Mme Éliane Assassi. Dans le VIe arrondissement de Paris ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. L’élue de Paris et l’usagère des transports que je suis est en colère de constater le chaos auquel les Parisiens ont dû faire face depuis plusieurs mois.
Ces Parisiennes et ces Parisiens auxquels la bien-pensance explique, depuis des années, que la genèse de tous les maux de la terre se trouve dans leur pot d’échappement et que la réduction de leur empreinte carbone commence par l’utilisation des transports en commun, que le développement du commerce en ligne conduira inévitablement à la mort de leur boutique de quartier s’ils ne font pas l’effort conscient d’acheter physiquement les produits qu’ils consomment, que le bien-être de leurs enfants repose sur une routine stable et équilibrée !
Je parle au nom des dizaines de milliers de Parisiens qui, pendant un mois et demi, ont été contraints de marcher en moyenne dix kilomètres par jour pour maintenir leur activité professionnelle (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.),…
Mme Éliane Assassi. C’est bon pour la santé !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. … de ceux qui ont développé tous les symptômes physiques et psychologiques du fameux burn-out, dont le Gouvernement entendait faire une priorité de santé publique, des enfants dont le temps de sommeil a été bouleversé parce qu’il fallait une heure de transport de plus par jour.
M. François Bonhomme. Eh oui !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Je parle aussi au nom des neuf commerces sur dix qui ont déploré une baisse de fréquentation et de leur chiffre d’affaires – jusqu’à 60 % pour certains, selon les dernières estimations de la chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France –, au nom des cafés, restaurants et hôtels parisiens, qui ont accusé des diminutions de leur chiffre d’affaires de l’ordre de 50 % à 60 %, d’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.
Ce sont ces mêmes Français qui ont subi de plein fouet le mouvement des « gilets jaunes » l’an dernier. Ils n’acceptent plus que la première région économique d’Europe, qui rassemble un tissu entrepreneurial parmi les plus denses au monde avec 1,055 million de TPE, de PME, d’ETI et de grands groupes, et qui produit 31 % du PIB du pays, puisse être paralysée par un mouvement de grève, aussi légitime soit-il !
Ils n’acceptent plus non plus que l’État, comme la Ville de Paris, soit contraint de dédommager ces entreprises au moyen de la recette de leurs prélèvements obligatoires. Quid de leur liberté et de leur droit de se déplacer ?
Personne dans cet hémicycle ne remet en question l’intégrité du droit de grève, tel qu’il est garanti par la Constitution.
Mme Éliane Assassi. Si !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Non !
Toutefois, ce droit constitue un pouvoir considérable et, comme tout pouvoir, il peut donner lieu à des abus. Il est nécessaire d’établir des limites.
Ce texte vise justement à prévoir de telles limites de façon responsable et raisonnable, afin de garantir, dans l’intérêt général, un fonctionnement minimal essentiel des transports.
Pascale Gruny l’explicite parfaitement dans son rapport : « Lorsqu’une activité de transport relève d’un service public, le principe de valeur constitutionnelle de continuité du service public justifie en lui-même une intervention des pouvoirs publics ».
Les articles de cette proposition de loi se concentrent sur des situations de grève portant directement atteinte à la continuité du service public, voire au principe même de continuité territoriale en ce qui concerne la desserte des îles françaises. Avec la région d’Île-de-France, ces dernières sont les grandes perdantes des blocages à répétition, qui altèrent non seulement la possibilité d’aller et de venir des citoyens, mais également leur approvisionnement. Cela a été notamment le cas en Corse, ces trois dernières semaines, où des rayons entiers de supermarchés étaient vides.
Les dispositions relatives au transport aérien prévues aux articles 8 et 9 tendent à répondre aux mêmes problématiques et affectent notamment l’accès aux soins de nombre de nos compatriotes, contraints de prendre l’avion pour bénéficier de certains traitements médicaux.
Enfin, les articles 5 et 6 tendent à prévenir les situations de chaos auxquelles nous assistons en cas d’opérations coup de poing et de blocages intempestifs. Une communication entre l’entreprise de transport et l’autorité organisatrice du mouvement de grève est indispensable, afin d’assurer une information fiable des usagers.
De même, tout titre de transport non utilisé doit être remboursé via le moyen de paiement qui a été utilisé, et non par un échange ou un avoir. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement de Valérie Pécresse, présidente de la région d’Île-de-France, afin de s’assurer que chaque usager est remboursé de son pass Navigo pour le mois de décembre.
