Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 23.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant ratification de l’ordonnance n° 2019-207 du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n° 598, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la motion
M. Pierre Ouzoulias. Citius, altius, fortius (Marques d’appréciation sur les travées du groupe Les Républicains.) : telle est la devise des olympiades de l’ère moderne. Votre projet de loi pourrait en être une brillante illustration, madame la ministre, tant il manifeste l’intention du Gouvernement d’aller plus vite dans la désagrégation du modèle sportif français, plus haut dans la transgression des droits du Parlement et plus fort dans sa volonté d’imposer cette réorganisation majeure sans aucune concertation.
M. Guy-Dominique Kennel. Voilà qui est bienveillant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Ouzoulias. Tout commence lors de la discussion du projet de loi de finances pour l’année 2019 et le dépôt d’un amendement gouvernemental attribuant les taxes affectées au Centre national pour le développement du sport à une nouvelle Agence nationale du sport, sans existence. La rapporteure spéciale de ce budget pour l’Assemblée nationale avait exprimé alors ses plus vives réserves sur la transparence de cette manipulation budgétaire et, plus fondamentalement, sur l’opportunité de créer une nouvelle structure, à côté du Centre national pour le développement du sport et de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance.
Dans le même esprit, le 29 novembre 2018, lors de l’examen du même projet de loi de finances, notre groupe, en la personne de notre collègue Pascal Savoldelli, s’était fermement opposé au transfèrement des crédits du Centre national pour le développement du sport vers un organisme dont le devenir, la gouvernance et les missions étaient encore indéfinis.
Sans écouter les mises en garde et les critiques multiples, votre ministère a poursuivi dans l’improvisation en donnant, par un simple arrêté, le statut de groupement d’intérêt public à l’Agence nationale du sport. La fragilité juridique de ce dispositif vous oblige aujourd’hui à demander au Parlement de la doter d’une base légale un peu plus affermie, mais totalement dérogatoire. Vous nous proposez donc, dans l’urgence et en catimini, la création d’une nouvelle structure chargée d’endosser « un rôle de maîtrise d’ouvrage sur le champ de la haute performance sportive », par un article introduit subrepticement dans une loi de ratification d’une ordonnance. Les bonnes pratiques législatives auraient dû vous conduire à nous présenter ce projet de réorganisation du sport de haut niveau dans une loi spécifique ou, à tout le moins, de nous expliquer sincèrement que c’était l’objet primordial du présent texte et que les articles de ratification n’y étaient rattachés que de façon accessoire.
Nous regrettons vivement que vous n’ayez pas suivi l’injonction du Conseil d’État de faire apparaître dans le titre de ce projet de loi, de manière explicite, la création de l’Agence nationale du sport. À la demande de notre rapporteur, le sénateur Claude Kern, dont je salue le travail, notre commission a satisfait heureusement cette prescription.
Mais il y a plus grave ! Dans son avis très critique, le Conseil d’État souligne que la nature juridique très particulière du groupement d’intérêt public, les missions générales qui lui ont été confiées par un arrêté et sa nécessaire pérennité imposent de lui octroyer, par la loi, un statut dérogatoire.
Autrement dit, vous demandez au Parlement, par ce projet de loi, d’assurer l’existence juridique d’un organisme créé par un arrêté ministériel. La hiérarchie des normes en est renversée et le Parlement est sommé d’approuver une décision administrative constituée en fait accompli. Sa compétence est ainsi liée, ce qui est contraire au principe démocratique de la séparation des pouvoirs.
C’est ce manquement qui motive le dépôt de la présente motion, conformément au troisième alinéa de l’article 44 de notre règlement.
En février 2018, dans le champ de compétence de notre commission, le Gouvernement avait déjà procédé de la sorte en organisant par décret la plateforme Parcoursup et nous demandant ensuite d’assurer rétroactivement, par la loi, la solidité juridique de ces dispositions nouvelles. Déjà, il avait forcé notre décision en engageant une réforme d’ampleur, qui aurait compromis le bon déroulement de la rentrée si elle n’avait pas été confirmée par la loi.
