Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2015, tous les trois jours, une femme mourait sous les coups de son conjoint ; en 2019, c’est une femme tous les deux jours. Au pays d’Olympe de Gouges, cette évolution préoccupante nous oblige.
Aussi je me réjouis que nous examinions aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié, dont je salue l’engagement et la présence dans nos tribunes.
Ce texte a été adopté par nos collègues députés à l’unanimité le 15 octobre dernier. Un constat de bon sens s’est alors imposé. Les dispositions annoncées par le Premier ministre lors du lancement du Grenelle des violences conjugales figuraient pour partie dans la proposition de loi d’Aurélien Pradié, dont le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale avait déjà inscrit l’examen dans le cadre de sa niche parlementaire. Dès lors, le Gouvernement ne pouvait que réserver un accueil favorable à ce texte et, par l’enclenchement de la procédure accélérée, permettre son entrée en vigueur rapide. Il y a donc là un élan collectif, une volonté partagée et le souci d’agir avec efficacité. On ne peut que s’en réjouir.
Il est vrai qu’il était urgent d’interroger l’efficacité de nos dispositifs. La proposition de loi d’Aurélien Pradié répond à cette exigence. Je pense particulièrement aux dispositions relatives aux ordonnances de protection, à la possibilité d’y recourir sans condition de dépôt préalable d’une plainte, à la réduction de leur délai de délivrance, à l’extension de leur champ. De même, le renforcement des prérogatives du juge aux affaires familiales, le recours au bracelet anti-rapprochement ou l’attribution facilitée du téléphone grave danger sont des réponses pertinentes. Saluons également les dispositifs d’accès au logement pour les personnes victimes de violences conjugales.
Non, la proposition de loi d’Aurélien Pradié n’est pas une petite loi ! Il est toutefois vrai que, au-delà de ce texte, comme nous l’avons relevé au sein de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, la sensibilisation et la prévention des violences intrafamiliales demeurent des sujets de préoccupation sur lesquels il nous faudra travailler.
J’entends également le souhait de notre rapporteur, Marie Mercier, de voir évaluer la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement, dispositif nouveau aux mains du juge civil. Nous aurons de toute façon à en reparler, si j’en juge par l’échange que nous avons eu après le rappel au règlement de Jean-Pierre Sueur, mais il y a urgence à agir !
Voilà pourquoi, madame la ministre, je tiens à appeler votre attention sur un point essentiel : le 29 octobre dernier, alors qu’était examiné le projet de budget de la justice pour le financement des téléphones grave danger et des bracelets anti-rapprochement, vous vous êtes contentée de faire cette déclaration lapidaire : « Nous ferons une annonce et les crédits correspondants seront prévus. » Puisque vous soutenez cette proposition de loi, puisque vous avez contribué à l’engagement de la procédure accélérée, pourquoi n’inscrivez-vous pas les crédits nécessaires dans le budget de la justice en cours d’examen au Parlement ? Il me semblerait important que vous apportiez une clarification sur ce point et que vous vous engagiez dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.
La volonté de lutter contre les violences intrafamiliales nous rassemble. Toutes les interventions que nous avons entendues l’ont montré, à l’exception peut-être de celle de Mme Benbassa, qui m’a semblé totalement hors sujet.
Le traitement d’un sujet de cette gravité ne souffre ni ambiguïtés ni effets d’annonce. Il y va de la crédibilité de l’action publique contre un fléau qui n’a plus sa place dans notre société et qui déshonore notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Chapitre Ier
De l’ordonnance de protection et de la médiation familiale
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 50 rectifié, présenté par M. Courteau, Mmes de la Gontrie, Rossignol, Lepage et Conconne, M. Temal, Mmes Blondin et M. Filleul, M. Sueur, Mme Monier, MM. M. Bourquin, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Préville et Meunier, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 114-3 du code du service national est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une information consacrée à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple, est dispensée. »
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Combattre les violences à l’égard des femmes nécessite de s’attaquer aux racines du mal que sont les inégalités entre les femmes et les hommes, mais aussi de lutter contre les stéréotypes sexistes, souvent à l’origine de ces inégalités. Ces stéréotypes sont partout présents et apparaissent dès la petite enfance.
