M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Troisième raison, comme j’ai eu l’occasion de l’affirmer il y a un instant, le Gouvernement a quelques désaccords avec un certain nombre de dispositions adoptées par la commission des lois du Sénat, mais il a aussi des points de convergence et d’accord avec de nombreuses autres mesures.

Le texte a été enrichi. Je souhaite que le débat qui s’ouvre nous permette de trouver un point d’équilibre et de nouveaux enrichissements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vient de l’expliquer la présidente du groupe CRCE, ce projet de loi met gravement en cause notre pacte républicain par une attaque frontale contre les fondements de la fonction publique, donc contre les services publics.

Plus précisément, à l’échelon des collectivités territoriales, les élus locaux n’étaient pas demandeurs de cette réforme. Aujourd’hui, ils la rejettent massivement.

Ainsi, un appel des maires de toute sensibilité politique demande le retrait de ce projet de loi au nom de la cohésion sociale et territoriale : « Les maires ont besoin de fonctionnaires aux rôles et fonctions définis par un statut durable à l’image de la continuité républicaine, aux compétences validées par des diplômes et ayant réussi des concours officiels dans le cadre de référentiels nationaux, neutres politiquement, totalement voués à l’accomplissement de leurs missions de service public, quelles que soient les alternances.

« Cette qualité, cette stabilité, cette indépendance des fonctionnaires sont des conditions essentielles afin de garantir pour tous et partout des services publics de haut niveau. »

Évidemment, nous partageons cette analyse, qui rejoint les craintes exprimées par l’AMF, puisque rien dans cette réforme ne permettra de faire reculer dans les faits les inégalités sociales et territoriales. Or c’est bien ce qu’attendent nos concitoyens.

La création de la fonction publique territoriale, en parallèle des lois de décentralisation au début des années quatre-vingt, a été une innovation majeure au bénéfice des territoires permettant dans le même temps de garantir un haut niveau de compétence et de sécuriser les élus employeurs.

Le retour de l’arbitraire est donc un très mauvais présage, y compris pour les usagers des services publics locaux, d’autant que le passage du texte en commission a renforcé non seulement la capacité de recours aux contractuels pour les collectivités, notamment dans les communes de moins de 2 000 habitants, mais également la rémunération au mérite favorisant l’inégalité entre les agents.

Mes chers collègues, les collectivités ont souvent été une source d’innovation, je dirais même de créativité pour la conquête de droits nouveaux pour nos concitoyens, que ce soit pour la petite enfance, le service de l’eau, etc. Elles ont permis d’ouvrir par leurs politiques des pans de l’intérêt général.

Voilà la véritable finalité d’un droit à la différenciation. Aujourd’hui, la conjugaison de la diminution des dotations et de l’injonction d’une baisse de l’emploi public porte gravement atteinte à cette capacité d’initiative, et il ne suffira pas de vouloir constitutionnaliser demain ce droit à la différenciation pour le rendre pleinement effectif. Ce texte organise ainsi la captation du privé sur l’action publique et le détournement de son héritage démocratique.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Mon groupe a fait le choix non pas de déposer une motion tendant à opposer la question préalable, mais de s’engager pleinement dans ce débat en déposant des amendements de suppression d’articles.

Nous sommes en effet opposés aux deux principes qui guident ce projet de loi : l’affaiblissement du dialogue social et la mise en concurrence des fonctionnaires avec les contractuels. Nous avons aussi décidé de faire des propositions, parce que nous sommes attachés à la conception française de la fonction publique.

Cependant, nous partageons les préoccupations exprimées par nos collègues du groupe CRCE quant aux conséquences prévisibles de ce texte pour la fonction publique dans son ensemble.

En affaiblissant comme jamais le dialogue social, à tous les étages, le Gouvernement cherche manifestement à réduire le poids des partenaires sociaux pour préparer le terrain à une restructuration et à une réorganisation majeure des trois fonctions publiques.

Plusieurs milliers d’instances de dialogue vont disparaître. Cette décision porte en germe une détérioration des conditions de travail préjudiciable aux agents, mais tout autant aux employeurs. Les moyens des organisations représentant les personnels s’en trouveront fortement diminués, ce qui facilitera le passage du rouleau compresseur ayant pour mission d’aplatir la fonction publique et de la purger de 120 000 postes.

En ouvrant très largement le recours au contrat, le Gouvernement n’abolit pas le statut ; il le contourne, en aggravant la précarité.

