Mme Laurence Rossignol. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 25.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet article n’apporte ni ne modifie rien à la législation relative aux transports : il s’agit d’un simple copier-coller de l’article L. 1222-2 du code des transports. Ainsi, les mêmes dispositions apparaîtront deux fois au sein du même chapitre.
L’article en question dresse la liste des causes de perturbation du trafic ; évidemment, la grève figure en tête…
À cet égard, cette proposition de loi n’apporte rien. Dès lors, que signifie ce nouvel article ? Il trahit une obsession de l’auteur de ce texte en faisant apparaître la grève deux fois comme cause de perturbation du service.
Aussi, je lui pose cette question : est-ce une manière de dire que la grève est deux fois plus pénalisante ou deux fois plus condamnable ? L’un des buts de ce texte est, sans conteste, d’alimenter une vision péjorative de la grève dans les transports.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Ma chère collègue, il ne s’agit pas de faire figurer la grève plusieurs fois dans le texte : nous avons simplement déplacé la définition des perturbations prévisibles de l’article 3 à l’article 2.
Nous ne pouvons donc qu’être défavorables à ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (Murmures sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16 et 25.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le code des transports est ainsi modifié :
1° Après la section 1 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis
« Définition d’un niveau minimal de service dans les transports publics
« Art. L. 1222-1-2. – L’autorité organisatrice de transport définit un niveau minimal de service correspondant, compte tenu des autres moyens de transport existant sur le territoire, à la couverture des besoins essentiels de la population et fixe les fréquences et plages horaires correspondant à ce niveau de service.
« Ce niveau est celui qui permet d’éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’accès aux services publics, à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l’industrie et à l’organisation des transports scolaires ainsi que de garantir l’accès au service public de l’enseignement les jours d’examens nationaux. Il prend en compte les besoins particuliers des personnes à mobilité réduite.
« La délibération définissant le niveau minimal de service est transmise au représentant de l’État et rendue publique.
« En cas de carence de l’autorité organisatrice de transport, le représentant de l’État détermine le niveau minimal de service. » ;
2° Les six derniers alinéas de l’article L. 1222-2 sont supprimés ;
3° L’article L. 1222-3 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « prioritaires », sont insérés les mots : « mentionnées à l’article L. 1222-2 ainsi que le niveau minimal prévu à l’article L. 1222-1-2 » ;
b) Les troisième à sixième phrases sont supprimées ;
4° Les deuxième et troisième phrases de l’article L. 1222-5 sont supprimées ;
5° Après la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 1222-7, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il détermine également les personnels nécessaires à l’exécution du niveau minimal de service susceptibles d’être requis en application de l’article L. 1222-7-1. » ;
6° Après l’article L. 1222-7, sont insérés des articles L. 1222-7-1 à L. 1222-7-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 1222-7-1. – Lorsque, en raison d’un mouvement de grève, le nombre de personnels disponibles n’a pas permis, pendant une durée de trois jours consécutifs, d’assurer le niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population mentionné à l’article L. 1222-1-2, l’autorité organisatrice de transports enjoint à l’entreprise de transports de requérir les personnels indispensables pour assurer ce niveau de service conformément à l’accord ou au plan de prévisibilité mentionné à l’article L. 1222-7.
« La décision de l’autorité organisatrice de transports est transmise aux organisations syndicales représentatives dans chacune des entreprises concernées.
« Art. L. 1222-7-2. – L’entreprise de transports est tenue de se conformer à l’injonction de l’autorité organisatrice de transports dans un délai de vingt-quatre heures.
« Art. L. 1222-7-3. – Les personnels requis en application de l’article L. 1222-7-1 en sont informés au plus tard vingt-quatre heures avant l’heure à laquelle ils sont tenus de se trouver à leur poste.
« Est passible d’une sanction disciplinaire le salarié requis en application de l’article L. 1222-7-1 qui ne se conforme pas à l’ordre de son employeur. »
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Une nouvelle fois, je déplore le dépôt de ce texte caricatural et inutile ; mais, pour certains, elle constitue peut-être un moyen d’exister…
Le socle de cette proposition de loi, c’est l’instauration d’un service dit « garanti », et non plus « minimum », par la possibilité de réquisitionner les salariés nécessaires à l’accomplissement des besoins définis comme essentiels par l’autorité organisatrice.
Chers collègues, il s’agit là d’une lourde erreur d’appréciation quant aux « services essentiels pouvant justifier la réquisition ». Il me semble même que vous vous trompez doublement.