De la même façon, vous nous soumettez un projet de loi qui n’est que l’acte confirmatif d’un vaste projet de réorganisation du sport de haut niveau dont nous n’avons pas eu à connaître. En supprimant, par le décret du 20 avril 2019, le Centre national pour le développement du sport et en transférant ses ressources, ses biens et obligations à une nouvelle agence, dont le statut juridique est inapproprié pour poursuivre ses missions, vous nous soumettez à un impératif fort peu respectueux des droits du Parlement et, singulièrement, de la liberté d’appréciation du Sénat.
La loi du 29 octobre 1975, dite loi Mazeaud, fut l’un des outils essentiels de la construction du modèle sportif français. J’en rappelle les objectifs affirmés avec force dans son article 1er : « Le développement de la pratique des activités physiques et sportives, élément fondamental de la culture, constitue une obligation nationale. […] L’État est responsable de l’enseignement de l’éducation physique et sportive […]. En liaison avec le mouvement sportif, l’État et les collectivités publiques favorisent la pratique des activités physiques et sportives par tous et à tous les niveaux […]. »
L’Insep, institué par son article 8, était chargé de l’encadrement du sport de haut niveau. Ses missions étaient alors de participer « à la recherche scientifique fondamentale et appliquée en matière pédagogique, médicale et technique ; à la formation continue de niveau supérieur des personnels enseignants d’éducation physique et sportive, des conseillers techniques et des éducateurs sportifs ainsi que des personnels des services de la jeunesse et des sports ; à l’entraînement des équipes nationales ainsi qu’à la promotion des sportifs de haut niveau. »
L’Agence nationale du sport, telle qu’elle est instituée par l’article 3 du présent projet de loi, semble recevoir dans ses dévolutions une grande partie de toutes ces missions, tant et si bien que monde sportif s’est interrogé sur la place qui serait laissée à l’Insep.
Le Conseil d’État vous a expressément demandé dans son avis de préciser comment l’État, le Gouvernement et votre ministère continueraient de mettre en œuvre les politiques publiques. Il vous a ainsi rappelé les obligations procédant de l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. » Afin de satisfaire cette obligation et de ne pas déposséder votre ministère de toutes ses capacités d’action, il vous a proposé de renforcer les moyens de contrôle de l’Agence par l’État et de mieux organiser ses moyens d’intervention en faveur des politiques publiques décidées par le Gouvernement.
Le projet de loi transmis au Sénat a très peu été corrigé pour satisfaire ces demandes du Conseil d’État. C’est ce que vous avez appelé en préalable « travailler avec le Conseil d’État »…
Sur l’initiative de son rapporteur, dont je salue la valeureuse tentative de sauvetage, notre commission a considérablement amendé votre projet pour mieux définir le rôle et l’action de cette nouvelle agence, notamment dans les territoires. Néanmoins, malgré ces propositions, il demeure légitime de se demander si la forme juridique du groupement d’intérêt public est appropriée pour répondre à ces objectifs ainsi redéfinis.
Il serait plus judicieux de remettre en chantier la grande loi annoncée par votre prédécesseur, Mme Laura Flessel, lors de la présentation du projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques, le 20 décembre 2017. Je la cite : « Je souhaite présenter début 2019 » – nous sommes en juillet – « devant le Parlement un projet de loi “sport et société” visant à encourager la pratique pour tous et partout, tout au long de la vie. Une loi pour le sport du quotidien, le sport plaisir, le sport santé, le sport éthique. Une loi qui parle aux gens. À ce texte et à sa préparation, je compte vous associer pleinement. »
Mes chers collègues, pour donner au Gouvernement la faculté d’honorer ses engagements, nous proposons au Sénat de surseoir à l’examen de ce texte en votant en faveur de la motion déposée par le groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Raymond Hugonet applaudit également.)
M. Claude Kern, rapporteur. Comme vous le savez, mes chers collègues, la création de l’Agence nationale du sport est déjà effective depuis le 24 avril dernier. Cette entité constitue une pierre essentielle sur le chemin de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Refuser de discuter du présent projet de loi ne remettrait pas en cause le principe de son existence. En revanche, cela pourrait fragiliser juridiquement son statut et, ainsi, compliquer l’exercice de ses missions.