Dans cet hémicycle où nous examinons régulièrement des dispositions éminemment techniques, pour ne pas dire parfois technocratiques, je le dis clairement : il n’y a rien de plus concret, me semble-t-il, que d’assurer aux Français la possibilité de se déplacer. Je remercie donc Bruno Retailleau d’être à l’initiative de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin. (M. Jean-Michel Houllegatte applaudit.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a très bien expliqué Laurence Rossignol avant moi, les auteurs de cette proposition de loi tentent une nouvelle fois de récupérer un mouvement social pour faire un coup politique.
Hélas, c’est un mauvais coup politique qu’ils essayent de jouer ! C’est pourquoi nous avons déposé des amendements de suppression sur l’ensemble des dispositions de ce texte.
Respectueux de la Constitution qui consacre la grève comme un droit, nous ne pensons pas que cette dernière puisse être définie comme une perturbation prévisible – article 2 – ni qu’elle puisse être déclarée caduque – article 9 – ou empêchée – article 10. Au reste, ce dernier article ajouté en commission m’interroge vraiment du point de vue constitutionnel, puisqu’il vise à empêcher le recours à des grèves de courte durée.
Chers collègues, vous semblez imaginer que certains font grève par plaisir… Cela pose question ! Il me semble plutôt que vous vous faites plaisir sur ce chapitre, car la jurisprudence est importante et plus précise que votre rédaction pour contenir la grève perlée.
Éviter au maximum les perturbations, notamment dans la durée, pour les usagers passe selon nous, tout d’abord, par une nouvelle approche et un véritable dialogue social.
L’article 3 ne ferait en tout état de cause que jeter de l’huile sur le feu, comme l’ensemble de ce texte, qui a pour seule vocation de poser un marqueur politique.
Avec l’article 1er, vous souhaitez étendre le champ d’application de la loi de 2007, dont nous estimons qu’il est bien suffisant.
Quant aux procédures d’information et de remboursement des voyageurs – articles 5, 6 et 7 –, si elles sont souhaitables, elles ne peuvent servir de faire-valoir à la déstabilisation totale du droit de grève que porte ce texte.
C’est pourquoi, en cohérence, nous vous proposerons de supprimer ces dispositions, quitte à réfléchir dans le cadre de l’examen d’un autre véhicule législatif aux moyens à mettre en œuvre pour assurer une meilleure information et une meilleure indemnisation des usagers. Nous ne tomberons pas dans le piège que vous nous tendez de la division entre les travailleurs !
Enfin, ce n’est pas parce que votre texte est presque exclusivement centré sur le ferroviaire que nous laisserons passer des atteintes au droit de grève dans le secteur aérien, à l’article 8.
Cet article a été largement remodelé et réduit à pas grand-chose par la commission, qui a bien vu la fragilité juridique du dispositif : à défaut d’une étude d’impact, je rappelle à mes collègues que les lignes soumises à des obligations de service public ne sont qu’une dizaine en France. C’est la preuve que vous n’avez pas cherché à répondre concrètement et complètement aux problématiques des usagers des transports.
« Assurer l’effectivité du droit au transport », dites-vous ? Alors, occupons-nous prioritairement des 25 % de nos concitoyens qui sont assignés à résidence parce qu’ils sont handicapés, âgés, sans permis, trop pauvres. Ces chiffres sont donnés par Éric Le Breton dans son excellent ouvrage Mobilité, la fin du rêve ?
Cependant, chers collègues, nous avons un point de satisfaction, je veux parler de la suppression en commission de l’article 4, comme l’a souligné Laurence Rossignol. Nous vous invitons à continuer sur cette lancée en supprimant l’ensemble des articles de ce texte, ainsi que nous vous le proposerons par voie d’amendements. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)
Autre motif de satisfaction, je constate que vous avez su relancer et revivifier considérablement le clivage gauche-droite !
M. Bruno Retailleau. C’est plutôt positif, non ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Jacquin. Pour conclure, votre proposition de loi, axée sur le ferroviaire, cible particulièrement la RATP et la SNCF. Pour ma part, je remercie les grévistes, qui ont supporté quarante-cinq jours de grève illimitée, pas par plaisir ni par sadisme.
