Mme Éliane Assassi. Et ce sont des voleurs, en plus…
M. Jean-Raymond Hugonet. En effet, si la SNCF et la RATP sont incapables, nonobstant leur monopole, d’assurer un service digne de ce nom, elles s’avèrent en revanche beaucoup plus expertes quand il s’agit de débiter avidement les comptes des usagers dont le voyage est annulé tout en osant leur proposer un avoir !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. De qui se moque-t-on ? La proposition de loi interdit fort justement cette pratique scandaleuse de l’avoir, au profit d’un remboursement automatique lorsque le paiement a été effectué par carte bancaire. C’est bien la moindre des choses !
Monsieur le secrétaire d’État, il est maintenant de votre responsabilité de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la continuité effective du service de transport de voyageurs et de marchandises. Forts de notre expérience d’élus confrontés aux troubles de l’ordre public sur nos territoires, nous vous proposons ici un dispositif équilibré, proportionné, efficace et respectueux des droits de chacun ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Raymond Hugonet. Inutile de préciser, dès lors, que le groupe Les Républicains votera le rejet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par nos collègues du groupe CRCE ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Éliane Assassi. Comme c’est étonnant…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. La commission ayant adopté la proposition de loi, elle est bien évidemment défavorable à cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Au demeurant, nous ne sommes pas d’accord avec les arguments juridiques avancés par ses auteurs. Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Par ces mots, le constituant a tout à la fois conféré une valeur constitutionnelle au droit de grève, ce que nul ici ne conteste, et affirmé que le législateur était compétent pour définir les limites qu’il convient d’apporter à ce droit, afin que son exercice ne porte pas atteinte à d’autres droits ou principes à valeur constitutionnelle.
Madame la présidente Assassi, nous avons bien entendu vos arguments, mais nous avons essayé de trouver un équilibre respectant les différents principes posés par la Constitution.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Fabien Gay. Favorable !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le président Retailleau a évoqué la dépendance aux transports collectifs et l’écologie.
En ce qui concerne la dépendance, il me semble que le cadre concurrentiel dans lequel se développera dorénavant le transport ferroviaire, qu’il s’agisse de la SNCF ou de la RATP, permettra de restaurer une régularité et une qualité de service, comme le montrent depuis de nombreuses années les exemples de l’Allemagne ou de la Suède.
En matière d’écologie, la politique du Gouvernement vise à favoriser le mode ferroviaire, pour les voyageurs comme pour le fret. Nous avons une politique écologique très ambitieuse. Ainsi, la loi d’orientation des mobilités prévoit le verdissement de l’ensemble des véhicules particuliers légers. Les transports routier, maritime, fluvial et aérien doivent tous se conformer aux différentes stratégies gouvernementales, qu’il s’agisse de la stratégie nationale bas carbone ou de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Sur le plan des faits, je voudrais souligner que, concernant la RATP, depuis le 5 décembre 2019, c’est-à-dire le premier jour de la grève, pas moins de 4 millions de voyages quotidiens sur les 12 millions assurés en temps normal ont été opérés. Cela signifie que 33 % de l’activité, y compris au plus fort de la grève, a été assurée chaque jour par la RATP.
De la même façon, pendant les trois dernières semaines du conflit, la SNCF a assuré plus de 50 % du trafic en moyenne.
M. Bruno Sido. Pas un train chez moi !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est une moyenne, la situation étant évidemment hétérogène selon les territoires. Effectivement, se pose la question des heures de pointe.
En ce qui concerne le contrôle aérien ou Météo-France, je rappelle qu’il s’agit d’emplois postés, pour lesquels les possibilités de réquisition sont en pratique assez opérationnelles. À la SNCF, les conducteurs et les contrôleurs, aux qualifications hétérogènes, ont des emplois que l’on pourrait qualifier de plus « nomades » par nature.