Sensibiliser, éduquer, informer, former est donc incontournable en matière de prévention. Cela doit commencer à l’école, se poursuivre au collège et au lycée et se prolonger dans la vie de tous les jours. C’est à ce prix que nous parviendrons à changer les mentalités et contribuerons à éradiquer ces violences, au moins en partie.
Toutes les occasions sont bonnes à saisir. Lors de la journée défense et citoyenneté (JDC), les jeunes Français reçoivent un enseignement « respectueux de l’égalité entre les sexes », précise l’article L. 114-3 du code du service national. Ils sont sensibilisés aux droits et devoirs liés à la citoyenneté, aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale. Au cours de cette journée, il est délivré une information générale sur le don d’organes, sur la prévention des conduites à risque pour la santé et sur la sécurité routière.
Dès lors, il me semble opportun qu’une information soit également dispensée à cette occasion sur des sujets essentiels comme l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les préjugés sexistes, la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple. Je rappelle que plus de 1 500 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou partenaire ces dix dernières années.
Cela me paraît au moins aussi important que la sensibilisation à la sécurité routière dispensée aux jeunes Français lors de cette journée. La sensibilisation aux préjugés sexistes et aux violences à l’égard des femmes fait bien partie, me semble-t-il, de l’indispensable sensibilisation aux droits et devoirs liés à la citoyenneté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Permettre à tous les jeunes citoyens de bénéficier, pendant la journée défense et citoyenneté, d’une information sur l’égalité entre hommes et femmes et sur la lutte contre les violences conjugales est une excellente idée. C’est pourquoi la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne partage pas tout à fait l’opinion de Mme la rapporteur.
Évidemment, sur le principe, c’est une excellente idée et tout ce qui s’attache à l’éducation, à la formation, y compris d’ailleurs dès le plus jeune âge, avec l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les écoles, va dans le bon sens. Toutefois, je ne suis pas sûre que concentrer cette information sur la JDC soit la meilleure des solutions. Dans le cadre des travaux du Grenelle, la délivrance de ces informations dans le cadre du service national universel, le SNU, a été envisagée : cela donnerait plus de temps pour les dispenser.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je soutiens cet amendement.
Voilà quelques années, la Cour des comptes a rendu un rapport d’information sur la JDC, et j’ai modestement travaillé sur le sujet au sein de la commission des finances du Sénat. Une journée, c’est court pour faire passer tant de messages essentiels à des jeunes, souvent lycéens de première ou de terminale, et les sensibiliser aux valeurs de la République, ainsi qu’à l’égalité entre hommes et femmes et aux autres problématiques qui ont été évoquées, mais c’est fondamental pour l’avenir !
Une telle disposition va donc dans le bon sens. Certes, la JDC sera bientôt remplacée par le service national universel, mais il importe de faire passer sans attendre ce message de respect des femmes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Roland Courteau l’a très bien expliqué, le dispositif de cet amendement procède de la prévention. Madame la garde des sceaux, je vous ai écoutée attentivement, mais je ne vois pas d’antagonisme entre votre proposition et celle de M. Courteau : l’une n’empêche pas l’autre ! La mesure proposée me semble intéressante et de bon sens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, dans votre propos liminaire, vous avez parlé de synergie entre les différents acteurs. C’est pourquoi je ne comprends pas votre position sur cet amendement.