Vous faites, monsieur le secrétaire d’État, le choix de la banalisation de la fonction publique et de l’affaiblissement de l’action publique. Le contrat, c’est l’antithèse d’une fonction publique de carrière. Vous prenez le risque, en faisant reculer les règles déontologiques, de la confusion entre intérêt public et intérêts privés, à la faveur du pantouflage et du rétropantouflage, au moment même où la demande de transparence n’a jamais été aussi forte.

Nous sommes attachés à la conception française de la fonction publique, qui repose sur le système de la carrière. Nous avons donc déposé des amendements de proposition visant à lutter contre la précarité, ou encore à améliorer la déontologie.

Jusqu’à présent, nous étions prêts à engager le débat sur ce texte. Nous n’en avons pourtant pas eu l’opportunité, tant les conditions d’examen de celui-ci sont déplorables et relèvent d’un déni de démocratie.

M. Jérôme Durain. C’est vrai !

M. Didier Marie. C’est la conséquence du choix du Gouvernement d’employer, une fois de plus, la procédure accélérée. À peine trois semaines se sont écoulées entre le vote à l’Assemblée nationale, la publication du projet de loi et l’étude de celui-ci par notre commission.

Quant à l’examen des amendements déposés en commission, il n’en fut pas question : la liasse des amendements a été déroulée en une heure et demie – top chrono ! –, ce qui n’a permis aucune discussion.

Enfin, que dire de l’utilisation abusive de l’article 40 de la Constitution, qui a conduit au rejet de quatorze de nos amendements ?

Les conditions d’examen de ce texte font écho aux conditions dans lesquelles le Gouvernement a tenu la concertation : il n’y aura pas eu de négociations avec les organisations syndicales représentatives, qui l’ont rejeté à l’unanimité.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Didier Marie. Pour ces raisons de fond et de forme, nous apporterons notre soutien à la motion tendant à opposer la question préalable déposée par le groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Mon groupe votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous préférons en effet, comme souvent, laisser vivre le débat. Nous avons ainsi déposé des amendements, que nous défendrons avec ardeur.

Nous choisirons le meilleur pour nos trois fonctions publiques, qu’il faudra parfois différencier. C’est pourquoi nous espérons que chacun s’écoutera pour construire ce texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de transformation de la fonction publique
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de transformation de la fonction publique.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette heure tardive de reprise de nos débats, je veux, d’abord, saluer la méthodologie et l’ambition du Gouvernement, ainsi que la place laissée au Parlement dans l’élaboration de ce texte.

Je rappellerai, ensuite, que le Sénat a su saisir cette opportunité et enrichir utilement ce projet de loi ; M. le secrétaire d’État rappelait d’ailleurs que deux tiers des modifications apportées par la commission avaient reçu l’accord et l’encouragement du Gouvernement.

Enfin, je ferai le point sur quelques sujets sur lesquels il ne me semble pas impossible de converger ; je m’en remets avec confiance à l’intelligence collective dont le Sénat est capable.

Le projet de loi de transformation de la fonction publique, que nous sommes appelés à élaborer, est le fruit d’une méthode et le vecteur d’une ambition.

Quant à la méthode, je crois savoir, monsieur le secrétaire d’État, que près d’une cinquantaine de réunions ont été organisées en 2018 et au début de 2019 avec les neuf organisations syndicales de la fonction publique et les représentants des collectivités locales et des employeurs hospitaliers. Vous disiez avoir également rencontré, dans un esprit de discussion et de concertation, nombre d’agents, en direct, au gré de vos déplacements. Je veux enfin saluer la création de la plateforme dématérialisée qui a permis à tous les agents des trois versants de faire entendre leur point de vue et de contribuer au débat.

L’ambition de ce texte est d’adapter les règles applicables aux 5,5 millions d’agents du service public. Cela n’a rien d’une mince affaire ; c’est même de l’orfèvrerie, en particulier en France, où la fonction publique est associée, organiquement, à une certaine idée de la Nation. Toucher à l’une, c’est évidemment toucher à l’autre. Si bien que, au-delà des modalités d’exécution techniques d’une telle réforme, sa seule annonce semble parfois suffire à hypothéquer ses chances de réussite. Peut-être avons-nous eu cette impression lors des échanges que nous avons eus sur la motion tendant à opposer la question préalable.

