M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. Dans cette affaire, on ne peut pas dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Nous avons l’obligation d’innover pour envoyer un signal fort, car nous sommes arrivés à la limite d’un système. La congestion dont on a parlé, la nécessité d’investir sur nos réseaux routiers, en particulier : tous les débats que nous avons eus le montrent.
Il faut adresser un signe fort, notamment aux chargeurs, pour les inciter au report modal, sans pénaliser nos dessertes locales ou les circuits courts. Chaque jour, 1 000 camions traversent le Pas-de-Calais pour se retrouver, le soir, en Espagne.
Des modes alternatifs sont apparus, comme les autoroutes de la mer, qui n’ont pas trouvé leur viabilité économique, car elles ne sont pas encore suffisamment compétitives. Il faut faire preuve d’imagination et trouver un moyen de pénaliser ce trafic de transit qui a des conséquences extrêmement défavorables pour nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Nous l’avons bien compris, madame la ministre : nous bricolons pour formuler des propositions et faire en sorte que le débat ait lieu et vous trouvez un argument technique disant que ce n’est pas ce qu’il faut faire.
Reste que le problème est sur la table – vous l’avez bien expliqué – et que l’on ne pourra achever l’examen de ce texte sans l’avoir réglé. C’est d’abord la responsabilité de l’État. Nous avons essayé de trouver des montages, mais l’article 40 de la Constitution nous a été opposé, de manière discutable ; c’est ainsi. Il revient maintenant à l’Assemblée nationale de formuler des propositions.
Le constat, vous l’avez dressé, madame la ministre : il n’est pas acceptable de voir ces files de poids lourds, notamment étrangers, sur les routes nationales.
Des propositions ont été formulées, y compris dans votre ministère qui compte des tas de gens créatifs. Par exemple, l’idée d’une vignette qui puisse être remboursée via la TICPE pour que, quand bien même la règle est la même pour tous, ce soient ceux qui ne font pas le plein en France qui payent, est une piste, même si elle pose aussi des difficultés. Reste que l’on ne peut pas ne pas trouver de solutions.
Aujourd’hui, il faut le dire, notre problème, c’est que les transporteurs français, encore tout à leur victoire sur l’écotaxe, continuent de dire non à toute nouvelle taxation, y compris à ce mécanisme qui nous semblait séduisant intellectuellement d’un paiement avec remboursement via la TICPE pour arriver à l’équilibre. Or une partie des transporteurs français font leur plein à l’étranger ; ce sont donc des recettes fiscales qui échappent à la France. De surcroît, un certain nombre de grands transporteurs français sont d’ailleurs propriétaires de sociétés étrangères qui font rouler les camions. Telle est la réalité !
Madame la ministre, il faut absolument qu’une solution technique soit proposée par le Gouvernement à l’Assemblée nationale. La situation est inacceptable : il manque 500 millions d’euros pour boucler le budget de l’Afitf.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le rapporteur, je comprends votre position de principe : après avoir fourni des financements en fléchant la TICPE, pas de nouvelle taxe. Il y a là une certaine cohérence. Cependant, mon collègue vient de le souligner, alors que nous examinons un projet de loi d’orientation des mobilités, vous êtes en train de nier le principe pollueur-payeur. Faire payer plus cher ceux qui polluent est admis par tous les économistes de bon sens : Jean Pisani-Ferry lui-même, qui a été cité ici hier, déclare que ce principe est vertueux.
Deux questions se posent s’agissant des poids lourds. Les coûts des poids lourds français qui font leur plein en France sont couverts, mais pas certaines externalités négatives. En revanche – et vous l’avez dit vous-même, madame la ministre – il y a une véritable injustice à voir les poids lourds traverser notre pays et provoquer une insoutenable distorsion de concurrence. Il faut avoir discuté avec des transporteurs de Lorraine, qui subissent les flux étrangers et ne peuvent aller faire leur plein au Luxembourg (M. Daniel Gremillet acquiesce.), pour comprendre qu’il faut trouver des solutions.