Cette synergie doit concerner aussi le Gouvernement ! Toutes les actions doivent être complémentaires. Je ne comprends donc vraiment pas votre attitude. Ne restons pas hors-sol ! La réalité est là : 129 femmes sont déjà mortes sous les coups de leur conjoint, et l’année n’est pas encore terminée. Vous ne pouvez pas vous opposer à une telle mesure, qui relève de la prévention à destination de nos jeunes, dont certains ont malheureusement été témoins de faits de violence conjugale. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Roland Courteau applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, ce que je propose, c’est au fond d’aller plus loin que cet amendement. Inscrire cette mesure dans le cadre du service national universel permettra de disposer de plus de temps pour dispenser l’information.
Mme Victoire Jasmin. Ce n’est pas incompatible avec ce que nous proposons !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. D’une certaine manière, c’est aller au-delà de ce qui est prévu par cet amendement, dont je ne conteste nullement l’intérêt ni le fond.
Mme Victoire Jasmin. Ne parlez pas de synergie dans ce cas !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous n’en sommes qu’au premier amendement, ce qui explique que nous soyons toujours passionnés !
Madame la garde des sceaux, permettez-moi de réagir à vos propos. Vous nous avez expliqué tout à l’heure – de manière laborieuse, mais je n’aurais pas aimé être à votre place – que, avec la proposition de loi, les annonces du président du groupe La République En Marche, le Grenelle des violences conjugales, etc., il fallait avancer vite, parce que tout cela était urgent. Je ne partage pas votre point de vue, mais soit.
Alors que nous vous proposons une modification simple, qui semble d’ailleurs recueillir l’assentiment d’un certain nombre de nos collègues dans cet hémicycle, vous nous expliquez qu’il faut attendre. Or je ne vois pas très bien ce que cela changerait d’attendre !
Vous avez émis un avis défavorable sur l’amendement, mais l’argument sur lequel il repose me semble assez inefficace.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je voterai bien sûr l’amendement de notre collègue Roland Courteau. Mme la garde des sceaux nous propose en réalité d’aller non pas plus loin, mais plus tard.
Mme Victoire Jasmin. C’est cela !
Mme Annick Billon. Nous l’avons vu à l’occasion de l’examen d’autres propositions de loi. Nous avons aujourd’hui la possibilité de prendre des décisions et d’avancer.
Allons-y, car c’est une urgence vitale pour toutes ces femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme l’a fait remarquer Mme de la Gontrie, nous n’en sommes en effet qu’au premier amendement ! (Sourires.) Je me permets donc de reprendre la parole.
J’ai bien compris, madame la sénatrice, que vous aviez trouvé ma première explication laborieuse. Je vais néanmoins poursuivre le labeur qui est le mien, qui plus est avec enthousiasme.
Les choses sont extrêmement claires : nous avons besoin que les deux points essentiels de cette proposition de loi, à savoir l’ordonnance de protection et le bracelet anti-rapprochement, soient adoptés rapidement. Je vous ai expliqué les raisons pour lesquelles j’en ai besoin.
Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, nous avons besoin de ce texte pour développer de façon pleine et entière le bracelet anti-rapprochement, ce qui n’était pas le cas dans le cadre des expérimentations qui avaient été envisagées à un moment donné. Nous avons besoin rapidement de l’accroche législative portée par M. Pradié.
En revanche, il me semble que nous pouvons attendre quelques semaines pour instaurer la formation que vous proposez dans le cadre de la journée défense et citoyenneté. Nous pourrons la déployer plus amplement dans le cadre du service national universel. Certes, l’intérêt est fort, mais l’urgence est moindre.
Telles sont les raisons pour lesquelles je maintiens ma demande de retrait.
M. Roland Courteau. C’est tiré par les cheveux !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
L’amendement n° 53 rectifié, présenté par Mmes Lepage, de la Gontrie et Rossignol, M. Courteau, Mmes Blondin, Conconne et M. Filleul, MM. Temal et Sueur, Mme Monier, MM. M. Bourquin, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Préville et Meunier, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lors du dépôt de plainte, en cas de violences conjugales, la victime peut être assistée par une association de défense des droits des femmes. »
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Les victimes de violences conjugales ont besoin de se sentir en confiance et d’être soutenues lors des différentes étapes de leurs démarches.