M. François Bonhomme. Et la loi El Khomri ?
M. Olivier Jacquin. Ils ont fait grève par délégation pour tous les Français qui ne veulent pas de cette mauvaise réforme des retraites.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Olivier Jacquin. Quelqu’un a dit que les grévistes seraient des « privilégiés »… Qu’il lise Thomas Piketty, et il comprendra qui sont les privilégiés dans notre société !
Chers collègues, si vous vous étonnez de la radicalité de certaines professions, particulièrement à la SNCF et à la RATP, renseignez-vous : la situation de ces salariés est grave, pour ne pas dire infernale depuis la loi ferroviaire de 2018, renforcée par la loi d’orientation des mobilités. Le nombre des démissions n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Les difficultés de recrutement sont considérables. Comment peut-on croire qu’ils sont des privilégiés ?
Je remercie donc tous ces grévistes, qui ont permis d’attirer très fortement l’attention de tous les Français sur cette mauvaise réforme, dont nous espérons qu’elle subira le même sort que cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis un ardent défenseur d’un principe fondamental, qui, à mon sens, devrait constituer le ciment de notre société et la valeur cardinale du vivre ensemble, à savoir…
Mme Laurence Rossignol. Le droit de grève ? (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Stéphane Piednoir. … le principe selon lequel la liberté des uns doit s’arrêter là où commence celle des autres.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Stéphane Piednoir. Certes, nous avons la chance, dans notre pays, de disposer de droits fondamentaux inscrits dans le marbre de notre Constitution. Force est néanmoins de constater, à la lumière des blocages observés ces derniers mois, que ces droits peuvent entrer en quelque sorte dans une concurrence insoluble si on ne les réglemente pas.
Ainsi, le droit de grève, appliqué au secteur des transports, entre en conflit avec la liberté des Français d’aller et de venir à leur guise, de poursuivre leurs activités, de quelque nature qu’elles soient, et évidemment, en premier lieu, de se rendre à leur travail.
Rappelons que, pendant les grèves du mois de décembre dernier, certains de nos concitoyens ont été contraints d’interrompre leur activité professionnelle, de prendre des congés – payés ou non – ou de renoncer à des déplacements stratégiques.
Les conséquences financières ont été importantes pour beaucoup, notamment les plus fragiles. Cela a aussi eu un impact sur la croissance de notre pays, qui n’a franchement pas besoin de handicap supplémentaire dans le contexte actuel.
La présidente de ma très belle région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, a pleinement conscience de cet enjeu et proposait, il y a tout juste deux mois, une obligation de circulation pour au moins un tiers des trains. Elle suggérait même une obligation totale la veille des vacances scolaires, à l’instar de ce se pratique déjà depuis plus de vingt ans en Italie.
Je salue donc l’initiative courageuse de Bruno Retailleau et le travail méticuleux de Mme la rapporteure Pascale Gruny pour aller dans ce sens et produire cette proposition de loi, qui s’attaque à un sujet délicat, que d’aucuns voudraient ériger en tabou absolu.
C’est un texte mesuré, qui prend en compte les réalités exposées précédemment et qui, bien évidemment, n’est pas contraire à notre Constitution. Oui, le droit de grève est un droit fondamental, mais il peut être réglementé. D’ailleurs, cela s’est déjà fait dans notre pays, par exemple dans l’enseignement primaire.
Par les décisions qu’il a rendues, le Conseil constitutionnel a renforcé l’habilitation du législateur à fixer des limites au droit de grève, à concilier la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut porter atteinte. C’est la traduction opérationnelle du septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
D’un point de vue politique, je veux souligner la position paradoxale de quelques-uns de nos collègues. En effet, on ne peut pas clamer haut et fort son attachement au service public, sa conviction qu’il est indispensable au bon fonctionnement de notre activité humaine, et, en même temps, si j’ose dire, nier la nécessité de sa continuité, contester son utilité à chaque instant !
Si la grève apporte évidemment son lot d’inconforts, voire de nuisances, elle ne peut pas, elle ne doit pas pénaliser l’ensemble d’une population ayant à subir la force de paralysie d’une minorité, quels que soient ses motifs de protestation.
On peut même aller plus loin, sans vouloir donner de leçons aux leaders syndicalistes qui, de toute façon, n’entendent généralement pas grand-chose : il y a fort à parier qu’une grève qui n’entraverait pas les droits des usagers aurait tendance à être plus populaire et mieux acceptée. Elle susciterait même davantage d’adhésion.