Nous vous proposons, par cette euro-redevance progressive, d’être sélectifs. À titre de compensation pour les transporteurs français, nous supprimons définitivement la taxe à l’essieu, qui est d’un très mauvais rendement et mal acquittée, et ajoutons éventuellement une exonération de TICPE.
Quand bien même vous rétorqueriez que les camions ne sont pas encore équipés d’un boîtier permettant de calculer une euro-redevance progressive – plus le trajet serait long, plus ce serait coûteux – et garantissant que le maçon du coin qui ne parcourt pas beaucoup de kilomètres avec son 19 tonnes soit beaucoup moins taxé, on peut remplacer temporairement ce boîtier par une vignette, le temps d’acquérir cet instrument et de laisser cette évolution technologique se mettre en œuvre.
Par ailleurs, je proposerai tout à l’heure un autre dispositif, sous la forme d’un amendement d’appel : une contribution carbone des donneurs d’ordres.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je partage l’analyse de Ronan Dantec. Cela fait des années que l’on se demande comment faire payer les camions internationaux qui transitent par la France. Par je ne sais quel miracle, notre pays, qui ne manque pourtant pas de créativité, ne trouve aucune solution technique, au point de perdre toute crédibilité à l’égard de nos concitoyens.
Un dispositif a été proposé. Je ne sais pas si c’est le meilleur et si le Gouvernement peut nous en soumettre d’autres, personne dans cet hémicycle n’est arc-bouté sur une méthode technique. En réalité, nous sommes face à un choix politique : d’une part, il faut faire contribuer les transporteurs étrangers, d’autre part, il faut que le rapport entre le rail et la route soit de plus en plus favorable au rail, pour valoriser le fret longue durée, sinon, les camions continueront de circuler.
Si nous n’adoptons pas cet amendement ainsi que le sous-amendement de nos collègues du groupe socialiste et républicain, qui cible davantage encore la question du grand transit, il n’y aura pas de base dans ce texte pour que l’Assemblée nationale puisse avancer, avec le Gouvernement, dans cette direction.
Dire que l’on verra plus tard, c’est être sûr que l’on ne verra jamais !
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour explication de vote.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, vous défendez devant le Parlement un projet de loi d’orientation des mobilités que l’on peut qualifier d’ambitieux. Je ne reviendrai pas sur un ensemble de points que nous trouvons d’ores et déjà plutôt positifs.
En revanche, il me paraît dommageable que, sur ce point précis, nous ne soyons pas au rendez-vous de ce que nos concitoyens attendent d’un tel texte. Certes, cela vient d’être dit, nos concitoyens ont montré qu’ils étaient réfractaires à toute nouvelle taxe, y compris lorsque celle-ci a vocation à nous permettre d’aller plus vite dans la réalisation d’infrastructures et de permettre la transition. Or l’adoption de cet amendement et de ce sous-amendement nous permettrait de répondre à leur interrogation récurrente dans les territoires, à savoir comment taxer ces poids lourds qui – un certain nombre de collègues l’ont constaté dans leur territoire – ne font que traverser notre pays et utiliser nos infrastructures, sans contribuer à leur juste niveau à leur entretien et à leur régénération.
Par conséquent, j’incite l’ensemble de mes collègues à soutenir cette démarche, qui connaîtra des développements lorsque le texte sera examiné par l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Le dispositif que nous vous présentons a fait ses preuves dans d’autres pays européens. Il s’inscrit dans une démarche de transition écologique, en favorisant une baisse importante de l’empreinte carbone, mais aussi la compétitivité de nos entreprises ; il comporte ainsi un volet environnemental et un volet économique, et d’autres amendements sont examinés par la suite.
Madame la ministre, vous disiez, en réponse à mon sous-amendement, qu’il y avait, notamment dans la Sarthe et sur un certain nombre d’axes, des cohortes de camions qui n’acquittent aucune contribution sur notre territoire. Ils empruntent non pas nos autoroutes, mais les routes nationales et font le plein à l’extérieur de nos frontières, en Espagne ou au Luxembourg.