Il me semble donc préférable d’ouvrir au Sénat un débat, qui n’a pas véritablement eu lieu à ce jour, et de profiter de l’examen de ce texte pour apporter les garanties nécessaires aux collectivités territoriales et au mouvement sportif. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Comme vous vous en doutez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Je l’ai dit, l’Agence nationale du sport, créée le 24 avril dernier, constitue un véritable outil au service du ministère des sports. Bien sûr, nous aurions aimé respecter le calendrier évoqué dans la présentation de cette motion, à savoir passer par l’étape de la discussion et de l’élaboration de la loi avant sa création. Nous avons néanmoins respecté le passage par la concertation. Celle qui a porté sur l’Agence nationale du sport, comme M. Kern l’a rappelé, a duré près de vingt mois ; on ne peut donc pas nous accuser de nous en être passés. Les collectivités et le mouvement sportif sont prêts à nous suivre.
Si, aujourd’hui, cette agence doit être consacrée dans la loi, c’est aussi pour pouvoir donner un cadre à certaines notions de transparence ou de contrôle des dirigeants. Il me semble donc impératif de ne pas nous arrêter en chemin. Pour faire du modèle à transformer un modèle vertueux, il faut finir la course et, donc, franchir les obstacles. Sans cela, nous risquons de tomber dans les travers dont on s’est précédemment fait l’écho.
Par conséquent, je nous incite tous à regarder la ligne d’arrivée, plutôt que les haies à franchir, qui, elles, font partie de la course.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lozach. Bien que je partage en grande partie les arguments développés par notre collègue Ouzoulias sur l’article 3, le présent texte comprend aussi deux autres articles – l’article 1er et l’article 2 –, qui s’inscrivent dans la continuité de la loi du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, loi que nous avions d’ailleurs adoptée à l’unanimité dans cette enceinte, contrairement à l’Assemblée nationale.
On ne peut pas se dédouaner de la nécessité de créer les bonnes conditions pour la tenue des jeux Olympiques de 2024 et, donc, faire abstraction d’un débat aussi majeur que celui qui nous attend dans quelques instants, notamment sur la notion de service public du sport.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Sans surprise, notre groupe soutiendra cette motion.
J’entends les arguments de nos collègues invoquant la nécessité de sécuriser l’Agence. Mais personne n’ignore ici que des recours ont été déposés devant le Conseil d’État pour demander l’annulation de sa création. Autrement dit, l’Agence est d’ores et déjà en situation d’insécurité absolue, pour les raisons brillamment exposées par notre collègue Ouzoulias et liées au cheminement désordonné ayant présidé à son instauration.
Nous sommes tout à fait disposés à débattre ; nous proposons même l’ouverture d’un grand débat sur une politique publique du sport dans ce pays. Mais n’imaginons pas que notre discussion de ce jour et le vote du projet de loi permettront de sécuriser l’Agence : il se pourrait que sa création soit tout simplement annulée dans les prochains jours !
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Bien sûr, je suivrai l’avis de la commission. Le rapporteur a choisi de s’emparer de ce texte pour corriger très fortement ses manques – nous en parlerons tout à l’heure.
Cela étant, je comprends le vif mouvement d’humeur de nos collègues, car, si vous dites avoir respecté la concertation, madame la ministre, vous n’avez pas respecté le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Pierre Ouzoulias. Eh oui !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Pendant plus d’un mois, nous vous avons demandé de venir devant la commission, comme le fait tout ministre pour défendre son texte, l’expliquer, dialoguer avec les parlementaires, essayer de l’enrichir, de l’améliorer. C’est le travail normal que nous faisons avec tous les membres du Gouvernement : encore récemment, avec M. Blanquer, nous avons fait un excellent travail et, ainsi, nous sommes parvenus à un texte satisfaisant.
Vous avez encore déposé des amendements aujourd’hui, à treize heures trente-huit,…
M. Mathieu Darnaud. Ah bah bravo !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. … amendements qui, d’ailleurs, comportent des erreurs rédactionnelles ; nous n’avons pas pu réunir la commission pour les examiner. Ce ne sont pas des manières de faire.