Ces préjugés défavorables sont toutefois bien loin d’égaler en intensité les invitations au changement adressées par nos concitoyens, par les usagers, par les agents et par les employeurs publics. Il faut les accepter et les entendre !

Pour eux tous, notre action publique doit non seulement s’adapter, mais apprendre à renouveler cet effort.

Pour l’heure, la fonction publique fait encore à nos concitoyens l’effet d’un capharnaüm procédural, où l’esthétisme administratif du jardin à la française semble distraire des impératifs de fonctionnalité et de service au public.

Comment, alors, ne pas accueillir avec quelques motifs de satisfaction un texte qui met en œuvre les outils indispensables à la révision opérationnelle de la fonction publique, sans préjudice des lois statutaires de 1946 et de 1983 ?

Concernant de nouveau la méthode, j’ai évoqué les 5,5 millions d’agents du service public. Ce n’est pas qu’un luxe de précaution sémantique. En effet, à l’heure où l’on se plaît à compartimenter la fonction publique en corps, en cadres d’emploi, en emplois fonctionnels, que sais-je encore ?, le titre V du présent projet de loi, consacré à l’égalité professionnelle, a ceci d’opportun qu’il nous rappelle une chose essentielle : il faut à tout prix cesser de voir des catégories statutaires là où l’on trouve d’abord des serviteurs de la Nation qui méritent, chaque jour, d’être salués et encouragés. Cette méthode me semble être la bonne.

Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, les apports attendus de ce texte : avant tout, de nouveaux outils opérationnels.

Je veux revenir sur son ambition. De ce point de vue, le Gouvernement n’est pas en peine. C’est vrai, en premier lieu, pour les services publics et leur adaptation aux attentes des usagers ; l’une des dernières avancées notables consiste en l’instauration d’un droit à l’erreur, mais cette adaptation est déjà ancienne. C’est vrai, en deuxième lieu, de par la recherche d’une plus grande efficience, c’est-à-dire l’accomplissement du service de la meilleure façon possible pour le coût le moins élevé possible. C’est vrai, enfin, concernant l’attractivité des métiers et la mobilité des agents.

Le projet de loi répond à cet enjeu de modernisation au travers de cinq titres qui traduisent des choix clairs. Ils ont déjà été évoqués à cette tribune, mais je veux rappeler les enjeux principaux.

Il s’agit, d’abord, d’adapter et de renforcer le dialogue social dans la fonction publique, que l’on peut parfois qualifier d’atone, en proposant une réforme des organes de proximité : les futurs comités sociaux pourront trancher l’ensemble des questions liées à la gestion des ressources humaines.

Je salue, ensuite, la volonté de transformer la gestion des ressources humaines en donnant de nouveaux outils aux managers publics tout en renforçant les dispositifs de lutte contre la précarité. À ce titre, avec de nombreux collègues appartenant à différents groupes, je défendrai un amendement visant à réintroduire l’indemnité de fin de contrat pour les contrats de moins d’un an dans la fonction publique hospitalière.

Le renforcement de la transparence au sein du cadre de gestion des agents mérite lui aussi d’être salué. Je pense notamment au rôle des centres de gestion départementaux, qui disposeront de plus de souplesse pour s’organiser, notamment à l’échelon régional.

M. Michel Canevet. C’est bien !

M. Arnaud de Belenet. Je salue aussi l’encouragement de la mobilité des agents au sein des trois versants. Attendu par les agents, ce paquet de mesures accentue l’effort de formation.

Enfin, l’égalité professionnelle sortira renforcée de ce texte.

Certains diront que tout cela n’est qu’un premier pas, mais il est certainement décisif : c’est un grand pas !

Le Parlement a été une force de proposition dans la construction de ces dispositifs. Le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a indiscutablement su se saisir d’enjeux majeurs pour les agents de la fonction publique.

Notre commission s’est efforcée de renforcer les souplesses offertes aux employeurs territoriaux, notamment en élargissant le recours aux agents contractuels, en encourageant les recrutements sur titres pour des agents disposant déjà d’un diplôme d’État. Je salue, notamment sur ce point, le rapport de Jacques Savatier, qui a repris un certain nombre de sujets portés par le Sénat. Celui-ci, à travers sa commission des lois, a également fait œuvre utile en facilitant l’intégration des policiers nationaux et des gendarmes dans la police municipale.

