Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de transformation de la fonction publique a été adopté par l’Assemblée nationale le 28 mai dernier. Son intitulé paraît quelque peu ambitieux, car il s’agit non d’une véritable transformation de la fonction publique, mais plutôt d’une série de modifications, souvent techniques, pour une fonction publique « plus agile ».
En préambule, Loïc Hervé, également rapporteur de ce texte, et moi-même saluons le travail de ces femmes et de ces hommes qui œuvrent au quotidien pour la bonne organisation des services publics. La fonction publique constitue, en effet, notre bien commun, qu’il convient de préserver, tout en modernisant son organisation pour l’adapter aux nouveaux besoins des employeurs publics et aux nouveaux métiers.
En revanche, nous regrettons vivement l’engagement de la procédure accélérée, comme c’est le cas pour de nombreux textes, sur ce projet de loi essentiel pour la fonction publique, ainsi que le calendrier très contraint imposé par le Gouvernement.
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est vrai !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. En trois semaines, nous avons procédé à 115 auditions, notamment celles des organisations syndicales des trois versants, qui ont marqué leur opposition à la réorganisation du dialogue social et au recours accru aux agents contractuels que prévoit ce texte. Les représentants des employeurs publics ont, en revanche, soutenu les principaux objectifs du projet de loi, montrant un intérêt particulier pour les nouveaux leviers de gestion des ressources humaines.
Nous avons également lancé une consultation en ligne à l’attention des employeurs territoriaux, laquelle a remporté un vif succès. Ainsi, 2 200 élus locaux ont donné leur avis, 42 % d’entre eux représentant des communes de moins de 1 000 habitants. Les principales attentes des employeurs territoriaux concernent la reconnaissance des performances professionnelles des agents, la simplification du dialogue social et l’élargissement du recours aux agents contractuels.
Bien qu’il ne traduise pas une réelle vision de l’action publique, ce projet de loi comporte une palette d’outils permettant une meilleure gestion des ressources humaines. Nous avons donc adopté une attitude pragmatique tendant à élargir cette palette tout en respectant les droits des agents publics et les grands principes du statut général.
La commission des lois a adopté 154 amendements visant trois objectifs : tout d’abord, préserver les spécificités de la fonction publique territoriale et mieux répondre aux attentes des employeurs locaux ; ensuite, mieux reconnaître le mérite des agents et garantir leurs droits ; enfin, encadrer plus précisément la réforme de la haute fonction publique, afin de garantir son excellence tout en renforçant sa diversité.
Afin de mieux répondre aux attentes des employeurs territoriaux, la commission des lois a souhaité donner plus de prévisibilité aux élus locaux. L’État aurait désormais l’obligation de publier une feuille de route triennale dans laquelle il indiquerait l’incidence financière de ses décisions en matière de ressources humaines sur les budgets locaux – c’est ce que prévoit le nouvel article 2 bis.
La commission a supprimé un renvoi à un décret en Conseil d’État pour préciser les fonctions exercées par le directeur général des services, renvoi qui constituerait une atteinte grave à la libre administration des collectivités territoriales.
De même, à l’article 7, la liberté de recrutement des employeurs territoriaux a été réaffirmée, dans le respect du principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics.
La commission des lois a souhaité accorder davantage de souplesse, notamment, à l’article 10, en permettant aux communes de moins de 2 000 habitants de pourvoir l’ensemble de leurs emplois par voie de contrat et, à l’article 8, en élargissant le contrat de projet aux agents de catégorie C.
Le nouvel article 33 quater prévoit que les concours sur titres seraient également confortés, afin d’alléger les procédures de recrutement lorsque les agents disposent déjà d’un diplôme d’État.
Dans la même logique, grâce au nouvel article 22 bis AA, l’intégration des policiers nationaux et des militaires dans les cadres de la police municipale serait facilitée.
Enfin, aux termes de l’article 18, les employeurs territoriaux disposeraient de dix-huit mois à compter du renouvellement de leur assemblée délibérante pour organiser la concertation sur l’harmonisation du temps de travail, contre douze mois dans le projet de loi initial.
La commission des lois leur a donné de nouveaux outils en limitant à cinq ans la durée de prise en charge des fonctionnaires momentanément privés d’emploi, ainsi que le prévoit le nouvel article 28 bis, en facilitant le licenciement pour insuffisance professionnelle, par l’introduction d’un nouvel article 14 bis, et en renforçant, à l’article 15, le régime disciplinaire tout en réaffirmant le caractère paritaire des conseils de discipline.