La solution que nous proposons permettrait à la fois de répondre aux demandes de transporteurs, qui doivent faire face à une concurrence internationale féroce, et à nos objectifs de développement durable. Je vous demande de faire preuve d’un peu d’audace, mes chers collègues, et de voter le sous-amendement n° 1033 et l’amendement n° 127, qui pourront ensuite être améliorés à l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je voudrais que nous soyons tous conscients de la portée des amendements dont nous sommes en train de débattre. Il s’agit ici d’augmenter la taxe d’aménagement du territoire, qui n’est perçue que sur les autoroutes, sous la forme d’un supplément au péage. On continuerait donc à ne taxer que les autoroutes. (M. Olivier Jacquin manifeste son étonnement.)
Je vous assure, monsieur Jacquin, que l’amendement que vous proposez de sous-amender vise à augmenter la taxe d’aménagement du territoire !
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 1033.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, sans vouloir vous donner l’impression d’exercer une quelconque pression, je vous rappelle que nous avons examiné 30 amendements en quatre heures cette après-midi ; il en reste 750. Vous avez tous les éléments pour décider de l’attitude à adopter désormais ! (Sourires.)
L’amendement n° 125, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le a de l’article 265 septies du code des douanes est abrogé ;
II. – Le I entre en vigueur à compter du 1er janvier 2020.
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Nous sommes toujours à la recherche de solutions de financement.
Cet amendement ne vise pas à créer une nouvelle taxe, mais à supprimer le remboursement partiel de la TICPE sur le diesel consommé par les poids lourds de plus de 7,5 tonnes. Il est fort dommageable que ce texte ait renoncé à faire contribuer le transport routier à la rénovation de nos infrastructures via la création d’une écotaxe poids lourds.
Le minimum serait de supprimer les niches fiscales sur les carburants polluants et émetteurs de gaz à effet de serre. Ces financements supplémentaires viendront compléter le budget fragile de l’Afitf.
Si nous voulons enrayer le réchauffement climatique, la transition écologique doit également impliquer un report modal, qu’une refonte de la fiscalité doit encourager. La dérégulation économique permet aujourd’hui à des entreprises internationales de réduire à l’extrême les coûts de leurs circuits de production, pour exploiter la faiblesse des normes sociales et environnementales de certains pays. Cela n’est possible que par le faible coût du transport routier, dont les externalités négatives sont assumées par la collectivité.
Si ces calculs, qui consistent à séparer les sites de production, d’assemblage et de distribution dans des pays différents, permettent aux directeurs financiers de ces multinationales de s’y retrouver, ils se font en dépit du bon sens et de l’impératif climatique.
En plus d’être inadapté aux enjeux écologiques actuels, le transport de marchandises par les poids lourds sollicite les routes et nécessite d’importants et réguliers investissements qui font défaut pourtant à d’autres modes de transports plus vertueux.
Le report modal vers des transports moins polluants et la relocalisation vers des circuits courts ne se feront pas sans la taxation du transport routier international traversant la France. Commençons donc par supprimer cette exonération !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Supprimer un remboursement partiel ou augmenter une taxe, cela revient quasiment au même pour les entreprises et les transporteurs concernés.
Rappelons-le, à la suite de l’abandon de l’écotaxe, les transporteurs ont été taxés à raison de quatre centimes d’euros par litre de gazole et les véhicules légers l’ont été à hauteur de deux centimes d’euros par litre.
Ces quatre centimes d’euros représentent l’équivalent d’un peu plus de 400 millions d’euros de recettes. Une augmentation d’un centime de la taxation représente donc 90 millions d’euros de plus pour les transporteurs routiers, et 110 millions d’euros si l’on ajoute les transports de voyageurs. Pour les véhicules particuliers, c’est 400 millions d’euros par centime de taxe supplémentaire. Supprimer le remboursement partiel revient à rétablir une part de taxe qui avait disparu.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. L’adoption de cet amendement serait un formidable cadeau aux poids lourds étrangers qui traversent notre pays sans payer de TICPE.
Je rappelle que 39 % des kilomètres parcourus par des poids lourds en France le sont par des poids lourds étrangers, lesquels acquittent seulement 8 % de la TICPE.