Le moment du dépôt de la plainte est une étape cruciale. C’est un moment important, un cap que les victimes ont du mal à passer. La honte, la peur, la défiance peuvent les empêcher de se présenter à un commissariat et de dénoncer les violences qu’elles ont subies. La possibilité pour ces victimes d’être accompagnées par une association spécialisée pourrait être un élément déclencheur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, je partage votre souci ; il est effectivement très utile que les victimes soient accompagnées.
Toutefois, votre amendement est satisfait : l’article 10-2 du code de procédure pénale prévoit déjà un tel accompagnement, ainsi que l’article 10-4. Ils précisent que la victime peut être accompagnée à toutes les étapes de la procédure par la personne majeure de son choix.
Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Lepage, l’amendement n° 53 rectifié est-il maintenu ?
Mme Claudine Lepage. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 53 rectifié est retiré.
L’amendement n° 54 rectifié, présenté par Mmes Lepage, de la Gontrie et Rossignol, M. Courteau, Mmes Blondin, Conconne et M. Filleul, MM. Temal et Sueur, Mme Monier, MM. M. Bourquin, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Préville et Meunier, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas de violences conjugales, l’inscription au registre de main courante ne peut se substituer au dépôt de plainte. »
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Certaines victimes de violences conjugales qui souhaitent déposer plainte sont parfois encouragées à déposer une simple main courante. On leur dit souvent que cela évite d’alerter leur agresseur.
La main courante et la plainte n’ont évidemment pas les mêmes effets. C’est bien pour cela qu’elles coexistent. La main courante ne déclenche aucune action de l’autorité publique. Or, dans les situations de violences, il est important d’apporter une réponse.
Je ne souhaite pas bien sûr empêcher les victimes de déposer une main courante ; elles pourront toujours le faire, cela va de soi. Je souhaite juste qu’elles ne soient pas dissuadées de porter plainte, comme c’est malheureusement trop souvent le cas.
Cet amendement vise donc à éviter de substituer au dépôt de plainte une simple inscription dans le registre des mains courantes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Là encore, ma chère collègue, je comprends parfaitement votre préoccupation. De trop nombreuses victimes rencontrent effectivement des difficultés au moment de déposer une plainte. On leur propose alors de déposer une main courante.
Cependant, l’adoption de cet amendement ne résoudrait pas la difficulté que rencontrent les femmes sur le terrain, d’abord parce que le code de procédure pénale est très clair – la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions pénales –, ensuite parce que son interprétation risque de se révéler difficile si la victime, une fois pleinement informée des enjeux du dépôt de la plainte, souhaite finalement non plus porter plainte, mais effectuer un simple signalement des faits.
Devra-t-on l’obliger à porter plainte ? Comment cet amendement pourrait-il être interprété a contrario ? Doit-on comprendre que, en dehors des affaires de violences conjugales, une main courante pourrait se substituer à une plainte ?
Ce qu’il faudrait, c’est que les mesures concrètes qui facilitent le dépôt de plainte soient bien connues : la possibilité de déposer une pré-plainte en ligne, de déposer plainte à l’hôpital. Par ailleurs, les officiers de police judiciaire doivent être formés. Je pense que c’est l’ensemble de ces éléments qui permettront d’avancer sur le terrain.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Ma collègue Claudine Lepage a dépeint une réalité.
Certes, le code de procédure pénale prévoit que la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes, mais je pourrais vous citer des centaines de cas dans lesquels des policiers ou des gendarmes débordés n’ont pas eu les moyens de les enregistrer. Et je ne vous parle même pas des conditions d’accueil la nuit ! Certaines gendarmeries sont carrément fermées, car elles manquent d’effectifs pour recevoir le public.