Sur les sujets tant opérationnels que juridiques, nous avons besoin d’éclairages, que pourra nous apporter la mission que j’ai annoncée. Dans cette attente, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…
Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. « Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,
« Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup
« Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,
« Pour faire la grève…
« La grève…
« Vive la grève ! »
Oui, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la grève, comme le disent ces vers puissants de Jacques Prévert, constitue l’ultime moyen dont disposent les travailleurs pour faire face à une attaque contre leurs droits, n’en déplaise à certains. Ils n’ont sûrement pas à rougir de son exercice, car ils sont bien dans leur droit, celui de défendre des conquis sociaux, issus de grandes luttes. Aujourd’hui, ce sont nos retraites qui sont remises en cause par le patronat, avec l’appui du gouvernement en place. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Avec l’appui du Gouvernement, pas du patronat !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Au lieu de fustiger, comme vous le faites au travers de cette proposition de loi, les agents des transports grévistes et de les traiter comme des preneurs d’otages, nous devrions tous et toutes les remercier (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains.) de défendre notre système solidaire de retraites par répartition contre un gouvernement souhaitant voir les salariés travailler à vie et les dépouiller au profit de BlackRock !
M. Bruno Sido. Rien que ça !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous devrions les remercier de permettre, par la grève, de faire la lumière sur ce projet de réforme des retraites, en imposant un temps de débat populaire quand le Gouvernement nous contraint à une accélération du processus législatif.
Nous devrions les remercier de défendre nos services publics contre le désengagement de l’État et la privatisation qui entraînent la dégradation de ceux-ci et les difficultés quotidiennes rencontrées par nos concitoyens pour se déplacer.
Votre proposition de loi est en ce sens totalement hors sujet, mais aussi extrêmement dangereuse.
Mme Frédérique Puissat. Mais non !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Elle est hors sujet, d’une part, car l’objectif affiché au travers du titre de votre texte – assurer l’effectivité du droit au transport – est en complet décalage avec son contenu, qui vise, une fois encore, à restreindre le droit de grève des agents des transports publics.
Devons-nous encore vous rappeler que l’effectivité du droit au transport, si cher à vos cœurs, vous l’avez vous-mêmes enterrée en votant toutes les lois de démantèlement du service public ?
Je ne reviendrai pas sur l’inconstitutionnalité d’un tel dispositif, qui va jusqu’à prévoir la réquisition des grévistes, comme l’a si bien démontré ma collègue Éliane Assassi, mais je souhaite insister sur un point fondamental d’opposition entre nous : notre conception du service public des transports n’est sûrement pas la même que la vôtre. Nous nous battons aux côtés des agents des transports publics et de leurs organisations syndicales pour un véritable service public de qualité et de haut niveau pour tous les usagers. Je vous renvoie à ce titre au débat sur la réforme ferroviaire qui nous a opposés sur ces travées.
Lutter pour un véritable service public nécessite d’abord de revenir sur les politiques de libéralisation et de privatisation de nos entreprises publiques de transport. Ensuite, il s’agit de redonner des moyens financiers et humains au secteur des transports, dont l’État n’a eu de cesse, depuis des décennies, de se désengager, avec votre soutien.
Ces logiques ont conduit à des drames. Ce fut le cas avec l’accident ferroviaire de Brétigny, causant 7 morts et plus de 400 blessés, alors que les représentants du personnel avaient alerté à maintes reprises leur direction sur le risque d’une catastrophe. Plus récemment, c’est un conducteur de TER et des passagers qui ont été blessés à la suite d’un accident survenu en Champagne-Ardenne parce que les moyens humains et techniques manquent pour la sécurité ferroviaire… Malheureusement, sans un changement radical de politique, de telles catastrophes se reproduiront inéluctablement.