On accentuerait donc dans des proportions considérables l’écart de compétitivité entre nos transporteurs et les transporteurs étrangers.
Le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 130, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le chapitre Ier du titre X du code des douanes, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« Redevance additionnelle sur les coûts externes pour le transport de marchandises
« Art. …. – Il est créé une redevance additionnelle sur les coûts externes prenant en compte la pollution de l’air et le bruit.
« Cette redevance additionnelle est perçue sur le réseau routier sur lequel s’applique la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises définies à l’article 270 et sur le réseau routier soumis à un péage de concession.
« Le montant de la redevance additionnelle sur les coûts externes est calculé conformément aux dispositions de l’annexe 3 bis de la directive 2011/76/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2011 modifiant la directive 1999/62/CE relative à la redevance des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures.
« Le taux de cette redevance additionnelle est déterminé chaque année par un arrêté conjoint des ministres chargés des transports et du budget.
« Art. …. – I. – Le réseau routier mentionné à l’article 269 est constitué par :
« 1° Les autoroutes et routes situées sur le territoire métropolitain, et appartenant au domaine public routier national défini à l’article L. 121-1 du code de la voirie routière, à l’exception des sections d’autoroutes et routes soumises à péages ;
« 2° Les routes appartenant à des collectivités territoriales, lorsque ces routes supportent ou sont susceptibles de supporter un report significatif de trafic en provenance des routes mentionnées au 1° du présent I.
« II. – Un décret fixe la liste des routes et autoroutes mentionnées au 1° du I.
« III. – Un décret fixe la liste des routes mentionnées au 2° du I, après avis des assemblées délibérantes des collectivités territoriales qui en sont propriétaires.
« Cette liste est révisée selon la même procédure, sur demande des collectivités territoriales, en cas d’évolution du trafic en provenance du réseau taxable.
« Art. …. – Les véhicules de transport de marchandises mentionnés à l’article 269 s’entendent des véhicules à moteur dont le poids total autorisé en charge est supérieur à trois tonnes et demie ainsi que des ensembles de véhicules dont le véhicule tracteur a un poids total autorisé en charge supérieur à trois tonnes et demie.
« Art. …. – Le montant de la redevance d’utilisation de l’infrastructure routière sur le réseau mentionnée à l’article 270 est calculé conformément aux dispositions de la directive 2011/76/UE du 27 septembre 2011 modifiant la directive 1999/62/CE relative à la redevance des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures. »
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Toujours dans la même logique, cet amendement vise à réintroduire une écotaxe poids lourd, qui devait constituer une ressource précieuse pour l’Afitf, et qui a malheureusement été abandonnée par le précédent Gouvernement.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, rejetant par principe toute idée de nouvelle taxe. Nous pensons pourtant que celle-ci serait exemplaire et utile, nous permettant d’être plus ambitieux dans nos projets de financements en privilégiant, par exemple, le scénario 3 préconisé par le Conseil d’orientation des infrastructures, le COI.
Cette mesure permettrait ainsi de faire supporter par les véhicules routiers de marchandises la prise en compte d’externalités de ce transport.
Le présent amendement vise donc à appliquer en France les dispositions prévues dans la directive européenne Eurovignette III et à orienter les recettes liées à cette redevance vers les transports alternatifs aux transports routiers. Il n’y a en effet aucune raison que la France applique avec zèle les directives d’ouverture à la concurrence et qu’elle traîne des pieds sur les directives plus vertueuses écologiquement.
Il est important de signaler que cette taxe additionnelle ne handicapera pas le pavillon routier français, puisqu’elle sera exigible à tous les transporteurs empruntant le réseau routier français concerné.
Cette internalisation permettra, en appliquant le principe de pollueur-payeur, de réduire les distorsions de concurrence dont bénéficient aujourd’hui les transports les plus polluants, dont la route. Je rappelle les coûts très importants suscités par les externalités de ce mode de transports, la pollution de l’air coûtant à elle seule 101 milliards d’euros et causant 48 000 décès prématurés par an en France.