Premièrement, vous faites fausse route sur la définition des « services essentiels ». Ces derniers ne relèvent que des besoins vitaux et de sécurité – hôpitaux, pompiers ou policiers –, qui font l’objet de lois particulières. Étendre aux transports la notion de « besoins essentiels », telle que l’entend, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel, nous paraît donc largement excessif, y compris parce que d’autres moyens de déplacement sont toujours possibles.
Deuxièmement, vous vous trompez quant aux autorités compétentes en matière de réquisition : seule une loi ou, à défaut, une décision du préfet peut imposer la réquisition. L’autorité organisatrice, et encore moins l’entreprise, n’a pas le droit, sans autre procédure, de réquisitionner le personnel.
Vous nous proposez donc une nouvelle usine à gaz. En effet, alors que vous avez acté la libéralisation des transports et le démantèlement des monopoles des entreprises publiques, la tâche risque d’être particulièrement ardue pour les autorités organisatrices : avec de telles mesures, vous ne leur faites pas un cadeau.
Il est d’ailleurs incroyable de voir ceux-là mêmes qui ont ouvert la SNCF et la RATP à la concurrence pleurer, aujourd’hui, la continuité du service public. C’est même un comble !
Enfin, je vous signale que, selon un sondage BVA du 23 janvier dernier, sept Français sur dix estiment que le mouvement de protestation actuel doit se poursuivre.
Nos concitoyens sont loin d’être dupes et, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans cet hémicycle, la grève n’a pas eu d’effet néfaste sur l’environnement, bien au contraire. En matière d’écologie, elle a eu des conséquences tout à fait positives : entre novembre et décembre 2019, l’usage du vélo a bondi de 200 % à Paris.
M. Bruno Sido. Il n’y a pas que Paris !
M. Guillaume Gontard. De nouvelles vocations sont nées. On compte aujourd’hui 130 % de cyclistes supplémentaires. J’ai même vu Laurent Wauquiez pédaler il y a quelques jours à Paris… (Exclamations.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Alors, dans ce cas…
M. Bruno Sido. Paris, Paris, toujours Paris !
M. Joël Guerriau. Pensez un peu aux régions !
M. Guillaume Gontard. C’est peut-être un signe et, en conclusion, je dis : vive la grève ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Cette proposition de loi constitue une véritable provocation sociale, dans un contexte déjà particulièrement tendu, à cause de la volonté inébranlable de faire passer en force le projet de loi portant réforme des retraites.
Toute la communication institutionnelle, relayée par les médias, tend à faire passer les grévistes pour des fauteurs de troubles irresponsables, guidés par la seule volonté de défendre leurs acquis, sans visée collective.
C’est évidemment faux : les grévistes, notamment dans les transports – ceux qui paient le plus lourd tribut à la lutte –, se battent pour tous, y compris pour ceux qui ne font pas grève aujourd’hui. Ils sont les « premiers de cordée » de la forte contestation sociale que connaît notre pays. En exerçant leurs droits, ils expriment le rejet que leur inspire cette réforme : c’est aussi le prix de la démocratie.
La droite et le patronat ont un fantasme ancien : en revenir au temps des maîtres de forges, disposant de salariés sans droits et de citoyens sans voix.
D’ailleurs, une forte complicité se fait jour entre le Gouvernement et les directions d’entreprise pour casser les droits collectifs des travailleurs, que ce soit en mettant fin au statut, par de précédentes réformes, comme le pacte ferroviaire, ou en brisant les grèves, y compris en accordant des primes à ceux qui n’ont voulu ou pu rejoindre le mouvement…
Monsieur le secrétaire d’État, on ne vous a toujours pas entendu sur cette question, mais vous le savez bien : les primes accordées aux non-grévistes sont anticonstitutionnelles !
Nous pouvons également invoquer la manière dont le Gouvernement est intervenu lorsque les agents de la SNCF ont fait valoir leur droit de retrait. Cette collusion d’intérêts est inacceptable et dangereuse, car elle a pour but la régression des droits collectifs !
Enfin, dois-je rappeler que les grèves sont un puissant outil de conquêtes sociales ? Pour rafraîchir les mémoires de toutes et tous, je citerai les accords de Grenelle, obtenus après les grèves de 1968 : l’extension de la quatrième semaine de congés payés et l’augmentation du SMIC de 35 % en sont le fruit, comme bien d’autres acquis.
Priver du droit de grève les agents du service public de transport en organisant les conditions de leur réquisition, c’est nous condamner collectivement à renoncer à tout grand progrès social. Nous demandons donc le retrait de cette proposition de loi, qui – nous le répétons – est une provocation, surtout dans le moment social que nous sommes en train de vivre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Chers collègues, vous l’avez compris : nous n’approuvons pas du tout cette proposition de loi, qui s’attaque au droit de grève, et au message d’autorité et de fermeté qu’elle contient.