Par ailleurs, votre proposition de loi est dangereuse, car elle participe au mouvement de criminalisation de l’action syndicale (M. Bruno Sido s’exclame.) lorsque celle-ci prend la forme de la grève ou de tout autre conflit. Or dans le cadre d’une société capitaliste, le conflit est intrinsèquement lié à l’antagonisme des intérêts entre capital et travail. La grève est un moyen de rééquilibrer le rapport de force en faveur des salariés, mais vous souhaitez la faire disparaître,…
Mme Frédérique Puissat. Non !
Mme Cathy Apourceau-Poly. … y compris en usant de la force, comme avec la réquisition. Or, en faisant cela, vous donnez encore davantage de pouvoir à l’employeur qui, en plus de détenir le pouvoir de dégrader les conditions de travail de ses salariés, pourra anéantir toute forme d’expression conflictuelle tendant à rééquilibrer la relation de travail, par nature inégalitaire.
Il s’agit là d’une attitude irresponsable et d’une entreprise dangereuse, surtout lorsqu’elle se pare des meilleures intentions, comme c’est le cas avec votre texte. Nous observons en effet depuis de nombreuses années, et encore dans le cadre du mouvement social actuel, un accroissement de la répression syndicale, avec une volonté, de la part des directions des entreprises de transport, mais aussi du Gouvernement, de museler les agents refusant d’accompagner les politiques de privatisation et de dégradation tant du service public que de leurs conditions de travail.
Vous trompez également les usagers en leur faisant croire que les difficultés rencontrées au quotidien sont dues aux mouvements de grève.
Mme Françoise Gatel. On rêve !
Mme Cathy Apourceau-Poly. De plus, le droit de grève n’appartient pas seulement aux agents de transports mais à tous les salariés, dont les usagers des transports. Autrement dit, vous vous attaquez de fait aux droits des usagers et de tous les salariés dans leur ensemble.
Pour ces raisons, qui ne sont pas des moindres, notre groupe votera contre votre proposition de loi et s’opposera autant que nécessaire à toute attaque contre le droit de grève. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, grève par procuration, grève perlée, grève tournante, grève surprise, grève de solidarité… La grève sous toutes ses formes ! Il y a ceux qui la font et ceux qui peuvent être amenés à la subir. Il existe cependant d’autres droits, tout à fait objectifs, et nous devons respecter le fait qu’un droit ne doit pas prendre le pas sur un autre.
Nous avons vu ces derniers mois le droit de grève faire échec à la liberté d’aller et venir, à la liberté du commerce et de l’industrie, à la continuité du service public. Les PME ont particulièrement souffert de l’absence de leurs salariés. Eux-mêmes ne peuvent souvent pas faire grève, sauf à risquer de perdre leur emploi. Comment admettre que des salariés se retrouvent aujourd’hui au chômage à la suite du dépôt du bilan de leur entreprise, incapable d’exercer ses activités ?
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Joël Guerriau. Les transports publics sont en effet essentiels à l’exercice de bon nombre de nos libertés. Beaucoup de nos concitoyens ont ainsi été dans l’impossibilité de se rendre sur leur lieu de travail. Beaucoup de commerces ont connu une faible fréquentation au moment qui aurait dû être le plus favorable pour eux en termes de chiffre d’affaires.
La grève est plurielle. Il y a celle qui a pour objet d’appuyer des revendications professionnelles dont la satisfaction dépend de l’employeur. C’est alors un outil de négociation dans les conflits du travail. Mais il est aussi des grèves qui appuient des revendications professionnelles dont la satisfaction ne dépend nullement de l’employeur. Que peut faire le patron de la SNCF ou celui de la RATP en matière de réforme des retraites ? Ont-ils le pouvoir de retirer le projet ?
La grève, nous dit-on parfois, est faite pour gêner. Mais gêner qui et pourquoi ? Ceux qui l’ont subie dans les transports collectifs sont des usagers, qui n’ont pas le pouvoir de retirer un projet de réforme. C’est à la démocratie de trancher ces sujets.