À titre indicatif, les produits de cette redevance seraient de l’ordre de 130 millions d’euros. Ce montant est très loin des impacts financiers des externalités des transports, mais l’introduction de ce principe aurait pour avantage de commencer à permettre la prise en compte des externalités dans les redevances d’utilisation des infrastructures de transport et de doter l’Afitf de nouvelles recettes.
Nous savons que le Gouvernement réfléchit également à une telle mesure et nous espérons donc que cet amendement recevra un avis positif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement, qui avait déjà reçu un avis défavorable en commission, vise à créer une nouvelle taxe additionnelle sur les poids lourds à raison des coûts externes qu’ils entraînent.
L’avis de la commission reste donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je partage la préoccupation d’une meilleure contribution des poids lourds étrangers en transit sur notre territoire.
Vous l’aurez compris, sur ce point, la réflexion est ouverte, mesdames, messieurs les sénateurs. Le sujet a été abordé à l’occasion du grand débat, et plusieurs pistes avaient été évoquées par le COI et lors des Assises nationales de la mobilité. Il reste toutefois de nombreux points à examiner à la suite du grand débat.
La nouvelle taxe proposée par les auteurs de cet amendement s’appliquerait également sur le réseau concédé et serait donc incompatible avec la directive Eurovignette, les poids lourds payant déjà leurs coûts externes sur ce réseau.
En conséquence, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, il émettrait un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On ne cesse d’argumenter en renvoyant au grand débat. Mais ne sommes-nous pas censés discuter d’une loi d’orientation des mobilités qui engage l’avenir de la France ? Pourquoi devrions-nous nous soumettre au bon vouloir du Président de la République, qui va sortir je ne sais quelle mesure de son cerveau fécond ? (Murmures.)
Depuis des lustres, dans toutes les réunions et tous les débats, les citoyens et les élus réclament une taxation des poids lourds. Pourtant, en dépit de tous les technocrates géniaux qui peuplent notre pays, nous n’avons toujours pas d’idée !
Pourquoi faut-il encore attendre ? Je veux bien entendre que la solution proposée n’est pas la bonne, madame la ministre. Vous pouvez demander que la réflexion se poursuive jusqu’au passage du texte à l’Assemblée nationale, et que l’on en rediscute ensuite en CMP, mais, très franchement, vous ne pouvez pas vous en remettre simplement au grand débat !
Je voterai bien évidemment cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 71 rectifié quater, présenté par MM. Grosdidier, Bascher, Cuypers, Détraigne, Canevet, Guerriau, Henno, Houpert, Duplomb et Genest, Mme Lassarade, MM. Lefèvre, Longuet, Louault et Luche, Mmes Loisier et Lopez, MM. Mizzon, Milon, Menonville et Poniatowski, Mme Raimond-Pavero, MM. Revet et Schmitz, Mmes Noël, Thomas, Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Regnard et Daubresse, Mme de Cidrac, M. Decool, Mme Deroche, M. Dufaut, Mme Kauffmann et MM. Laménie, H. Leroy, L. Hervé, Wattebled, Vaspart, Segouin et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 285 bis du code des douanes, il est inséré un article 285 … ainsi rédigé :
« Art. 285 …. – Les régions ont la faculté d’instaurer une redevance pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes immatriculés dans un État étranger qui empruntent le réseau routier. Cette redevance peut être forfaitaire annuelle, ou proportionnelle au kilométrage des véhicules.
« Le réseau routier mentionné au premier alinéa est constitué par les autoroutes, routes nationales ou routes appartenant à des collectivités territoriales pouvant constituer des itinéraires alternatifs à des autoroutes à péage, situées ou non sur le territoire métropolitain.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. Il détermine notamment la liste des routes et autoroutes mentionnées au deuxième alinéa, après avis de leurs assemblées délibérantes pour les routes appartenant à des collectivités territoriales. »
La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Cet amendement vise à permettre aux régions, et non à l’État – ce faisant, il reconnaît les réalités diverses des territoires en matière de transports – d’instaurer une redevance pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes immatriculés à l’étranger sur les autoroutes ou les routes nationales qui pourraient constituer un itinéraire de délestage.