La commission a limité à cinq ans la durée maximale de prise en charge des agents placés dans la catégorie des fonctionnaires momentanément privés d’emploi, ou FMPE.

Le licenciement pour insuffisance professionnelle a été facilité : il serait prononcé après audition de l’intéressé et passage en commission administrative paritaire, en lieu et place du conseil de discipline.

La commission s’est efforcée de mieux récompenser le mérite, au travers de mesures relatives aux primes des agents et à leur régime indemnitaire.

Elle a également renforcé l’intégration des agents en situation de handicap.

M. Loïc Hervé, rapporteur. De vrais progrès !

M. Arnaud de Belenet. Elle a notamment prévu sur ce point une expérimentation visant à pérenniser le financement du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, ou FIPHFP. Elle a aussi ouvert aux apprentis en situation de handicap la possibilité d’intégrer la fonction publique à l’issue de leur contrat d’apprentissage. Un droit à la portabilité a été créé : des postes seront aménagés pour que les agents puissent conserver leur aménagement lorsqu’ils changent d’employeur.

Enfin, la commission des lois a opportunément garanti de nouveaux droits aux agents publics en les rendant éligibles au congé de proche aidant et en prévoyant que les fonctionnaires de genre féminin disposeront d’une heure par jour pour allaiter leur enfant, comme dans le secteur privé.

Le Sénat a ainsi participé, au travers des travaux de sa commission des lois, au renforcement et à l’amélioration de l’armature de notre fonction publique.

Il obtient, en un sens, doublement gain de cause.

C’est le cas, d’abord, au regard des propositions sénatoriales formulées précédemment, qui font aujourd’hui l’objet d’une heureuse déclinaison législative. On peut citer à cet égard la suppression des régimes dérogatoires à la durée légale du travail antérieurs à la loi de 2001.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Enfin !

M. Arnaud de Belenet. C’est le cas, ensuite, du fait des apports substantiels offerts par la commission des lois mercredi dernier.

Il serait bon, en conséquence, que les quelques désaccords qui subsistent, désaccords non de fond, mais de forme et parfois, peut-être, de posture, ne gâchent pas, non pas cet échange d’amabilités, mais cette véritable contribution au sujet majeur qu’est la transformation de notre fonction publique.

J’en viens ainsi à la troisième partie de mon propos.

M. le président. Il vous faudra être très bref !

M. Arnaud de Belenet. J’aurai l’occasion, au cours de nos débats, d’y revenir. Un certain nombre de sujets méritent que nous convergions. Je serai très heureux de m’exprimer sur tous ces points lors de la défense de nos différents amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur les conséquences de ce projet de loi sur la fonction publique hospitalière.

Dans cet esprit, je regrette que, du fait de l’inflation législative, la commission des affaires sociales n’ait pu se saisir pour avis de ce texte, comme je l’avais proposé.

Alors que les hôpitaux connaissent une crise majeure, que leur personnel est au bord de l’explosion, que les agents multiplient les actions, depuis des mois, pour dénoncer leurs conditions de travail et la dégradation de la prise en charge des patients, alors que tous les services d’urgence sont mobilisés, votre seule réponse, monsieur le secrétaire d’État, est le mot « réorganisation », et le Gouvernement a répondu de même lors de l’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Vous n’entendez pas les témoignages des urgentistes et des infirmières qui refusent la généralisation des recrutements par contrats que vous accomplissez à l’article 9 !

Vous proposez, à l’article 28, une externalisation des missions des personnels, mais avez-vous entendu des soignants, des agents administratifs, ou encore des ouvriers qui travaillent dans les établissements publics de santé vous en faire la demande ?

Nous ne fréquentons vraiment pas les mêmes milieux ! Quand mes collègues du groupe CRCE et moi-même nous rendons d’hôpital en hôpital, personnellement, j’entends l’urgence à embaucher et à rendre ces métiers attractifs, notamment en augmentant les salaires, en valorisant les carrières et en facilitant les passerelles entre les différents métiers pour permettre aux fonctionnaires d’évoluer tout au long de leur activité professionnelle.

Votre obsession de vouloir casser le statut des fonctionnaires, que vous dénoncez comme d’affreux privilégiés tandis que vous épargnez les tenants du CAC 40, est tout simplement indécente pour ces hommes et ces femmes qui nous soignent !

Vous étendez au secteur public les réformes appliquées au secteur privé depuis les ordonnances Macron ou la loi El Khomri, en réduisant à peau de chagrin les instances représentatives du personnel, pour tuer toute concertation.