Les représentants du mouvement sportif, qui nous écrivent en abondance pour le déplorer, comme les collectivités territoriales ne se sentent pas concernés. C’est un véritable problème de méthode, car vous nous proposez une réforme très profonde du modèle sportif français.
Vous voyez les étapes de ce travail comme des haies, mais ce sont des haies nécessaires. Elles doivent être franchies de manière méthodique et un tant soit peu rigoureuse. D’ailleurs, le Conseil d’État a rendu un avis sévère sur la manière dont cette agence est censée être constituée.
Monsieur Ouzoulias, avec la plateforme Parcoursup, la situation était différente : nous étions dans une urgence immédiate, car il fallait suivre le cycle universitaire, assurer la rentrée à venir, alors que le précédent système était devenu illégal. En l’occurrence, nous avions tout de même un peu de temps pour travailler sérieusement le sujet.
Cette réforme inspire des inquiétudes, ne serait-ce que pour ce qui concerne les modalités organisationnelles de l’Agence et leur déclinaison dans les territoires. D’ailleurs, vous n’évoquez guère les collectivités territoriales. Je rappelle qu’elles investissent 12 milliards d’euros chaque année dans le sport, y compris le sport de haut niveau. On ne saurait donc faire sans les collectivités territoriales, qui se posent beaucoup de questions en ce moment, qui plus est avec le transfert des conseillers techniques sportifs.
Le Parlement est prêt à travailler, prêt à avancer, prêt à réformer. De grâce, respectez-le ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Guy-Dominique Kennel. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 23, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 159 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 268 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Paris accueillera dans cinq ans le plus grand des événements sportifs. Les jeux Olympiques et Paralympiques offrent des moments uniques de communion universelle, pendant lesquels des milliards d’hommes et de femmes aux quatre coins du globe vibrent ensemble aux exploits de leurs champions. Autant dire que l’échéance nous oblige.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui doit permettre à la France d’être à la hauteur de l’enjeu. Pour la deuxième fois, le Parlement est appelé à voter des dispositions spécifiques pour doter la puissance publique des outils adaptés. C’est notamment l’objectif des deux premiers articles, l’un ratifiant l’ordonnance relative aux voies réservées et à la police de la circulation, l’autre attribuant à la cour administrative d’appel de Paris les contentieux de déférés préfectoraux portant sur des opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière.
Ces deux articles découlent essentiellement de décisions déjà actées par le Parlement et n’appellent pas, de ce fait, de commentaire particulier. Mais, contrairement à ce qu’indiquait l’intitulé initial du projet de loi, le texte dont nous discutons aujourd’hui ne se réduit pas pour autant à de simples mesures techniques et opérationnelles. Il a une portée politique, que les travaux de la commission ont clairement exposée.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Camus. Il faut donc saluer l’initiative de notre collègue et rapporteur Claude Kern, qui a proposé de renommer le projet de loi afin de lui donner un titre qui correspond mieux à la réalité et sans doute, ce faisant, de diminuer le malheur de ce monde. En effet, le texte ne vise pas seulement la ratification d’ordonnances. Il régularise l’existence de l’Agence nationale du sport, dont le principe avait déjà été acté. Compte tenu des missions que vous souhaitez lui confier, madame la ministre, il apparaît nécessaire d’avoir un débat en bonne et due forme sur les implications de ces décisions pour notre modèle sportif.
La méthode que vous avez retenue pour soumettre ce projet de loi peut sembler un peu cavalière, notamment dans la succession des décisions, d’abord réglementaires, puis législatives, ou encore en ce qui concerne le temps d’échange et de débat en commission. Je n’insisterai pas sur ce sujet : Mme la présidente de la commission l’a déjà fait.
Ce projet de loi a pour objet, non seulement la bonne organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, mais aussi la réorganisation du modèle sportif de la France. Avec la création de l’Agence nationale du sport, c’est bien de l’avenir de la pratique sportive en France qu’il est question, tant pour les amateurs que pour les professionnels.