L’Alsace et la Lorraine, qui font maintenant partie de la région Grand Est, connaissent en particulier des trafics frontaliers très importants, le report d’une partie du trafic allemand et suisse sur leur réseau venant aggraver leur situation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’instaurer une redevance au profit des régions. Outre que chacune de ces dernières pourrait arbitrairement fixer des conditions différentes, cette redevance pourrait être annuelle, forfaitaire, ou proportionnelle au kilométrage, et ne toucherait que les poids lourds étrangers. Elle présente de ce point de vue une vraie difficulté, car elle n’est pas conforme au droit européen, plus précisément aux dispositions de la directive Eurovignette.
Envisagée dans le cadre des Assises nationales de la mobilité, cette hypothèse de taxation, soubresaut de l’écotaxe, avait fait émerger une autre piste, celle d’une augmentation de la fiscalité sur le gazole avec, en contrepartie, une gratuité de la vignette pour ne taxer au final que les poids lourds étrangers.
Aujourd’hui, nous n’avons pas de solution permettant de ne pas pénaliser les transporteurs français. Comme le soulignait Mme la ministre, toute nouvelle taxation va encore accentuer les distorsions de concurrence au détriment des transporteurs français. C’est pourquoi les professionnels de la route sont opposés à ce type de mesure.
Il y a sans doute une réflexion à mener, mais le Gouvernement devra travailler avec les différents acteurs. Nous souhaitons évidemment que l’Afitf puisse disposer de ressources supplémentaires. Sur les 17 milliards d’euros de la TICPE, quelque 1,2 milliard d’euros seulement revient cette année à l’Afitf pour financer les infrastructures.
Focalisons-nous sur les contributions payées par l’ensemble des consommateurs de produits de ce type, et nous trouverons à mon sens assez facilement les ressources.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Cet amendement n’a pas pour objet de trouver une ressource supplémentaire pour l’Afitf, puisqu’il tend en l’occurrence à créer une ressource supplémentaire pour les régions.
Vous avez mentionné la situation particulière de l’Alsace. Vous aurez à débattre prochainement d’un projet de loi qui reconnaît la spécificité de l’Alsace, en prévoyant notamment un itinéraire payant de l’autre côté du Rhin.
S’agissant de cet amendement, comme l’a rappelé M. le rapporteur, il n’est pas possible au regard du droit européen d’écrire dans un texte de loi que l’on va faire payer les poids lourds étrangers, mais pas les poids lourds français.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. J’avais cosigné cet amendement pour mettre en avant cette problématique : au regard de leur importance, les transports routiers étrangers devraient davantage participer à l’effort national de réhabilitation de nos routes.
Après l’explication de M. le rapporteur, je comprends que, si nous devons aussi appliquer cette redevance aux transporteurs français, il nous faut retirer cet amendement ou, à tout le moins, nous abstenir de le voter.
Je vois toutefois un autre problème se développer de plus en plus dans mon département, madame la ministre : la multiplication des petits camions de moins de 3,5 tonnes, tous immatriculés en Pologne. Ils traversent sans cesse, de jour comme de nuit, du lundi au dimanche, 24 heures sur 24, la totalité de nos routes.
Les 38 tonnes s’arrêtent en bordure d’autoroute ; ils sont ensuite déchargés, selon des conditions inhumaines d’exploitation, dans des 3,5 tonnes, lesquels parcourent ensuite des centaines de kilomètres en toute impunité. Les chauffeurs couchent dans les camions – vous imaginez la taille des couchettes ! –, mais notre pays laisse faire, comme si cela était normal.
Tous les entrepreneurs français qui faisaient ce travail subissent aujourd’hui cette concurrence totalement déloyale, car ils se voient pour leur part appliquer le code du travail, les heures supplémentaires, la conduite avec les disques, etc.
Madame la ministre, même si cet amendement n’aboutit pas, il aura au moins eu le mérite d’apporter un éclairage sur cette situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Michel Dagbert applaudit également.)