Ainsi, vous ne trouvez pas mieux que de supprimer les CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Comment le comité social d’administration, instance fourre-tout censée les remplacer, interviendra-t-il quand des agents menaceront de sauter par la fenêtre parce qu’ils n’en peuvent plus ?

On en est bien là aujourd’hui, mes chers collègues, tant les restrictions budgétaires faites sur le dos des hôpitaux depuis des années entraînent une perte de sens, un épuisement des personnels et une profonde souffrance au travail.

Comment cette instance pourra-t-elle mener des actions de lutte contre les violences sexistes et le harcèlement ?

Cela m’amène à aborder, pour conclure, le volet de ce texte consacré à l’égalité professionnelle. Comme l’a souligné Éliane Assassi, les quelques mesures proposées sont loin d’être suffisantes. Une fois de plus, la grande cause nationale de ce quinquennat mobilise bien peu votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État !

Le statut de la fonction publique est un outil vivant que l’on se doit d’améliorer au fil du temps pour mieux servir l’intérêt commun, mais vous faites le contraire : vous le détruisez et vous allez amplifier la crise dans la fonction publique hospitalière.

Voilà une raison supplémentaire pour voter contre ce projet de loi, qui, en mettant à mal les trois principes fondateurs de la fonction publique, aggravera les conditions de travail des fonctionnaires, dégradera les services rendus à la population et affaiblira davantage les services publics. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte s’adresse aux 5,5 millions de femmes et d’hommes qui ont fait le choix de servir l’intérêt général.

Leur mission fondamentale est de permettre à tous nos concitoyens d’accéder à un patrimoine commun, le service public, leur ouvrant le droit à la santé, à la sécurité, à l’éducation, à la culture, à la mobilité, à la justice et à tout ce qui concourt à notre vie collective.

Le service public, ne l’oublions pas, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, le bien commun de la Nation.

La fonction publique est en souffrance, non parce qu’il y aurait trop de fonctionnaires, mais parce qu’ils ne sont pas toujours là où il le faudrait, du fait de choix dictés par des impératifs budgétaires réalisés à leurs dépens et à ceux des usagers.

Comment, à l’heure où nous engageons l’examen de ce texte, ne pas penser au personnel hospitalier et, en particulier, à celui des urgences, au personnel pénitentiaire, victime de prises d’otages, aux agents de la force publique, éreintés par la crise des gilets jaunes, à ceux de l’administration des finances, aux enseignants et à tous les fonctionnaires qui connaissent tous des difficultés dans l’exercice de leurs fonctions du fait du manque d’effectifs, de la demande croissante de nos concitoyens et, parfois, de la violence ?

Aujourd’hui, nous tenons, avant toute autre chose, à apporter tout notre soutien à l’ensemble de la fonction publique et de ses agents, dont nous saluons le professionnalisme, l’intégrité et le dévouement. C’est ce soutien qui guidera nos positions et nos interventions tout au long de nos débats.

La force de notre fonction publique est le statut des fonctionnaires, qui oblige et protège ses agents. Permettez-moi de faire un rappel rapide, mais nécessaire. La fonction publique est consubstantielle de la République. Son statut n’est pas un héritage désuet du XXe siècle ; c’est une opportunité.

Constitué d’un ensemble de droits et de devoirs, le statut est un cadre qui a su se moderniser, de sa création, en 1946, aux quatre lois de 1983, 1984 et 1986, qui forment aujourd’hui le statut général des fonctionnaires.

Il repose sur trois principes, qui restent modernes.

Le premier, c’est l’égalité. L’entrée dans la fonction publique se fait par la voie du concours, qui garantit l’égal accès aux emplois publics et la sélection par la compétence. Le concours est le meilleur rempart contre le copinage, le favoritisme et le clientélisme.

Le deuxième, c’est l’indépendance. Les fonctionnaires doivent être protégés de la conjoncture et de l’arbitraire politiques. La fonction publique française repose donc sur le système de la carrière, où le grade est distinct de l’emploi. Servir l’État, ce n’est pas servir une société privée : c’est une fonction sociale, qui s’apprécie sur une longue période aménagée à cet effet en carrière.