De plus, aux termes des articles 17 et 19, les centres de gestion sont confortés dans leur organisation et leurs prérogatives et l’organisation du Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, est rationnalisée.
Afin de mieux reconnaître le mérite des agents et de garantir leurs droits, la commission des lois a élargi le RIFSEEP, le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel, aux résultats collectifs du service, par l’introduction de l’article 13 bis. Elle a également rétabli le rôle des commissions administratives paritaires, ou CAP, en matière d’avancement, de promotion interne et de restructuration des services, aux articles 4, 4 bis et 14.
Dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, le projet de loi permettait un recours aux agents contractuels plus étendu dans la fonction publique d’État que dans les deux autres versants. La commission des lois a souhaité rétablir un certain équilibre à l’article 9 en supprimant, dans le versant étatique, l’extension du recours au contrat pour les emplois des établissements publics à caractère administratif, ainsi que pour les emplois aujourd’hui occupés par des fonctionnaires dont la titularisation n’est pas soumise à une formation statutaire préalable.
À la demande de notre collègue Lana Tetuanui, la commission s’est préoccupée des 3 000 fonctionnaires appartenant aux corps de l’État pour l’administration de la Polynésie française, les CEAPF. Pour faciliter la promotion interne de ces agents, le nouvel article 33 ter prévoit la création des corps de catégorie A au sein des CEAPF.
Enfin, reprenant les préconisations du rapport d’information intitulé Donner un nouveau souffle à la politique du handicap dans la fonction publique que Didier Marie et moi-même avons récemment rédigé, la commission des lois a adopté plusieurs amendements pour renforcer l’intégration des agents en situation de handicap et pérenniser le financement du FIPHFP, le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique. Ce sont les nouveaux articles 34 A à 34 D.
Je laisse maintenant Loïc Hervé aborder les autres domaines de ce projet de loi, notamment la déontologie des fonctionnaires, la santé au travail, l’égalité entre les femmes et les hommes, la formation et l’apprentissage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés à débattre du projet de loi de transformation de la fonction publique. Je souhaite redire combien Catherine Di Folco et moi-même avons voulu et voulons aborder celui-ci dans un esprit constructif.
À défaut de faire révolution, ce texte comprend de nombreuses dispositions qui vont dans le bon sens et qui consacrent souvent des évolutions déjà en cours dans nos fonctions publiques.
En complément de l’intervention de ma collègue rapporteur, j’aborderai divers domaines, notamment la réforme de la haute fonction publique. La commission des lois a souhaité préciser, par conséquent restreindre, le périmètre de l’habilitation à légiférer par ordonnance.
M. Arnaud de Belenet. Quelle idée !
M. Loïc Hervé, rapporteur. En effet, sur ce point, il paraît opportun de se fonder sur les travaux de la mission confiée par le Président de la République et le Premier ministre à maître Frédéric Thiriez en privilégiant un tronc commun d’enseignements des écoles de services publics. À ce stade, la fusion de plusieurs de ces écoles ne me semble ni souhaitée ni souhaitable.
Venons-en à la déontologie : si la plupart des freins à la mobilité des fonctionnaires sont levés, le contrôle de celle-ci serait effectué non plus par la commission de déontologie, mais par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, autorité administrative indépendante dont les prérogatives ont été confortées d’abord à l’Assemblée nationale, puis en commission par le Sénat. Concernant les avis, la commission des lois a fait le choix, plus respectueux des libertés publiques, de laisser à la discrétion de la HATVP la décision de leur publication.
Nous avons également souhaité contraindre explicitement la HATVP à prendre en considération la carrière des agents concernés, afin de favoriser une véritable politique de ressources humaines dans les plus hautes sphères de l’État.
L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a aussi été renforcée par plusieurs mesures. D’une part, un dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel et d’agissement sexiste a été instauré. D’autre part, le texte de la commission étend l’obligation de nominations équilibrées dans les emplois supérieurs et de direction de la fonction publique en élargissant le champ des emplois et des administrations concernées.
D’autres correctifs ont été apportés, comme l’exemption du jour de carence pour les femmes enceintes et le maintien des droits à avancement des agents bénéficiant d’un congé parental.
Les droits sanitaires et sociaux des agents ont été renforcés.
Au-delà de l’amélioration de l’intégration des agents en situation de handicap, sujet abordé par Catherine Di Folco, le congé du proche aidant sera étendu à l’ensemble de la fonction publique, ce qui permettra aux agents d’apporter leur aide à un proche souffrant d’un handicap ou d’une perte d’autonomie. Par ailleurs, les femmes fonctionnaires pourront bénéficier d’une heure par jour pour allaiter leur enfant, disposition déjà en vigueur dans le secteur privé.
