette question : pouvez-vous garantir que le système ne sera pas hacké ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, je serai très direct : non, je ne puis pas vous le garantir !
En revanche, je vous garantis que nous prenons toutes les mesures possibles, d’ailleurs parfois disproportionnées par rapport à la sensibilité des données en question. De fait, si j’étais un hacker intéressé par les données personnelles des Français, je préférerais probablement m’attaquer aux systèmes informatiques de certains hôpitaux, qui comportent des noms, des prénoms et des historiques de pathologies – de telles attaques sont d’ailleurs une réalité.
Les données de StopCovid se limiteront à une liste de crypto-identifiants, représentant des contacts de personnes testées positives ; nulle part, absolument nulle part, il n’y aura une liste de personnes testées positives. Ces données-là sont d’un intérêt extrêmement limité, d’autant qu’elles sont très difficiles à rapprocher d’une identité.
Tout est affaire de proportionnalité : en l’occurrence, nous avons pris toutes les mesures possibles pour assurer la protection de ces données, dont, par ailleurs, je le répète, la sensibilité est limitée. Nous avons même demandé à des hackers d’attaquer notre solution, de manière à mettre au jour des failles et à pouvoir les combler.
Plus généralement, je regrette que le niveau de préparation de nos hôpitaux et de nos entreprises, mais aussi de nos institutions – nous ne sommes pas mieux lotis que les autres –, reste encore insuffisant en termes de protection contre les attaques malveillantes, qui sont amenées à se multiplier, malgré le travail remarquable de l’Anssi.
Nous devons sensibiliser encore plus les Français – les attaques contre les particuliers ont sensiblement augmenté pendant le confinement, avec le niveau d’utilisation –, les entreprises françaises, les institutions françaises et, évidemment, les opérateurs de santé français.