Ce changement d’approche constitue une décision politique au sens fort du terme. C’est pourquoi j’approuve la proposition de la commission d’associer des députés et des sénateurs à la gouvernance de l’Agence et de soumettre sa gestion au contrôle du Parlement, qui a toute légitimité pour prendre part au pilotage de cette institution.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Claude Malhuret. Mais la réorganisation du modèle sportif français concerne au premier chef les collectivités territoriales. Elles doivent prendre toute leur part dans ce dispositif ; le présent texte en pose le cadre et fixe les objectifs. Elles sont les acteurs les plus indiqués pour animer la pratique sportive dans nos territoires, à proximité immédiate de nos concitoyens.
Les aménagements introduits en commission, notamment concernant le principe d’une gouvernance territoriale de l’Agence nationale du sport, me semblent à cet égard tout à fait pertinents. Ils doivent contribuer à ancrer la politique nationale du sport dans les territoires.
En effet, le sport est un puissant vecteur d’intégration sociale. On y apprend à respecter l’autre pour ce qu’il fait, indépendamment de ce qu’il est. Camus, encore lui, disait que ce qu’il savait de plus sûr en matière de morale, il l’avait appris dans un stade de football. Je ne sais si j’ai raison de citer cette phrase : le football de l’époque de Camus n’a pas grand-chose à voir avec le football d’aujourd’hui… Toutefois, parce qu’il renforce le lien social, parce qu’il donne sa chance à tous, parce qu’il favorise toujours celui qui s’efforce et persévère, le sport est une école de la République, dans les villes comme dans les campagnes, pour chacun et pour chacune. Nous aurions bien tort de nous en priver.
Parce que le sport est si utile à la cohésion sociale, la puissance publique doit favoriser les conditions de sa pratique par toutes et par tous. Mais parce que le sport est aussi utile en matière de diplomatie internationale, par l’influence qu’il exerce par-delà les frontières, la puissance publique doit également créer les conditions propices à l’émergence de nouveaux talents et de futurs champions qui, avant d’aller décrocher l’or olympique, commenceront par s’entraîner là d’où ils viennent.
Madame la ministre, mes chers collègues, pour la politique du sport comme pour bien d’autres domaines, un modèle centralisé et étatique se révèle bien souvent moins efficace et moins inclusif qu’un modèle décentralisé et collégial.
M. Charles Revet. C’est une certitude !
M. Claude Malhuret. Il s’agit, dans ce cas comme dans d’autres, de faire confiance aux acteurs de terrain plutôt qu’aux technocrates éloignés du terrain.
Le groupe Les Indépendants votera donc le projet de loi tel qu’amendé par la commission, afin de soutenir le renouvellement du modèle sportif français et de renforcer le rôle des collectivités territoriales dans le dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Claude Kern, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, nous nous retrouvons pour la deuxième fois dans cet hémicycle pour examiner des dispositions législatives qui doivent permettre à la France de faire des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 une grande réussite.
Disons-le d’emblée, madame la ministre : le Sénat adhère au but fixé par ces textes, car nous sommes tous conscients que, derrière l’organisation de cet événement sans précédent, c’est l’image de la France dans le monde qui sera en jeu. Toutefois, pour réussir, nous devrons relever un double défi.
Le premier défi est financier. Chacun a en mémoire les dérives financières qui ont secoué les précédentes éditions – je sais ce dont je parle, car Rio est voisin de la Guyane. Il est donc primordial que la France soit à la hauteur de l’enjeu et maîtrise les coûts annoncés.
Le second défi est plus profond. Il réside dans notre capacité à valoriser l’olympisme par-delà l’événement lui-même, par-delà l’élan d’enthousiasme sportif qu’il suscitera jusqu’à ce que la flamme soit éteinte.
À cet égard, l’olympiade culturelle qui précédera de quatre ans l’ouverture des Jeux est un très bon outil. Pour autant, elle ne doit pas se limiter aux sites olympiques et aux bases arrière, auxquelles je préfère, pour ma part, les termes de « bases avancées ». Elle doit également permettre de faire rayonner les valeurs de l’olympisme dans toute la France, y compris dans tous les outre-mer.