Souvent, on dit donc aux gens : « Contentez-vous de déposer une main courante, nous n’avons pas le temps de recevoir des plaintes. » Il faudrait supprimer cette simplification, qui semble parfois convenir à beaucoup de gens !
Même s’il n’est pas possible de substituer une main courante à un dépôt de plainte, c’est, je le répète, une réalité quotidienne.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement est bien plus important qu’il en a l’air. On ne peut pas, à chaque fois qu’une femme est assassinée, dire : « Ah ! Mais elle l’avait signalé ! », « On ne s’est pas rendu compte qu’il y avait un problème », « Qu’aurions-nous dû faire ? », etc.
Claudine Lepage l’a bien expliqué : il n’est pas simple de rencontrer un officier de police judiciaire ou un gendarme et de lui raconter ce qui vous est arrivé. Je passe sur l’accueil, qui est parfois… inadéquat – je cherchais un terme qui ne soit pas péjoratif…
L’orientation vers la main courante est un problème. Si l’on veut réellement que les faits remontent aux parquets, il faut que les victimes déposent une plainte. Sans cela, il n’y aura pas ouverture d’une information.
Évidemment, les femmes ont peur. Évidemment, elles se disent parfois qu’une main courante suffira. Si, en plus, on leur dit que cela sera suffisant, il n’y a aucune chance qu’elles déposent une plainte.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je regrette, madame la garde des sceaux, que vous ne soyez pas plus explicite sur le rappel des instructions aux officiers de police judiciaire, qu’ils soient policiers ou gendarmes. Le code de procédure pénale leur impose en effet de recevoir les plaintes, mais, concrètement, ils ne le font pas.
Comment fait-on ? Continue-t-on de dire que le code de procédure pénale protège ou essaie-t-on de trouver une voie pour que, dans ce domaine, il ne soit pas possible de ne pas recevoir les plaintes ? Il faut que nous trouvions une solution, madame la garde des sceaux.
Cet amendement vise à permettre aux victimes de passer le cap difficile du dépôt de plainte, seule manière d’informer le parquet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. J’ai assisté à Valence à une réunion de lancement du Grenelle des violences conjugales. La justice, les gendarmeries, les associations et les parlementaires étaient représentés. Or les représentants de la justice ont indiqué qu’il fallait vraiment insister pour que les victimes déposent des plaintes et non des mains courantes. Il est important que ce choix-là soit fait.
Je rejoins les propos tenus par Catherine Conconne à l’instant : les gendarmes présents ont souligné qu’ils manquaient de moyens et qu’ils rencontraient des difficultés pour prendre le temps de recevoir ces femmes et d’enregistrer leurs plaintes.
Il ne faut donc pas minimiser l’importance de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour explication de vote.
M. Joël Bigot. Madame le rapporteur, madame la garde des sceaux, vous ne pouvez pas invoquer ce que prévoit le code de procédure pénale aujourd’hui. Il dit simplement que si une victime souhaite déposer plainte, la police ou la gendarmerie est obligée de l’enregistrer. Il ne dit pas que la police ou la gendarmerie peut lui conseiller de déposer une main courante. Or c’est cela, la réalité.
Nous le savons, pour endiguer les féminicides, il faut agir très rapidement, dès le début des violences conjugales. Cela signifie qu’un signalement doit être pris en compte dès qu’il est effectué. C’est assez souvent le cas sur le terrain, lorsque les procureurs de la République et les services de police organisent les choses, lorsque les policiers sont sensibilisés et formés, mais cela n’est pas généralisé.
L’amendement qui nous est ici soumis tend à prévoir que, dès lors que des violences conjugales sont signalées, une plainte, et non une main courante, doit être déposée.
Si vous voulez aboutir au résultat escompté avec ce texte, il faut voter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour explication de vote.
Mme Marta de Cidrac. Mon intervention sera brève. Je souhaite simplement dire que cet amendement est excellent, que je le voterai et que je regrette même de ne pas en être cosignataire.