Enfin, comment de ne pas admettre unanimement que les blocages dans le secteur du transport de passagers vont totalement à l’encontre des intentions de la transition souhaitée dans le domaine des mobilités ?
Comment ne pas comprendre que, pour changer durablement les comportements, pour créer des habitudes, il est indispensable de pouvoir faire confiance à ce service public censé assumer les orientations inscrites par exemple dans la dernière loi d’orientation des mobilités (LOM) ?
Pour faire consensus sur ces objectifs de bon sens, je vous appelle à voter sans réserve cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève
Article 1er
I. – Le code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 1222-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles s’appliquent également aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises mentionnés à l’article L. 5431-1. » ;
1° bis (nouveau) L’article L. 1324-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elles sont également applicables aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises mentionnés à l’article L. 5431-1. » ;
2° (Supprimé)
II. – Le paragraphe 1 de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est complété par un article L. 4424-21-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4424-21-1. – La collectivité territoriale de Corse est l’autorité organisatrice de transports pour l’application du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Je tiens à féliciter la majorité sénatoriale d’avoir su, au travers de ce texte, convoquer dans cet hémicycle le débat sur l’écologie ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Chers collègues, ce n’était pas évident, vous avez tous plus ou moins su vous montrer convaincants, mais je suis au regret de vous dire que tout cela arrive un peu tard !
Pourquoi avez-vous aujourd’hui un tel souci de l’écologie, alors que c’est vous qui avez voté les lois de casse du service public ferroviaire ? Celui-ci assurait pourtant un véritable maillage de notre territoire à travers des mobilités douces et écologiques.
N’est-ce pas vous, aussi, qui avez encouragé l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire et du trafic TER dans les régions ? Du moins, vous ne vous y êtes pas opposés… Dans un certain nombre de collectivités, vous êtes en train d’accompagner de processus ! Logiquement, le service public ferroviaire ne va donc pas bien, et tout le monde aujourd’hui se précipite à son chevet.
J’entends tout ce qui a été dit sur le souci de protéger certaines personnes et de limiter les excès, mais je ne suis pas sûre que cette proposition de loi facilite le dialogue social dans notre pays. De fait, comme elle est très politique, elle stigmatise celles et ceux qui font grève. Or, en France comme dans tous les pays, si vous limitez le droit de grève, d’autres formes de lutte s’exprimeront.
Il est faux de croire que demain tout ira mieux parce que vous légiférez pour réduire l’exercice du droit de grève. Bien au contraire, ce sera pire ! En effet, il y a bien d’autres possibilités – plus ou moins légales – que la grève ou le blocage des dépôts pour empêcher de circuler un train, un car ou un avion ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est user de démagogie que de faire croire que, demain, tout ira bien simplement grâce au service minimum. Et, sur le fond, c’est un vrai projet politique de remise en cause du droit de grève que vous nous proposez au travers de ces différents articles !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 24 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Laurence Rossignol. L’article 1er, je le rappelle, vise à étendre au transport maritime les dispositions sur le service minimum.
Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion de participer à des rencontres avec les organisations professionnelles ou syndicales, notamment celles qui exercent le droit de grève. J’ignore donc quelle est leur position sur l’extension de ce service minimum.
Parfois, le remède peut être pire que le mal. Je ne voudrais pas qu’une telle disposition, si elle était adoptée par le Sénat, aboutisse à provoquer une grève dans le secteur maritime !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 24.
Mme Michelle Gréaume. Le présent article prévoit l’application du service garanti aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises, ce qui recouvre non seulement les îles métropolitaines, mais aussi les îles d’outre-mer dans la mesure où le code des transports y est applicable.
La commission a complété ces dispositions en étendant aux services de desserte maritime des îles les dispositions relatives au dialogue social, à la prévention des conflits collectifs et à l’exercice du droit de grève qui sont applicables aux services de transport ferroviaire issu de la loi de 2007.
C’est donc tout un processus nouveau autour de l’usage du droit de grève par le système de déclaration individuelle, de prévention des conflits, de durée du préavis pour l’instauration d’une sorte de « préavis du préavis » et d’organisation particulière de service. Autant de règles à nos yeux profondément attentatoires au droit de grève, et ce sans aucune étude d’impact et sans avis du Conseil d’État.