J’aimerais bien vous voir afficher la même exigence et la même fermeté lorsqu’il s’agit de défendre les services publics. Mais, bien sûr, il n’en est pas question dans ce texte…
Les autorités organisatrices de mobilité ont besoin non pas de compétences nouvelles en matière de réglementation des grèves, mais de moyens pour financer les services publics, pour que, enfin, ce ne soit plus la galère quotidienne dans les transports.
Vous le savez comme moi, les grèves constituent une part infime des dysfonctionnements. Votre but est bien loin des préoccupations quotidiennes des usagers : aujourd’hui, s’ils sont pris en otage, c’est par les politiques de restriction budgétaire, c’est par le règne du « tout-marché ». En tant qu’ancienne administratrice d’Île-de-France Mobilités, l’ex-syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), je puis en témoigner.
Il est totalement démagogique de pointer du doigt les grévistes pour leur imputer tous les maux de la dégradation du service public. Comment ignorer que ces agents se mobilisent, justement, pour la sauvegarde de leur outil de travail, pour la sécurité et le confort des usagers ? Qu’ils se battent pour que ce patrimoine reste celui de toutes et de tous ?
Votre initiative a, au moins, un effet positif… En creux, vous formulez un aveu : celui de l’utilité des agents publics et des services publics. Il faut transmettre le message à tous ceux qui, hypnotisés par le dogme de la réduction de la dette, veulent supprimer des emplois, que ce soit parmi les fonctionnaires de l’État ou dans les entreprises publiques, notamment à la SNCF.
La réduction du nombre d’enseignants, de cheminots, de juges ou encore d’avocats est préjudiciable à la bonne marche de la société : vous le savez pertinemment !
Enfin, ce texte traduit une conception bien particulière du respect des partenaires sociaux. Comment accepter que cette proposition de loi n’ait fait l’objet d’aucune consultation ? Comment croire qu’elle freinera la conflictualité ? Manifestement, c’est tout l’inverse qui va se produire. Quand on veut une réelle concertation, on en crée les conditions.
De 2010 à 2015, j’ai présidé la commission « démocratisation au STIF » au sein du conseil régional d’Île-de-France. À ce titre, j’ai associé tous les syndicats à l’examen des contrats conclus avec les opérateurs. J’ai ainsi veillé à les auditionner pour étudier les différences offres, en particulier au regard de la qualité de service. Or vous proposez tout le contraire !
Je le répète : loin de résoudre les problèmes de conflictualité, vous allez les aggraver. Il faut absolument retirer ce texte !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
M. Bruno Sido. Oh là là…
Mme Laurence Cohen. Eh oui, cher collègue, c’est le débat parlementaire !
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, je trouve que cet article, si j’ose dire, ne fait pas très Sénat… (Exclamations amusées.) En effet, tel qu’il est rédigé, il constitue un cadeau empoisonné aux collectivités territoriales.
Cet article transfère à l’autorité organisatrice de transport le soin de définir le service minimal correspondant. Il s’agit principalement des régions. Demain, il appartiendra donc à celles et ceux qui les dirigent – vous en conviendrez, il y en a davantage de votre bord que du nôtre –…
Mme Laurence Cohen. Hélas !
Mme Cécile Cukierman. … de dire que telle ligne disposera de deux allers-retours par jour, quand telle autre en aura trois ou quatre, ou, à l’inverse, une seule.
Aujourd’hui, les fermetures de petites lignes ferroviaires et de gares mettent en émoi tous les présidents de région : jusqu’à présent, ces derniers n’avaient finalement pas dit grand-chose pour défendre le service public ferroviaire… Et, demain, ils devront gérer ces lignes de train en fonction de leur fréquentation ; la concurrence entre elles s’en trouvera encore accentuée.
Cela étant, maligne est la rédaction de l’article : l’alinéa 8 prévoit tout de même une éventuelle carence de l’autorité organisatrice de transport. En effet – on le devine –, les régions ne seront pas si nombreuses à faire ce pari pour mettre en concurrence leurs propres lignes ferroviaires ; une telle réforme revient à faire peser des décisions un peu trop importantes sur les épaules des élus.
À vous entendre, tout ira mieux demain grâce à cette proposition de loi. Mais, en fait, ce texte provoquera surtout du mécontentement. On l’a vu à propos du « service minimum » : si, pour certains, ces dispositions suffiront, pour d’autres, on n’en fera jamais assez, et nous tomberons dans une spirale.