Nous assistons ainsi parfois à des abus : abus du droit de retrait, derrière lequel la grève peine à se dissimuler ; abus de l’exercice du droit de grève lui-même, chaque fois qu’il est détourné de sa finalité ou que les conditions de sa légalité ne sont pas respectées. C’est le cas aussi lorsque la grève se transforme en un instrument de pression sur des salariés non grévistes : ces pressions sont illégales et inacceptables.
La grève est un droit dont l’exercice doit respecter les formes prescrites et ne pas mettre en péril le nécessaire équilibre entre les différents droits et libertés de valeur constitutionnelle.
La question qui nous préoccupe aujourd’hui concernant les transports publics s’est déjà posée dans d’autres domaines : je pense notamment aux hôpitaux et à la télévision publique. Elle peut en réalité être soulevée pour tous les secteurs dans lesquels une grève est susceptible d’entraîner la paralysie du pays.
Le droit de grève peut être et doit être encadré afin de contenir d’éventuelles conséquences disproportionnées. Cela a déjà été fait par la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Cette loi a constitué une avancée en instaurant, pour les salariés qui souhaitent faire grève, l’obligation de respecter un préavis de quarante-huit heures, mais aussi en promouvant le dialogue au sein des entreprises, pour tenter d’atteindre au mieux les objectifs du plan de transport.
Ce préavis est essentiel. C’est pourquoi nous vous proposons d’étendre cette obligation aux contrôleurs aériens. Le groupe Les Indépendants avait déposé une proposition de loi en ce sens ; je vous suggère aujourd’hui de voter par amendement le dispositif adopté en commission. Car rares sont ceux qui savent que les contrôleurs aériens ne sont pas soumis à un préavis !
La loi de 2007 ne permet cependant pas d’empêcher les situations de paralysie, a fortiori quand les revendications professionnelles ne dépendent pas de l’employeur.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à établir un service minimum effectif, afin de satisfaire aux besoins essentiels de la population.
Le pouvoir de réquisition de salariés grévistes existe déjà dans le droit actuel. Il appartient au préfet, et cela également pour répondre à ces besoins.
Nous sommes sensibles à l’argument selon lequel les collectivités locales doivent également pouvoir exercer cette faculté de réquisition. Celle-ci ne trouvera à s’appliquer que lorsqu’elle est strictement nécessaire à la satisfaction des besoins essentiels de la population.
Nous devons cependant veiller à ce que cette nouvelle prérogative ne soit pas porteuse de risques juridiques pour les collectivités de nos territoires, mais aussi à ce que les collectivités n’aient pas à suppléer d’éventuelles carences de l’État, comme ce fut le cas avec la loi Darcos, qui oblige les communes à assurer un service minimum d’accueil des enfants en cas de grève dans l’éducation nationale.
Par ailleurs, nous considérons que la réquisition, quand elle est nécessaire, doit être immédiate. C’est le sens d’un amendement que nous vous proposerons de voter.
Nous voulions aussi encourager les personnels grévistes réquisitionnés à porter un signe distinctif pour signaler qu’ils sont en grève. Cela permettrait de respecter la volonté des personnes qui ont choisi de faire grève. Nous sommes également convaincus que cela pourrait susciter des échanges respectueux et constructifs entre les usagers et les grévistes, sortant de la logique d’affrontement.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants soutient et approuve cette proposition de loi, tout en restant attentif au respect des équilibres entre les différents droits et libertés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève.
Je tiens à saluer l’initiative des auteurs de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur tant pour son travail très approfondi que pour les précisions juridiques qu’elle a apportées en commission.
Le préambule de la Constitution de 1946 énonce : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale […] ». La grève est une des actions possibles. Mais ce préambule prévoit aussi que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », et c’est là tout l’objet de la présente proposition de loi.
Il est incontestable et incontesté que, historiquement, certaines grèves ont permis aux travailleurs, puis à l’ensemble de la population, d’obtenir bon nombre de droits sociaux fondamentaux. Ce faisant, la grève a indéniablement participé à la construction de l’État-providence.