Enfin, il était primordial de doter la fonction publique territoriale de moyens pour développer l’apprentissage, depuis la perte de compétence des régions en matière d’aides financières aux employeurs territoriaux. Nous souhaitons donc que l’État participe à hauteur de 23 millions d’euros au financement de l’apprentissage.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris, le Sénat a fait œuvre utile en enrichissant le projet de loi, fidèle à la mission que lui assigne la Constitution, en améliorant la loi, en intégrant dans le texte ses travaux les plus récents, en représentant les territoires et les besoins de nos concitoyens, afin de leur donner une fonction publique à la hauteur des enjeux de notre temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à transformation de la fonction publique (n° 571, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un texte très important, qui touche au cœur du pacte républicain, puisqu’il s’agit des conditions de travail de celles et de ceux qui font vivre au quotidien les services publics. Infirmières, médecins, gendarmes, juges, enseignants, chercheurs, bibliothécaires, agents territoriaux, personnels de crèche et des écoles, cantonniers : je veux, au nom de mon groupe, leur rendre hommage.
Quotidiennement, dans des conditions difficiles faites de coupes budgétaires, de perte du pouvoir d’achat et de défiance parfois, ces agents font honneur à leur mission au service de l’intérêt général. C’est grâce à eux, à leur dévouement et à leur sens aiguisé de l’intérêt public qu’il reste un peu d’humanité, donc d’efficacité, dans des services publics saturés et exsangues.
Déstabiliser ces agents avec les dispositions contenues dans le présent projet de loi, comme avec celles du projet de loi pour une école de la confiance ou du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, c’est porter atteinte aux services publics, par conséquent aux droits de nos concitoyens, usagers de ces services dont il est par ailleurs si peu question dans ce texte.
Ce gouvernement, comme les précédents, n’a qu’une boussole, pour ne pas dire qu’une obsession : baisser la dépense publique, réduire l’action de l’État, laissant ainsi la place aux marchés financiers et aux intérêts privés. Il s’agit au fond de lever tous les obstacles pour déréguler et libéraliser.
Pour ce faire, tout est bon : diminution des budgets dans les lois de finances successives, baisse des dotations pour les collectivités, externalisation et privatisation à tout crin.
Aujourd’hui, avec ce projet de loi, l’État se lance dans une nouvelle étape sur le chemin de la privatisation. Ce texte permettra ainsi, comme vous l’avez affirmé ce matin, monsieur le secrétaire d’État, d’atteindre – ce n’est pas un totem selon vous ! – l’objectif de 120 000 suppressions de postes, en cohérence d’ailleurs avec les objectifs fixés par le rapport CAP 2022 et les ordonnances récentes du Premier ministre sur la réorganisation de l’État. Le cap est cohérent, puisqu’il s’agit encore et toujours d’accentuer les transferts de charges et d’abandonner des services faute de rentabilité suffisante.
On gère l’État comme une entreprise.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Si seulement !
Mme Éliane Assassi. C’est l’avènement de la start-up nation.
Pour justifier ces politiques de reculs sociaux, le Gouvernement joue la carte dangereuse du tous contre tous, faisant passer les fonctionnaires pour des privilégiés, et ce alors même que la majorité d’entre eux, comme les gilets jaunes, ont du mal à boucler leurs fins de mois au regard des salaires extrêmement bas dans la fonction publique. Voilà la réalité, mes chers collègues !
Ce texte organise ainsi une remise en cause totale des règles fondamentales de l’organisation des pouvoirs publics, donc de la fonction publique. Il remet en question le statut établi à la sortie de la guerre, en 1946, pour créer une fonction publique aux ordres non pas d’une hiérarchie potentiellement arbitraire et autoritaire, voire antirépublicaine, mais bien de l’intérêt général. Doit-on rappeler cela aujourd’hui, en ce jour anniversaire de l’appel du 18 juin du général de Gaulle ?
Par conséquent, la carrière des fonctionnaires est régie par la loi et non par le contrat. La fonction publique est une fonction de carrière et non d’emploi, plaçant le fonctionnaire dans une distance juste par rapport à sa hiérarchie, lui permettant même de désobéir à des ordres illégaux.
Les lois Le Pors de 1983 et 1984 ont conforté ce statut accompagnant notamment la décentralisation, introduisant des innovations majeures qui ont permis d’établir un statut à la fois souple et solide.