Pour toutes ces raisons, je m’opposerai à l’article 3, d’autant qu’il n’est pas très clément pour les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les régions.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 17 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 26 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 17.
Mme Laurence Rossignol. Cet article est tout de même étrange…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Après « pas très Sénat », maintenant « étrange »…
Mme Laurence Rossignol. Jusqu’à nouvel ordre, le droit de réquisition est une compétence exclusive de l’État, exercée par l’intermédiaire des préfets. Ce n’est pas un hasard : il ne s’agit pas simplement de limiter le droit de grève. Le droit de réquisition se justifie par des situations exceptionnelles, à savoir un état de crise, par exemple sanitaire, ou une menace pesant sur l’ordre public.
Or, avec cet article, l’on nous propose de privatiser cette compétence régalienne, en la sous-traitant. Cécile Cukierman vient de le rappeler, il s’agit de la confier aux autorités organisatrices de transport, au premier rang desquelles les régions. Mais, ensuite, ces autorités organisatrices demanderont aux entreprises, qui peuvent être publiques ou privées, d’exercer la réquisition !
Je ne comprends pas comment des personnes, d’habitude très attachées à l’État et au maintien de ses compétences, peuvent ainsi transférer à des entreprises une part de son autorité…
Je le dis très clairement : à mon sens, cet article ne tient pas debout. En effet, l’on ne donne pas aux entreprises en question la capacité de réquisitionner. De plus, ces dispositions sont rédigées de manière très imprécise : elles n’indiquent pas de quelle manière l’on pourrait réquisitionner les salariés.
Par un arrêt du 15 décembre 2009, la Cour de cassation affirme sans aucune ambiguïté qu’un salarié gréviste ne peut être passible de sanction pour avoir refusé une réquisition, en vertu du cadre fixé par la loi, que je viens d’évoquer.
Il faudrait donc que la Cour de cassation revoie sa jurisprudence. Surtout, on ne nous dit pas quelles sanctions seraient infligées ; on ne nous dit pas comment ce droit de réquisition serait appliqué, dans les entreprises à statut comme dans les entreprises régies par le code du travail, et par quels moyens.
Ce travail a été mené au mépris de la rigueur juridique et des principes républicains : ce n’est pas sérieux. C’est pourquoi je demande la suppression de l’article 3 ! (M. Olivier Jacquin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 26.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Plusieurs de mes collègues ont déjà pris la parole sur l’article, et Céline Brulin s’exprimera en explication de vote : je considère donc cet amendement comme défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Bien sûr, la commission est défavorable à ces amendements identiques. Il s’agit là du cœur de la proposition de loi : supprimer l’article 3, c’est vider le texte de tout contenu.
Madame Rossignol, vous évoquez les dispositions spécifiques aux entreprises. Au titre du service minimum dans le nucléaire, EDF requiert déjà les salariés qui doivent rester en poste : pourquoi de telles mesures ne seraient pas possibles, demain, en cas de privatisation du service des transports ?
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas pareil !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. En outre, le Conseil constitutionnel a admis un service minimum en matière de télévision, et le droit de réquisition est exercé par les directeurs de chaîne.
Quant aux autorités organisatrices de transport, elles dressent déjà les plans de transport applicables en temps normal. En conséquence, elles peuvent très bien établir les plans de transport a minima : c’est précisément pourquoi on leur donne ce pouvoir supplémentaire.
À nos yeux, l’article 3 répond tout à fait aux attentes de la population en matière de transport. Il prolonge la loi de 2007, qui créait un minimum de service, en mettant en place un service minimum.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous émettons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je confirme les propos de Mme la rapporteure : la réquisition ne relève pas du domaine de compétence exclusive du préfet. Elle peut être gouvernementale, préfectorale…
Mme Laurence Rossignol. Dans tous les cas, c’est l’État !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Elle peut également être prononcée par l’employeur : la jurisprudence le reconnaît. À ce titre, je vous renvoie à la décision Fédération Force ouvrière Énergie et Mines et autres, rendue en 2013 par le Conseil d’État.
À mon sens, ce débat renvoie au travail juridique qu’il nous reste à faire pour sécuriser le texte. C’est précisément le sens de la mission que j’ai mentionnée à l’instant, et dont je souhaite la constitution rapide.
À cet instant, pour ce qui concerne ces deux amendements identiques, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Madame la rapporteure, vous dites que l’article 3 constitue le cœur de cette proposition de loi. Sur ce point, je vous rejoins : c’est précisément la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article !