Aujourd’hui, de nombreuses grèves n’opposent plus les employés aux employeurs, mais constituent un levier d’action pour manifester contre la politique du Gouvernement.
Toutefois, l’exercice de ce droit constitutionnel vient se heurter à d’autres principes de même valeur, notamment la continuité du service public, et peut être limité par l’intérêt général.
Par ailleurs, il affecte directement les usagers des transports publics, mais aussi tout un pan du monde économique, dont les activités dépendent du ferroviaire, du maritime ou des transports aériens.
Plus singulièrement, les transports publics subissent inévitablement les effets collatéraux de certains mouvements de grève. Mais pas seulement eux ! Certains acteurs économiques ont été particulièrement touchés par ces grèves, qu’il s’agisse d’entreprises ou de commerces. Surtout, ces derniers subissent régulièrement les effets de mouvements sociaux de grande ampleur, qui fragilisent leur santé financière, et, dans le pire des cas, ils sont contraints de licencier des salariés, voire de cesser leur activité.
C’est pourquoi cette proposition de loi prend acte d’un constat : malgré la valeur constitutionnelle de ces deux normes, l’équilibre entre le droit de grève et le principe de continuité a basculé en faveur du premier. Un nécessaire rééquilibrage est juridiquement réalisable, conformément à la position du Conseil constitutionnel sur le sujet.
C’est ainsi que cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans la continuité de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Précisément, cette proposition de loi vise à ce que l’autorité organisatrice de transport (AOT) définisse, par une délibération publique transmise au préfet, un niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population.
Ce n’est que dans le cas où un minimum de service ne serait pas assuré pendant une durée de trois jours consécutifs que l’AOT pourrait demander à l’entreprise de transport de recourir à la réquisition des personnels indispensables pour assurer le niveau minimum de service. L’entreprise aura alors l’obligation de se conformer à cette injonction dans un délai de vingt-quatre heures.
Des dispositions similaires concernent les transports maritimes réguliers publics de personnes outre-mer et les services aériens réguliers.
Par exemple, en janvier 2020 – ce n’est pas si ancien ! –, en raison de fortes grèves chez les dockers, la Martinique et d’autres îles n’ont pas pu être approvisionnées en produits alimentaires et de première nécessité.
M. Bruno Retailleau. Tout à fait !
Mme Jocelyne Guidez. N’est-ce pas prendre toute une population en otage ?
Cette proposition vient donc compléter la loi de 2007. Elle est une réponse apportée aux victimes de l’échec des négociations préalables à la grève.
Il nous paraît aujourd’hui juridiquement possible et socialement souhaitable de préciser les contours du droit de grève. In fine, il s’agit de permettre aux salariés de défendre leurs droits, tout en garantissant aux personnes lésées par la grève que les leurs ne seront pas, outre mesure, affectés.
C’est pourquoi la majorité des membres du groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Canevet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui a été déposée le 2 décembre, au début d’un mouvement d’ampleur inédite dans les transports contre le projet de réforme des retraites.
Cette proposition de loi est incontestablement une proposition d’affichage politique, un petit coup de pied de l’âne aux syndicats qui préparaient une journée d’action pour le 5 décembre dernier, et une manière à mon sens peu délicate d’anticiper, voire d’attiser, des conflits d’intérêts divergents entre les grévistes et les usagers.
Par ailleurs, vous avez sans doute observé, comme moi, que si les usagers, dont les témoignages ont été recueillis quasi quotidiennement par les médias tout au long du mouvement sur les quais des gares et du métro, ont accueilli avec un soulagement non dissimulé le retour des trains et des métros à la circulation, peu d’entre eux se sont laissés aller jusqu’à remettre le droit de grève en question.
C’est pourtant ce que les auteurs de cette proposition de loi n’hésitent pas à faire. En effet, celle-ci aurait tout aussi bien pu s’intituler « proposition de loi pour limiter le droit de grève dans les transports par la réquisition des personnels » : cela aurait été assez conforme à son objet, car le cœur de ce texte est un transfert et un élargissement du droit de réquisition.