Le troisième, c’est la citoyenneté. Les fonctionnaires disposent des mêmes droits que les autres citoyens – liberté d’opinion, droit syndical et droit de grève, pour prendre les plus emblématiques –, mais ces droits doivent être conciliés avec des obligations propres à la fonction publique en matière de neutralité, de déontologie, de laïcité, de discrétion et d’information du public.

Autant de principes qui sont aujourd’hui menacés par ce projet de loi. En effet, monsieur le secrétaire d’État, avec cette réforme, si vous ne vous attaquez pas frontalement au statut, vous le contournez.

Vous élargissez massivement les possibilités de recruter des agents contractuels en lieu et place des fonctionnaires, mettant en concurrence les seconds avec les premiers. Vous multipliez ainsi les risques d’emplois de complaisance, au détriment de la compétence, et vous réduisez fortement les perspectives de carrière des fonctionnaires qui ont fait le choix de s’engager en faveur de l’intérêt général.

De plus, vous renforcez la précarité des agents publics, à l’image du nouveau contrat de projet, ou encore du détachement d’office auprès d’opérateurs privés en cas d’externalisation de services ou de missions.

En revanche, vous restez silencieux sur la reconnaissance de l’engagement de nos concitoyens au sein de la fonction publique et sur les possibilités d’évolutions professionnelles, notamment par le biais de la formation continue, tout au long de leur carrière, ou de congés de conversion.

Ainsi, en ouvrant très largement le recours au contrat, vous faites le choix de la banalisation de la fonction publique et de l’exercice de l’État ; vous faites le choix, in fine, de l’affaiblissement de l’action publique.

Votre projet de loi remet en cause de manière inédite le dialogue social à tous les étages de la fonction publique.

D’une part, il fusionne des instances, au détriment de celles qui sont compétentes en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, alors même que la santé au travail est un enjeu primordial dans un contexte de restructurations annoncées.

D’autre part, il réduit les attributions des commissions administratives paritaires, qui sont aujourd’hui consultées sur toutes les décisions individuelles. Vous nous dites que ces instances sont source de rigidité, alors qu’elles n’ont aucun pouvoir décisionnel, qu’elles garantissent la transparence des décisions et qu’elles permettent souvent de renforcer l’acceptabilité des décisions auprès des agents.

Les changements apportés par la commission des lois sont un pas vers l’amélioration du texte que nous avons reçu de l’Assemblée nationale, mais ce pas reste insuffisant ; c’est pourquoi nous devrons encore amender le projet de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez négligé les organisations syndicales, en ne tenant pas votre engagement, plusieurs fois répété, de publier les projets de décrets en même temps que le projet de loi. Rappelons que ce texte, que vous dites attendu de tous, fruit d’une prétendue concertation intense, a fait l’objet d’un rejet unanime de la part des neuf organisations syndicales de la fonction publique.

Vous ne respectez pas plus les parlementaires en utilisant, une fois de plus, la procédure accélérée et en recourant massivement aux ordonnances.

En résumé, ce projet de loi n’est rien d’autre qu’une volonté de dégradation organisée des services publics ; il contribue à la stigmatisation de ceux qui les mettent en œuvre. Il ne résoudra ni les problèmes de fonctionnement de nos services publics ni le malaise de nombreux agents. Il ne répondra pas plus aux demandes des citoyens désireux de plus de proximité.

La majorité sénatoriale présente ce projet de loi comme une boîte à outils. Prenez garde, mes chers collègues, à ne pas minimiser son impact !

Il n’y a pas de réforme de la fonction publique sans réforme de l’État et de la puissance publique. Votre texte, monsieur le secrétaire d’État, ne fait pas exception à cette règle : il dessine en creux la conception que le Gouvernement se fait du service public et de l’État.

Penser la fonction publique, c’est penser l’action publique dans notre société. Pour nous, son histoire est républicaine. Elle a une place singulière dans l’organisation sociale et politique du pays. Elle contribue à l’émancipation individuelle des Français. Elle est le bras armé des libertés publiques, de la solidarité, de la fraternité républicaine et de la laïcité ; bref, de l’intérêt général.

Ce texte est malheureusement un projet d’affaiblissement du service public, qui prépare la mise en œuvre du plan Action publique 2022 et la suppression de 120 000 emplois.

Une autre réforme était possible pour moderniser le statut et favoriser l’attractivité des carrières publiques. C’est en tout cas la vision que mon collègue Jérôme Durain, les membres de notre groupe et moi-même défendrons, pendant ces deux semaines d’examen du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)