Trois principes ont présidé à cette construction et au socle de ce statut.
Premier principe, le principe d’égalité, fondé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose : « Tous les citoyens étant égaux […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est bien écrit !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est magnifique ! Les bourgeois libéraux de 1789 avaient le sens de la formule !
Mme Éliane Assassi. Ainsi, seul le concours permet, en droit, d’assurer l’égalité d’accès des citoyens à la fonction publique.
Deuxième principe, le principe d’indépendance, qui conduit à distinguer le grade, propriété du fonctionnaire, de l’emploi, à la disposition de l’administration.
Troisième principe, le principe de responsabilité fondé sur l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Il s’ensuit que le fonctionnaire, parce qu’il est soumis à cette obligation de service du bien commun, doit avoir la plénitude des droits et devoirs du citoyen et non être regardé comme le sujet du pouvoir politique ou le rouage impersonnel de la machine administrative.
Ces trois principes, ainsi que la stabilité de l’emploi public, le mal nommé « emploi à vie », permettent de garantir que les agents des services publics soient indépendants et libres par rapport aux forces politiques et aux forces de l’argent. Ce sont ces règles qui protègent du clientélisme et de la corruption, qui gangrènent tant de systèmes politiques.
En appliquant le modèle des ordonnances de la loi Travail à la fonction publique, ce projet de loi rompt avec ces principes fondateurs, tout en attaquant les principes de démocratie sociale. Il s’en prend tout d’abord au principe d’égalité par le contournement du concours et le recours massif aux contractuels sur des emplois permanents et de direction. Or ce dispositif, contrairement aux attendus de l’exposé des motifs, va encourager le pantouflage, voire le rétropantouflage, participant à brouiller les finalités de l’action publique. Il participe par ailleurs à une précarisation accrue des agents publics, notamment au travers du nouveau contrat de projet.
Pourtant, mes chers collègues, comment ignorer que, si les agents sont précaires, le service public lui-même sera précarisé ? Dans ce cadre, la pauvre prime de fin de contrat apparaît comme une simple aumône et ne peut nous satisfaire. À la suite de l’examen du texte par la commission, ces dispositions ont été aggravées concernant la fonction publique territoriale, le recours aux contractuels étant encore plus encouragé – nous le déplorons.
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est bien, ça !
Mme Éliane Assassi. Le principe d’indépendance est également remis en cause, puisque le recours au contrat favorisera l’embauche, comme aux États-Unis, d’une fonction publique aux ordres du pouvoir politique, car très directement liée à elle.
Le renforcement du pouvoir hiérarchique par la remise en question des instances paritaires, mais également par la montée en puissance de la rémunération au mérite, accentuera ce phénomène, notamment au sein de la fonction publique territoriale.
Avec l’ensemble de ces procédés, il s’agit au fond de placer l’agent dans un rapport individuel à l’égard de l’administration, ce qui le déconnectera de l’intérêt général et le rendra ainsi plus vulnérable aux pressions administratives, politiques ou économiques.
On crée pour demain une main-d’œuvre publique corvéable, manipulable, mutable et révocable à merci.
Les maires ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en appelant dans une tribune au retrait de ce projet de loi, au nom de la cohésion sociale et territoriale de la Nation. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF, a également fait part de ses réserves.
Le mouvement des gilets jaunes a plébiscité, lui aussi, les services publics, comme leviers puissants de redistribution sociale.
Vous faites tout le contraire avec ce projet de loi, en faisant prévaloir la liberté contractuelle sur l’égalité républicaine !
Par ailleurs, le Gouvernement utilise l’argument de la mobilité, non pas comme un droit, mais comme une opportunité pour encourager les fonctionnaires à quitter la fonction publique en favorisant les ruptures conventionnelles. Il accompagne la privatisation des services publics et le désengagement de l’État en prévoyant le détachement d’office des fonctionnaires.
Ce projet de loi crée ainsi les outils destructeurs d’un dégraissage massif et d’une rupture de l’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire.
Notons pour être justes…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ah !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Nous vous écoutons !
Mme Éliane Assassi. Je suis toujours juste, monsieur le président de la commission !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Relevons donc quelques avancées en matière de déontologie qui ne reste que du droit souple, en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et en matière de handicap. Toutefois, ces miettes ne peuvent nous faire oublier l’essentiel de ce texte : le dépérissement du statut et la soumission de l’État et des pouvoirs publics aux règles de management issues du privé, donc incompatibles avec les missions spécifiques du service public.