La proposition de loi opère plusieurs ruptures importantes avec le droit positif.
Rappelons que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, que le législateur, ainsi que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, a la faculté d’encadrer pour le concilier avec un autre principe constitutionnel : la sauvegarde de l’intérêt général.
Ce souci de conciliation entre deux principes pouvant se contrarier a déjà conduit à un encadrement du droit de grève, qui peut aller parfois jusqu’à l’interdiction de ce droit, lorsque la grève porte atteinte aux besoins essentiels du pays. Ces restrictions légales sont précises et visent à protéger l’ordre public.
Le code de la santé, par exemple, prévoit que, pour faire face à un afflux de patients ou de victimes, ou si la situation sanitaire le justifie, le représentant de l’État peut requérir toute personne nécessaire. Aujourd’hui, au moment même où nous parlons, le préfet d’Île-de-France a requis, en vue d’assurer un service minimum, les entreprises d’incinération de déchets. Vous aurez en effet observé que la situation portait atteinte à l’ordre public.
Deux critères peuvent justifier une telle réquisition : la préservation de l’ordre public et la réponse à une urgence ou à une situation de crise. Personne ne conteste que la grève occasionne de nombreux désagréments aux usagers. Mais elle ne crée ni un trouble à l’ordre un trouble public ni une situation de crise. Nous ne sommes pas allés jusque-là !
Votre proposition d’étendre à des entreprises privées, nombreuses dans les transports, un droit de réquisition qui est aujourd’hui une prérogative de l’État par l’intermédiaire des préfets vise, en fait, à privatiser le droit de réquisition. Cette privatisation est plus qu’un glissement, c’est une dérive, et une dérive grave, car le droit de réquisition doit demeurer strictement régalien.
L’article 3 fait peser sur les entreprises de transport une obligation de service minimum, assortie de pénalités financières en cas d’impossibilité d’atteindre cette obligation de résultat, sans qu’il soit dit comment ces entreprises pourront faire respecter cette obligation.
Vous prévoyez une sanction disciplinaire. Pourtant, vous savez tous, sans doute, que la Cour de cassation a déclaré en 2009 qu’un gréviste ne pouvait pas être sanctionné en raison de son refus d’obtempérer à une réquisition.
Quelles seraient les conséquences sur le droit du licenciement, sur les travailleurs à statut, les salariés de droit privé, le code du travail… ? On ne sait pas ! Tout cela n’est pas très sérieux et prouve, à mon sens, que cette proposition de loi est d’abord un texte de propagande politique (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui consiste à faire de l’exception le droit courant, le droit commun.
Ce texte prévoit que la réquisition des salariés, grévistes ou non, deviendrait la procédure systématique applicable à toutes les grèves dans les transports. Il instituerait ainsi un droit de grève restreint pour les agents et les salariés des transports.
Or ce qui est nécessaire pour le maintien de l’ordre public dans le secteur de la défense ou dans les hôpitaux ne peut être systématiquement et a priori transposable aux activités des transports.
La loi de 2007 a favorisé le dialogue social, tous les acteurs en conviennent aujourd’hui. Votre proposition de loi ne favoriserait que le conflit, dans l’entreprise comme entre les usagers et les grévistes. Elle constituerait un recul grave en matière de libertés publiques et un précédent dans la restriction des droits des salariés à défendre et leurs conditions de travail et la qualité du service public.
En effet, je considère que, lorsque les agents et les salariés d’un service défendent leurs conditions de travail, ils défendent aussi la qualité du service aux usagers.
Quant à l’argument, développé par le président Retailleau, de l’impact du recours accru à la voiture pendant les grèves sur les émissions de CO2 – le droit de grève contre la planète ! –, je dois dire qu’il était bien tenté et assez osé, mais pas très convaincant… (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)