En effet, l’urgence est réelle aujourd’hui. Nous devons tous nous mobiliser pour que les femmes qui subissent des violences conjugales puissent déposer une plainte.
Je suis désolée, madame le rapporteur, de ne pas partager votre analyse, mais sur ces sujets, qui sont d’une extrême importance aujourd’hui, nous devons tous être vigilants et permettre aux femmes qui subissent des violences chez elles de déposer plainte immédiatement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je voterai également cet amendement.
Aujourd’hui, on le sait, il y a un réel défaut de formation des policiers, des gendarmes et des magistrats. Les victimes sont accueillies, cela a été dit au cours de la discussion générale, de manière très aléatoire et très différente selon les territoires.
Dans la mesure où nous n’avons pas la garantie que les victimes bénéficient dans tous les commissariats, dans toutes les gendarmeries, du même accueil, par des personnels formés à l’accueil des victimes, il est urgent de voter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends évidemment les préoccupations qui sont les vôtres ; je les partage, même. Je formulerai toutefois trois observations, qui me conduiront à renouveler l’avis défavorable que j’ai émis tout à l’heure sur cet amendement.
Ma première observation portera sur la réalité de ce que vivent les femmes qui subissent des violences et qu’il faut bien prendre en compte.
Un certain nombre d’entre elles doivent être conduites progressivement à déposer une plainte. C’est ce que font les services qui les accueillent, les hôpitaux et les associations. Ce travail, qui aboutira à un moment ou à un autre à un dépôt de plainte, ne peut pas être imposé d’emblée.
C’est la raison pour laquelle, pour ma part, je veille à ce que l’on conserve plusieurs niveaux de saisine de la police judiciaire, plusieurs niveaux d’interpellation. Il est important de conserver la main courante dans certaines hypothèses, sachant que le code de procédure pénale prévoit que l’on ne peut pas refuser le dépôt d’une plainte.
Ma deuxième observation portera sur la formation, que vous avez évoquée, madame la sénatrice Billon. Je l’ai dit, nous avons commencé à mettre en œuvre un programme de formation colossal pour les magistrats. Mon collègue Castaner s’est engagé à faire de même. Nous conduisons également des formations conjointes. Je pense que ce dispositif permettra de former assez rapidement des gens ayant pour spécialité le recueil des plaintes.
Ma troisième observation fait suite à ce que vous avez dit, madame la sénatrice de la Gontrie. Vous avez déclaré que, au fond, ce qui importe, ce sont les instructions que je donne pour faire évoluer les pratiques. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s’exclame.) Peut-être vous ai-je mal comprise, mais c’est en tout cas ce que j’ai retenu.
À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que le ministère de la justice a adressé au parquet le 30 décembre 2013 un protocole-cadre relatif au traitement des mains courantes en matière de violences conjugales.
Ce protocole, qui a été élaboré avec le ministère de l’intérieur et qui comprend quatre articles et un préambule, précise que le dépôt d’une plainte, suivie d’une enquête judiciaire, demeure le principe, mais que, même en l’absence de plainte, une enquête devra intervenir, que le parquet devra être informé en cas de faits graves et qu’une réponse sociale devra être articulée. Cela signifie que, en l’absence de plainte, une simple main courante suffit : si les faits sont suffisamment graves, le parquet doit être informé et une enquête pourra intervenir.
À la suite de l’adoption de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, mon ministère reprendra et réaffirmera cette instruction, dans des mots autres. Ce sera très précieux.
Enfin, dans la circulaire du 9 mai dernier, que j’ai signée et adressée aux procureurs généraux, je rappelle qu’il est impératif de traiter l’ensemble des signalements qui sont effectués.
Telles sont les raisons pour lesquelles il ne me semble pas absolument impératif d’inscrire dans la loi la disposition que tend à introduire cet amendement, sur lequel, je le répète, j’émets un avis défavorable.