Plusieurs de mes collègues l’ont rappelé, on connaît le débat qui nous oppose au sujet du droit de grève. Mais, en l’occurrence, quelle mouche vous a piquée ? Pourquoi voulez-vous impliquer à ce point les régions, en leur confiant des responsabilités qu’elles ne demandent absolument pas ?
Les régions sont autorités organisatrices de transport et elles devraient, demain, s’immiscer dans des conflits auxquels elles sont totalement étrangères. Les grèves qui, aujourd’hui, bousculent la France en témoignent : en quoi les élus régionaux ont-ils quelque chose à voir avec ce qui oppose les salariés à l’exécutif national sur un projet de réforme des retraites ?
M. Jean-Paul Émorine. Précisément, cela n’a rien à voir !
Mme Céline Brulin. On pourrait multiplier les exemples de ce type : je connais assez peu de conflits qui concernent les seules régions. D’ailleurs, ces dernières ont déjà fort à faire avec les fusions qu’elles ont été obligées d’engager.
Enfin, j’y insiste, on ne peut pas espérer atténuer la colère en limitant le droit de grève. Cela reviendrait à vouloir ferait baisser la fièvre en cassant le thermomètre… C’est précisément le contraire qui est en train de se passer.
Ce que nous ressentons de l’état de notre pays, vous devez également le ressentir ! Nous avons eu les « gilets jaunes ». Auparavant, nous avions eu Nuit debout. Aujourd’hui, nous connaissons des blocages que personne ne souhaite voir perdurer. Pourquoi ? Parce que les gens ont le sentiment que les formes d’action dites « traditionnelles », comme la grève, ne sont absolument plus entendues dans ce pays.
Mme Éliane Assassi. Très juste !
Mme Céline Brulin. Des Présidents de la République, ou des chefs de gouvernements, comme le Premier ministre actuel, se plaisent à dire que, désormais, les grèves ne se voient plus. Eh bien, dans ce contexte, ne soyons pas étonnés que nos concitoyens cherchent d’autres formes de lutte.
Soyons très attentifs : cette situation peut nous conduire très loin, ce que personne ici ne souhaite !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.
M. Didier Mandelli. Je m’inscris en faux contre les arguments développés en faveur de ces amendements : demain, en vertu de la loi d’orientation des mobilités, les régions ou les intercommunalités qui en feront la demande obtiendront de nouvelles compétences en matière de mobilité.
Aussi, il m’apparaît logique et cohérent que ces niveaux de collectivités, au plus près des besoins et des attentes des usagers, soient chargés de définir le service minimum à mettre en œuvre à leur échelle. C’est d’autant plus vrai que, au titre de la loi d’orientation des mobilités, nous avons voté un élément essentiel concernant le ferroviaire : la gestion des petites lignes pourra être confiée aux régions.
Non seulement l’évolution proposée est possible, mais ces dispositions sont juridiquement étayées !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. On ne peut pas laisser dire que cette proposition de loi n’est pas sérieuse : bien au contraire, elle est particulièrement solide.
Dès lors que des autorités organisatrices de transport sont chargées de mettre en place des services pour assurer la mobilité de nos concitoyens, il est logique qu’elles puissent prendre l’ensemble des mesures permettant effectivement de garantir cette mobilité, y compris lorsque des événements viennent la troubler.
En outre, on ne peut pas accepter que nos concitoyens soient pris en otage par des grévistes, ou que leur liberté de circulation soit entravée au nom de quelque lutte que ce soit. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
Mme Éliane Assassi. Et inversement !
M. Michel Canevet. Il est temps d’appliquer ce principe.
Il n’est pas normal que bon nombre d’usagers subissent – je l’ai également entendu tout à l’heure ! – une galère quotidienne dans les transports : ce n’est pas acceptable. Une minorité agissante ne saurait empêcher la grande majorité de se déplacer, en particulier pour aller au travail. Il est temps d’agir pour que les libertés de circuler et de travailler soient effectivement assurées dans notre pays ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Sur le RER B, grève ou pas grève, c’est la galère tous les jours !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Mes chers collègues, je ne voudrais pas polémiquer ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais il y a une chose dont les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne semblent pas avoir conscience ; c’est la gêne occasionnée pour les usagers.
Je m’explique : je suis comme vous sénateur et, comme vous, je suis présent toutes les semaines. Je suis Haut-Marnais, et à Chaumont, où je vis, il n’y a pas eu un seul train pendant deux mois : zéro !
Mme Michelle Gréaume. Eh oui, c’est la grève !