Cela étant dit, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen d’un texte pour le moins singulier. En effet, d’abord conçu de manière purement technique, ce projet de loi a rapidement évolué face à la nécessité posée par le Conseil d’État de passer par la loi pour créer l’Agence nationale du sport.
Tout d’abord, il nous est proposé, avec deux premiers articles bienvenus, la ratification de l’ordonnance relative aux voies réservées à la circulation de certains véhicules et à la police de la circulation. Si l’on pouvait légitimement penser que ces mesures concernaient davantage le domaine réglementaire, le recours à la loi était toutefois nécessaire. En effet, la répartition des compétences, s’agissant de la police de la circulation, relève directement du pouvoir normatif.
La perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 est donc une chance à saisir pour faire évoluer le modèle sportif français, régulièrement mis à l’index. Celui-ci doit être en phase avec les nouvelles attentes des pratiquants et des acteurs sportifs représentés dans toute leur diversité et, plus largement, avec les enjeux de notre société.
Aussi l’article 3 vient-il préciser l’Agence nationale du sport sous la forme d’un groupement d’intérêt public, ou GIP, dont l’objectif est précisément de renforcer les capacités sportives du pays sur le fondement d’une gouvernance collégiale et concertée.
Le principe ne pose aucun souci majeur. Au contraire, notre rapporteur a lui-même souligné la pertinence du recours au GIP, en ce qu’il permet une souplesse de gestion et de financement. Pour autant, reconnaissons-le, il est quelque peu frustrant pour les parlementaires que nous sommes d’effleurer ainsi l’Agence nationale du sport sans évoquer davantage son organisation, son mode de gouvernance ou encore sa pérennité.
Le sujet n’est pas anecdotique. Comme l’observe le Conseil d’État, la création de cette nouvelle agence revient pour l’État à se dessaisir des principales dimensions de la politique du sport : le soutien au sport de haut niveau et à la haute performance, d’une part, le développement de l’accès à la pratique sportive, d’autre part. C’est la raison pour laquelle notre rapporteur, que je salue de nouveau pour son travail, a souhaité profiter de ce texte pour ouvrir le champ de notre débat. Je me réjouis personnellement de l’occasion qui nous est donnée de parler de sport, tant les débats techniques autour des JO 2024 peuvent parfois se révéler frustrants.
Dans le détail, notre commission a voulu préciser la gouvernance, l’organisation territoriale et les moyens de cette nouvelle agence.
Les membres de notre groupe soutiennent les modifications opérées en faveur d’un rôle accru des parlementaires dans la politique sportive de la France. Il semble en effet important que certaines commissions puissent donner un avis sur la convention d’objectifs. Ils portent également un regard bienveillant sur le recentrage du rôle du préfet de région comme délégué territorial ainsi que sur la création d’une conférence régionale du sport. En revanche, nous sommes opposés à la décision de confier au responsable de la haute performance de l’Agence l’affectation et l’évaluation des conseillers techniques sportifs dans les fédérations agréées.
Si j’ai personnellement soutenu la position récente de notre commission contre un transfert obligatoire des CTS aux fédérations sportives, c’est précisément parce qu’un temps de concertation me paraît indispensable. Aussi, il me semble tout autant précipité de confier la gestion des CTS à l’Agence nationale du sport, tout juste créée. Je note d’ailleurs que le collectif des 1 300 CTS comme l’association des directeurs techniques nationaux n’y sont eux-mêmes pas favorables.
Madame la ministre, je vous sais pleinement investie pour faire évoluer le modèle sportif français ; un modèle en vertu duquel l’État est partenaire auprès des acteurs responsables et engagés que sont les fédérations, les collectivités et le monde de l’entreprise. Aussi, je ne doute pas que vous saurez nous rassurer pour poser ensemble la première pierre d’un débat plus large ; un grand débat que nous aurons en 2020, je l’espère, autour du projet de loi Sport, texte qui vous est cher et que nous appelons tous de nos vœux. Pour l’heure, notre groupe votera le présent projet de loi. (M. Jean-Pierre Corbisez applaudit.)