À nos yeux, les enjeux de modernisation se situaient fondamentalement ailleurs. Nous pensons à l’enjeu de démocratisation, afin de mieux prendre en compte les besoins au plus près des territoires et des usagers. Nous pensons aussi à l’enjeu de transition écologique – les fonctionnaires sont une richesse incroyable dans ce défi par leur adaptabilité et leur sens du temps long. Nous pensons encore à l’enjeu de rénovation des concours et des formations pour les ouvrir à la société telle qu’elle est dans sa diversité, donc dans sa richesse.
Nous devons par ailleurs collectivement nous atteler à un vaste plan de reconquête sur le secteur privé, qui n’a pas la capacité, nous le constatons tous les jours, de répondre aux besoins de nos concitoyens.
Pour faire face à l’ensemble de ces enjeux, notre pays n’a pas besoin de moins de fonctionnaires, ni même de fonctionnaires précarisés, pas plus que des règles de management issues du privé. Nous voyons à cet égard les conséquences dramatiques de ces méthodes à France Télécom.
Bien au contraire, notre pays doit pouvoir s’appuyer sur un statut protecteur comme le corollaire de la qualité du service rendu, sur des agents enfin reconnus et valorisés.
À l’heure où les dangers du repli sur soi et du rejet de l’autre n’ont jamais été aussi forts, il est urgent de promouvoir un projet permettant de créer du lien, de favoriser les communs, la solidarité et la cohésion sociale et territoriale, c’est-à-dire, au fond, de redéfinir ce qui fait sens dans le cadre du pacte républicain. Les services publics en sont le levier principal.
Vous l’avez dit, la fonction publique est une richesse, le bien commun de la Nation.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Oui, c’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Il s’agit le plus souvent du premier contact de nos concitoyens avec l’État.
Nous demandons, à l’instar de l’ensemble des organisations syndicales, le retrait de ce texte, qui organise une nouvelle fois l’incurie de l’État à répondre aux besoins fondamentaux de nos concitoyens. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Nous n’avons pas la même lecture du texte en discussion ! Pour nous, il s’agit non pas de supprimer le statut de la fonction publique,…
Mme Éliane Assassi. Si !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. … mais de donner de nouveaux outils pour la gestion des ressources humaines. Il convient, dans bien des cas aussi, d’adapter cette fonction publique aux évolutions du service public et de permettre aux agents d’enrichir leur parcours professionnel, en facilitant les mobilités entre les trois versants de la fonction publique ou vers le secteur privé.
La commission a bien travaillé. Elle a déposé des amendements sur ce texte qui peuvent aussi répondre à plusieurs de vos remarques, ma chère collègue. Ainsi, elle a tenu à maintenir le rôle des CAP en matière d’avancement et de promotion interne. Elle a établi un meilleur contrôle du rétropantouflage lorsqu’un agent contractuel est recruté dans un emploi de direction. Elle a prévu l’élaboration d’une feuille de route pour mieux anticiper les décisions du Gouvernement, notamment en matière d’évolution du point d’indice. Elle a reconnu de nouveaux droits, comme le congé de proche aidant ou le droit à la portabilité pour les agents handicapés. Elle a également reconnu la possibilité de verser des primes collectives et pas seulement individuelles pour valoriser le bon fonctionnement d’un service.
Je ne reprendrai pas tout ce que mon collègue Loïc Hervé et moi-même avons déjà énuméré au cours de la discussion générale.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cette motion, pour les raisons qu’a évoquées Mme la rapporteur et pour trois autres raisons.
Première raison, je le répète, ce texte ne remet pas en cause le statut de la fonction publique. L’avis du Conseil d’État indique combien nous avons respecté les principes fondamentaux dudit statut. C’est une garantie que je souhaite de nouveau souligner.
Deuxième raison, ce texte est attendu. Il est attendu par les employeurs, qu’ils soient élus ou encadrants, qui expriment non seulement leur besoin d’autonomie et de souplesse, mais aussi leur demande de confiance. La déconcentration des décisions est le signe de cette confiance que nous voulons leur témoigner. Ce texte est également attendu par les agents. J’ai rencontré plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’agents qui m’ont fait part de leur sentiment parfois d’être assignés à résidence professionnelle, de leur volonté de trouver des perspectives dans la fonction publique ou – plus rarement, c’est vrai, mais cela arrive assez régulièrement – dans le secteur privé, et qui souhaitent avoir des outils et des sécurisations pour cela.
Mme Laurence Cohen. Nous ne devons pas fréquenter les mêmes personnes !