Cela ne nous paraît absolument pas sérieux. Comment engager de telle restriction d’un droit fondamental sans même prendre la peine d’entendre les acteurs de ce secteur d’activité et les partenaires sociaux ?
C’est ce type même d’initiative qui, à l’inverse du but visé, risque de produire du conflit et donc d’entraîner des désagréments pour les usagers. Il s’agit d’un contresens.
Mes chers collègues, souvenez-vous : il y a quelques années déjà, un texte similaire a été présenté à l’Assemblée nationale. C’était en 2013. Le ministre de l’époque, M. Cuvillier, l’avait rejeté pour un double motif : la faible conflictualité au sein des transports maritimes et la liberté des collectivités territoriales dans le cadre des contrats de délégation de service public, qui, pour la plupart, contiennent déjà des dispositifs d’alarme sociale pour prévenir les conflits.
Même Nicolas Sarkozy, qui a eu l’initiative du texte relatif au service minimum, en 2007, avait renoncé à y inclure les transports maritimes pour les mêmes motifs.
Puisque tout le monde s’accorde sur la nécessité de ne pas étendre ces mesures aux transports maritimes, nous demandons le rejet de cette disposition purement démagogique.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Michelle Gréaume. Chers collègues, la continuité de desserte des îles vous intéresse parfois moins,…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Michelle Gréaume. … par exemple lorsqu’il s’agit d’affréter des médicaments ou d’autres produits de nécessité. Mais il s’agit là d’un autre débat !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Ma chère collègue, je suis ravie de vous entendre invoquer Nicolas Sarkozy… (Sourires. – Mme Françoise Gatel rit.)
Mme Éliane Assassi. C’est bien le but ! (Nouveaux sourires.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur. … et je tiens à vous en remercier !
En outre, je me réjouis de voir à quel point le Conseil d’État devient à la mode.
Mme Éliane Assassi. Oui !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. De fait, on cite ses positions sur bon nombre de textes. Toutefois, même s’il est possible de demander l’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi, je note que cette procédure n’a jamais été mise en œuvre ; il en est de même pour les études d’impact.
Madame Rossignol, je vous assure que toutes les organisations syndicales ont été invitées dans le cadre de cette concertation. Certaines sont venues, d’autres non : voilà tout.
L’article 1er étend aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises, non seulement les dispositions de la loi de 2007, mais aussi les avancées contenues dans le présent texte.
À l’issue des auditions que j’ai pu mener, l’analogie des services de desserte maritime des îles et des transports ferroviaires urbains est apparue pertinente. D’ailleurs, des dispositifs d’alarme sociale ont déjà été déployés sur une base conventionnelle.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Une mission de haut niveau est bien chargée de clarifier et de sécuriser le cadre juridique d’un possible service minimum. De plus, ce travail inclut une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Les sénateurs des départements littoraux mesurent tous l’importance de la continuité territoriale avec les îles : souvent, les transports maritimes sont le seul moyen de déplacement, qu’il s’agisse, pour les îliens, d’aller sur le continent, ou, pour les continentaux, de se rendre sur les îles.
N’attendons pas un conflit, susceptible de provoquer une paralysie, pour prendre des dispositions garantissant la continuité territoriale. Je ne puis approuver le discours, que j’ai encore entendu il y a un instant, selon lequel il faut absolument utiliser l’arme de la grève pour empêcher les déplacements. Ce n’est pas acceptable !
Voilà pourquoi il est important de disposer d’un cadre mieux défini. C’est un point important, et je remercie Mme le rapporteur d’avoir introduit ces dispositions dans le présent texte : elles permettront de sécuriser la situation de nombreux îliens.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 et 24.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
La section 1 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports est complétée par un article L. 1222-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1222-1-1. – Sont réputées prévisibles au sens du présent chapitre les perturbations du trafic qui résultent :
« 1° De grèves ;
« 2° De plans de travaux ;
« 3° D’incidents techniques, dès lors qu’un délai de trente-six heures s’est écoulé depuis leur survenance ;
« 4° D’aléas climatiques, dès lors qu’un délai de trente-six heures s’est écoulé depuis le déclenchement d’une alerte météorologique ;
« 5° De tout événement dont l’existence a été portée à la connaissance de l’entreprise de transports par le représentant de l’État, l’autorité organisatrice de transports ou le gestionnaire de l’infrastructure depuis trente-six heures. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 16 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 25 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 16.